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09/06/2022 18:48 Mémoire sociale et médiation de l’histoire

Sciences de la société
99 | 2016
Mémoire, Histoire et médiations : approches croisées

Mémoire sociale et médiation de


l’histoire
Social memory and the mediation of History
Memoria social y mediación de la historia

Icléia Thiesen
p. 106-121
https://doi.org/10.4000/sds.5553

Résumés
Français English Español
Les recherches récentes en sic signalent une démande des études historiques d’information, de
document et d’archive, entre autres, mais le plus souvent sans la maîtrise des méthodologies
concernant surtout le savoir-faire des historiens « professionels ». Quelle est la nature de ces
demandes ? En tant que science sociale, la science de l’information n’ignore pas les rapports avec
le passé, la place de l’information dans les politiques du patrimoine, de la culture, de l’éducation.
La mémoire sociale s’impose dans la médiation de l’histoire du temps présent comme résistance
aux excès de l’histoire officielle. Les institutions de mémoire culturelle – bibliothèques, musées,
archives – s’interrogent aussi sur son histoire et son rôle face aux nouveaux défis du numérique
et les menaces face aux risques de la perte des enregistrements, donc des sources de la mémoire
☝🍪
collective et de l’histoire. L’explosion de la mémoire sociale peut-elle être partiellement expliquée
par la nécessité de validation de l’histoire ? Quel est le rôle des témoins dans la médiation de la
Cemémoire et des
site utilise de l’histoire
cookies? etCette communication a pour but de discuter ces questions
méthologiques et épistémologiques dans le contexte de la fabrication des savoirs situés dans la
vous donne le contrôle sur
frontière de l’information, de la mémoire et de l’histoire.
ceux que vous souhaitez
The recentactiver
researches on sic show a demand of historical studies on information, documentation
and archive, among others, however, without the domain of methodologies. Above all, without
the experience of “professional” historians. What is the nature of these demands? As a Social
Science, the Information Science does not ignore its relationships with the past, instead of only
✓ Tout
gathering accepter
information about Heritage, Cultural and Educational Policies. Social memory is the
mediation of the history of present time as a resistance to the excesses of official history. The
institutions of cultural memory – libraries, museums, archives – also question themselves about
✗ Tout refuser
their own History and their role regarding the new digital challenges and threats of record losses.
Such records represent both collective memories and History. Can the explosion of social
memoryPersonnaliser
be partially explained by the need to validate History? What is the role of testimonials in
the mediation between memory and History? This paper has the goal of discussing these
methodological and epistemological issues within the context of knowledge production at the
Politique de confidentialité
frontier of information: between memory and History.

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Las recientes investigaciones en sic muestran una demanda de estudios históricos de
información, documentación y archivo, entre otros, sin embargo, sin el dominio de las
metodologías. Y aún más, sin la experiencia de los historiadores « profesionales ». ¿ Cuál es la
naturaleza de estas demandas ? Como Ciencia Social, la Ciencia de la Información no ignora su
relación con el pasado al sólo reunir información sobre políticas del patrimonio, de la cultura y de
la educación. La memoria social es la mediación de la historia del tiempo presente como una
resistencia a los excesos de la historia oficial. Las instituciones de la memoria cultural – museos,
bibliotecas, archivos – también se preguntan a sí mismas sobre su propia historia y su papel ante
los nuevos retos digitales y amenazas de pérdida de sus registros. Tales registros representan las
memorias colectivas y de la historia. ¿ Puede la explosión de la memoria social explicarse en parte
por la necesidad de validar la historia ? ¿ Cuál es el papel de los testigos en la mediación entre la
memoria y la historia ? Este trabajo tiene el objetivo de debatir estas cuestiones metodológicas y
epistemológicas en el contexto de la producción de conocimiento en la frontera de la
información: entre la memoria y la historia.

Entrées d’index
Mots-clés : mémoire sociale, histoire du temps présent, documents sensibles, information,
témoignage
Keywords: social memory, history of present time, sensitive documents, information, testimony
Palabras claves: memoria social, historia del tiempo presente, documentos sensibles,
información, testimonios

Texte intégral
1 Les études historiques sont des recherches qui se concentrent principalement sur le
passé dans différents domaines, enregistrant et analysant les événements au cours du
temps, selon des méthodes, problématiques, hypothèses, empruntant les traditions du
champs. Pour la conquête de la légitimité institutionnelle toutes les sciences, à un
moment donné, se posent des questions sur leurs origines, leurs racines, leurs
influences, les frontières et, dans ce sens seule l’histoire, en tant que discipline
scientifique, fournit des outils, des méthodes, des catégories, des thématiques, même
s’il n’y a pas de consensus sur l’exercice du métier d’historien1.
2 De temps en temps surgissent des controverses, différentes approches et
méthodologies qui suscitent des débats sur les pratiques scientifiques. Lucia Guimarães
explique, par exemple, que dans la perception de l’École des Annales, la biographie était
objet de soupçons des chercheurs en histoire, jusqu’à la première moitié du xxe siècle :

« Considéré comme un genre mineur, parent près de l’éloge et fréquenté par des
amateurs, au mieux, on n’a supposé sa pratique que pour les écrivains et
essayistes. [...] En ce sens, pendant une longue période, le genre biographique
était une sorte de territoire interdit pour les professionnels de cette discipline,

☝🍪
selon les lignes directrices de l’historiographie française, suivies de près au
Brésil. » (Guimarães, 2015, 11)

3 Ce site
La utilise
créationdesen cookies
France deet l’Institut d’Histoire du Temps Présent (ihtp) à la fin des
vous donne
années 1970le acontrôle
mis en sur
discussion la validité des études historiques avec des liens
ceux queetvous
proches souhaitez
indissociables entre mémoire et histoire, passé et présent, mémoire et oubli,
activer
entre autres. La proximité entre les chercheurs et les sources orales vivantes, le manque
de sources primaires sur les expériences du vécu, l’approche des thèmes « sensibles »,
la dimension éthique des usages du passé, outre la définition du délais historique de
✓ Tout accepter
cette période, sont quelques enjeux qui apportaient du nouveau au chantier de l’histoire
« contemporaine ».
4 ✗ Tout
Jusque refuser
là pour les historiens français et européens, la dite « histoire contemporaine »
comprenait la période de la Révolution française à nos jours. Une nouvelle temporalité
posaitPersonnaliser
donc des questions non seulement sur la signification du « contemporain », mais
aussi sur un certain « présentisme », comme Henry Rousso l’a expliqué (Arend,
Politique
Macedo,de confidentialité
2009, 202). Ce phénomène dénoncé par François Hartog, fait référence à
l’impératif du présent, car « cette montée du contemporain s’est marquée de multiples

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façons : dans les programmes, le nombre des étudiants et des postes universitaires ;
mais aussi dans la revendication et le succès de l’expression “histoire du temps
présent” » (Hartog, 2001, 20). D’autres questions ont été placées au centre du débat :
comment se rapprocher de la « vérité » quand il s’agit de témoignages, donc de sources
orales susceptibles de « déformer les faits » compte tenu de la subjectivité sous-jacente
aux récits ? Comment analyser des documents sensibles, à cause de leur nature très
particulière ils sont porteurs de mensonges, de demi-vérités mais aussi de vérités2 ? Si
le silence n’est pas l’oubli, comment analyser les frontières du dicible et de l’indicible ?
(Pollak, 1989). Dans le contexte historique de la justice de transition après des périodes
répressives et totalitaires, la mémoire comme « valeur » prend sa place quelques fois
contre l’histoire. Ces questions épistémologiques, méthodologiques et théoriques
surgissent au sein de l’ihtp en France et aussi à l’extérieur.
5 Au Brésil les études historiques sur les évènements contemporains ont été
entreprises dans cette période notamment par des historiens et chercheurs en sciences
sociales au cpdoc (Centro de Pesquisa e Documentação de História Contemporânea do
Brasil). Il a été créé en 1973 afin d’accueillir des ensembles de documents sur l’histoire
récente du pays. Deux ans plus tard un programme d’histoire orale dont l’objectif est de
« recueillir les témoignages de personnalités qui ont travaillé sur la scène nationale3 » a
été inauguré. Depuis le début de ses activités, l’organisation des archives orales a
constitué un défi majeur, aujourd’hui déjà dépassé dans le cas du cpdoc, puisque la
plupart des interviews sont disponibles pour consultation et de nombreux livres
d’analyse ont été publiés sur la base des éléments de preuve recueillis. C’est l’institution
de recherche en histoire orale la plus importante du pays. Pour ces chercheurs « les
recherches de terrain et la réflexion théorique et méthodologique sont inextricablement
liés » (Ferreira, Amado, 1996, 9)
6 La production scientifique interdisciplinaire du Centre s’est élargie avec des
recherches individuelles et collectives, et depuis ces dernières années à partir des
activités d’enseignement avec la création, en 2003, du Programme d’études supérieures
en histoire, politique et patrimoine culturel. En 2006 a commencé une licence en
sciences sociales. Parallèlement, dès 1994, avait été créée l’Association brésilienne de
l’histoire orale (Associação Brasileira de História Oral, abho). Elle réunit des
chercheurs et des praticiens de l’histoire orale à travers tout le pays, par l’intermédiaire
de plusieurs groupes de travail. Des réunions scientifiques nationales et régionales
alternent tous les deux ans. La Revue História Oral4 certifie la consolidation de ce
chantier de recherches de terrain au Brésil.
7 En France, les sciences de l’information et de la communication (sic) n’ont pas
encore une histoire officielle, comme l’a rappelé Robert Boure (2002), mais plusieurs
études ont pour but d’analyser des phenomènes info-communicationnels dans
l’histoire. Dans les premiers ouvrages consacrés aux origines des sic, on trouve des
recherches de « non historiens de formation », depuis le projet des sic (Meyriat, Miège,
☝🍪
2002), les origines littéraires de ce domaine scientifique (Tétu, 2002), le rôle de la
revue Documentaliste-Sciences de l’Information (Couzinet, 2000), entre autres. Dans
Cecesite utilise des cookies et
mouvement vers le passé, le rôle des « pères fondateurs » du champ est valorisé et
vous donne le contrôle sur
mis en lumière à la fois pour leur rendre hommage et reprendre leurs textes de base et
ceux que vous souhaitez
leurs biographies. C’est le cas de Jean Meyriat, théoricien et praticien de
activer
l’Information-Documentation, titre de l’ouvrage dirigée par Viviane Couzinet à
l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire, en 20015. Les liens du métier du
✓ Tout accepter
documentaliste et des sciences de l’information, des pratiques et des recherches, fait de
ce théoricien du document, de l’information et de la communication, entre autres
champs, un personnage singulier.
✗ Tout refuser
8 Plusieurs recherches historiques ont été menées depuis, soit sur les frontières de la
discipline, soit sur la constitution d’un corpus théorique et méthodologique
Personnaliser
interdisciplinaire ou encore sur l’élargissement du champ pour rassembler les études
des chercheurs
Politique d’autres pays dans un réseau, comme celui nommé Réseau mussi6
de confidentialité
(Réseau Médiations et usages sociaux des savoirs et de l’information, Rede Mediações e
Usos Sociais dos Saberes e da Informação). L’importance des recherches en sic en
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dialogue avec l’Histoire se reflète dans la fondation du réseau sic & Histoire7, en 2013,
avec le soutien de l’équipe Médiations en information-communication spécialisée
(mics) du laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (lerass)
à Toulouse8.
9 Pour ce qui touche à la Science de l’information (si) au Brésil9, les études qui ont vu
le jour ont cherché à établir les frontières du champ, ainsi que des sous-champs, les
influences, les concepts fondateurs, les théories et les méthodologies. La si est à la
recherche de son identité, soit comme discipline, soit comme science :

En appelant au passé, des chercheurs se tournent, une fois de plus, vers les
fondateurs et les fondements du champ pour y trouver des changements tout au
long de l’histoire, conscients qu’il faut mieux connaître les racines du champ pour
pouvoir les dépasser. (Thiesen, 2010, 56)

10 Les recherches historiques sont notamment menées dans les programmes doctoraux
dont les résultats sont en général présentés dans le Groupe de Travail « Études
historiques et épistémologiques de la Science de l’Information » au sein d’enancib
(Encontro Nacional de Pesquisa em Ciência da Informação, Rencontre National de
Recherche en Science de l’Information) rencontre de recherche la plus importante du
champ, car elle rassemble tous les chercheurs. Cet évènement scientifique crée en 1994
en est déjà à sa xviie édition grâce aux efforts de l’Association Nationale de Recherche
et Post-Graduation en Science de l’Information (Associação Nacional de Pesquisa e
Pós-Graduação em Ciência da Informação-ancib10), la plus importante société
scientifique nationale en si créee en 1989. Y sont rassemblés des professeurs des
programmes doctoraux en si et des champs proches. Ces rencontres s’organisent en
Groupes de Travail thématiques qui se sont multipliés au cours du temps, ils sont onze
actuellement. Toutefois, il nous semble qu’il va falloir instaurer des recherches de
groupe plus systématiques, envisageant des synthèses, car la Science de l’Information a
plus de cinquante ans au Brésil. Si on étend la temporalité de la discipline pour y
inclure ses antécédents historiques, leurs disciplines de base, donc leur pré-histoire, elle
aurait déjà totalisés cent ans.

La mémoire et l’histoire : relations,


frontières, conflits
11 La rupture avec le champ de l’expérience a déjà été dénoncée par Walter Benjamin
dans les années 1930. Il se demandait quelle serait la valeur du patrimoine si elle n’était
plus liée à l’expérience des individus et de la société. Dans sa critique de la fin de la
narration, à cause d’abord de l’émergence du roman puis de la montée de l’information
☝🍪
(au sens de nouvelle), Benjamin se plaignait de la mort du narrateur. L’accélération du
temps faisait partie des questions traitées. Même si l’action de raconter n’est pas
Cemorte
site utilise des cookies et
11, on doit comprendre dans quel sens Benjamin pointait les arguments en faveur

vous
des donne le contrôle
narrateurs. sur qui sont morts sont les anciens narrateurs – des paysans
En fait, ceux
ceux que vous souhaitez
sédentaires qui écoutaient les conseils au cours de l’apprentissage de leur métier dans
ateliers duactiver
travail artisanal et les marins qui voyageaient et apportaient des histoires
d’autres terres et mers, chacun avec leurs caractéristiques. L’information pour
Benjamin n’avait de valeur que dans le moment ou elle était publiée dans la presse.
✓ Tout accepter
Remplie d’explications, l’information de la presse privilégie l’instant et la vitesse, tandis
que « la narration est comme l’argile dans les mains du potier » (Benjamin, 1987, 205).
✗ Tout refuser
L’interprétation appartient à ceux qui écoutent les expériences racontées.
12 Quelques décennies plus tard ce sont les historiens qui regrettent cette accélération
Personnaliser
du temps et la perte de l’expérience, notamment Pierre Nora suivi par d’autres
historiens et chercheurs y compris ceux du temps présent (Thiesen, Almeida, 2015). Les
Politique
références de se
confidentialité
tournent toujours vers l’œuvre majeure de Maurice Halbwachs, La
mémoire collective (1949), précédée par Les cadres sociaux de la mémoire, étude parue

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pour la première fois en 1925. Disciple et critique, tant de Bergson que de Durkheim et
lecteur de plusieurs philosophes, Halbwachs a montré l’importance des institutions
sociales dans la formation de la mémoire et de l’imaginaire social. Son nouveau regard
sur cette thématique a influencé des chercheurs au cours du temps et, à mesure que la
question de la mémoire collective s’impose pendant tout le xxe siècle, le courant de la
sociologie de la mémoire, même s’il a aussi été beaucoup critiqué. En inventant « le
maître mot de mémoire collective qui deviendra célèbre » (Namer, 1994), il ouvre le
chemin pour des recherches sur la mémoire collective, c’est-à-dire, la mémoire et
l’expérience des groupes. Pour lui, la mémoire individuelle n’existe que par les cadres
sociaux qui la déterminent. Comment y accéder ?
13 Reconstruire le passé en fonction du présent c’est la première leçon de Halbwachs.
Mémoire est travail ! On prend alors de la distance avec l’idée selon laquelle la mémoire
est un phénomène naturel. Se souvenir est naturel, mais si la mémoire est une
construction sociale, il faut entreprendre un travail de reconstruction pour mieux
comprendre comment elle a été construite et où elle s’est ancrée. Dans ce sens, on
s’aperçoit que la mémoire n’est pas un « réservoir » de données, d`ou on peut tout
simplement l’extraire. Si la mémoire est du passé, c’est dans le présent qu’on se
souvient. On part du présent vers le passé ! Cela veut dire aussi qu’il n’y a pas de
« recette » pour reconstruire la mémoire des groupes, chacun constitue un problème en
soi, même si quelques fois et selon les circonstances on peut trouver des ressemblances
entre groupes dont les trajectoires gardent quelques éléments identitaires.
14 Des recherches de terrain s’imposent quand on veut vérifier « tout ce qui entre de
social dans les souvenirs individuels » (Halbwachs, 1994, 146). L’existence d’une
mémoire collective est toujours une hypothèse de recherche, car la conservation des
souvenirs peut être trouvée, ou non, dans des groupes différents. Dans le cas négatif,
c’est-à-dire, quand l’oubli collectif se manifeste il faut chercher des réponses pour les
questions « que s’est-il passé »? Est-ce que la dissolution du groupe a supprimé sa
mémoire ? Existe-t-il un pacte de silence ? Est-ce qu’une « mémoire souterraine »
(Pollak, 1989) attend des conditions propices pour émerger de l’ombre ?
15 Hartog nous rappelle d’après Halbwachs que « la pensée sociale est essentiellement
une mémoire, constituée de souvenirs collectifs. Mais ne subsistent de ces souvenirs
que ceux que la société, travaillant sur ses cadres actuels, peut reconstruire ». L’accent
était nettement mis sur « actuels », explique-t-il (Hartog, 2003, 135). En déclarant que
la mémoire collective est un courant de pensée continu, Halbwachs marque la frontière
avec l’histoire, pour laquelle, selon Hartog, « l’oiseau de l’histoire ne pourrait donc
prendre son vol que lorsque la nuit est complètement tombée, quand le présent est bien
mort » (135). C’est le constat de l’accélération de la vie sociale et du besoin d’établir des
lieux de mémoire, comme l’a bien souligné Nora (1993).
16 Depuis le milieu du xxe siècle l’historiographie s’intéresse de plus près aux
phénomènes de la mémoire et de la remémoration, sans renoncer à l’objectivité
☝🍪
nécessaire des sources documentaires. Le « travail de la mémoire » n’oublie jamais les
matériaux de la mémoire, sources de recherche, comme les photos, les carnets, les
Cedossiers,
site utilise des cookies et
les lettres, par exemple. La mémoire collective en tant qu’objet d’investigation
vous donne le contrôle sur
cherche des éléments du passé pour attester la conservation des souvenirs de groupes –
ceux que vous souhaitez
ont-t-ils été gardés par les individus ? Y a-t-il des commémorations qui de temps en
activer
temps réunissent le groupe en question ? Quelle est la nature du groupe étudié ? Une
famille particulière ? Des émigrés ? Une ethnie ? Un parti politique ? Des mineurs ? Des
✓ Tout
paysans ? Pour chacun on se demande quelles sont les caractéristiques communes, les
accepter
trajectoires, les pratiques, les croyances, etc. Les réponses seront déterminantes pour
ébaucher l’identité des groupes. La mémoire et l’identité marchent ensembles dans les
✗ Tout refuser
études de la mémoire. Michael Pollak part de la théorie de la mémoire de Halbwachs
tout en analysant les histoires de vie des survivants de la Seconde Guerre Mondiale. Il
Personnaliser
signale trois éléments constitutifs de la mémoire : les lieux, les personnages et les
événements
Politique y compris ceux qui ont été vécus « par table » (Pollak, 1992). Dans ses
de confidentialité
études sur l’expérience concentrationnaire, ce sociologue et historien autrichien
membre de ihtp, a mené des entretiens avec les rescapés d’ou il extrait des questions
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théoriques sur l’existence d’une « mémoire souterraine » qui ne se confond pas avec
l’oubli. Il montre aussi les aspects diffus de ce phénomène mémoriel quand il s’agit des
implications identitaires face aux dangers d’être jugé par la société et par l’histoire. La
honte devant les siens, la peur d’être méprisé en tant que survivant (« pourquoi moi et
pas les autres ? »), les impacts sociaux d’avoir lutté dans le champ des ennemis comme
déportés, etc.
17 Comment comprendre et analyser des questions sensibles ? Il y a une éthique de la
mémoire qu’il faut toujours respecter, si on considère que les « sources orales » sont en
fait des individus qui portent leur expérience de vie et ont l’intention de la partager avec
des chercheurs. Ces derniers ne sont pas des juges. Valoriser des expériences
singulières est une stratégie de recherche indispensable quand il s’agit des études de
mémoire sociale.
18 L’analyse des mémoires enregistrées par les chercheurs notamment les historiens
montre une logique qui n’est pas toujours la même que celle de celui qui se souvient. La
sélectivité de la mémoire est bien connue et reconnue et ne cesse jamais d’intervenir
dans le processus de reconstruction du passé, soit à cause du laps du temps entre
l’évènement et le récit de mémoire, soit parce que le sujet ne veut pas parler de
quelques aspects de sa vie ou encore en fonction de la fragmentation des souvenirs.
C’est surtout dans ce cas que d’autres discours sur le passé commun à d’autres
individus qui ont vécu des expériences similaires, sont nécessaires afin de pouvoir
reconstruire la mémoire du groupe, la mémoire collective. La confrontation des
expériences peut mettre au jour des événements nouveaux, des similarités, des
différences, mais aussi des singularités.
19 Quelquefois seuls les témoignages peuvent éclairer les aspects sombres d’évènements
liés à l’expérience. Si on cherche sans cesse à atteindre la dimension véridique de la
mémoire, on peut se heurter au problème des sources comme l’affirme Paul Ricœur :

« Il ne faudra toutefois pas oublier que tout ne commence pas aux archives, mais
avec le témoignage, et que, quoi qu’il en soit du manque principal de fiabilité du
témoignage, nous n’avons pas mieux que le témoignage, en dernière analyse, pour
nous assurer que quelque chose s’est passé, à quoi quelqu’un atteste avoir assisté
en personne, et que le principal, sinon parfois le seul recours, en dehors d’autres
types de documents, reste la confrontation entre témoignages » (Ricœur, 2000,
182).

20 Toutefois, le document n’est pas non plus nécessairement porteur de la vérité,


surtout quand il est produit par des institutions dictatoriales, le témoignage prend alors
sa place dans la médiation de la mémoire et de l’histoire. La recontextualisation des
deux, documents et témoignages, est fondamentale pour la compréhension des
conditions dans lesquelles les récits ont été produits et pour les valider (Thiesen, 2016).
21 La demande sociale pour des études historiques depuis la fin de la 2e Guerre

☝🍪
mondiale ne cesse de se développer lorsque d’autres événements violents voient le jour.
Du côté des historiens ce phénomène pose des questions éthiques, épistémologiques et
Ceméthodologiques pour leur métier, car les attentes des différents groupes ne coïncident
site utilise des cookies et
pas toujours avec
vous donne le contrôle les résultats
sur de recherches. Rousso raconte à ses enquêteurs ce qui
s’est que
ceux passévous
lorsque des associations de Tsiganes ont demandé à l’ihtp une étude sur le
souhaitez
nombre, activer
en France, de Tsiganes déportés dans les camps de concentration, parce qu’il
n’y avait que des références à la déportation des juifs. « En Europe il y a eu environ
trois cents mille tués. Cependant, nous avons fait une recherche dans les archives et
nous✓ concluons
Tout accepter
qu’en France il n’y a pas eu de déportation massive des Tsiganes », ce
qui a provoqué des déceptions. Il explique que les historiens ne doivent jamais ignorer
✗ Tout refuser
les demandes de leur temps (Rousso, 1996, 212). Toutefois, comment faire le travail de
médiation et à la fois contribuer à la réflexion sur les conditions et les formes de
représentation du passé ?
Personnaliser

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Entre la mémoire et l’histoire, quelles


médiations ?
22 Nous avons déjà vu que la mémoire sociale devient objet d’étude dans les chantiers
d’historiens surtout depuis les années 1970, lorsque les membres du ihtp se penchent
sur une « histoire de la mémoire » (Rousso, 1996, 93). Écrire une histoire de la
mémoire, signifie surmonter l’opposition sommaire entre histoire et mémoire, ce qui a
déjà été fait par rapport à l’opposition entre mythe et réalité, explique t-il. Toutefois,
c’est pourquoi « l’histoire de la mémoire est une histoire comme les autres », elle peut
être révisée par la médiation des historiens (Rousso, 2016, 37). Dans ce même sens, on
peut affirmer que la mémoire sociale s’inscrit dans des processus de resignification au
cours du temps, d’après des informations nouvelles véhiculées par des revues
scientifiques spécialisées, de vulgarisation, par la presse, la télévision, la radio, etc.
23 Au delà d’une approche juridique où la médiation prend le sens majeur de résolution
de conflits, dans le domaine de l’information-communication son sens s’est élargi pour
englober des études sur les intermédiaires, dont la culture, le patrimoine, les médias,
entre autres, notamment dans l’espace public. Une gamme de définitions, de théories et
de méthodologies ont été présentées comme moyens pour conduire des études en
Sciences de l’information-communication. Il faut comprendre ce concept au carrefour
des définitions des sic. Lamizet explique :

« c’est la médiation qui, par sa dimension sociale et culturelle, nous fonde en tant
que sujets sociaux et, par conséquent, met en œuvre l’ensemble des dynamiques
constitutives de la sociabilité : la médiation fonde la dimension à la fois singulière
et collective de notre appartenance et au-delà, de notre citoyenneté » (Lamizet,
1999, 9).

24 La médiation est encore étudiée par d’autres chercheurs de sic en France et au Brésil
et parfois s’y ajoutent les actions d’information et communication pour penser « les
dispositifs info-communicationnels » (Couzinet, 2009). La prise en compte du
dispositif comme objet matériel médiateur dans des mondes différents – la formation,
la recherche, la culture, le patrimoine, par exemple – atteste l’importance de la
médiation et des interactions quand il s’agit de réseaux. Le langage, les codes, les
représentations jouent un rôle majeur pour instaurer les relations d’appartenance qui
se rapprochent de la notion d’identité, et donc aussi de la mémoire sociale, champ
d’études né de la sociologie de la mémoire de Halbwachs, suivi par des historiens et
beaucoup d’autres spécialistes de ce sujet dont les anthropologues, les philosophes, etc.
25 La médiation de l’histoire reste une question nouvelle dans les problématiques des
sic. Est-il possible d’établir des ponts entre les définitions conceptuelles
de « médiation » en sic et en histoire ? Qu’en pensent les historiens ? Appelant à une
☝🍪
histoire positive pour établir ou rétablir la vérité historique ayant pour base des sources
aussi diverses que possible, Rousso (1996, 97) indique que l’analyse historiographique
Ceest
siteaussi
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fondamentale queetles méthodes et les questions de recherche. Bref, faire une
vous donne le contrôle
histoire positive. Est-ce surque les représentations du passé sur des événements
ceux que vous souhaitez
« contemporains » peuvent surmonter le problème de la mémoire non encore inscrite
activer
dans l’historiographie ?
26 Les médiations ne se confondent pas avec un « processus d’intériorisation de normes
et de comportements qui nous conduisent à adopter certaines pratiques comme si elles
✓ Tout accepter
étaient naturelles » (Bourdieu, cité par Jeanneret). Il s’agit de faire circuler les idées et
les savoirs dans la société :
✗ Tout refuser
« comprendre la richesse et la dimension créative du travail des médiateurs
(entendus ici moins comme des intermédiaires que comme des acteurs de la
Personnaliser
transformation culturelle), c’est-à-dire, vulgarisateurs, bibliothécaires, éditeurs,
journalistes, enseignants, militants, experts, etc. voire les historiens » (Jeanneret,
Politique2005,
de confidentialité
106).

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27 La vulgarisation scientifique s’adresse au « grand public », à des « destinataires


multiples, ayant des niveaux et des pratiques culturelles différentes de celles des
chercheurs » (Couzinet, 2008, 67). Toutefois, quand les auteurs de ces productions sont
des professionnels des médias, en général ils suivent la ligne éditoriale des patrons, ce
qui signifie qu’ils suivent des conceptions engagées dans la pensée politique idéologique
prédominante, tant ils se préoccupent de former l’opinion publique dans ce sens.
28 Pour ce qui concerne la vulgarisation des sujets sensibles, 31 ans après la fin des
gouvernements militaires au Brésil, des barrières sont encore présentes. Comment
rompre avec les préjugés, les idéologies bien ancrées, les croyances enracinées, toutes
reflétées dans les médias et dans les grands intérêts de classe ? Malgré les difficultés, un
travail de fourmi a lentement fait des différences, en particulier à partir des blogs et des
réseaux sociaux. Mais nous savons que les dernières choses à changer dans la société
sont toujours les mentalités. C’est alors du côté des « représentations collectives qu’il
faut se tourner pour rendre compte des logiques de cohérence qui président à la
perception du monde » (Ricœur, 2000, 150). L’affirmation de cet auteur fait référence à
l’accent mis sur la mémoire collective au détriment de la mémoire individuelle, comme
l’avait pointé Halbwachs. S’il est vrai que les institutions sociales exercent une forte
influence sur les individus, « les mémoires individuelles sont plus des effets que des
facteurs de la mémoire collective, et, de celle-ci, l’individu est donc finalement un
exceptionnel réceptacle et vecteur à la fois » (Franck, 1992). Toutefois, en gardant le
rôle actif de l’individu dans la société, il faut encore reconnaitre sa capacité à se battre
surtout au milieu des groupes pour le recadrage de la mémoire officielle notamment
aux moments les plus conflictuels.
29 Dans le contexte politique de la re-démocratisation depuis les années 1980, des
anciens militants se sont approprié le concept de lieux de mémoire. Ils cherchent des
lieux d’énonciation des expériences dramatiques passées et encore vivantes avec
l’objectif de transformer des espaces d’emprisonnement de la dictature en mémoriaux,
dans un travail de « décommémoration »12, mais aussi pour mener une nouvelle
bataille pour le droit à la mémoire et à la vérité, objet d’une « mémoire militante »,
selon l’expression utilisée par Romero (2007). La pluralité des mémoires est objet de
disputes interminables, soit pour revendiquer la reconnaissance des crimes d’État,
toujours niés par une partie de la société brésilienne, soit pour exiger la punition des
criminels. Les lieux de mémoire, dans ces cas, seraient les « témoins » de ces
événements remémorés et une des « matérialités » de la mémoire du vécu (Thiesen,
Almeida, 2015).
30 « Remède ou poison », comme dans le mythe platonien de l’origine de l’écriture, la
mémoire et l’histoire ont des défis à surmonter ce qui n’invalide jamais leurs pratiques.
Bien au contraire il va falloir persister à faire se rencontrer des solutions théoriques et
méthodologiques en fonction des objectifs de recherche - ni mépriser le rôle des
témoignages, ni croire dans l’existence d’une vérité figée, car on sait « qu’il y a des
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mensonges gravés dans le marbre et des vérités envolées à jamais » (Rousso, 1989, 89).
Serait-on en plein paradoxe ?
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(En) conclusions
activer

31 La mémoire est un élément primordial dans le fonctionnement des institutions. C’est


✓ Tout
à travers accepterqu’elles se reproduisent au sein de la société, et ne gardent que les
la mémoire
informations qui sont intéressantes à leur fonctionnement. « Il y a un processus sélectif
✗ développe
qui se selon les règles instituées et qui varient d’une institution à l’autre »
Tout refuser
(Thiesen, 2008, 20). Quels sont les rapports entre l’information et la mémoire ? Il faut
observer que « l’information ne peut pas être analysée uniquement d’après sa
Personnaliser
dimension communicationnelle, dans laquelle l’information doit être mise à part pour
faire place
Politique deàconfidentialité
ce qui est nouveau » (Marteleto, Valla, 2003). Associée à la connaissance,

https://journals.openedition.org/sds/5553 8/13
09/06/2022 18:48 Mémoire sociale et médiation de l’histoire

l’information produit la mémoire et s’institue. Dans ce sens, au delà des groupes


fermés, à l’ère des réseaux mondiaux la mémoire est sociale.
32 En ce qui concerne les études ayant pour thème des questions sensibles, il faut
remarquer que ces mémoires sont encore en construction, divisées, diffuses. On doit
apprendre à accepter les mémoires plurielles, conflictuelles, car le passé n’est pas
encore passé. Il est resignifié au cours du temps, dans la dynamique sociale. Le temps
de la mémoire n’est pas le temps de l’histoire. L’histoire aborde le temps écoulé, les faits
accomplis ; la mémoire part du présent vers le passé et vice versa à plusieurs reprises,
sans la préoccupation du sens chronologique rigoureux parce que le fil du temps de la
mémoire obéit aux émotions, puisque se souvenir est aussi revivre. S’il y a le primat de
la mémoire collective, comme l’affirme Halbwachs, de toute façon c’est l’individu qui se
souvient et il le fait selon les circonstances du présent, en considérant les habitudes et
les mœurs, les croyances, le mode de relation avec les gens, la famille, le voisinage, les
institutions et, dans le cas des questions tragiques, les traumatismes, les blessures, les
douleurs. Quelquefois on se rend compte qu’il y a des mémoires collectives impossibles
à unifier dans une société qui ne s’est pas encore réconciliée avec son passé !
33 Le « présentisme » de l’histoire duquel se réclame Hartog, peut être le même pour les
rescapés, les familles des disparus et leurs descendants, dans le champ de la mémoire
collective et sociale, puisque pour eux le passé ne passe jamais et, comme dans les
mythes, de temps en temps il revient. La reconnaissance des douleurs d’autrui peut
nous aider à dépasser ces dilemmes. Ricœur explique :

« Pour le dire brutalement, nous n’avons pas mieux que la mémoire pour signifier
que quelque chose a eu lieu, est arrivé, s’est passé avant que nous déclarions nous
en souvenir. Les faux témoignages [...] ne peuvent être démasqués que par une
instance critique qui ne peut mieux faire que d’opposer des témoignages réputés
plus fiables à ceux qui sont frappés de soupçon, car le témoignage constitue la
structure fondamentale de transition entre la mémoire et l’histoire » (Ricœur,
2000, 26).

34 Du « droit de mémoire » au « devoir de mémoire » et au « travail de mémoire », nous


sommes encore au carrefour d’un « boom » de mémoire, signalé par plusieurs auteurs
(Huyssen, 2000 ; Nora, 2009 ; Ricœur, 2000). Pierre Nora explique :

« ce qui est nouveau, et c’est en rapport avec la terrible infortune du siècle, c’est la
revendication d’une vérité qui est plus véridique que la vérité de l’histoire. La
mémoire est un type de justice. Autrement dit, la mémoire souvient et l’histoire
oubli, Aujourd’hui l’histoire doit proportionner produire la connaissance, mais la
mémoire en donne signification » (Nora, 2009, 9).

35 L’existence des cultures politiques au sein des sociétés, en tant que catégorie
d’analyse, doit être considérée dans les études consacrées à la mémoire collective,
surtout si on pense aux « guerres de mémoires », c’est-à-dire aux controverses sur le
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passé au présent. Le recadrage de la mémoire collective, institutionnelle, officielle,
n’arrivera jamais sans un travail de négociation, car on ne peut pas imposer aux
Cegroupes
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mémoire et
collective qui serait arbitraire (Pollak, 1989). La lutte pour
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inscrire l’expérience douloureuse dans les actes du passé dépend dans une grande
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mesure du rôle des médias. Pour les historiens, médiateurs de la mémoire sociale, il
activer
s’agit de la chose suivante :

« [...] groupe de représentations qui portent des normes et des valeurs, qui
✓ Tout accepter
constituent l’identité des grandes familles politiques et qui dépassent la notion
réductrice de parti politique. On peut la concevoir comme une vision globale du
✗ monde et de son évolution depuis les lieux que l’homme occupe et aussi de la
Tout refuser
nature même des problèmes liés au pouvoir, une vision qui est partagée par un
groupe important de la société dans un pays donné et à un moment donné de son
Personnaliser
histoire » (Berstein, 2009, 31)

36 L’auteur
Politique de explique que cette notion de culture politique a eu sont apogée dans les
confidentialité
années soixante et qu’elle a été l’objet de différentes écoles et de nombreuses

https://journals.openedition.org/sds/5553 9/13
09/06/2022 18:48 Mémoire sociale et médiation de l’histoire

polémiques. Ainsi,

« D’après des études empiriques les historiens constatent l’existence de plusieurs


systèmes de représentations cohérents, rivaux, qui déterminent la vision que les
hommes ont de la société et de leur organisation, de la place qu’ils y occupent, des
problèmes de transmission du pouvoir, systèmes qui motivent et expliquent leurs
comportements politiques » (Berstein, 2009, 32)

37 L’éthique de la mémoire reflète la lutte permanente des différents acteurs liée aux
événements violents, cherchant la reconnaissance de leurs expériences pendant le
régime d’exception, d’une part, et l’absolution des crimes d’État de la même période,
d’autre part. Parmi eux il reste une partie de la société que l’on peut identifier aux abus
commis, avec le soutien d’une partie importante des médias engagés dans les
événements passés, renforçant une culture politique qui travaille sans relâche pour la
formation de l’imaginaire social contre le recadrage de la mémoire récente du pays.
Comme l’a souligné Jean-François Sirinnelli,

« [...] les nouveaux formateurs d’opinion trouvent leur légitimité par leur
contribution dans la « communication », dans laquelle ils infusent leurs états
d’esprit, devenant ainsi les concessionnaires d’émotion. D’une certaine manière,
comme on peut le voir, le pathos a obtenu le meilleur sur le logos, discours
préparé et analyse raisonnée des problèmes d’une société » (Sirinnelli, 2009, 57).

38 Sans avoir atteint un consensus sur le passé récent, l’histoire brésilienne semble se
répéter aujourd’hui, en gardant certaines différences ! Inscrits dans un moment
politique grave au Brésil, face au coup parlementaire de 2016 qui vient de changer les
règles du travail et de nombreux droits conquis pendant des décennies, menaçant le
droit d’expression, des historiens prennent la parole contre l’État d’exception - alors
qu’eux mêmes sont questionnés dans la presse traditionnelle, toujours positionnée
contre les avancées sociales de la démocratie récente du pays- avec l’appui d’une partie
de la société civile qui se manifeste dans les réseaux sociaux pour le maintien des
conquêtes des travailleurs liées au gouvernement renversé par le coup d’État. Est-ce
que seuls les chercheurs historiens peuvent récupérer des aspects épistémologiques et
prendre la parole dans le cadre de la communication scientifique et de la vulgarisation,
en tant que médiateurs entre le public et les événements historiques en cours ?
Question pour demain ! La juste mémoire, la vérité et l’éthique sont encore un projet
inachevé à cause des conflits politiques et sociaux, des arrangements et des conflits
d’intérêts des forces politiques au milieu de cette culture politique et juridique. Et ainsi,
une partie de la mémoire sociale, de la vérité (alethea) reste encore perdue dans la
rivière de l’oubli (lethe). Les semences de la mémoire attendent le temps propice pour
affleurer du silence !

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statut de patrimoine de l’humanité – quels enjeux ? » dans 3èmes Journées scientifiques
internationales du Réseau mussi, Toulouse.

Notes
1 Les quelques idées présentées ici proviennent de la recherche Entre informar, reter e
conhecer : um estudo teórico-metodológico sobre documentos sensíveis em instituições
arquivísticas. Je remercie l’appui apporté par le cnpq à cette recherche.
2 Un exemple des discussions sur le métier d’historien se trouve dans (Boutier, Julia, 1998).
3 Après 43 ans d’activités, le Centre a cumulé environ 5 000 heures d’enregistrement et quasi
1 000 interviews ; environs 200 fonds d’archives privées d’hommes publics (un million huit cent
mille documents). Il y a aussi des activités d’enseignement (maîtrise, doctorat et plus récemment
graduation) ; Pour en savoir plus <http://cpdoc.fgv.br/>.
4 « Fondée en juin 1998, la revue Histoire oral de l’abho a été la première publication brésilienne
imprimée, de parution régulière, entièrement consacrée à la promotion du travail national et
international sur l’oralité, jouant ainsi un rôle important dans la formation de chercheurs. Depuis
août 2009, cette revue a également commencé à être publiée sous format électronique. Depuis
2010, elle est exclusivement numérique. Disponible en ligne <http://cpdoc.fgv.br/>.
5 Cet ouvrage constitue une recherche située à la frontière de l’information, de la mémoire et de
l’histoire.
6 (Couzinet, 2009), (Olivesi, 2006), (Couzinet, Régimbeau, 2002). Pour connaître la formation
du réseau mussi, voir <http://www.redemussi.org>.

☝🍪
7 Réseau fondé par Patrick Fraysse, maître de conférences hdr en sic (lerass-mics).
8 La 2e édition de cette journée scientifique internationale a eu lieu le 23 mars 2016, à l’Ecole
nationale de formation agronomique, à Toulouse sur la thématique « Mémoire, Histoire,
CeMédiation
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», <http://cehistoire.hypotheses.org/category/recherche>.
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9 Contrairement à ce qui se passe en France, où ce champ d’études est appelé sic, au Brésil la
ceux que vous souhaitez
science de l’information et la science de la communication sont des domaines différents de la
activer
connaissance, bien que leurs relations soient proches et reconnues. L’institutionalisation de la si
au Brésil date de 1970, lorsque le programme doctoral, niveau master en Science de l’Information
de l’ancien ibbd (Institut brésilien de bibliographie et documentation, aujoud’hui ibict) a été
créé.✓ Tout accepter
10 Pour mieux connâitre cette Association de recherche et les travaux présentés aux enancib, voir
respectivement <http://www.ancib.org.br/>,
✗ Tout refuser
<http://repositorios.questoesemrede.uff.br/repositorios/>.
11 À cette époque lorsque Benjamin dénonçait la fin de « l’art de la narration », Pierre Janet avait
déjà Personnaliser
pointé que le récit est une conduite, un comportement narratif qui arrive en fonction de
l’absence des faits et des événements, une façon de préservation des souvenirs. La mémoire est
indispensable
Politique pour la réalisation de cette opération. Janet affirme que la narration a crée
de confidentialité
l’humanité (Janet, 1928).

https://journals.openedition.org/sds/5553 12/13
09/06/2022 18:48 Mémoire sociale et médiation de l’histoire
12 Bien qu’il existe plus de 230 anciens lieux de torture identifiés par la Commission Nationale de
la Vérité (2012-2014), il n’y a qu’un seul bâtiment aujourd’hui consacré à la mémoire collective et
à la préservation du patrimoine, de la recherche historique, artistique et culturelle. C’est le
Mémorial de la Résistance de São Paulo, fondé en 2009, ancien siège du Département de l’ordre
politique et social de São Paulo (deops). Le projet a été pris en charge par des muséologues et
historiens avec le partenariat des éducateurs de la Pinacoteca do Estado (Galerie d’art). Lieu de
réparation symbolique, il y a des expositions, la collecte des témoignages et des actions
culturelles et éducatives. <http://www.memorialdaresistenciasp.org.br/memorial/>.

Pour citer cet article


Référence papier
Icléia Thiesen, « Mémoire sociale et médiation de l’histoire », Sciences de la société, 99 | 2016,
106-121.

Référence électronique
Icléia Thiesen, « Mémoire sociale et médiation de l’histoire », Sciences de la société [En ligne],
99 | 2016, mis en ligne le 13 février 2019, consulté le 08 juin 2022. URL :
http://journals.openedition.org/sds/5553 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sds.5553

Auteur
Icléia Thiesen
Professeur titulaire en Sciences de l’information, Université fédérale de L’État de Rio de Janeiro
(unirio), Centre des Sciences Humaines et Sociales, Département d’Histoire, Responsable du
lahodoc (laboratoire d’Histoire orale, information et documentation. (Av. Pasteur, 458 – sous-sol
salle 20 – Urca – cep 22280-240 – Rio de Janeiro – Brasil [5521] 2542-1414).
icleiathiesen@gmail.com

Droits d’auteur

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