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BIBLIOTHEQUE D'HISTOlRE DE LA PHILOSOPHIE

O. HAMELIN

LA THÉORIE DE L'INTELLECT
D'APRES

ARISTOTE ET SES COMMENTATEURS

Ou¡,rage publié ayee une introduction


PAR

EDMOND BARBOTIN
LICEKCIÉ EN TBÉOLOGIE
DOCrEUR ES LETTRES

PARIS
LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN
6, PLA.CE DE LA SoRBONNE (v•)

-
1953

/
_B) .oft.ó s:i A
\{ C '9i 5< 9, n DES
INTRODUCTION
I

BUT DE CETTE PUBLICATION

La présente publication poursuit un double but : elle


v oudrait a la fois compléter les éditions antérieures de tra-
v aux de Hamelin sur l'aristotélisme, et souligner aux yeux
.des chercheurs le róle de la noétique péripatéticienne dans
1'histoire de la pensée occidentale.
Léon Robin a réuni et publié sous le titre L e systeme
.d' Aristote vingt-et-une lec;ons professées par Hamelin a
.l'École Normale Supérieure en I904-I905 1 . Ces lec;ons accor-
dent une place prépondérante a la logique (lec;ons :VII-
.XIV), au risque de fausser les perspectives d'ensemble du
-systeme. Ainsi la psychologie n'occupe-t-elle qu'une ving-
·taine de pages 2 , dont deux seulement traitent de l'intellect ;
ni la politique ni la morale ne sont abordées.
On ne saurait faire grief a Hamelin de ces lacunes et de
1a disproportion qui s' ensuit : telles quelles, ces lec;ons ne
_prétendaient pas donner une vision complete de l'aristoté-
1isme. Une premiere correction fut apportée a ce défaut par
.la publication d'un cours professé a Bordeaux : La morale
.d'Aristote 3 • L'exposé qu'on va lire examine la noétique du

l. Le systeme d'Aristote par o. HAMELIN, publié par LÉON ROBIN, Paris, 1920
et 1931, III-428 p.
2. Ibid., vingtieme lec;on, L'dme, p . 371 -392.
3. O. HAMELIN, La morale d'Aristote, dans Revue de métaphysique et de morale,
·t. XXX (1923) , p. 497-507, et tiré a part.
De son vivant, l'auteur avait publié plusieurs travaux relatifs a l'aristotélisme :
L'opposition des concepts d'apres Aristote, dans L'année philosophique, t. XVI
(1905), p . 75- 94 (reproduit dans Le syste.me d'Aristote, neuvieme lec;on, p. 12 8-
.152) ; Aristote, P hysique II, traduction et co=entaire, Paris, 1907 (2° éd.
:r 931).
VTII LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

Stagirite et esquisse a grands traits les principales interpré-


tations qu'en a données l'histoire: les cadres du Systeme sont
done dépassés ; il semble pourtant que cette étude apporte
a la trop breve le<;on sur L' ame un précieux complément.

***
Cette publication n'obkit pas au seul désir - si louable
soit-il - de servir la mémoire et l'ceuvre d'Octave Hame-
lin ; elle voudrait stimuler l'intéret des chercheurs pour un

·¡
theme d'importance majeure dans l'histoire de la pensée
occidentale : la problématique aristotélicienne de l'intellect.
Les grandes énigmes philosophiqties toujours posées a
!'esprit humain jouissent d'une certaine transcendance a
l'égard des générations successives : le probleme semble exis-
, ter en soi et pour soi ; mais de temps a autre un penseur se
\, leve qui en renouvelle provisoirement les données, y attache
son nom et la marque de son génie : le probleme devient
une problématique. C'est ainsi que le nom du Stagirite est
demeuré lié pendant tout le Moyen Age aux spéculations
sur l'intelligence ; avec une étonnante continuité, plusieurs
civilisations se sont interrogées en termes aristotéliciens sur
le mystere de l'esprit : curieuse réplique de l'histoire au
vieux Platon surnommant son disciple le vou,; de l'école ;
Aristote, intellect : deux noms que les siecles ne devaient
plus séparer.
I1 est di:fficile de mesurer l'ampleur et la variété de l'effort
de réflexion suscité par la noétique péripatéticienne. Le
collaborateur et premier successeur du Stagirite a la tete
du Lycée, Théophraste d'Erese, engage la discussion ; les
restes de ses apories, conservés par Thémistius, Simplicius
et Priscien. de Lydie, présentent un grand intéret pour l'exé-
gese des textes d' Aristote et pour l'histoire des interpréta-
tions postérieures 1 . Apres la mort de l'Erésien, la désaffec-
tion du Lycée a l'égard des recherches psychologiques et
métaphysiques laisse sommeiller le probleme; mais la renais-
sance de l'aristotélisme au début de l'ere chrétienne luí

I. Voir notre étude La théorie aristotélicienne de l'intellect d'apres Théophraste


(a paraitre).
INTRODUCTION IX

rend une pleine actualité. Acceptée avec ferveur ou com-


battue a l'envi, la noétique du Philosophe ne laisse personne
indi:fférent : Alexandre d' Aphrodise la repense d'une maniere
originale ; Plotin et le néoplatonisme la re<;oivent et s'en
inspirent ; Thémistius, Philopon, l'école d' Athenes avec
Simplicius l'interpretent en sens divers. D' Alexandrie, les
textes aristotéliciens passent aux commentateurs syriaques
qui les transmettent eux-memes au monde arabe. En assi-
milant la doctrine du Stagirite, les penseurs musulmans
accordent une attention privilégiée a la théorie de l'intellect :
qu'il suffise de rappeler l'importance de la noétique d' Aris.::
tote dans 1' élaboration des systemes d' Avicenne ou d' Aver-
roes, par exemple. Grace aux Arabes de Mauritaníe et d'Es-
pagne, la pensée juive, puis la Scolastíque latine au trei-
zieme siecle, héritent du legs péripatéticien ; on sait l'impor-
tance considérable de la théorie de l'intellect . dans les spé-
culations philosophiques et théologiques d'alors, les discus-
sions passionnées qu'elle souleve avant d'etre incorporée
par le thomisme au patrimoine intellectuel de la chrétienté 1 •
La Renaissance enfin prolonge l'écho des controverses mé-
diévales. . -
- -L, énorme production qui s' est développée autour de cette
noétique est sans doute de valeur tres inégale : les commen-
taires précis et pénétrants voisinent avec les paraphrases
insipides ; aupres de syntheses puissantes et neuves comme
l'averroi:sme et le thomisme, sévit un syncrétisme maladroit,
corrupteur des doctrines qu'il prétend fusionner. 11 reste
que pendant une dizaine de siecles, le vouc; péripatéticien a
fourni a plusieurs civilisations un ferment intellectuel d'une
prodigieuse fécondité, un theme a commentaires « perpé-
tuels » et a variations infinies. Le voyage circulaire de 1' aris-
totélisme autour du bassin méditerranéen a intégré cette
noétique aux principales cultures de l'Occident ; ainsi, les
grands courants d'idées dont nous sommes tributaires se
sont alimentés a cette source en appar~nce inépuisable et
n'ont pas cessé d'en distribuer les eaux.

I. Cf. F. VAN STEENBERGHEN, Aristote en Occident. Les origines de l'aristoté-


lisme parisien, Louvain, 1946, 200 p.
.X LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

***
Le role considérable de la noétique aristotélicienne dans
'1'histoire de la pensée occidentale se laisse aisément expli-
·quer.
Centre de perspective privilégié, l'étude de l'intelligence
·humaine commande les avenues principales de la métaphy-
sique : situation de l'homme dans le monde, destinée de
l'ame, rapports de l'univers avec Dieu, de l'immanence et de
la transcendance. I1 est remarquable que ces themes si anciens
-connaissent aujourd'hui la plus vivante. actüalité ; malgré
l'élargissement ou le déplacement des points de vue, c'est
toujours la meme question qui se pose, la meme inquiétude
qui reparait; l'homme, le monde et Dieu : triple énigme
jamais résolue - ou plutót mystere unique de notre exis-
tence, toujours avide de s'approfondir 1 .
A un autre égard, les sobres déclarations du Philosophe
:étaient bien propres a piquer la curiosité. Ce prestigieux
esprit ne pouvait avoir laissé sans solution définitive et
complete ces problemes essentiels : une patiente analyse des
textes, mille fois laissée, mille fois reprise, s'est donné a
tache de la retrouver. Ainsi l'abondance des commentaires
et la vivacité des discussions se mesurent, chez les disciples,
au laconisme des maitres ; ceux-la oublient que la maitrise
véritable est une maieutique : elle stimule les esprits plutót
-qu'elle ne les comble, cherche moins a résoudre le probleme
-qu'a définir une problématique ; la docte ignorance d'un
Socrate - ou d 'un Aristote - est souvent la plus haute
sagesse. Mais, par une heureuse rencontre, les doutes du
maitre et la confiance intrépide des disciples concourent
ici comme príncipes de fécondité.
Enfin, les contacts successifs de l'aristotélisme avec dif-
iérents systemes ou orthodoxies furent parfois des heurts
violents, qui expliquent la notoriété de telleou telle doctrine.

r. L'intellect, le monde et Dieu, disait-on ::wtrefois ; P. LACH1EZE- REY intitule


un de ses ouvrages : Le moi, le monde et Dieu (2• éd., Paris, 1950) ; mais c'est au
fond le meme probléme : le moi, pour le p éripatétisme médiéva l, c'est essentiel-
lement l'intellect : voir v.g., infra p. 41-43.
Grace a sa persistance m éme, ce theme commun permet de mesurer les t rans-
forma tions et les acquisitions de la pensée occidentale depuis le Moyen Age,
I NTRODUCTION XI

Ainsi, l'interprétation averroiste de la noétique péripatéti-


cienne souleva de si vives oppositions dans la chrétienté du
t reizieme siecle que cette théorie conquit vite la célébrité ;
,en. retour, les efforts de saint Thomas pour substituer aux
v ues d'Averroes une interprétation compatible avec le dogme
ch.rétien, ont acquis définitivement la noétique d' Aristote
au. patrimoine intellectuel des pays latins.

***
C'est assez dire, semble-t-il, l'intéret que présente l'his-
toire de cette noétique. Du point dé vue philosophique, elle
représente un immense e:ffort de l'esprit humain pour accéder
a son propre mystere. A l'historien elle découvre des hori-
zons d'une séduisante variété ; elle permet de saisir, dans
leu:rs ascendances lointaines, maintes orientations de la pen-
sée moderne, de retrouver un fonds commun d'idées et de
themes devenu si profondément n ótre que nous en vivons
a notre insu. Enfin, a considérer un meme probleme a tra-
vers des cultures si diverses, !'historien peut, mieux que de
tout autre maniere, isoler les dominantes intellectuelles de
chacune d'elles, son optique propre, approcher de plus pres
le mystere de son ame: menée selon la méthode différentielle,
une étude de ce genre sert directement l 'histoire comparée
<les civilisations.
La présente publication voudrait attirer sur ces problemes
l' attention des chercheurs. Octave Hamelin a effectué une
breve reconnaissance sur un champ d' exploration immense
et varié 1 : les résultats en sont assez suggestifs pour éveiller
la curiosité ; un panorama si large et si vite entrevu invit e
a des excursions en tous sens. Des investigations fructueuses
ont sans doute été menées sur plusieurs points depuis un
demi-siecle ; mais ces travaux limités n'épuisent pas une
l mat iere si étendue : ils trouvent plutót dans la breve syn-
t hese qu'on va lire le cadre général qui permet de les situer.

I . Au vra i, Hamelin n'est pas le seul chercheur que cette r econnaissance ait
tenté : R . BOllll!l., La dottrina del! ' i ntelletto in Ar·i stotele e nei suoi piu illustri
interpreti, T urin, 1896,479 p . , avait m ené ! 'enquete jusq u 'aux interprétations
m odernes. Cett e étude - plus vaste que profonde - n'est pas mentionn ée par
E amelin .
II

REMARQUES SUR LE CONTENU DE CETTE ÉTUDE

Ce n' est pas ici le lieu de discuter en détail les exposés


de Hamelin sur l'histoire de la noétique aristotélicienne.
Notre propos est plus modeste : dégager l'intention mai-
tresse de l'auteur et les principes de sa méthode, signaler
les affirmatíons· contestables de ses développements, défi-
nir l'état présent des recherches; ce faisant, on espere mettre
entre les mains du lecteur un utile instrument de travail.
Le dessein de Hamelin n'est pas d'étudier pour elles.:
memes les vicissitudes de la théorie de l'intellect a travers
les interprétationssidiverses qu'en a donnéesle Moyen Age:
l'intéret se concentre sur la pensée d' Aristote, et sur sa portée
réelle plutót que sur son intention. L'auteur essaie de sur-
prendre dans l'histoire de la noétique du Philosophe les
secretes survivances de l'idéalisme platonicien, que cette
meme noétique prétendait supplanter. Ce n'est la, au prin-
cipe, qu'une hypothese de recherche, mais le déroulement
de 1' enquete la transforme peu a peu en véritable these :
l'effort du Stagirite pour substituer sa théorie de l'intellect
a la théorie des Idées se résout, en définitive, par un échec
et par un retour subreptice au point de départ ; dans le
systeme d' Aristote, et malgré l'intention de celui-ci, c' est
l'Idée qui demeure premiere et antérieure a l'intellect : le
\ Philosophe est au fond un idéaliste qui s'ignore.
Chez le Stagirite lui-meme, l'auteur croit discerner des
complaisances et des orientations idéalistes, bien que les
INTRODUCTION XIII

textes 1ui paraissent indécis et la doctrine inachevée 1. C' est


précisément pour lever ces ambigu'ités que Hamelin entre-
prend d'interroger l'histoire. L'idée qui commande l'enquete
peut ainsi s' exprimer : en prolongeant les lignes maitresses
de la noétique aristotélicienne, en la pressant de développer
ses conséquences, ses interpretes les plus célebres permettent
d'éclairer, par un jeu de réfléchissements successifs, ses pré-
supposés initiaux et ses principes directeurs. En somme,
puisque « ·c' est 1' reuvre d' Aristote tout entiere qui est un
peu dans ce probleme » 2 , l'aristotélisme n'aurait atteint, en
un sens, son épanouissement et sa pleine maturit_é qu' apres
le Stagirite lui-meme : ce sont les héritiers du Philosophe
qui firent porter a l'arbre tous ses fruits et révelent aujour-
d'hui sa véritable essence. La consultation des grands com-
mentateurs ne vise a rien moins qu'a définir la positíon
réelle du systeme aristotélicien en face du platonisme et sa
signification dans l'histoire des idées.
On sait que Léon Robin, disciple de Hamelin, s'est tracé
une méthode analogue pour fixer les traits et mesurer la
portée de la pensée platonicienne : une vaste enquete aupres
des interpretes anciens devait éclairer la doctrine des dia-
logues en réfléchissant sur celle-ci ses propres reflets. La
théorie platonicienne des I dées et des Nombres d' apres Aris-
tote n'était, dans l'intention de son auteur, que le premier
pas d'une longue investigation - restée inachevée - dans
l'histoire ancienne du platonisme 3 • Sans doute la méthode
employée ici par Hamelin differe-t-elle a un certain égard
de celle de son disciple : le maitre inaugure son enquete
par l'étude directe de la pensée du Stagirite et des problemes
qu'elle souleve ;. Robin, au contraire, veut débuter par la
consultation des commentateurs et s'interdit jusqu'a l'ache-
vement de celle-ci toute référence aux textes de Platon.
Pourtant le dessein général reste le meme dans les deux cas :
saisir mieux la signification d'une doctrine en la confrontant
aux interprétations qu' en a données l'histoire.
Une telle entreprise est fort séduisante et parait promet-

r. Cf. infra, p. 24, et en appendice, p. 90, le projet de refonte des p. 23-24.


2. Infra, p. 3.
3. I,. ROBIN, La théorie platonicienne des Idées et des Nombres d'apres Aristote.
Etude historique et critique, Paris, 1908, p. r sq.·
XIV LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

teuse.- I1 est notoire, en effet, qu'une grande pensée ne va


pas toujours jusqu'aux dernieres conséquences de ses propres
intuitions et risque meme de se leurrer sur leur portée réelle :
l'aristotélisme de fait peut trahir l'aristotélisme d'intention
et avoir besoin du miroir de l'histoire pour découvrir son
vrai visage. Toutefois, le principe de la méthode employée
par Hamelin semble discutable et son maniement fort déli-
cat_ Si un auteur risque de se tromper sur lui-meme, le ju-
gement des siecles est lui aussi exposé a faillir. Peut-onsup-
poser prudemment que l'aristotélisme véritable est celui de
l'histoire plutót que celui d'Aristote en personµe? N'est-il
pas quelque peu paradoxal de prétendre que des disciples
parfois tres lointains ont mieux exprimé la pensée du maitre
que le maitre lui-meme ? I1 est vrai, le recul du temps
dégage les perspectives : mais il donne aussi a l'observateur
une optique nouvelle, souvent tout autre que celle du Phi-
losophe 1. Sans doute, si des points de vue tres divers pris
sur le meme systeme s'accordent a souligner en lui un trait
constant, ce trait a chance de correspondre a une intuition
originelle. Mais la méthode de concordance chere a Stuart
Mill peut-elle s'appliquer en rigueur a la tradition péripaté-
ticienne, dont nous avons souligné, en meme temps que la
richesse, la surprenante continuité ? En bref : la noétique
du Stagirite, déclare-t-on, n'est qu'une ébauche indécise,
et ses grands interpretes dégagent sa signi:fication en pro-
longeant ses lignes de force ; mais qui nous garantit que
tel prolongement, :fidele d'apparence, n'est en réalité ni une
déviation ni un dépassement ?
La plus grande réserve s'impose, en effet, lorsque le com-
mentateur s'inspire d'un príncipe arbitraire érigé d 'avance
en regle absolue. Ainsi l'interprétation alexandrine se fonde
sur ce postulat que la pensée d' Aristote s'accorde en sub-
stance avec celle de Platon : par la force de ce présupposé,
les Néoplatoniciens sont conduits a atténuer les oppositions
et a multiplier les points de contact entre les doctrines pour
manifester leur convergence prétendue. Est-il surprenant,
des lors, que les Alexandrins retrouvent dans la· noétique

1. Voir a cet égard les critiques adressées a Robin lors de la soutenance de sa


these, dans la Revue de métaphysique et de m01'ale, t. XVI (1908), suppl. de mai,
p. 20-21.
INTRODUCTION xv·

du Stagirite les intuitions maitresses de l'idéalisme plato-


nicien ? Le syncrétisme ou le « concordisme ,, d'un Simpli-
cius appelle une sévere critique.
A un autre égard, le danger de la méthode parait d'au-
tant plus grand que l'interprete consulté est lui-meme plus.
génial : la hardiesse de son esprit peut l'amener a complé-
ter, a dépasser, a infléchir dans un sens nouveau la pensée-
qu'il croit exprimer, bref, a faire reuvre originale plutót .
que fidele ; par un décevant paradoxe, le génie du commen-
tateur risque de se retourner contre son objectivité: le témoi-
gnage d'un Averroes ou d'un saint Thomas doit etre re<;u.
avec discernement.
S'il est toutefois un interprete d' Aristote que ces réserves
atteignent moins que d'autres, c'est sans doute son succes-- ('l
seur immédiat , Théophraste. Une collaboration étroite et .¡ (
prolongée pendant plus de trente années (circa 354-322) a .
valu a l'Erésien le privilege unique de saisir a sa source la
l
pensée vivante du maitre. I1 est vrai, le disciple n'a lais:,é,. ·
au sujet de l'intellect, que des apories d'un laconisme décon--
certant ; bien plus, les di:fficultés de la noétique du maitre.
y sont poussées jusqu'a la contradiction, selon la rigueur
du procédé ce diaporématique ,, : mais, par fa meme, les don-
nées du probleme noétique s'éclairent mutuellement grace
a un jeu de contrastes saisissants; on se trouve placé a.
l'intérieur meme de la pensée a:dstotélicienne et l'on aper--
<;oit mieux ses orientations majeures. De temps a autre,
l'Erésien ébauche tel essai de solution suggéré par les décla-
rations ciu Stagirite ; mais en dehors de tout effort positif"
- et surtout peut-etre en ce cas - les références constantes
du disciple a la pensée du maitre dé'finissent la problématique
de l'intellect et apportent aux textes de De anima un com--
plément de prix. Ainsi, la forme diaporématique des frag-
ments et l'infériorité meme de Théophraste au génie d' Aris--
tote atténuent le risque d'altérations personnelles. L'histo-
rien doit accorder a ce témoignage une attention clairvoyante,.
certes, mais privilégiée 1.

r. Voir notre Théorie aristotélicienne de l'intellect d'apres Théophr-aste(a. paraitre).


Nous nous pla9ons ici et la dans la perspective traditionnelle de l'authenticité du
Corpus aristotelicum pris dans son ensemble. La question vient d'étre rouverte
par J. ZüRCHER, Aristoteles' Werk und Geist, Paderborn, 1952: selon ZüRCHER,.
XVI LA THÉORIE DE L'INTELLECT o' APRES ARISTOTE

*
* *

L' enquete conduit Hamelin a la conclusion que vo1c1


les scolastiques grecque, arabe et latine, issues de la meme
so urce aristotélicienne et orientées, a 1' origine, dans des
directions divergentes, viennent finalement confluer dans un
idéalisme de type platonicien : l'idée est premiere et anté-
- E::,.
rieure a l'intellect. L'histoire prouve ainsi que le systeme
du Stagirite « est un idéalisme a peine voilé »1 ;_ « le péripa-
tétisme ... vient, quand on le presse, s'absorber dans le
·p latonisme J) 2 •
Ces déclarations amenent le lecteur a se poser une double
question : l'aristotélisme des commentateurs est-il objec-
tivement interprété par Hamelin ? Dans l'affirmative, l'ache-
vement donné par l'histoire au systeme d' Aristote est-il le
seul possible ? Traiter ici le probleme serait doubler l'étude
a laquelle nous devons introduire ; quelques remarques sur
les points les plus discutables de l'exposé suffiront a guider
le lecteur.
,..., Hamelin note avec justesse que Théophraste n'a pas nié
\ la transcendance de l'intellect agent . Disons plus: le fameux
dilemme : immanence ou transcendance ne s'est pas posé
a lui ; présent dans l'individu, le vou~ collabore avec les
forces de la nature sans perdre sa souveraineté de príncipe.
Une analyse plus poussée des fragments de l'Erésien aurait
montré a Hamelin que leur contenu ne favorise pas une
interprétation idéaliste de la doctrine d' Aristote.
A plusieurs reprises, le disciple s'interroge avec acuité
sur ce probleme crucial : auquel, de l'intelligible et de l'in-
tellect, revient l'initiative de la pensée ? Est-ce l'objet ou
le sujet qui est le vrai príncipe de l'intellection ? Les motifs
favorables a l'une et a l'autre hypothese sont mis en balance

l'ceuvre de Stagirite aurait été refondue entiérement par l'Erésien, auteur ven-
table du Corpus dans son état actuel. Ce n'est pas le lieu de discuter une thése
si audacieuse ; notons pourtant que dans ses apories Théophraste s'efforce mani-
festement de retrouver la pensée d'un autre au dela des antinomies apparentes
du Corpus : une telle attitude serait-elle concevable si l 'Erésien était l'auteur com-
mun -des apories et des déclarations de De anima ?
r. lnfra, p . 88.
2. P. 87.
INTRODUCTION XVII

avec une précision rigoureuse 1 ; puis la priorité de 1' objet


est écartée comme absurde et contraire au postulat fonda-
mental de la primauté et de l'autonomie de l'intellect 2;
c'est dans !'ame elle-meme que les opérations intellectuelles
trouvent leur príncipe, leur acte et leur fin : la perfection
et le caractere divin du voü.; les a:ffranchissent de toute ser-
vitude étrangere ª·
Est-ce a dire que la connaissance humaine soit indépen-
dante de tout donné, qu'elle consiste dans une activité pu-
rement immanente ou l'intellect s'exprimerait lui-meme en
créant son propre objet ? Ce serait au tour de l'objet d'etre
absorbé par le sujet . On n'échapperait alors a l'idéalisme
platonicien que pour tomber dans un idéalisme subjectiviste
fort surprenant chez un ancien. En fait , les textes de Théo-
phraste interclisent cette hypothese : 1' esprit re9oit des sens
les matériaux qu'il élabore et << patit >> sous l'action de l'in-
telligible. Mais la notion de passion ne s'applique ici qu'en
un sens analogique : l'intelligible joue le role d 'un excitant,
il éveille la spontanéité de !'esprit qui s'actualise de lui-
meme4. Par suite, le sujet et l'objet peuvent etre dits « pre-
rniers >> chacun dans son ordre ; l'intellection n'est pas l'ceuvre
exclusive de l'un ou de l'autre, mais le fruit de leur colla-
boration hiérarchique.
La noétique de Théophraste est done aussi éloignée de
l'idéalisme platonicien 5 que du subjectivisme ou du mona-
disme de Leí bniz 6 : e' est a 1' esprit q u' elle accorde l'initia-
ti ve de la pensée ; elle serait done mieux caractérisée comme
un « intellectualisme », et invite a reconnaitre le meme carac-
tere a la doctrine aristotélicienne qu'elle s'e:fforce d'exprimer,
Chez le premier grand commentateur du Stagirite, Alexan-
dre d' Aphrodise, Hamelin a bien aper9u le conflit de deux e V
tendances fondamentales : l'une limite le plus possible la

1. THÉOPHRASTE, Fragm . I (THEMISTIUS, In De anima, 108, 1-6 Heinze) de la lr t Qf¡_M},.


collection de Hicks, en appendice a ARIST0TLE , De anima, Cambridge, 1907. Nous
reproduisons cette collection en ajoutant la traduction fran~aise et les conte:i..'ies
des citateurs des fragments dans notre Théorie aristotélicienne, appendice I.
2. THÉOPHR., Fr. VI (PRISCIEN, Metaphr. in Theophr., 29, 12-15, Bywater).
3. Fr. XIII (SIMPLICIUS, In Physicam, 964, 31-965, 6 Diels}. .
4. Fr. IV PRISC., ibid., 28, 20-23).
5. En sens contraire, SIWEK, Aristotelis De anima, Rome, 1945, t. III, p . 320.
6. L. ROBIN, La pensée grecque et les origines de l'esprit scientifique, Paris, [4•
éd.], 1948, p. 372, propose un rapprochement entre la conception de l'intellect
selon Théophraste et l a 1.héorie des monades.
2
XVIII LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

part de la transcendance, l'autre maintient, par fidélité au


maitre, la primauté de la forme ; telle est aussi la conclu-
sion de 1' étude pénétrante consacrée par Moraux a la noé-
tique d' Alexandre1 . Hamelin ajoute que celui-ci rejoint l'idéa-
\
lisme « en marquant nettement la supériorité de 1' o bjet sur
le sujet ou plutót en faisant dispataitre celui-ci dans celui-
la ))2.
[ Notons d'abord qu'une critique attentive conduit Moraux
~ a rejeter l'authenticité du De anima liber alter ou De anima
mantissa (De intellectu) attribué jusqu'ici a l'Exégete 3 ; mais
cet ouvrage demeure étroitement tributaire de la pensée
d' Alexandre : aussi bien est-ce l'alexandrisme que Hamelin
veut interroger. Or, si ce mouvement de pensée se rapproche
sur certains points du platonisme, il le fait en trahissant
Aristote. Réduire l'intellect ce matériel >> ou potentiel a une
pure aptitude a recevoir les formes 4 , ramener l'intellect in
habitu a la somme des concepts acquis sans aucun príncipe
d'unité 5 , c'est subordonner le sujet a l'objet au point de
l'absorber en luí : mais c'est aussi renier manifestement
l'esprit du Stagirite par un littéralisme outrancier. Sans
doute aussi Alexandre se rapproche-t-il du maitre de 1' Aca-
démie, lorsqu'il déclare que les intelligibles inférieurs re<_;oivent
leur intelligibilité d'un intelligible supérieur ; mais on aurait
peine a trouver chez le Stagirite l'équivalent de cette con-
ception 6 . Le platonisme de l' Exégete semble done trahir la
pensée d' Aristote 7 •

.... - Hamelin o béit encore a un certain esprit de systeme lors-


qu'il i~rpr ~ ~ noétiq~e__g 1.0miste dans un s~ns idé~iste.
D'une part la methode deductive et son instrument, le syl-
)

logisme, ne nous ramenent pas a l'idéalisme, des la que les


définitions et concepts initiaux sont abstraits de l'expérience
et non pas postulés a priori. Quant a l'intellection, ce n'est

-- r. P. MoRAux, Alexandre d'APhrodise exégete de la noétique d'Ar-istote, I,iege,


1942, XXIV-239 p.
2. lnfra, p. 37.
3. MORAUX, ibid., p. 132-142.
4. C'est la doctrine commune aux deux traités : De anima, 84,24-85,5 De
inteUectu, 107, 9-II. Cf. MORAUX, Alexandre, p. n3 sq.
5. Texte cité infra par Hamelin, note 65.
6 . Cf. MORAUX, Alexandre, p. 89 sq.
7. Remarquons que le texte cité par Hamelin note 69 concerne l'inte!lect in
habitu, done l 'intellect humain , et non pas le voü, divin comme le développement
l e suppose.
INTRODUCTION XIX

pas l'objet de pensée que le Docteur Angélique met au-


dessus de tout - et de Dieu meme, comme faisait Platon -
mais l'acte intellectuel dont la valeur absolue culmine
dans la pensée subsistante. En Dieu, l'identité parfaite de
l'etre et de la pensée ne laisse pas de place a la priorité de
l'idée. Au niveau de la connaissance humaine, la dualité
de l'intellect et de l'intelligible apparait, mais au bénéfice
de l'intellect : pour appréhender son objet propre - la quid- 1
<lité des choses matérielles - !'esprit doit d'abord le rendre
intelligible en l'exprimant dans une idée ; l'actualité de
l'intellect agent précede et produit celle de l'intelligible 1 .
Ainsi, aux deux extrémités de la tradition péripatéticienne
ici étudiée, Théophraste et saint Thomas s'accordent a té-
moigner d~ la-P-rímaute de 1'1ntellect sur f'idee. Certes, un
teíaccord ne saurait tra-;:;_cher un débat coinp1exe qui reste
toujours ouvert ; il nous semble pourtant que cette concep-
tion répond a la pensée du Stagirite.
Les réserves ci-dessus formulées a l'égard de la méthode
et de la these de Hamelin peuvent paraitre séveres : elles
n'ótent ríen a la richesse et a l'originalité d'un essai qui
vaut surtout par les horizons qu'il découvre.

1. On peut citer entre beaucoup d'autres textes: Sum. Theol., Ja p., q. 79, a. 3·
- Sur l 'intellectualisme thomiste, voir le travail fondamental de P. RousSEL0T,
L'intellect11alisme de Saint Thomas, 3• éd., Paris, 1936, [XI,III]-xvm-261 p.
III

ÉTAT PRÉSENT DES RECHERCHES

11 parait opportun de signaler ici les principaux travaux


modernes sur la noétique péripatéticienne et ses alentours
immédiats : l'essai de Hamelin sera mieux situé dans !'en-
semble des études sur l'aristotélisme 1 .
Pour esquisser, meme a grands traits, l'histoire des dis-
cussions soulevée.s par la noétique du Stagirite, il s'impo-
sait de faite saillir d'abord les difficultés internes et l'ina-
chevement de celle-ci. L'auteur s'y est efforcé dans la pre-
miere partie de son travail : on appréciera la solidité d'un
exposé constamment appuyé sur les textes. et soucieux de
marquer les attaches platoniciennes, les initiatives, les retours
de la pensée du Stagirite2. A une époque ou l'aristotélisme
était traité comme un systeme dos et achevé, ou sa genese
n'avait pas encore retenu l'attention, Hamelin a sentí que
la théorie de l'intellect est essentiellement un efiort cons-
scient de ses limites, une tentative ouverte a de nouveaux
progres.
Comme récentes contributions a l'étude de cette noétique,
signalons surtout les travaux de De Corte et de Nuyens.

r. Une bibliographie complete est ici impossible ; pour chaque chapitre, nous
indiquerons les ouvrages récents les plus importants : le lecteur y trouvera des
indications complémentaires.
3. Sur ce probleme complexe, voir l'étude déja. signalée de L. ROBIN : La théo-
rie platonicicnne des Idées et des Nombres d'apre.s Aristote, et C. WERNER: Aristote
et l'idéalisme platonicien, Paris, r9ro, xn-37r p.
INTRODUCTION XXI

Dans La doctrine de l'intelligence chez Aristotei, De Corte


défend l'interprétation thomiste comme historiquement
juste, et minimise - ou comble - les lacunes de la doc-
trine. Par contre, en retra<_;ant L' évolution de la psychologie
d' Aristote2 , Nuyens se place au point de vue génétique próné
par Jaegerª; l'auteur conclut a l'inachevement de la noé-
tique aristotélicienne, caractérisée, a la derniere phase de
son évolution, par le dilemme : ame-intellect. Cet ouvrage
renouvelle les données traditionnelles du pro bleme en le
repla<_;ant dans une véritable perspective historique : le lec-
teur y trouvera un approfondissement tres pénétrant des
problemes abordés par Hamelin 4 •
En ce qui concerne Théophraste, on a indiqué ci-dessus
la collection des fragments relatifs a l'intellect due a Hicks,
et l'étude que nous publierons prochainement : La théorie
aristotélicienne de l'intellect d' apres Théophraste.
Quant a Eudeme, on s'accorde aujourd'hui a lui refuser
la paternité de l' Ethique eudémienne pour l'accorder au Sta-
girite lui-meme5 • En outre, le texte invoqué par Hamelin
(vu, 14, 1248ª 12 sq.) est incertain et sa signi:fication fort
obscure : il parait tres hasardeux de vouloir en tirer une
conclusion ferme dans un sens ou dans l'autre 6 •

1. M. DE CORTE, La doctrine de l'intelligence chez Aristote, Essai d'exégese, Pré-


face d'E. Gi!son, Paris, 1934, XII-309 p.
2. F. NuYENS, L'évolution de la psychologie d'Aristote, ouvrage traduit du néer-
landais. Préface par A. Mansion. Louvain, 1948, xv-3:;3 p. (Bonne bibliographie).
3. W. JAEGER, Studien zur Entstehungsgeschichte der lt,fetaphysik des Aristoteles,
Berlin, 1912, et surtout : Aristoteles, Grundlegu11,g einer Geschichte seiner Entwick-
lung, Berlín, 1923.
4. Hamelin parait simplifier a l'exces le probleme de l'origine extrinseque ,d e
l'intellect lorsqu'il écrit : « Le mot 6úp0t6ev n'a rien de mystérieux : Aristote l'em-
ploie souvent ; il désigne le dehors, l'extérieur ... » (note 19, ad finem). Le sens
général de l'expression est assuré; mais dans le cas précis du vouc;, on ne voit
pas d'emblée de quelle Extériorité il s'agit : une longue enquéte s'avere indispen-
sable pour montrer que l'intellect est étranger, dans son étre et dans son appa-
rition, au dynamisme des forces biologiques. Voir notre Théorie aristotélicienne
de l'intellect d'apres Théophraste, chap. V.
5, Cf, NUYENS, L'évolution .. ,, p. 185-189,
6. Ces remarques atteignent les autres auteurs qui ont utilisé ce texte pour
définir la noétique d'Eudeme, tel F. BRENTAN0, Die Psychologie des Aristoteles
insbesondere seine Lehre vom NOY~ IIOIHTIKO~, Mayence, 1867, p. 224 sq, ; Aris-
toteles Lehre vom Ursprung des menschlichen Geistes, I,eipzig, 19rr, p. 37; H. KUR-
FESS, Zur Geschichte der Erkldrung der aristotelischen Lehre vom sogenannten NOY~
IIOIHTIKO~ und IIA0HTIKO~, Diss., Tubingue, 19rr, vm-61 p. (L'auteur passe
en revue tres rapidement l'histoire de la noétique péripatéticienne; on n'y trou-
vera guere qu'un plan de travail).
Pour suivre l'histoire de la psychologie d'Aristote dans le péripatétisme pri-
mitif, on trouvera les textes réunis dans la collection en cours de publication :
xxrr · LA THÉORIE DE .L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

Sur Alexandre d' Aphrodise, on consultera l'étude pene-


trante consacrée par Moraux a sa noétique1 . Cet ouvrage
déborde, par ses proportions, le bref apen;u donné ici par
Hamelin, mais le probleme du fonctionnement de l'intelli-
gence ne parait pas encare épuisé. L'influence considérable
d' Alexandre sur les scolastiques grecque, arabe et latine 2
légitimerait une recherche nouvelle sur ce point.
De Thémistius, Hamelin montre bien les présupposés néo-
platoniciens et dégage les orientations majeures. O. Balle-
riaux a repris ce travail en deux études demeurées inédites ;
l'auteur y considere le syncrétisme éclectique comme la
caractéristique propre de Thémistius3 • .¡
C'est la meme tendance que l'on retrouve chez Simplicius,
soucieux d'accorder Platon et Aristote qu'il interprete a
travers le néoplatonisme. On goútera d'autant plus l'exposé
de Hamelin que la noétique de Simplicius n'a fait l'objet
jusqu'ici d'aucune étude particuliere. Toutefois, les préli-
minaires sur la doctrine plotinienne demandent a etre com-
plétés par les études récentes de E . Bréhier et de M. de
Gandillac4.
L'esquisse de Hamelin peut passer sous silence l'interpré-
tation de Philopon : une étude complete de la scolastique
grecque ne saurait l'omettres. De Corte a montré que le
commentaire au troisieme livre du De anima communément

Die Schule des Aristoteles. Texte und Kommentar herausgegeben van F. WEHRLI,
Bale, s.d. [1944 sq. ; 6 fase. parus]. La tendance positiviste et matérialiste du
Lycée a cette époque affecte profondément ses conceptions psychologiques et
laisse dans l'ombre le probleme noétique.
1. Voir supra, p. xvm, n . r.
2. Cf. G. THÉRY, Autour du décret de 1210 : II-Alexandre d'Aphrodise. Apertu
sur l'inf/.uence de sa noétique. Le Saulchoir, 1926, 120 p.
3. O. BALLERIAUX, Thémistius. S_on interprétation de la noétique a,ristotélicienne.
Diss. manuscrite déposée a la Bibliothéque de l'Université de Liege, 1941. •-
D'Aristote a Thémistius, Contribution a une histoire de la noétique apres Aristote,
these inédite, Liege, 1943. L'auteur a bien voulu nous communiquer ce dernier
ouvrage : nous lui en exprimons notre gratitude.
4. Voir les importantes notices de Bréhier, dans son édition critique et tra-
duite des Ennéades de Plotin, París, Belles-Lettres, 7 vol. 1924-1938 ; du méme,
La philosopltie de Plotin, París, s.d. [1928], XIX-188 p. - M. DE GANDILLAC, La
Sagesse de Plotin, París, s.d . [1952], XXIII-208 p . (chap. VIII, La dialectique intel-
lectuelle, p. 126-148). Signalons la publication en cours, a Louvain, d'une nou-
velle édition critique des Ennéades, par P. Henry. Voir aussi M. DE CORTE, Aris-
tote et Plotin, Paris, 1935, p. 229 sq.
5. Mentionnons l'opuscule de A. ELFES, Aristotelis doctrina de mente humana
ex commentariorum graecorum sententiis er-uta. Pars prior, Alexandri Aphrodisiensis
et Joannis Grammatici Philoponi commentationes continens. Diss., Bonn, 1887,
50 p.
INTRODUCTION XXIII

attribué a Philopon n'est pas de lui, mais appartient sans


doute a Etienne d' Alexandrie1 ; en meme temps, De Corte
a publié la traduction gréco-latine seule subsistante du com-
mentaire authentique 2 ; A. Mansion a opéré d' autre part
la correction de ce texte défectueux 3 •
Les chercheurs ont done en main les instruments de tra-
vail nécessaires ; la place d'Etienne d' Alexandrie et surtout
de Philopon au confluent du néoplatonisme et de la pensée
byzantine, d'une part, de l'hellénisme et du christianisme
de l'autre, appelle l'attention sur leurs commentaires res-
pectifs4.
En passant d' Alexandrie chez les Syriens, la noétique
d' Aristote pénetre dans un monde nouveau5 , mais ce sont
les penseurs arabes qui la mettent au premier plan de leur
préoccupations. L'histoire du voü.; péripatéticien dans la
philosophie mulsumane est un domaine fort vaste ; i1 prete
a d'utiles recherches trop peu poussées jusqu'ici6 • 'Hamelin
dégage les grandes ligues des discussions d' Averroes sur
l 'intellect matériel et sur l'intellect actif 7 ; on lira avec inté-

l . Ce co=entaire est édité par Hayduck, dans les Commentaria i1i Aristotelem
graeca de l'Université de Berlín, t. XV, 1897 ; dans la préface, p . v, l'auteur élevait
déja un doute motivé sur l 'authenticité du troisieme livre.
2. DE CORTE, Le commentaire de J ean Philopon sur le Troisieme Livre du « Traité
de l'Ame" d'Aristote, Bibl. de la Fac. de Philosophie et Lettres de Liege, fase. LXV,
1934, XIX-86 p.
3. A. MANsroN, Le texte du .« De Intellectu " de Philopon corrigé a l'aide de la
collation de Monseigneur Pelzer, dans Mélanges Auguste Pelzer, Louvain, 1947,
p. 325-346, et tiré a part.
4 . Voir R. VANC0URT, Les derniers commentateurs alexandrins d'Aristote. L'école
d'Olympiodore . Etienne d'Alexandrie, Lille, 1941, VI-66 p .
5. Les co=entateurs syriaques se sont intéressés seulement a certaines par-
ties de l'Organon: E. RENAN, De philosophia peripatetica apud Syros, commeiitatio
historica, Paris, 1852, p. 39 sq. - Voir aussi : L. STEIN, Das erste Auftreten der
griechischen Philosophie unter den Arabe·r n, dans Archiv fiir Geschichte der Philo-
sophie, t. VII (1894), p. 350-361 ; Die Kontinuitiit der griechischen Philosophie in
der Gedankenwelt der Araber, ibid., nouv. série, t . IV (1898), p. 3rr-334. -
A. BAUSMSTARK, Aristoteles bei den Syrern vom V-V 111 J ahrhundert. l. Band,
Leipzig, 1900. - C. SAUTER, Die peripatetische Philosophie bei den Syrern und
Arabern, Archiv fiir Gesch. d. Philos ., t. X (1904), p. 516-533. - I. MADKOUR,
L'Organon d'Aristote dans le monde arabe, París, 1934. - K . GEORR, Les Caté-
gories d'Ari;;tote dans lcurs versions syro-arabes, Beyrouth, 1948.
6. Les publications en cours de la Bibliotheca arabica Scholasticorum, Beyrouth,
1927 sq., du Corpus philosop/iornm l\Iedii Aevi, enfin du CorP·us Commentario-
rum Averrois in Aristotelem, Cambridge (Mass.), 1949 sq., fourniront les ins·
truments de travail indispensables. - Signalons la traduction latine médiévale
du De intellectu et intellecto d'Alfarabi, étudiée, publiée et traduite par E. GIL-
SON, L es sources · gréco-arabes de l'augustinisme avicennisant, Appendice I , dans
Archives d'histoire doctrina/e et littéraire du Mayen Age, t. IV (1930), p. roS-141.
7. Pour un complément d'information sur la Théologie d'Aristote signalée par
Hamelin note 180, voir HENRY, Etudes plotiniennes, Paris-Bruxelles, 1932, t. I,
p. XIV, et DE GANDILLAC, Sagesse de Plotin, p. xv, n. 1.
XXIV ,LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

rét le nouvel exposé de cette question chez GAuTHIER, lbn


Rochd ( A verroes Ji.
,1
Le court chapitre consacré a saint Thomas évoque avec
vigueur la polémique anti-averroiste dans le Moyen Age
latin. Pour situer le débat on consultera l'Histoire de l'Eglise
de Fliche et Martin, tome xm2.
Quant au texte du De unitate intellectus contrá Averroístas,
on préferera désormais l'édition critique de Keelerª.
La noétique thomiste a fait l'objet, pendant les dernieres
décades, de travaux variés : exposés d'ensemble 4 et recher-
ches de détail 5 ; entre tous, l'ouvrage déja signalé de P.

I. L. GAUTHIER, Ibn Rochd ( Averroes), Paris, I948, p. 236-256. - Sur l'aris-


otélisme juif, voir G. VAJDA, Introduction a la Pensée juive du Mayen Age, Paris,
I947, p. n9-r93.
2. FLICHE-M'.ARTIN, Histoire de l'Eglise depuis les origines jusqu'a nos jours,
t. XIII : Le mouvement doctrinal du IX• au XIV• siecle, par A. FOREST, F . VAN
STEENBERGHEN, M. DE GANDILLAC, Paris, r95r, 480 p. (abondantes bibliogra-
phies). VoiI aussi E. GILSON, La philosophie au Mayen Age, des origines patristiques
a la fin du XIV• siecle, 3• éd., Paris, r947, 782 p.
Co=e la polémique thomiste du De unitate intellectus contra Averroístas vise
surtout Siger de Brabant, iJ faudrait consulter en outre P. MANDONNET, Siger de
Brabant et l'averroisme latin au XIII• siecle, (Les philosophes Belges, t. VI-VII),
2• éd., Louvain, rgo8-rgn, 2 vol. ; F. VAN STEENBERGHEN, Siger de Brabant
d'apres ses reuvres inédites, (Les Pltilosophes Belges, t. XII-XIII), Louvain, I93r-
I942, 2 vol.
3. L.-W. KEELER, Sancti Thomae Aquinatis tractatus De unitate intellectus con-
tra Averroístas, editio critica (Pontificia Universitas Gregoriana, Textus et docu-
menta, Series philosophica, r 2), Rome, r936.
Pour la Somme Théologique et la Somme contre les Gentils, on se reportera a
l'édition Léonine : Sancti Thomae Aquinatis Opera omnia jussu impensaque
LEONIS XIII P.M. edita, Rome: t. IV-XII Si{mma Theologica, r 888-rgo6; t. XIII-
XV, Summa contra Gentiles, r9r8-r930 (Editions manuelles chez Marietti, Turin_
Rome, r948).
Signalons un exposé récent sur l'interprétation thomiste de la psychologie d'Aris-
/ tate : A.-J. FESTUGIERE, La place du De anima dans le systeme aristotélicien d'apres
Saint Thomas d'Aquin, dans Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Mayen
Age, t. VI (r932), p. 25 -47.
Les sources du Commentaire au De anima ont été étudiées par M. DE CORTE,
Thémistius et Saint Thomas d'Aqttin. Contribtttion a l'étude des sources et de la chro-
nologie du Commentaire de Saint Thomas sur le De anima, dans Arch. d'hist.
doctr. et litt. du M. A., t. VII (r933), p. 47-83 ; - G. VERBEKE, Les sources et
la chronologie du Commentaire de Saint Thomas d'Aqiiin au De anima d'Aristote,
dans la Revue philosophique de Louvain, t. XLV (r947), p. 314-338.
4. Signalons entre autres exposés généraux de la noétique thomiste: A.-D. SER-
TILLANGES, La philosophie de saint Thomas d'Aquin, nouv. éd., Paris, r940, t . 11,
p. I25 sq. ; E. GILSON, Le thomisme. Introduction a la philosophie de saint Tho-
masd'Aquin, 5• éd., París, r948, p. 29r sq.
5. B. DE SoLAGES, Autour du probleme de l'ame. Une joule philosophique au
temps de Saint Louis : l'interprétation dtt Traité de l'ame d'Aristote par Saint Tho-
mas d'Aquin, dans Société Toulousaine de Philosophie, communications et discus-
sions, 2• série, r93 7-r938, p. II5-r28 (Séance du ro déc. r938).
Les rapports de la noétique thomiste avec la doctrine augustinienne de l'illu-
mination sont étudiés par E. GILSON, Pourquoi saint Thomas a critiqué saint
Augustin, dans Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, t. I, r926-
1927, p. 5-127; Les sources gréco-arabes de l'augustinisme avicennisant, ibid., t.IV,
INTRODUCTION XXV

Rousselot : L' lntellectualisme de Saint Thomas se place au


premier rang par la pénétration et l'ampleur de ses vuesi.

1929-1930, p. 5-107. Voir aussi Dictionnaire de théologie cath.olique, t. XV, 1• P·


(1946), col. 683-687 (L.-B. GILLON).
Citons enfin deux contributions a 1'histoire de la noétique péripatéticienne au
Moyen Age : M. GRAllMANN, Mittelalterliche Deutung und Umbildung der aristo-
telischen Lehre vom NOY~ IIOIHTIKO~ nach einer Zusammenstellung im Cod. B.
III 22 der Universitatsbibliothek Basel. Untersuchung und Textausgabe (Sitzungs-
ber. der Bayer. Akad. der Wissenschaft en. Philos.-histor. Abteilung, 1936, H. 4.),
107 p. - P. WILPERT, Die Ausgestaltung der aristotelischen Lehre vom lntellec-
tus agens bei den griechischen Kommentatoren und in der Scholastik des 13. · Jah-
rhunderts. Dans Aus der Geisteswelt des Mittelalters. Studien und Texte Martín
Grabmann ... gewidmet. (Beitrage zur Geschichte der Philosophie und Theologie
des Mittelalters, Suppl. III, 1), Münster, 1935, p. 447-462.
1. Signalons aussi: J. PÉGHAIRE, I ntellectus et Ratio selon saint Thomas d' A quin,
Paris-Ottawa, 1946, 318 p. - G. RABEAU, Species. Verbum. L'activité intellec-
tuelle selon saint Thomas d'Aquin, Paris, 1938, 227 p.

,,
IV

RltGLES SUIVIES POUR LA PRÉSENTE ÉDITION

Le manuscrit que nous publions appartient a un fonds


d'écrits d 'Octave Hamelin déposé a la Bibliotheque Víctor
Cousin (Sorbonne) ; une étiquette porte, de la main de Léon
Robín : La théorie de l'i/ntellect dans Aristote avec de nom-
breuses additions datant de 1906. I1 n'a pas été possible de
préciser davantage la date de composition, ni de savoir si
l'ouvrage est un cours professé ou non. Sur ce dernier point,
l'absence de témoignage porterait a condure par la néga-
tive.
- Le manuscrit présente quelques corrections ou additions
au crayon, de la main de l'auteur ; nous les avons repro-
duites dans le texte. De plus, trois notes étendues, écrites
sur feuilles volantes, ont été insérées de-ci de-la. Rédigées
hativement et alourdies de surcharges, ces notes ne semblent
pas avoir eu pour l'auteur un caractere définitif : aussi n'a-
vons-nous pas modifié la premiere version du texte ; on
trouvera ces notes en appendice.
Les références aux textes d' Aristote et les citations sui-
vent l'édition Bekker. Nous les avons complétées pour en
préciser l'étendue.
Hamelin ne disposait pas du texte grec complet du De >
anima d' Alexandre; il cite la version latine de Donat (1528) ,
ou les textes grecs donnés en note par RAVAISSON, Essai
sur la métaphysique d'Aristote, et par NüURRISS0N, Essai sur
Alexandre d'Aphrodisias (1870). Nous avonsmaintenu le tex-
te de la version latine sur laquelle s'appuie l'exposé, mais
INTRODUCTION XXVII

-produit entre crochets obliques le texte grec de Bruns (Sup-


plementum aristotelicum, II, r ; r887).
Pour Thémistius, Hamelin se réfere a l'édition Spengel
. (Teubner, r866) . I1 a paru meilleur d'adresser le lecteur a
l'édition de Heinze (Commentaria in Aristotelem graeca, V,
3 ; r899) . Les divergences de lecture, rares et infimes, n'en-
trainent pas a conséquence pour l'interprétation philoso-
phiquei.
Les reuvres de saint Thomas sont citées sur le manuscrit
de Hamelin d'apres l'édition d'Anvers (16r2). Nous avons
rajeuni les références en renvoyant a des éditions modernes
et courantes indiquées pour chaque ouvrage. La concordance
des textes a permis ces transpositions.
Dans la transcription des textes grecs et conformément
.a l'usage franc;ais, nous employons les majuscules apres
les ponctuations fortes.
Nous avons laissé entre crochets droits [ ] les additions
explicatives de Hamelin aux textes cités, et placé les nótres
entre crochets obliques < >.
Nous tenons a exprimer ici notre gratitude a MM. R. Le
Senne, Membre de l'Institut, professeur honoraire a la Sor-
bonne; M. De Gandillac et P .-M. Schuhl, professeurs a la
Sorbonne ; J. Nabert, Inspecteur général honoraire de l'En-
seignement secondaire, Conservateur de la Bibliotheque
Víctor Cousin ; a M11e D. Humbert, bibliothécaire, qui a
des titres divers, mais avec une égale courtoisie, nous ont
aidés a publier cet ouvrage.
E. B.

r. Infra note 80 ad finem : [-rck] : Heinze 98, r om. Spengel r8o, r3.
Note 89 ad finem : ó1ti\pxsv Heinze ro4, 2 ó1ti\p~sv Spengel r9r, 23.
LA THÉORIE DE L'INTELLECT D'APRES
ARISTOTE ET SES COMMENTATEURS
La théorie de l'intellect occupe une tres grande place dans
l'histoire de la philosophie péripatéticienne. Alexandre, Thé-
mistius, Simplicius, Averroes, saint Thomas et bien d'autres
l'ont commentée longuement, et elle a donné lieu aux polé-
rniques les plus passionnées. Tant de commentaires et de
controverses n'ont pas été écrits sans raison : l'importance
de la question de l'intellect dans l'histoire est le signe de
son importance doctrinale. C'est l'reuvre d'Aristote tout
entiere qui est un peu dans ce probleme. Qu'avait voulu
Aristote en effet ? Acceptant, comme son maitre, l'héritage
de Socrate, il s'était l)IOposé de compléter une ébauche que
Platon n'avait fait, suivant lui, que dé:figurer. Socrate avait
eu bien raison de donner pour objet a la connaissance l'uni-
versel : mais il avait encore mieux montré son sens du vrai
en ne séparant pas les universaux. I1 ne faut pas, par crainte
de retomber dans le platonisme, renoncer aux universaux ;
il faut seulement, apres avoir admis avec Socrate qu'ils ne
sont point séparés, expliquer comment on doit comprendre
leur existence immanente, et cette explication qui est tout
l'aristotélisme se résume en ceci : dans les choses les uni-
versaux n'existent pas comme tels, mais seulement en puis-
sance ; c'est uniquement dans l'intellect que l'universel
arrive a l'acte. La question des universaux se trouve done
ramenée a celle-ci : qu'est-ce que l'intellect qui re<_;oit les
formes ? Quelle est la relation de l'intellect aux formes ? \ 1
En d'autres termes la théorie de l'intellect remplace la théo-
rie des Idées1 . 1

1. Métaph., XIII (M), 9, 1086h 2-7 : Toü-ro o', wamp iv -ro!, 1'µ.1tpoa8ev
i'l-iyoµ.ev, EXt'i'l)<rE µ.<v ~wxpcí,1), o,a -rou, óp•aµ.oú,, oú µ.·~v ixwp,aÉ ye -rwv xa8'
EX<Xf1't0V º xat 'tOÚ'tO op8fu, <VÓ1)<1EV OÚ l,'.wp(aa, . .• <XVEU f!,EV yap 'tOÚ xa8ÓAOU oÚx
Ea't\V E7t\,r't-/ifl,1)V A<XbELV, 'tO OE xwp(~E\V a/-rwv 'tWV auµ.oawóv-rwv lluaxepwv 7ttpt -ra,
ioia, fo-r(v.
De anima, III, 4, 430a 6-7 : 'Ev oE -ro!, 1'xouaw B),r,v 6uvcíµ.e, fxaa-róv fo-r,
'tWV V01)'tWV.
I

EXPOSITION DE LA THÉORIE DE L'INTELLECT


DANS ARISTOTE.
QUESTIONS QU'ELLE SOULiWE

11 résulte des paroles memes d' Aristote que la notion péri-


patéticienne de la substance veut etre une conciliation du
naturalisme des Anciens et de la philosophie conceptuelle de
Socrate2. Assurément, il ne faut pas revenir au matérialisme
des Anciens : car, outre que la matiere en elle-meme ou
matiere pure (dont les Anciens d'ailleurs ne s'occupaient
pas) n'existe pas, si ce n'est comme puissance dans tout
sujet revetu d'une forme, c'est celle-ci qui importe le plus
et c'est elle qu'il faut nommer quand on veut désigner ce
qu'il y a de propre et de caractéristique dans la choseª. Mais
si la matiere n'existe pas a part 4, si elle n'existe que par
la forme, d'autre part la forme n'existe que dans une ma-
tiere. Le matérialiste qui définirait une maison, par exemple,

2 . Voir la note précédente.- Métaph., XII (A), r, 1069a 26-30 : 0[ µsv ouv vüv
,:ex xcx8óAou oúo-lcx, µ<i"i.1,ov ,:t8Écxo-<v • ,:ex ycxp yÉVl) xcx8ó),ou, a. q,cxaLV <ipxcx, xcx t
oúo-lcx, ,Tvcx< ¡i-<iA),ov 6,?. ,:o "i.oy<xw, ~1\"'•rv · ot 6s "Ttá),cx, ,:ex xcx8' é'xcxa,:ov, oTov "Ttüp
xcx! y"Í\v, <XAA oó ,:/¡ xo<vov o-wµcx.
3. De anima, II, r, 412a g : "Eo-,:< 6' f¡ µsv !lAl\ Súvcxµ<,. - De part. anim., I,
1 640b 28-29 : 'H ycxp xcx,:cx ,:-l)v µopq,-l)v q,úo-,, xup«,i,:é'.pcx "'ll, IÍA<x"Í\, q,úa,w,. -
Métaph., VII (Z), ro, 1035a 7-9: Asx,:fov ycxp ,:o .Ioo, xcxt "(Í ETSo, 'X" excxo-,:ov,
,:o S'óAL>toV oó6é"TtO'tE xcx8' cxú,:o A<x,:fov. '
4, Phys., IV, 2, 20gb 22-23 : To µsv ycxp dSo, xcxt Tj ü),11 oó xwp{~E't(XL i:oü
"Ttpáyµcx,:o,. - [bid., I, 7, r91a 7 sq. : en elle-meme, la matiere est msaisissable :
on la devine par induction a l'aide d'analogies; elle doit etre par rapport a la
forme comme l'airain est a la statue et le bois au lit. - Cf. RAVAISSON, Essai
sur la Métaphysiq"e d'Aristote, t. I, p. 386,
LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE 5

en disant que c'est des pierres, des tuiles et du bois, ne défi.-


nirait ainsi qu'une maison en puíssance. Mais le dialecticien
qui défi.nirait une maison exclusivement par la notion de
la maison en disant que c'est un abri contre le vent, la pluie
et la chaleur, n'atteindrait qu'un concept vide. Pour que
la notion ou forme de la chose se réalise, il faut qu'elle soit
donnée dans telle matiere, la forme de la maison, par exemple,
dans des pierres, des tuiles et du bois. Et celui-la seul défi.-
nira une maison, non plus comme puissance ni comme no-
tion mais a titre de substance, qui unira la matiere et la
forme dans sa défi.nition5.
La théorie de l'ame, corollaire de la théorie de la sub-
stance, ne s'éloigne pas moins qu'elle de la transcendance
platonicienne. L'ame est une essence (oucrí<X), mais dans
quelle acception ? Ce ne peut etre dans le sens de substance
composée de matiere et de forme : car e' est 1' etre animé
qui est une substance de cette espece. Reste done que 1' ame
soit la matiere ou la forme de ce compasé. Elle n'est pas
la matíere, le sujet, car c'est le corps qui re9oit les attri-
buts : c'est lui qui est dit vivant ou animé. Par conséquent,
l'ame est la forme d'un corps. Si un corps artifi.ciel, une
hache par exemple, pouvait avoir une ame, la quiddité de
la hache (le . -ro El\l<Xt 1t€Afa€t) en serait l'ame. Mais l'ame
est la forme d'un corps naturel, c'est-a-dire pourvu d'un
principe intime de mouvement .
Encare n'est-ce pas assez dire : l'ame informe unique-
ment ceux des corps qui sont capables de vivre, c'est-a-
dire pourvus d'instruments, d'organes propres a accomplir
les fonctions que réclame la vie. Elle est la forme d'un

5. Métaph., VIII (H), 2, 1043a 14-19 : il,i> -rwv Ópl~oµÉvwv o[ µav AÉyovn,;
-r( fo-rw obdo:, éi-r, ),[Oo, 7tAtv0o, l;ú),o:, -r·~v 6uvcíµs, o!x(o:v AÉyou,nv, 5A1) Y"P -ro:ü-ro: ·
o[ oa <iyydov uxrno:u-rtxov uwµcí-rwv xo:t XP1\fl,!Í'twv, -l\ "'' xo:! &)-),o -ro,ou-rov 1tpou-
6év-rs,;, 't'l\\/ evspys[q. i,Éyouu,v · ol o' a¡.L<pW 't'O:U't'O: Q'UV't't0ÉV't'E,; 't''~V -rpl't'l)V xo:! 't'l\V
h -roú-rwv oúu(o:v.
De anima, I, 1, 403a 29-403b 7 : il,o:<pEp6v-rw,; o'iiv óp(uo:w-ro <puu,xói; -rE [dans
la suite du passage, Aristote montre que le « physicien » véritable et digne du
nom se préoccupe aussi de la forme - voir le passage célebre du De Part.
anim., I, 1, 641a 14 sq., ou il dit que le vrai physicien s'occupe de !'ame et meme
surtout de !'ame - m ais ici <pU<rlY.Ó,; désigne le savant comme placé exactement
á l'opposé du métaphysicien] xo:t Olo:AEx-r,xó,; ... Toú-rwv 6a ó ¡.tsv -ri\v {J),l)v <i1to6(-
6wu.;v, ó 8~ -ro E_Too.~ xo:t 'tO~_)-óyo~. 'O µ~~ Y"P Myo,; ET~o,; ;rnv_ 1;pcíy¡.,.o:'to'.i_, <ivcíy~l\
o' ElVO:l 'tOU't'OV éV UA'l) 'tOlc¡.ot, EL EO''tO:l, W0'7tEp olx(o:i; o µsv Aoyo,; 't'OlOU'tO<;, º"''
O"J<É1to:u,µo: xw),u'ttx~v q,0~p<ii; óit',<i~sµwv, xo:! º'71:ip~v xo:,\ xo:uµcí'twv, ó 6a <pT)<rel ),(eoui;
xo:( 7t),Lv6oui; xo:t l;u),o:, E'tEpo,; 6 E\/ 'tOU'l'Ol<; 'tO ElOO<;. EVeXO: -rwvo(.
3
11

6 LA THÉORIE DE L'INTELLECT n' APRES ARISTOTE

corps naturel organisé qui a la vie en puissance. Comme


d'ailleurs l'ame admet des afternatives de veille et de som-
meil, elle n'est forme, entéléchie, ou acte, que dans le sens
le moins énergique du mot : c'est un acte du premier
ou du plus has degré : elle est actuelle dans le meme
sens que la science qu'on possede, mais dont on n'use
pas présentement, non dans le meme sens que la science
dont les propositions sont l'objet d'une pensée, d'une con-
templation présente. C' est un acte étroitement uni a la
puissance, et l'on s'exprime exactement quand on dit que
l'ame n'est ni un corps, ni quelque chose qui soit indépen-
dant du corps 6 • I1 va de soi, d'ailleurs, que l'ame est, comme
toute forme, ~ importante que sa matiere : eJle est 1~
cause, le principe du corps en trois sens ~ elle en est la forme
la_ fin et lemoteur 7 • Maíscela n'empeche pas qu'elle soit
immanente au corps.
La meme tendance naturaliste se manifeste dans la pre-
miere phase de la théorie de la connaissance. I1 semble qu'il
n'y ait pas plus de pensée sans image que de forme sans
matiere : car ce qui, dans le domaine de la pensée, repré-
sente la matiere, c'est l'imagination. Si l'intellection est
distincte de l'imagination, et si en outre elle peut avoir
lieu sans elle, c'est que la pensée releve uniquement de

6. De anima, II, r ; voir le chapitre entier qui est tres net sur toµs les points
essentiels. Ibid., 412b 4-6 : E! 6-f¡ 'tL xo,v/Jv bd 1t<Ío-7\,; ,j,ux_i'¡,; os, AÉyELv, tt7\ /f.-,¡
sv-reAÉx_EL0< -~ 1tpw-r-~ 0-w¡.,.0<-ro,; <¡>uo-Lxoü clpy0<vLxoü. - Le mot clpy0<VLxoü seuln'est pas
expliqué dans ce chapitre. - A.LEXANDRE, De anima, I, interprete Hieronymo
Donato, ad calcem Themistii, París, 1528, 134a ad medium : Corpus autem orga-
nicum illud appellamus quod plures diversasque partes sibi vindicat quae natu-
ralibus potestaübus fungi valrnnt. - Cf. De part. anim. II, 10, 655b 37-656a z :
'H µsv oiív -rwv q,ú-rwv q,úo-L,; oií,rn µóv,µo,; oú 1t0Aue,6-f¡,; fo-r, -rwv civoµo,oµepwv · [les
iípy0<v0< comme la main, le bras, etc . .. sont toujours composés de parties qui
d ifferent entre elles : ibid., II, r, 647a 3) 1tpil,; ycxp o),ty0<,; 1tpá~eL,; o).tywv opyávwv
-~ x_pT¡o-L,;. -
De anima, II, 2, 414a 13-20 : Wa'te Aóyoc; Ttc; civ dT\ x.cú dOoc;, &~J. ' oUx ÜAT¡
x0<t -ro ú1toxdµsvov. Tp,x_w,; ycxp AsyoµÉvl\,; -ri'¡,; oúo-(0<,;, x0<6á1tsp sfaoµs•1, wv -r/J ¡.,.ev
eToo,;, 'tO OE {)),~, 't() OE !1; ciµq,oi'I · 'tOÚ'tWV o'-~ !J,E'I {),,~ 0Úv0<µL,;, 'tO OE doo,; EV'tEAÉ-
)'._ELO( · s1td O€ -ro •~ ciµq,o,v eµ,J,ux_ov, oú -ro o-wµá éo--rcv svs:e),Éx_s,"' ,J,ux.·~,; , ci),)/ 0<U't1\
aWµo;TÓ c; 'tWOc; . Kcd Ch?x 't □ Ü'tú x.cxAWc; úrco/,ix µOívoucrw o!c; 60,.Et ¡.drc' &:\le.u crWµa.'toc;
dv0<L fl-T¡'tE o-wµá 'tl 1\ ,j,ux_-f¡.
7. De anima, II, 4, 41 5b 7-10: "Eo-'tL os -~ ,J,ux_1) -roü t;wv-ro,; o-wµ0<-ro,; 0<h:(cx x0<t
cipx_i¡. Tcxihcx 6e 1toAAcxx_w,; AÉye-rcxL . 'Oµo(w,; 6' -~ ,J,ux.11 ><0<'tcx s:ou,; 6,wpLcrµÉvou,;
'tpÓ1tou,; 'tpEÍ,; 0<h(0< • etc ...
lbid., II, 2, 414a 7 sq. : « Ce par quoi nous nous portons bien » a deux sens :
r 0 la santé méme qui est ici l'agent ; 2° telle partie du corps laquelle est en santé
et revoit la santé. Or l'acte de l'agent est re~u et réside dans le patient : pareille-
ment, l'ame réside dans le corps vivant, mais elle est ce par quoi (au premier
sens) il vit : f¡ ,j,ux_l\ 6s -roü-ro c¡i t;wµev ...
LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE 7

l'ame. Mais si l'intellect ne peut s'exercer qu'avec le con-


·cours de l'imagination, la pensée est une opération com-
mune a l'ame et au corps 8 •
Qu'est-ce en effet que l'imagination ? C'est une suite
de la sensation qui s'accompagne · comme elle d'un mou-
vement corporel ; c' est la trace que la sensation a laissée
dans le sensorium, ou, selon l'expression plus nette et
plus profonde de la Rhétorique, c'est une sensation affai-
blie9. Or, il n'y a pas d'intellection sans images : c'est
la une loi absolument universelle. Car alors meme ue
l'ima 'est pas ad~uat~a l'intellection, elle y reste indis-
solublement uniei~Aristote est toujours d'accord avec lui-
meme et toujours tres explicite sur ce p_oint. Mais il y a
plus : il semble parfois ne pas se c~tenter d' attacher la
pensée a l'image, il semble vouloir expliquer par !'imagina- .( e
tion seule la formabonaes universaux. Son langage au début -
de la etaphysique et dansTe dernier chapitre des Seconds
Analytiques est a peu pres celui d'un sensualiste. Les prin-
cipes d' ou part la démonstration ne sont pas innés : car
il serait absurde de prétendre que nous pouvons porter en
nous sans le savoir des connaissances plus parfaites que
les connaissances démontrées. La seule chose qui soit innée
a l'animal (o-ú¡J,ipu-roi;), c'est la sensibilité, et c'est dans la
sensation qu'il faut chercher !'origine premiere des prín-
cipes. Les animaux chez lesquels la sensation ne laisse pas
de traces ne s'éleveront jamais au-dessus de la sensation.
Mais ceux chez qui elle en laisse possedent la mémoire, car
les souvenirs ne sont pas autre chose que ces traces memes.
Or, parmi les animaux doués de mémoire, il y en a qui sont
capables de faire un tout unique avec des éléments emprun-
tés a plusieurs souvenirs : c' est de pareils touts que se com-
pose l'expérience en qui l'art et la science ont leur source.
Voici ce qui se passe chez ces animaux : plusieurs sensa-
tions différentes mais semblables se sont succédé en eux et

8. De anima, I, r, ~º3ª 7-ro: MáAlG't'(X 6' EOlXEV roiov 't'O VOEtV · d o' €cr't'l xcxl
't'OÜ't'O ,ecxv't'cxc;-(cx 't'l<; '~ ¡.r:l¡ avEu 'fCXV't'cxcr(cx,;, oüx tlvoéxoi't'' &v oooe 't'OÜ't'' avEu crw-
¡.r.cx't'O<; Elvcxi.
9. De anima, III, 3, 428b ro. - Rhet., I, rr, r 37oa 28-29 : f¡ os <DcxV't'cxcr(cx
EG't'lv cxL0'0'1\G(,; 't'l<; cia0Evlj,;. '
ro. De anima, III, 8, 432a 8-9: 81:cxv 't'E 0Ewp·~, d.v<iyx'J\ él¡.r.cx cpcxv't<Ícr¡.r.cx 't'l 0EWpdv.
- De Memoria, I, 44gb 3r-45oa r : VOELV ºº" icr't'lV <XVEU 'fCXV't'<Ía¡.r.CX't'O<;.
l'I
1
1

8 LA 'l'HÉORIE DE L'IN'I'ELLEC'l' D' APRES ARIS'l'O'l'E

ont chacune laissé une trace ou souvenir : le point par ou


elles se ressemblent a laissé chaque fois une trace ou sou-
venir pareil; ces souvenirs pareils s'unissent en une seule
représentation qui se trouve reproduire ce que les différents
objets sentis ont de semblable. C'est la l'expérience et la
~A---~~V'(LI)
prei:niere connaissance universelle11 •
Cette théorie de la formation machinale des universaux
l!:1--1 \),
est assurément tres sérieuse ; elle occupe une place légitime
-V,0/1.MA~'IJ
dans l'aristotélisme; mais l'étude des textes memes ou elle
"\)e-1):)l est le plus nettement établie prouve qu'elle n'exprime pas
¡1 l,:t,r;V, toute la pensée d' Aristote. A vrai dire, la fusion automa-
tique des images semblables ne fournit pas les universaux :
elle nous amene seulement a les concevoir. C'est ce qui res-
sort des considérations suivantes :
r 0 L'art et la science, qui sont l'un et l'autre une con-
naissance rationnelle12, saisissent l'universel, tandis que l'ex-
perience ne sort pas de l'individuel. Se représenter que
Callias malade' de telle fac;on a ete sou1agé par tel remede,
puis Socrate, puis cet individu et cet autre encore, cela releve
de l'expérience. Mais si je dis, en les rangeant tous dans
une espece une, que ceux qui sont atteints de cette maladie
ont été soulagés tous et sans exception par ce remede, alors
je ne suis plus conduit par l'expérience, mais je parle au
nom de 1' art13 ;
2° Cette universalité absolue, qui caractérise les propo-
sitions de l'art et de la science, vient de ce que l)._r t et la
lq science rattachent les choses a leurs causes et fondent ainsi
l'universalité sur la nécessité. L'uciversel est l'expressioñae
a cause ou de la nécessité- et c'est la ce qui en fait le prix.

rr. Anal. post., II, r9, tout le chapitre, surtout rooa r5-r6: ~s:civ·rn, ydtp s:wv
<i8taq,ópwv fvó,, 1tpw,:ov µev ,v s:"\í <J,ux·~ xa0ó).ou. - Métaph., I (A), r, 980a 27 sq.
rz. Eth. Nicoin., VI, 4, r14oa 9-ro : s:aús:ov &v et'T\ s:ÉXV'f\ xO\t é'.l;t,; µes:dt i,óyou
dt),l\6oü,; 1tO\'f\'tLX'Í\. Seulement l'art ne porte pas sur l'etre, c'est-á-dire sur ce qui
est éternellement ce qu'il est, mais sur le devenir, c'est-á-dire sur ce qui peut
etre et n'etre pa s : car les produits de l'art n'ont qu'une nécessité conditionnelle,
leur cause n'étant pas dans la nattu-e m a is dans l'artisan. Au contraire, l'objet
de la science est peut-etre autre qu'on le sait etre, i1 est nécessairement ce qu'il
est : 'El; dtviy,c~<; cipO\ fos:t s:o <mrrs:·~s:óv. (lpid., VI, 3, rr3 9b 22-23).
r3. Métaph., I (A) , I, 98ra 7-IZ : To µev ydtp fxew Ó1tÓ),~tj,w O't\ Kai.i.[c¡;
xciµvovs:, 'tl\V8t ,:·~v vócrov s:o8t rruv-f¡veyxe xal ~wxpcis:et xal xa0' sxarrs:ov oüs:w
1toA). 0Li;, Eµ1tetp(cxi; €cr't(v · 't6 . 01 O'tt ·micn 'toLi; 't'Ot0!a6€ x.cr:'t', E16oi; Ev d.tpo~tcrOELcrL,
xciµvourr, 't'f\V8t 't'T)V vórrov, rruv-f¡veyxev, ofov s:ot,; q,i,eyµas:w8errw '~ xo),w8ecnv -j\
1tupÉ't'tOU<rL Y.ótÚ<r<¡J , s:áxvr,,. - Ibid., r5-r6 : 't\ µsv <µ1tELp[a 'tWV Y.ót6' EXót<r'tÓV Eo''t1
yv&irr,,, 't\ 8e s:ÉXV'f\ s:&\v xa6ó).ou.
LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE 9

Il n'est connu, sans doute, que gráce a l'individuel mais


il s'éleve au-dessus de l'individuel parce qu'il en donne la
raison. Les empiriques sont au-dessous de ceux qui possedent
l'art ou la science : car ceux-ci savent le pourquoi tandis
que les empiriques ne savent que le fait. Ils sont incapables
de dépasser la sensation, c'est-a-dire l'individuel, et ar la
sensation et dans l'individuel on ne trouve le our uoi de
ríen. La sensation me dira bien quele feu est chaud, mais- ·
non pourquoi. Aussi n'est-elle pas la science. Quand nous
pourrions sentir l'égalité a deux droits de la somme des
angles du triangle, nous ne la saurions pas, quoi qu'on en
ait dit, et nous persisterions a en demander une démons-
tration, parce que savoir, c'est connaitre par l'universel oti
faire rentrer la chose connue sous sa raison14 ;
3° Si la sensation est la source premiere des universaux,
c'est qu'elle les contieñt:iion que l'universalité meme puisse
etre pen;ue, ma1s ce qui est déclaré universel, l'essence, la
quiddité, tombe sous la sensation. I1 faut en e:ffet, dans la -x.
sensation, distinguer deux choses : d'abord, le fait qu'elle
s'exerce en tel temps et en tel lieu sur tel concret ; en second
lieu, son objet véritable : or cet objet, ce n'est pas ceci ou _
cela, c'est telle qualité. Sans doute la sensation s'exerce
bien sur Callias, mais son objet n'est pas Callias, c'est
l'homme.
Que résulte-t-il de la ? C'est que la sensation en tant
ª-
u'elle ,;l'aQpliq_ue son_objet, abstraction faite des circonS:-
tances particulieres qui l'accompagnent, J).'est g_u'un autre
nom de l'intellect. L'universel vient de l'individuelet il faut

14. Anal. post., I, 2, 71b 9-12: 'E1t[o-Tao0o" oE o1ó¡~E0' ex0to-Tov CÍ1tAw,, <i),°Aci ¡.r.1)
TOV OO'f' lO-Tl>tOV TpÓ1tov TOV XOtTGt ou¡.r.6E6"J\xÓ,, OTOtV T·~v T'0t!'tt0tV o!w¡.r.E00t ywwoxElV
o,' -~v TO 1tpiiy¡.r.<i fos:w, /h, ÉxElvou 0t!'tt0t fo,:[, xat ¡.r.1) év6éxEo-00t• 'tOU't'a)J,w, •xew.
- Ibid., I. 31, 88a 4-6: éx ycxp 'tWV x0t0' ex0to-'t0t 1tAE,óvwv 'tO x0t0ó),ou 6í'¡),ov. 1o os
x0t0ó°Aou 'tt¡.r.tov, O't, O"J\),ot 'tO 0ttT,ov. - Métaph., I, (A), 1 , 981a 25-30. : o-o<pw-
'tÉpou, 'tou, 'tExv('t0ts 'tWV i¡.r.1teipwv ó1to),a¡.r.6cívo¡.r.Ev .. . oT, o\ ¡.r.ev ,¡;-~v <XLTLOtV l'o-0to-w,
o\ o' o~. Ot ¡úv ycxp e¡.r.1tE,po, TO /h, ¡.r.EV foao-t, o\ó,¡;, 6oóx fo0to-,v · o\ OE 'tO
6,ó-.. )t(XL Tl)V Ot¡T(OtV yvwp[souo-w. - [bid., I (A), l , 981b II-13 : <iAA' oó AÉyouo-t
[scil. (XL :tlo-0·~o-Et,] 'tO o,ci 'tl 1tept ouoevó,, ofov Ol<l 'tl 0ep¡.r.ov 'tO 1túp, ci),Act ¡.r.Óvov
o't, 0Ep¡.r.ov.
Anal . post., I, 31, 87b 35-39: 'A°AM oí'¡),ov OTt x0tt d 'Jiv 0t!o-0cíveo-00tt TO 'tp(ywvov
OTl ouo-tv apear, fo0t, •x•t Tct, ywví0t,, És"J\'tOÚ¡.r.EV &v ci1tóoed;w XOtt oúx ,:\o-1tEp cp0to-L
TlVE, f\7tto-0cí¡.r.e00t · a!o-0cívEa00tt ¡úv ycxp civíyx71 x0t0' EltOtO-'tOV, 7\ o' E7tlo-'t'Í\¡.r.l) 't<j, 'tO
x0t0ÓAOU yvwp(snv fo,¡;(v. - [bid., II, II, 94ª 20-2 4 : 'E1td OE É1t(o-'t,xa00tt otó¡.r.e0a
/h0tv dllw¡.r.ev Tl)v 0tt'ti0tv, a1Ti<Xt o< 'tÉn0tpe, ... 1tiio-0tt a0TOtt otci 'tOÚ ¡.r.foou
OE(xWV'tOtl. - lbid., II, 2, 90a 6-7 : To ¡.r.ev ycxp 0t!'ttOV 'tO ¡.r.foov.
IO LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

percevoir les individus par l'a.'lo-6-r¡cnc; : a.U·n¡ 3'Eo"'Ü voü.;. La


répétition des sensations ne faít que nous forcer a voir 1' es-
sence qui échapperait a une perception simple et sans retour.
S'il faut écouter les vieillards quand il s'agit de propositions
qui ne. se démontrent pas, et notamrnent des principes qui
servent de point de départ aux démonstrations, c'est parce
que l'expérience leur a donné du coup d'ceil et appris a voir.
Voir l'universel dans l'individuel : tout est la. En tant qu'elle
fait cela, la sensation se confond avec l'intellect : comme
source des -pnncipe~ elle s'appelle l'intellect. En tant qu'efle
et l'image, son résidu, restent -liés a l'individuel, elles ne
sont que les accompagnements de l'intuition de l'intellect ;
elles ne lui sont pas adéquates. Les images qui accompa-
gnent toutes nos pensées sont comme le triangle dont le
géometre s'aide pour démontrer un théoreme. Ce triangle
a forcément des particularités individuelles et, par exemple,
une grandeur déterminée, mais on ne s' en occupe pas : on
ne considere en lui que le triangle. Le triangle qui est dans
tous les triangles, l'homme qui est dans Callias ou dans
Socrate : voila le véritable universel, c'est-a-dire l'un dans
le multiple et immanent au multiple; voila l'objet de l'in-
tellect. Aussi exprimerait-on exactement la nature de l'intel-
lect en disant qu'il est le lieu ou le réceptacle dés formes :
'tÓ7tO<; d3c,nil5,
La théorie aristotélicienne de la connaissance s'éloigne

r5. Métaph., V (ó.) , 25, ro23h 24-25 : Sto -to yévo, -toü s,Sou¡; xcxt ¡i.Époi;
),Éys-tcxt, <iAAW<; Se ,,;/¡ sI6o, -toü yÉvou<; ¡J-Épo<;. Cf. RAVAISSON, Essai, t. I, p. 485.
- Anal. Post., I, 3r, 87b 30-33 : To Se xcx6ó),ou xcxt t1t! 1táow ci.Súvcx'tov cx1rr6ci-
vsrr6cxt · ol'., ya.p 'tÓ6s ooSe vüv · oo ycxp &v ,ív xcx6ÓAou · 'to ycxp ci.st xcxl 1tcxv'tcxxoü
xcx6ÓAou <¡>otµev s!vcxt. Ibid. 28-·3 0 : 01'.,Se 6t'cx1rr6r¡rrs•,>c; fo-ttv i1t(rr't0trr60tt. El ya.p
xcxl E<T'ttV -f¡ cxfo0T)rrt<; 'tOÜ 'tOtoüSe xcx! µ1\ 'tOÜ6É 'ttVO<;, O.AA' cx1rr6civsrr6cx( ye <ivcxyxcxfov
'tÓ6s 'tt xcx! ntoü xcx! vüv.
Ibid., II, r9, rooa r6-roob r : Y.OtO yap cx!rr6civs't0tt µev 'tO xcx6' hcxrr'tov, fi 6'
cxfo61\<Tt<; 'tOÜ xcx6ó),ou €<T'ttv, ofov ci.v6pC:mou , ci.).),' oú K,x),),[ou ci.v6pómou. - Ibid. ,
I , 3r, 88a 6 sq. : la connaissance de l'universel (considéré quand a l'extension)
)( est distinguée de la sensation et de l'intellection (vor¡rrewi;), C'est done que cdle-
ci saisit ce qui est élevé a l'universalité, m a is non l'nniversalité comme telle. n
semb!e que l'universalité releve de la raison raisonnante (),óyoi;) qui accom-
pagne toujours la science propremeut <lite (Ibid., II, rg, roob ro). .
Eth. Nicom., VI, r z, rr43b 4-5 : ÉY. 'tWV xcx6'eitot<T'tot ycxp 'tO xcx6ÓAoa. Toú'twv
><, oov lxstv Sat cxfo61\rrtv, cxü-t·I\ 6' fo-tl voüi;. - L'intellect est le co=encement
et la lin : c'est de lui que la démonstration emprunte ses príncipes, c'est a !ui que
les conclusions s'adressent, car elles porteut sur !'individue! : Ibid., 9-rr. Pour
l les príncipes et les con~lusions, il faut accorder de l 'attention aux vieillards : ota.
ycxp 'tO 1:xstv ÉY. 't1\<; é¡i1teipÍot<; oµµcx óp&icrtv op6&ii;. (lbid., L3-r4).
Ibid., ll, 6, rr4ra 3 sq.: Ni la science, ni la prudence, ni l'habileté ne peuvent
LA THÉORIE DE L'INTELLECT D'APRES ARISTOTE II

grandement, comme on voit, du sensualisme avec lequel i1


semble qu'elle débute. I1 n'y a rien de moins nominaliste.
L'intellect saisit tout autre chose que des impressions indi-
viduelles. Cela est indubitable en dépit de ce qu'il y a d'in-
certain et de fl.ottant dans le vocabulaire et peut-etre dans
la pensée d' Aristote. L'intellect se distingue-t-il toujours
pour lui de la pensée discursive, du )..ó1 or; auquel il l'oppose
quelquefois ? Est-ce purement et simplement une faculté
intuitive, ou bien est-ce encore une faculté logique capable
de penser l'universalité comme telle ? Plus d'un passage
nous laisse dans le doute. Par suite, le sens qu'il faut atta-
cher au mot << forme ii reste douteux : car la sigm catlon
de l'intellect et celle de l'intelligible sont corrélatives. Les
formes, dont l'intellect est le réceptacle, sont-elles coni;ues
par lui avec leur universalité, avec leur ex.tension logique,
en un mot comme se retrouvant chez plusieurs individus ?
Ou bien l'intellect se borne-t-il a saisir la forme dans sa
seule compréhension, sans aucune notion de la pluralité des
individus auxquels la forme s'applique ? Quelle que soit la
signification véritable de l'intellect et de l'intelligible dans -i4
Aristote, une chose est claire : c'est que la forme, telle que
l'intellect la re¡;oit, n'est pas telle qu'elle est dans les indi-
vidus qu'elle informe. Quand elle ne résiderait pas dans
l'intellect avec la marque expresse de l'universalité, toujours
est-il qu'elle n'aurait rien d'individuel parce qu'elle serait
per¡;ue dans toute sa pureté, détachée de tout ce qui n' est

etre la source des príncipes ; or, nous n'avons plus qu'une source infaillible de
connaissances outre celles-la, c'est l'intellect : i,d1te'rcxt voüv .Tvcx, ,:wv &pxwv.
(lbid., 7-8).
Anal. post., II, 19, 100b 5-12: Comme les príncipes ne sauraient se démontrer,
car la démonstration et la science supposent quelque chose et ne commencent pas
par la démonstration et la science ; comme, parmi nos facultés, il n'y en a qn'nne,
l'intellect, qui soit plus parfaite (&Y.pt6fo,:epov) et plus véridique (&:),1)6fonpov)
que la science, voü, &v dl) ,:wv cipxwv (1. r2).
De memoria, r, 449b 3r-45oa 5 : voe,v OÚY. fo,:w civw rpcxv,:cicrµcx,:o, · cruµl,cx(va,
-yap ,:/¡ cxÚ'l:O 1tci60, lv ,:e¡; vodv 01tEP. Y.CXL EV ,:e¡; Otcxypcirpuv. hd 'l:E yap oú6ev 1tpocr- '
xpwµevo, "'1' ,:o 1tocrov Giptcrµlvov .Tvcx, ,:o -rp,ywvou, oµw, ypcirpoµev Gipto-µévov ""'"ª
'1:0 1tO<rÓV'Y.cx( Ó VOWV GlQ"CXU'rW<;, Y.CÍV µ1) 1t00"0V YO~, ,:(6€'1:CXl 1tpO oµµct'l:WV 1tOcrÓV, VOE!
o' oúx -~ 1tocróv. - Cf. De anima, III, 8, ,1-32a r2.
Anal. post,, I, II , 77ª 5-8 : E'{o·t\ µev ouv eTvcxt ~ 1/v "' 1tcxpa 'r<X 1tOAl,CX oúx
civciyxl), d &1tóoe,~,, fo,:cxt, eTvcx, µév,:o, ev ""'"ª 1toi,Awv ci),l)6e, d1te!v civciyx·t\.
oú yap fo,:cx, "º xcx6óAou, &v µ·~ ,:oü,:o -~ · lav os ,:i, xcx6ó),ou ¡J-1\ ~. ,:/¡ µfoov oúx
fo,:cx,, ó\cr,:e oú6'&:1tóoet~t, . - De anima, III, 4, 429a 27 : l'intellect est juste-
ment appelé ,:Ó1to, dowv.
12 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

pas elle, en un mot sans matiere16 . C'en est assez pour qu' Aris-
tote soit tres loin du nominalisme et du sensualisme. Nous
allons le voir s'en éloigner de plus en plus.
Le réceptacle des formes doit etre constitué de telle fa<;on
que rien en lui n'altere la pureté des formes qu'il re<;oit.
11 faut qu'il soit sans mélange, comme l'a dit Anaxagore.
I1 ne se mele done pas au corps, car il partagerait les affec-
tions du corps, il deviendrait par exemple chaud ou froid ,
il cesserait d' etre pur. Sans doute 1' exercice de la pensée
peut se ralentir chez l'homme par suite du dépérissement
de quelque organe : mais de meme que 1' reil seul et non
la faculté de voir s'affaiblit dans la vieillesse, de meme,
et a plus forte raison, l'intellect, n 'est pas atteint par les
troubles du corps. En lui-meme, il est impassible. Les autres.
parties de l'ame ne subsistent pas par elles-memes: elles
se distinguent chacune du reste de l'ame par ses fonctions,
mais elles forment un tout qu'on ne peut diviser que logi-
quement et qui est en réalité indivisible. Seul l'intellect
peut se mettre a part, se séparer des autres parties de l'ame
comme l'éternel du périssable, et sans doute leur survivre.
'l ¡
L'intellect est d'un autre ordre que les autres parties de
l'ame, c'est un autre genre d'ame (tJiux'iJi; )'É\10<; hEpo\1) 17 • On
pourrait le prouver en partant non plus de la fonction de
l'intellect, mais des actes de l'animal. En effet, ces actes
consistent toujours dans la production de quelqu'une destrois
especes de mouvement. Or l'accroissement et le décrois-
sement relevent de l'ame végétative ; l'altération - qu'un
vivant comme tel et volontairement peut provoquer autour

16. Voir la n ote précédente. - De anima, III, 7, 431b 7-8 : Aoy(~E't(ltt x(ltt
~ouAEÚE't(ltt ('to VOl)'ttxóv). Il s'agit ici, i1 est vrai, de l'intellect pratique; mais peu
importe, cár c'est de l'intellect pratique également qu'il est surtout question dans
1'Ethiq·ue a Nicomaque, quand le voü, est présenté co=e une faculté intuitive.
- L'intellect «j, Ú1tOA(ltµocivat -/i <Jiux-f¡ (De anima, III, 4, 429a 23) est-il exacte-
ment le meme que celui qui est dn, quatre lignes plus loin, 'tÓ1to, doóív, et sur-
tout que celui qui saisit les indivisibles (Ibid., III, 6, 430a 26) ? Ne semble-t-il
pas que l 'intellect qui saisit les indivisibles, et qui est présenté comme tme espece
del 'intellect en général (ó oe voü, oú mi,, ibid., Ill, 6 430b 27), soit distinct
de celui qui fait les syntheses (Ibid., 430b 5 sq.) ?
De anima, III, 4, 430a 7-8 : oivw yd:p U},~, oúv(lt µt, ó voü, 'tWV 'tOtOÚ'tWV [c'est-
á -dire des concrets].
17. De aiiima, III, 4, 429a 18-27; ibid,, I, 4, 408b 18-29; II, 2, 413b 24-29. -
M etaph., XII (A), 3, 1070a 24-27 : Et oe x,xt Ücr'tapóv 'tt ú1toµÉVEt, crxam:lov · [il
faut rechercher si la forme peut parfois survivre au compasé] l1t'lv(wv yd:p
ov8ev xwi,úat , OLOV EL l) <J,uxi) 'tOtOÚ'tOV, ¡J,1) 1tác,(lt ,i),),' Ó voú, ' 1tác,,xV yd:p <ioÚV,x'tOV
rawc; .
LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE I3

de lui - releve de 1' ame sensitive, et quant au mouvement


local, i1 est clair que l'intellect n'en est pas le principe : car
beaucoup d'animaux se déplacent, mais aucun sauf l'homme
ne possede l'intellect. C'est done que l'intellect n'a pas pour
fonction de produire un mouvement. C'est par conséquent
une ame qui ne fait pas partie de la nature, et elle doit faire,
ainsi que son corrélatif, l'intelligible, l'objet d'une science
distincte de la physique1 8 •
Ce caractere surnaturel rend tres difficile la question de
savoir quand, comment et d'ou l'intellect vient a ceux qui
en participent. I1 faut faire effort cependant pour comprendre
le probleme dans la limite des forces humaines et autant
que cela est possible. -
Dans la génération, l'élément femelle fournit la matiere : 1LA /VI i:i1:..i
il contient en puissance toutes les parties de l'embryon f' PDr.:1A
sauf l'ame. L'ame est apportée par la semence male. , LQ? 8-
Cette semence contient quelque chose d'aqueux qui se
dissout et se dissipe, et d'autre part une matiere chaude
identique a la matiere sidérale, a laquelle la semence
doit sa fécondité. Cependant ce n'est la que le véhicule de
l'ame et ce n'est pas par ce qu'elle contient de corporel
que la semence male agit : e' est par une certaine puissance
u'elle r ferme. Maintenant~st l'etat des ames qu'ap-
porte avec elle la semence ? Y sont-elles toutes formées, y
existent-elles en acte ou seulement en puissance ? Que toutes
préexistent en acte au corps qu'elles vont venir animer,
c'est impossible, car parmi les ames il y en a dont les opé-
rations sont liées au corps. Celles-la ne préexistent pas au
corps car on ne peut marcher sans pieds. C' est done dans
le corps qu'elles se réalisent. Des que l'embryon a une vie
propre et se nourrit, i1 possede en acte l'ame végétative ~

18. De par/. anim., I, 1, 641a 21 sq.: le physicieu doit s'occuper de !'ame, et


méme surtout de !'ame, parce que l'élément forme! c>st plus important que l'élé-
ment matériel. Ibid., 64_ra 32-6,¡1b ro : 'A1t0pf¡ascs 6' ?i.v 'ttc; de; 't:O vüv AE)(6Ev
em6),é<j,c,,;, 1tÓnpov 1tspl 1teía-r¡,; <J,ux-í\, 'ti\<; cpuat><-í\, Éa'tt "º d1tsiv 'r¡ 1tepi 'ttvo,;. El
y,zp 1tep! 1teía-r¡,;, oúos¡.1.(c, ),d1tE'te<t 1te<p<2 '<T\V cpuat><"t¡v Éitta't:f¡µ-r¡v 'f'LAoacpte<. 'O y,zp
vou,; 'tWV vo-~'t:wv. "Qa'tE 1tspl 1tCÍV'twv -1¡ cpuat><T\ yvwatc; &v s't-r¡ · 't-~, y,zp c,Ú't·~,; 1tep!
voüxc,! 'tOÚ vo-r¡'toü 6swpf1ac,t, sfasp 1tpo,; ?i.),),-r¡),c,, ><e<! -1¡ c,Ú'tT\ 6swpte< 'twv 1tp/J,;
?f.),),-r¡),c, 1tCÍV'tWV, xe<6cí1tsp ><e<! 1tsp! e<la6f¡asw,; xe<! 'twv c,lo-6-r¡'twv. 'H oúx Ea'tl 1táae<
i¡ <yU)(T\ J<lVT¡aEW<; <Xp)(l\, oú6s 't<Z µ6pLe< 121tG<V'te<, a),),' e<Ú~T¡UEW<; µev 01tEp J<G<L ÉV 'tOL<;
cpÚ'totc;, <i),Aotwasw,; os 'tO c,ta6-r¡'ttxóv, cpopác; 6' fnpóv 'tt xe<! oú 'to V01j'tt>t6v · Ó1tCÍp)(EL
y,zp -1¡ 'f'OP<Z ""' ÉV É'tÉpotc; 'tWV ~<i>wv, º'""º'" o'oúosvL d-í\AOV oi'.iv wc; oú 1tEp! 1tfo-r¡,
<J,ux-í\, ),Elt'tÉoV . ~VOE y,zp "ªª" <J,ux-~ cpúatc; .•.
14 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

puis l'ame sensitive s'actualise en lui a son tour et fait de


lui un animal. Mais il n'est pas encore un homme, ou du
moins i1 ne l'est qu'en puissance : car l'embryon possede
d'abord en puissance toutes les ames, méme celle qui le
fera homme. Or si les deux premieres sortes d'ames ne peu-
vent préexister au corps qu'elles informent, reste la der-
niere, c'est-a-dire l'intellect, qui est l'homme méme : comme
seuleellen'ariendecommunavecle corps, seule elle peut lui
préexister. Elle est divine et c'est du dehors (6úpo:6Ev) qu'elle
entre dans la semence du male et, avec cette semence, <lans
l'embryon, dont elle fera un homme, quand il sera devenu
un animal19 ..
L'intellect ne se comporte pas et n'apparait pas . dans
le corps de la méme fa<;on que les autres ames : voila ce

:· 19. De gener. anim., II, 3, 736a 24 sq.: si l'on reconnait que la semence male
ne fournit aucune partie du corps de l'embryon, i1 faut se demander ce que de-
vient ce qu'il y a de corporel dans la semence male, car on reconnait que c'est
par une puissance présente en elle qu'elle agit (•f1tEp Épycí1;s-.a.< -r-¡\ 6uvcí1.m 'ti)
i;voúa~ i;v a.v'ttjí, l. 26-27). Mais avant tout i1 faut rechercher ce que l'embryon
tient de la semence male, et voir d'ou vient l 'ame sensitive qui fait de l'embryon
un animal. Le sperme et le germe femelle (<TltÉp¡.ta.'ta. xa.t ><U1)¡.ta.'ta.) vivent comme
des plantes : "º"'' µev ouv 'tl\V 8ps1t't<xi\v l'xoua, <j,u_x1¡v, <¡>a.vepóv ... 1tpo°LÓV'ta. oE xa.t
'tl)V a.1a81)'tLl<1)V 1 ><a.8' ~V 1;,¡iov. Üv yap éiµa. y(VE'ta.L ~'Í'OV ><a.< av8pw-.:o, ov6E S'Í'OV
xa.t t1t1to,, car le propre est ce qui acheve l 'etre et vient en dernier lieu (Ibid.,
736a 35-736b 5). !J.,o xa.t 1tspt voii, 1tÓ-r• xa.t 1tw, µs'ta.),a.µ6cívs, xa.t 1t68sv -ra µ•'tÉ-
xov-ra. 't<XÚ't11, -ri\, cip)!:7\,, EXEL 't'ci1top(a.v 1tAELa't11v, xa.t os, 1tpo8uµsfo8a., ><e<'ta 6úve<-
µw A<XÓE<V ><e<t xa.8'óaov Évoéxs'ta.L. (Ibid., 736b 5-8). Les germes out l'ame nu-
tritive en puissance ; elle s'actualise quand l'embryon g"""' 'tl\V "'Pº'f'l\V ><e<t
1tOLE< 'to 't7\, 'tO<a.Ú't'I), <J,uxii, l'pyov . ll faut maintenant parler ele !'ame sensi-
tive et de l'amt: intellective : 1tcíaa., yap civa.y><e<fov 6uvíµEL 1tpÓ'tspov l'x•w ll¡
Év•pydq;. 'Ava.y><e<<OV O€ l)'tOL µ·~ oUaa., 1tponpov éyy(vsa8e<L 1tCÍae<,, -l\ míae<, 1tpoü1te<p-
xouaa.,, ll¡ "'ª, µev "'ª'6s µ1i , ><<X< éyy(vsa8e<< ll¡ Év 't-¡\ ÜA·,;i µi\ das),8oúae<, év 'ttjí
'tOÍÍ a'.ppsvo, aitÉpµ<X'tL, 1\ i;v8e<Ü't<X µev hd8sv iA8oúae<,, Év óe -rc¡i a'.ppsv, ll¡ 8úpa.8•v
éyywoµÉve<, &1tcíaa., 9¡ µ116sµ(a.v ll¡ -ra, µEv 'ta, 6e µ1¡. "O·n µev 'to(vuv ovx oTóv
-.. 1tcíae<, 1tpoümípx•w, <¡>a.v,póv Éa'tcv É>< 'twv 'tocoú'twv. "Oawv yáp Éa'tLV cipxwv f¡
ÉvipyEL<X aWf1,<X'tl.t1), 671AOV ¡;-., 't(XÚ'ta., <1VEU ª"'fl-<X'tO, ci6úve<'tOV Ú1tcípx•w, ofov
~(X6(1;sw éf.VEU 1t0Swv · <Za'tE ""'' 8úpa.8•v _ Ela<Éva.< cioúv<X'tOV ... Ad1tE't<X( Se 'tOV voüv
µ6vov 8úpa.8•v É1tELa<Éva., xa.t 8dov •ive<< µ6vov · oú8ev yap e<Ú'tou 't'ij Év•py•ia.
xo,vwvd aW¡.t<X't<><l\ ÉvÉpyE<<X . (Ibid., 736b II -29). ' '
Mais quant asa puissance, toute ame est en rapport avec une matiere chaude
qui correspond a celle des astres et qui fait la fécondité de la semence : To Se.
'ti\, yovi\, awµe<, Év <ji auva.1tÉPXE't<X,
xwp,a'tov ov awµa.'to,, Bao,, éµ1tep,),e<µ6ó:vET<X,
"'º a1tlpµa. To -ri\, <J,vxc><i\, cipx_i\,,
"'º "'º
8sfov (ToooÜ'to, 6' fottv ó xa.)-oú-
µe.v
µsvo, voii,), 'to ó' a.x.wp,a'tov, 'tOU'to TO aitÉpµa. T7\, yovi\, o,a.i.ÚET<X, xe<t 1tv•vµa.-
TOU'ta.,, <¡>ÚaLV lxov uypav xa.t Úoa.TWO'I). (Ibid. II, 3, 737ª 7-12) .
I;a matiere ctes astres ou du ciel, l'éther, est, selon A.1:istote, le siegc de la divi-
nité (De caelo, I, 9, 278b 14) ; cf. Zeller, La philosoph-ie des Crees, I' 8 partie, trad.
Boutroux, t. II, p. 403, note 4.
- Le mot 8úpe<6•v n 'a ríen ele mystérieux : Aristotc 1·emp1oie souvent ; i1 dé-
signe le dehors, l'extérieur (voir BSJNITZ, Iiidex arist., s.v. 6úpa.6•v).- Eth. Nic.,
X, 7, II78a 2-3: !J.6~ELE o' civ xa.t Eiv<X• ha.a-ro, 'tOVTO [scil. vou~], .r1tsp TO xúp,ov
xa.t a'.µe,vov.
LA THÉORIE DE L'INTELLECT ~' APRES ARISTOTE IS

que nous venons d'apprendre en regardant se développer


les conséquences de la dé:6.nition de l'intellect comme récep-
tacle des formes. En continuant de regarder, nous allons
acquérir une connaissance moins négative et plus déter-
minée de la nature de l'intellect. Tout ce qui n'est pas un
pur néant est puissance ou acte, et cela a plusieurs degrés.
Envisageons done l'intellec't en nous pla<_;ant au point de
vue de ces différences premieres. L'.embryon, avons-nous dit,
possede d'abord en puissance toutes les ames : il n'y en a
aucune qui ne soit d'abord en lm a e at aesimple possi-
bilité. L'intellect meme n'échappe pas a cette loi ; mais,
a vrai dire, cette simple possibilité n'est rien de lui : c'est
bien plutót quelque chose de _l'embryon, et la preuve c'est
que l'intellect est entré dans ce corps ébauché comme une
chose existant déja par elle-meme. Ne cherchons pas si bas
l'intellect ; i1 est la moins encore que la statue n'est dans
le bloc de marbre, puisqu'il existe déja en dehors de cette
capacité vide 011 il ne s' établira e:ffectivement que plus tard.
Le premier <legré del'intellect est, donné alors seulement que
l'homme existe comme tel, et n'attend plus qu'une occasion
pour saisir un premier intelligible. Qu'est l'intellect a ce
moment ? Quoiqu'il ait déja quelque réalité positive, c'est
encore une puissance. TI n'est en acte rien de déterminé
avant d'avoir pensé : c'est une tablette 011 il n'y a rien
d'écrit. S'il possédait en e:ffet par lui-meme quelque déter-
mination, i1 n'aurait plus cette pureté absolue que réclame
pour lui Anaxagore: i1 altérerait les formes qu'il est destiné
a recevoir. Sa nature de réceptacle veut qu'il n'ait pas par
lui-meme d'autre nature que celle-ci : . etre en puissance les
formes intelligibles20 . Mais quand l'intellect s'est déja exercé,
i1 s'éleve d'un <legré dans l'échelle de la réalité : c'est encore
une puissance, mais d'un autre ordre.
Il y a en effet deux sortes de puissance : l'une est entie- ~o-; PA_S
rement vide et passive, c'est celle de l'ignorant par rapport 'f r,:,
1 f r-
ala science ; l'autre contient en elle-meme un principe d'ac-
tualité : c'est celle du savant par rapport a la science. L'igno-
rant recevra la science si on la lui communique ; le savant
la possede déja et il n'a plus, pour l'actualiser en lui tout

zo. De anima, III, 4, 429a 18 ; 429b 30 sq.


16 LA THÉORI.E DE L'INT.ELL.ECT D' APRES ARISTOT.E

a fait, qu'a la prendre pour l'objet présent et effectif de sa


pensée. Ici la capacité de penser scientifiquement et le pou-
voir actif de la réaliser sont enveloppés tous les deux : le
patient et l'agent sont ensemble. Aussi la puissance active
passe-t-elle a l'acte d'elle-meme des que rien ne l'en em-
peche. L'intellect qui s'est déja exercé peut, quand nous
voulons, se livrer a l'intellection. L'intelligible a été intro-
duit en lui par le premier acte de pensée ; l'intellect pos-
sede son objet et il en peut user sans avoir besoin pour cela
du concours des circonstances extérieures. On ne sent pas
quand on veut, mais une fois qu'on a déja pensé, on pense
quand on veut21.
Lorsqu'il est constitué, l'intellect est done une puissance
du degré supérieur. Mais ce qu'il y a en lui d'actuel, c'est
l'intelligible. Par lui-meme, dépouillé de ce qui lui vient de
son objet, l'intellect n'est qu'une puissance du degré infé-
rieur. Et meme apres qu'il s'est constitué au contact de
son objet, c'est de lui encore qu'il re<;oit la pleine actualité:
car l'intellect constitué est, dans l'échelle de la réalité, au
meme niveau que la sensibilité qui ne s'est pas encore exer-
cée, et il est a l'intelligible comme la sensibilité au sensible22 .
La pensée se résout dans les pensées dont son contenu se
compose, et a leur tour les pensées se résolvent dans les

2r. De anima, III, 4, 429b 5; cf. ibid., II, I, 412a 22. - Phys., VIII, 4, 255a,
33 sq. : "Ecr"tt OE ouvcíµE t anw, ó µotv8cív1>1v ÉmcrT~µwv ll<Xt ó •xwv i\01) xotl µ-l\
8swpwv. 'Ad o', OT<XV élµot TO 7t0t1\TtXOV xotl TO 7tot61)nxov w<i-,, y/vs-rott ÉvioTE [cet
ÉvioTE absent de quelques manuscrits d'apres Alexandre, est un peu bizarre et
contesté ; Simplicius le défend par de bonnes raisons: il ne suffit pas que l'agent
et le patient soient ensemble pour que l'acte se produise : il faut que l'agent soit
lui-meme completement actuel et qu'il ne rencontre pas d'obstacles ; en outre,
des qu'il ne s'agit plus d'actes purement corporels, il ne suffit pas que l'agent et
le patient soient ensemble, il faut encore la volonté et le loisir d'agir] Évspysiq. TO
6uvotT6v, oTov TO µav6cívov h ouvcíµs, ov-ro, g-rspov yivsTott ouvcíµs, [en apprenant,
on passe a une a ulre sorte de puissance.]. 'O ya:p fxwv É1tta~µ1\v µ·r, 6swpwv os
ovvcíµe, É<rTLV E7ttcrr~µwv 1tW<;, ex).).' ovx W<; xotl 1tp!v µot6ELV. "OTotV o' oÜ"tW<; •x-r;i,
Écxv Tt µl\ xwAú-r;¡, Évepyd xotl 6swpsr. ·
De anima, II, 5, 4r7b r6 sq. : la sensibilité qu'on apporte en naissant est une
puissance du meme degré que la science ; l'acte de la sensibilité est a la sensibi-
!ité native comme la contemplation est a la science. Mais entre la contemplation
et la sensation actuelle, il y a une différence : o,aq,Éps, oÉ, lh, Toü µev [scil. ToÜ
a,cr8cívscr6a,] T<X 1tot1)nxoi -r·~,; Évspyda, 1'~w6sv, To ópotTOV xotl To <ixoucr-r6v, óµoiw,
BE. xc:d -rct Aot1t<X. -rWv «lcr61)-rWv. Al''t'tov 01 éht -rWv xcx8'Ex.cxcr-rov T\ xa-r' Evlpyc.,av
otLcr61)crt<;, -1¡ o'émO-Tl)µ"I) TWV xot66).ov · T<XÜ-rot o'ev <XVT~ 1t<il<; Éa-n ·di <J,uxíj. Áto
11
1
voi\crcu µ.Ev E1t a:Ú-r4}, ó1tÓ-re.tv ~oúA·1¡·tcXt, cda-6ó:vEcr8cu 0 oVx E1t'cxú-r~1• · <ivetyxcxlov
ya:p Ó1tcxpxs,v -ro otia61)-r6v.
22. Voyez le dtrnier texte cité dans la note précédente. -De anima, III, 4,
429a r7-18: ... &a-mp TO oticr81)-rtlt0'/ 1tpo, T<X otta-81)TCÍ, oÜTW TOV voiív 1tpo, -ro: V01\TCX,
LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE 17

objets sur lesquels elles portent : l'acte est antérieur a la


faculté et les objets sont antérieurs aux actes qu'ils pro-
voquent23. Toute connaissance consiste a s'identifier avec
l'objet, ou du moins avec la forme de l'objet ; de sorte que,
lorsque l'objet est comme l'intelligible une pure forme, il
est vrai a la rigueur que connaitre e' est devenir la chose
connue2 4 •
Au reste, l'action de l'objet sur la pensée n'est possible
que grace a une communauté de nature entre les deux choses.
Si la sensation meme n'est pas a proprement parler une
altération, c'est-a-dire un mouvement par lequel l'etre sen-
tant recevrait une forme étrangere a sa nature, a plus forte
raison l'intellection n'apporte-t-elle a l'etre intelligent rien
qui lui soit hétérogene. L'etre intelligent, plus encore que
l'~tre sentant, est impassible en face de l'objet : l'intellec-
tion n'est qu'un achevement de sa nature propre ; il était
l'intelligible, et envahi par lui, i1 se retrouve et se reconnait
en lui. Sans done que cela entraine pour l'intellect l'exer-
cice sur lui d'une action proptement extérieure, l'intellect
n'est pas autre chose que l'intelligible en puissance, et l'in-
tellect en acte, c'est l'intelligible meme2 5 •
Si l'intellect et l'intelligible pouvaient etre assimilés sans
réserve a la sensibilité et au sensible, l'intellection, au point
ou nous en sommes, serait completement expliquée. Le
sensible actualise la sensibilité ; de meme, disions-nous, l'in-
telligible actualise l'intellect. Mais l'intelligible n'a pas comme
le sensible une existence a part ; i1 a une existence réelle,
mais non indépendante : il existe, mais dans les choses sen-
sibles, i1 est engagé dans la matiere : c'est une puissance

23. De anima, I, 3, 407a 7: fi lie: v67lO-<<; -.a vo~µ ,x-ro:. lbid., II, 4, 415a 16: pour
savoir ce que sont les facu!tés de ! 'ame, par exemple 1'intellect et la sensibilité,
i1 faut d'abord savoir ce que c'est que penser ou sentir : '1tp6-.apo:, y<ip do-, -.wv
ouv<iµawv o:1 é.vÉpya,o:, xo:t o:1 'ltp:i~E<<; xo:-.a -rov ).6yov. Ei o' o{hw,; , -r01hwv o' ~"''
'1tp6-rapo: -.ex <ivnxdµavo: [les obi <;.ts] oar -ra6awpl\xÉvo:,, 'ltapt é.xaivwv 'ltpw-.ov iiv olo,
owpfoo:, °'ª 'íl\V o:Ú-rl)v o:1T{o:v, o!ov 'ltEpt -rpoqri\,; xo:t o:lo-67\-rou xo:t vo7l-.0U. - Cf.
Categ., 7, 7b 22 sq.
24. De anima, III, 5, 430a 19-20; ibid., 8, 431b 20-21 ; ibid., 4, 430a 3-5 .
25. De anima, III, 4, 429a 13 ; 429b 22 -31 ; ibid., II, 5, 417b 2 sq.: deux sortes
de passion : !'une implique une destruction dans le patient par l'action d'un con-
traire ; l'autre implique le maintien et l'actualisation de ce qui était dans le pa-
tient, cela grace a l'action de quelque chose d'actuel qui est homogene au patient.
!} fY a pas, a pr<;>prement parler d'altération dans ce dernier cas : d,; o:ú-ro yap -i¡
Emooo-t<; ""'' Et<; EnEA€XE<O:V .
18 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

qu'il faut d'abord actualiser. Ni les sensations, ni les images


qu'elles laissent apres elles, ne sont des pensées : ce ne sont
que des possibilités de pensées2 6 • D'ou leur viendra l'actua-
lité ? Elle leur viendra de l'intellect ; car si, en un sens,
' c'est l'intelligible qui actualise l'intellect, en un autre sens,
c'est l'intellect qui actualise l'intelligible. Cela n'est pas
contradictoire parce qu'il faut distinguer deux intellects.
Celui dont nous avons parlé jusqu'ici, c'est celui qui devient
les intelligibles. Or i1 y en a un autre qui ne devient pas,
mais qui fait : car dans l'intellect, comme dans la nature.
on doit trouver la distinction de l'agent et du patient. Cet
intellect qui agit est a l'intelligible en puissance ce que la
lumiere est a la couleur en puissanée : la lumiere, en un
sens, réalise les couleurs, car elle est l'acte du diaphane, et
sans le diaphane en acte les couleurs ne seraient pas vues,
c'est-a-dire qu'elles resteraient en puissance par rapport a
la vision. Pareillement la partie active de l'intellect rend
pensables les intelligibles qui sont au fond du sensible. Elle
ne les crée pas absolument, pas plus que la lumiere ne crée
les couleurs : car les choses qui ont de la matiere, les objets
qui composent le monde sensible, sont intelligibles sans
etre des intellects : de sorte que la pensée active n'est point
la source de l'intelligibilité, mais seulement le milieu favo -
rable qui la fait apercevoir. En éclairant, elle sépare, elle
distingue ; dans la chose concrete elle fait apercevoir la
quiddité : dans l'étendue par exemple, la spatialité, dans
le camus, la courbure. Tout ce qui est matiere dans les choses,
par exemple la chair du nez ou réside le camus, se trouve
mis a part et éloigné. La notion, l'essence pure de la chose
apparait seule27.
On voit en quel sens il faut dire qu'il y a un intellect qui
e~~ fait les intelligibles : il n'ajoute rien aux choses ; bien loin
de les dénaturer, il nous les fait connaítre avecplus de vé-
r'ité que les autres procédés de la connaissance. Cár, puis-
'1/: qu'il nous fait saisir la quiddité, il nous fait connaitre le
réel et le nécessaíre.
Les choses, en effet, sont ce qu'elles sont par leur quid-

26. D e anima, III, 4, 430a 6-7. Cf. i bid., 8, 432a 3 sq .


27. D e anima, III, 8, 432a 8 ; ibid., 5, 430a 10 sq. ; i bid., 4 , 42gb 6 sq . ; i bid.,
4, 42 gb r o sq. ; cf. 7, 43rb 12 sq. - V~y ez ci-dessous note 42 .
LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE r9

dité. I1 est vrai qu' en chaque genre il y a deux contraires :


mais c'est seulement a l'un des deux qu'appartient propre-
ment la quiddité ; l'autre n'est ríen de positif, il n'est que
la privation du premier et c'est par celui-ci seul qu'il est
connu : par exemple, le mal n'est connu que par le bien.
L'acte et la quiddité sont la meme chose : le reste est ma-
tiere et puissance. La connaissance de la quiddité et celle
du réel ne font qu'un. Pareillement, connaitre la quiddité,
c'est connaitre le nécessaire. En e:ffet, une forme, un acte,
n'est pas une juxtaposition de parties séparées, c'est un
lien et une raison d'unité; en d'autres termes, c'est le simple
ou indivisible. Or le simple est le nécessaire par excellence,
puisque le simple ne peut pas avoir plusieurs manieres
d'etre; et meme, a titre de point de départ de la démons-
tration, il est la source de la nécessité dérivée ou scienti-
:6.que qui fait la synthese d'un sujet et d'un attribut, de
sorte qu'en un sens l'intellect est le príncipe des syntheses.
Mais son objet propre est le nécessaire absolu, le simple,
qu' on saisit ou ne saisit pas, mais sur lequel on ne saurait
se tromper quand on le saisit, puisqu'il n'implique ni divi-
sion ni synthese, ni négation ni affirmation, mais tombe
uniquement sous uneintuition indivisible comme lui 28 • Tout

28. ll!létaph., XI (K), 3, 1061a n-13: Toutes les oppositions se ramenent a l'op-
position fondamentale de l'étre et du non-étre : TWV 1.vrxv-r,w,nwv txáo-T"Y) 1tpo,
TIX, 7<PWT1Xs o,rxcpopix, xrxl l.vrxvnwcrg,, civrxx6·~o-ETIXI TOV OVTO, ... ).ÉyETIXI o' exrxo--rov
rxú-rwv [scil. 'l"WV l.vrxv,¡-/wv] ltlX'l"IX o--rép"Y)O-lV. (lbid., 19-20). - Cf. RAVAISS0N, Essai,
t. I, p. 360.
]bid., XIV (N), 4, 1092a 3-5 : Krxl d Ó,o-mp É).ÉyoµEv on "í\ VA"Y\ l.o--rt TO ovváµ<t
~XIXO"'l"OV, oTov 7<Vpo, 'l"OV Évopyoiq. -ro ovváµEt 7<Vp, TO ltlXltOV fo-rrxt rxÚ-ro TO ovvá¡n,
11.yrx66v.
lbid., III (B), 2, 99§b 14-16 : Ilo).).rxxw, yixp l.mo-Trxµévwv !º rxÚTo µ<i).).ov µev
EloÉvrx, cprxµev Tov TO E,vrx, yvwp/~ovTrx Ti To 1<p<iyµrx 11 TW µ1) E,vrx,. - De anima,
III, 6, 430b 20 sq. '
,.Métaph., VIII (H), 6, 1045a 8-10: 1<áv-rwv yixp ocrrx 1<Ao/w µép"Y) EJ(« xrxl µ-f\ i.crT<V
oiov o-wpo, TO 1<<iv ci).).' fon Tt TO o).ov 1<rxp12 TIX µ6p,rx, E<TT< n rxhtov. [quelque
cause d'u11ité : la suite dit que c'est la forme]. Cf. ibid., VII (Z), 17, 1041b II sq.
lbid., XII (A), 7, 1072a 33-34: la simplicité est une fa.c;on d'etre : TO lle á1<).oüv
1tw, fxov rxÚT6 [a savoir l'actualité]. - lbid., IX (0), ro, 1051b 17 sq. : Qu'est-
ce que le vrai et le faux quant aux choses non composées ? La vérité ne p eut pas
consister a aflirmer correctement sur leur composiiion , ni l 'erreur il faire le con-
traire, puisqu'elles ne sont pas composéés, ci).).' fon TO µev ci)."Y)6e, -ro os <j,Eiloo,,
To µev 6,yEiv xrxl cpávrx, ci).-r,6É,, (oú yixp ,rxú-ro xrxTácprxcr,, [l'affirmation] xrxl cpácr,,
[la simple énonciation]), TO o'ciy,,odv µ·~ 6,yyáv«v · <i1<rx-r"Y)6'i\vrx, yixp 1<Epl 'l"o Ti
fonv oúx fo-rtv ii).).' 11 xrxTIX cruµ6Ell"Y)x6, (lbid., l. 23 -26; cf. ibid., 1. 15).
M étaph., V (t.), 5, 1015b n-13 : "Qu-rE TO 1<pwTov xrxl xvp/w, clvrxyrxfov 'l"O
á1<).oilv l.unv · TOV'l"O yixp oúx l.voÉJ(ETIXt 1<).o0vrxxw, EJ(<tv. - De anima, III, 6,
430a 26 sq. ; 430b 26 sq. ; ibid., 430b 5. Sur la mutabilité inhérente á. tout ce
qui a de la matiere et peut, par conséquent, étre un contraire ou l'autre),r
Métaph., IX (0), 9, 1051a 4 sq.
20 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

1
le role de la partie active de l'intellect est de rendre pos-
sible cette intuition.
11 Mais ce n'est pas assez de savoir ce que fait cette partie
active, il faut savoir ce qu'elle est : car c'est seulement en
nous rendant compte de sa nature que nous serons défini-
tivement fixés sur la situation respective de l'intellect et
de l'intelligible. Qu'est-ce done que l'intellect qui agit ?
C'est un intellect déja actuel et qui l'est nécessairement
parce que son essence est l'acte. L'intellection n'est pas en
lui intermitter¡_te, mais continue, et si la continuité nous
en échappe, c'est qu'une telle pensée, absolument incorpo-
relle, ne peut laisser aucune de ces traces qui constituent
la mémoire : seul l'intellect qui n 'est pas impassible et qui
est quelque chose de commun a l'intellect pur et au sujet
animé comporte le souvenir et la pensée discursive. La
partie active de l'intellect, au contraire, n'est ce qu'elle est
/ que séparée de tout ce qui est corporel, et c'est a elle seule
, qu'appartient l'immortalité, ou mieux l'éternité, puisqu'elle
/ est un acte par essence et ne saurait par conséquent ni com-
mencer, ni cesser d'etre 29 • La question de savoir quel est le
princi pe qui actualise 1' intellect en puissance n' est d' ailleurs
pas d'un genre a part : elle est, en un sens, du meme ordre
que celles-ci : qu'est-ce qui actualise le chaud ou toute autre
qualité en puissance ? Qu'est-ce qui actualise le dernier des
moteurs naturels ? Ce qui actualise le chaud en puissance,
c'est le chaud déja acttiel, et le dernier des moteurs qui donne
l'acte a tous les autres, c'est celui qui, par essence, est en
acte. C'est toujours l'acte qµi est en soi le premier, et a
toute question d'origine derniere on répond en posant l'acte
qui est tel par essence 30 • •
Puisque ce procédé est constant dans Aristote, il ne faut
pas s'étonner de le voir employé a propos de l'intellect.
Mais la réponse qu'il fournit ici n'est qu'une partie de celle

29. De anima, III, 5, 430a 15-24 ; ibid., 4, 430a 5 ; ibid., I, 4, 408b 25-30: To oe:
füavosfo0ix, xa! q,<AELv -~ µ,crdv oúx fo.tv sxs/vou [scil. -rou vodv] 'ltÓ:01\, ciHci •rouol
Tou i:xov-roc; hs!vo, -~ hdvo l'xst. Ll.,o xa! '<oú-rou q,0s,poµiivou ou.e µvl\µovsús, ou,s
<¡?<AEL · oú ycip éxdvou l\V, ciAl,cx 't'OU xo,vou, li CX'lt6AWAEV · ó OE vouc; fowc; 6s,6,sp6v
Tt xa! ci'lta0iic; Écr.tv.
30. Phys,, VIII, 4, 255a 23 : 't'O Évspyd'f 0spµov XtVl\TtXOV TOU ouvó:µs, 6spµou.
- Sur la priorité de l'acte, voyez Métaph,, XII (A), 6, 1071b 19 sq. ; cf. ibid.,
7, 1072b 35 sq. De anima, III, 5, 430a 20-21.

¡1
LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE 21

qu'on attend et peut-étre méme de celle que donne Aris-


tote en réalité. L'intellect n'étant que l'intelligible en puis-
sance, il n'y a pas lieu de distinguer entre eux au point
de vue de l'essence : ils ont tous les deux la méme. Done,
quand Aristote nous dit que l'intellect est actualisé par
l'intelligible, et ensuite que l'intelligible est actualisé par
l'intellect, ces deux réponses sont di:fférentes au point de
vue du devenir ou de l'histoire31 , car la premiere assigne le
moteur immédiat de l'intellect, l'autre le moteur initial :
mais elles ne di:fferent pas au point de vue logique puisque
l'intellect en acte et l'intelligible en acte sont la méme chose.
L'intellect en puissance est actualisé par l'intellect en acte ;
l'intelligible en puissance est actualisé par l'intelligible en
acte : ce sont la deux propositions qui ne di:fferent que dans
les termes. Voila, ce semble, la doctrine d' Aristote dans sa
rigueur littérale.
Mais ce .qu'on tiendrait précisément le plus a éclaircir,
c'est l'identité de l'intellect et de l'intelligible. Signi:fie-t-elle
que les deux termes sont équivalents et paralleles, ou bien
que l'un des deux n'est que la doublure ou le refl.et de l'au-
tre ; ou bien enfin ces questions sont-elles illégitimes, et
faut-il accepter l'identité de l'intellect et de l'intelligible
comme une these derniere au-dela de laquelle il serait dé-
raisonnable de vouloir remonter ?
A ces questions capitales si nous ne trouvons pas de ré-
ponses expresses chez Aristote, il semble du moins que nous
en trouvions d'implicites. La formule célebre qui fait de
la pensée l'objet méme de la pensée et le raisonnement dont
cette formule est la conclusion, paraissent attribuer a l'in-
tellect la supériorité sur l'intelligible. Si l'intellect, dit Aris-
tote, pense autre chose que soi, alors c'est . cet intelligible
qui est le plus excellent de tous les étres ; pour que l'intel-
lect obtienne le premier rang, i1 faut qu'il n'ait pas d'autre
objet que lui-méme : la pensée est done la pensée de la pen-
sée. Mais en premier lieu, il faut prendre parti sur le sens
de cette formule qui, en elle-méme, en comporte plusieurs.

3r. Cette distinction, qui n'est que celle de la cause formelle et de la sause
motrice, est exprimée a ussi par Aristote á l'aide des termes y{vsu6a, et Elvat :
MétaPh., VII, (Z) , r7, ro4ra 31-32 : 'AA).o: "'º µisv
6a, ½'1\'t"EL'l:at xa! <p6e{pecr6a,, 6ó"rspov lle. xod l,t! ,:ov
'r}HOV'rov atnov l,t! 't'OV y(vEcr-
slvat.
4
22 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

N' oublions pas que la pensée se résout dans les pensées


qui la constituent : -~ vó'l)cni; "ª
vo~¡J.cxw. ou, pour éviter d'in;-
troduire ici la pluralité, ~ VÓ'l)a-ti; "º
VÓ'IJ[J,cx ; il n'y a pas de
substance pensante sans la pensée, par conséquent comment
mettre un sujeten face de l'objet ? Le vÓ'IJfl·ª n'a pas d'autre
sujet que la VÓ'l)a-ti; et la vó'l)a-ti; pas d'autre objet que le
\;, vó'l)µcx : il n'y a que des idées ou plutótiln'y a qu'une idée.
L'intellect en puissance n'est pas autre chose que le récep-
tacle des formes, ou mieux, pas autre chose que les formes
en puissance : l'intellect tout en acte est la forme meme.
Voila, semble-t~il, la- signí:fi.catfon de la lormule : ~ vó~a-ti;-
vo~a-e:(J)i; VÓ'l)a-ti; .
Maintenant, quand on ne l'entendrait pas ainsi, il y a
d'autres propositions expresses dont il faut bien tenir compte.
Nous avons vu que l'intelligibilité des choses ne leur vient
pas de ce qu'elles seraient des intelligences. C'est done que
l'intellect n'est pas la source de l'intelligibilité, et c'est pré-
cisément ce dont Aristote convient quandil dit que si l'in-
tellect se pense, c'est qu'il a été rendu intelligible par son
contact avec l'intelligible, et que l'intelligible est le moteur
de l'intellect 32 • Voila done la supériorité qui passe a l'intel-
ligible. Est-ce fa le dernier mot du systeme, ou ne faut-il
pas plutót le chercher dans la conciliation du sujet et de
l'objet? Cela dépend de la maniere dont on croit qu'Aris-
tote a corn;u cette conciliation. A la vérité deux choses sont
indéniables : la premiere, c'est qu'en refusant a l'intelli-
gible toute actualité en dehors de l'entendement, tout en
continuant d'en faire le véritable fond des etres, Aristote
se mettait dans l'obligation d'attacher a l'intelligible un in-
tellect qui lui permit d'etre actuel; l'autre c'est que, d'apres.

32. Métaph ., XII (A), 9, 1074b 33-35 : Aótl,v ií.pa. vos• w,tsp Ecr'tt TO xpáT,crTov,.
xa.t fo,¡-,v f¡ v61)o-,, vo~crsw, v61)crt,. Les \nots (ibid., 20-zr) : o,cx ycxp TOV vosrv
,¡-{µrnv a.1h.¡i Ó1t<ipxs, signifrcnt seulemeut, comme le prouve le contexte (ibid.,
"'º'
"'º
17-r8 : Ef'ts ycxp µ1\0Ev vosr, "'' av Et'I\ crsµv6v, &)J.' •xs, wcr1tsp civ d ó xa.Osúowv)
que L'intellect tire sa valeur de son exercice méme et qu'il perdrait tout son pdx
s'il restait inactif. Le t exte suivant de la Grande M orale (II, II, rzrob 8-9) est
seul formel dans le sens a nti-idéaliste ; mais il vient au milieu ele la théo rie de
l'amitié, et d'aillems la Grande Morale n 'est pas une autorité : "En ói;: ~ÉA'ttov·
TO yvwp{~m 11¡ "'º yvwp/~scr0a.t.
Métaph,, Xfl (AJ, 7, 1072b 20- 22 : Aó'toV ÓE vod Ó voü, XO:'t<X fl,S't<XA'l\<J,tv 'tOÜ
VO'l\'tOV · vo1)To, ycxp y/yvsTa.t 0,yy<ivwv xo:t vowv , wcrn T<>.ÚTov voíl, xa.t vo1)T6v .
To ycxp OEX'ttXOV 'tOV VO'l\'tOÜ xa. t 't-~- oúo-/a., voíl ,. - ]bid., 1072a 30 : Nov, ÓE.
Ú1tÓ -roV voT1-roV x tvd-rcx t.

~
LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE 23

les déclarations expresses d' Aristote, l'intelligible et l'in-


tellect sont_ fterne]J_ement unis. Ce sont la des signes non
équivoques d'une tendance a concilier les deux termes sans
les confondre.
·Mais quant au premier point, il ne marque pas une rup-
ture absolue avec l'idéalisme platonicien et peut meme etre
facilement tourné dans le sens idéaliste, puisque si toute
action et meme toute réalité appartiennent a l'intelligible,
l'intelligible se créera par lui-meme, sans aucun secours
extérieur, un intellect pour s'y regarder et c'est ainsi que
chez Platon meme les idées sont bien pres d' etre des intel-
ligences33. Quant au second point, l'union éternelle de l'in-
tellect et de l'intelligible, toute constante qu'elle soit, n'est
qu'une union de fait. On ne saurait concevoir un instant
ou l'intellect ait commencé de s'identifier avec l'intelligible.
Cela est clair, la question est de savoir ce qu'il faut en con-
dure. Cette union de fait empeche-t-elle la différence essen-
tielle ou logique des deux termes ? Si elle ne l'empeche pas,
nous n'avons qu'une simple juxtaposition et alors le dernier
mcit du systeme n'est pas sans doute la synthese inexpliquée
de l'intellect et de l'intelligible.
0n ne pourrait l'y voir que dans deux hypotheses. La
premiere serait qu'Aristote fidele jusqu'au bout a l'em-
pirisme partiel qui lui a inspiré sa doctrine des genres
irréductibles de l'etre et de l'inexplicabilité de la forme
en elle-meme34 , aurait regardé comme illégitime toute
tentative de réduire l'une a l'autre l'essence de l'in-
tellect et celle de l'intelligible. Mais l'affirmation sans ré-
serve et souvent répétée de l'identité des deux choses ne
nous permet pas de prendre au sérieux cette hypothese.
L' autre serait qu' Aristote, dépassant le point de vue logique,
aurait proclamé l'union de fait de l'intellect et de l'intelli-

33. PLAT0N, Sophiste, 248• : on ne peut r efuser a l 'etre véritable ÍT<Í' 1tctVTEAiÍl<;
ovn) l'auguste et sainte intelligence. 1-
Républiqite, VI, 508• : l'idée du Bien est la source a la fois de l'intelligible et
de l 'intelligence. Voir ZELLER, Plato and the Older Academy, transl. from the ger-
man by Alleyne and Goodwin, r888, p. 262 sq.
34. Metaph ., VII (Z}, 8, 1033b 5 sq . ; ibid., VIII (H), 3, 1043b r6-17: liéilrntTct<
lit ""' OE07\AWTC<t i:v ana,i; OTt TO Eioai; au8di; 7tO<E< OUOE yevvii,. - lbid., XII
(A), 3, 106gb ~5 : 1ª matiere et la forme ne sont pas engendrées ; 1070a 2-4 :
füi; dim,pov o1iv El ,nv , ei ¡,.·~ 1¡,.6vov ó xixhoi; y/yvETctt <rTpoyyú)-o,; <iAAot xe<l To
cap6yy1JAOV f¡ ó xáhoi; · <iváyx11 o-)¡ <r-rí\vct<.
24 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

gible antérieure et supérieure a leur différence formelle. I1


faudrait alors considérer les choses dans leur devenir avant
de les considérer dans leur notion : le réel serait en soi le
premier et cela absolument, le possible lui serait postérieur.
Ce serait en vertu d'une illusion de la pensée logique que
nous croirions obligatoire et possible de nous demander si
c'est l'intelligible qui a fait l'intellect ou si c'est le contraire.
Mais dans cette hypothese, on prend en réalité partí contre
la premiere alternative : on fait de l'intelligible une création
de l'intellect, ou plutót on fait la volonté antérieure a l'en-
tendement. C'est un empirisme transcendant, tres profond .
peut-etre, mais qu'on hésitera toujours a reconnaitre chez
un anden. Aristote n'a point eu tant d'horreur de l'idéa-
lisme, et si la synthese inexpliquée de l'intelligible et de
l'intellect est posée par lui au début de tout, ce n'est ni
en vertu d'une condamnation portée a bon escient contre
toute tentative de réduction de l'un des deux termes a
l'autre, ni par suite d'une subordination non seulement de
fait mais encore de droit de la logique a l'histoire. L' &vrxyxr¡
o-·t"'ijva;t est plutót ici l'expression d'un besoin de repos. Aussi
Aristote a-t-il laissé le champ libre aux tendances idéalistes,
et il l'a fait sans regret ou meme avec une secrete complai-
sance : ca,r seules elles pouvaient rencontrer, sans sortir des
limites de la pensée antique, l'unité a laquelle il aspire.
Si la théorie aristotélicienne de l'intellect obéit dans !'en-
semble a une direction constante, comme nous avons essayé
de l'indiquer, i1 ne faut pas oublier qu'elle hésite de temps
en temps sur la route a suivre, et qu'elle fait naitre par
la bien des questions. En plus d'un endroit d'ailleurs, Aris-
tote montre qu'il apen;oit ces incertitudes, car i1 accom-
pagne ses assertions sur l'intellect de formules de restric-
tion et de doute. I1 suffit de rappeler deux passages carac-
téristiques. Dans le traité De la génération des animaux,
quand Aristote commence son développement sur la genese
des ames qui condura par l'affirmation la plus nette de la
transcendance et de la divinité de l'intellect, i1 déclare qu'il
ne faut pas attendre une explication irréprochable de l'ori-
gine de cette ame supérieure, car une pareille question peut
se traiter seulement dans les limites des forces humaines
et dans la mesure du possible.
Dans le deuxieme livre du De anima ou il fait de l'in-

....
-
LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE 25

tellect un autre genre d'ame, cette assertion si impor-


tante est introduite comme une simple vraisemblance,
et elle succede a cet aveu que « la lumiere n'est pas
encore faite sur l'intellect et la puissance théorétiqueas ».
Comment etre surpris a pres cela qu' Aristote laisse nom-
bre de points a éclaircir ?
Tout d'abord on ne sait pas exactement cambien de divi-
sions il faut admettre dans l'intellect : y a-t-il seulement
deux intellects : l'intellect en puissance qui devient et l'in-
tellect qui fait ? Ou bien de l'intellect en puissance qui est
déclaré sans mélange et impassible, faut-il distinguer un
intellect passible participant du corps, et faut-il admettre,
outre l'intellect qui fait, un autre intellect résultant de l'ac-
tion de celui-ci sur l'intellect en puissance? Nous aurion1>
alors quatre intellects. Mais on devrait peut-etre en compter
un cinquieme dont le nom véritableserait AÓ"(o<,;, et qui aurait
pour fonction de donner de l'universalité aux intuitions du
-;oü<,; proprement dit, et de réunir dans une notion plus
haute deux notions prises l'une comme attribut et l'autre
comme sujet ?as.
En second lieu on peut se demander si l'intellect en puis-
sance est ou non la meme chose que l'imagination. Comme
les formes sensibles sont en puissance les formes intelligi-
bles, et comme l'image, ou sensation affaiblie, est une forme
sensible, il semble que l'imagination et l'intellect en puis-
sance doivent ne faire qu'un. Mais d'autre part l'imagina-
tion est liée au corps, tandis que l'intellect en puissance est
sans mélange et sans organea7.
L'incertitude qui regne sur ce point entrame une autre
incertitude, c'est celle de savoir si l'immortalité appartient
a l'intellect en puissance ou seulement a l'intellect qui agit.
Si l'intellect en puissance est indépendant du corps et dis-

35. Voir ci-dessus note 19. - De anima, II, 2, 413b 24-26 : Ilepl ok -roií voií
xa;t -rT¡,; 8ewp1)nxT¡,; ovvcxµew,; ovoiv 'ltW qia;vepbv, &n' liotXE <J,vxií, ylvo,; g-.epov
tTvoa.
· 36. Sur la pureté et l'impassibilité du voií,; ovvcxµet : De anima, III, 4, 429a 18.
- Sur l'intellect passif participant du corps voyez i::i-dessus note 29, et cf. De
anima, III, 5, 430a 23-25. - Sur l'intellect devenu capable de penser par Jui-
meme d distinct de l'intellect tout en acte et de l 'intellect en puissance, De ani-
ma, III, 4, 429b 5 sq. - Sur le ">.b-yo,;, voyez ci-dessus notes 15 et 16.
37. Voir la note précédente. - Sur J'imagination voir note 9. - Sur les formes (
sensibles co=e étant en puissance intelligibles, De anima, III, 4, 430a 6-7, et 8, '<
432a 3 sq.
26 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D; APRES ARISTOTE

tinct de l'imagination, il semble qu'il pourra, apres la mort,


continuer d'etre actualisé par l'intellect qui agit, et alors
l'intellect actualisé serait immortel. Mais quoique le carac-
tere incorporel de l'intellect en puissance soit affirmé éner-
giquement, il est dit ailleurs que seul l'intellect qui agit
est immortel38.
Une question voisine de la précédente, ou plutót qui n'est
que la précédente reprise plus profondément, c'est de savoir
lequel de l'intellect en puissance et de l'intellect qui agit
est transcendant, et si la transcendance appartient réelle-
ment a l'intellect. En faveur de la transcendance de l'in-
tellect en puissance on peut all~guer sa pureté et son im-
passibilité' : mais on peut objecter que l'intellect qui agit
est représenté comme possédant seul 1' éternité ou 1' exis-
tence indépendante. I1 semble que l'une au moins des par-
ties de l'intellect doive posséder la transcendance, quand
on songe a l'insistance avec laquelle l'intellect est distingué
du corps et des autres parties de l'ame. Mais on est entrainé
vers une opinion toute contraire quand on se rappelle
qu' Aristote parait compter l'intellect qui agit au nombre
des facultés propres de l'ame, qu'il déclare inséparable du
corps non seulement toute faculté de penser qui est du genre
de l'imagination, mais encore toute faculté de penser qui
aurait besoin de l'imagination comme auxiliaire ; qu'il pré-
sente l'intellect coi:nme n'étant peut-etre qu'une autre ma-
niere d' etre de la pensée sensible, distincte d' elle logiquement,
mais non en fait, comme l'abstrait est distinct du concret.
Dans le De anima et dans le De Memoria, il renvoie a plus
tard la question de savoir si l'intellect peut penser des essen-
ces réellement séparées sans etrelui-memeréellement séparé:
mais la question est restée sans réponse39.
S'il faut répondre en admettant la transcendance de l'in-

38. Sur l'immortalité attribuée uniquement á l'intellect qui agit, De anima, III,
5, 430ª 23.
39. Passages ou les intellects sont présentés comme des parties de l'ame: De
anima, III, 4, 429a ro ; 5, 430a ro sq. -Ibid., I, r, 403a 7- ro : Má).rn--rcx o'l'o,xe,
rfüov "º vodv • El o'•cn, xcxt 1:oíl1:<1 c¡,cxvw.cr/cx rn; -l\ µ·~ diveu c¡,cxv·rcxcr/cx,, oúx ÉvoÉ-
xo,'t'' tiv oúOE -ro\h· 1 clve.u crWµo:-c-oi; e.tvcu.
Sur l'intellect co=e n'étant qu'un autre aspect de la pensée sensible : Ibid.,
III, 4, 42gb 20, et 7, 43rb 17-19 ; 'Apcx o' Évoixe1:cxt TWV xexwp,crµévwv "' vodv
Ov'tO: aÚ't0v µT\ xe.x.wpurµlvov µ.e.yÉ8ovi;, ft¡ oü , vxe.1t-rÉov \Jcr-re.pov. - De 1nemoria, 1,
450a 7-9 : 6.,dt 1:/vcx µev ouv cx,dcxv oúx Évoixe1:cx, voerv oúoev CtVEU '1:0V cruvexoíl,,
oúo' diveu xp6vou ,:?,, µ·~ Év xp6v'l' iív1:cx, dino, ).6yo,.
LA THÉORIE DE L ' INTELLECT n ' APRES ARISTOTE 27

tellect, au moins de l'intellect qui agit, on aura a se deman-


der ce qu'est cet intellect. Sans doute c'est quelque chose
de divin puisque c' est lui qui fait que l'homme est homme,
et que l'homme se définit précisément un animal qui par-
ticipe au divin . Mais qu'est-ce que le · divin ? Est-ce Dieu,
séparé du monde, ou bien est-ce quelque nature moins éloi-
gnée du sensible ? Le mot comporte assurément les deux
sens pour Aristote, car i1 dit dans la Morale de Nicomaque
que « l'intellect peut etre divin ou ce qu'il y a en nous de
plus divin >>. Dans le premier cas seulement on pourrait
admettre que l'intellect qui agit est Dieu meme4o.
Si l'intellect qui agit est Dieu meme, comment Dieu est-
il un individu et comment d'autre part l'intellect qui agit
peut-il etre participé par les individus sensibles ? La pensée
de la pensée ou Dieu est certainement un individu, ou comme
nous dirions, une personne. Car i1 est appelé dans la Méta-
physique une substance séparée des choses sensibles. Mais
alors l'existence réelle n 'appartient done pas seulement au
compasé de la forme et de la matiere ? Cependant, bien
que la forme fut reconnue comme supérieure a la matiere
en dignité et comme ce qui réalise la matiere, on nous disait
que la forme ne se réalise elle-meme que dans la matiere
qu'elle réalise. I1 peut done y avoir une autre sorte de réa-
lité que la réalité sensible ? Quand on l'accorderait, com-
ment concevrait-on la participation des individus sensibles
a cette existence supra-sensible ? Ils ont tous de la matiere,
et c'est meme grace a elle qu'ils se distinguent les uns des
autres et forment une pluralité dans la meme espece. L'in-
tellect ne deviendra-t-il pas pensée sensible en s'unissant
a chacun d'eux, et s'il devient pensée sensible, comment
pourra-t-il concevoir . les choses séparées ?41.

40. Sur le divin comme caractéristique de l'ho=e voir ci-dessus note 19 et


Eth. Nic., X, 7, n77b 26. - Polit., I, 2, 1253a 27 ; III, 16, 1287a 28. Dans le De
part. anim., II, 10, 656a 8, il est dit que l'ho=e seul participe du divin, ou du
moins que de tous les animaux connus il est celui qui en participe le plus. - Dans
le De gener. anim., III, ro, 761a s, il est dit que les abeilles ont quelque chose
de divin: la notion du divin est done tres flotttante dans Aristote. - Eth. Nic .,
X, 7, II77ª 13-17: Er-re º" vovi; TOVTO ELTE /J.no Tt, 8 0T\ XO<T<X ipúcnv ooxe, ci.pxe,v
x0<t ·lryefo60<t ""'' EWOtO<V •xetv 1tept XO<AWV :x0<t 6e/wv, E!TE 6efov ov XO<l O<Ú-ro d-re
1:wv Év f¡¡,.,v 1:0 6e,6-r0<-rov, f¡ 1:ou-rou Év{pyst0< x0<-r<1 -r·~v olx./0<v &pe-r+iv eY·~ civ f¡
-re).e/0< eÚ00<,¡,.ovi0<.
41. Métaph., XII (A), 7, 1073a 3-5 : "Oi-, ¡,.i;v o1ív fo-nv oú1,{0< ni; &tlltoi; xo:t
1hiv7\'tO<; x0<t xexwp,1,¡,.év·~ TWV o:i1,6·~-rwv , q,o:vepov EX 'tWV elp·~¡dvwv.
11
28 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

Enfin quand on supposerait ces divers problemes résolus,


il resterait a s'interroger sur la situation réciproque de l'in-
tellect et de l'intelligible. Si c'est l'intellect qui fait l'intel-
ligible, la connaissance ne consistera done plus a s'identifier
avec l'objet ? Si c'est l'intelligible qui fait l'intellect, ne
revenons nous pas a la théorie des Idées ?42.
On voit qu' Aristote léguait a ses commentateurs un vaste
ensemble de questions.

/bid., 8, 1074a 33-35 : 'AH' OO'<X iipt6¡J,.¡i 1t0Há, 1JA1jV ltxe, • E!<; ycxp Abyo<; xcx!
ó cxú-ro<; 1t0Hwv, olov civ6pói1tov, llwxpá'r'lj, o!: ek
D# caelo, I, 9, 278a II : TO ycxp cxiu6,¡-rov él.1t<XV EV -ri;i ÜA"I) Ó?tT¡pxev. - /bid. ,
18-20 : l1t! 1táv-rwv ycxp oü-rw, opWfJ,EV, éíuwv i¡ oúuicx tv 1JA"I\ fo-riv, 1tAe/w xcx!
d1tup<X ov-r<X -rdt ÓiJ,OEtoi¡ .
42. Le • connaitre c'est faire • du IX• livre de la Métaphysique (IX (0), 9, 1051a
31-32 : xcx! oidt -roü-ro 1to1oüv-rE<; y,yvwuxovuw) est a rapprocher de la description
de 1'intellect qui fait (De anima, III, 5, 430a 14 sq.), et a interpréter dans le
meme sens.
II

ALEXANDRE

Son successeur immédiat, Théophraste, dans les pages


concises qu'il consacra a la question de l'intellect - au cin-
quieme livre de sa Physique qui était en meme temps son
second livre De l' áme - entassa beaucoup de difficultés,
d'objections et de réponses 43 • Mais il ne semble pas que ce
disciple, fidele en tout a l'enseignement de son maitre au
rapport de Simplicius44 , ait interprété d'une maniere origi-
nale le texte obscur qu'il avait re<;u d'Aristote. On a voulu
faire de lui l'initiateur des interprétationsnaturalistes45 • Mais,
a vrai dire, le naturalisme qu'on impute a Théophraste n'a
guere d'autre appui que quelques propositions de sa morale
ou i1 semble faire dépendre de la marche des choses la vertu
et le bonheur plus que ne l'avait fait Aristote 46 • Cela mis
a part, i1 reste fidele au surnaturalisme aristotélicien puis-
qu'il écrit une Métaphysique, et, ce qui nous intéresse par-
ticulierement, maintient que les actes de la pensée théo-
rétique sont indépendants des mouvements du corps 4 7. Ail-

43. THEMISTIUS, In De anima, Z, 108, 8-II Heinze.


44. SIMPLlCIUS, In Physicam, 789, 1-2 Diels (Schol. in Arist., 394b 41): 0EO-
cppcx0'-rov ... -.oíl 1tcxv-roo O'XEllóv cixoAov6i¡O'oov-roi; -r<ji 'Ap,<l'-ro-rÉA« .. .
45, WALLACE , Aristotle's Psychology, introd ., p. CVIl.
46. Sur T h éophraste, voir: CrcÉRON, Acad., I, 9; De f¡,nibus, V, 5; Tuscul., V,
9, 24; ibid., 25 : « Vitam regit fortuna¡non sapientia »; cf. ibid., III, 28, 69. -
DroGENE LAERCE, Vitae et placita clarorum philosophomm, V, 40, 4r. - Com-
parer ARIST., Eth. Nic., X, 8, r178b 4-5 ; 9, rr78b 33-34.
47, THEOPHR., apud SIMPLIC., In Physicam, 964, 31-965,6,
30 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

leurs, i1 dit qt1e l'intellect est plus excellent et plus divin


que le reste de l'ame, et qu'il entre en nous du dehors et
tout parfait4s.
A la vérité, il veut que l'intellect, tout en étant en nous
une chose surajoutée, soit enveloppé dans notre génération
premiere, et il compare l'intellect en puissance aux puis-
sances qui résident dans les choses matérielles ; mais est-ce
done la s' éloigner d' Aristote ? I1 se demande pourquoi, si
l'intellect agent (car il se sert de ce mot étranger a Aris-
tote) a pot1¡r sujet l'intellect en puissance, notre intellect
ne pense pas tout de suite, toujours et sans erreur ; et il
( , répond que c'est peut-etre a cause du mélange meme de
l'intellect agent avec l'intellect en puissance; car, dit-il,
_, l'intellect est un mélange de ces deux intellects. Mais ni
cette question ni la réponse dubitative qui la suit n'indiquent
vraiment que Théophraste ait nié la transcendance de l'in-
tellect agent. I1 semble luí donner pour sujet l'intellect en
puissance, mais i1 veut peut-etre parler simplement d'un
sujet par accident. Aristote a bien dit que l'intellect agent
est une partie de l'ame, sans que cela paraisse faire de lui
un naturaliste incontestable. La vérité est sans doute que
Théophraste, comme son maí:tre, a taché d'éviter tout parti
violent et maintenu a la théorie de l'intellect la meme indé-
cision qu'elle avait dans Aristote 49. Si Théophraste a eu
Straton pour successeur, Dicéarque est le disciple immédiat
d' Aristote, et il n'y a rien a condure de la.
L'ami et le rival de Théophraste dans l'école du Lycée,
Eudeme, a été comme lui, d'apres Simplicius et comme le
prouvent les fragments de sa Physique, un fidele écho du
maí:tres 0 • I1 est done tres hasardeux de le présenter comme
le premier des interpretes surnaturalistes de la théorie de
l'intellect 51. Cependant' s'il est bien l'auteur des 'H8\Y.a
Eua~¡wx., on ne peut méconnaí:tre chez luí une tendance a
identifier avec Dieu l'intellect agent . Traitant la question
de l'd'tux(a, et maintenant le hasard ('tux~) au nombre des

48 . Id., ibid.
49. THEMIST., In De anima, z, 107, 31 sq. ; 108, 22 sq.
50. SIMPLIC., In Physicam, 133 , 21 - 22: Kc:tl Ó Eúo"l)µo, oe: T<¡i 'Apl<rTOTÉA€< 'lt<XVT<1
"l<O(TCXXOAOu0wv ...
51. WALLACE, Aristotle's Psychology, p. CVII.

J
ALEXANDRE 31

causes réelles, il arrive a l'idée d'une cause qui ne serait


plus soumise a d'autres causes. Cette cause, dit-il, c'est le
premier moteur de l'ame, comme Dieu est le premier moteur
de l'univers. Or cette cause supérieure a la science et aussi
a la vertu qui est dans la dépendance de l'intellect, cette
,cause premiere dans le monde de l'ame ne peut etre que Y.

Dieu52. Quoique dans ce passage Eudeme fasse peut etre


Dieu supérieur a l'intellect meme, et non identique a lui,
il est clair qu'il est d'accord en esprit, sinon dans les termes,
avec ceux qui regarderont la pensée comme Dieu meme
pensant en nous.
Mais c'est seulement dans Alexandre, qui y a attaché
·s on nom, que nous trouvons l'expression nette et décidée
-de l'interprétation surnaturaliste de la théorie de l'intellect .
Alexandre n'est pas d'ailleurs, comme on l'a dit, << le pre-
mier auteur de l'immense importance que la théorie du
troisieme livre De l' áme acquit dans les derniers siecles de
la philosophie grecque et durant tout le Moyen Agesa )), car
il nous avertit lui-meme qu'il n'est pas l'inventeur de l'in-
terprétation qu'il. expose54 ; mais comme les travaux de ses
prédécesseurs sur le meme sujet sont perdus, c'est lui qui
est notre source unique.
Malgré son intention bien arretée de rester dans son livre
De l' áme ce qu'il a été dans ses commentaires, c' est a dire
!'interprete clairvoyant sans doute, mais aussi tres scrupu-
leusement fidele d' Aristote, Alexandre5 5 y distingue et y
développe, jusqu'a mettre en péril l'unité et l'harmonie du
systeme, les deux tendances naturaliste et idéaliste que le

52. Eth. E11d., VII, 14, 1248a 12 sq .


53. RENAN, Averroes et l'averro,sme, 1• éd., 1852, p. 99 .
54. FABRICIUS, Bibliotheca graeca, éd., Harles, t. V, p. 651-652: Quam in senten-
tiam plura legas libro II, pag. 144a sq. [Ald. ed.] ubi ait, se a quodam accepisse
sententiam Aristotelis ita expositam, quod mens divina extrinsecus a dveniens per
humanum corpus velut organum operetur : atque ea ratione i=ortalem illum
et incorruptibilem dici posse : "Hxovcr0< ok mpl vov -rov Oúp0<6sv 1<0<pdt 'A ptcr'to't"É-
).ov,, a o,ecrwcr&µ"l\v etc ... irsque ad il/a p . 145 : iil.E)'E o~, lín e, éiJ.w, Ó1<ol.0<µóá-
VEtv "°''
XP"I\ xa-rdt 'Ap,cr-ro-rÉA"I\V, 6eiov diq,60<p-rov e,va, -.ov vovv, oU-rw, i)yefo60<t
óe!v, oúx di).),w, . < ALEX., De anima libri mantissa, II0,4-II3,4 Bruns >.
55. ALEXANDRI .APHRODISEI Enarratio de anima ... interprete Hieronymo Donato
patritio Veneto (c'est la traduction du :rer livre du Ilepl <J,vxi'¡, d 'Alexandre ; voir
FABRICIUS, t. V, p. 661 . - Selon Fabricius, les deux livres ne sont pas les par-
ties d'un meme ouvrage, mais deux ouvrages sur le meme sujet : ibid., p. 660)
a la suite de Thémistius, Paris, 1528, 131a sq. (Le texte grec est cité par Fabri-
cius loe. cit., p. 651 g.). < ALEX., De anima, 2, 4-6 Bruns >.
32 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D 'APRES ARISTOTE

maitre avait comme fondues ensemble a force de les rap-


procher. I1 attribue au corps plus de réalité qu'Aristote, i1
insiste plus que lui et avec plus de conséquence sur la part
du hasard et de la liberté dans le monde, il multiplie les
~ . formules presque nominalistes contre l'existence en soi des
universaux56. Puis, d'autre part, comme il arrive a taus ceux
qui poussent tres loin le naturalisme et qui ne peuvent pas
cependant se passer de tout élément idéaliste (d'autant
moins peut-etre qu'ils ont mis plus de rigueur dans leurs
conceptions naturalistes) , il fait une place étroite sans d,oute,
mais capitale et bien marquée a Dieu, c' est-a-dire a l'intel-
ligible.
Tout en attachant étroitement l' ame au corps, Aristote
lui avait presque toujours conservé cette dignité supérieure
qui appartient a la forme. Alexandre, bien qu'il répete que
l'ame est la cause formelle et la cause :finale du corps57, voit
r \'
" ~ ¡surtout en elle, comme on l'a dit5 8, un résultat de l'organi-
)Sation. L'ame assurément n'est pas l'harmonie, c'est-a-dire
1' ensemble, ordonné suivant certains rapports, des éléments
qui constituent 1'organisme : elle est différente des éléments
du corps et elle survient a la suite de leur mélange, comme
ces vertus qui se développent dans les potions médicinales
par suite d'une mixtion tres complexe. Mais si elle est autre
que le mélange, elle ne serait pas sans lui 59 • Aussi Alexandre

56. ALEx., 131b ad medium: « Non solum autemejusmodi mateiiajla matiere


des corps simples], veium ipsa quoque materiae ingenita species (deo,;), nullo
pacto potest per se ipsa subsistere. Quinimo species magis hoc pati videtur, quam
ipsa mateiia. Quamquam enim materia per se subsisteie sine forma non possit,
tamen in compositis corporibus continenter excipitur, non quod simpliciter mate-
ria sit, sed quod alicujus mateiia quum sit, per se subsistere videtur < 4, 20-25
Bruns : Oú µ6 vov es -r+iv -rot1xÚ-r7lY Ü),l)v cioúvnov ix,i-r-~v xi;,;8' ixó-r+iv v,rocr-rí'¡vix,,
ciA).'oúee -ro Év ixú-r·~ y,v6µEVOV deo,; . Kixt µ<i">.).6v YE -ro doo,; -roí:í-ro -rí'¡,; ,!ib\,;
mi1rov8Ev. 'E1rt µev yap -rí'¡,; Ü).:I),;, El xixt µ+¡ -~ xvp{w,; Ü),I\ otix -rE xa8'aún\v E<vix,,
ci).).' 1\ YE Év -ro<,; crvv8É-rot,; crwµ,xcr,v Ü),I) 1rpocrEx1),; ).c,µoavoµfrl) oúx OUCTIX µev
CÍ,r).w,; VA"I\, TOV0E oÉ -rovo,; VA'I\ , XIXL xix8' CLÚ-r1)V úq,fo-r"l)XEV .•• >
- Cf. NOURRISSON, Essai sur Alex., d'Aphr., p. 61, 79.
57. ALEX., ibid., 136a ad initium < 24, rr-17 Bruns >.
58. RAVAISSON, Essai, t. II, p. 301.
59. ALEX., De anima maniissa, 104, 28-29 : Kat fo-r, -ro crwµix xixt -~ -roú-rov
xpilcr,,; ah:iix -r·~ <j,vx~ -rí'¡,; É~ ªPJ(i\,; yEvfoEw,; . - De anima, 24, 21-24 : Oú yap Y\
-ro"xoE -rwv crwµ,í-rwv xp<icrc,; -~ tjlvx"lj, 0,rEp liv Y\ cipµovlix, ci).;>.' -~ É,rt -r~ -rot~oE
xp6tcr« oúvixµ,,; yEvvwµÉY"I), civ6t:>.oyov •xovcrix -rix<,; ovv6tµrn,v -rwv t<XTptxwv q,ixpµ6txwv
-ra,,; ci8po,~oµévixt,; ÉX µ{~EW,; 1rAEt6vwv. _
lbid., 25, 2-4: 'H yap oúvaµ,,; -~ix t -ro Eleo,; -ro émy,v6µavov -r·~ xix-ra -rov -ro,6voE
">-6yov xp6tcru TWV crwµ:hwv 'fVXT\, a).).' oúx ó :>.6yo,; -rí'¡,; xp6tcraw,; oúee -~ crúv8acr,,;.
]bid., 25, 7-9 : Y\ oe 'fVX~ oúx -~ crvµµa-rp/ix , <iA).' -~ É,rt -r·~ crvµµE-rp/q; oúvixµti;
ALEXANDRE 33

exprime-t-il de la fa¡;on la plus énergique la dépendance


de l'ame par rapport au corps : elle est, dit-il, aussi insé-
parable du corps dont elle est la forme, que la limite des
choses" qu'elle limiteGo_
Comment faire pour trouver une place a l'intellect en
puissance dans cette ame si unie a la matiere qu'aucune
partie n'en saurait etre incorporelle ? I1 ne faut pourtant
pas que l'intellect en puissance soit matériel. I1 ne saurait
recevoir les for mes comme les re¡;oit la matiere, car alors
i1 deviendrait la matiere des formes re¡;ues, et se confon-
drait avec les objets sensibles dont i1 a précisément pour
fonction de recevoir les formes intelligibles dégagées de toute
matiere61. Le premier degré de l'intellect en puissance sera
sans doute convenablement distingué par le nom de voü~
UAtY.ó~ de ce second degré, plus voisin de l'acte, auquel on
s'éleve par la science ou au moins par l'exercice de la rai-
son commune, et qu'il faut appeler intellect acquis62. Mais
l'intellect matériel n'est pas la matiere des formes dans le
meme sens que le bois et les pierres sont la matiere d'une
maison ou le corps la matiere de l'ame. Que sera done l'in-
tellect en puissance pour etre tout a fait étranger a la ma-
tiere au sein de 1' ame qui tient de toute part a la ma-
tiere ? Ce ne sera pas un sujet doué d'une aptitude a rece-
voir les formes : ce sera cette aptitude meme et uniquement
cette aptitude. L'intellect matériel n'est pas a vrai dire une
tablette d'ou toute écriture est encere absente : c'est l'ame
et le sujet ou réside 1' ame qui s9nt comparables a une ta-
blette vide d'écriture; l'intellect n'est que l'absence d'écri-
ture, car il n'est en aucune fa<;on un sujet, mais encere une

· oúx. ri.vt.u µ.Ev -rcxÚ-rT¡c;; E1vcu Ovvcxp.ÉvT\, oúx 0Ua1X OE a\hT¡. - Sur le sens anti-3.risto-
télicien du mot ovvGtµ,, ici employé par Alexandre, voir RAVAISSON, Essai
p. 301.
60. ALEX., De anima, 17, rr-r5 Bruns.
6r. ALEx., De anima, r48h ad medium Donat: At vero intellectus neque more,
materiae species excipit , neque perinde atque eas species, quae a ut sint in m ate-
ria, aut una cum materia possidean tur; suscipere a utem sp eciem more mat eriae,
idem fere est ac rei, quae suscipitur, mat eriam fieri < 83, 22-84,1 Br uns : ó 01'. -
voü, OU'tó w, Ü),J\ -rcx d01\ AGt µ6cxvó, oÜ-re w, Év 1JA "ll OV'CGt xa! µó0' {j),1\,. 'Ecm OE
'to µ1'.v w, ÜA1\V Job, 'tt AGtµ6cxvótV -ro Cltho < -r,¡i > ÜA1\V y/vó«r0a, -r,¡i ).c,:µ6GtvoµÉvw ...
Or l'i ntellect a pour fonction de recevoir des formes séparées de leur matiere.
62. ALEX., ibid., r48a ad medium < Sr, 22 sq. Bruns >. Cf. NOURRISSON, Essai,
p. 87. - L'intellect acquis, « adventitius < e,dx-rT,ro, > peut aussi bien s'appeler
« intellectus secun dum h abitum » < vov, xaB'f~,v > •
34 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D'i\PRES ARISTOTE

fois une disposition, une aptitude, une puissance pure et


simple. A ce prix seulement, il est libre de tout mélange
avec la matiere et propre a recevoir les formes intelligibles
sans les défigurer6a_
C'est par la réception des formes que l'intellect s'actua-
lise aussi bien que le sens, si ce n'est toutefois que l'intel-·
lect rec;oit les formes non seulement sans leur matiere, mais
comme ne tenant a aucune matiere 64 . Qu'est-ce en effet que
l'intellect acquis ou en habitude ? C'est une collection de
pensées ou de formes au repos 66 • La réception de ces formes
est done l'acte de l'intellect ou intellection. Au contact de
l'intelligible, l'intellect matériel s'identifie avec lui, devient
une forme intelligible, en un mot s'actualise. Et puisque
l'intellect en acte et son objet ne font qu'un, une forme
intelligible par elle-meme est par elle-meme intellect : de
sorte que si dans notre monde i1 y avait des formes actuel-
lement intelligibles, il y aurait du meme coup des intellect's
en acte 66 . Mais les formes sensibles ont de la matiere et ne

63. ALEx., De anima, 84,24-8.'i,5 Bruns: 'Em-r·~o«b·ni,; -r,,; /xpo: µ.6vov ia-rtv ó
ÚAtltO<; voii,; 1tpo<; -rl\V -r'iJv dowv Ú1toooxi\v ÉOtltW<; mvo:x/ot ciypá.cpw, µ.<iHov oe; 'to/
-rí'¡,; mvo:1<./00,; ciyfá.'f'<¡J, ci).).' oú -rij mvo:x/o, o:ú-rij. Aú-ro ydtp -ro 'ypo:µ.µ.o:-rcfov i\ol\
't'L -rwv iív-r"'V fo-r,v. Ll,o ti µ.e:v <J,vxi\ "'"'' -ro -ro:Ú-rl)v ª'l.ºv dl) µ.<iAÍ,ov < civ:,, 1<.0:-rdt
-ro ypo:µ.µ.o:-rcfov , 't'O oe: &'ypo:<pov Év o:ú-rij ó voii,; ó Ú).tl!.O<; ).sybµ.svo,;, ~ É7tt'tl\0Et6-rl),;
-~ 1tpo,; 't'O Éyypo:<p·~vo:, . 'Q,; oliv É7tL -roii ypo:µ.µ.o:-rciov 't'O µ.e:v ypo:µ.µ.o:-rELOV 1tá.crxo,
,( &v > &v-r,ypct<pbµ.cvov , év <i> -~ 1tpo,; -ro ypo:<p·~vo:, ém-rl)os,6-rl\,, -~ µ.lv-ro, émq-
oc,6-rl\, ctÚ-r·~ oúoisv 1tá.crxc• E!,; ÉvÉpyc,o:v <iyoµ.lvl) (oú6~ yá.p Écrn -r, Ú1to1<.s/µ.svov ),
ov-r"'<; o,;ll' av ó voií,; 1tá.crxo, n, µ.·~oÉv ys <llv -rwv Évspys,q..
64. lbid., 148b ad medii,m Donat < 83, 22-23 Bruns >.
65. lbid., 149a ad medii,m Donat: Intellectus namquein habitu nihil fere aliud
esse videtur, quam depositae illae coacervatae et quiescentes considerationes. < 86,
5-6 Bruns : 'O ydtp 1<.o;-rdt g~,v vov,; ciitou{ µ.svá. 1tW<; Écrnv <i6p6o: 1<.o:l -/ipsµ.oiiv-ro: -rdt
vo~µ.o:-ro: . >
66. Ibid., 148b Donat; 149b: Si autem sunt nonnullaespecies, quae per se absque
materia et subjecto subsistant, hae proprie intelligibiles sunt, et hoc ipsurn ut sint
intelligibiles suapte natura consequuntur, neque sese cognoscentis alterius auxi-
lio indigent ut intelligibiles fiant. Verum enimvero quae ex propria natura intel-
ligibilia sunt, actu quoque intelligibilia esse necesse est : materialia enim illa sunt
quae potestate intelligibilia nuncupantur. Verurntanem si intellectui in actu idem
est, quod intelligitur, et id quod intelligit, efficitur ut proprie et secundurn actum
i=aterialis species intellectus sit, et qui ejusmodi speciem intelligit, intellectum
intelligit : non quod species illa tune intellectus fiat, quurn intelligitur, velut in
formis materialibus· se habet, sed quurn jam sit intellectus, etiamsi non ab intel-
lectu intelligatur. < 87, 25-88, 5 Bruns : Ei oe: -rtvá. écr-r,v crlll\, w,; -rdt xo:6' aót'cx,
X"'PL, v);~,; -re: xo:l {moxsqdvov nv6,;, -ro:ii-ro: xvp{"', Écr-rt vol)-rá., Év -rij oíxs{q. <púcr«
-ro slvo:, -ro•o:ii-ro: •xov-ro: , ciH' oú 1to:pdt -r·~,; -rov voovv-ro,; aú-rcx ~ol)6E/o:,; ).a¡ioá.vov-ra.
Tcx lle -rij <X\J't'WV <pÚcrEt VOT\'r<X 1<.0:-r' Évlpys,o:v V07\-rá., 6vvá.µs, ydtp •101\'t<X 't<X evu).o:.
'AAACl µ-~v -rO x. cx-r' EvipyEtcxv voT¡i-Ov 't'CXÚ,JOV -rl{> xa.-r, EvÉpyEtcxv vq}, E'L YE 'tcx\J-rOv TO
vooúµ Evov T~ vooüv-rt. TO éípa. éíüAov EtOoc:; voüc:; ó x.vp{wc:; -rE x.cd x«-r, EvÉpyEt«v.
Kcxl ó voWv éxpcc -roV-ro voVv voEL oú y,v6µevov voVv 0-cE voEL-c«1 , Wc:; E1tt -rWv Evú).wv,
EÍowv lxc•, ci).).dt OV't<X vovv 1<.o:! X"'Pt<; 't'OV V7t0 't'OV voií vodcrOo:L. >
ALEXANDRE 35

sont intelligibles qu'en puissance. L'intellect matériel placé


en face des formes sensibles ne peut done par lui-meme
passer a l'acte. Il re9oit ou devient la pensée, mais il ne la
fait pas. Il n'est ríen sans le concours de l'intellect agent.
Or l'intellect agent n'est autre chose qu'un intellect actuel
par essence : c'est dire qu'il est prédsément ce qu'Aristote
appelle la cause premiere ou Dieu67 . Quand l'intellect divin
rencontre un instrument propre a lui permettre d'agir a
travers la matiere, c'est-a-dire un corps animé ou réside un
intellect en puissance, alors l'intellect divin s'empare de cet
instrument, pense en nous, devient nótre. Puis, quand l'ins-
trument se dissout, l'intellect divin ne se retire pas de lui,
car il est partout, mais comme un ouvrier qui a perdu son
outil, il cesse d'agir a travers la matiere, et seule son action
immatérielle subsiste, exempte qu'elle est de tout change-
ment et de toute lacuness.
Si maintenant on demande a Alexandre d'oi:t vient a l'in-
tellect divin son éternelle actualité, il répond d'une fa9on
tres nette. L'intellect divin n'est pas, par lui-meme et en
tant qu'intellect, intelligible. Il se pense sans doute : mais
seulement en tant qu'il est identique a l'intelligible 6 9 . C'est
l'intelligible qui est le moteur : a luí le privilege de faire
la pensée, et si l'intellect divin est éternellement en acte,
e' est qu' éternellement il s' est identi:fi.é avec l'intelligible.
L'intellect par soi n'est que le complément de l'intelligible
par soi : ou plutót c'est purement et simplement l'intelli-
gible par soi, puisque, comme nous venons de le dire, en
vertu de l'identité de l'intellect et de l'intelligible, une forme
intelligible par soi est du meme coup intellect. Dans un
intellect 911 toute puissance a disparu, ou plutót dans un

67. Ibid., 150a ad initiuni Donat < 89, 17 sq. Bruns > .
68. ALEX., De anima mantissa, rr2,27-rr3,2 Bruns : ó 6efoi; vovi; cid ¡ú:v
Évepyd (oco xor.t fo,,v Évepye/q.), xor.l lle' 6pyá.vov li( ihor.v h '<'T\<; O'vyxp/O'EW<; -.wv
O'Wflcx'tWV ""' t 't"T¡<; eúxpor.u/or.i; ~yÉv71,or., opyor.vov -roeoii,ov. 'n,,x·~v ycxp -~071 't"LVCI -.ó-.e
ivipye,or.v Évepyd xor.t fo-.,v oúrni; -~¡.,.frepoi; vovi;. Kor.t hxp/vs-.or., o~, 8vmp ,p61rov
x.a~ dcrxp(ve:-rctL. OV y<ip ci.Aóo:xoü Wv µe-rc:x6odvEt, ci;),).<1 -r~ 1tavnixoü e:Tva.t µÉvtt
xor.t Év -..;, É'lt 't"T¡<; Éx;tp{O'EW<; li,or.J.vo¡.,.Évw O'Wfl<XT< cp0ecpo¡.,.ivov 'tOV opyor.vcxov, wi; ó
-.exv{-.71, CX'7r00<XAWV ,ex opyor.vor. Évepyd µkv 'lt(XL ,Ó,E, oú ¡.,.·~v v,,x~v xor.1 opyor.v,x·~v
Évipyecor.v .
69. Ibid ., 109, 4-8 : Nosrv ok: <XV,OV ó iv f~EL voíli; xor.1 Évepywv liúvor.-.or., • oú xcx0o
voíli; ÉO'nv, &¡.,.or. ycxp x,d xcx-rcx -.or.0-.ov or.ú-.ij, ,o vodv fo-.or., xor.! voefo6or.,, cxJ.J.cx xor.1
-rctú•n;¡ µÉv, ~ ó x.txi- EvÉpye:tccv voüc; ó o:,ú-r6i; lcr't't -roLi;; xcx:r EvÉpye:tcxv voovµÉ'Joti; ..
1 1

'ExEtVC( O-~ vo';,v cxú-rOv voEt ...


36 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

intellect ou, a travers toute l'éternité, on chercherait en


vain de la puissance, que peut-on trouver sinon l'intelli-
l gible meme ? L'intellect en habitude c'est la collection des
j intelligibles a l'état de repos : l'intellect agent, c'est l'intel-
l ligible actuel. C'est parce qu'il est l'intelligible actuel, l'in-
telligible pur, qu'il actualise les intelligibles en puissance
qui sont engagés dans la matiere. Si la lumiere fait voir
les couleurs, c'est qu'elle est le visible par excellence. Du
reste, c' est ce qu' Alexandre exprime lui-meme dans des
termes qu'il faut citer :
"' « L'intellect est la forme proprement et essentiellement
intelligible en tant que cette forme est sans matiere. Par-
tout en e:ffet, ce qui est tel ou tel proprement et par essence
est cause que les autres choses soient telles : ainsi la lumiere
qui est le visible par excellence est la cause qui rend visibles
les autres choses visibles : ainsi encore ce qui est excelle-
ment et essentiellement bon est la cause qui fait regarder
comme bonnes les autres choses bonnes. Car les autres choses
bonnes sont jugées telles parce qu'on les compare avec ce
qui est excellement et essentiellement bon. Pareillement,
ce qui est intelligible au plus haut <legré et par soi doit etre
ten u pour la cause qui fait connaitre toutes les autres choses.
Si en e:ffet i1 n'y avait rien qui fut intelligible par soi, il
n'y aurait rien non plus qui fut intelligiblepar autre chose 70 ».

70. ALEX., De anima, 14gb ad finem Donat: Atqui esse poterit intellectus pro-
prie ac praecipue intelligibilis species, et haec ipsa sine materia : namque in rebus
omnibus id quod proprie ac praecipue aliquid est, caeteris causa est uti ejusmodi
sint; id enim quod maxime visibile est (tale autem est lux) caeteris visibilibus re-
bus in causa est ut visibilia sint, verum et id quodque quod maxime ac praecipue
bonum habetur caeteris quae bona sunt causa est ut bona censeantur. Caetera
enim quaecumque bona sunt, facta ad id quod maxime ac praecipue bonum est
contributione, pensitantur. Pari ratione quod maxime et suapte natura intelligi-
bile est non immerito universae caeterarum rerum cognitionis causa judicabitur.
Si enim nihil esset suapte natura intelligibile, profecto neque aliud quidpiam ab
alio intelligibile fieri posset : enimvero in rebus omnibus in quibus aliud quideur
propria, aliud vero secundaria ratione compertum est, secundarium a proprio id
habet ut sit. < 88,24-89,8 Bruns : Er'I\ o'cl!v oú-roc; "'º xup{wc; -re xcxt µ&.).,cr't:cx
VO'l\'t:OV dooc;, 't:OtoV-rOV 0€ "'º X~Pk (í),'l)c;. 'Ev 1t<fow yap -ro µ&.At<J'-r<X ""'' xup/wc; "''
Ov i<.cd 't'o!i; éf.AAotc; ix'C't't0V -roü Etvo:t 't'otoÚTotc;. T6 -rs y~p µCX)1tü't'<2 ópcu:6v, TotaÜ't'OV
0€ TO cpiiic;, xcxt -rore; diHo•c; "'º'' ópcx-ro!c; d't:toV 't'OU dvcx, ópcx,:.or,, ó:Hoc ""'' TO
f.J.á.).,a-rcx xcxt 1tpÓl-rwc; ciycx6ov xcxt -rore; éD,Aotc; ciycx6o,c; cxfr•ov -rou elvcx• -ro,oú-ro,c; · "'ª
ycxp /{/..).ex ciycxea .. -~ 1tpoc; 't:OU'rO vUVTEi,e/q. xp/ve-rcx,. Kcx! TO µá.AL<J'T<X /¡-~ xcz! -r·ij
ctÚ-roÍJ q,úrre:t voT¡-rOv EúA6ywc; cx_'{'t'eoV xcd t'T\c; -r;Wv ii.A),wv vo~crEw~ , TotoÜ't'ov Oe; Ov e:tT¡
cl!v ó 7tOl'I\TtXoc; vo\Jc;. E! yap µ·~ T\V Tt VO'l\'t:OV <j)Ú<J'Et, oúli' <'i.v 't:WV /ü),wv "'' VO'I\TOV
i!.y{ve't:o, C:.,c; 1tpoeip'I\"'"''- 'Ev yap 1tcimv i!.v _ole; -ro ¡úv xup/wc; ,¡;/ i!.cr't:tv, "'º oic
oeu-rÉpwc;, TO OEU-repwc; 7tcxpa -rou 'ltup/wc; "'º elvcx, •xe,.>
ALEXANDRE 37
C'est ainsi qu' Alexandre, par cela qu'il élimine plus rigou-
reusement de la nature tout élément surnaturel, est forcé
de recourir plus ouvertement a Dieu pour expliquer ce qui
dépasse la nature, mais aussi qu'il ménage une sorte de
revanche au naturalisme qui, a cette hauteur, ne fait plus
qu'un avec l'idéalisme, en marquant nettement la supério-
rité de l'objet sur le sujet ou plutót en faisant disparaitre
celui-ci dans celui-la.

5
III

THÉMISTIUS

1
Apres Alexandre, la seule interprétation profonde et ori-
ginale de la théorie de l'intellect que nous fournisse le monde
grec, c'est l'interprétation des Alexandrins. Or on se trom-
perait en la cherchant dans Thémistius : on n'en trouve-
rait que des traces. Par exemple il a:ffirme de temps en temps
(Y\ l'accord d' Aristote avec Platon, en faisant remarquer no-
tamment que la formule aristotélicienne : ce de deux con-
traires celui qui est positif est seul connu par soi >>, revient
a la these platonicienne que la matiere n'est connue que
par un raisonnement batard11 ; il admet une pluralité de
formes sans matiere don,t i1 fait l'objet propre de l'intel-
lect, c'est-a-dire qu'il introduit, comme les Alexandrins,
la théorie des Idées dans le péripatétisme 72 ; il met avec eux
toute une hiérarchie d'intermédiaires entre l'incorporel et
le corporel 7 3 ; en.fin i1 traite une question qui a préoccupé
les Alexandrins, celle des rapports des intuitions indivisibles
de l'intellect avec la multiplicité inhérente a la pensée lo-
gique, des rapports de la pensée absolument une avec la
pensée relativement une qui procede par synthese et divi-
sion, et i1 semble partager l'avis de l'école d'Alexandrie qui

7r. THEMlST., In De anima, III, 23 sq. Heinze < cf. PLATON, Timée, 52b >' ;
cf. ro6, r5 sq. ; ro7, 4 sq. ; ro8, 35 sq.
72. lbid., n5, 5 sq.
73. ]bid., ro7, I 8 sq.
THÉMISTIUS 39

regarde l'unité de la pensée logique comme une dégradation


de l'unité supérieure des intuitions intellectuelles 74 . Ces quel-
ques points mis a part, c'est a peine si on se douterait que ·
Thémistius appartienne a l'étole d'Alexandrie. Bien qu'a
propos de l'intellect i1 quitte un moment le genre de la para- C.
phrase pour celui du commentaire, ses développements gar-
dent toujours ce caractere littéral qui fait de lui un inter-
prete utile et sur pour l'intelligence ver bale d' Aristote, mais
pauvre en aper<;us profonds sur la pensée du maitre. I1 y
a pourtant quelque intéret a parcourir rapidement ses cha-
pitres sur l'intellect, d'abord a cause de certains passages · c.
qui valent par eux-memes, ensuite parce que Thémistius
a été, apres Alexandre, le commentateur grec dont Averroes
s'est le plus servi1s.
Sur la nature de l'intellect en puissance, Thémistius ne
se prononce pas nettement : il ne dit pas, avec Alexandre, ·
que c'est une simple disposition, et meme, quoiqu'il se rap-
proche beaucoup de cette opinion en certains passages76 , il
semble que ses préférences sont tournées dans un autre sens.
C'est du moins ce qui résulte de la remarque qui fait tout
l'intéret de sa doctrine sur l'intellect en puissance. De cet
intellect, en effet, il distingue l'intellect passible qui a été,
dit-il, appelé par Aristote intellect commun, c'est-a-dire
commun a l'intellect séparé et au corps. Le voüc; ouvi ¡m
est présenté par Aristote comme impassible et absolument
étranger au corps : si done on ne veut pas lui preter de con-
tradiction, il faut distinguer le voüc; ouviµu du voüc; 1ta(h¡-rn1.6c;,
et voir dans celui-ci le -x.owóc; dont il est parlé au pre-
mier livre De l' áme11.

74. ]bid., IO0, 22 sq. ; cf. I09, 4- 18 ; II 1, 4 sq.


7'i- AVERR0ES, De anima (Venetiis, 1573, apud Guntas in-8°) 159 e: recte vide-
mus quod Theophrastus, et Themistius, et Nicolaus, et alii Antiquorum Peripa-
teticorum magis [ qu'Alexandre] retinent demonstrationem Aristotelis et magis
conservant verba ejus. - En fait, Averroes n'use guere que de Thémistius et des
citations de Théophraste qui y sont contenues. Nicolas de Damas, né en 74 apres
J.-C., avait écrit un co=entaire du De anima; iI est cité par Porphyre (voir
BOUILLET, Les Ennéades de Plotin, I, p. xcn). On ne voit point qu'Averroes ait
connu Simplicius.
76. THEMIST., In De anima., q7, 26-28.
77. Ibid., 101, 5-9: T/vcr. µev ouv ).iys, -rov 1tcr.O'l)-r<1tov voiív Y.cr.t q,8cr.p-r6v, 1tpoY6v-
-re, É7ttGltE<j,6µe8cr. xcr.t lh, µ·~ 'rOV ouváµe, 'rOV'COV 1tcr.pcr.).cr.µ6áve,, án' gnp6v -rwcr.
\loÜv, Ov xoLvOv Wv6µcxcrEv Ev,, -rote; 1tpW-rot~, µs8' oú -rCl. lv'taÜ8cx voEi, xcd aUv 4i
1tept -rwv Ev-rcr.v8cr. fücr.voe!-rcr., , O\) Jtcr.t -ro q,,).dv q,'l)crl Jtcr,[ -ro µ,crerv xcr.t -ro µeµvi\cr8cr.,.
(Cf. Aru:STOTE, De anima, I, 4, 408h 25 sq. ; ci-dessus note 29).
40 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

Présentée sous cet aspect, la séparation du corps et


de l'intellect en puissance a l'air d'impliquer pour le
vof.i.; auvci¡.,.u une nature substantielle, et tandis que chez
Alexandre la conception du vof.i.; /i1-txó.; était entierement
naturaliste, il semble que chez Thémistius le surnatura-
lisme revendique l'intellect en puissance lui-meme. Et
l'on se confirme dans ce sentiment quand on voit Thé-
mistius rapprocher de la fa<;on la plus intime l'intellect
agent et l'intellect en puissance, en rappelant qu'ils font
tous les deux une unité comme toute forme avec toute ma-
tiere, en disant que l'intellect est comme le composé de ces
deux intellects, et en:fin en faisant de l'intellect en puissance
le prélude de l'intellect agent comme le crépuscule est le
prélude du jour1s.
Tout dépend, i1 est vrai, de la maniere dont Thémistius
con<;oit l'intellect agent : plus cet intellect sera transcendant,
plus i1 éloignera de la nature l'intellect en puissance en l'at-
tirant vers luí. Or i1 faut bien convenir que Thémistius tient,
en un sens, pour l'immanence de l'intellect agent. Des inter-
pretes avaient soutenu, parait-il, que l'intellect agent n'est
que l'ensemble des príncipes et des sciences qu'on en dé-
duit79 ; mais bien qu'il admette qu'une forme intelligible
par soi est du meme coup intelligente, tout en refusant d'ail-
leurs de dire si Dieu est intelligible parce qu'il est intelli-
gent ou s'il est intelligent parce qu'il est intelligible 80 , Thé-

Ibid., I05, 22-23 : ... w<r'I:€ 't()V XOLVOV civ AÉyoi 'l:OV 1tcx67\'tllt0'1 xcxt _q,6cxp-r6v .
'Ana: ¡,.~v 1tep/ ye -roíl ouvé<¡,.e, voíl lhcxpp-filll\V <pl\<rtv Ó<1tcx6'i\ oerv cxú-rov dvcx, xcx t
,:.wpl~-rOv,.. ' ,. ' , , r ,, ,, ,,
Ibid., 105, 26-32 : Et ouv l'-l\ ¡,.cxxo¡,.evcx ),eyEt 1tept -roll1'0ll, cx).).o, "'" E<l\ ""'"
<XVTOV ó xow6,, ixno, ll' ó ouvé<¡,.et, xcxt ó ¡,.iov xo,vo, [xcxt] q,6cxpt:o, .. . ó ovvÓ<p.El
os CX'lt<X61\; .. • olov 1tp6opo¡,.o, -rov 7tO<l\'l:<ltOV, W<r1tep -~ cxúy-~ 'tOU q,w-r6,, ',\ w<r7tep
éfv6o, 1tp6opo ¡,.ov i;ov xcx p1tou.
78. Voir la fin de la note précédente. - THEMIST., In De anima, 108, 28-34:
1
E~ ti>v á.1ttiv't'WV O'f\)~6v Ecr't',v,,.. f)"n oú cpa.VAw¡; Ú1tovooÍJµEv fjJ.)ov ¡.r.Sv Ttva 1tap a.U't'o!;
[Aristote et Théophraste] e,vcx, i;/Jv -n:cx6r,r,xov vouv xcxt q,6cxp,;6v, .. . /D,Aov oio ,;ov
w<rmp <rvyxe( fJ-EVO'I ÉX -rou OllVÓ<fJ-E< Xcxt Évepye/c¡. , OV xcxt xwpt<r-rov TOU <rWfJ-CX'tOs
elvcx, 'tt6Écx<rt xcxt éfq,6cxp,;ov xcxt &yfr~-rov , xcxt 11:w, ¡,.iov ovo q,vrre,, -rovi;ou, -rou,
VOUs, 7tWs 0€ ¡,.fo:v . gV ya:p 'CO E~ ,'.)).·~, lt<Xl EtoOu, .
79. Ibid ., 102, 30-36 : 6cxu_p.árrcx, x&xe/vwv éf~t0v, o<rot 'rOV 1tOtl\-rtxov -roíl-rov 'IOVV
'I¡ -rov 1tpwi;ov 6eov <i>-fi6·r,rrcxv dvcx, "°'""' 'Ap,rr-ro-rÉAl\V , 1~ -ra:, -n:poi;é<rrs,, xcxt -ra:, •~
cxú-rwv e1t,rr-r~¡,.cx, cxí Ürr-repov -~¡,.Iv 1tcxpcxy{vov-rcx,. Oí ¡,.iov yap i;dt, 1tpo-ré<rre,,
ú-n:o).cx¡,.tiávov-re, exxexwq,l\v""'' 1tcxvi;e).w, 1tcx! oúos i:¡,.6owv-ro, &xovourr, -rov q,,),orr6-
q,ou, O'tl ó vou, ou-ro, Befo, xcxt á:11:26·~- x,d '1:cxÚ-rov iixwv -r·ij oúrric¡. -¡;·~v evÉpyetcxv
1tcx! º~"º' ¡,.6vo, cx6ávcx-ro, xcx t &toco, xcx! xwp,rr-r6, . - Sur le sens de 1tp6-rcx<r«; ,
voir BONITZ, Index a,-istotelicus, 651a 36 sq. ~
80. Ibid., 97,34-98,4 passim. : 'AJ.),dt 1tw, á'.¡,.cx vov, "" xcxt vol\-r6, ; Kcxt cxpcx
THÉMISTIUS

mistius repousse cette interprétation . Les textes d' Aristote,


a son sens, parlent tres haut contre elle lorsqu'ils disent
que l'intellect agent est séparé, actuel par essence et divin;
par ou Thémistius entend sans doute qu'on ne saurait, sans
manquer a l'esprit de l'aristotélisme, réduire l'intellect a
une idéalité morte telle qu'est celle des príncipes, s'ils n'ont,
comme i1 semble, qu'intelligíbilité sans intelligence 81.
Mais si Thémistius consent volontiers a concevoir l'intel-
lect agent comme une essence actuelle et divine, il n'est
pourtant pas d'accord avec Alexandre. En effet, objecte-
t-il, Aristote dit qu'on trouve dans l'ame comme dans la
nature la distinction de l'agent et du patient, ce qui est
faire de l'intellect agent une partie de l'ame, et que l'intel-
lect agent est seul immortel et éternel, ce qui signifie : seul
des facultés de 1' ame humaine, puisqu' Aristote n' a pas pu
vouloir parler de Dieu, qui loin d'etre seul éternel,partage
selon lui, avec les moteurs des astres, le privilege de l'éter-
nité82. On peut bien dire que le róle de l'intellect agent en
nous ressemble a celui de Dieu dans le monde; mais l'in-
tellect agent n'est pas Dieu83 • Qu'est-il done ? C'est une
activité qui est en nous et dépend de notre vouloir puisque
l'on pense quand on veut 84 . Uni a l'intellect en puissance
comme la forme a la matiere et le pénétrant en entier, l'in-
tellect agent est un art immanent a son a:uvre, pareil a un
charpentier qui serait a l'intérieur du bois ou a un forgeron
qui serait a l'intérieur de l'airain 85 . L'immanence de l'intel-
lect agent ne saurait etre plus fortement exprimée : mais
c'est une question de savoir si Thémistius a cru qu'elle en
exclurait la transcendance. On doute qu'il l'ait cru quand
on le voit attribuer l'éternité a l'intellect compasé d'agent

xa.i-<X -raú-r6; i~ xet-r, r.J.).).o µ.Ev y{vc.-r:a.t vovc; , 'Y~CXT, &'AAo óE \loTt'toc;; '11 E'ltt p.Ev TWv
CÍ.~EV ~/\1)c; T~Ú-r:~v Écr-rt
µEv 'l"O V01\'l"OV
:o v~oüv ~<.d -r~ v~oVµ~vov ... !1tl OE ;Wv ivV_'\wv E}ÓWv ~AAo
O'.AAO lle o 'IOU<;. Oulls yo-.p 1\'I 'f'UO-E< '<O'.U'l"O'. ['<O'.] V01\'l"O'., . .. WO''l"E Etx6-
TWc; voEL-ro:t µEv -r<X TOtO:ÜTO:, voer CE: oiJ.
81. Voir note 79,
82. THEMIST., In De anima, 102, 36 sq.
83. Ibid ., 99, 23-24 : .6.,o XO'.L 6Ec¡i µ<iA<O"'l"O'. EO<XE,
84. lbid., 99, 13. -
85 . Ibid ., 99, 14-1 8 : <i:1:A' svoi)Em< o).w 'l"W 1iuv<iµe, vw ó 1tac•~,¡-cx6,, w0"1tep fxv
El ó T€XTWV 'l"OL<; ~f>-a,, x~t ó XO'.AXO'l"1)'1tO<; ~w )(O'.AXW µ-~ E~W6E'I S'JtEO'T<XTE<, oc' OAOU
0

1ie o-.ÚToíí 'f'O<Téxv_ ot6<; TE -~v. Oíhw y/xp xo-.l ó xo-.T' 'svÉpyE,o-.v voil, Tw ouv<iµE, vij>
1tpao-yev6µevo<; Et<; TE y/vmx, µET' o-.ÚToíí · !'v y/xp TO •~ {l).1\, xod do¿u,.
42 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

et de puissance 86 , qui est a coup sur immanent a chacun des


etres raisonnables et ne peut etre éternel sous ce rapport.
Et voici qui est plus signi:ficatif encore. Selon Thémis-
tius, le composé de l'intellect agent et de l'intellect en puis-
~ sance est le moi, et l'intellect agent y est la quiddité du
moiB7. Mais son opinion sur ce point ne l'empeche pas de
se poser un probleme dont l'importance historique est grande.
Plusieurs philosophes anciens et modernes se sont demandé,
1
dit-il, si toutes les ames ne forment qu'une seule ameªª ;
·! il aurait mieux valu chercher si tous les intellects ne forment
qu'un seul intellect. A cette question qui mérite le plus
sérieux examen, il faut répondre différemment suivant qu'on
envisage l'intellect en puissance ou l'intellect agent. Les in-
/ tellects en puissance sont multiples, on n'en saurait douter ;
e,,
mais comment y aurait-il plusieurs intellects agents ? ll
faudrait bien accorder que tous penseraient la meme chose
et ne différeraient pas spéci:fiquement : or ce qui est spé-
1 ci:fiquement identique ne peut se multiplier que grace a la

\ i matiere et l'intellect agent n'en a pas. On pourrait dire, i1


· est vrai, que les intellects agents dont nous recevons l'ac-
tion sont a la fois éclairants et éclairés, et le fait est qu' Aris-
tote les a comparés a la lumiere et non a la source primi-
tive de la lumiere, au soleil, qui est selon Platon l'analogue
du Bien, príncipe de toute intelligence ; mais ces intellects
agents et agis s'accordent tous, car nous nous comprenons
les uns les autres, nous concevons tous de meme et naturel-
lement les genres irréductibles de l'etre et les axiomes. La
raison de cet accord ne peut etre que dans un intellect agent
·primitif et unique 89 . Par cette doctrine de l'unité de l'intel-

86. Voir texte cit é note 78.


87. THEMIST., In De anima, roo, r8- r9 : &no &v ah\ xo:t ""º éyw xo:t To éµo l
dvo:,, xo:t éyw µisv ó o-vyxdµavo, voü, éx ,¡-oÜ ovvó:µaL xo:t TOV avae_ydq. •. .
!bid., roo, 3r-32 : Ilo:pcx µ6vov Tolvvv ToÜ 1tonrrtxoü ""º éµot a,vo:,.
88. Plotin a consacré á cette question Je livre IX de I'Ennéade IV.
89. THEMIST., In De anima, ro3, 26-30 : Ei os 1t0Hot xo:t xo:0' l!xo:o-Tov TWv
ovv,iµa, al, 1tOLl\TCY.6,, 1t68Ev <XAA~AWV ocolo-ovo-LV; '};:1tt ycxp 't"WV o:Ú't"WV 't"W et5EL
xcx-r?x ,:-·~v ÜA-r¡v ó µEp1.crµ6c;, &:váyxT\ OE -roUc; a;Ú-roUc; Elva, '['cr E10EL -roU.c; 1ton,~Lxo1.)c;,
id YE <X1Ccxv-rec; -r·~v a:Ú1..~v (x_oucrt.v oúrrlcxv -r"1 Evepydq. xa:J 't'?l a;ú-r& 1táv-re:c; vooOatv.
!bid. , ro3, 32-ro4, 3 : 'H ó µisv 1tp<hw¿ é).).ó:µ1twv al_, ol os é).).o:µ1t6µavoi xo:l
éHó:µ1tovT~, 1tl-afov, ,;\o-1t,ap ;º ~iií,. 'O. ,µsv J"P ~Aco, , al,_, T~, os <pw, at1;0L, &v
-rp61tov 'rLVCX µaptl;ecreo:L a,, "°'~ o<j,a,,. 6..o: 'rOVTO yo:p ov TOV l\ACOV 1to:pcxllal'l).l\XEV
Ó:AACX 'rO <pw,, II).ó:TWV /lis 'rOV i\l-cov . Tcj\ ycxp ó:yo:Oc¡; ó:vó:).oyov o:ú-rov 1to,a,. E1 OE
ak l!vo: 1toc-~Tcxov voüv -:foo:VTE, ó:vcxy6µE0cx o/ o-uyxelµavoL Éx -roü ouvó:µa, "°'' évep-

~
THÉMISTIUS 43

lect, Thémistius penche certainement vers la transcendance :


seulement i1 ne l'entend pas du tout a la maniere exclu-
sive d' Alexandre ; e' est que, a peine alexandrin quant a la
lettre, il 1'est entierement dans ses sous-entendus.

"(Ei(f, xod i:xó.an,i 1\f.LWV TO ifvO'.t 1t0'.pcx TOU i:vo, SXEÍvou É.aT[v, oú XP~ 60'.Uf.LÓ.l;;m.
II66sv ycxp O'.f x ~LVO'.l EWOLO'.L ; II66sv oe -~ cxliiliO'.XTO, XO'.l óµoiO'. TWV 1tp<hwv /ipwv
aúvsa,, XO'.t TWV 1t~WTWV ci~tWf.LÓ.TWV; M~1tOTE ycxp oú/ie TO auv,ÉVO'.t CÍAA~AWV Ó1ti'¡p-
XEV éív, El µ~ -rr., ~v ETc; voüc;, ov 1tcbrrEc; ExotvwvoüµEv, ..
(Comme P!aton l'a fait remarquer; Gorgias, 48r c-d <au sujet des sentiments >).
IV

L'INTERPRÉTATION ALEXANDRINE SIMPLICIUS

Jamblique avait composé un commentaire du traité De


l' ame90 ; mais il nous en reste a peine quelques fragments,.
et c'est dans Simplicius qu'il faut chercher l'interprétation
alexandrine de la théorie de l'intellect. Peu s'en faut d'ail-
leurs que le travail de Simplicius équivale a celui de Jam-
blique. Jamblique en e:ffet, qu'il appelle le Grand et le Di-
vin, le meilleur juge de la vérité, dont il entend suivre les
opinions sur le fond meme des questions que souleve l' étude
de l'ame, avec qui il travaille a rester d'accord meme quand
les paroles expresses d'Aristote l'obligent a faire quelques
réserves, Jamblique a été le m¿dele avoué de Simplicius91 .
r-¡'
Mais Jamblique n'est intelligible que par Plotin, et nous
devrons remonter jusqu'au chef de l'école alexandrine. Rap ..
pelons d' abord la doctrine fondamentale.
« Les doctrines des Stoi:ciens et des Péripatéticiens, dit
Porphyre 92 , sont secretement mélangées dans les écrits de

90. Voir les Ennéades de Plotin traduites par Bouillet, II, p. 613.
gr. SIMPLIC., In De anima, 174, 38-39 Hayduck; ibid,, r , II ; l. 18-20 :
1t(l'/t"(lXOV lle )<(l't"C( llvv(l¡.uv -r'é,,; 't"W'I 1tp(lyµihwv <X'l't"EXOf'éV<p <XA'l\6E[(l,; )<(l't"C( 't"~'I
'l(lµ/,).{xou Év -ror:; lo/o,:; (lV-rov 1tspl 'fUX'T\<; cruyypciµµ(l1,W úcp~Y"l\"L'l-
lbid., 313, r-2 : Z'l\-rsfo6w lle X(l! 01tw:; -rw Odw 1,uµcpwv~1,wµsv 'foµll'l-lxw- ..
l~id., 313, 6-7 ; o~ ll~1tou E'l(l'l't"[(l cp6{yys1,6(l .. -re¡; 'l(lµl'>'l-ix<¡> 't"OAf'~"ºf'EV, 1,uµ-
cpwv11cro µsv lle X(lt"ct lluv(l ¡,.w .
Cf. ibid., 217, 27-28. Voir B0UILLET, E1tnéades de Plotin, II, p. 614, 662, 66-4.
92. P0RPHYRE, Vie de Plotin, 14 ; trad . Bouillet, I, p. 15.
SIMPLICIUS 45
Plotin ; la M étaphysique d' Aristote y est condensée tout
entiere. >> L'alexandrinisme en effet n'est pas moins que la
conciliation du naturalisme avec l'idéalisme platonicien.
A l'idéalisme les Alexandrins accordent 1' existence d' essences
ou de natures définies, au naturalisme celle du mouvement,
et ils inventent pour concilier les deux termes une nouvelle
théorie de la participation.
Pour Plotin comme pour Platon, les choses se ramenent
a des concepts, et chacune a dans 1' ensemble la place que
luí assigne logiquement son essence9a. Au plus haut <legré
de la hiérarchie, il faut placer un terme qui n'en suppose
plus aucun autre et qui puisse servir de príncipe a tous les
autres : ce terme supréme ne saurait étre ni l'Intelligence
d' Aristote, car l'intelligence suppose la distinction et la
multiplicité, ni 1' étre, car 1' étre est comme l'intelligence
distinct et déterminé 94 ; i1 faut qu'il ne soit rien de tout
cela mais le príncipe de tout cela9s_ Ce sera l'Un ou le Bien
supérieur a l'Etre, dont Platon a parlé dans le sixieme livre
de la République. Au second rang viendront l'Etre et l'In-
telligence, les Idées et la Pensée qui les contemple 96 ; au
troisieme, 1' Ame, qui pour développer le contenu des Idées
engendre l'univers97_ Avec lui commence le domaine des
étres du second ordre9 8 qui ont de la matiere sensible. Mais
la méme rien n'est désordonné : ce sont seulement les acci-
dents, comme d'étre boiteux par exemple, qui ont leur rai-
son dans la matiere ; tout ce qu'il y a d'intérieur dans l'in-
dividu a sa raison dans une Idée : car il y a des Idées des
individus99_
Ainsi partout regne la hiérarchie, et si, chez Plotin, elle
est en cor e assez simple100, on la sent déj a toute préte a se
compliquer d'une foule d'intermédiaires : par exemple, le
maitre, non content de présenter l' ame, avec Platon, comme

93 . PLOTIN, Ennéade VI, IX, 5 et VI, 7. - Meme ordre dans le monde sensible :
le plan en est aussi rationnel que s'il résultait du raisonnement: Enn., III, II, 14.
94. Id ., Enn. VI, VII, 13, 14.
95. Id., Enn. V, II, II.
96. Id. , En1>. V, I, ro.
97. Id., Enn. V, I , 3 ; IV, m, 9.
98. SIMPLIC., In De anima, II, 22-24; 4, 2-3 ; 6, 14-15, etc ... Cf. PLOTIN, Enn.,
III, VII, 3 ; II, IX, 3.
99. Id., Enn. V, IX , 10, 12 ; V, vn ; VI, vn, 14.
roo. Id., Enn. V, I, 6 : il n'y a pas d'intermédiaires entre les trois hypostases.
46 LA 'rHÉORIE DE L'IN'rELLEC'r D' APRES ARIS'rO'rE

l'intermédiaire entre l'intelligible et le sensible101, admet entre


l'ame et le corps un nouvel intermédiaire, l'anima1102. Mais
ce n'est la qu'un signe et un commencement : combien fau-
dra-t-il marquer de degrés depuis le Príncipe supreme jus-
qu' a l'individu ? Pour épuiser par la pensée la continuité,
au moins apparente, de la nature, Proclus surtout en décou-
vrira une multitude : il y en aura entre les trois hypostases
elles-memes, et au-dessous d'elles s'étendront de longues
chaines d'Intelligibles, d'ames et de natures corporelles10 3 _
Ainsi le voulait le conceptualisme que les Alexandrins avaient
emprunté a Platon .
Mais cette hiérarchie n'est pas chez eux immobile ;
comme la nature chez Aristote et les Stoi:ciens, elle est
en mouvement et vivante. Chaque terme de la série est
engendré par le terme qui, luí est supérieur et engendre
celui qui est au-dessous de lui1o 4 ; c'est une génération,
éternelle sans doute, mais véritable, parce que chaque ter-
me n'a de substance que par son líen avec le terme su-
périeur105. L 'etre engendré est partout comme le trop-plein
sorti de l'etre générateur 106 ; c'est-a-dire que ce qui a plus
de réalité est la raison de ce qui en a moins. Car la géné-
ration des choses n 'est que la dialectique descendante réa-
lisée : c'est le platonisme retrouvé et volontairement main-
tenu sous le stoi:cisme et l'aristotélisme. L'intelligible n'avait
paru manquer de réalité que parce qu'on s'obstinait a mettre
les choses hors de lui ; mais il est tout le réel et i1 n'y a
point d'autre action, meme dans la nature, que celle de la
pensée107; il est vrai que les Idées ne sont que dans l'Intel-
ligence ; mais c'est qu'elles sont par elles-memes des Intel-
ligences et l'Intelligencei 0s. I1 est vrai que l'Intelligible s'ac-
tualise dans le sensible10s ; mais cela signifie simplement que

1or. Id,, Enn . IV, IX, 2 ,


102. Id,, Enn, I, I, 7,
103. PROCLus, Institutio theologica, CXI, CLXXV < dans Plotini Enneades,
Dübner (Didot), p, L = v I et CVI > .
104. PLOTIN, Enn. V, 11, 2, ad finem.
105. Id., Enn, V, 1, 6 ; II, rv, 5 ; III, VII, 2. - Le monde sensible lui-meme
est éternel : II, IX, 3 ; IV, m, 9. '
106. Id., Enn. V, 11, 1 ,
107. Id., Enn. III, VIII, 4, 7 .
108. Id., Enn. V, m , 5.- Co=e tous les intelligibles se pénétrent, ils forment
une unité : Enn. V, VIII, 4.
109. Id. , Enn. IV, VIII, 5.

l
-----
SIMPLICIUS 47
l'Intelligible, parce qu'il est réél, se développe ; il n'y a pas
de rupture dans la série des choses, le sensible n'est que
le dernier degré de l'intelligible, et il n'y a qu'un dévelop-
pement unique par lequel tout ce qui a de la réalité se ré-
pand et s'étale jusqu'au complet épuisement de la réalité
qu'il enveloppeno.
Mais ce n'est pas tout que d'introduire la vie dans l'idéa-
lisme et de réaliser la dialectique : il reste a faire voir
comment les notions qu'on pourrait croire condamnées a
la discontinuité et a l'isolement peuvent se répandre l'une
dans l'autre, s'engendrer l'une l'autre, sans se confondre et
sans se perdre. C'est le probleme de la participation qui
a tant embarrassé Platon et exercé la critique d' Aristote :
c'est aussi celui dont les Alexandrins ont fait le centre de
leur philosophie et qu'ils ont résolu avec le plus d'origina-
lité. L' essence ne peut pas étre séparée de ce dont elle est
l'essence, et cependant l'idée dont l'individu participe est
au-dessus de l'individu : comment done les idées supérieures
se laisseront-elles participer par l'idée de l'individu ? Car
tel est le probleme sous sa forme la plus précise et la plus
diffi.cile.
La solution alexandrine, peut-étre empruntée en partie C
au judai:sme philosophantm, c'est que l'intelligible se donne
sans se perdre112 • I1 en est de lui comme de la science: chaque
savant peut la posséder tout entiere sans qu'elle cesse d'étre 1
en elle-méme ce qu'elle est : elle peut suffire, sans s'épuiser 1
ni méme s'altérer, a des participations sans fin. Cette théorie
de la communication de l'intelligible acheve celle du déve-
loppement ou, selon le mot alexandrin, de la procession. Ou 1
plutót la théorie de la procession ne s'acheve que par celle ;
de la conversion : chaque terme de la série, a peine séparé
du terme dont il procede, se retourne vers lui, car puisqu'il
n'a de réalité que par sa communion avec lui, il perdrait
son étre s'il oubliait l'essence dont i1 le tient113 . La dialec-
tique ascendante est le retour vers l'étre : la chaine des 1

no. Id ., Enn. IV, III, 9 ; II, IV, r6 ad finem; IV, VIIl, 6.


rrr. RAVAISSON, Essai, t. II, p. 348 sq.
rr2 . PLOTIN, Enn . VI, v, 3, 8 ; IV, IX, 5.
II3. Id., Enn. IV, VIII, 7-
48 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D'APRES ARISTOTE

conséquences tomberait dans le vide si elle ne se rattachait


sans cesse aux príncipes.
Telle est, grossierement esquissée, la doctrine par laquelle
les Alexandrins entendent concilier l'idéalisme et le natu-
ralisme, l'immanence et la transcendance, l'universel et
l'individuel, et a travers laquelle Aristote leur apparait,
selon le mot de Simplicius, comme le meilleur interprete
de Platonn4.
Des philosophes qui envisageaient l'aristotélisme d'un
pareil point de vue ne pouvaient manquer d'y apercevoir
le courant qui l'enfraine vers la transcendance. Comme
Aristote est tres éloigné de constituer la connaissance tout
entiere avec des éléments individuels, il lui faut au sein de
l'individu meme une place pour l'universel : il lui faut une
ame qui ne soit pas toute engagée dans la matiere. C' est
la une nécessité du systeme que Plotin a tres bien saisie.
Les Péripatéticiens, dit-il, regardent l'ame comme une enté-
léchie inséparable : mais le seul mode de connaissance qui
puisse s'exercer dans une telle ame, c'est la sensation; l'in-
tellection est impossible. Ainsi, que font les Péripatéticiens ?
Sous le nom d'intellect, ils introduisent une nouvelle ame
qu'ils font séparablem. Ils ont pu différer le divorce de l'in-
corporel d'avec la matiere et l'individu, mais ils n'ont pas
pu l'éviter. Tót ou tard, i1 faut que la transcendance se
déclare ; Alexandre a cru qu'une ame inséparable serait ca-
pable de connaitre les formes séparées en remontant des
formes matérielles aux formes pures par l'induction : mais
l'intellection qui est au terme de ce mouvement ascendant
se distingue de lui. L'ame part de la considération des choses
sensibles, c'est-a-dire des images; mais elle sort de la série
des images ponr atteindre le prototype. Alexandre s' est
done trompé ; comme ce qui est séparé peut descendre et
se plonger dans la matiere, i1 a cru que l'inverse était éga-
lement possible ; mais il en est ici commme dans le syllo-
gisme : une proposition universelle unie a une proposition

114. SIMPLIC., 111 De a1tiina, 245, 12.


115. PLOTIN, E1tn. IV, VII, 86 (en rétablissant ce morceau a sa place comme
Bouillet) : 1. 14-16 : Ala8~cm, os µ6vov ovvcnov ta(,), y{na8o:,, Ta., o< vo~ae,,
cio,Ívo:Tov. ii,o xo:l o:ÚTol /J.,:>:r¡v <J,vx·~v TOV voiiv Elaciyova,,,, ov ci8civo:Tov -ri8e,,To:t.
SIMPLICIUS 49

particuliere peut donner une conclusion particuliere; mais


de propositions particulieres, ou meme d'une proposition
particuliere unie a une universelle, janiais on ne fera sortir
une conclusion universeUem. C'est ainsi que, selon Simpli-
cius, i1 faut prendre le contre-pied d' Alexandre. Le vrai pro-
bleme ne peut pas consister a s'élever de l'immanent au
transcendant, mais a descendre du transcendant a l'imma-
nent. La doctrine de la procession le résout sans peine au
jugement de tous les Alexandrins. Mais ils different entre
eux par des nuances, laissant voir ainsi la difficulté réelle
ou ils se heurtent secretement.
« S'il convient que je déclare ici nettement ce qui me
parait vrai, dit Plotin, dussé-je me mettre en contradiction
avec l'opinion générale, je dirai que notre ame n'entre pas
tout entiere dans le corps : par sa partie supérieure, elle
reste toujours unie au monde intelligible, comme par sa
partie inférieure elle l'est au monde sensible117 ». Jamblique
estime qu'on ne peut pas appliquer une pareille doctrine
a l'interprétation d'Aristote. D'apres Aristote, l'ame est
une meme dans les etres raisonnables : comment done cou-
per ainsi leur ame en deux parties ? C'est impossible : i1
faut admettre que l'ame descend dans le corpstout entiere118 .
Mais si Jamblique voit mieux que Plotin la tendance natu-
raliste d'une moitié du systeme d'Aristote et n'ose, par
suite, introduire le surnaturel dans la partie naturaliste de
la doctrine, il incline a isoler l'ame de l'intelligible et sera
bien embarrassé pour dire comment elle s'unit a lui. Distin-
guant l'Intelligence en participable et en imparticipable,
il regarde l'intellect en puissance et l'intellect agent comme
appartenant non a l'ame, mais a l'intelligence participable,
ou meme a l'intelligence imparticipablen9: ce n'est point de
1' ame, e' est d'une essence supérieure a 1' ame qu' Aristote
a parlé.

rr6. SIMPLIC., In De anima, 279, 30 sq.


II7. PLOTIN, Enn. IV, VIII, 8 ; trad. Bouillet. _
rr8. SIMPLIC., In De anima, 5,32-33 : Kcxl µ[cxv -r~v Év ÉXÓ:O''f<¡l ~<Í''P eivcx,
~o,l).e-rcx, <J,vx·~v xcxl év -ror, Aoycxor, ... {Il s'agit d'Aristote) ; cf. ibid., 6, 12.
rr9 . Ibid. , 313, r-5 : Zl)-refo6w lle xcd /í-n:w, -re¡; 6e[<¡> O'Vµ<pwV~O'WfJ.Ev 'fot.1.~AIX<¡>,
xcxl -rov llvvó:µe, vouv xcxl -rov Évepyelq. éitl -rou xpe/novo, -rii, <J,vxii, ó:xo\Jov-rL T\
-rou opLO'TLxou -rii, <J,vxii, ~ -rou ó:µe6éx-rov, ~µe!, oi6µevo, é1t'cxú-rii, -rii, <J,vx,xii,
oÚO"{cx, Ó:µ<pb-repcx 1tcxpcxB/llo0'6cx, .. .
50 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

Simplicius comprend bien que Jamblique est lui-meme


infidele a ce sentiment de l'unité naturaliste du systeme
d' Aristote au nom duquel il vient de condamner Plotin.
Simplicius se sépare done de J amblique et professe qu' Aris-
tote a parlé uniquement, dans le IlEpl \Jlux'ii~, de l'ame et des
capacités de l'ame120 . D'abordletitre de son ouvrage le vou-
lait : dans le XII 0 livre de la M étaphysique, il a parlé de
l'intelligence : c'en était le lieu; s'il en eut parlé dans le
traité De l'ame, c'eut été en sortant de son sujet121 • C'eut
été aussi en manquant a la méthode qu'il suit constam-
ment dans cet ouvrage : quand il parle de l'intellect, il en
parcourt successivement les degrés, et d'une maniere géné-
rale il étudie les pouvoirs de 1' ame en les abordant a leur
rang hiérarchique, commenc;ant par l'ame nutritive pour
passer ensuite a ce qui en est le plus voisin, a la sensibilité,
et de la a l'imagination. Comment done, renonc;ant tout-a-
coup a cette marche réguliere, négligeant les intermédiaires
qu'il n'omet jamais, Aristote aurait-il pu sauter de l'ima-
gination a l'intelligence par-dessus l'ame rationnelle ?122
Mais i1 y a plus, Aristote désigne lui-meme l'intellect
comme une partie de l'ame : « J'appelle intellect ce par
quoi l'ame raisonne et juge12s>>, et cette déclaration expresse
du Philosophe est confirmée par les caracteres qu'il emploie
pour définir l'intellect : le raisonnement, le jugement, la
prudence, tout cela appartient a la pensée discursive. Or aux
yeux de Simplicius, comme de tous les Alexandrins, l'ame
veriant immédiatement apres l'Intelligence est essentielle-
)1. ment une Pensée plus multiple qu'elle, une Pensée non plus
intuitive, mais logique ou rationnelle : en définissant l'in-
tellect, Aristote définit done a ses yeux l'essence propre de
l'ame : done le Philosophe n'a pp. parler de l'Intelligence,
il a parlé de l'ameI 24. I~ va meme, dans l'opinion de Simpli-
cius, jusqu'a indiquer les différences qui séparent l'intellect
humain d'avec l'Intelligence : i1 dit que l'intellect ne pense
pas toujours, qu'il n'est pas toujours séparé, qu'il n'est ce

120. Voir note précédente, et SIMPLIC., In De anima, 218, 32 sq.; 220, 15-17.
121. Ibid., 218, 29 sq. ; 220, 15-17, 32 sq. ; cf. 217, 23 sq.
122. Ibid., 218, 13-15 ; úo, 28 sq.
123. ]bid., 218, 16 (AIUST., De anima, m, 4, 429a 23).
124. Ibid., 218, 34 sq. ; 220, 34 sq. - PLOTIN, Enn. V, III, 3.
SIMPLICIUS 51
qu'il est que lorsqu'il est séparé : or l'Intelligence pense
toujours, est toujours séparée, est toujours ce qu'elle est
puisque son essence est l'acte125 . I1 ne faut pas se laisser
tromper par un mot : N ou~ dans Aristote ne désigne pas
nécessairement l'Intelligence : Aristote applique ce mot et
ses congéneres a toutes les facultés qui sont susceptibles
de passer d'elles-memes a l'acte; il l'emploie souvent pour
désigner la raison de l'ame, mais i1 l'emploie aussi pour
désigner l'imagination : la sensation est le seul des pouvoirs
de l'ame auquel il ne l'applique jamais12s.
Par toutes ces raisons, il est clair que Jamblique s'est
mépris et qu' Aristote regarde l'intellect comme une partie
de l'ame. Quand le Philosophe dit que l'intellect en puis-
sance est séparé, i1 veut dire simplement que l'intellect en
puissance n'est ni la cause informante de l'organisme, ni
une essence qui s'attacherait a la matiere pour en faire
son instrument comme le pilote s'attache au navire127.
Mais cela n'empeche pas l'intellect en puissance d'etre une
partie de l'ame. L'intellect agent lui-meme n'est pas autre
chose, car, remarque Simplicius apres Thémistius; Aristote
ne la compare pas a la source de la lumiere, au soleil,
ainsi qu'il le ferait certainement s'il le regardait comme
identique a l'Intelligence, i1 le compare seulement a la
lumiere12s.
On voit quelle part Simplicius s'efforce de faire a l'im-,
manence. Mais naturellement, c'est la transcendance qui
l'emporte. En réalité, il n'y a pas de doute, selon Simpli-
cius, qu' Aristote a résolu et résolu affirmativement la ques-
tion de savoir si pour · penser les formes séparées l'intellect
doit etre lui-meme séparé : car comment l'intellect devien-
drait-il en acte les formes séparées sans etre lui-meme sépa-
ré ?12 9 _ Bien qu' Aristote ne perde pas de vue la différence de
L'ime et de l'Intelligence, qu'il n'oublie pas que l'essence
d~ 1' ame est la pensée logique et discursive, il assimile au-

125 . SIMPLIC., In De anima, 240, 26 sq. ; 244, 39 sq.


126. Ibid. , 220, 38 sq.
127. Ibid., 227, 12 sq.
128. Ibid., ,223, 9 sq. .
' 1;'9, ~bid., 279,, 1_9-2~ : Oúx. lív, ;/ Y; ~xwpLüTO, ~v, TOL, xwp/crTo,, üW1)pµ6~E'CO
OUO a.V Ey/VE'ro C,UTC, Ta xwpLüT<X , O't'E EVr¡pyEL.
52 LA THÉORIE DE L'IN'l'ELLECT D'APRES ARISTOTE

tant que possible l'ame a l'Intelligence, il lui attribue, en


meme temps que la connaissance logique, l'intuition intel-
lectuelle : comme l'Intelligence, elle s'identifie avec les Idées
quand on la considere dans sa plus haute perfectioniao. En
interprétant ainsi Aristote, Simplicius se rapproche assu-
rément de Plotin qu'il a combattu d'abord avec Jamblique.
Est-il bien sur que l'ame soit descendue tout entiere, elle
qui demeure en contact avec l'intelligible pur et peut ne
faire qu'un avec lui comme l'Intelligence elle-meme ? Au
reste, si la querelle de Plotin, de Jamblique, et de Simpli-
cius, n'est pas purement une querelle de mots, ce n'est du
moins rien de plus qu'une querelle de nuances. Directement
ou par des intermédiaires, l'intellect humain reste attaché
a l'Intelligence et en ce sens il est transcendant : seulement,
en tant qu'il incline vers les choses du second ordre, i1 est
en meme temps immanent : les Alexandrins sont unanimes
sur ce point et il est seul capital. L'intellect humain n'est
au fond que, l'Intelligence en tant qu'elle a procédé : peu
importe que ce soit d'un degré ou de deux1a1.
Comme c'est toujours cette idée de la procession qui fait
le fond des interprétations aussi bien que des théories alexan-
drines, nous changeons a peine de sujet en passant de la
question de l'immanence et de la transcendance a celle de
la nature des différents degrés de l'intellect. Degrés est
proprement le mot qui convient ici : l'intellect en puissance
avec ses deux subdivisions : l'intellect matériel et l'intellect
en habitude ou acquis, et d'autre part l'intellect ag:nt, tout
cela n'est décidément aux yeux de Simplicius que les di-
verses phases d'un meme développement. Selon que l'in-
tellect humain reste en lui-meme ou se porte vers le dehors,
selon qu'il se retourne par la conversion vers ce qui fait
sa substance, c'est-a-dire vers l'Intelligence, ou qu'il se dé-

' '6
130. lb 1,"d ., 219, 22-23: ... wc; ,l. • ouvcx't'
" yt.p "t'u_xrx.t.p " 6v, 't'"(I• oucnq.
' , wv
" Ev~pye.tcx
' L /) ,a.
' 't"r11v
1tpoc; voílv o-uvo:r~v. - L . 25-27 : ó [scil. l-6yoc;] -roií' i!~w 7C(XV'rEAW<; áq,t~-ráµevoc;
xcd ÉcxurW ci:µ.Eptcrrwc; É.voÚµEvoc; ,. Wc; Ouvc.n·bv, &:q>oµ.oeoü-rcxt -rq', vq,.
lbid., 228, 4 ; 248, 32-36 : Noílv /le éi¡J.o: xo:t l-6yov o:i•nóilll\ xo:l á1tl-wc; E'Jl to-'t7\·
µov,xov Oéµevoc; -rov 1totoílv-ro: voílv, xo:l -ro: vo7\-ro: o:ú-r,¡, áxol-oiÍOwc; /ltno: 1tpo-r/01\o-t,
-ro: µev áo,o:/pe-ro: xo:l áµép,o--ro: ov-ro: d61\ tilc; vi¡,, -ro: /JE áve,),,yµéva xal µe-rá -rtvoc;
o-uvOfoewc; xal Bta,péaewc; -r-r¡c; Évwaewc; µe-rixov-ra tilc; E'ltl<:I-r7\-rá , B-re -r-r¡c; al-r{o:,;
•xe-ro:,. Voir aussi 259, 29 sq.
131. lbid., 247, 35-39 : la mo1t de l'intellect passif, c'est seulement le retour
de l'intellect a lui-meme par sa séparation d'avec l'am.e.
SIMPLICIUS 53

tache de soi pour poursuivre sa procession, il est intellect


en acte ou intellect en puissance. Et selon que l'intellect
en puissance s'éloigne plus ou moins de soi, il est intellect
matériel ou intellect en habitude : dans ce dernier cas, il
pense encore, sans doute, mais comme cette pensée vient
d'ailleurs, est empruntée du degré supérieur; elle est déja
melée de puissance : car, par exemple, un organe vivant
est dit posséder la vie en puissance, bien qu'il vive, parce
que sa vie est empruntée132 . Quant a l'intellect matériel, i1
ne pense plus, il sent ; a force de descendre, la pensée s'est
faite sensibilité1 ªª· D'ailleurs, l'intellect ne descend pas plus
bas : il ne faut pas croire qu'il soit jamais, comme la ma-
tiere, une simple possibilité de recevoir les formes 134. I1 y a
toujours en lui quelque forme, et quand meme on .accorde-
rait qu'il est a son dernier degré comparable a une tablette
vide, i1 ne faudrait pas oublier que c'est lui-meme qui, en
se retournant vers soi, écrira sur la tablette : la forme ne
lui vient pas du dehors, elle est en lui-meme ou plutót elle
est lui-meme : elle lui est innée parce qu'elle est le fond
de sa natureias. << Pour connaitre ce qui est en elle, dit Plo-
tin, il faut que 1' ame se tourne vers le principe de la lu-
miereias )). C'est toujours la meme pensée; il n'y a que l'ex-
pression qui difiere; cette doctrine de l'innéité n'est pas
autre chose qu'un aspect de la conception alexandrine des
rapports de la pensée avec son objet. I1 nous reste a voir
comment on l'applique a l'interprétation d' Aristote.
Selon lui, il y a deux connaissances infaillibles : l'intui-
tion de l'intellect et la science. L'infaillibilité de la premiere
s'explique aisément par la simplicité de son objet : comme
il n'a qu'une maniere d'etre, on le saisit ou on ne le saisit

132. Ibid. , 218,42-220,15. Ibid ., 228, 1-3 : lieu signifie réceptacle de choses

71 eip1\f1.ÉV1\ ' xcxl OAW, fi•~w


venues du dehors ; 228, 3-7: ... El ois -rou-ro, ovos f¡ vo7\-.<x·~ OA1\ fo-ro:, -r6rto,, ci:U.'
puefocx, Értd -1\ ye µÉvouo-cx fo-r, -rix O'ÚO'TO<X<X cxv-rr, do7\
ci:ú' ov liÉXET<Xt, xcxl ouvcxµE< cxn· ovx f.VTEAEXeiq. -~ CÍ:TtOO'TllO'CX 'ltw, écxu-rii,, 71 'oe ei,
écxu-r·~v OA1\ o--rpcx<peTo-cx xcxl xcx-rix -r~v écxu-ri'¡, o--réio-cx ovo-/cxv ov ouvci:µe, h, ci:ú' Évep-
ye/q., µéiAAov lle f¡ éviipye,cx cxv-r~. · ,
lbid., 243, 27-28 : Tij lle ovo-{q. ,;;, [scil. l 'intellect agent] evépye<cx ll<ix -r·~v
ci:µÉp<o--rov 1tpo, écxu-.ov ª~Pº'f'~V .• .
133. lbid., 226, 16 sq.
134. lbid.
135. lbid., 236, r8 sq. ; voir supra n. 132.
136. PLOTIN, Enn. I, n, 4.
6
54 LA THÉORIE DE L'INTELLECT n' APRES ARISTOTE

pas, mais on ne saurait le saisir mal. Simplicius, apres Plo-


tin qu'il cite, se borne sur ce point a répéter le Philosophe137,
et peut-étre n'y av"!-it-il pas autre chose a faire puisqu'il
avait été parfaitement net . Mais il l'avait été un peu moins
a propos du rapport qui relie la certítude de la science a
celle de l'intuition . Dans le traité De l' áme surtout, il ne
prend pas assei de peine pour nous montrer comment l'in-
tellect qui fait des syntheses et des divisions se rattache
a celui qui a l'intuition du simple. Il nous laisse le soin de
rapprocher les différentes parties de son systeme pour en
dégager l'éclaircissement qui nous est si nécessaire. Or les
Alexandrins ont fait cela excellemment et exprimé, semble-
t-il, la vraie pensée d' Aristote avec exactitude quoique dans
le langage qui leur est propre.
Puisque la procession est un passage de l'unité a la mul-
tiplicité, un développement de la réalité ou cha.que terme
inférieur, c' est-a-dire plus multiple et plus développé, a sa
raison dans le terme supérieur, c'est-a-dire plus un et plus
enveloppé, on peut, en considérant un terme quelconque
de la procession, se placer a deux points de vue. Considéré
en lui-méme, i1 nous apparait comme quelque chose d'un
et de simple : il est l'objet de l'intuition intellectuelle ; con-
sidéré comme cause des termes inférieurs qu'il enveloppe,
il est quelque chose de multiple et l'objet de la connaíssance
scientifique. Mais cette multiplicité n'étant que l'unité con-
sidérée dans son mouvement pour sortir d'elle-méme n'est
pas véritablement étrangere a l'unité. C'est encote une sorte
d'unité et de simplicité, et comme elle contient toute la
maltíplicité développée que la procession en a fait ou en
fera sortir, elle nous permet de ramener la multiplicité a.
l'unité. Ainsi la science méme aboutit a une intuition du
simple : elle contemple les choses causées dans la simpli-
cité de leur cause, et cette intuition moyenne ne difiere de
l'intuition intellectuelle que par une nuance13.8 . Voila com-•

137. SIMPLlC., In De anima, 250, 1 sq.; 261, 20 sq. - PLOTIN, Enn. I, 1, 9 . -


Voir BOUILLET, Ennéades de Plotin, n, p. 613-614.
138. SIMPLIC., In De anima, 249, II sq., et supra n. 130. Ibid., 23 1. 2-II : ó
xpd·n·wv -rT\c; tjluy_·~c; voüc; oú µE1:cxóodvwv &1tO 1:Wv e:to<ilv E1tt -r?x Et0orroto0 µe:vcc, 'íva:
11'
1
xcx2 -taV-ca yvq>, ci.AA Ev ccú-r'?¡ ·1--~ Et6W J vo·~rrEt Wc; É~ crJrlwv xcd -r?x Eloo1to1.0Jµe.va;
1

xcd -r?x TOVTOt<; É1ttcruµbod,10v-r0'.. xod á1tAWi:; Ei1tdv xcd -rGt al-na-r?x 1tá.v-rcx xcxt ,:-~v
-rWv Eaxcl'rwv ixV-rWv Oe:x'r~x-~v 0A1¡v xo:~ -r?t ó1twa0Vv cxU-roT; 1tcxpvq:,1.rr't'áµevo: xo:-rOC.
SIMPLICIUS 55

ment se réconcilient l'intellect qui fait des syntheses et l'in-


tellect qui saisit le simple : la raison de la synthese est dans
un terme supérieur qui l'implique da.ns son unité ; et des
lors il est aisé de comprendre comment l'erreur n'est pos-
sible que dans une connaissance inférieure qui assem ble
et divise sans remonter a l'unité, c'est-a-dire dans l'opinion,
tandis que la science partage avec l'intuition le privilege
de 1' infailli bifüé139.
Mais il y a une raison a l'infaillibilité de l'intuition elle-
meme. La vérité est la conformité de la pensée avec l'objet,
et c'est ce que Simplicius exprime en des termes. qui sont
la formule éternelle du dogmatisme : toute connaissance
se regle sur la chose connue : 1tifoa 1 vwo-t<;; xa-.a 1 vwo--.óvuo. "º
Reste a savoir comment cette conformité peut s'établir.
Elle se ramene, d'apres Aristote, a une identité : la science,
a plus forte raison l'intuition, est conforme a son objet par-
ce qu'elle lui est identique. Plotin et Simplicius reproduisent
ici, dans le langage le plus énergique, la doctrine d' Aris-
tote141. Mais ils font plus : ils l'interpretent dans un sens
décidément idéaliste. Tout disposé qu' on puisse etre a croire
qu'aux yeux d' Aristote lui-meme c'est en fin de compte
l'objet qui est premier et qui fait le sujet, il faut bien con-
venir que ni le traité De l' ame ni la M étaphysique ne pro-
noncent sur la question en des termes capables de mettre
fin a toute contestation. On peut se demander parfois si
la tendance individualiste du systeme n'a pas persisté jus-
qu'au bout, si l'objet ne va pas se résoudre dans le sujet
contrairement a ce que réclame l'esprit du dogmatisme.
Les Alexandrins, comme le Commentateur, se prononcent
pour la solution dogmatiste. Sans doute, d'apres Simplicius,
Alexandre a eu tort de croire que l'intellect ne se pense

-r·~v a.t-nWO·r¡ ¡ tvWcrxEt v6-r¡crtv, -~ Ev Tor~ E'f0Eaw od·nwOWi; 1tpo§{A117t-ra.1. -r?x cxt-rt~-ró:.
"Ov ó-~ xcxt -~ E1, -r·~v oúcrlcxv écxu-r-i\, avcxópcxµoucrcx <J,ux·~, <il, o16v -re cxu-rij, µ,µshcxt
ex-re cruµq,uw, cxú-rc¡, cruv11µµÉv1) , Év -ro,, axpo-rho,, écxu-r-i\, µÉvouacx Abyo,, xcxl sk
-rO E~w oúOcxµ~ 1tp0Yoürrcx, crvv cx1t-roµÉ,1T¡ 6E. xcxi -roti; Ev -r<f> vi¡) e;-'(Qe;cn, xcd Ev -ro\J-rotc:;
xcxt cx{hT¡ -rCX \:d-rtcx-rCX xo:-r?x -r·~v cxl-ru..i)Q·r¡ 6e;wpe;L á-rrA6·n¡-rcx. Voir aussi 250, r6 sq.
139. Ibid., 248, 36-249, I : La connaissance qui comporte la fausseté aussi
bien que la vérité n 'est pas la science, car celle-ci est toujours vraie ; 249, 2-3 :
ciA)/ OAwt; 1tEpl crVv6unv x<1t 6tcxlpEcrtv -r·~v ci<pta-rcq.dv·r¡v µEv -rWv a.t·dwv, Oo~o:crnx.·~,, ( .,
óL. C'est la pure doctrine de P!aton: voir Ménon, 9~ a . '-
140, SIMPLIC., In De anima, 231, 22 .
. 141. PLOTIN, Enn. V, v, r et 2. SIMPLIC., In De anima, 245, 7 sq.
56 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

lui-meme qu'apres avoir subí l'action de l'intelligible et etre


devenu lui-meme intelligible par cette action. Non, l'intel-
lection n 'est pas passive, ou du moins ce ne serait que dans
l'intellect humain et encare uniquement dans les opérations
qui le préparent ; l'Intelligence pour se penser elle-meme
n'a besoin de ríen d'extérieur a elle-meme en aucun sens.
Elle est exactement son pro pre obj et 142 • Mais q u' est-ce a dire ?
Simplicius n'entend nullement ramener l'intelligible a l'In-
telligence. Le chef de l'école d'Alexandrie s'est prononcé
trop clairement sur ce point et trop conformément a !'es-
prit du platonisme pour que Simplicius songe un instant
a se séparer de luí. ce Si l'on dit que, dans ce qui est imma-
tériel, dit Plotin, la connaissance et la chose connue ne
font qu'un, il ne faut pas entendre que c'est la connaissance
de la chose qui est la chose meme, ni que la raison qui con-
temple un objet est cet objet meme, mais plutót, en sens
inverse, que c'est la chose qui, étant sans matiere, est pure-
ment intelligible et intellection14a_ >> Ce qui n'est pas intelli-
gible par soi, dit a son tour Simplicius, c'est ce qui ne peut
se faire penser que par un intellect différent de soi : c'est
la le cas de tout ce qui a de la matiere et c'est parce qu'elles
en ont que les formes sensibles ne pensent pas ; mais toute
forme sans matiere se pense et se pense par elle-memeu4. On
ne peut guere dire plus clairement que c'est l'Intelligible
qui fait l'Intelligence. S'il est vrai que les Intelligibles n'exis-
tent que dans l'Intelligence, c'est qu'ils produisent l'Intel-
ligence- ou plutót qu'ils sont l'Intelligence; car ils font ou

142. lbid., 230, 12 sq.


I43 . PLOTIN, Enn. VI, VI, 6: El Oá -rt; AÉyoi., ci\i:; i1d 1:Wv ri.vEv \J1-r¡i; 1:0 ex,h6 ia-nv
i¡ ÉTCLa-~µ1) .,-q, ;itp&:yµa.,-,, sxdvwr; xr·~ voerv 'l"O AEy6µevov , .:ir; oú .,--~v E1tta-.,-~µl)v '!"O
1tpayµ,x ).áye, elva, oúoi; 'l"OV ).6yov 'l"OV 0ewpouv.,-,x 'l"O 1tpíiy¡i,x <XÚ'l"O 10 1tpayµ,x,
cil.A« civó:1t<XAtv 'l"O 1tpayµa aú.,-b avev Ü).1),; 8v vo1)'!"6v -re xat v61)rnv elva,. Trad.
Bouillet.
144. SIMPLIC., In De anima, 239, 7-10 : Nol).,-ov o·~ xal -ro l'vv).ov 1:-rápw llv
<X1:E1Wc; Éa-rt vo1)1:6v · oú y?xp lx!XvOv «ú-rO X(1.0' etÚ't'O voe:fo·Ocxi., d µ-~ -rO vooüv EO'-nv,
€'l"Epov ,xÚ.,-ou iív. 'A.,-EAw,; ouv (f!'l"<Xt V01)'!"6V, hépo,; 1tpo,; 'l"O voefo0,x, oe6µevov ...
Ibid. , 23-9, 16-17 : "Aü).ov dvat 1t,iv.,-,x vouv ci1toq,acv6µevo,; xat lle« .,-ov-ro -ror,
evú,a,,; µ-~ &n:ó:pxetv •. .
Ibid., 237, 12-14 : 'E1tEL oUv ó vaUi:; éxüAoi:;, 1tciv-rwi:; xcxL vol'¡-rO; Wi:; €!Xu-r0v voWv ·
iv OE -rq'> xtx-r' \iv1pyetrJ.v vq'> xrú Ef§e:\ ~O o:ú-rO ;~, vaoU.~ xa;t, 1:0 vooúµEvov, ot6TL
1tíia-,x yvwcrnx·~ evepyet<X -re;, yvwcr-rqi optl;e.,-,x, x,xc ea-.,-cv 01tep -ro yvwa--r6v .. .
lbid., 238, 29-31 : Texte d'ArusTOTE, De anima, III, 4, 430a 8-9 : exdvot,; 6i;
'!"O VO'l)'l"OV v1tó:p/;et. Co=enfaire : Tor,; vor,;, É1tEtO~ dlü).ot 1tÓ:V'l"E,;, OÚ)( b-épou o!:
cxl.A' É<XU"t"OV x,x( <XÚ'l"O 'ltÓ<V '!"O aü).ov. 'E<XV'l"OU o1iv ""'' ó vou,;, ,o 6i; ou ó vov,; VO'l) -
.,-6v · W<l"'l"E 1tÓ:V'l"W<; '!"ar,; vor,; 'l"O VO'l)'l"OV úmxp/;Et.

_______.
SIMPLICIUS 57
sont les pensées et l'intelligence n'est ríen de plus que !'en-
semble des pensées : ~ vó-r¡1ni; -cix vo'lj¡J,ix-cix disait Aristote lui-
meme. Done il est au fond d'accord avec Platon : pour lui
comme pour son maitre, ce sont les Idées qui sont pre-
mieres. Voila le dernier et le plus haut résultat de l'inter-
prétation alexandrine.
.v

AVERROES

L'alexandrinisme, derniere expression de la pensée grecque,


ne meurt qu'avec le monde grec. Aussi est-ce désormais
chez les Barbares qu'il faut chercher la philosophie, et par-
mi eux les plus brillants sont les Arabes dont Averroes
résume tout le développement intellectuel. Or la théorie
de l'intellect est précisément le point central de la philo-
sophie d' Averroes.
La partie la plus importante de cette théorie est celle
qui a pour objet l'intellect matériel: c'est a ce sujet qu' Aver-
roes se sépare avec édat d' Alexandre et prépare la querelle
fameuse des Alexandristes et des Averroi:stes qui troub1a
l'Italie savante au seizieme siede1 4s_
L'intellect matériel est le réceptade ou récipient des for-
mes : c'est de la qu'il faut partir pour pénétrer sa nature.
D'abord, sa fonction de récipient exige qu'il ne possede
pas la meme nature spécifique que ce qu'il doit recevoir: par
elle-meme la vue n'est pas colorée, par elle-meme l'ouie
n'est pas sonore, et en général, le récipient doit etre privé
de la nature du rec;u : car autrement nous aurions une
chose qui se recevrait elle-meme, ou en d'autres termes le
moteur serait le mu. Or l'intellect doit etre apte a recevoir

145. RENAN, Averroes et l'averro,sme, p. 281 sq.


59

toutes les formes qui sont engagées dans les objets sensibles ;
dont il ne peut etre aucune de ces formes14ª.
Mais a cette premiere raison il faut en ajouter une bien
plus caractéristique et bien plus grave. Une forme engagée
dans la matiere, ou, en d' autres termes, un composé de for-
me et de matiere, ne peut recevoir d'autres formes qu'avec
leur matiere, au moins avec la matiere premiere qu'elles
informent : mais toute forme qui a de la matiere est
individuelle et l'intellect doit recevoir les formes avec leur
universalité147_ L'intellect ne saurait done etre un composé
de forme et de matiere.
11 n'est pas moins impossible qu'il soit une forme pure:
d'abord parce qu'uneforme pure n'existe pas séparée et par
soi, ensuite parce qu'une forme pure, si elle peut etre dite rece-
voir les formes matérialisées auxquelles elle est attachée, ne
les re9oit précisément que parce qu' elles sont matérialisées :
mais elles ne sont alors intelligibles qu'en puissance, elles ne
sont pas universelles148 • Enfi.n, l'intellect ne peut pas etre la
matiere premiere : celle-ci en effet est bien un pur récipient,
mais elle individualise les formes qu'elle re9oit : l'intellect

146. AVERR0ES,De anima, 138 A-B: Quod autem substantiarecipienshasformas,


necesse est ut non sit corpus, neque virtus in corpore, manifestum est ex propo-
sitionibus, quibus Aristoteles usus est in hoc sermone. Quarum una est, quod
ista substantia recipit omnes formas materiales. Et hoc notum est de hoc intel-
lectu. Secunda autem est, quod omne recipiens aliquid, necesse est ut sit denu-
datum a natura recepti : et ut sua substantía non sit substantia recepti in specie.
Si enim recipiens esset de natura recepti, tune res reciperet se, et tune movens
esset motum. Unde necesse est ut sensus recipiens colorem careat colore : et reci-
piens sonum careat sono. Et haec propositio est vera, et sine dubio. Et ex his
duabus sequitur quod ista substantia, quae dicitur intellectus materialis, nullam
habet in sui natura de formis materialibus istis.
147. Ibid., 139 D: Necessum ergo est hanc naturam, quae intellectus nominatur,
recipere ipsas formas, modo quidem diverso ab illo, quo istae materiae recipíunt
illas formas, quas recipíunt : quae quidem ideo continentur, ac retinentur in ípsa
materia, quia materia ípsa prima termínatur per eas. Et idcirco non oportet ípsum
esse ex genere íllarum materierum, quíbus materia prima continetur, seu termí-
natur. .. (Traductíon de Mantino. Sur Mautino, Juif espagnol, médecin du Pape
Paul III, voir RENAN, Averroes, p. 302. -On a deux sortes de traductionslatines
d'Averroes _: 1° des traductions faites au xme siecle sur l'arabe (RENAN, ibid.,
p. 160 sq.) ; 2° des traductions faites au xvre siecle sur les traductions hébraiques
(ibid., p. 300 sq. ; sur les traductions hébraiques, voir ibid., p . 146 sq). Dans les pas-
sages difficiles, les éditeurs reproduisirent les deux traductions a la fois. Quand
j 'emploíerai celle de lVIantino, je l'índíqueraí) .
148. AVERR0ES, ibid., 138 B: Neque est etiam ex formis primis simplícibus.·n1ae
enim non sunt separabiles, et non recipiunt formas, nisi diversas, [sur le sens de
diversas, voir note suivante] et secundum quod sunt intellectae in potentia, non
in actu.
60 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

au contraire est la puissance des formes universelles14D. Ainsi,


il n'est ni matiere, ni forme, ni lecomposédesdeuxchosesiso.
Qu' est-il done ? Alexandre a cru bien répondre en disant
qu'il n'est qu'une pure disposition. Prenant dans l'acception
la plus étroite et la plus absolue la définition aristotéli-
cienne de l'ame151, n'admettant pas qu'aucune partie ni
aucun acte de l'ame puisse se séparer du corps, il rejette,
malgré Aristote, l'intervention de toute cause transcendante
pour expliquer la formation de l'intellect matériel. Il allegue
que par le mélange des quatre qualités fondamentales on
arrive a constituer des choses tres di:fférentes des composants,
et entre autres le feu et l'air ; et, puisque tels sont les résul-
tats d'une composition si simple, i1 lui parait qu'il n'y a
point de produit, si élevé soit-il et si di:fférent de ses éléments,
qu'on ne puisse attendre d'une composition aussi complexe
que celle du corps humain. Et en conséquence il regarde
l'intellect matériel comme engendré par la mixtion des élé-
ments corporels; ce qui revient a dire qu'on peut obtenir
avec des corps une nature capable de recevoir les formes
sans les individualiser.
Dans cette voie Alexandre aurait pu ne pas s'arreter, et
on ne voit pas pourquoi il n'a pas fait sortir de la meme
source l'entéléchie la plus haute de toutes, l'objet meme de
l'intellect et sa forme. Peu s'en faut qu'il ne tombe dans

149. lbid., 13 9 A : Definitio igitur intellectus materialis est illud, quod est in
potentia omnes intentiones formarum materialium universalium ...
lbid., 139 B : Et, cum ista est definitio intellectus materialis, manifestum est
quod differt apud ipsum [scil. Aristote] a prima materia in hoc, quod iste est in
potentia omnes intentiones formarum universalium materialium : prima autem
materia est in potentia omnes istae formae sensibiles, non cognoscens, neque com-
prehendens. Et causa, propter quam ista natura est distinguens et cognoscens,
prima autem materia neque cognoscens, neque distinguens, est, quia prima mate-
ria recipit formas diversas, scilicet individuales, et istas : iste autem recipit for-
mas universales. Et ex hoc apparet quod ista natura non est aliquod hoc ... quo-
niam, si ita esset, tune reciperet formas secundum quod sunt diversa, et ista. Et,
si ita esset, tune formae exsistentes in ipsa, essent intellectae in poten tia. Cf. ibid.,
147 A-C.
150. lbid., 138 B : Est igitur [scil. intellectus] aliud ens a forma, et a mate-
ria, et congregato ex eis.
151. lbid., 144 B: Ipse Alexander videtur posse se tueri, ac sibi ipsi favere per
id, quod dicitur, quod actus primus ipsius intellectus debet esse virtus, atque
facultas genita, ac noviter orta, juxta illa, quae universa!iter in definitione ani-
mae dicta sunt, nempe quod ipsa est actus primus corporis physici organici. Et
dicit hanc definitionem vere dici de omnibus partibus animae ... [Trad. de Man-
tino. - Suit la citation de la proposition d'Alexandre que !'ame est inséparable
du corps dont elle est la forme, comme la limite l'est de ce qu'elle limite : voir
supra p. 33 et note 60].
AVERROES 61

l'opinion de ceux qui n'admettent que des causes matérielles


et regardent le cours des choses comme abandonné au ha-
sard152. Mais il lui fallait bien, sous peine de contredire trop
ouvertement Aristote, trouver quelque moyen de séparer
l'intellect de la matiere, et c'est ainsi qu'il a été amené,
contraire~ent aux autres péripatéticiens, Théophraste, Ni-
colás, Thémistius, a faire de l'intellect matériel une pure
disposition et non un sujet disposé153 • C'est la, en vérité, ·un
expédient dérisoire: car on pourrait dire de toute dísposition,
considérée a part de son sujet, qu'elle est pure de tout mé-
lange et séparéet54 ; au fond, dans le systeme d' Alexandre,
l'intellect reste attaché a la matiere : c'est une vertu cor-
porelle, il faudra qu'il ait un organe et qu'il individualise,
comme tout ce qui a de la matiere, les formes qu'ilrecevra155 •
Alexandre s'est completement trompé sur la pensée d' Aris-
tote. D'abord l'usage qu'il fait de la définition aristotéli-
cienne de 1' ame est un véritable abus : car Aristote avait
restreint sa définition par des réserves expresses et il n 'est
pas vrai qu'a ses yeux l'ame soit tout entiere une forme
inséparable166 • Ensuite Aristote déclare que l'intellect maté-
riel est impassible, séparable et simple, qualifications qui i;ie

152. Ibid., 142 D-143 A . - 144E: Etmagis inopinabile de opinione Alexandri


est hoc, quod dixit, quod primae praeparationes ad intellecta, et ad alias postremas
perfectiones de anima sunt res factae a complexione, non virtutes factae a mo-
tore extrínseco, ut est famosum ex opinione Aristotelis et omnium Peripatetico-
rum. Ista enim opinio in virtutibus animae comprehensivis, si est secundum quod
nos intellexerimus, est falsa. A substantia enim elementorum, et a natura eorum
non potest fieri virtus distinguens, aut comprehensiva. Quoniam, si esset possi-
bile ut a natura eorum, et sine extrinseco motore fierent tales virtutes, tune esset
possibile ut postrema perfectio, quae est intellecta, esset aliquod factum a sub-
stantia eorum elementorum ut color, et sapor fiunt. Et ista opinio est similis opi-
nioni negantium causas agentes, et non concedentium nisi causas materiales tan-
tum : et sunt illi, qui dicunt casum. Cf. note 149.
153. Ibid., 159 A: O Alexander reputas Aristotelem intendere demonstrare nobis
naturam praeparationis tantum, non naturam praeparati. .. Ego autem verecun-
dor ex hoc sermone, et ex hac mirabili expositione. Cf. note 75.
154. Ibid., 143 D: Sed hoc, quod dixit Alexander nihil est. Hoc enim vere dici-
tur de omni praeparatione, scilicet quod neque est corpus, neque forma haec in
corpore.
155. /bid., 144 E: .. .impossibilia contingentiaAlexandro scilicet quod subjectum
recipiens formas intellectas est corpus factum ab e!ementis, aut virtus in corpore.
Quoniam, si ita fuerit, continget aut ut esse formarum in anima sit esse earum
extra animam [c'est-a-dire que dans !'ame, co=e hors de !'ame, les formes seront
matérialisées, intelligibles en puissance, cf. note 149], et sic anima erit non com-
prehensiva; aut ut intellectus habeat instrumentum corporale, si subjectum ad
intellecta sit virtus in corpore, sicut est de sensibus.
156. Ibid., 144 D: Id vero, quod ipse imaginatur esse manifestum ex definitio-
nibus ipsius animae, Aristoteles expresse dicit non esse manifestum in omnibus
62 LA THÉORI:8 D:8 L'INTBLLBCT D' APRES ARISTOTB

sauraient s'appliquer a une nature générable _et corruptible


comme est l'intellect d'apres Alexandre : car elles impliquent
dans la chose qui les re<;oit l'absence de matiere, et tout
etre générable et corruptible a de la matiere puisque c'est
par elle qu'il est tel157 • Enfin, quant a l'expédient auquel
Alexandre a recours pour éviter de matérialiser expressé-
ment l'intellect, il est contraire aux déclarations d' Aristote
des qu'on leur rend leur sens naturel. Puisque, comme nous
l'avons dit, toute disposition prise en elle-meme peut etre
appelée pure et séparée, Aristote n'aurait pas pris la peine
de déclarer que l'intellect matériel est pur et séparé, s'il
n'avait vu en lui qu'une dispositionetnon unsujetdisposé1ss_
Pareillement, quand Aristote dit que l'intellect matériel,
étant destiné a recevoir les formes, doit n'en etre aucune
par lui-meme et en acte, i1 est clair qu'il comprend cette
absence de formes qui constitue la disposition de l'intellect
a recevoir les formes, comme un prédicat dont l'intellect
est le sujet, puisque autrement, une fois la forme re<;ue, le
récipient s'évanouirait. I1 faut que ce soit la disposition
seule qui s'évanouisse, et qu'il reste apres elle le sujet réci-
pient dont elle n'était que le prédicat. C'est ainsi que tous
les commentateurs ont compris159.
Pour rester fidele a la pensée d' Aristote, il n'y a qu'un

partibus animae ; quoniam cum dicimus formam, et primtun actum, id quidem


aequivoce dicitur de rationali anima, et de reliquis animae partibus (Trad. Man-
tino). - Averroes fait sans doute allusion aux_deux passages, l 'un du De anima,
II, 2, 413b 25-26 (fo¡xe <!iu;::i\, yévo,; f-repov elvcx,), l'autre de la Métaphysique,
XII (A), 3, ro7oa 24-27, indiqués ci-dessus note 17.
157. AVERR0ES, ibid., 139 F : Ista enim intentio, scilicet quod iste intellectus
est talis, bene apparet intuentibus demonstrationem Aristotelis et sua verba. De
demonstratione a utem secunclum quod exposuimus ; de verbis vero, quia dixit
ipsum esse non passivum, et dixit ipsum esse separabile, et simplex. Haec enim
tria verba usitantur in eo ab Aristotele, et non rectum, imo est remotum uti ali-
quo eorum in doctrina demonstrativa de generabili et corruptibili. Cf. n ote 160.
158. Ibid., 143 D (suite i =édiate du texte cité note 154: Cur igitur Aristoteles
voluit hoc esse proprium huic aptitudini, quae in intellectu existit, potius quam
reliquis aptitudinibus, si ipse Aristoteles his verbis suis nolebat declarare nobis
substantiam ipsius rei, quae est subjectum ipsius aptitudinis, sed essentiam ipsius
aptitudinis, atque substantiam ej us ? (Tiad. Mantino).
159. Ibid., 143 E: Et hocmanifestum est ex demonstratione Aristotelis. Propo-
sitio enim dicens quod omne recipiens aliquid necesse est ut in eo non exista t in
actu aliquid ex natura recepti, manifesta est, ex eo quod substantia praeparati,
et natura ejus quaerit habere hoc praedicatum, secundum quod est praeparatum.
Praeparatio enim non est recipiens, sed esse praeparationis a recipiente est sicut
accidentis proprii. Et ideo, cum fuerit receptio, non erit praeparatio, et remanebit
recipiens. Et hoc manifestum est, et intellectum ab omnibus expositoribus ex
demonstratione Aristotelis.
AVERROES

parti a prendre, comme l'ont bien vu Théophraste, Thémis-


tius et la plupart des autres commentateurs : il faut regar-
der l'intellect matériel comme une substance ingénérable
et incorruptible, et paf conséquent sans matiere 160 . Mais, cela
admis, des difficultés s'élevent ; elles sont au nombre de
trois :
rº L'intellect matériel étant ingénérable aussi bien que
l'intellect agent, les intelligibles actuellement contemplés
par l'homme ou intelligibles spéculatifs seront éternels. En
e:ffet, s'il suffit, pour qu'il y ait des intelligibles spéculatifs,
d'un intellect agent qui les crée et d'un intellect matériel
qui les re9oive, ces deux intellects étant éternels, les intel-
ligibles spéculatifs le seront aussi 161 . Mais i1 faudra alors que
les formes existent éterne1lement a l'état actuel dans les
choses sensibles : car si l'intellection est éternelle, il faut que
son objet le soit. Que si l'on rejette cette éternelle actualité
des formes engagées dans la matiere, pour admettre seule-
ment qu'elles donneront éternellement lieu a des formes
actuelles dans l'intellect, encore faudra-t-il convenir que
les images dont l'intellect agent les tirera, les sensations
sources des images, et enfin les sensibles sources des sensa-
tions devront etre éternels, ce qui est absurde162 • Ilfaut ajou-

160. lbid., 139 E: Et hoc idem induxit Theophrastum, et Themistiwn, et plures


·expositores ad opinandum quod intellectus materialis est substantia, neque gene-
rabilis neque corruptibilis. Omne enim generabile et corruptibile est hoc. Sed jam
demonstratum est quod iste non est hoc, neque forma in corpore.
161. Ibid., 145 C-D : .. .contingunt quaestiones non paucae. Quarum una est,
quod intellecta speculativa sunt aeterna. Secunda autem est fortissima earum,
quod postrema perfectio in homine sit numerata per numerationem individuorum
hominis, et prima perfectio sit una numero in omnibus.
lbid., 151 C : Tertia autem quaestio, qune est quomodo intellectus materialis
est aliquid ens, et non est aliqua formarum materialium, neque etiam prima ma-
teria . . .
Ibid., 141 A : Si eñim formare per intellectum esset aeternum, oporteret ut
formatum per intellectum esset aeternwn : quapropter necesse esset ut formae
sensibiles essent intellectae in actu extra animam, et non materiales omnino. Et
hoc est contra hoc, quod invenitur in istis formis. Et etiam Aristoteles aperte
dicit in hoc libro quod proportio istius virtutis distinguentis rationalis ad inten-
tiones formarum imaginatarum est sicut proportio sensuum ad sensata. Et ideo
anima nihil intelligit sine imaginatione ; quemadmodum sensus nihil-sentit sine
praesentia sensibilis. Si igitur intentiones, quas intellectus comprehendit ex vir-
tutibus imaginativis, essent aeternae, tune intentiones virtutum imaginativarum
essent aeternae. Et, si essent aeternae, tune sensationes essent aeternae : sensa-
tiones enim sunt de hac virtute, sicut iutentiones imaginabiles de virtute ratio-
nabili. Et, si sensationes essent aeternae, tune sensata essent aeterna.
162. Voir note précédente depuis : Et etiam .. .
64 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

ter qu'il n'y aura plus d'intellect acquis ni meme d'intellect


agent, car ces deux intellects n'ont de raison d'etre que la
ou il y a temps et générationt 63 •
2° Les intelligibles spéculatifs ne seront pas individuels,
· mais tous les hommes penseront dans le meme temps les
memes intelligibles. En effet l'intellect matériel, nous l'avons
vu, ne peut etre ni générable, ni corruptible, ni matériel,
ni individuelt 64 • Mais s'il en est ainsi, tous les individus sont
avec luí dans le meme rapport : quand l'intellect matériel
recevra une forme, cette réception vaudra pour tous les in-
dividus : vous et moi, nous aurons les memes pensées, ce
qui ne se peutt65 •
3° Comment peut-on compter l'intellect matériel au nom-
bre des etres ? En effet, il n'est ni forme, ni matiere, ni leur
composé. Quelle sorte de substance peut-il done etret 66 ?
La troisieme question est la moins grave. I1 faut y répondre
en disant que l'intellect matériel est un quatrieme genre
d 'etre : il n 'est pas matiete sans doute, mais il est quelque
chose d 'analogue a la matiere. Peut-etre, comme nous nous
en assurerons plus loin, rendrait-on assez bien la pensée
d' Averroes, en disant qu'il est la matJ.ere intelligiblet 67.
Mais ce qui importe avant tout, c'est de résoudre nos
deux prernieres diflicultés. Pour trouver le principe de notre
solution nous devons porter notre attention sur la fonction
des images. L 'imagination, l'ensemble des images est, en un
sens, l'acte premier de l'intellect. Mais cet acte premier n'est

163. AVERROES, ibid., 140 C : . .• contingit ut in reí veritate non sit intellectus
agens, neque factum : cum agens et factum non intelligantur, nisi cum genera-
tione, et tempore. Cf. ibid., 145 F.
164. Voir note 161, et AVERROES, ibid., 147 A-C.
165. Ibid., 147 C: Et, si posuerimus quod non numeratur per numerationem in-
dividuorum [scil. intellectus materialis], continget ut proportio ejus ad individua
existentia in sua perfectione postrema in generatione sit eadem. Unde necesse est,
si aliquod istorum individuorum acquisierit rem aliquam intellectam, ut illa acqui-
ratur ab omnibus illorum ... Quare, si hoc ita est, necesse est, cum tu acquisieris
aliquod intellectum, ut ego etiam acquiram illud intellectum. Quod est impos-
sibile. Cf. ibid., 141 E-142 C. - La derniére perfection, ou le dernier acte, dont
il est ici question, est l'intellect spéculatif par opposition a l'intellect matériel qui
u'est qu'un acte premier ou du plus has degré. Cf. supra note 152.
166. Voir note 161.
167. AVERROES, i bid., 151 D : Opinandum est n empe quod istud est quartum
genus esse. Quema dmodum nempe sensibile esse dividitur in formam , et ma te-
riam, sic intelligibile esse oportet dividí in consimilia his duobus, scilicet in a li-
quod simile formae, et in aliquod simile materiae.
AVERROES

pas entierement semblable a cemc des autres facultés de


l'ame. I1 leur ressemble en ce qu'il est individue!, nait avec
l'individu et meurt avec lui ; i1 en difiere profondément par
un autre point, et quand on a cru que l'intellection n'exi-
geait pas d'autre acte premier ou préparation que les images,
on a confondu l'intellect matériel avec l'imagination, quoi-
que ces deux préparations de l'intellection different entre
elles comme le del et la terre. En effet, l'image prépare l'in-
tellection dans ce qui est re¡;u et non dans ce · qui re¡;oit :
c'est un acte premier qui ne réside pas dans le méme sujet
que la faculté dont il est l'acte premier: c'est parla qu'elle
est si différente des actes premiers des autres facultés16s. Théo-
phraste et Thémistius n'ont considéré l'intellection qu'au
point de vue du sujet qui la re¡;oit, et il leur a semblé que
l'intellect humain s'ex:pliquait entierement par un mélange
de l'intellect agent avec l'intellect en puissance : ce qui les
mettait en désaccord avec Aristote aux yemc de qui ce n' est
pas par une action de l'intellect agent sur l'intellect en puis-
tance que l'intellection se fait , mais bien par l'action de
l'intelligible qui est a l'intellect en puissance comme le sen-
sible est au sens1Gs.
Pour faire cesser ce contre-sens et résoudre toutes les dif-
:ficultés qui nous arretent, il faut distinguer et maintenir
deme sujets de l'intellection. De méme que la sensation sup-
pose un sensible et un sentant, de méme l'intellection sup-

168. Ibid.,'149 A: Praeparatio autem, quae est in virtute imaginativa intellec-


torum, similis est praeparationibus, quae sunt in aliis virtutibus animae, scilicet
perfectionibus primis aliarum virtutum animae, secundum hoc quod utraque prae-
paratio generatur per generationem individui, et cprrumpitur per corruptionem
ejus, et universaliter numeratur per numerationem ejus. Et differunt in hoc, quod
illa est praeparatio in motore ut sit motor, scilicet praeparatio, quae est in inten-
tionibus imaginatis. Secunda autem est praeparatio in recipiente : et est praepa-
ratio, quae est in primis perfectionibus aliarum partium animae. Et propter hanc
similitudinem inter has duas praeparationes existimavit Avempace quod nulla
est praeparatio ad rem intellectam fiendam, nisi praeparatio existens in intentio-
nibus imaginatis. Et hae duae praeparationes differunt sicut terra a caelo. Una
enim praeparatio esf in ·motore ut sit motor; alia autem est praeparatio in moto
ut sit motum, et recipiens.
169. Ibid., 140 C: Et, quia opinati sunt hoc [scil. Théophraste et Thémistius],
contingit ut ... [voir note 163) et quod intellectus speculativus nihil aliud est,
nisi perfectio intellectus materialis per intellectum agentem, ita quod speculativus
sit aliquod compositum ex intellectu materiali, et intellectu, qui est in actu.
Ibid., 141 A : Et super hoc sunt quaestiones non paucae. Quarum prima est,
quod haec positio contradicit huic, quod Aristoteles posuit, scilicet quod propor-
tio intellecti in actu ad intellectum materialem est sicut proportio sensati ad sen-
tiens. {Cf. note 174).
66 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

pose un sujet qui la produit et un sujet qui la re<;oit . Grace


aupremier, elle a une vérité, et ce premier sujet c'est l'image ;
grace au second, elle compte au nombre des etres, et ce se-
cond sujet, c'est l'intellect matériel17o. Les deux sujets sont
ici dans l' ame, tandis que dans la sensation le premier est
hors de l'ame. Mais cela mis a part, nous pouvons rétablir
et développer l'assimilation posée par Arístote entre l'intel-
lection et la sensation. La couleur en puissance doit d'abord
etre actualisée : alors elle produit dans le sentant une cou-
leur représentée qui actualise la faculté de voir. Pareillement,
l'intellect agent fait passer a l'acte l'intelligibilité en puis-
sance qui est dans les images ; puis cette intelligibilité actua-
lisée engendre une intelligibilité propre a résider dans la
pensée : alors l'intellect matériel s'approche de cette intel-
ligibilité qui vient d'etre engendrée dans l'homme et il est
informé par ellem.

170. Ibid., 146 A: ... formare per intellectum, sicut dicit Aristoteles, est sicut
comprehendere per sensum ; comprehendere autem per sensum perficitur per duo
subjecta : quorum unum est subjectum, per quod sensus fit verus, et est sensa-
tum extra animam. Aliud autem est subjectum, per quod sensus est forma exsis-
tens et est prima perfectio sentientis. Necesse est etiam ut intellecta in actu h a-
beant duo subjecta : quorum unum est subjectum, per quod sunt vera, scilicet
formae, quae sunt imagines verae ; secundum autem est illud, per quod intellecta
sunt unum entium in mundo, et istud est intellectus materialis. Nulla nempe est
differentia in hoc inter sensum et intellectum, nisi quia subjectum sensus, per
quod est verus, est extra animam, et subjectum intellectus, per quod est verus,
est intra animam.
17r. lbid., 146 D: Quemadmodum enim subjectum visus movens ipsum, quod
est color, non movet ipsum, nisi quando per praesentiam lucís efficitur color in
actu, postquam erat in potentia, ita intentiones imaginatae non movent intellec-
tum materialem, nisi quando efficiuntur intellecta in actu, postquam erant in
potentia. Et propter hoc fuit necesse Aristoteli ponere intellectum agentem, ut
videbitur post, et est extrahens has intentiones de potentia in actum. Et quem-
admodum color, qui est in potentia, non est prima perfectio colorís, qui est
intentio comprehensa, sed subjectum, quod perficitur per istum colorem est visus,
ita etiam, subjectum, quod perficitur per intellectum, non est intentiones imagi-
natae, quae sunt intellectae in potentia, sed intellectus materialis, qui perficitur
per intellecta : et est ejus proportio ad ea sicut proportio intentionis colorís ad
virtutem visibi!em.
Ce texte est assez difficile depuis : Et quemadmodum color ... Pour le comprendre,
iI faut se bien pénétrer de la distinction des deux sujets, de la représentation et
de la chose représentée ; iI faut aussi, certainement, mettre a la fin, avec Man-
tino : « virtutem visivam » au lieu de « virtutem visibilem ». Je traduis : « Et de
meme que la couleur en puissance [en tant qu'elle est dans les sensibles] n'est pas
l'acte premier de la couleur en tant que représentée, et que le sujet qui est actua-
lisé par la couleur représentée est la vue [et non pas le visible], de meme, le sujet
qui est actua!isé par les intelligibles en tant que pensés, ce n'est pas les images
intelligibles en puissance, mais c'est l'intellect matériel, car c'est lui qui est actua-
!isé par ce qui est actuellement pensé ; et le rapport de l'intellect matériel aux
intelligibles pensés est le meme que celui de la couleur représentée a la faculté
de voir. »
AVERROES

Maintenant nous pouvons lever les difficultés qui pesaient


sur nous. S' il est vrai que les intelligibles spéculatifs sont
éternels par le sujet qui les re<;oit et en fait des etres, c'est-
a-dire par l'intellect matériel, ils ne sont pourtant pas abso-
lument éternels : ils restent générables et corruptibles par
1~ sujet qui les fait vrais172 . Aristote a done euraison de poser
un intellect agent puisqu'il y a vraiment génération des
intelligibles spéculatifs17s; et il y a un intelleet acquis, géné-
rable et corruptible, puisque les intelligibles spéculatifs ne
sont pas éternels17 4 • De méme que la pensée générable et cor-
ruotible est rétablie grace a la distinction des deux sujets
de. l'intellection, de meme la pensée individuelle. L'intellect
matériel ne peut pas devenir individuel, mais l'intellect
agent, par son action sur les images qui sont en nous et
qu'il actualise, lui permet de s'approcher des individus : ,
la pensée est individuelle, non en tant qu'elle re<;oit les in-
telligibles, mais en tant qu'elle fournit les images dont ils
sont tirés175 •
Telle est la théorie de l'intellect matériel dans Averroes :
c'est la seule partie considérable de son interprétation. I1
suffit d'en parcourir rapidement le reste. Nous verions de
voir qu' a parler exactement l'intellect spéculatif est géné-
rable, corruptible, individuel; en un sens cependant i1 a une

172. AVERROES, ibid., 146 F : Et, cum omnia ista sint, sicnt narravimus, non
contingit ut ista intellecta, quae sunt in actu, scilicet specnlativa sint generabilia,
et corruptibilia, nisi propter subjectum, per quod snnt vera, non propter subjec-
tum, per quod sunt umun entium, scilicet intellectum materialem.
173. Voir note 171.
174. AVERROES, ibid., 149E: Et ideo opinatus est Themistius quod nos sumus
intellectus agens, et quod intellectus speculativus nihil est aliud nisi continuatio
intellectus agentis cum intellectu materiali tantum. Et non est, sicut existimavit,
sed opinandum est quod in anima sunt tres partes intelkctus. Quarum una est
intellectus recipiens. Secunda autem est efficiens. Tertia autem factum. Et duae
istarum trium sunt aeternae, scilicet agens, et recipiens ; tertia autem est gene-
rabilis et corruptibilis uno modo, aeterna autem alio modo (L'intellect spéculatif
est éternel par la perpétuité de l'espece humaine ; voir plus loin).
175. Ibid., 148 E : Et, cum declaratum est ex praedictis dubitationibus quod
impossibile est ut intellectus copuletur cum unoquoque hominum, et numeretur
per numerationem eorum per partem, quae est de eo quasi materia, scilicet intel-
iectum materialem, relinquitur igitur ut copuletur ipse intellectus nobis omnibus.
hominibus per copulationem conceptuum (seu intentionum) intelligibilium nobis-
cum : quae quidem sunt ipsi conceptus imaginati (seu intentiones) imaginatae,,
hoc est per illam partem ipsarum, quae in nobis existit, quae quodam pacto se
habet ut forma. (Trad. de Mantino depuis « relinquitur »).
La disposition est dans l'ho=e, l'intellect matériel, substance de la disposi-
tion, est hors de l'homme (voir MUNX, art. Ibn,_ Roschd dans FRANCK, Dictionnaire.
des sciences philosophiques, 2• éd., 1875, 750a).
68 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

sorte d'éternité. Comme l'avait déja dit Philopon176 , qu' Aver-


roes répete sans le savoir, la perpétuité de l'espece humaine
en assure une a l'intellect spéculatif. Les principes inhé-
rents a 1' espece humaine et la philosophie existent toujours
dans la pensée de quelque individu humain, et ainsi Platon
n'a pas eu tout a fait tort de parler de l'éternité des uni-
versaux, ni les philosophies et les religions de parler d'une
immortalité de l'ame humainem.
Comment Averroes conc;:oit-il l'intellect agent ? Puisqu'il
n'y a d'agent, selon lui, que par rapport a des choses géné-
rables et corruptibles qu'il s'agit de faire naitre, c'est-a-
dire d'amener a l'acte178 , il est clair que dans son opinion
l'intellect agent en tant qu'agent est quelque chose de rela-
tif. En lui-meme, et non plus en tant qu'agent, l'intellect
agent est un intellect en acte. Seulement il contient encare en
quelque fac;:on de la matiere : l'intelligible représenté en lui
est la forme, et lui en qui réside cet intelligib,le est la ma-
tiere. C'est meme grace a cette matiere d'un nouveau genre
qu'il peut y avoir plusieurs intelligences séparées et que ces
intelligences peuvent penser autre chose qu'elles-memes ; la
science de 1' ame qui nous fait connaitre cette sorte de matiere
vient ici en aide a la métaphysique et nous permet de la
comprendre, quand elle nous enseigne qu'a chaque astre
est attachée une forme séparée ou intelligence qui en est
le moteur . Seule l 'intelligence supreme est absolument
exempte de matiere : mais elle ne peut penser autre chose
qu'elle-meme puisque son essence ne comprend rien de
plus que sa quiddité119, et pour la meme raison, elle est néces-

176. Voir TRENDELENBURG, Aristotelis De anima, ad 430a 22.-Philopon parle


de l'intellect agent lui-meme qu'il veut faire immanent a !'humanité.
177. AVERROES, ibid., 149 F-151 C.
178. Voir note 163 et 171. Cf. MUNK art . cit. : l'intellect matériel ou récipient
n'est tel que par rapport aux intelligibles spéculatifs qui sont engendrés dans
les hommes.
179. AVERROES, De anima, 148 C-D: Et est etiam manifestum quod materia, et
forma copnlantur ad invicem, ita quod congregatum ex eis fit unicum : et maxime
intellectus materialis, et intentio intellecta in actu.
[bid., r5r D (suite i=édiate du texte cité note 167 : Et hoc necesse est in
omni intelligentia abstracta, quae intelligit aliud. Et si non, non esset multi-
tudo in formis abstractis. Et ideo declaratum est in prima philosophia, quod nulla
est forma liberata a potentia simpliciter, nisi prima forma, quae nihil intelligit
exti:a se, sed essentia ejus est quiddita s ejus ; aliae autem formae diversantur in
q uiddita t e, et essentia quoquo modo. Et, nisi esset hoc genus entium, quod sci-
v imus in scientia animae, non possemus intelligere multitudinem in rebus a bs-

~
AVERROES 69
sairement unique: Mais il ne fallait pas qu'il n'y eut qu'une
seule intelligence séparée : Averroes pense avec l'auteur de
la Théologie d' Aristote, dont les philosophes arabes aiment
a s'inspirer1so, qu'il faut entre l'unité absolue de l'intelligence
supreme et le multiple, une série d'intermédiaires1s1; et d'ail-
leurs il est convaincu qu'il faut prendre au pied de la lettre
cet étrange passage du huitieme chapitre du xrre livre de
la M étaphysique oi:t. Aristote semble attribuer a chaque astre
un moteur particulier182 . C'est le dernier de ces moteurs, celui
qui est attaché a la sphere de la lune, qui joue par rapport
a nous le róle d'intellect agentisa.
Nous nous unissons a lui par l'intellect acquis ou spécu-
latif qu'il engendre en nous. Mais, selon Averroes, cette
union n'est que le prélude d'une autre union plus intime.
Dans la vieillesse, apres une vie consacrée tout entiere a la
science et non a de vaines pratiques ni meme aux ceuvres
morales, quelques hommes privilégiés sont attirés vers l'in-

tractis ; quemadmodum, n1s1 sciremus hic naturam intellectus, non possemus


intelligere quod virtutes moventes abstractae debent esse intellectus. Et hoc la-
tuit multos modernos, adeo quod negaverunt illud, quod dicit Aristoteles in trac-
tatu sui libri, quod necesse est ut formae abstractae moventes corpora caelestia
sint secundum numerum corporum caelestium.
On remarquera combien le róle qu'Averroés fait jouer a l'intellect matériel res-
semble a celui que Platon et les Alexandrins prétent a la matiére intelligible.
180. Sur la Théologie d'Aristote,dont !'original grecest perduet dont il nereste
qu'une traduction latine faite sur l'arabe, voir RAVAISSON, Essai, t. II, p. 542, sq. ,
et le texte cité p. 54.4 n. 1 : « Creavit autem Deus primo substantiam unicam ,
videlicet intellectum agentem. » Dieu est sans doute ici non l'intelligence d'Aris-
tote, mais l'Un de Plotin (Voir VACHEROT, Histoire critique de l'Ecole d'Alexan-
drie, t. III, p . 89 sq.). - Averroés a certainement emprunté a la Théologie d'Aris-
tote l'idée d'une hiérarchie d'essences entre Dieu et les étres sensibles. Mais croit-
il avec elle que Dieu est l'Un et non l'Intelligence ? Sa pensée sur ce point semble
fiottante (Voir RENAN, Averroes, p. 90, et VACHER0T, Ecole d'Alexandrie, t. III,
p. ro6-ro7 : Averroes rejette la trinité alexandrine et maintient qu'en réalité
Dieu est un) . Le texte cité dans la note précédente s'accorderait bien avec le péri-
patétisme pur qui ne met rien au-dessus de l'intelligence.
181. «Le gouvernement de l'univers ressemble augouvernement d'une cité, ou
tout part d'un méme centre, mais ou tout n'est pas l'ceuvre immédiate du souve-
rain. » (AVERROES cité par RENAN, Averroes, p. 88.)
182. ArusT., Metaph., XII (A), 8, 1073a 28-34 : ... ópw¡.,.ev os mxplt -.-~v -coü
1to:v-coi; -.~v ,i-¡,:).í'¡v q,opáv, ·~v xwerv q,o:¡.,.e.v -.-~v 1tpw'CT¡v oúo-fo:v xo:l ci:xfv1)-cov, iíno:,
q,opd:, oüo-o:, 'Cct<; 'CWV '!tAO:V~'CWV ,Hoiou, ... ci:váyx7\ XO:t -cov-rwv ÉxiXO-'CT¡V -rwv q,opwv
ú1t' &.xtv~-rov -re. xivE!o-8a.t xa.8 1 a.Ú't"Ü xcd &.tOfou oúcr[a.i:; .
RAvAissoN, Essai, t . I, p. ro3-ro5 pense qu'il s'agit ici d'une hypothése qu'Aris-
tote meten avant pour la réfuter : si la réfutation manque, c'est que le livre XII
est inachevé. - Comparez textes cités supra note 179.
183. C'est du moins l'interprétation traditionnelle d'Averroés: peut-étre l'intel-
lect agent est-il une intelligence inférieure a celle de la sphere de la lune et spécia-
ement chargée d'actualiser en nous les intelligibles : voir RENAN, Averroes, p. rr7.
7
70 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

tellect agent et s'identifient avec lui : alors ils sont en quel-


que sorte tous les etres, car les etres et leurs causes ne sont
rien en dehors de la connaissance qu'en possede une intel-
ligence toute en acte. Cet état étrange et admirable est la
supreme félicitéis,i,_
Malgré cette conclusion mystique qui rappelle de tres
pres l'extase des Alexandrins, malgré quelques emprunts
incontestables a leurs doctrines, Averroes ne doit pas tant
qu' on pourrait le croire a 1' école d' Alexandrie. Ce qu'il y a
de mystique dans sa doctrine s'explique suffisamment par
les idées religieuses au milieu desquelles Averroes a vécu
et notamment parle soufisme1ss. Quant asa philosophie meme,
il est certain qu'elle n'aurait pas existé sans les Alexandrins.
Ce sont eux qui ont transmis aux Arabes les monuments
de la pensée grecque, non pas directement mais par l'inter-
médiaire des Syriens; et les Arabes, chez qui il n'y a pas
d'autre philosophie nationale que celle des écoles de théo-
logie, n'ont fait qu'hériter de la philosophie telle que l'école
d' Alexandrie la concevait depuis Porphyre, c'est-a-dire
comme une restauration du péripatétisme186. Mais les Arabes
sont moins pénétrés d'alexandrinisme qu'on ne pourrait s'y
attendre1s1, et Averroes en particulier a fait preuve d'origi-
nalité dans sa théorie de l'intellect. I1 fait une tentative
nouvelle et hardie pour maintenir les droits du sensible sans
tomber dans le nominalisme : il veut que les intelligibles
restent véritablement tels, et cependant il veut aussi qu'ils
n'existent que dans l'intellect. C'est assurément une solu-
tion ingéniense de ce probleme éternel que de détacher l'in-
telligible de l'individu tout en l'y laissant attaché par l'image,
son support. La réalité reste ainsi dans l'individuel et les
intelligibles ne sont pourtant altérés par aucun mélange de
matiere.
Mais,outre qu'Averroes n'éclaircit rien touchant les rap-

184. Ibid., p. IIO-II4.


185. VACHEROT, Ecole d'Alexandrie, t. III, p. II2-II7. RENAN, Averroes, p.
IIl-II3.
186. lbid., p . 66-71 ; 76-81. RAVAISSON, Essai, t. II, p. 540.- Averroes, loin
de savoir assez le grec pour traduire Aristote, co=e on l'a dit autrefois, ignore
tout a fait cette langue et ne 'lit Aristote que dans les traductions arabes faites
sur le syriaque : RENAN, Averroes, p. 35-38.
187. VACHEROT, Ecole d'Alexandrie, t. III, p. IIl-II2.
AVERROES 71
ports de l'intelligible et del'image quirestent bien difficiles a
concevoir, outre qu'on nevoitpascoinment l'intelligible, une
fois qu'il a été actualisé par l'intellect agent, tient encore
a la pensée individuelle au lieu, comme on pourrait le crain-
dre, de se séparer d'elle brusquement par un hiatus infran-
chissable, i1 ne faut pas oublier que son originalitéincontes-
table ne va pas jusqu'a exclure les doctrines fondamentales
de l'idéalisme. Elles subsistent dans l'averro'isme quoique
dissimulées au second plan, et par la Averroes est alexan-
drin, a moins, toutefois, qu'il ne soit que le disciple d' Aris-
tote.
D'abord, c'est seulement l'existence en soi des universaux
con<;us par l'homme qui est rejetée par Averroes : ce n'est
pas celle de tous les intelltpbles absolument, puisque ce
sont des intelligibles qui infoajment les intelligences séparées :
cela rappelle, on en conviendra, les intelligibles intelligents
du néoplatonisme. A la vérité, les intelligibles qui infor-
ment les intelligences séparées restent en un sens dans les
intellects; mais d'abord, la forme supreme est et pense par
elle-meme sans intellect en qui elle réside ; ensuite, qu'est-
~e que l'intellect pour Averroes ? Est-ce quelque chose d'ac-
tif ? Au contraire, c'est la passivité meme, c'est la matiere
intelligible : car connaitre c!est simplement recevoir en soi
une forme universelle, et la matiere prerniere connaitraít
si elle pouvait recevoir les formes sans les individualisert 88 •
Enfin, apres avoir soutenu que l'intellect agent n'agit
point sur l'intellect matériel, mais sur l'intelligible en puis-
sance, Averroes reconnait que l'intellect agent a une double
action : que non seulement i1 actualise l'intelligibilité des
images, mais encore qu'il illumine l'intellect matériel, et i1
ajoute que l'intellect matériel est la puissance de l'intellect
agentt 89 • Or, étant donné que ce qu'il y a d'actuel dans l'in-
tellect agent, c'est l'intelligible en acte qui en est la forme,

188. Voir supra note 149.


189. AVERROES, De anima, 152 A-B: Immo debes scire quod respectus intellectus
agentis ad istum intellectum est respectus lucis ad diaphanum, et respectus for-
marum materialium ad ipsum est respectus colorís ad diaphanum. Quemadmodum
nempe lux est perfectio diaphani, sic intellectus agens est perfectio intellectus
materialis. Et, quemadmodum diaphanum non movetur a colore, neque recipit
eum, nisi quando Jucet, ita iste intellectus non recipit intellecta, quae sunt hic,
nisi secundum quod perficitur per illum intellectum, et illuminatur per ipsum.
72 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

que condure de la, sinon que l'intellect matériel se confond


en fin de compte avec les images ou intelligibles en puis-
sance ? L'intellect, a ses deux degrés, se résout dans l'in-
telligible et tout le mécanisme de l'intellection, comme le
pensait Alexandre, se résume en ceci : que l'intelligible par
soi actualise l'intelligible en puissance. L'objet seul est réel
et l'Idée est par soi et premiere. C'est ainsi que malgré lui
Averroes est entrainé vers l'idéalisme.
..

VI

SAINT THOMAS

De meme qu' Averroes résume toute la scolastique arabe,


de meme saint Thomas est la plus haute expression de la
scolastique latine : seulement la théorie de l'intellect n'est
plus pour lui, comme elle l'avait été pour Averroes, laques-
tion capi tale de la philosophie. Elle 1' a toutefois assez occupé
pour qu'il ait tracé les grandes lignes d'une interprétation
d' Aristote sur ce sujet, car i1 a dú combattre l'averro:isme
dont l'influence était devenue grande dans les écoles latines
et qu'on accusait de supprimer l'individualité de l'ame hu-
maine. Aussi, est-ce dans le De unitate intellectus contra
Averroistas Parisienses, plutót que dans les commentaires
trop littéraux du De Anima, qu'il faut chercher les vues de
saint Thomas sur l'intellect.
Saint Thomas est d'accord avec Averroes pour blamer
Alexandre d'avoir fait de l'intellect en puissance une simple
disposition sans sujet. Une disposition n'est pas un récep-
tacle des formes : un sujet seul peut jouer le role de réci-
pient, et d'ailleurs Aristote a comparé l'intellect en puis-
sance a une tablette ou il n'y a rien d'écrit : il n'est pas
permis a Alexandre de se débarasser de la tablette pour
n'en considérer que l'attribut, c'est-a-dire l'absence d'écri-
ture. Aristote a parlé et a voulu parler d'un sujet disposé et
non d'une pure disposition190_

190. S. THOMAS, Contra Gentües, lib. II, cap. 62.


74 LA THÉORIE DE L'INTELLECT n' APRES ARISTOTE

Mais quant a considérer l'intellect en puissance comme


une substance séparée et unique, cette invention d' Averroes
n'est pas un développement, mais une corruption du péri-
patétismel91. Si l'intellect en puissance est unique, une pensée
qui y est re<;ue est commune a tous les hommes, l'intellec-
tion n'est-pas individuelle. Or c'est un fait que chaque indi-
vidu pense pour lui-meme. Chacun pense aussi par lui-meme,
c'est-a-dire que l'intellection ne se fait pas plus au dessus
et en dehors des individus qu'uniformément en tous. Les
faits réclament contre Averroes; pour maintenir sa doc-
trine, il lui faudrait trouver un moyen d'individualiser l'in-
tellection102. A la vérité, Averroes croit en avoir trouvé un :
la forme de l'intellect, dit-il, c'est l'espece intelligible; or
la matiere de l'espece intelligible est l'image qui est en nous:
des lors l'intellect est nótre parce que sa forme a sa matiere
en nous103. Mais d'abord, de ce que l'image, une fois que l'in-
telligibilité en est actualisée, entre dans l'intellect en puis-
sance, i1 ne suit pas que nous pensions, mais seulement que
les images qui sont en nous sont pensées par l'intellect en
puissance : que la couleur qui est sur un mur soit actualisée
et frappe la vue, cela fera que le mur soit vu, mais non
qu'il voieI94. Ensuite Averroes oublie qu'entre l'image et l'in-
telligible qui en résulte par l'action de l'intellect agent, il
y a une séparation : l'intelligible n'est tel que parce qu'il
se sépare de l'image. L'opération de l'imagination est une
chose, celle de l'intellect en est une autre : la premiere ne

191. Id., De unitate intellectus, cap. IV (éd. Vives, t. XXVII, p. 320 sq.) ; ad fi-
nem: ... cum Averroe aberrare, qui non tam fuit Peripateticus quam Peripa-
teticae philosophiae depravator.
192. Voir JOURDAIN, La philosophie de Saint Thomas d' A quin, t. I, p. 302 -303 . -
S. THOMAS, In Aristotelis librum De anima commentarium, lib. III, lect. 7, 68 9-
690 P irotta : « intellectus aut em separatu s » [texte d'Aristote] : Sed horum occa -
. sione verborum, quidam intantum decepti sunt ut ponerent intellectum possibilem
esse a corpore separatum, sicut una de substantiis separatis. Quod quidem omnino
impossibile est. Manifestum est enim, quod hic horno intelligit. Si enim hoc nege-
tur, tune dicens hanc opinionem non intelligit a liquid, et ideo non est audiendus.
Ibid., 695 : on pourrait, et on l'a fait ailleurs, produire beaucoup d'arguments
contre cette opinion : « Sed hic hoc unum sufficiat, quod ad positionem h anc sequi-
tur, quod hic horno non intelligit. »
De unit. int., cap. V, 323h Vives : oportet te invenire rnodum, quo actio
illius principii sit actio hujus hominis. - Voir ibid., cap. VI, 328a Vives.
193. In De anima, III, 7, 69t Pirotta.
194. Ibid., 694. - De unit. int., 324h Vives : Sicut igitur paries non videt, sed
videtur ejus color, ita sequeretur quod horno non intelligeret, sed quod ejus pban-
tasrnata intelligerentur ab intellectu possibili.
SAINT THOMAS 75

fait pas partie de la seconde, mais seulement la prépare ;


des lors la premiere a beau appartenir a l'individu, elle ne
saurait individualiser la seconde196•
L'averroi:sme est done impuissant a expliquer l'individua-
lité de l'intellection et il aboutit logiquement a la nier. I1 a
d'ailleurs d'autres conséquences facheuses : par sa doctrine
d'un intellect séparé, réceptacle des formes séparées, Aver-
'roes tend a revenir au platonisme et a reconstituer un
monde d'universaux hors des choses196 . Par sa doctrine de
l'unité de l'intellect, il tend a supprimer toute multiplicité
des substances séparées pour les absorber en Dieu. En e:ffet,
pourquoi Averroes veut-il que l'intellect soit un ? Parce
que l'intelligible est un. Alors il faut supprimer résolument
toute espece de multiplicité de l'intellect, n'admettre que
l'intellect de Dieu197 • Enfin le texte meme du philosophe con-
damne Averroes. Aristote en effet, quand il commence sa
théorie de l'intellect, déclare qu'il va parler de cette partie .
de 1' ame par laquelle elle connait et possede la prudence ;
puis il recherche si cette partie de 1' ame est séparable des
autres. L 'intellect est done pour lui une partie de 1' ame et
non une substance séparée19s_
Naturellement, saint Thomas se range a ce qu'il croit etre
l'opinion du philosophe et il professe que l'intellect en puis-
sance n'est que l'ame disposée d 'une certaine fa¡;on . Mais
i1 ne su:ffi.t pas de savoir cela pour comprendre la position
qu'il prend par rapport aux partisans de la transcendance
et aux partisans de l'immanence. Comme Averroes, il est
extremement frappé du caractere naturaliste de la doctrine
d' Alexandre : il lui reproche de regarder l'intellect comme
un résultat de la mixtion des éléments qui composent le
corps, et de rejeter, au fond, l'immatérialité de l'intellect
a:ffi.rmée par Aristote : car une substance immatérielle pro-

r95. In De anima, 692-693 Pirotta - De unit. int., cap. VI, 329b Vives.
r96. Ibid., cap. VII, 332b: Si enim dicant quod intellectum est una species
i=aterialis existens in intellectu possibili, latet ipsos quod quodammodo tran-
seunt in dogma Platonis, qui posuit, quod de rebus sensibilibus, nulla scientia
potest haberi, sed omnis scientia habetur de forma una separata;
r97. Ibid., cap. VII, 332a : Si l'unité de l'intelligible exige l'unité de l'intel-
lect, « Ergo intellectus noster non solum est substantia separata, sed etiam est
ipse Deus, et universaliter tollitur pluritas substantiarum separatarum. »
r98. In De anima, III, lect. 7, 696 sq. Pirotta.
76 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

duite par une mixtion d' éléments corporels serait un effet


hors de proportion avec sa cause199. Cependant i1 ne laisse
pas d'admettre que l'intellect se rattache étroitement au
corps. L'intellect, comme le reste de l'ame, est l'acte d'un
corps naturel 200 . I1 est vrai qu'il se distingue des autres par-
ties de l'ame en ce qu'il n'a pas d'organe, en ce que, a vrai
dire, il n'est pas une vertu du corps comme sont les autres
parties de l'ame. Mais le mystere n'est pas ici plus grand
que lorsqu'il s'agit de la vertu que possede l'aimant d'at-
tirer le fer ou le jaspe d'arreter le sang : l'aimant et le jaspe
sont des corps naturels, seulement, outre les vertus qu'ils
tiennent de leurs éléments composants, ils en possedent
chacun une autre qui s'est détachée du corps céleste pour
venir résider en eux201.
Le naturalisme, dans la théorie thomiste de l'intellect,
n'est cependant qu'une apparence. Les Péripatéticiens, di-
sait Plotin, ont eu beau faire l'ame inséparable, en fin de
compte, ils ont introduit sous le nom d'intellect une autre
ame séparable. Saint Thomas a pris une position précisé-
ment opposée a celle des Péripatéticiens dont parle Plotin :
il a voulu faire l'intellect inséparable mais il admet que
l'ame est séparable 202 . Elle est immortelle, et Aristote ne le
nie pas car il a bien dit que la forme ne peut précéder la
matiere, non qu'elle ne peut lui survivre203 _ Maisil y a plus:
en cette vie elle est jusqu'a un certain point indépendante

199. Contra Gmtiles, lib. II, cap. 62.


200. De unit. int., cap. II, 313b Vives : Fuit ergo sententia Aristotelis,
quod illud qua intelligimus, sit forma corporis physici.
201. Ibid., cap. II, 316a-b : Manifestissime igitur apparet absque omni dubi-
tatione ex verbis Aristotelis hanc fuisse ejus sententiam de intellectu possibili
quod intellectus sit aliquid animae, quod est actus corporis ; ita tamen quod intel-
lectus animae non habeat aliquod organum corporale, sicut habent ceterae poten-
tiae animae. Quomodo autem hoc esse possit quod anima sit forma corporis, et
aliqua virtus animae non sit corporis virtus, non difficile est intelligere, si quis.
etiam in aliis rebus consideret. Videmus enim in multis quod aliqua forma est
actus corporis ex elementis commixti et tamen habet aliquam virtutem quae non
est virtus alicujus elementi, sed competit tali formae ab alio principio, puta, cor-
pare caelesti, sicut quod magnes habet virtutem a ttrahendi ferrum, et jaspi res-
tringendi sanguinem ; et paulatim videmus quod formae quae sunt nobiliores,
habent aliquas virtutes magis ac m agis supergredientes materiam. Unde ultima
forman:"'.ll, quae est anima humana, habet virtutem totaliter supergredientem
materiam corporalem, scilicet intellectum.
202. JOURDAIN, Phil. de S. Thomas. I, p. 286 sq. -S. THOMAS, De unit. int. ,
cap. III, 317b-318a Vives.
203. Ibid., 317b ad initiitm; d. cap. VII, 331b ad medium.
SAINT THOMAS 77

du corps, et c'est meme la ce qui nous garantit son imrnor-


talité, puisque, comme l'a dit Aristote, si l'ame a quelque
opération qui lui soit exclusivement propre, elle est sépa-
rable. Or cette opération exclusivement propre a l'ame et
qui en prouve la séparabilité, c'est précisément l'intellec-
tion204. C'est doncpourrendre l'intellection possible que saint
Thomas fait l'ame séparable. Mais quand il n'en serait pas
ainsi, quand il aurait d'autres raisons métaphysiques pour
admettre la séparabilité de l'ame, il n'en serait pas moins
vrai qu'en l'admettant il se serait toujours prononcé, quoi-
qu'en d'autres termes, pour la transcendance.
L' existence indépendante de 1' ame est un élément plato-
nicien que saint Thomas introduit dans le péripatétisme :
n'hérite-t-il pas des Peres platoniciens, ne lit-il pas Denys
1' Aréopagite, c'est-a-dire un copiste de Proclus, et enfin
n'a-t-il pas Sirnplicius et Macrobe pour le mettre au courant
des doctrines de 1' école d' Alexandrie et de son chef205 ? I1
est si bien pénétré d'alexandrinisme qu'il semble un mo-
ment interpréter conformément a la doctrine de la proces-
sion l'immanence et la transcendance de 1' ame 2º6 • Apres cela
saint Thornas n'éprouve aucune diffi.culté pour expliquer
l'intellection : comme forme séparée, l'ame est immatérielle,
son objet c'est l'universel: rien de plus conforme asa nature
que de recevoir en elle les universaux; en d'autres termes,
l'intellection est sa maniere naturelle de penser2°7. I1 serait
done plus qu'inutile de séparer de l'ame l'intellect, et tous
les passages d' Aristote qui semblent réclamer une telle sépa-
ration s'interpretent sans peine en ·un autre sens. L'intellect

204. [bid., cap. III, 3r7b -3r8a. - JOURDAIN, ibid., t. I, p. 286 sq.
205. Saint Thomas a commenté le De divinis1iominibus de Denys: JoURDAIN,
ibid., t . I, p. 204 (Sur les livres de Denys, voir VACHEROT, Ecole d'Alexandrie,
t. III, p . 23 sq.). - Dans le De unit. int., cap. II, 312a Vives, S~int Thomas
cite Grégoire de Nysse (voir VACHER0T, ibid., t . III, p . 15) et Plotin co=e té-
moins sur la nature de !'ame selon Platon; plus loin (cap. V, 326ª), Plotin est
eucore cité pour le meme objet, d'apres Macrobe, et saint Thomas ajoute : « qui
quidem Plotinus unus de magnis Co=entatoribus ponitur inter Commentatores
Aristotelis, ut Simplicius refert in commento Prnedicamentorum » < SIMPLICIUS,
In Categorías, 2, 2-5 Kalbfleisch >·
206. SAINT 1'HoMAs, De unit. int., cap. II, 316b Vives: Forma ergo hominis
est in materia, et est separata. In materia quidem secundum esse quod dat cor-
pori ... separata autem secundum virtutem quae est propria homini, scilicet secun-
dum intellectum.
207. JOURDAIN, ibid., t. I, p. 277-278.
78 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

est un autre genre d'ame ? Cela veut dire qu'il est la seule
partie de l'ame qui soit immortelle. L'intellect vienten nous
du dehors (6úpa6Ev) ? Cela veut dire que son opération ne
dépend pas de la matiere. L'intellect est <lit séparé ? C'est
simplement .que, selon Aristote, i1 n'a pas d'organe2oa_
La doctrine de l'ame séparée, malgré l'apparente imma-
nence qu'elle permet de conserver, rend l'explication de
l'intellection trop facile pour qu'on ne la soup<_;onne pas
tout de suite de nous transporter secretement au dessus de
l'individu ou i1 ne sera peut etre pas aisé de redescendre.
Tel est bien le cas en réalité. Dans sa polémique contre les
Averro'istes, saint Thomas avait <lit que, bien qu'on ne voie
pas comment l'intellect qui est immatériel peut etre indivi-
dualisé, Dieu a pu le rendre individuel en employant pour
l'attacher a l'individu une cause surnaturelle qui contrarie
sa nature209_ Peut-etre saint Thomas n'en est-il pas réduit
a un expédient aussi désespéré pour individualiser l'ame,
mais il faut convenir que le probleme lui cause un bien grave
embarras. Puisque l'ame humaine est immatérielle, elle ne
peut etre individualisée p~r la matiere, au moins hors de
son union avec le corps; mais elle ne peut pas non plus etre
individuelle par la forme : car deux ames humaines ne dif-
ferent pas spécifiquement. Qu'est-ce qui fait done l'indivi-
dualité d'une ame ? C'est une certaine maniere d'etre qu'elle
contracte dans son union avec un corps et qu'elle retient
ensuite210. -On aimerait a savoir si cette maniere d'etre doit
se ranger du coté de la forme ou du coté de la matiere, et si
elle n'altere pas le type spécifique ou l'immatérialité de l'in-
tellect, car, dans les deux cas, elle entraverait l'intellection .

208. S. THOMAS, De ,mit. int., cap. II, 3r2b-3r3a ; III, 3~7a-3r8b Vives. - In
De anima, III, lect. VII, 684-689 ; lect. XII, 759 ad finem. Pirotta.
209. De unit. int., cap. VII, 33ob-33ra Vives.
210. De potentia, q . Ill, a. ro, Resp., (t. XIIl Vives) : Cum anima non sitcompo-
sita ex materia et forma . .. distinctio animarum ab invicem esse non potest, nisi
secundum formalem differentiam, si solum secundum seipsas distinguerentur. For-
malis autem differentia diversitatem speciei inducit. Diversitas autem secundum
numerum in eadem specie ex differentia materiali procedit : quae quidem animae
competere non potest secundum naturam ex qua fit, sed secundum materiam in
qua fit. Sic ergo solum ponere possumus piures animas humanas ejusdem speciei,
numero diversas esse, si a sui principio corporibus uniantur, ut earum distinctio
ex unione ad corpus quodammodo proveniat, sicut a materiali principio, quamvis
ab efficiente principio talis dictinctio• sit a Deo. ~
Cf. JOURDAIN, ibid., t. I, p. 280-281,
SAINT THOMAS 79

La vérité, non pas historique, mais logique, c'est que saint


'l'homas a fait de l'ame humaine une substance universelle
qui ressemble, a s'y méprendre, a l'intellect matériel d' Aver-
roes.
La théorie de l'intellect en puissance est done au fond le
contraire de ce qu'elle veut etre : il n'est pas bien sur que
sa théorie de l'intellect agent soit plus heureuse. Elle débute
par l'affirmation expresse que l'intellect agent est une partie
de 1' ame : car sinon l'homme serait un etre imparfait ou
incomplet, i1 n'aurait pas toutce qu'il lui faut pour attein-
dre sa fin211.
Mais saint Thomas ne trouve cependant pas de difficulté
dans le sentiment des nombreux philosophes qui regardent
l'intellect agent comme extérieur a l'humanité et unique :
car qu'y-a-t-il d'impossible a ce qu'un meme agent actualise
plusieurs puissances ? Un soleil unique suffit pour actualiser
la vue chez tous les animaux212. Si maintenant on rapproche
de cette déclaration curieuse les textes célebres ou la raison
est appelée un refl.et de la lumiere divine et ou Dieu est
appelé la lumiere de l'entendement 213, on condura que le
véritable intellect agent, dans le thonúsme, n'est pas autre 1
chose que Dieu lui-meme. L'immanence de l'intellect agent
n'y est comme celle de l'intellect matériel qu'une apparence.
Quand meme l'intellect agent ne serait pas Dieu, ni meme
une substance séparée, il n'en resterait pas moins que, chez
saint Thomas comme chez Aristote, Dieu est le type de l'in-
tellect tout en acte, et que c'est dans la théorie de 1' enten-
dement divin qu'il faut chercher les vues dernieres du tho-
misme comme de l'aristotélisme, sur la connaissance et son
objet. Quand saint Thomas dit que la connaissance en Dieu

2II. s. THOMAS, In De anima, III, lect. X, 734 Pirotta.


212. Id., De unit. int., cap. VI, 327b-328a Vives : consideiandum restat de
hoc quod dicunt, intellectum possibilem esse unum in omnibus. Forte enim de
agent e hoc diceie, aliquam rationem haberet, et multi philosophi hoc posueiunt :
n ihil enim videtur inconvenien s sequi, si ab uno agente multa peificiantur, quem-
admodum ab uno sole peificiuntur omnes potentiae v isivae animalium ad viden-
dum ; quamvis etiam hoc non sit secundum intentionem Aristotelis, qui ponit
intellectum agentem esse aliquid in anima, unde comparat ipsum lumini. (Tan-
dis que, comme dit Thémistius, s'il avait posé un intellect agent unique, i1 l'eut
comme Platon, comparé au soleil.)
213. Id., De veritate, q. XI, ª· l (t. XIV Vives. Cf. JOURDAIN, ibid., p. 162-
163) : Rationis lumen quo principia sunt nobis nota est nobis a Deo inditum, quasi
quaedam similitudo increatae veiitatis in nobis resultantis.
80 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

n'est pas discursive, mais intuitive 214 , quel'intellect divin est


infaillible parce qu'il ne s'attache qu'au simple, a la quiddité,
c'est-a-dire a lui-meme 215, en tout cela le Docteur Angélique
ne fait que répéter exactement son maitre. I1 y a déja plus
d'intéret dans la maniere dont il explique que Dieu connaisse,
outre lui-meme, les choses créées ; avec Denys 1' Aréopagite,
il transporte dans l'intelligence supreme la connaissance
scientifique telle que la concevait 1' école d' Alexandrie : Dieu
connait toute la multiplicité des choses dans l'unité de leur
cause, c'est-a-dire de sa propre essence216.
Mais ce qui nous intéresse surtout, c'est de savoir si saint
Thomas est en derniere analyse un partisan ou un adver-
saire de l'idéalisme. I1 n'est pas douteux qu'il a conscience
de ce qui sépare le péripatétisme du platonisme : toute la
théorie de l'intellect agent résulte, il le voit bien, de la né-
gation d'intelligibles en soi ou séparés217 . I1 s'efforce, et bien
plus qu' Aristote, de distinguer l'intellect de son objet, la
pensée d'avec les choses pensées : la connaissance selon lui
porte bien sur les choses, mais ce n'est pas la chose qui est
dans l'entendement, c'est seulement une représentation de
la chose, l'espece intelligible218 . Enfin, contre Gilbert de la
Porrée qui, en des termes qu' on dirait traduits du Phedre 2 I9,

214. S. THOMAS, Contra Gentiles, I, c. LVII, c. LVIII.


215. Ibid., I, c. LVIII, Leonis XIIIedit.: Proprium objectumintellectusest quod
quid est, unde circa hoc non decipitur intellectus ... In divino igitur intellectu non
est compositio et divisio, sed solum simplex rei acceptio.
Ibid., I, c. LIX: ... tamen intellectus apprehendens quod quid est dicitur quidem
per se semper esse verus, ut patet in III De anima.
216. Ibid., I, c. LVIII: Non autem propter hoc oportet nos dicere quod enun-
tiabilia ignorat [Deus]. Nam essentia sua, cum sit una et simplex, exemplar est
omnium multiplicium et compositorum. Et sic per ipsam Deus omnem multi-
tudinem et compositionem tam naturae quam rationis cognoscit. - Puis saint
Thomas cite DENYS, De divinis nominibus, cap. VII : Igitur ¡divina sapientia,
seipsam cognoscens, cognoscit omnia, et materialia illlmaterialiter, et indivisi-
biliter divisibilia et multa unitive.
Voir JOURDAIN, ibid., t. I, p. 213-214. _
217. S. THOMAS, In De anima, III,lect. X, 730-731 Pirotta: Intellectus autem
agens facit i psa intelligi bilia esse in actu, q uae pri us eran t in poten tia, per hoc quod
abstrahit ea a materia ... Inducitur autem Aristoteles ad ponendum intellectum
agentem, ad excludendum opinionem Platonis, qui posuit quidditates rerum sen-
sibilium esse a materia separatas, et intelligibilés actu : unde non erat ei neces-
sarium ponere intellectum agentem.
218. Voir JOURDAIN, ibid., t . I, p . 314-315. - s. THOMAS, De unit. int., cap.
VII, 333a Vives.
219. PLATON, Phedre, 249 c : .Ílo o-~ o,xcx(wc; µbvl) -n:-repo í:h-cx, ~ -roií c¡n).oabq,ov
6i~~Ol:' · rcpoc; ya.p helvoic; ch/ Éan µv~µ-r;¡ xcx-ra. oúvcxµw, rcpoc; ol<T'TCEp 8eoc; olv
8e,o, ecrnv .
SAINT THOMAS 8r

soutenait que Dieu est Dieu par la divinité, il maintenait


qu'on ne doit pas distinguer en Dieu l'essence et l'etre, ce
qui implique qu'on n'a pas le droit de se demander si c'est
l'essence qui est ici premiere220. L'essencedeDieuest de pen-
ser : 1' etre pensant et la pensée ne se distinguent pas en lui221 :
comment, apres cela, se demander si c'est au fond l'etre qui
résulte de l'essence ou si c'est le contraire ? Sans doute, la
question est indiscrete, mais il faut la poser a saint Thomas
comme a Aristote. Or, quoiqu'il vive au milieu d'une société
chrétienne, le disciple répond ici comme le maitre. D'abord
sa pensée est ordinairement orientée vers l'idéalisme, car la
théorie de la vérité en Dieu fait des Idées la mesure de la réalité
des choses, puisque, au regard de Dieu, une chose est vraie
quand elle est conforme a l'idée correspondante dé l'entende-
ment divin22 2 ; puis, qu'est-ce que cette méthode qui définit
et prétend atteindre la vérité par le syllogisme qui développe
les définitions, sinon la méthode idéaliste elle-meme ? Ensuite,
a ceux qui objecteraient que saint Thomas a bien pu renon-
cer a son idéalisme en arrivant a la question derniere, il
faut répondre en rappelant la situation prise par lui devant
le probleme de la volonté. Croit-on qu'il eut jamais consenti
a faire la volonté antérieure a 1' entendement ? Non, il a
sans cesse soutenu que c'est la pensée qui est premiere, et
c'est chez lui que Leibniz a puisé son intellectualismeinflexi-
ble 223. Comme, d'ailleurs, personne ne soutiendra qu'en Dieu
lapensée est extérieure aux objets de la pensée, c'est l'Idée
qui est en réalité déclarée premiere.

220. Sur Gilbert dela Porrée et sa doctrine toute platonicienne, voir HAURÉAU,
Histoire de la philosophie scolastique, 1872, 1'º p., p. 447 sq., surtout p. 462-463,
472. - Voir la réfutation de Saint Thomas dans JOURDAIN, ibid., t. I, p. 208-210.
221. lbid., t. I, p. 2u. ·
222. lbid., t. I, p. 322-325.
223. lbid., t. I , p. 218-219; 339.-SECRÉTAN, Philosophie de la liberté, L'ldée,
3• édit., 1879, p. 76-78.

u_
VII

CONCLUSION

Avec saint Thomas, on peut le dire, le développement


de l'aristotélisme est fini. Le systeme vivra longtemps encore,
mais sans s'accroitre, puis il s'éteindra devant le cart~sia-
nisme et restera oublié, jusqu'au jour ou les historiens de
la philosophie le ressusciteront, mais seulement pour le com-
prendre. Notre exposition est done achevée, et nous n'avons
plus qu'a nous demander ce qu'elle nous a appris sur l'aris-
totélisme et du meme coup sur cette position de 1' esprit
que l'aristotélisme représente.
La transcendance de l'intelligible : voila le résultat auquel
aboutissent tous les commentateurs d' Aristote, les uns de
leur plein gré, comme les Alexandrins, les autres malgré
eux, comme Alexandre, Averroes et saint Thomas. Mais
elle est le dernier résultat du systeme et il faut voir comment
on y arrive.
Si Aristote n'a pas professé la transcendance de l'intellect
agent, il a du moins admis explicitement des propositions
dont elle est la conchision nécessaire. C'est la une remarque
qui n'est pas nouvelle et qui est facile . Le langage d' Aris-
tote est en effet parfaitement précis : l'int ellect agent pense
toujours, la science en acte est en soi premiere, bien que
dans l'individu la science en puissance la précede. Cela posé,
quand Aristote n'ajouterait pas que l'intellect agent n'est
84 LA THÉORIE DE L'INTELLECT n' APRES ARISTOTE

ce qu'il est que lorsqu'il est séparé, i1 s'ensuivrait immédia-


tement que l'intellect en acte est indépendant de l'individu,
impersonnel, transcendant 224 • Pour échapper a cette consé-
quence, et encore non sans conteste, il ne reste que la res-
source désespérée du dernier commentateur du IlEpt tJiuxiíi;,
Wallace, qui voit dans l'intellect agent une pensée inconsciente
qui crée un monde fait pour tomber ensuite sous la conscience:
c'est le Moi de Fichte avec son travail de construction dans
1'absol u. Mais W allace, tout en développant longuement cette
interprétation, ressent par bonheur des scrupules a défaut
desquels on pourrait douter de son aptitude a comprendre
la pensée antique 225 • D'ailleurs nous avons fait une réserve,
et ce n'est pasa tort, car enfin en quoi ce moi absolu se dis-
tingue-t-il de Dieu ?
La transcendance de l'intellect agetit est hors de doute,
et elle n'a jamais fait sérieusement question pour aucun
commentateur, meme pour saint Thomas. Celle de l'intellect
matériel au contraire a été discutée. L'intellect matériel est
le réceptacle des formes intelligibles, et il faut - Aristote
ne se lasse pas de le répéter - qu'il soit pur, sans mélange
avec le corps, sans relation avec un organe pour etre apte
a recevoir les formes sans les défigurer. Mais tout cela ne
signifie-t-il pas, _comme l'ont entendu les commentateurs,
que l'intellect matériel doit etre sans matiere ? Et si Aris-
tote parait surtout préoccupé de préserver contre toute
altération le contenu des intelligibles dans leur contact avec
l'intellect, n'ont-ils pas raison de penser qu'il importe aussi
de ne pas altérer la forme, c'est-a-dire l'universalité des in-
telligibles ? Or puisque, selon Aristote, c'est la matiere qui
est le principe de l'individuation, il faut encore, a ce nou-
veau point de vue, que l'intellect soit immatériel. Mais l'in-
dividu a de la matiere, la forme de tel corps humain est
engagée dans la matiere : comment done l'intellect ne serait
il pas un autre genre d' ame, e' est-a-dire une ame séparée ?
Si l'on refuse de se contenter de l'expédient d'Alexandre,
ne faut-il pas donner gain de cause a Averroes ? Ne parlons

224. Voir RENAN, Averroes, p. 95.


225. WALLACE, Aristotle's Psychology, p. XCVIII- CVII. La page CV surtout
est completement fichtienne.
CONCLUSION 85

pas de ceux qui admettent d'abord que l'ame est une forme
séparée : ceux-la n'ont pas besoin de faire de l'intellect un
autre genre d'ame. Qu'il le veuillent ou non, ils sont des
averroistes.
Voila done l'intellect matériel qui, commel'intellect agent,
se sépare de l'individu. Cependant le plus ardent promoteur
de la transcendance des deux intellects estime qu'il est encore
un péripatéticien orthodoxe. Si saint Thomas a eu raison
de dire qu'Averroes tend au platonisme, cela n'empeche pas
qu'on ne vit jamais tendance plus involontaire. Averroes
entend rattacher l'intellection a l'individu. Il proteste contre
les opinions de Théophraste et de Thémistius quand elles
lui paraissent exclure l'individualité de l'intellection et pré-
parer, par une rupture avec le sens~ble, le rétablissement
d'un monde platonicien d'intelligibles. S'il veut que l'intel-
lect matériel soit au-dessus des individus, c'est afin que les
intelligibles y puissent entrer : car il ne faut pas que les intel-
ligibles soient hors de l'intelligence. On voit combien
Averroes est sincere et profond dans sa foi péripatéti-
cienne.
Cependant qu'arrive-t-il? Pour recevoirlesformesintelligi-
bles et éviter leur séparation d' avec l'intelligence, i1 invente
une substance séparée. Ce n' est pas une forme, dira-t-il. Assu-
rément, puisque c'est un réceptacle de formes. Mais la ma-
tier.e intelligible n'en est pas moins un intelligible, et c'est
bien un intelligible qu'Averroes sépare, quoi qu'il dise. Si
encare Averroes réussissait a ne séparer qu'un intelligible !
Mais i1 n'en est rien. I1 espere bien que les intelligibles con-
serveront comme support les formes sensibles représentées,
en un mot les images. Or c'est la une illusion, comme l'a
montré saint Thomas. L'image est individuelle, l'intelligible
est sans matiere : a partir du moment ou une forme est deve-
nue actuellement intelligible, elle a ·rompu avec l'individua-
lité. L'image peut bien préparer l'intellection, mais elle
n'entre pas dans l'opération intellectuelle. Des lors, voila
la forme intelligible d'un cóté, la forme sensible de l'autre,
et entre les deux un abime qu'il n'y a rien pour combler.
Le probleme, a peine dissimulé un instant, reparait dans
toute sa difficulté.
C'est que la véritable question est bien plus large qu'elle
8
86 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTO'l'E

ne parait sous le titre consacré. Les intellects matériel, agent,.


spéculatif, détournent notre attention de ce qui devrait
presque exclusivement l'occuper : y a-t-il des intelligibles
existant en soi et quel est leur rapport aux choses sensibles ?
Jamais la philosophie ancienne n'a tenu compte du sujet
dans la connaissance : elle n'y a jamais vu qu'un re:flet de
l'objet, ou, plus profondément, elle n'a vu dans la connais-
sance que son objet méme : les Alexandrins ont compris
et professé cette doctrine dans toute son étendue, et leur
principq.}_e autorité est précisément Aristote. Alexandre d'ail-·
leurs avait a peine autrement entendu son maitre. Or, ce
point de vue admis, tout se simplifie ; l'image est une forme
sensible ; i1 s'agit de savoir si la forme peut se dégager de
l'image et devenir intelligible sans se séparer de l'image
et se poser en elle-méme.
I1 n'est pas question de savoir si Aristote eut accepté la.
question ainsi posée: on peut demander seulement s'il aurait'
eu le droit de la refuser : car i1 est trop clair qu'il ne s'agit
pas ici du pur fait et de la réalité historique immédiate.
Or comment oublier que la pensée, suivant Aristote, se
résout dans les pensées qui en forment le tissu, et que la
science en acte est identique a son objet ?
Aristote ne saurait done étre admis a déclinerla question .
Reste a savoir comment i1 y aurait répondu. Le grand prin-·
cipe du péripatétisme, celui qui en résume tout !'esprit et
toute l'originalité, c'est que la forme n'existe que dans la.
matiere. Or, n'y eut-il pas dans la philosophie ,d' Aristote
une autre exception que celle de Dieu, c'en serait assez pour
ébranler fortement le príncipe. Dieu est une forme séparée :
done il n'est pas vrai a la rigueur que nulle forme n 'existe
que dans une matiere. On dira que la vraie formule du prin-
cipe aristotélicien n'est pas celle que nous avons donnée,
en nous attachant trop a la lettre et pas assez a !'esprit,
qu'il faudrait dire plutót que le réel c'est l'individu. A mer-
veille; mais si une individualité purement formelle comme
Dieu peut exister, pourquoi done n'en existerait-il pas plu-
sieurs ? Est-ce que les Idées sont purement l'universel ?
Non, car il n'y aurait pas des Idées, mais une Idée, celle
de l'universalité. Mais si elles ont un contenu, elles peuvent
avoir une individualité formelle : des lors pourquoi ne
seraient-elles pas aussi bien que Dieu ? II y a une raison a.
----- -- - -- - - - - -- - - - -- -- -

CON CLUSION

cela dira-t-on ; c'est qu'on n'en a que faire. La raison serait


bonne si elle venait d 'un nominaliste : mais tel n'est pas
1e cas d' Aristote.
E n effet, qu'est-ce qui fait, dans les choses, la réalité ?
C'est la forme, la forme identique avec l'acte, si bien
que Dieu est l'acte pur. Done voila Aristote obligé une
premiere fois de recourir a la forme ou a l'Idée. Mainte-
nant Aristote n'est-il pas l'héritier de la philosophie con-
ceptuelle de Socrate et de Platon ? Ne professe-t-il pas comme
eux que connaitre e' est dé finir et enchainer des concepts ?
Le syllogisme n'est-il pas pour lui letype achevé de la science ?
Or de dire que l'ordre de la nature et l'ordre . de la science
sont , d 'apres Aristote, bien différents et meme opposés, cela
n 'avancerait a ríen, si l'on ne donne a l'opposition dont il
s'agit un sens tout a fait inacceptable. I1 est clair que l'ordre
de la nature est synthétique ou progressif, et celui de la
science analytique ou régressif. Mais ordre de la nature veut
dire ici ordre historique, et derriere l'histoire i1 y a la logique.
Pourquoi l'y mettre, dira-t-on ? C'est qu'autrement la théo-
rie aristotélicienne de la science serait quelque chose de bien
étrange. Que peut etre la vraie science, sinon celle qui exprime
Je plus exactement la réalité ? Or si l'ordre historique était
1' ordre le plus profond et le plus réel, la vraie science ce
serait la description, l'exposition purement empirique. Le
syUogisme est tout l'opposé; done l'ordre vrai c'est celui
des notions. Done voila une nouvelle et décisive raison pour
Aristote de ne pas se passer des Idées. Mais s'il en a besoin,
si, une fois Dieu admis, i1 n'a plus le droit de nier la possi-
bilité de formes en soi, comment pourrait-il Jégitimement
persister a nier l' existen ce des Idées ?
Le péripatétisme, comme on voit, vient, quand on le
presse, s'absorber dans le platonisme. La seule conception
péripatéticienne qui persiste alors, c'est celle d'une vie des
intelligibles ; c'est la ce que Plotin conserve du péripaté-
tisme : les Idées sont pour lui des vies et des intelligences.
Mais, comme l'exige !'esprit idéalíste, il subordonne l'intel-
Jigence a l'intelligible. Aussi, en fin de compte, pour luí
comme pour Platon, c'est l'Idée qui est tout. Le sensible
semble n'etre que l'intelligible arrivé au dernier degré de
J'affaiblíssement. Que si l'individu compte aux yeux des
AJexandrins, c'est qu'ils out ramené l'individu a l'Idée.
'
1

88 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

Ont-ils done, comme ils le croient, embrassé dans leur


systeme !'ensemble du systeme péripatéticien ? Oui, a la
rigueur ; mais le systeme d' Aristote n'est pas Aristote tout
entier. Le systeme d' Aristote est un idéalisme apeine voilé ;
Aristote est parfois un redoutable adversaire de l'idéa-
lisme. Son systeme, tout pénétré de platonisme, ne pou-
vait que tomber au:x: mains des Platoniciens, des qu'ils
tenteraient un retour offensif. Mais est-ce a dire qu' Aris-
tote, critique de l'idéalisme, ait été définitivement réfuté,
.et la tendance empiriste qu'il a représentée tout en 1¡1 sacri-
fiant, vaincue une fois pour toutes ? Elle est aussi éternelle
que la tendance contraire.
APPENDICE

< On a rassemblé ci-dessous quelques notes hativement


rédigée¡, et glissées par Hamelin entre les pages correspon-
dantes du manuscrit ; sans doute s'agit-il de brouillons en
vue d 'une éventuelle correction du texte. >

P. 4 - La théorie de l'intellect dans Aristote.


Tan.d is que selon Platon la réalité véritable résidait dans
les Idées transcendantes, selon Aristote elle appartient aux
choses sensibles composées d'une matiere et d'une forme
qui y est immanente. Les formes, au moins d'une maniere
générale, n'existent a part de la matiere que dans l'intellect.
La théorie de l'intellect remplace done la théorie des Idées.
Elle doit rendre compte, sans retomber dans l'idéalisme
platonicien, de la transcendance apparente des Idées. Tel
est le point de vue auquel se place Aristote quand il entre-
prend 1' étude des fonctions et de la nature de l'intellect.
Puisqu' Aristote prend pour accordée l'immanence des
formes intelligibles, sa théorie de la connaissance débute,
d'une fa¡;on naturelle, par une explication de la formation
empirique et machinale des images générales, comme pre-
miere esquisse des formes intelligibles dans la pensée. Mais,
non moins naturellement, étant donné le but a atteindre,
il n'y a la qu'une préparation a la théorie de l'intellect. Cette
théorie, a la prendre en elle-meme, ne commence qu'au mo-
ment oit Aristote donne de l'intellect cette dé:finition spéci-
:6.quement propre qu'il est le lieu des formes : 'tÓ1to~ dawv
90 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

(De anima, III, 4, 429ª 27). C'est done de cette défi.nition


que nous devons partir (Voir p. n-12).
P. 23 ... qu'une union de fait, du moment qu'Aristote
n'en donne pas la raison. I1 est vrai qu'il aurait pu penser,
en obéissant a une tendance empiriste qui est quelquefois
la sienne, que le fait en question est un fait premier au dela
duquel i1 est interdit de remonter. Mais cette attitude s'ac-
corderait mal en l'espece avec l'assertion que l'intellect et
l'intelligible sont identiques. Ce mot d'identité emporte plus
que la juxtaposition, meme éternelle, de deux termes hété-
rogenes. - Quant a la solution subjectiviste qui ferait de
l'intelligible une création de l'intelligence, i1 faudrait des
dédarations bien expresses et tout autres que celles dont
nous avons parlé a propos de l'intellect qui agit, pour qu'on
fut autorisé a °la mettre au compte d'un ancien et surtout
peut-etre d' Aristote. C' est done en somme bien plutót vers
la solution opposée que sa pensée se dirige.
Mais si la théorie ... (p. 24).
< Ce long morceau semble etre un projet de refonte
complete des p. 23-24. >
P. 27-28 ... choses séparées ? Toutes ces questions, jointes
a la question capitale qui précédait sur le rapport entre
l'intellect et l'intelligible, seront agitées par les successeurs
et les commentateurs d' Aristote. Telle done que l'auteur
l'expose, la doctrine de l'intellect ne remplace ni sans danger
de rechute, ni sans diffi.cultés nouvelles, la théorie platoni-
cienne des Idées.
P. 53. C'est toujours la meme pensée. Il n'y a que l'appli-
cation qui differe. La procession explique jusqu'au rapport
de l'objet et du sujet, ce rapport n'étant qu'un moment du
développement de la réalité unique, et, en un sens, homo-
gene, qui est le fond de tout. Nous allons y revenir.
En attendant, comme elle a expliqué la distinction et la
liaison des divers intellects, elle explique aussi la distinction
et la liaison des différentes opérations intellectives.
Selon Aristote il y a deux connaissances infaillibles ...
INDEX
DES RÉFÉRENCES AUX TEXTES D' ARISTOTE

N.-B. - Les chiffres indiqués renvoient aux notes.

·Catégories De anima
7, 7b 22 sq. ... n. 23 I, 1, 4º3ª 7-10 ... 39
8-10 ... 8
.Analytica post. 29-403b í 5
3, 4º7ª 7 . .. . . 23
I, 2, 71b 9-12 .. '. 14 4, 408b 18-29 ... 17
11, 77ª 5-8 ..... 15 25 sq ... 77
31, 87b 28-30 .... 15 25-30 ... 29
3o-33 .... 15 II, 1, dans son
35 - 39 -- · · 14 ensemble ... 6
88a 4-6 ..... 14 412!a 9 ..... 3
6 sq .... 15 22 ... . . 21
II, 2, 90a 6-7 ..... 14 412b 4-6 .. · · 6
11, 94ª 20-24 .. .. 14 2, 413b 24-26 ... 35
19, dans son 24-29 . .. 17
ensembl e . . . II 25-26 ... 156
100a 15-16 . . . II
414ª 7 sq ... 7
16-1ooh1 15 13-20 . .. 6
100h 5- r2 ... 15 415a 16 ..... 23
10 .. . .. 15 415h 7-10 ... 7
417h 2 sq .. . 25
Physique 16 sq ... 21
III, 3, 428h 10 .. . .. 9
I, 7, 191a 7 sq ... 4
2, 209b 22 -23 .. 4, 429a 10 ..... 39
IV 4 13 ..... 25
VIII, 4, 255ia 23 .. . .. 30 17-1 8 ... '.22
33 sq ... 21
18 ... 20, 36
18-27 . .. 17
De Caelo 23 ..... 16
I, 9, 278h 14 •••.. 19 27 ..... 15
92 LA THÉORIE DE L'INTELLECT D' APRES ARISTOTE

De anima 736b 5-8 .... 19


III, 4, 429b 5 ..... 21 II-29 ... 19
5 sq . .. 36 737ª 7-12 ... 19
6 sq ... 27
10 sq ... 27 M étaphysique
20 ..... 39 I (A), l, 980a 27 sq ... ll
22-31 ... 25
20 981a 7-12 . .. 13
30 sq ...
15-16 . . . 13
43ºª -2 • • • • • 176
25-30 ... 14
3-5 · · · · 24 981b II-13 ... 14
5 ..... 29
111 (B), 2, 996b 14-16 ... 28
6-7 . l, 26, 37
V (A} 5, 1015b II-13 . 28
7-8 .. 16, 37
25, 1023b 24-25 .. 15
8-9 . ... 144
VII (Z) , 8, l 033b 5 sq . . 34
5, 430a I0 sq .. 27,39
15-24 ... 29 10, 1035ª 7-9 ... 3
19-20 ... 24 17, 1041ª 31-32 .. 31
fi~-,r.,:,- 1041b II sq .. 28
20-21 .. . 30
VIII (H), 2, 1043ª 14-19 . . 5
23 ... 36, 38
3, 1043b 16-17 .. 34
6, 43ºª 26 ..... 16
26 sq ... 28 6, 1045ª 8-10 .. 28
IX(®), 9, 1051ª 4 sq . . 28
430b 5 ..... 28
1051b 15 .. . . 28
5 sq ... 16 28
20 sq ... 28 17 sq ..
XI (K}, 3, 1061a II-13 .. . 28
26 sq ... 28
19-20 . . 28
27 ... .. 16
XII (A), l, 1069a 26-30 . 2
7, 431b 7-8 .... 16
12 sq ... 27 3, 1069b 35. · · · · 34
17-19 . . . 39 1070ª 2-4 ... 34
20-21 . . . 24 24-27 .. 17, 156
6, 1071b 19 sq . . 30
8, 432a 3 sq. 26, 37
8-9 . ... 10 7, 1072ª 30 .... 32
33-34 · · 28
12 . . ... 15
1072b 20-22 .. 32
De memoria 35 sq .. 30
l, 449b 31-450ª l 10 8, 1073ª 28-34 .. 182
31-45oa 5 15 9, 1074b 17-18 .. 32
45ºª 7-9 ... · 39 20-21 . . 32 1

33-35 · · 32
De partibus animalium XIII (M) , 9, 1086b 2-7 ... l
I, l, 640b 28-29 ... 3 XIV (N) , 4, 1092a 3-5. · · 28
64ia 14-29 ... 5
21 sq . .. 18 Ethique a Nicomaque
32-641b 10 18
11, l, 647ª 3 · · · · · • 6 11, 6, II41ª 3 sq.,, 15
lo, 655b 37-656a 2, . .. 6 7-8 .... 15
VI, 3, II39b 22-23 . . 12
De generatione animalium 4, u4oll. 9-10 .. 12
11, 3, 736ª 2 4 sq ... 19 12, II43b 4-5 . . · 15
26-27 ... 19 9-Il .. 15
35- 736b 5 19 13-14 .. 15
INDEX 93
X, 7, II78a 2-3 . .. 19 Politique
8, II78b 4-5 .. · 46 I, 2, 1253ª 27 .... 40
9, II78b 33-34 · · 46 111, 16, 1287a 28 .... 40

Grande Morale Rhétorique


11, 11, 1210b 8-9 .... 32 I, 11, 1370a 28-29 .. 9

Ethique a Eudeme
VII, 14, 1248ª 12 sq .. 52
.TABLE DES MATIERES

·INTRODUCTION par E. BARBOTIN ................. p. V


I. But de cette publication.. . . . . . . . . . . . . . . . . VII
II. Remarques sur le contenu de cette étude.... . XII
III. Etat présent des recherches............... XX
IV. Regles suivies pour la présente édition.. . . . XXVI

""I,A THÉORIE DE L'INTELLECT D' AFRES ARISTOTE ET


SES COMMENTATEURS .......................... I
I. Exposition de la théorie de l'intellect dans
.ARJ:sTOTE. - Questions qu'elle souleve.. .. 4
II. ALEXANDRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
III. THÉMISTIUS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
IV. L'interprétation alexandrine : SrMPLICIUS . 44
V. AVERROES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
VI. SAINT THOMAS ................ : . . . . . . . . . . 73
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
APPENDICE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
.INDEX DES RÉFÉRENCES AUX TEXTES D' ARISTOTE. 91
6-1953 • St-Amand {Cher), Imprimerie Ch.-A. BÉDU, N° 31,1293
Dépot légal 2• trimestre 1953 : d'imprimeur : n• 1470
d'éditeur : n• 263

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