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Commentaires des textes du bac blanc

Chapitre troisième : Arthur Rimbaud, poète vagabond,


anti-bourgeois et anti-guerre. [Poésie]

Texte 6. Contre la guerre - sonnet “Le Mal”


1. Composition : un sonnet tout en oppositions et effets d’écho.
Le sonnet intitulé “Le mal” n’est constitué que d’une seule phrase, qui oppose, au moyen de la
conjonction de subordination “Tandis que”, deux scènes pour ainsi dire simultanées :
d’un côté (v. 1 à 6), le champ de bataille, où les soldats français (aux uniformes “écarlates”,
c’est-à-dire d’une certaine nuance de rouge) et allemands (aux uniformes “verts”) tombent en
masse sous les balles (la “mitraille”) et devant leurs chefs qui s’en amusent (voyez : “près du Roi
qui les raille”) ;
de l’autre (v. 9 à 14), les mères qui viennent prier et se recueillir dans les églises, espérant y
trouver quelque réconfort, mais découvrent un Dieu indifférent (v. 9-10 : Dieu semble ivre du luxe
qui l’entoure), somnolent (v. 11 : il “s’endort” alors que chantent ses fidèles) et intéressé (puisqu’il
se réveille au tintement des pièces que les mères éplorées lui donnent (voyez v. 12 à 14).
Entre les deux membres de cette longue phrase, entre ces deux scènes, le poète fait entendre une
plainte (placée en incise et encadrée par des tirets) pleine de compassion et d’indignation :
“Pauvres morts ! dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie,/ Nature ! ô toi qui fis ces hommes
saintement !...” Compassion pour les soldats arrachés à la vie à une saison, “l’été”, où la “Nature”
s’épanouit (de là l’enchaînement : “dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie”) ; indignation devant le
spectacle désolant de l’extermination de “cent milliers d’hommes” réduits en cendres quand la vie
déborde partout ailleurs : cette destruction impitoyable et massive est une impiété à l’égard de la
“Nature” divinisée (puisque c’est elle qui fit saintement ces hommes).

2. Au front : le Roi railleur devant l’anéantissement des soldats qui combattent pour lui.
Dans les six premiers vers, le poète tâche d’exprimer la violence et l’horreur des combats : il
recourt notamment aux effets sonores que le vers autorise ; ainsi il fait claquer les consonnes : à la
dureté des [t], [d] et [k] répond le roulement des [r] (“cRachats Rouges de la mitRaille”,
“Qu’écaRlates ou veRts, pRès du Roi qui les Raille,/ cRoulent les bataillons…”) ; il n’hésite pas à
verser dans la cacophonie, la discordance, comme au v. 3 : heurts produits par le son [k],
grondement des [r], engorgement des [a], assonance peu harmonieuse de “Roi” et “raille”. Enfin,
sur ces vers court comme un cri irritant, suggéré par l’abondance des [i] (tandis, mitraille, siffle,
infini, qui, tandis, folie). A la rime, Rimbaud crée des associations marquantes : le sifflement des
balles trouve dans le rire moqueur des Rois un écho ; les contrastes sont violents : d’un côté le
“ciel bleu” (qui suggère plutôt la sérénité et le bonheur), de l’autre le rouge des flammes, des
uniformes et du sang ; d’un côté l’horreur des corps mis en pièces, déchirés, troués, brûlés, de
l’autre la nature épanouie (“broie”/”joie”) ; d’un côté la réduction au néant, de l’autre l’acte créateur
sublime (“tas fumant”/”saintement”).
Dans ces vers, les images écoeurantes ou révoltantes abondent :
- les “crachats rouges de la mitraille” désignent les flammes qui jaillissent des canons des
fusils aussi bien que les projections de sang provoquées par les balles traversant les corps
des soldats ; le mot “crachat”, par ailleurs, entre en résonance avec le verbe “railler” au v. 3
: les “crachats de la mitraille” signalent le mépris dans lequel les puissants - les “Rois” -
tiennent ceux qui meurent pour eux.
- à “l’infini du ciel bleu” (image positive) répond l’incessant sifflement des balles, suggéré par
l’expression : “tout le jour”.
- les corps sont troués, déchirés, éparpillés, brûlés (voyez : “broie”, “tas fumant”).
- les puissants ne sont pas seulement indifférents au malheur des soldats : ils s’en moquent
(les “Rois” “raillent” les soldats qui meurent pour eux en masse).
Les six premiers vers du sonnet expose donc les horreurs provoquées par les combats : corps mis
en pièce et anéantis, mépris des rois à l’égard des soldats qui meurent en masse pour eux.
Toutefois, le champ de bataille n’est pas le seul endroit où l’on souffre, où l’on gémit sous le regard
dédaigneux et indifférent des puissants : à l’arrière, dans les églises, les mères sont elles aussi les
victimes du cynisme de dieu et de ses serviteurs, les prêtres.

3. A l’arrière : l’indifférence de Dieu face à la douleur des mères en deuil.


Les deux tercets qui closent le poème montrent ainsi “un Dieu” comme enivré et abruti par le luxe
et la ferveur qui l’entourent, puisqu’il partage son temps entre rires et assoupissements. Le luxe
est suggéré par les “nappes damassées” (c’est-à-dire richement brodées), les “grands calices d’or”
; les chants des fidèles, qui célèbrent Dieu - les “hosannas” -, n’émeuvent pas ce dernier : au
contraire, ils le bercent et l’endorment… Les derniers vers achèvent ce portrait satirique du
Très-Haut en joignant à l’indifférence railleuse et somnolente la cupidité : en effet, ce qui réveille
Dieu, ce ne sont pas les plaintes et les gémissements des mères en deuil, brisées par le chagrin,
mais le tintement des sous que ces mêmes mères Lui donnent pour le salut de leurs fils !
L’indignation du poète se manifeste dans la tournure exclamative de la phrase, ainsi que dans
l’opposition :
- entre l’image de ce Dieu débordant de contentement et de satisfaction, et la silhouette
cassée des mères qui sont “ramassées dans l’angoisse” ;
- entre l’image d’un Dieu s’épanouissant dans le luxe et des mères pauvres (elles portent un
“vieux bonnet noir”, elles lui donnent “un gros sou” soigneusement emballé dans un
mouchoir - toute leur maigre fortune !).
Enfin, cette indignation s’exprime dans les irrégularités voulues par le poète, qui recourt
notamment aux enjambements pour mieux exprimer :
- dans un cas, le débordement de satisfaction et d’aise d’un Dieu cynique, préoccupé
seulement de luxe et d’argent (l’argent que les pauvres lui donnent dans l’espoir de trouver
consolation et salut !) (voyez notamment aux vers 9-10) ;
- dans l’autre, la douleur des mères brisées par le chagrin (voyez aux vers 12-13 : “... quand
les mères, ramassées/ Dans l’angoisse…” : le rejet de “dans l’angoisse”, qui complète
grammaticalement le participe passé “ramassées”, fait apparaître dans l’esprit du lecteur la
silhouette courbée et cassée des mères en deuil).

Conclusion : Dans le sonnet “Le mal”, A. Rimbaud dénonce les horreurs de la guerre en utilisant
toutes les ressources que lui offre la poésie versifiée : effets typographiques et sonores, avec les
enjambements, les assonances et allitérations, effets de composition (le poème est construit sur
une sorte de symétrie, puisqu’aux six premiers vers décrivant le champ de bataille s’opposent les
six derniers où le poète évoque la souffrance des mères, qui ne trouvent pas dans les églises la
consolation et l’espérance recherchées - entre les deux, le poète s’adresse à la Nature,
personnifiée et même divinisée, seule puissance vraiment bonne et honorable), effets d’écho (au
Roi railleur répond le Dieu “qui rit”, tous deux indifférents à la souffrance des soldats et des mères).
De là un poème certes court mais particulièrement intense et marquant.

Texte 7. Pause gourmande - sonnet “Au Cabaret-Vert”


[Introduction] Arthur Rimbaud est un poète de la seconde moitié du XIXe siècle. Il est demeuré
célèbre pour la précocité de son don (il écrit l'ensemble de son œuvre entre quinze et vingt ans !),
pour la profonde nouveauté de sa réflexion et de sa pratique poétiques : ses recueils sont peu
nombreux et relativement brefs, mais, qu'ils soient composés de poèmes en vers ou en prose, ils
sont révolutionnaires ; ainsi, les recueils Une saison en enfer (1873), Illuminations (1886) ont
exercé une influence considérable, moins sur les contemporains de Rimbaud que sur les poètes
du XXe siècle, qui se sont déclarés ses successeurs. « Au Cabaret-Vert » est un sonnet publié
dans le volume (posthume) Poésies. Avec « La Maline », il fait partie d'une série s'inspirant d'une
fugue et d'un vagabondage du côté de la Belgique. Ce poème conserve le souvenir d’une halte
dans une auberge. Il évoque un moment de bien-être où quelques plaisirs simples suffisent à
donner le sentiment du bonheur. Comment Arthur Rimbaud parvient-il à rendre ce dernier sensible
au lecteur ? Ce sonnet apparaît à la lecture comme un « poème de route » dont la composition
très libre, l'allure apparemment débraillée et désinvolte restitue dans toute son intensité le
sentiment de bonheur éprouvé par le poète.

[I. - UN POÈME DE ROUTE]


On remarque d’emblée la prolifération des indices spatio-temporels : le poème est daté :
« octobre 70 ». Le texte précise que l’anecdote s’est déroulée huit jours après le départ du
voyageur (v 1 : « Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines / Aux cailloux des chemins »). Et
nous savons que cela se situe en Belgique, plus précisément à l’entrée de Charleroi (v.2).
Rimbaud précise dès le titre le nom du lieu (« Au Cabaret-Vert ») qu’il répètera dans le poème au
v.3 ; il l’accompagne de la mention : « cinq heures du soir » qui peut désigner à la fois le moment
de l’événement et le moment de l’écriture. Si l’on retient cette deuxième interprétation, le poème
apparaît dès le titre comme une note de voyage, prise sur le vif, une page d’un journal de bord où
le voyageur note ses impressions en consignant avec soin le lieu et l’heure.
La multiplication de ces références cherche à produire sur le lecteur un effet de réel. La poésie de
Rimbaud se présente ouvertement ici comme un reflet de sa vie. Le poème est le souvenir d’un
voyage à pied, réellement effectué, dont on nous précise de façon réaliste le moment et le lieu. La
présence de la première personne renforce encore cet aspect autobiographique. Par ailleurs, le
récit qui nous est fait concorde avec ce que nous savons des fugues effectuées par Rimbaud
pendant l’été et l’automne 1870.
Le style d’écriture du poème renforce cet effet de réalisme par une recherche évidente de
prosaïsme. Comme pour mieux donner au sonnet une allure de note de voyage griffonnée à la
hâte sur un coin de carnet, la versification se présente passablement décousue : six
enjambements (v 1, 3, 5, 6, 12, 13) ; trois rejets (v 4, 6, 13) ; un contre-rejet (v 13) ; alexandrins
rendus systématiquement dissymétriques par des césures à l’hémistiche peu marquées en
comparaison avec des coupes secondaires fortes (on peut même noter un alexandrin boiteux,
v.11, dont la régularité est conditionnée par une improbable diérèse). Ajoutons à cela un trait de
syntaxe proche de la langue orale (phrase entre parenthèse du v 9), un vocabulaire courant, voire
familier (« ce fut adorable » ; « celle-là » ; « tétons énormes » ... ). Enfin, le sonnet ne respecte pas
la plupart des règles du genre : les rimes des quatrains sont croisées au lieu d’être embrassées,
différentes d’une strophe à l’autre au lieu d’être semblables, la phrase du deuxième quatrain
enjambe sur le premier tercet alors que le point est traditionnel en fin de quatrains.
Rimbaud a donc souligné l’inspiration autobiographique du texte en utilisant un mode de
communication naturel et direct. Ce prosaïsme délibéré se retrouve dans l’image qui nous est
donnée du bonheur.

[II. - UN MOMENT DE BIEN-ÊTRE]


Tout participe au bien-être du narrateur : le décor de l'auberge, la nourriture appétissante, la
serveuse aguichante.
La couleur verte fait de ce petit restaurant de Charleroi un cadre reposant. Pour caractériser
l'auberge, Rimbaud répète trois fois l'adjectif de couleur : dans le titre indiquant l'enseigne de
l'établissement « Au cabaret-vert », au vers 3 où ce nom est répété, au vers 6 où il est mis en
valeur par le rejet : « Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table/verte ». Car l'aubergiste a
eu sans doute le bon goût de peindre toutes ses tables dans la couleur verte afin de créer une
unité d'atmosphère. Le narrateur apprécie aussi « les sujets très naïfs / de la tapisserie » et le «
plat colorié » où sa nourriture est servie. On devine qu'il se laisse entraîner au plaisir enfantin de
prolonger par l'imagination les scènes dessinées sur le papier peint et sur la vaisselle de
céramique, où ces illustrations étaient courantes. Des termes comme « naïfs » ou « coloriés »
évoquent l'art populaire de l'image d'Épinal, les livres d'images de l'enfance. Ce cadre apaisant et
distrayant est le premier ingrédient du sentiment de bien-être décrit par le poème.
La description de la nourriture exploite les mêmes procédés d'écriture que celle de l'auberge :
répétitions, adjectifs (sensations visuelles, olfactives ou tactiles), vocabulaire simple à connotation
populaire. Le menu est répété avec gourmandise : les « tartines de beurre » deux fois (v 2-3 et
10), le « jambon » trois fois (v 4, 11 et 12). Il y a dans cette répétition, ce ressassement, une sorte
de maladresse
volontaire, qui donne l'impression que le poète radote de contentement. La description est en
outre agrémentée de toutes sortes de qualificatifs appétissants : on apporte au jeune homme un
jambon « rose et blanc » (v 11), « parfumé d'une gousse/d'ail » (v 12) et « tiède » (v.10) comme il
l’a demandé (« qui fût − c’est un subjonctif de souhait − à moitié froid » (v 4). Les rejets mettent
parfois ces mets exquis en valeur : « De beurre » au vers 4, « d'ail » au vers 13. Par ailleurs, rien
de plus simple, de plus familial, que cette cuisine. Mais pour le jeune homme affamé par « huit
jours » de marche, ce repas d'auberge est un menu de roi : c'est ce que vient souligner le finale du
poème, où un rayon de soleil crépusculaire, pénétrant latéralement dans l'auberge assombrie,
vient transformer en or (« dorait » v 14) la « chope immense » (v 13) remplie de bière et de
mousse. Le verbe « dorait » embellit; l'adjectif « immense » agrandit, l'allusion au soleil introduit
une sorte d'élargissement spatial, que renforce l'enjambement des vers 13-14. Cette fin lyrique
transforme la sensualité toute matérialiste du casse-croûte en un bonheur presque spirituel. Le
vers 5, déjà, associait ironiquement l'attitude relâchée du jeune homme (les jambes allongées sous
la table) à la béatitude des « bienheureux » (v.5), terme d'origine religieuse habituellement réservé
aux saints du paradis.
La serveuse enfin, excite la curiosité du narrateur et provoque sa gratitude. Elle entre en
scène au second hémistiche du vers 8. La présence d'un point à la césure de ce vers fait de ce
second hémistiche une sorte de contre-rejet et met en valeur son contenu. L'adjectif « adorable »
annonce avec emphase le plaisir provoqué par l'irruption de la jeune fille, accompagnée d'un
bouquet de sollicitations sensuelles : ses appâts naturels, sa joie communicative (« yeux vifs », «
rieuse »), son attitude provocante (« Celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'épeure »), et le plateau
bien rempli. Toute la fin du poème n'est qu'une longue phrase mêlant attraction sexuelle et désirs
gourmands, sans qu'on puisse décider ce qu'incarne exactement pour Rimbaud cette bonne fée :
la mère tendre et nourricière, interprétation que l'atmosphère enfantine du poème renforcerait
plutôt, ou la compagne ardemment désirée qui hante tant de poèmes...
Le poème propose donc une image toute sensuelle et prosaïque du bonheur, mais comme il arrive
très souvent chez Rimbaud, partant des désirs du corps on accède finalement au rêve et à l'Idéal.
Un idéal qui se confond avec la nature (le « rayon de soleil »), une image féminine maternelle (les
« tétons énormes »), la nostalgie d'une enfance heureuse.

[Conclusion] Ce poème écrit à seize ans est déjà significatif d'un programme poétique qui sera
celui d'Arthur Rimbaud. D'abord, ne pas séparer la poésie et la vie. C'est pourquoi le poème
revendique clairement son caractère autobiographique. Et puis rompre avec une poésie trop
solennelle tout en se moulant dans la forme classique du sonnet. C'est presque de la prose, mais
en réalité c'est une façon de faire chanter les mots de tous les jours, les plus crus, les plus naïfs.
On y voit aussi Rimbaud construire sa propre image. L'image héroï-comique de l'aventurier
courant les chemins (« J'entrais à Charleroi »), et demandant comme un enfant des « tartines de
beurre ». Enfin, on y retrouve l'un de ses thèmes de prédilection : la quête du bonheur.

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