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Le Malade imaginaire, acte III scène 5 : lecture linéaire

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Par Amélie Vioux

Le Malade imaginaire, acte III scène 5, introduction


Les comédies de Molière sont parmi les plus connues du théâtre français.

Le dramaturge du XVIIe siècle su plaire à la haute société en empruntant à la farce


populaire ses procédés comiques, tout en les adaptant à la bienséance de la comédie de
mœurs.

Molière met le comique au service d’une satire sociale audacieuse et d’une dénonciation
des passions excessives. Sa dénonciation de l’Eglise et des médecins notamment lui valut
de nombreuses polémiques, autant que l’admiration de ses contemporains.

Dans Le Malade Imaginaire, pièce jouée en 1673, Argan, un père hypocondriaque et


tyrannique, veut imposer à sa fille Angélique un mariage d’intérêt avec un médecin
ridicule, Thomas Diafoirus. (Voir la fiche de lecture du Malade imaginaire)

Dans la scène précédente, Béralde, le frère d’Argan, veut le « “guérir de la maladie des
médecins” » en empêchant Monsieur Fleurant, l’apothicaire, de lui administrer un lavement.
L’apothicaire se venge en dépêchant le médecin d’Argan : Monsieur Purgon.

Extrait étudié : acte III scène 5

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MONSIEUR PURGON.- Mépriser mon clystère ?

ARGAN.- Faites-le venir, je m’en vais le prendre.

MONSIEUR PURGON.- Je vous aurais tiré d’affaire avant qu’il fût peu.

TOINETTE.- Il ne le mérite pas.

MONSIEUR PURGON.- J’allais nettoyer votre corps, et en évacuer entièrement les


mauvaises humeurs.

ARGAN.- Ah, mon frère !

MONSIEUR PURGON.- Et je ne voulais plus qu’une douzaine de médecines, pour


vider le fond du sac.

TOINETTE.- Il est indigne de vos soins.

MONSIEUR PURGON.- Mais puisque vous n’avez pas voulu guérir par mes mains…

ARGAN.- Ce n’est pas ma faute.

MONSIEUR PURGON.- Puisque vous vous êtes soustrait de l’obéissance que l’on doit
à son médecin…

TOINETTE.- Cela crie vengeance.

MONSIEUR PURGON.- Puisque vous vous êtes déclaré rebelle aux remèdes que je
vous ordonnais…

ARGAN.- Hé point du tout.

MONSIEUR PURGON.- J’ai à vous dire que je vous abandonne à votre mauvaise
constitution, à l’intempérie de vos entrailles, à la corruption de votre sang, à l’âcreté de
votre bile, et à la féculence de vos humeurs.

TOINETTE.- C’est fort bien fait.

ARGAN.- Mon Dieu !

MONSIEUR PURGON.- Et je veux qu’avant qu’il soit quatre jours, vous deveniez dans
un état incurable.

ARGAN.- Ah ! miséricorde.

MONSIEUR PURGON.- Que vous tombiez dans la bradypepsie.

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ARGAN.- Monsieur Purgon.

MONSIEUR PURGON.- De la bradypepsie, dans la dyspepsie.

ARGAN.- Monsieur Purgon.

MONSIEUR PURGON.- De la dyspepsie, dans l’apepsie.

ARGAN.- Monsieur Purgon.

MONSIEUR PURGON.- De l’apepsie, dans la lienterie.

ARGAN.- Monsieur Purgon.

MONSIEUR PURGON.- De la lienterie, dans la dyssenterie.

ARGAN.- Monsieur Purgon.

MONSIEUR PURGON.- De la dyssenterie, dans l’hydropisie.

ARGAN.- Monsieur Purgon.

MONSIEUR PURGON.- Et de l’hydropisie dans la privation de la vie, où vous aura


conduit votre folie.

Problématique

Comment les menaces que Monsieur Purgon adresse à Argan, avec le soutien hypocrite de
Toinette, expriment-elles une satire comique de la médecine ?

Plan de lecture linéaire

Puis, dans une deuxième partie, de « “Je vous déclare” » à « “indigne de vos soins.” »,
Monsieur Purgon rompt le projet de mariage.

Enfin, dans une troisième partie, de « “Mais, puisque vous” » à la fin de la scène, Monsieur
Purgon annonce à Argan d’absurdes et tragiques maladies.

II – Monsieur Purgon rompt le projet de mariage

(De « “Je vous déclare que je rompts”» à « “indigne de vos soins”« )

L’éloge du clystère par Monsieur Purgon reprend (« “Mépriser mon clystère !” » ) : le


comique de répétition illustre la surdité de ce médecin autoritaire. Comme Argan, il n’est
capable d’entendre et d’accepter que ce qui est dans son intérêt.

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Il se présente même en sauveur dont on n’a pas voulu : « “Et je ne voulais plus qu’une
douzaine de médecines pour vider le fond du sac.” » La tournure restrictive « ne…que »
contraste avec le nombre exorbitant de médecines nécessaires (évoquées par
l’approximation « une douzaine« )

L’expression « vider le fond du sac » joue sur un double sens comique : il peut s’agir
d’une métaphore scatologique pour évoquer les effets du lavement, mais elle désigne
également la bourse d’Argan que Monsieur Purgon vide se son argent. Monsieur Purgon
laisse entendre combien il voulait profiter de l’argent d’Argan en lui administrant de faux
remèdes.

L’alternance des répliques du médecin et du patient forment un dialogue de sourd. Toinette


amplifie la discorde par ses interventions moqueuses (« “Il est indigne de vos soins” » ).

III – Monsieur Purgon annonce à Argan d’absurdes et tragiques


maladies

(De « “Mais, puisque vous n’avez pas voulu guérir” » à la fin de la scène)

L’aposiopèse, à la réplique de Monsieur Purgon, laisse suspendue sa menace, ce qui


provoque un effet d’attente : « “Mais, puisque vous n’avez pas voulu guérir par mes
mains… ”»

Argan nie sa culpabilité : « “Ce n’est pas ma faute ”»

Mais les reproches de Monsieur Purgon révèlent la relation hiérarchisée entre le médecin
et le patient : « “vous vous êtes soustrait de l’obéissance que l’on doit à son médecin… ”»

Molière dénonce ici les médecins qui dissimulent leur incompétence sous un masque
d’autorité.

La menaçante anaphore en « Puisque » énumère des propositions subordonnées de


cause. Il s’agit d’une parodie de procès, comme si M. Purgon énumérait les crimes d’Argan
avant de prononcer la sentence finale.

L’égocentrique médecin se comporte en juge condamnant Argan comme le suggère le


vocabulaire juridique : « “soustrait« , « obéissance« , « déclaré rebelle” » . L’autorité qu’il
s’attribue est telle qu’elle en devient comique.

Toinette profite de la situation pour poursuivre une vengeance qu’elle n’a pas le pouvoir de
mener par elle-même : « “Cela crie vengeance.” »

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La sentence du médecin consiste à abandonner Argan aux inquiétants désordres de sa
santé : « “J’ai à vous dire que je vous abandonne à votre mauvaise constitution, à
l’intempérie de vos entrailles, à la corruption de votre sang, à l’âcreté de votre bile, et à la
féculence de vos humeurs.” »

L’énumération est insistante car elle répète le même schéma syntaxique : « … de


vos/votre… ». Ce parallélisme entre toutes les maladies est ici comique car il dépeint de
manière chaotique la santé d’Argan, alors que le spectateur sait que ce dernier n’est pas
malade.

La servante se réjouit d’une telle sentence (« “C’est fort bien fait.” »), tandis qu’Argan
s’afflige, comme le montre son exclamation paniquée qui souligne sa crédulité : « Mon
Dieu ! » .

Monsieur Purgon remplace le délai du mariage par le délai de la mort d’Argan : « “Et je
veux qu’avant qu’il soit quatre jours vous deveniez dans un état incurable” ». Ce
renversement comique met Argan à la place d’Angélique, qui devait subir un mariage
source pour elle d’un profond désespoir.

Les réactions d’Argan sont comiques : il se désespère comme si la parole de Monsieur


Purgon était performative et indiscutable, comme si le médecin était devin.

Il donne à ses exclamations une dimension religieuse : « “Ah ! miséricorde ! ”» Ce faisant,


il divinise Monsieur Purgon, qu’il considère comme le détenteur de tous pouvoirs sur lui.

Monsieur Purgon assoit son autorité par le recours menaçant au subjonctif présent et à un
vocabulaire savant témoignant de son érudition médicale : «“ Que vous tombiez dans la
bradypepsie” ».

Ses répliques déploient, par anadiplose (=reprise du dernier mot d’une phrase comme
premier mot de la phrase suivante), une chaîne fatale de causes et de conséquences,
conduisant Argan à des maladies censées être de plus en plus graves : « “De la bradypepsie
dans la dyspepsie », « De la dyspepsie dans l’apepsie ”».

Cette terminologie médicale est porteuse d’un humour noir et scatologique, puisqu’il ne
s’agit que de troubles relatifs à la digestion. Molière parvient habilement à donner à
l’humour populaire des dehors savants.

Le dramaturge moque également le recours exagéré à un vocabulaire savant pour


désigner des réalités prosaïques. Il dénonce ainsi l’emprise que les mots ont sur notre
esprit, et leur capacité à masquer l’incompétence et la malhonnêteté.

On note que certains des termes médicaux, de par leurs sonorités curieuses, s’apparentent
à des néologismes farcesques : « “De l’apepsie dans la lienterie” ».

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La conséquence finale de ce processus de dégradation est la mort, désignée par une
périphrase : « “Et de l’hydropisie dans la privation de la vie, où vous aura conduit votre
folie.” »

La situation est ironique car ce sont en réalité les remèdes du faux médecin qui mettent en
péril la santé d’Argan.

Argan ne peut que crier « Monsieur Purgon ! ». Cette anaphore tente de susciter en vain la
pitié du médecin.

Notons le silence de Béralde. Celui qui a le rôle de raisonneur dans cette pièce demeure
passif face aux absurdes accusations du médecin.

Le Malade imaginaire, acte III scène 5, conclusion


Nous avons vu que les menaces que Monsieur Purgon adresse à Argan, avec le soutien
hypocrite de Toinette, expriment une satire comique de la médecine.

Les reproches du médecin manifestent un tel orgueil qu’elles décrédibilisent sa profession.

La scène est également comique car Argan, personnage tyrannique, est complètement
dominé par un autre tyran, ce qui ne peut que réjouir les spectateurs.

La satire des médecins, déjà amorcée dans l’acte II scène 5 du Malade imaginaire avec la
présentation de Thomas Diafoirus à Argan et Angélique, atteint ici son paroxysme.

La scène est également importante car elle permet le dénouement favorable de cette
comédie de mœurs en faisant échec au mariage entre Angélique et Thomas Diafoirus.

6/6

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