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Etude linéaire du texte de Victor HUGO

Brève présentation :
-Lucrèce Borgia (1833) drame romantique de Victor Hugo
- personnage éponyme : figure mythique plus que figure historique, Hugo veut
montrer la capacité de rachat d’une âme damnée, créature monstrueuse, digne
représentante de la famille Borgia, accusée de tous les crimes et de toutes les
déviances, qu’il veut racheter par la maternité ; épouse d’Alphonse d’Este,
Lucrèce cherche à retrouver son fils caché Gennaro, elle y parviendra, mais ne
réussira à lui avouer son identité qu’au moment où la mort les réunira
-notre extrait = alors qu’un inconnu (en réalité Gennaro ) vient de faire tomber
la lettre B du nom de Borgia sur la palais ducal de Ferrare, Lucrèce vient crier sa
colère et réclamer justice à son époux.

Lecture expressive.

Mouvements :
-l. 1 /12 : l’indignation de Lucrèce
-l. 12/25 : la soif de justice.

Etude linéaire :
Premier mouvement :
- Lucrèce entre en scène « avec impétuosité comme le dit la didascalie initiale ;
elle est pressée de parler à son époux, l’apostrophant de manière insistante,
comme le montre l’épizeuxe « Monsieur, Monsieur » ; de même la gradation
ascendante mise en valeur par le rythme ternaire du parallélisme insiste sur
l’affront qu’elle vient de subir : cet acte est inacceptable à ses yeux ;

- Lucrèce semble bien sûre d’elle puisqu’elle accuse ouvertement un habitant


de Ferrare« quelqu’un de votre peuple », l’interrogation oratoire placée
souligne son indignation, il est temps de faire savoir à son époux ce qui vient
d’arriver afin qu’il partage sa colère ;
l’alternance des déterminants possessifs « votre femme », votre propre palais»
»mes armoiries »souligne la fracture entre Ferrare et elle-même représentant
la famille Borgia, tout comme les allitérations en [f ] et [p] martèlent avec
violence l’indignité de l’acte commis ; il est à noter que Lucrèce cherche à
impliquer son époux puisqu’elle insiste avec l’adjectif « propre » ce qui suggère
que l’affront a été fait sur le palais ducal donc en quelque sorte au duc en
personne ;
Lucrèce met en valeur de manière suggestive l’acte commis vécu comme une
atteinte à sa personne , ainsi le verbe « mutiler » employé de manière
métaphorique renvoie à la violence de l’action :la valeur métonymique du nom
de Borgia auquel on a ôté la lettre initiale rappelle étrangement une
décapitation symbolique ;

-ce qui est encore plus choquant aux yeux de Lucrèce c’est que cette action
grave a eu lieu » en plein jour, publiquement », cela suggère que l’affront est
plus grand encore car des témoins ont pu assister à la scène, et accentue l’idée
de provocation, ce qui augmente la colère de Lucrèce renforcée par
l’allitération en [p] ;
-Lucrèce rabaisse de manière implicite le responsable en utilisant l’effet de
réification du pronom interrogatif « quoi », elle cherche à humilier après avoir
été humiliée, elle est prête à se montrer intraitable comme le suggère le
parallélisme qui établit un lien entre «injurieux » et « téméraire » , l’adverbe
« bien » permettant à chaque fois d’obtenir un effet hyperbolique ;
-le pronom indéfini « on » accentue l’impression qu’elle se sent comme
attaquée par la ville entière de Ferrare, car ce pronom peut avoir la valeur d’un
singulier comme d’un pluriel collectif, et c’est d’ailleurs ce que montre l’emploi
du nom « populace » dont le suffixe dévalorisant montre la rage de Lucrèce ;
il est à souligner que le déterminant possessif « votre » qui renforce le lien
entre le duc et sa population crée un fossé entre Lucrèce et son époux, c’est
comme si Don Alphonse devait désormais choisir son camp, celui de son
épouse ou celui des Ferrarais ;
-la double réification symbolique du nom en « écriteau d’ignominie » et du
blason en « pilori » renforce l’idée de condamnation : Lucrèce se montre
victime du mépris violent, obligée de subir l’opprobre public ; le verbe
« ricane » souligne le mépris dont elle fait l’objet ; on peut remarquer que le
lexique est celui de la lignée, car les mots « nom » et « blason » évoquent la
famille, donc il ne s’agit pas que de Lucrèce, plus largement ce sont les Borgia
qui se retrouvent attaqués par cet acte.
Deuxième mouvement :
- Face à cet événement inacceptable Lucrèce exige une punition: la question
rhétorique l. 12/16 souligne sa colère ; ce n’est pas par hasard si elle interpelle
le duc par son nom « don Alphonse » ce qui est une manière détournée de se
rapprocher de lui sur un plan privé, il est son mari donc ce qui la touche devrait
le faire réagir ;
-la métaphore filée de la piqûre amplifiée par l’allitération en [p ]souligne
l’agression mais révèle aussi l’atteinte morale, décuplée par la répétitivité
exprimée par l’expression hyperbolique « mille fois » : l’acte qui vient d’être
commis est insupportable, Lucrèce ne peut tolérer le mépris dont elle fait
constamment l’objet, c’est aussi ce que suggère l’allusion à la mort, préférée
car préservant son honneur ;
-Lucrèce bafouée s’enflamme, comme le montrent l’interjection « Pardieu » et
l’exclamative ; elle proteste en s’adressant à son époux de manière plus
distancée avec l’apostrophe « Monsieur »et surtout l’allusion à son pouvoir
politique avec le mot « seigneurie » : c’est au duc qu’elle parle ici , à l’homme
public, pas à l’homme privé ; l’euphémisme « étrangement » prend la valeur
d’un reproche voilé, d’autant que le présent souligne la permanence de cette
attitude négative des Ferrarais à son égard ;

- dans la phrase suivante puisque cette fois, Lucrèce montre son impatience
par la formule euphémistique « ceci commence à me lasser »
le reproche s’affirme davantage : elle en vient à railler son propre époux,
doublement rabaissé par le parallélisme « trop gracieux et trop tranquille »qui
rappelle son indifférence, voire sa négligence ; les allitérations agressives en [r
]et [t] traduisent sa rage, mais aussi la violence subie; la métaphore filée de
l’agression avec « traîne » et « déchiquetée à belles dents » accentue la
détérioration de l’image des habitants de Ferrare, assimilés à des bêtes féroces,
l’emploi métonymique du mot « renommée » mettant en valeur un véritable
drame intérieur ; Lucrèce se sent attaquée, humiliée, comme l’expriment les
termes très dépréciatifs « injure » et « calomnie »,dont l’effet est amplifié par
la structure binaire ; cet état de rabaissement ne peut plus être accepté par
une Borgia, elle cherche donc à impliquer le duc dans cette volonté de justice,
lui rappelant le lien du mariage qui les unit avec le déterminant possessif
« votre femme » ;
-la tournure impersonnelle « il me faut » prend une valeur injonctive à l’égard
du duc, en réalité elle lui demande « une réparation éclatante », l’adjectif
hyperbolique soulignant la nécessité d’une réaction à la mesure de l’affront ; la
demande prend les accents d’une menace avec « je vous en préviens » , cela
sous-entend qu’elle se positionne différemment par rapport au début de sa
tirade : il s’agit cette fois non plus de crier son indignation et sa colère, mais
d’exiger en femme forte la justice due ; c’est d’ailleurs pourquoi elle emploie à
nouveau l’apostrophe « Monsieur le duc « : elle en appelle à son pouvoir
judiciaire ; la formule qui suit résonne étrangement : Lucrèce utilise l’injonction
« préparez-vous à faire justice », demandant fermement à son époux d’agir,
mais cette utilisation de l’impératif est ambiguë, car elle suggère aussi qu’elle
prend l’ascendant sur lui, sous-entendant qu’il doit lui obéir.

Petite synthèse :
-début de scène marqué par l’agressivité verbale de Lucrèce que le duc laisse
longuement parler ;
elle clame son indignation mais aussi la nécessité de mettre fin aux
humiliations dont elle se dit victime de la part des habitants de Ferrare et dont
cet acte est une sorte d’apothéose ;
-en même temps que l’on perçoit toute la personnalité de Lucrèce violente,
fière de sa famille Borgia, incapable de supporter l’humiliation, on voit aussi se
dessiner une relation étrange avec son époux, qu’elle critique ouvertement
avant d’exiger de lui réparation.

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