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Introduction

Depuis l’Antiquité, la gestion efficiente de la cité a été l’une des


préoccupations majeures des savants. Pour atteindre ce but, plusieurs
formes de gouvernent ont été soit expérimentées ; soit proposées en
théorie. Parmi celles-ci figure en bonne place la démocratie qui s’est
de plus en plus imposée comme la mieux adoptée, celle qui présente
le moins d’inconvénients. Jean Jacques ROUSSEAU. L’un des plus
grands savants du siècle des lumières en Europe a abordé dans son
ouvrage Du contrat social qui a été écrit à la même période que
l’Emile ROUSSEAU après avoir fait la genèse de la source des
inégalités dans nos sociétés qu’il dénaturée va suggérer une
éducation conjointe à un idéal politique pour l’éviter. Ce Contrat
social est donc un idéal et non utopie contrairement à ce que
suggèrent certaines personnes. Que recèle alors la démocratie chee
Rousseau ? Tel fera l’objet de notre exposé dans les lignes à suivre.

I. La démocratie selon Rousseau (s'il y avait


un peuple de dieux...)
« S’il y avait un peuple de Dieux, il se gouvernerait
démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des
hommes » Rousseau Du contrat social III, chapitre 4, De la
démocratie
La démocratie (dèmokratia, en grec) est le pouvoir du peuple (dèmos,
le peuple et kratos, le pouvoir). Par oppositon à l’arkhè, qui renvoie
plutôt au commandement (monarkhia, pouvoir personnel détenu par
une ancienneté avérée), le kratos désigne la souveraineté. Par
opposition à la turannis-monarkhia, caractérisée par le pouvoir
personnel, la démocratie, pouvoir du peuple, repose sur les deux
concepts d’eunomia (ordre juste) et isonomia (ordre égal). Solon,
Clisthène, puis Périclès ont mis en place les institutions de la
démocratie (à Athènes au 7-6 ième siècle avant J.C.), autrement dit le
pouvoir du peuple conçu comme une entité politique et juridique
structurée. Les deux idées de « partage de l’égalité citoyenne » et de
« souveraineté du corps public » sont donc consubstantielles de la
démocratie, et originelles. Elles restent pleinement pertinentes
lorsque Rousseau, qui n’ignore rien évidemment de la genèse des
institutions démocratiques athéniennes, écrit Du Contrat social. Une
lecture rapide de ce texte datant de 1762 pourrait laisser imaginer
que la défense de la démocratie définit le projet de Rousseau. Par le
« contrat social » tel que le conçoit Rousseau, en effet, des hommes
s’associent pour mettre en place des institutions et des lois qui
permettent au peuple – « constitué » à partir de cette décision- de se
gouverner lui-même, d’être désormais pour lui-même son propre
maître. On est donc très étonné de lire cette citation, (« S’il y avait un
peuple de Dieux etc.. »), en tout cas dans la mesure où elle est
séparée de son contexte. Car cette formule est la conclusion du
chapitre De la démocratie (Livre III, chapitre 4 Du contrat social) dans
lequel Rousseau explique quelles réserves l’on peut formuler à l’égard
de ce type de gouvernement.
1) Caractère ironique
« Un peuple de Dieux » : autrement dit des êtres intelligents,
rationnels, susceptibles de s’accorder sur ce qui constitue leur intérêt
commun, et de concevoir des lois conformes à leur « volonté
générale » : des lois justes susceptibles d’être approuvées par tous.
Mais des créatures de cet ordre, dénuées de passions, ou en tout cas
de mauvaises passions (passions tristes ou destructrices de tout lien
social, telles que la cupidité, la peur, la haine, la jalousie, l’envie, la
rancune, le ressentiment…) N’auraient pas besoin d’être
« gouvernées » (de gubernare, diriger un navire). Elles pourraient
simplement se contenter de s’autogérer, prendre des décisions en
commun concernant leur vie publique, mais sans avoir à établir des
interdits, des sanctions, sans avoir à limiter la liberté de chacun par le
droit. On pense par exemple à la société du jardin d’Epicure, conçue
sur le modèle de la société des Dieux…

2) Les hommes ont besoin d’être gouvernés.


Le b-a-ba de la politique, c’est qu’il est nécessaire de concevoir
des dispositifs pour les hommes tels qu’il sont et non tels qu’ils
devraient être « Beaucoup se sont imaginés des républiques et des
principautés que jamais on n’a véritablement ni vues ni connues,
mais il y a un tel écart entre la façon dont on vit et celle dont on
devrait vivre, que celui qui délaisse ce qui se fait pour ce qui se
devrait faire apprend plutôt à se perdre qu’à se sauver »
Machiavel, Le Prince, Chapitre 15). Or les hommes étant doués de
passions doivent être gouvernés. Ils ont besoin que quelqu’un leur
impose d’obéir à la loi qui vaut pour tous. Car, sinon, même si tout
le monde veut la loi, chacun fera exception pour lui-même - s’il
n’est pas puni en cas de transgression. L’homme « est un animal
qui a besoin d’un maître », car aucune personne n’est à l’abri
d’une corruption de sa volonté : « chacune abusera toujours de sa
liberté si elle n’a personne au-dessus d’elle, qui exerce un pouvoir
d’après des lois » (Kant, Idée universelle du point de vue
cosmopolitique, proposition 6)
3) C’est la raison pour laquelle ils ne peuvent l’être
démocratiquement.
Car ils faudrait qu’ils soient gouvernés par des maîtres justes,
définitivement justes, et justes en eux-mêmes, c’est-à-dire par
vertu et non par peur des sanctions, puisque ces maîtres, en
démocratie, n’ont pas de pouvoir contraignant établi au-dessus
d’eux. Le fait que plusieurs, ou même tous, gouvernent, ne
change rien au problème. Même en démocratie, il y aura toujours
des hommes avides de pouvoir et d’argent qui obtiendront un
ascendant sur les autres citoyens, et par le moyen de la
démagogie, accèderont au gouvernement afin d’assouvir leurs
propres passions. Ni en démocratie ni dans aucun autre système,
on ne peut se reposer sur la vertu des hommes politiques pour
établir puis garantir un régime juste et stable. Il faut trouver une
solution qui mette les hommes à l’abri des appétits des autres
hommes, et exclue tout risque d’asservissement ou de
manipulation.

On comprend la formule si on l’interprète comme une boutade. Le


problème ne se pose pas pour des Dieux. Pour les hommes,
imparfaits et corruptibles, il se pose avec une grande acuité !
II. P La solution de Rousseau.
Elle passe par la distinction décisive entre souveraineté et
gouvernement, ou encore entre source et exercice effectif de la
souveraineté : « il ne faut pas que le souverain et le Prince soient
la même personne ». Car dans ce cas, ils formeraient un
« gouvernement sans gouvernement » (Livre II, chapitre
a).Le peuple est souverain
C’est le principe retenu par le rédacteur du Contrat social, la
souveraineté appartient au peuple, nul autre que le peuple n’a le
droit de s’en attribuer l’exercice. Il s’agit ici de la source du
pouvoir, de son fondement : « le corps politique ou le souverain ne
tirant son être que de la sainteté du contrat ne peut jamais
s’obliger, même envers autrui, à rien qui déroge à cet acte primitif,
comme d’aliéner quelque portion de lui-même ou de se soumettre
à un autre souverain. Violer l’acte par lequel il existe serait
s’anéantir… » (Livre I, chapitre 7). Donc « souverain » signifie: qui
détient le pouvoir de décider ; et le peuple est et demeure
souverain, la souveraineté est permanente, inaliénable et
indivisible : « Le souverain, par cela seul qu’il est, est toujours tout
ce qu’il doit être » (ibid) (Livre II, chapitres 1 et 2). La volonté
souveraine ne peut s’aliéner, se transférer ou se représenter. Le
pouvoir de décider, ou volonté commune du peuple tout
entier, s’exprime dans la puissance législative. Il est sacré, absolu,
inviolable, et pourtant limité (« des bornes du pouvoir
souverain »), car il ne peut statuer que sur des questions d’ordre
général. Les actes de loi émanent nécessairement du peuple par
opposition aux décrets, qui sont des actes de gouvernement :
« toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce
n’est point une loi » (III, 15)
b)Le peuple ne gouverne pas.
Gouverner est une fonction d’exécution «J’appelle donc
gouvernement ou suprême administration l’exercice légitime de la
puissance exécutive, et Prince ou magistrat l’homme ou le corps
chargé de cette administration » (Livre III, chapitre premier, « Du
gouvernement en général »). « Nous avons vu que la puissance
législative appartient au peuple, et ne peut appartenir qu’à lui. Il
est aisé de voir au contraire […] que la puissance exécutive ne peut
appartenir à la généralité comme législatrice ou souveraine ;
parce que cette puissance ne consiste qu’en des actes particuliers
qui ne sont point du ressort de la loi, ni par conséquent de celle du
souverain, dont tous les actes ne peuvent être que des lois ». Pour
Rousseau le souverain fait les lois, seul le souverain fait (il les
approuve, il les ratifie, à défaut de les concevoir) les lois. Mais les
actes particuliers (c’est-à-dire ceux qui relèvent de l’application de
la loi) ont trait par définition à des cas particuliers, or la volonté
générale ne peut se prononcer sur le cas particulier. Donc il faut à
la force publique « un agent propre qui la mette en œuvre selon
les directions de la volonté générale » autrement dit il lui faut un
gouvernement.
c)Le gouvernement n’est pas souverain.
Qu’est-ce donc que le gouvernement ? C’est un corps
intermédiaire entre le peuple (une « collection de volontés ») et le
souverain (l’autorité souveraine, le corps politique) « chargé de
l’exécution des lois et du maintien de la liberté. Il n’est que le
« ministre » du souverain : « ce n’est absolument qu’une
commission, un emploi dans lequel, simples officiers du souverain,
ils exercent en son nom le pouvoir dont il les a faits dépositaires, et
qu’il peut modifier et reprendre quand il lui plaît… ». (Livre III,
chapitre 1). Le gouvernement (le « prince ») ne doit en aucun cas
usurper la souveraineté :
« S’il arrivait enfin que le prince eût une volonté particulière plus
active que celle du souverain, et qu’il usât pour obéir à cette
volonté particulière de la force publique qui est entre ses mains, en
sorte qu’on eût, pour ainsi dire, deux souverains, l’un de droit,
l’autre de fait ; à l’instant l’union sociale s’évanouirait, et le corps
politique serait dissous ».
Rousseau pense que le peuple, théoriquement souverain, ne doit
pourtant pas gouverner. Cela signifie qu’il estime, comme Aristote
et Kant, que « tout gouvernement légitime est républicain ».
Pourquoi Rousseau est-il généralement considéré comme le
fondateur de nos institutions démocratiques ?

III. Aussi imparfaite soit-elle, la démocratie reste le


moins mauvais des régimes
La démocratie directe est irréaliste et dangereuse
Irréaliste : « Il est contre l’ordre naturel que le grand nombre
gouverne et que le petit soit gouverné » (Livre III, chapitre 4). De deux
choses l’une en effet : soit le peuple délibère quotidiennement de
tous les sujets, ce qui est inconcevable dans une grande nation. Soit il
délègue ce travail à des commissions, et dans ce cas « la forme de
l’administration change ».
Dangereuse : la tyrannie de tous n’est pas meilleure que la tyrannie
de quelques-uns. Car la foule éprouve les passions de chacun, mais
décuplées et exacerbées par l’effet de contagion : « il n’y a pas de
gouvernement si sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines
que le démocratique et le populaire, parce qu’il n’y en a aucun qui
tende si fortement et si continuellement à changer de forme, ni qui
demande plus de vigilance et de courage pour être maintenu dans la
sienne. C’est surtout dans cette constitution que le citoyen doit
s’armer de force et de constance, et dire chaque jour de sa vie au
fond de son cœur ce que disait un vertueux Palatin dans la Diète de
Pologne : « Malo periculosum libertatem quam quietum servitium »
(« Je préfère les dangers de la liberté au repos de la servitude » )
De toute façon, la démocratie directe est impossible dans les grandes
nations, et notamment dans les sociétés riches donc très
inégalitaires : « l’égalité ne saurait subsister longtemps dans les
droits et l’autorité » s’il n’y a pas beaucoup d’égalité « dans les rangs
et les fortunes (III, 4). Les sociétés modernes sont aux antipodes de la
société frugale et vertueuse qui est la condition sine qua non d’une
mentalité démocratique.
La démocratie indirecte (représentative) est imparfaite et fragile
Imparfaite : parce que la volonté ne peut pas se représenter, et que
tout citoyen qui délègue son pouvoir abandonne sa volonté (« La
volonté ne se représente point : elle est la même ou elle est autre ; il
n’y a point de milieu » (III, 15). Donc si je me contente de confier à
d’autre la tâche de décider pour moi, je renonce à ma souveraineté
(« La souveraineté ne peut être représentée, pour la même raison
qu’elle ne peut être aliénée » (ibid) ). La démocratie représentative
n’est plus qu’une parodie de démocratie : « Sitôt que quelqu’un dit
des affaires de l’Etat, que m’importe, on peut considérer que l’Etat
est perdu ».
Fragile : la démocratie représentative encourage la paresse, la
démission, l’esprit de servitude. Le gouvernement profite de cet état
d’esprit (mentalité servile, lâche) pour usurper la souveraineté :
« Quand ceux-ci sont avares, lâches, pusillanimes, plus amoureux du
repos que de la liberté, ils ne tiennent pas longtemps contre les
efforts redoublés du gouvernement ; […] l’autorité souveraine
s’évanouit à la fin, et la plupart des cités tombent et périssent avant
le temps » (Chapitre 14)
« A l’instant qu’un peuple se donne des représentants, il n’est plus
libre, il n’est plus » (Livre III, chapitre 15)
(Toutefois) La démocratie, régime imparfait convient parfaitement à
des hommes imparfaits.
La radicalité de Rousseau a été critiquée par les libéraux, notamment
Benjamin Constant, qui dans la lignée de Montesquieu défend une
démocratie tempérée par des institutions libérales, au tout premier
rang desquelles la fameuse séparation des pouvoirs (exclue par
Rousseau, puisque pour Rousseau tout le pouvoir est entre les mains
du souverain, c’est-à-dire de la volonté générale). Cependant, dans
Considérations sur le gouvernement de Pologne Rousseau adopte une
ligne plus réaliste, et reconnaît la nécessité de la représentation en
démocratie ; mais à deux conditions 1) Que les représentants soient
élus pour peu de temps et renouvelés à chaque élection 2) Qu’ils
soient élus sur la base de mandats impératifs dont ils auront à rendre
compte » : le député doit savoir qu’il n’est qu’un commissionnaire.
Ici se trouve anticipée l’ide de démocratie participative, ou peut-être
plus exactement encore encore l’idée du « citoyen contrôleur » que
développera Alain.
La démocratie est le pire des régimes ? A l’exception de tous les
autres, selon la fameuse formule de Churchill. La démocratie est un
moindre mal ! A condition d’être étroitement associée à des
institutions républicaines et de ne pas ignorer tout principe
d’autorité. Car la majorité, en elle-même, constitue un fait et non un
droit !

Conclusion
Le pire des régimes, c’est celui qui prétendrait à la perfection : c’est
ce qui arrive lorsque le chef de l’Etat ou le gouvernement prétend
incarner la loi, en faisant l’économie de toute représentation.
On retiendra de Rousseau l’idée que la démocratie est un régime qui
doit assumer sa fragilité, son imperfection et prévenir, dans la mesure
du possible, sa tendance à dégénérer La démocratie (ou plutôt
l’Etat de droit, mixte de démocratie représentative et de république)
est aujourd’hui une réalité, mais une réalité prosaïque :
« La démocratie est le seul régime au fond qui avoue, que dis-je qui
proclame que l’histoire des Etats doit être écrite non en vers, mais en
prose » Raymond Aron, Préface de Le savant et le politique (Max
Weber).

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