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Dogneaux Emma

Sociologie

1. Des inscriptions sociales aux expériences sexuelles

Les inscriptions sociales des individus se composent à la fois d’éléments hérités de


leur milieu d’origine et de traits acquis au cours du cheminement par lequel ils se
construisent une position personnelle. À l’époque contemporaine, la socialisation
sexuelle des individus n’est plus l’effet de la transmission par la génération adulte
d’un ensemble de normes et de valeurs hégémoniques, qui seraient acquises une
fois pour toutes. Par ailleurs une véritable socialisation secondaire s’accomplit au
cours des interactions et des situations vécues au fil des parcours biographiques
individuels : le plus ou moins grand renouvellement des partenaires, l’expérience de
la vie conjugale, voire la séparation et ses suites.
Un bon exemple des expériences sociales qui influent sur la sexualité est celui du
calendrier de l’initiation sexuelle. En revanche, la prise en compte du diplôme
obtenu, qui traduit un cheminement individuel (lié, mais pas de façon systématique, à
l’origine sociale), fait apparaître dans toutes les générations et dans les deux sexes
une tendance à de premiers rapports un peu plus précoces chez les non-diplômés,
et plus tardifs chez les diplômés du supérieur. Ceux et celles qui quittent l’école tôt
connaissent une contraction de leur jeunesse, qui les amène à commencer leur vie
sexuelle sans tarder, soit pour « devenir des hommes » et profiter de leur jeunesse,
soit chez certaines femmes pour quitter leur famille et entamer une vie conjugale ou
préconjugale. Dans les cultures latines et latino-américaines, les diplômées du
supérieur commencent traditionnellement leur vie sexuelle plusieurs années après
les femmes peu diplômées, même si les écarts se sont réduits dans les dernières
décennies, alors que l’âge auquel les hommes commencent leur vie sexuelle ne
varie pas selon leur parcours scolaire, l’exigence de virilité précoce s’imposant à
tous.
En France, l’appartenance et le niveau d’intégration religieuse ne jouent plus sur
l’initiation sexuelle des hommes, alors que chez les femmes, les musulmanes
affirmées se distinguent par un âge au premier rapport nettement supérieur à celui
des chrétiennes affirmées ou des femmes sans religion (23,7 ans, 18,6 ans, et
17,6 ans respectivement chez les femmes âgées de 18 à 34 ans en 2006). En
Amérique latine ou ailleurs, des groupes religieux minoritaires, comme les
évangéliques, entendent se distinguer par leurs mœurs et exercent un contrôle
communautaire sur la conduite des jeunes femmes, qui connaissent ainsi des débuts
tardifs. Il s’agit par une action réactive, pour des groupes en situation minoritaires, de
se distinguer des majoritaires par un comportement irréprochable, impliquant un
contrôle de la pureté des jeunes femmes et de la virilité hétérosexuelle des hommes.
En France, alors qu’en 1970, les individus très attachés à la religion pratiquaient
beaucoup moins la sexualité orale que les sans religion, il n’y a plus guère de
différence entre eux en 2006, si l’on excepte les musulmans affirmés, plus
traditionalistes sur ce point. Dans d’autres domaines, les jeunes musulmans, femmes
et hommes, adoptent des comportements nouveaux : ainsi ils se connectent plus aux
sites de rencontre sur Internet que les personnes indifférentes religieusement ou que
les chrétiens affirmés. Ainsi, les femmes de milieu populaire déclarent une moindre
pratique de la masturbation ou de la sexualité orale. Ces pratiques qui sont entrées
dans le répertoire conjugal ou personnel des femmes de milieux aisés ont moins de
légitimité parmi les femmes situées au bas de l’échelle sociale, qui les considère
comme éloignées des formes conjugales acceptables. On retrouve le même profil
social pour la consommation de pornographie, pratique fréquente parmi les adultes,
mais dont les professions intellectuelles et les personnes diplômées du supérieur se
disent moins adeptes. La connexion aux sites de rencontre sur Internet a suivi le
parcours de la diffusion d’un bien culturel, d’abord utilisé dans certains groupes
utilisateurs précoces de l’informatique, avant de se diffuser plus largement dans le
monde social. Ainsi, parmi les personnes de 25 à 49 ans, ce sont les cadres et
professions intellectuelles, mais aussi les professions intermédiaires des entreprises
et les employés de bureau qui pratiquent le plus les sites de rencontre, et les ouvriers
le moins. Parmi les moins de 25 ans en revanche, le recours aux sites est devenu
aussi fréquent chez les jeunes peu diplômés que chez les détenteurs d’un diplôme
supérieur.

2. Vie professionnelle, hiérarchie sociale et relations sexuelles

Alors que, pendant la jeunesse, ce sont le milieu d’études, les réseaux amicaux et
les loisirs qui permettent de rencontrer des partenaires, l’activité professionnelle
introduit de nouvelles possibilités à l’âge adulte. Elles dépendent des effectifs de
chaque sexe, du cadre hiérarchique des relations professionnelles, du degré de
renouvellement du milieu de travail, des contraintes exercées par l’activité.
Traditionnellement, les professions qui impliquent une mobilité permanente, comme
celles de camionneur, de marin ou de voyageur de commerce, favorisent des vies
sexuelles parallèles : une relation de couple stable au port d’attache peut aller de
pair avec des relations occasionnelles, parfois sous forme de prostitution, dans les
lieux de passage ou les escales. Cette proportion est d’une femme sur deux chez les
cadres d’entreprise, les professions intellectuelles et les artisanes commerçantes,
alors qu’elle n’est que d’une sur quatre parmi les employées de commerce et de
service ou chez les ouvrières. Cela souligne l’influence des positions sociales dans le
rapport à la sexualité, aussi bien au regard de la possibilité de s’écarter des normes
dominantes que des opportunités de rencontres de nouveaux partenaires,
inégalement réparties selon les milieux professionnels. Par exemple les artisanes et
commerçantes ont des trajectoires et des répertoires diversifiés, mais des vies
conjugales banales ; les femmes des professions intellectuelles sont assez anti-
normatives, mais vivent souvent en couple et n’ont pas forcément un répertoire
varié ; quant aux femmes cadres des entreprises, elles ont une vie sexuelle et
affective avec beaucoup de renouvellement, mais des positions normatives
classiques sur l’homosexualité ou la procréation. Entre partenaires partageant des
visions traditionnelles de la division du travail entre les sexes, elles peuvent être une
manière d’« enchanter » la relation de dépendance, et donner lieu éventuellement à
des couples durables. Dans d’autres cas, une forme plus explicite de contrainte
masculine se manifeste, surtout lorsque la femme est dans une situation familiale
difficile, que son statut professionnel est fragile et qu’elle a besoin de « protection ».
La mobilisation aux États-Unis contre le harcèlement sexuel a conduit à s’interroger
sur l’ensemble des situations professionnelles, entre subordonnées ou entre égaux,
qui créent une contrainte ou un « climat hostile » dans les relations entre sexes, voire
entre individus de même sexe. Introduit dans la loi française en 1992, le harcèlement
sexuel a d’abord été limité à l’abus d’autorité d’un supérieur, avant d’être élargi à des
situations de contrainte entre égaux. Quand bien même il emprunte le canal de la
sexualité, ce type d’acte est avant tout un comportement sexiste : c’est une manière
de rappeler aux femmes qu’elles ne sont que des femmes et de restreindre ainsi leur
accès à certaines positions ou professions, c’est une forme de discrimination
professionnelle. Aux États-Unis, en revanche, les entreprises sont responsables de la
protection de leurs salariés contre le harcèlement, explicitement considéré comme
discrimination au travail.

Bozon, M. (2018). Sociologie de la sexualité — 4e éd. Armand Colin.

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