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(Œuvres Completes: Seuil
(Œuvres Completes: Seuil
SEUIL
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Kahle/Austin Foundation
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ROLAND BARTHES
Œuvres complètes
TOME III
1968 - 1971
ÉDITIONS DU SEUIL
ISBN 2-02-056728-8
(ISBN édition complète 2-02-056731-8)
(ISBN première édition complète 2-02-017363-8)
© Éditions d'art Albert Skira, Genève, pour L'Empire des signes (1970, 1993).
© Éditions du Seuil : S/Z (1970) ; Sade, Fourier, Loyola (1971).
© Éditions du Seuil, novembre 1994, pour les autres textes et
novembre 2002 pour la présentation et la composition du volume.
www.seuil.com
Présentation
La
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d’un petit livre aux accents plus polémiques, n’est pourtant pas
un supplément de sensualité propre à adoucir le discours très
abstrait qui règne alors, c’est le point de départ d’un nouveau
renversement. Ainsi dans sa préface, l’auteur de «La mort de
l’auteur » écrit : « Le plaisir du Texte comporte aussi un retour
amical de l’auteur. » Etrange expression que celle de «retour ami-
cal». Certes, et c’est l’évidence, Barthes explique que cet
«auteur » qui fait retour n’est pas le même que celui des «insti-
tutions littéraires », ni le héros des biographies. Barthes main-
tient même les apparences du discours moderne : «Ce n’est pas
une personne (civile, morale), c’est un corps ».
Barthes, en effet, ne revient pas hypocritement au bon sens
des valeurs éternelles, au contraire. Mais, désormais, il s’est forgé
une langue, dont le sens n’a plus que des résonances singulières,
internes à l’œuvre et le mot, par exemple, « corps » s’il appartient
en effet à l’imaginaire des contemporains possède chez lui une
signification très personnelle, fort loin du corps-Artaud ou du
corps-Bataille qui alors sont les références du système moderne.
Le retour amical de l’auteur n’est donc évidemment pas une sou-
daine régression ou une allégeance aux académies, mais s’il est
amical c’est parce que ce retour s’inscrit dans un rapport nou-
veau à l'écriture, au texte, à la littérature qui s'exprime de la plus
éclairante manière dans ce propos de la préface : « Car s’il faut
que par une dialectique retorse il y ait dans le Texte, destructeur
de tout sujet, un sujet à aimer, ce sujet est dispersé, un peu comme
les cendres que l’on jette au vent après la mort [...|: si j'étais
écrivain, et mort, comme j'aimerais que ma vie se réduisit, par
les soins d’un biographe amical et désintéressé, à quelques
détails, à quelques goûts, à quelques inflexions, disons : des « bio-
graphèmes », dont la distinction et la mobilité pourraient voya-
ger hors de tout destin et venir toucher, à la façon des atomes
épicuriens, quelque corps futur, promis à la même dispersion. »
Dans ces quelques lignes, Barthes évoque la mort de l’auteur
mais c’est tout d’abord la sienne dont il parle et c’est en plus une
mort qui s'inscrit dans ce temps si particulier qui est le temps
posthume et qui ici possède quelque chose de gidien, ne serait-
ce que par la constitution du lecteur comme « corps futur » et de
la lecture comme étreinte.
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COMMUNICATIONS
mars 1968
Leçon d'écriture
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T'FRXATUENS 196 8
discontinuée, codée, soumise à une ironie (si l’on veut bien ôter
à ce mot tout sens caustique); aussi, ce que la voix extériorise,
en fin de compte, ce n’est pas ce qu’elle porte (les « sentiments »),
c’est elle-même, sa propre prostitution ; tout en feignant de livrer
des contenus (anecdotiques, passionnels), le signifiant ne fait astu-
cieusement que se retourner comme un gant.
Sans être éliminée (ce qui serait une façon de la censurer, c’est-
à-dire d’en désigner l’importance), la voix est donc mise de côté
(scéniquement, les récitants occupent une estrade latérale). Le
Bunraku lui donne un contre-poids, ou mieux, une contre-
marche : celle du geste. Le geste est double: geste émotif au
niveau de la marionnette (des gens pleurent au suicide de la pou-
pée-amante); acte transitif au niveau des manipulateurs. Dans
notre art théâtral, l’acteur feint d'agir, mais ses actes ne sont
jamais que des gestes : sur la scène, rien que du théâtre, et cepen-
dant du théâtre honteux. Le Bunraku, lui, (c’est sa définition),
sépare l’acte du geste: il montre le geste, il laisse voir l’acte, il
expose à la fois l’art et le travail, réserve à chacun d’eux son écri-
ture. La voix (et il n’y a alors aucun risque à la laisser atteindre
les régions excessives de sa gamme), la voix est doublée d’un
vaste volume de silence, où s'inscrivent, avec d'autant plus de
finesse, d’autres traits, d’autres écritures. Et ici, il se produit un
effet inouï : loin de la voix et presque sans mimique, ces écri-
tures silencieuses, l’une transitive, l’autre gestuelle, produisent
une exaltation aussi spéciale, peut-être, que l’hyperesthésie intel-
lectuelle que lon attribue à certaines drogues. La parole étant,
non pas purifiée (le Bunraku n’a aucun souci d’ascèse), mais, si
l’on peut dire, massée sur le côté du jeu, les substances empois-
santes du théâtre occidental sont dissoutes : l'émotion n’inonde
plus, ne submerge plus, elle devient lecture, les stéréotypes dis-
paraissent sans que, pour autant, le spectacle verse dans l’origi-
nalité, la «trouvaille ». Tout cela rejoint, bien sûr, l’effet de dis-
tance recommandé par Brecht, qui fut le premier, il faut peut-être
le rappeler, à comprendre et à dire l'importance critique du
théâtre oriental. Cette distance, réputée chez nous impossible,
inutile ou dérisoire, et abandonnée avec empressement, bien que
Brecht Pait très précisément située au centre de la dramaturgie
révolutionnaire (et ceci explique sans doute cela), cette distance,
le Bunraku fait comprendre comment elle peut fonctionner : par
le discontinu des codes, par cette césure imposée aux différents
traits de la représentation, en sorte que la copie élaborée sur la
scène soit, non point détruite, mais comme brisée, striée, sous-
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TEXTES 1 9 6.8
TEL QuELz
été 1968
Ce texte constitue la première version de l’ensemble intitulé
« Les trois écritures » présent dans L'Empire des signes.
Les nombreuses variantes nous ont incilé à reproduire ici ce texte.
1. «A priori, son jeu se réduit à citer le personnage - mais avec quel art!
Il n’a besoin que d’un minimum d’illusion. Ce qu’il montre présente un inté-
rêt même pour celui qui a gardé ses esprits» (texte cité, p. 121); et ailleurs
(« Nouvelle technique d'interprétation », p. 150) : « S'il a renoncé à toute méta-
morphose, le comédien ne dit pas son texte comme une improvisation, mais
comme une citation.»
La mort de l’auteur
Sans doute en a-t-il toujours été ainsi: dès qu’un fait est
raconté, à des fins intransitives, et non plus pour agir directe-
ment sur le réel, c’est-à-dire finalement hors de toute fonction
autre que lPexercice même du symbole, ce décrochage se pro-
duit, la voix perd son origine, l’auteur entre dans sa propre mort,
l'écriture commence. Cependant, le sentiment de ce phénomène
a été variable ; dans les sociétés ethnographiques, le récit n’est
jamais pris en charge par une personne, mais par un médiateur,
shaman ou récitant, dont on peut à la rigueur admirer la « per-
formance » (c’est-à-dire la maîtrise du code narratif), mais jamais
le «génie ». L’auteur est un personnage moderne, produit sans
doute par notre société dans la mesure où, au sortir du Moyen
Age, avec l’empirisme anglais, le rationalisme français, et la foi
personnelle de la Réforme, elle a découvert le prestige de lin-
dividu, ou, comme on dit plus noblement, de la «personne
humaine ». Il est donc logique que, en matière de littérature, ce
soit le positivisme, résumé et aboutissement de l'idéologie capi-
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TE XIT ES 1 9 6 8
Bien que l'empire de Auteur soit encore très puissant (la nou-
velle critique n’a fait bien souvent que le consolider), il va de soi
que certains écrivains ont depuis longtemps déjà tenté de l’ébran-
ler. En France, Mallarmé, sans doute le premier, a vu et prévu
dans toute son ampleur la nécessité de substituer le langage lui-
même à celui qui jusque-là était censé en être le propriétaire;
pour lui, comme pour nous, c’est le langage qui parle, ce n’est
pas l’auteur; écrire, c’est, à travers une impersonnalité préa-
lable - que l’on ne saurait à aucun moment confondre avec l’ob-
jectivité castratrice du romancier réaliste -, atteindre ce point où
seul le langage agit, « performe », et non « moi » : toute la poétique
de Mallarmé consiste à supprimer l’auteur au profit de l'écriture
(ce qui est, on le verra, rendre sa place au lecteur). Valéry, tout
embarrassé dans une psychologie du Moi, édulcora beaucoup la
théorie mallarméenne, mais, se reportant par goût du classicisme
aux leçons de la rhétorique, il ne cessa de tourner en doute et en
dérision l’Auteur, accentua la nature linguistique et comme
«hasardeuse » de son activité, et revendiqua tout au long de ses
livres en prose en faveur de la condition essentiellement verbale
de la littérature, en face de laquelle tout recours à l’intériorité de
l'écrivain lui paraissait pure superstition. Proust lui-même, en
dépit du caractère apparemment psychologique de ce que lPon
appelle ses analyses, se donna visiblement pour tâche de brouiller
inexorablement, par une subtilisation extrême, le rapport de
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MAR EXATAENST LIFONENS
Nous savons maintenant qu’un texte n’est pas fait d’une ligne
de mots, dégageant un sens unique, en quelque sorte théologique
(qui serait le «message » de l’Auteur-Dieu), mais un espace à
dimensions multiples, où se marient et se contestent des écritures
variées, dont aucune n’est originelle : le texte est un tissu de cita-
tions, issues des mille foyers de la culture. Pareil à Bouvard et Pécu-
chet, ces éternels copistes, à la fois sublimes et comiques, et dont
le profond ridicule désigne précisément la vérité de lécriture,
l'écrivain ne peut qu’imiter un geste toujours antérieur, jamais ori-
ginel; son seul pouvoir est de mêler les écritures, de les contra-
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DMEMXATUE,S MO NGNE
rier les unes par les autres, de façon à ne jamais prendre appui
sur l’une d’elles ; voudrait-il s'exprimer, du moins devrait-il savoir
que la « chose » intérieure qu’il a la prétention de «traduire », n’est
elle-même qu’un dictionnaire tout composé, dont les mots ne peu-
vent s’expliquer qu’à travers d’autres mots, et ceci indéfiniment :
aventure qui advint exemplairement au jeune Thomas de Quin-
cey, si fort en grec que pour traduire dans cette langue morte des
idées et des images absolument modernes, nous dit Baudelaire,
«il avait créé pour lui un dictionnaire toujours prêt, bien autre-
ment complexe et étendu que celui qui résulte de la vulgaire
patience des thèmes purement littéraires » (Les Paradis artificiels) ;
succédant à l’Auteur, le scripteur n’a plus en lui passions, humeurs,
sentiments, impressions, mais cet immense dictionnaire où il puise
une écriture qui ne peut connaître aucun arrêt : la vie ne fait jamais
qu’imiter le livre, et ce livre lui-même n’est qu’un tissu de signes,
imitation perdue, infiniment reculée.
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MANTEIA
4° trimestre 1968
L'écriture de lévénement
1. La parole
Toute secousse nationale produit une floraison brusque de
commentaires écrits (presse et livres). Ce n’est pas cela dont on
veut parler ici. La parole de Mai 68 a eu des aspects originaux,
qu’il faut souligner.
1. La parole radiophonique (celle des postes dits périphé-
riques) a collé à l'événement, au fur et à mesure qu’il se pro-
duisait, d’une façon haletante, dramatique, imposant l’idée que
la connaissance de l’actualité n’est désormais plus l'affaire de
limprimé, mais de la parole. L'histoire « chaude », en train de se
faire, est une histoire auditive !, l’ouïe redevient ce qu’elle était
au Moyen Age : non seulement le premier des sens (avant le tact
et la vue), mais le sens qui fonde la connaissance (comme pour
Luther il fondait la foi du chrétien). Ce n’est pas tout. La parole
informative (du reporter) a été si étroitement mêlée à l’événe-
ment, à l’opacité même de son présent (il suffit de songer à cer-
taines nuits de barricades), qu’elle était son sens immédiat et
consubstantiel, sa façon d'accéder à un intelligible instantané;
cela veut dire que, dans les termes de la culture occidentale, où
rien ne peut être perçu privé de sens, elle était l'événement
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T EXIT ES 1.19.,6,8
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DER ES IWINGYE
2. Le symbole
Les symboles n’ont pas manqué dans cette crise, on l’a sou-
vent remarqué ; il en a été produit et consommé avec une grande
énergie ; et surtout, fait frappant, ils ont été entretenus par une
complaisance générale, partagée. Le paradigme des trois dra-
peaux (rouge/noir/tricolore), avec ses associations pertinentes
de termes (rouge et noir contre tricolore, rouge et tricolore contre
noir), a été « parlé » (drapeaux hissés, brandis, enlevés, invoqués,
etc.) par tout le monde, ou presque : bel accord sinon sur les
symboles, du moins sur le système symbolique lui-même (qui,
en tant que tel, devrait être la cible finale d’une révolution occi-
dentale). Même avatar symbolique pour la barricade : symbole
elle-même, dès avant que la première fût construite, de Paris
révolutionnaire, et elle-même lieu d'investissement de tout un
réseau d’autres symboles. Emblème complet, la barricade a
permis d’irriter et de démasquer d’autres symboles; celui de la
propriété, par exemple, loge désormais, pour les Français, à ce
qu’il est apparu, beaucoup plus dans l’auto que dans la maison.
D’autres symboles ont été mobilisés: le monument (Bourse,
Odéon), la manifestation, l’occupation, le vêtement, et bien
entendu le langage, dans ses aspects les plus codés (c’est-à-dire
symboliques, rituels !). Cet inventaire des symboles devrait être
fait; non tellement qu’on doive en attendre une liste très élo-
quente (c’est peu probable, en dépit ou à cause de la «sponta-
néité » qui a présidé à leur libération), mais parce que le régime
symbolique sous lequel un événement fonctionne est étroitement
lié au degré d'intégration de cet événement dans la société dont
il est à la fois l'expression et la secousse : un champ symbolique
n’est pas seulement une réunion (ou un antagonisme) de sym-
boles; il est aussi formé par un jeu homogène de règles, un
recours consenti en commun à ces règles. Une sorte d'adhésion
presque unanime ! à un même discours symbolique semble avoir
3. La violence
La violence que, dans la mythologie moderne, on rattache,
comme si cela allait de soi, à la spontanéité et à l’effectivité, la
violence, symbolisée ici concrètement puis verbalement par «la
rue », lieu de la parole désenchaînée, du contact libre, espace
contre-institutionnel, contre-parlementaire et contre-intellectuel,
opposition de l'immédiat aux ruses possibles de toute médiation,
la violence est une écriture : c’est (on connaît ce thème derridien)
la trace dans son geste le plus profond. L'écriture elle-même (si
l’on veut bien ne plus la confondre obligatoirement avec le style
ou la littérature) est violente. C’est même ce qu’il y a de violence
dans l’écriture qui la sépare de la parole, révèle en elle la force
d'inscription, la pesée d’une trace irréversible. A cette écriture de
la violence (écriture éminemment collective), il ne manque même
pas un code ; de quelque façon qu’on décide d’en rendre compte :
tactique ou psychanalytique, la violence implique un langage de
la violence, c’est-à-dire des signes (opérations ou pulsions) répé-
tés, combinés en figures (actions ou complexes), en un mot un
système. Profitons-en pour redire que la présence (ou la postu-
lation) du code n’intellectualise pas l'événement (contrairement
à ce qu’énonce sans cesse la mythologie anti-intellectualiste) : l’in-
telligible n’est pas l’intellectuel.
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DE X TES 1 9 6 8
COMMUNICATIONS
novembre 1968
Linguistique et littérature
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TERXIT HS LA9VGUE
Les recherches qui sont présentées ici ont une certaine unité
nationale. Quelques chercheurs étrangers ont bien voulu se
joindre à nous, sans parler des grands initiateurs, tels Roman
Jakobson et Mikhail Bakhtine dont la présence nous est parti-
culièrement précieuse ; mais pour l'essentiel, il s’agit plutôt d’un
travail français. Nous savons bien qu’il existe dans le monde de
nombreux chercheurs tournés vers l’analyse linguistique ou
logique du texte littéraire et nous espérons bien développer avec
eux des contacts de travail de plus en plus fréquents et de mieux
en mieux organisés (notamment au gré de Congrès et de Col-
D'EMCET BS 1#9M6 08
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LB IX IN ES 1 9 6 8
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LANGAGES
décembre 1968
Société, imagination, publicité
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TE XIT ES 1966
Le Mur
On dit communément que la publicité est faite pour nous « sau-
ter aux yeux »: il y aurait en elle du déclic, du ressort, du saut,
de l’agression imprévue. Ceci désigne quelque chose de très
général, qui a été, semble-t-il, mal isolé dans l’analyse des socié-
tés et que l’on pourrait appeler le geste culturel. Ce geste est fait
du rapport tout matériel, corporel presque, que le créateur et le
consommateur (on ne saurait les dissocier) entretiennent avec
l’objet culturel, lorsqu'ils le tracent ou le déchiffrent. Car le signe,
la figure, la phrase ne se donnent pas d’une façon abstraite, ils
impliquent une matière qui les soutient et cette matière est tou-
jours vivante, dans la mesure où c’est mon propre corps qui s’y
affronte, la perçoit, l’ignore, la goûte, la délaisse, la tourne, etc.
Cette matière du signe, c’est ce que l’on appelle, avec beaucoup
de justesse, en publicité, le support (presse, radio, télévision,
affiches murales). Or si le geste publicitaire a pu passer pour
agressif dans ses débuts, la diversité croissante des supports (du
papier au mur, en passant par le film et la bande sonore) l’a consi-
dérablement apprivoisé ; la publicité, même dans ses formes les
plus provocantes (de plus en plus rares) est devenue un geste
intégré ; ce geste fait partie de notre rapport quotidien au monde,
tout comme la terre faisait partie de l’horizon du paysan, et c’est
seulement à l’intérieur de cette universalité acquise qu’une cer-
taine différence intervient.
Il semble que la publicité impose à l’homme occidental deux
gestes distincts, qui n’ont ni les mêmes implications ni les mêmes
prolongements. Le premier est, si l’on peut dire, un geste noyé.
Lorsque je parcours mon journal ou lorsque j'écoute mon poste
de radio (si je choisis une chaîne qui admet de diffuser de la
publicité) et que mon œil ou mon oreille capture une annonce,
rien n’est rompu dans la continuité de mon geste : l’image, ou la
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PF BXMILERSS 096678
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TERMES DATA
Le Langage
Par le mur, objet d'inscription, nous voici au bord du langage.
La publicité en est un (et ici, il faut provisoirement abandonner
la différence des gestes publicitaires, que l’on retrouvera pour
finir), non parce qu’elle définit une certaine façon de dire les
choses (un style), mais parce que, plus essentiellement, elle
impose à ses énoncés une structure originale.
Toute annonce publicitaire comporte trois messages diffé-
rents, imbriqués cependant les uns dans les autres et donnés à
la lecture simultanément. Le premier message est littéral (on peut
dire aussi : dénoté) : c’est l’image ou la phrase brute, mate, réduite
en quelque sorte abstraitement (pour le regard de l’analyste) aux
mots qu’il serait nécessaire de mobiliser pour pouvoir la décrire
a minimo ; au niveau de ce premier message, bien que très pauvre,
le sens n’est pas nul, puisque l’image, la phrase sont cohérentes
et que leur unité peut être nommée; dans le cas de Pannonce
écrite, les mots employés par le publicitaire composent un
ensemble qui a un sens immédiat, et dans le cas de l'annonce
iconique, je puis toujours démarquer la scène par une descrip-
tion simple, en détaillant ce que je vois, non ce qui m’est sug-
géré ; devant telle image, je puis toujours dire qu’elle représente
un berceau recouvert de velours bleu auquel sont attachés par
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JL EAXAT ES 1191608
L’Imaginaire
Le langage publicitaire ainsi constitué a au moins deux fonc-
tions (qui sont d’ailleurs les fonctions de tout langage). La pre-
mière, élémentaire, c’est évidemment de communiquer aux lec-
DORE TUE SEUL 9 EE
Le Corps
L’euphorie installée dans le consommateur par ce premier
imaginaire est essentiellement culturelle ; grâce à ces images,
les hommes se savent intégrés, attirés dans un cadre social et
historique de relations humaines : ils participent à une sagesse
et à un savoir collectifs; bien mieux : puisque ces images leur
sont adressées, ils se sentent reconnus par les institutions qui
distribuent cette sagesse et ce savoir. Il en est différemment d’un
autre imaginaire qui alimente aussi en partie la publicité, mais
beaucoup plus rarement que le premier. Cet imaginaire est celui
des «thèmes » (qu’il faut donc désormais opposer aux « sujets »).
Le thème est une notion critique qui a été bien analysée par Gas-
ton Bachelard en littérature; il désigne une image dynamique
qui relie, par une sorte de mimétisme diffus, le lecteur (d’un
poème ou d’une figure) à un état simple de la matière ; si l’image
est légère, ou vaporeuse, ou brillante, ou plus exactement si elle
se présente comme l'illustration étudiée du Léger, du Vaporeux,
du Brillant, son consommateur se fait lui-même Légèreté, Vapeur,
Brillance. Les thèmes règlent donc un dialogue entre les grandes
substances archétypiques de la matière d’une part et d’autre part
les sens du lecteur, sans oublier le sens interne ou cénesthé-
sique, dont les autres sens (notamment la vue) ne sont souvent
que les relais. On suppose sans peine tout ce que la publicité
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ANR
MT ES MTNONGNE
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T EXT ES 1490068
L’Ironie
Certes, les lieux «profonds » de la publicité sont rares. Très
souvent règne dans l’imagination publicitaire un conformisme
tout entier soumis aux modèles issus d’une sorte de vulgate de
la culture. Cette timidité du langage est accrue, on l’a vu au début,
par l’intimité générale du geste publicitaire, confiné, pour l’es-
sentiel (si l’on excepte la publicité murale), dans une sorte de
lecture ménagère. Cette langue publicitaire qu’on lui propose,
l’homme d’aujourd’hui a tous les moyens pour l'entendre mais
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Analyse structurale d’un texte narratif :
«Sarrasine » de Balzac
J’emploie ici le mot sémiologie dans un sens assez banal, qui est,
en gros, effectivement, le sens saussurien. C’est la science des signes,
mais évidemment le contenu de cette science, la façon dont on com-
prend la «science » et «les signes» ont notablement changé depuis
dix ans, bien qu’il s'agisse toujours d’une tentative de description,
objective, précise, des systèmes de sens, de la façon dont les hommes
fabriquent du sens, de la façon aussi dont ils sont abusés souvent par
le sens. Et c’est ici que l’on retrouve, dans la sémiologie même, un
projet de subversion. Nous sommes plusieurs à penser — et c’est là
où il faut aller, ce pour quoi il faut travailler, combattre — qu’il y a
une responsabilité sociale, historique, je ne dis pas des sens (cela,
on le savait), mais aussi et surtout du sens: la cible, c’est l’aliéna-
tion, non des symboles eux-mêmes, mais des systèmes symboliques ;
l’enjeu, c’est, non pas le remplacement des premiers, mais la muta-
tion des seconds. J'avais effleuré cela dans les Mythologies, où je met-
tais en cause, derrière les mythes pelit-bourgeois d’aujourd’hui, le
NE
CRNUUR SPEED ME MNIEMRME
NT DEUN S 1 ONG 8
J'en parle au passé parce que les événements de mai sont inter-
venus là-dessus. Et ne faut-il pas profiter de tout événement pour
« faire » du passé ? pour faire tomber dans le passé ce qu’on est en
train de penser ? Ces événements, je ne veux pas du tout les juger
dans leur ensemble. Il faudrait du recul, une pratique de l’analyse
politique que je n’ai pas. Pour en rester au niveau des problèmes uni-
versitaires, il me semble qu’il y a eu, dans la contestation étudiante,
des aspects bien différents, parfois contradictoires. J’y ai vu, quant à
moi, trois aspects, qui sont peut-être trois moments. D’abord une
forme que j’appellerai « sauvage », qui est celle qui m’a touché le plus;
cela s’est traduit, au tout début, par ces inscriptions murales qu’on
a vues un peu partout, surtout à la Sorbonne, et qui exprimaient par
Pécriture (ceci me paraît important) une sorte d’explosion de la sub-
jectivité sauvage, du besoin d'imagination, du plaisir du langage, un
refus éperdu des règles, des institutions, des codes. Il y a eu ensuite
— où à côté — un aspect plus ambigu, qui est ce que j’appellerai l’as-
pect «missionnaire » : c’est le moment où les étudiants ont décidé de
faire de la mission politique, en dehors du milieu étudiant, de por-
ter «la parole » parmi les «ouvriers », la «population » (on a même
parlé de missions sur les plages, cet été). Il y à eu enfin - ou mêlé
au reste — un aspect, une tendance technocratique ; dans un certain
nombre de motions élaborées par des étudiants, des chercheurs, on
a vu apparaître, sur le plan de l’organisation des études, de la fonc-
tion de l’université, des mots d’ordre qui ressemblaient étrangement
à ceux de la technocratie antérieure : ajustement de l’université aux
besoins de la société, évaluation de la recherche en termes de « résul-
tats », collectivisation du travail, «interdisciplinaire », «en équipe »,
etc. Ces aspects, ces «voix » pouvaient difficilement rencontrer, tout
au moins directement, le courant sémiologique. La réflexion sémio-
logique (telle que je la conçois) est tout entière tournée vers une
ultra-révolution, celle des systèmes de sens; elle ne croit pas que la
«spontanéité », même si on peut en apprécier la valeur tactique ou
l'invention d’écriture, soit à l’abri des codes, bien au contraire ; dans
le recours aux stéréotypes du langage politique, elle voit une répé-
tition, de nature surtout ludique; et dans la réfection d’une univer-
sité fonctionnelle, adaptée, elle redoute le retour massif aux codes
coercitifs des institutions.
CHOMTIER SRE N MEN MR AEMENTEENINS 1 9 6 8
(SN)
G OURS ET POMMEIRVE ZT IEIN.S 19 68
8 1
CRONUAR SAMENTITONETER AEMODNTAEMINS 1 9 6 8
8 2
CAO QURRASI ex En EN OTER Billy
NeSte r026:F8
LETTRES FRANÇAISES
31 juillet 1968
8 4
GAOMT
ER SUMEMMUIENATIRYE
AT ILE UNS 1 9 6 8
SNS
GHOMUER SNMENTEME NAT IR TE SIM
EN SAMIR AGE
non seulement des gestes entre eux, mais du geste avec l’objet. C’est
très difficile à expliquer, mais incontestable. Il serait intéressant de
s'interroger sur le rapport entre la visualité cinématographique mise
en technique par le metteur en scène, et l’espace habité, c’est-à-dire
l’architecture, l'urbanisme...
8 6
COPA SU EI ME ENOTERMENIV IRENNLSE M110%6L8
Est-ce qu’on peut penser qu’il y existe une sorte d’imaginaire spec-
tatoriel anthropologique, traduit par des systèmes sémantiques
différents d’une culture à l’autre, et peut-on parler d’un système
japonais profondément original ?
8 8
COURS EOTAMEANRETAREE
"ET TE ANS 1 916 8
Est-ce que vous ne pensez pas que le cinéma, qui est un système
lourdement analogue, offre une résistance à des systèmes signi-
Jiants codés ?
8 9
GAOMTARNSS MEME ANMTMRMENSTOTMENNR S 1NOMGUE
IMAGE ET SON
décembre 1968
Cours et entretiens
Textes
1969
Alejandro
9 ©
INEPXAINER SN 0N600
Cie
EN XNTNES 1n0N 609
LA QUINZAINE LITTÉRAIRE
1 mars 1969
Dix raisons d'écrire
Il
Ecrire n'étant une activité ni normative, ni scientifique, je ne
puis dire pourquoi ni pour quoi on écrit. Je puis seulement énu-
mérer les raisons pour lesquelles j'imagine écrire :
1. pour un besoin de plaisir qui, on le sait bien, n’est pas sans
rapport avec lenchantement érotique;
2. parce que l’écriture décentre la parole, l'individu, la per-
sonne, accomplit un travail dont l’origine est indiscernable ;
3. pour mettre en œuvre un « don», satisfaire une activité dis-
tinctive, opérer une différence;
4. pour être reconnu, gratifié, aimé, contesté, constaté;
5. pour remplir des tâches idéologiques ou contre-idéolo-
giques;
6. pour obéir aux injonctions d’une typologie secrète, d’une
distribution combattante, d’une évaluation permanente ;
7. pour satisfaire des amis, irriter des ennemis;
8. pour contribuer à fissurer le système symbolique de notre
société;
9. pour produire des sens nouveaux, c’est-à-dire des forces
nouvelles, s'emparer des choses d’une façon nouvelle, ébranler
et changer la subjugation des sens;
10. enfin, comme il résulte de la multiplicité et de la contra-
diction délibérées de ces raisons, pour déjouer l’idée, l’idole, le
fétiche de la Détermination Unique, de la Cause (causalité et
«bonne cause »), et accréditer ainsi la valeur supérieure d’une
activité pluraliste, sans causalité, finalité ni généralité, comme
l’est le texte lui-même.
Il
L’« illisible », ou le «contre-lisible », ne peut évidemment pas
constituer une figure pleine. On ne peut ni le décrire ni même
INONO
DELA TUR,S...1, 94650
NOM
« D'un soleil réticent »
exemple : mais ces limites-là sont aussi à lire, comme les con-
traintes qui viennent d’une certaine culture (lislamo-occidentale),
inscrites dans toute langue, fût-elle poétique, comme ses rubri-
ques obligatoires.
Ce qui est présent dans le livre de Morsy, ce qui en est
absent, désignent ainsi cela même qui se transpose, se transcrit
ou, au contraire, s’arrête, se tait, en passant d’un pays à l’autre,
d’une langue à l’autre. Le poème nous montre alors comment
Pautre langue (la nôtre) est entendue, opérée de l’autre côté:
cette fois-ci, c’est nous qui sommes en face : nous sommes en.face
à partir de notre propre langue. |
Le Nouvez OBSERVATEUR
17 juin 1969
La ville d’où ces lignes sont écrites est un petit centre de ras-
semblement pour les hippies, principalement anglais, américains
et hollandais ; ils y occupent à longueur de journée une place
très animée de la vieille ville, mêlés (mais non mélangés) à la
population locale qui, soit tolérance naturelle, soit amusement,
soit habitude, soit intérêt, les accepte, les côtoie et les laisse vivre,
sans les comprendre mais sans s’étonner. Cette réunion ma certes
pas la densité et la variété des grands rassemblements de San
Francisco et de New York; mais comme le «hippisme » est ici
sorti de son contexte, qui est celui d’une civilisation riche et
morale, son sens ordinaire se fragmente ; transplanté dans un
pays assez pauvre, dépaysé, non par l’exotisme géographique
mais par l’exotisme économique et social (infiniment plus sépa-
rateur), le hippy devient ici contradictoire (et non plus seule-
ment contrariant), et sa contradiction nous intéresse parce qu’au
niveau de la contestation, elle met en cause le rapport même du
politique et du culturel.
Cette contradiction est la suivante. Oppositionnel, le hippy
prend le contre-pied des principales valeurs qui fondent l’art de
vivre occidental (bourgeois, néo-bourgeois ou petit-bourgeois) ;
il sait bien que cet art de vivre est un art de consommer et c’est
la consommation des biens qu’il entend subvertir. En ce qui
concerne la nourriture, le hippy détruit les contraintes de l’ho-
raire et du menu (il mange peu, n'importe quand, n'importe où)
ou celles du repas individuel (lorsque nous mangeons à plusieurs,
ce n’est jamais que par addition de services individuels, comme
le symbolise maintenant l'usage de ces napperons d’étoffe ou de
paille qui délimitent, sous prétexte d'élégance, le champ nutri-
tif de chaque convive ; les hippies, eux, à Berkeley par exemple,
pratiquent le chaudron collectif, la soupe communautaire). Pour
le logement, même collectivisme (une chambre pour plusieurs),
à quoi s’ajoute le nomadisme, affiché par la sacoche, la besace
que les hippies laissent battre le long de leurs grandes jambes.
Le vêtement (le costume, devrait-on dire) constitue, on le sait,
1 0 4
T EXT ES 19469
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COMMUNICATIONS
novembre 1969
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Cours et entretiens
1969
Analyse structurale d’un texte narratif:
«Sarrasine » de Balzac
ARTS
CLONES SENEONME AN NTMR AE FRATEEONES 199628
Uui
juin 1969, Tokyo, Chuokoron-Sha Inc. Publishers
b ia
S/Z
Textes
Entretiens
S/Z
199720
Il. L'interprétation
Des textes scriptibles, il n’y a peut-être rien à dire. D’abord où
les trouver ? Certainement pas du côté de la lecture (ou du moins
fort peu : par hasard, fugitivement et obliquement dans quelques
œuvres-limites) : le texte scriptible n’est pas une chose, on le
trouvera mal en librairie. De plus, son modèle étant productif
(et non plus représentatif), il abolit toute critique, qui, produite,
se confondrait avec lui : le ré-écrire ne pourrait consister qu’à le
disséminer, à le disperser dans le champ de la différence infi-
nie. Le texte scriptible est un présent perpétuel, sur lequel ne
peut se poser aucune parole conséquente (qui le transformerait,
fatalement, en passé); le texte scriptible, c’est nous en train
d'écrire, avant que le jeu infini du monde (le monde comme jeu)
ne soit traversé, coupé, arrêté, plastifié par quelque système sin-
gulier (Idéologie, Genre, Critique) qui en rabatte sur la pluralité
des entrées, l’ouverture des réseaux, l’infini des langages. Le
scriptible, c’est le romanesque sans le roman, la poésie sans le
poème, l'essai sans la dissertation, l'écriture sans le style, la pro-
duction sans le produit, la structuration sans la structure. Mais
les textes lisibles ? Ce sont des produits (et non des productions),
ils forment la masse énorme de notre littérature. Comment dif-
férencier de nouveau cette masse? Il y faut une opération
12e?
S V3
125
Su 7
1 2 4
S 24 Z
1 96
Su 7
V. La lecture, l'oubli
Je lis le texte. Cette énonciation, conforme au «génie» de la
langue française (sujet, verbe, complément) n’est pas toujours
vraie. Plus le texte est pluriel et moins il est écrit avant que je le
lise ; je ne lui fais pas subir une opération prédicative, conséquente
à son être, appelée lecture, et je n’est pas un sujet innocent, anté-
rieur au texte et qui en userait ensuite comme d’un objet à démon-
ter ou d’un lieu à investir. Ce « moi » qui s’approche du texte est
déjà lui-même une pluralité d’autres textes, de codes infinis, ou
plus exactement : perdus (dont l’origine se perd). Objectivité et sub-
jectivité sont certes des forces qui peuvent s'emparer du texte, mais
ce sont des forces qui n’ont pas d’affinité avec lui. La subjectivité
est une image pleine, dont on suppose que j’encombre le texte,
mais dont la plénitude, truquée, n’est que le sillage de tous les
codes qui me font, en sorte que ma subjectivité a finalement la
généralité même des stéréotypes. L’objectivité est un remplissage
du même ordre : c’est un système imaginaire comme les autres
(sinon que le geste castrateur s’y marque plus férocement), une
image qui sert à me faire nommer avantageusement, à me faire
connaître, à me méconnaître. La lecture ne comporte des risques
d’objectivité ou de subjectivité (toutes deux sont des imaginaires)
SPA Z
que pour autant que l’on définit le texte comme un objet expres-
sif (offert à notre propre expression), sublimé sous une morale de
la vérité, ici laxiste, là ascétique. Lire cependant n’est pas un geste
parasite, le complément réactif d’une écriture que nous parons de
tous les prestiges de la création et de l’antériorité. C’est un travail
(ce pourquoi il vaudrait mieux parler d’un acte lexéologique
—lexéographique, même, puisque j'écris ma lecture), et la méthode
de ce travail est topologique : je ne suis pas caché dans le texte,
j'y suis seulement irrepérable : ma tâche est de mouvoir, de trans-
later des systèmes dont le prospect ne s'arrête ni au texte ni à
«moi »: opératoirement, les sens que je trouve sont avérés, non
par « moi » ou d’autres, mais par leur marque systématique: il n’y
a pas d’autre preuve d’une lecture que la qualité et l'endurance
de sa systématique ; autrement dit :que son fonctionnement. Lire,
en effet, est un travail de langage. Lire, c’est trouver des sens, et
trouver des sens, c’est les nommer; mais ces sens nommés sont
emportés vers d’autres noms; les noms s’appellent, se rassemblent
et leur groupement veut de nouveau se faire nommer : je nomme,
je dénomme, je renomme : ainsi passe le texte : c’est une nomi-
nation en devenir, une approximation inlassable, un travail méto-
nymique. — En regard du texte pluriel, Poubli d’un sens ne peut
donc être reçu comme une faute. Oublier par rapport à quoi?
Quelle est la somme du texte ? Des sens peuvent bien être oubliés,
mais seulement si l’on a choisi de porter sur le texte un regard
singulier. La lecture cependant ne consiste pas à arrêter la chaîne
des systèmes, à fonder une vérité, une légalité du texte et par
conséquent à provoquer les « fautes » de son lecteur; elle consiste
à embrayer ces systèmes, non selon leur quantité finie, mais selon
leur pluralité (qui est un être, non un décompte) : je passe, je tra-
verse, j’articule, je déclenche, je ne compte pas. L’oubli des sens
n’est pas matière à excuses, défaut malheureux de performance ;
c’est une valeur affirmative, une façon d'affirmer l’irresponsabi-
lité du texte, le pluralisme des systèmes (si j’en fermais la liste,
je reconstituerais fatalement un sens singulier, théologique) : c’est
précisément parce que j'oublie que je lis.
[se [0]
VIL. Le texte étoilé
On étoilera donc le texte, écartant, à la façon d’un menu séisme,
les blocs de signification dont la lecture ne saisit que la surface
lisse, imperceptiblement soudée par le débit des phrases, le dis-
cours coulé de la narration, le grand naturel du langage courant.
Le signifiant tuteur sera découpé en une suite de courts frag-
ments contigus, qu’on appellera ici des lexies, puisque ce sont
des unités de lecture. Ce découpage, il faut le dire, sera on ne
peut plus arbitraire ; il n’impliquera aucune responsabilité métho-
dologique, puisqu’il portera sur le signifiant, alors que l’analyse
proposée porte uniquement sur le signifié. La lexie comprendra
tantôt peu de mots, tantôt quelques phrases; ce sera affaire de
commodité : il suffira qu’elle soit le meilleur espace possible où
l’on puisse observer les sens : sa dimension, déterminée empi-
riquement, au juger, dépendra de la densité des connotations,
qui est variable selon les moments du texte : on veut simplement
qu’à chaque lexie il n’y ait au plus que trois ou quatre sens à
énumérer. Le texte, dans sa masse, est comparable à un ciel,
plat et profond à la fois, lisse, sans bords et sans repères; tel l’au-
gure y découpant du bout de son bâton un rectangle fictif pour
y interroger selon certains principes le vol des oiseaux, le com-
mentateur trace le long du texte des zones de lecture, afin d’y
observer la migration des sens, l’affleurement des codes, le pas-
sage des citations. La lexie n’est que l’enveloppement d’un
volume sémantique, la ligne de crête du texte pluriel, disposé
comme une banquette de sens possibles (mais réglés, attestés
par une lecture systématique) sous le flux du discours : la lexie
et ses unités formeront ainsi une sorte de cube à facettes, nappé
du mot, du groupe de mots, de la phrase ou du paragraphe, autre-
ment dit du langage qui en est l’excipient « naturel ».
AT
SN Z
RTL)
an = n
la relecture est ici proposée d'emblée, car elle seule sauve le texte
de la répétition (ceux qui négligent de relire s’obligent à lire par-
tout la même histoire), le multiplie dans son divers et son pluriel :
elle le tire hors de la chronologie interne («ceci se passe avant
ou après cela») et retrouve un temps mythique (sans avant ni
après) ; elle conteste la prétention qui voudrait nous faire croire
que la première lecture est une lecture première, naïve, phéno-
ménale, qu’on aurait seulement, ensuite, à «expliquer », à intel-
lectualiser (comme s’il y avait un commencement de la lecture,
comme si tout n’était déjà lu : il n’y a pas de première lecture, même
si le texte s'emploie à nous en donner l'illusion par quelques opé-
rateurs de suspense, artifices spectaculaires plus que persuasifs) ;
elle n’est plus consommation, mais jeu (ce jeu qui est le retour du
différent). Si donc, contradiction volontaire dans les termes, on
relit tout de suite le texte, c’est pour obtenir, comme sous leffet
d’une drogue (celle du recommencement, de la différence), non
le « vrai » texte, mais le texte pluriel : même et nouveau.
X. « Sarrasine »
Quant au texte qui a été choisi (pour quelles raisons? Je sais
seulement que je désirais depuis assez longtemps faire l’analyse
d’un court récit dans son entier et que mon attention fut attirée
sur la nouvelle de Balzac par une étude de Jean Reboul!'; Pau-
teur disait tenir son propre choix d’une citation de Georges
Bataille, ainsi je me trouvais pris dans ce report, dont j'allais,
par le texte lui-même, entrevoir toute l’étendue), ce texte est
Sarrasine, de Balzac?.
de 5.4
Si ?,Z
11802
SZ
IN SNS
S A Z
= Où or
S 43
XIII. Citar
La Fête, le Faubourg, l'Hôtel sont des informations anodines,
perdues apparemment dans le flux naturel du discours ; en réa-
lité ce sont autant de touches destinées à faire surgir l’image de
la Richesse dans le tapis de la rêverie. Le sème est ainsi plusieurs
fois « cité »; on voudrait donner à ce mot son sens tauromachique :
citar, c’est ce coup de talon, cette cambrure du torero, qui appel-
lent la bête aux banderilles. De la même façon, on cite le signifié
(la richesse) à comparaître, tout en l’esquivant au fil du discours.
Cette citation fugitive, cette manière subreptice et discontinue de
thématiser, cette alternance du flux et de l'éclat définissent bien
l'allure de la connotation; les sèmes semblent flotter librement,
former une galaxie de menues informations où ne peut se lire
aucun ordre privilégié : la technique narrative est impressionniste :
elle divise le signifiant en particules de matière verbale dont seule
la concrétion fait sens : elle joue de la distribution d’un discontinu
(ainsi construit-elle le «caractère » d’un personnage); plus la dis-
tance syntagmatique de deux informations convergentes est
grande, plus le récit est habile ; la performance consiste à jouer
d’un certain degré d'impression : il faut que le trait passe légère-
ment, comme si son oubli était indifférent et que cependant, surgi
plus loin sous une autre forme, il constitue déjà un souvenir; le
lisible est un effet fondé sur des opérations de solidarité (le lisible
«colle »); mais plus cette solidarité est aérée, plus l’intelligible
paraît intelligent. La fin (idéologique) de cette technique est de
naturaliser le sens, et donc d’accréditer la réalité de l’histoire : car
(en Occident) le sens (le système) est, dit-on, antipathique à la
L 35 6
SA 7
ST
SAT
15" 9
S AZ
ae oiLAAeS.e
mitoy. dnneté
mitoy. .
A B
mitoyenneté
AV. La partition
L’espace du texte (lisible) est en tout point comparable à une
partition musicale (classique). Le découpage du syntagme (dans
son mouvement progressif) correspond au découpage du flot
sonore en mesures (l’un est à peine plus arbitraire que l’autre).
Ce qui éclate, ce qui fulgure, ce qui souligne et impressionne,
ce sont les sèmes, les citations culturelles et les symboles, ana-
logues, par leur timbre fort, la valeur de leur discontinu, aux
cuivres et aux percussions. Ce qui chante, ce qui file, se meut,
P MT
SNA Z
D nonae ha ppp [I
Codes cult. À LD À LOI
Antithèse J J J J À J J |]
Enigme 1
« Plongé » ee | 1 a ET
«Caché » L l L d- D s
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S À Z
1 4 4
S / Z
XVI. La beauté
La beauté (contrairement à la laideur) ne peut vraiment s’ex-
pliquer : elle se dit, s’affirme, se répète en chaque partie du corps
mais ne se décrit pas. Tel un dieu (aussi vide que lui), elle ne
peut que dire : je suis celle qui suis. I ne reste plus alors au dis-
cours qu’à asserter la perfection de chaque détail et à renvoyer
«le reste » au code qui fonde toute beauté : l’Art. Autrement dit,
la beauté ne peut s’alléguer que sous forme d’une citation: que
Marianina ressemble à la fille du sultan, c’est la seule façon dont
on puisse dire quelque chose de sa beauté; elle tient de son
modèle non seulement la beauté, mais aussi la parole; livrée à
elle-même, privée de tout code antérieur, la beauté serait muette.
1 4 6
S 4 Z
Tout prédicat direct lui est refusé; les seuls prédicats possibles
sont ou la tautologie (un visage d’un ovale parfait) ou la com-
paraison (belle comme une madone de Raphaël, comme un rêve
de pierre, etc.); de la sorte, la beauté est renvoyée à l'infini des
codes : belle comme Vénus ? Mais Vénus? Belle comme quoi?
Comme elle-même ? Comme Marianina ? Un seul moyen d’ar-
rêter la réplique de la beauté : la cacher, la rendre au silence, à
l’ineffable, à l’aphasie, renvoyer le référent à l’invisible, voiler la
fille du sultan, affirmer le code sans en réaliser (sans en com-
promettre) l’origine. Il y a une figure de rhétorique qui restitue
ce blanc du comparé, dont l’existence est entièrement remise à
la parole du comparant c’est la catachrèse (il n’y a aucun autre
mot possible pour dénoter les «ailes » du moulin ou les «bras »
du fauteuil, et pourtant les «ailes» et les «bras» sont, tout de
suite, déjà, métaphoriques) : figure fondamentale plus encore
peut-être que la métonymie, puisqu'elle parle autour d’un com-
paré vide: figure de la beauté.
1400
S /.Z
1 4 7
SL 70 7
1 4 8
XVTIL. Postérité du castrat
Anecdotiquement, ni Marianina ni Filippo ne servent à grand-
chose : Marianina ne fournira que l'épisode mineur de la bague
(épisode destiné à renforcer le mystère des Lanty) et Filippo n’a
d'autre existence sémantique que de rejoindre (par sa morpho-
logie ambiguë, par son comportement tendre et inquiet à l’égard
du vieillard) le camp des femmes. Ce camp, on l’a vu, n’est pas
celui du sexe biologique, mais celui de la castration. Or ni Maria-
nina ni Filippo n’ont de traits castrateurs. À quoi donc, symboli-
quement, servent-ils ? À ceci: féminins tous deux, le frère et la
sœur instituent une descendance féminine de M": de Lanty (leur
atavisme maternel est souligné), c'est-à-dire de la Zambinella (dont
Mme de Lanty est la nièce) : ils sont là pour figurer une sorte d’ex-
plosion de la féminité zambinellienne. Le sens est le suivant: si
la Zambinella avait eu des enfants (paradoxe désignateur du
manque qui la constitue), ils eussent été ces êtres héréditaire-
ment et délicatement féminins que sont Marianina et Filippo:
comme s’il y avait dans la Zambinella un rêve de normalité, une
essence téléologique dont le castrat eût été déchu, et que cette
essence fût la féminité même, patrie et postérité reconstituées en
Marianina et Filippo par-dessus le blanc de la castration.
dd 4 9
S / Z
1MouD
Si
ÀZ
(28) Les observateurs, ces gens qui tiennent à savoir dans quel
magasin vous achetez vos candélabres, ou qui vous demandent
le prix du loyer quand votre appartement leur semble beau,
avaient remarqué, de loin en loin, au milieu des fêtes, des
concerts, des bals, des raouts donnés par la comtesse,
l'apparition d’un personnage étrange. x REF. Code des
Romanciers, des Moralistes, des Psychologues : l'observation des
S 7 Z
1h 53 3
Si
/ Z
sur les atrocités commises par lui pendant le temps qu’il était au
service du prince de Mysore. Des banquiers, gens plus positifs,
établissaient une fable spécieuse. - Bah ! disaient-ils en haussant
leurs larges épaules par un mouvement de pitié, ce petit vieux est
une tête génoise / x HER. Enigme 4 : fausses réponses n° 2, 3 et 4 (les
Fausses Réponses sont prélevées dans des codes culturels : les jeunes
gens cyniques, les romanciers, les banquiers). xx SEM. Richesse.
(39) Ces niaiser'ies, dites avec le ton spirituel, avec l’air railleur
qui, de nos jours, caractérisent une société sans croyances,
entretenaient de vagues soupçons sur la maison Lanty. x REF.
Psychologie des peuples : Paris railleur. xx HER. Enigme 3 : position
et thématisation (il y a énigme et c’est la famille Lanty qui en est
l’objet). xxx HER. Enigme 4 : fausse réponse n° 6. Les Fausses
Réponses forment dans la séquence herméneutique une brique
(configuration élémentaire ou sous-routine, selon le vocabulaire de la
cybernétique) ; cette brique est soumise elle-même à un code
rhétorique (code d'exposition) : une annonce (n° 32), six fausses
réponses, un résumé (n° 39).
{ © 4
AT. L'ironie, la parodie
Déclaré par le discours lui-même, le code ironique est en prin-
cipe une citation explicite d'autrui; mais l’ironie joue le rôle d’une
affiche et par là détruit la multivalence qu’on pouvait espérer
d’un discours citationnel. Un texte multivalent n’accomplit jus-
qu’au bout sa duplicité constitutive que s’il subvertit l’opposition
du vrai et du faux, s’il n’attribue pas ses énoncés (même dans
l'intention de les discréditer) à des autorités explicites, s’il déjoue
tout respect de l’origine, de la paternité,de la propriété, s’il détruit
la voix qui pourrait donner au texte son unité («organique »), en
un mot s’il abolit impitoyablement, frauduleusement, les guille-
mets qui, dit-on, doivent en toute honnêteté entourer une citation
et distribuer juridiquement la possession des phrases, selon
leurs propriétaires respectifs, comme les parcelles d’un champ.
Car la multivalence (démentie par lironie) est une transgres-
sion de la propriété. Il s’agit de traverser le mur de la voix pour
atteindre l’écriture : celle-ci refuse toute désignation de propriété
et par conséquent ne peut jamais être ironique ;ou du moins son
ironie n’est jamais sûre (incertitude qui marque quelques grands
textes : Sade, Fourier, Flaubert). Menée au nom d’un sujet qui
met son imaginaire dans la distance qu’il feint de prendre vis-à-
vis du langage des autres, et se constitue par là d'autant plus
sûrement sujet du discours, la parodie, qui est en quelque sorte
l’ironie au travail, est toujours une parole classique. Que pour-
rait être une parodie qui ne s’afficherait pas comme telle? C’est
le problème posé à l'écriture moderne : comment forcer le mur
de l’énonciation, le mur de l’origine, le mur de la propriété?
41 © 0
S / Z
15% 0
S À 3%
1 40,46
CF"
ip 50 9
S / Z
attendait pas, qu’il était occupé tout entier par l’autre : la jeune
femme et le vieillard se retrouvent tous deux dans le même espace,
l'espace d’un seul.
161
Su 7
(68) tourna sur elle deux yeux sans chaleur, deux yeux
glauques qui ne pouvaient se comparer qu’à de la nacre ternie.
x Pire que le froid : le refroidi (le terni). La lexie connote le cadavre,
le mort qui a forme humaine, en le ramenant à ce qu’il y a de plus
inquiétant en lui: les yeux ouverts (fermer les yeux du mort, c’est
conjurer ce qu'il y a dans la mort de mitoyen à la vie, faire bien
mourir le mort, le faire bien mort). Quant à glauque, il n’a ici
aucune importance dénotative (peu importe la couleur exacte du
S / Z
a
NC
S AZ
maniaque (qui pourrait faire rire à la façon d’un gag) ; pour pou-
voir en parler, il faut que l’écrivain, par un rite initial, transforme
d’abord le «réel» en objet peint (encadré); après quoi il peut
décrocher cet objet, le tirer de sa peinture : en un mot: le dé-
peindre (dépeindre, c’est faire dévaler le tapis des codes, c’est
référer, non d’un langage à un référent, mais d’un code à un
autre code). Ainsi le réalisme (bien mal nommé, en tout cas sou-
vent mal interprété) consiste, non à copier le réel, mais à copier
une copie (peinte) du réel: ce fameux réel, comme sous l’effet
d’une peur qui interdirait de le toucher directement, est remis
plus loin, différé, ou du moins saisi à travers la gangue picturale
dont on l’enduit avant de le soumettre à la parole : code sur code,
dit le réalisme. C’est pourquoi le réalisme ne peut être dit
«copieur » mais plutôt « pasticheur » (par une mimesis seconde,
il copie ce qui est déjà copie) ; d’une facon ou naïve ou éhontée,
Joseph Brideau n’éprouve aucun scrupule à faire du Raphaël (car
il faut que le peintre lui aussi copie un autre code, un code anté-
rieur), pas plus que Balzac n’en éprouve à déclarer ce pastiche
un chef-d'œuvre. La circularité infinie des codes une fois posée,
le corps lui-même ne peut y échapper: le corps réel (donné
comme tel par la fiction) est la réplique d’un modèle articulé par
le code des arts, en sorte que le plus «naturel» des corps, celui
de la Rabouilleuse enfant, n’est jamais que la promesse du code
artistique dont il est par avance issu («Le médecin, assez anato-
miste pour reconnaitre une taille délicieuse, comprit tout ce que
les arts perdraient si ce charmant modèle se détruisait au travail
des champs »). Ainsi, dans le réalisme même, les codes ne s’ar-
rêtent jamais : la réplique corporelle ne peut s’interrompre qu’en
sortant de la nature: soit vers la Femme superlative (c’est le
«chef-d'œuvre »), soit vers la créature sous-humaine (c’est le cas-
trat). Tout cela ouvre un double problème. D’abord, où, quand
cette prééminence du code pictural dans la mimesis littéraire a-
t-elle commencé ? Pourquoi a-t-elle disparu ? Pourquoi le rêve
de peinture des écrivains est-il mort? Par quoi a-t-il été rem-
placé? Les codes de représentation éclatent aujourd’hui au pro-
fit d’un espace multiple dont le modèle ne peut plus être la pein-
ture (le «tableau ») mais serait plutôt le théâtre (la scène), comme
l'avait annoncé, ou du moins désiré, Mallarmé. Et puis : si litté-
rature et peinture cessent d’être prises dans une réflexion hié-
rarchique, l’une étant le rétroviseur de l’autre, à quoi bon les tenir
plus longtemps pour des objets à la fois solidaires et séparés, en
un mot : classés ? Pourquoi ne pas annuler leur différence (pure-
1 6 4
S / Z
(76) lV’ous eussiez dit de deux os mis en croix sur une tombe.
x SEM. Mort (le signifiant connote l’anguleux, le géométrique, la
ligne brisée, forme antithétique du vaporeux et du végétal, c’est-à-
dire de la vie).
db 6: 5
S / Z
par une reine, formait des ruches jaunes sur sa poitrine; mais
sur lui cette dentelle était plutôt un haillon qu’un ornement. Au
milieu de ce jabot, un diamant d’une valeur incalculable
scintillait comme le soleil. x SEM. Ultra-âge, Féminité
(coquetterie), Richesse.
O7
S / Z
XXV. Le portrait
Dans le portrait, les sens « fourmillent », jetés à la volée à tra-
vers une forme qui cependant les discipline : cette forme est à
UN)
S AZ
4 6 9
SLA Z
tive du vieillard, qui est un castrat très âgé, ancienne vedette inter-
nationale fabuleusement fortunée ; tous ces sèmes désignent la
vérité, mais même mis tous ensemble, ils ne suffisent pas à la faire
nommer (et cet échec est heureux, puisqu'il ne faut pas que, selon
l’histoire, la vérité soit connue prématurément). Le signifié a donc,
de toute évidence, une valeur herméneutique : tout procès du sens
est un procès de vérité : dans le texte classique (relevant d’une
idéologie historique), le sens est confondu avec la vérité, la signi-
fication est le chemin de la vérité: si l’on parvient à dénoter le
vieillard, sa vérité (de castrat) est immédiatement dévoilée. Cepen-
dant, dans le système herméneutique, le signifié de connotation
occupe une place particulière : il opère une vérité incomplète,
insuffisante, impuissante à se faire nommer : il est lincomplétude,
l'insuffisance, l'impuissance de la vérité et ce manque partiel a
valeur statutaire ;ce défaut d'accouchement est un élément codé,
un morphème herméneutique, dont la fonction est d’épaissir
l'énigme en la cernant : une énigme forte est une énigme étroite,
en sorte que, moyennant certaines précautions, plus les signes se
multiplient, plus la vérité s’obscurcit, plus le déchiffrement s’ir-
rite. Le signifié de connotation est à la lettre un index: il pointe
mais ne dit pas; ce qu’il pointe, c’est le nom, c’est la vérité comme
nom ; il est à la fois la tentation de nommer et l’impuissance à
nommer (pour amener le nom, l'induction sera plus efficace que
la désignation) : il est ce bout de la langue, d'où va tomber, plus
tard, le nom, la vérité. Ainsi, un doigt, de son mouvement dési-
gnateur et muet, accompagne toujours le texte classique : la vérité
est de la sorte longuement désirée et contournée, maintenue dans
une sorte de plénitude enceinte, dont la percée, à la fois libéra-
toire et catastrophique, accomplira la fin même du discours; et le
personnage, espace même de ces signifiés, n’est jamais que le pas-
sage de l'énigme, de cette forme nominative de l’énigme dont
Œdipe (dans son débat avec le Sphynx) a empreint mythiquement
tout le discours occidental.
NC
S / Z
1
107
variant simplement le signifié funèbre qui est dans le vieillard. Or,
par un tour imprévu, la question (que la jeune femme se pose à
elle-même) devient littérale et appelle une réponse (ou une
vérification) (ACT. « Question »: 1: se poser une question).
(97) mais une sueur froide sortit de ses pores, car aussitôt
qu’elle eut touché le vieillard, elle entendit un cri semblable à
celui d’une crécelle. Cette aigre voix, si c'était une voit,
s’échappa d’un gosier presque desséché. x ACT. « Toucher » : 2:
réagir. xx La crécelle connote un son granuleux, discontinu ; la voix
incertaine, une humanité problématique ; la gorge desséchée, une
carence du caractère spécifique de la vie organique : le lubrifié
(SEM. Extra-nature). xxx SYM. Mariage du castrat (ici : son terme
catastrophique).
dl 1709
S À Z
TENTE
S / Z
1 7 4
Sv 2
4 7
XXX. Au-delà et en deçà
La perfection est un bout du Code (origine ou terme, comme
on veut) ; elle exalte (ou euphorise) dans la mesure où elle met
fin à la fuite des répliques, abolit la distance entre le code et la
performance, entre l’origine et le produit, entre le modèle et la
copie ; et comme cette distance fait partie du statut humain, la
perfection, qui l’annule, se trouve hors des limites anthropolo-
giques, dans la sur-nature, où elle rejoint l’autre transgression,
l’'inférieure : le plus et le moins peuvent être rangés générique-
ment dans une même classe, celle de l'excès, ce qui est au-delà
ne diffère plus de ce qui est en deçà, l'essence du code (la per-
fection) a finalement même statut que ce qui est hors du code
(le monstre, le castrat), car la vie, la norme, l'humanité ne sont
que des migrations intermédiaires, dans le champ des répliques.
Ainsi Zambinella est la Sur-Femme, la Femme essentielle, par-
faite (en bonne théologie, la perfection est l’essence, et la Zam-
binella est un «chef-d'œuvre »), mais en même temps, du même
mouvement, elle est le sous-homme, le castrat, le manque, le
moins définitif ;en elle, absolument désirable, en lui, absolument
exécrable, les deux transgressions se confondent. Cette confu-
sion est juste, puisque la transgression n’est rien d’autre qu’une
marque (Zambinella est marquée à la fois par la perfection et
par le manque); elle permet au discours un jeu d’équivoques :
parler de la perfection « surnaturelle » de l’Adonis, c’est en même
temps parler du manque «sous-naturel» du castrat.
1 726
à A À
(120) —Je crois, lui dis-je, que cet Adonis représente un... un...
parent de Me de Lanty. x ACT. « Narrer » : 2 : connaître l’histoire
(nous savons que le narrateur connaît l'identité du vieillard, n° 70;
nous apprenons ici qu’il connaît également l’origine de l’Adonis : il
est donc en puissance de résoudre les énigmes, de raconter
l’histoire). xx HER. Enigme 5 : réponse suspendue. xxx SYM. Tabou
sur le nom de castrat.
XXXII. Le retard
La vérité est frôlée, déviée, perdue. Cet accident est structu-
ral. Le code herméneutique, en effet, a une fonction, celle-là
même que l’on reconnaît (avec Jakobson) au code poétique : de
même que la rime (notamment) structure le poème selon l’at-
tente et le désir du retour, de même les termes herméneutiques
structurent l’énigme selon l’attente et le désir de sa résolution.
La dynamique du texte (dès lors qu’elle implique une vérité à
déchiffrer) est donc paradoxale : c’est une dynamique statique:
le problème est de maintenir l'énigme dans le vide initial de sa
réponse; alors que les phrases pressent le «déroulement» de
Phistoire et ne peuvent s'empêcher de conduire, de déplacer cette
- histoire, le code herméneutique exerce une action contraire : il
doit disposer dans le flux du discours des retards (chicanes, arrêts,
dévoiements); sa structure est essentiellement réactive, car il
oppose à l’avancée inéluctable du langage un jeu échelonné d’ar-
rêts : c’est, entre la question et la réponse, tout un espace dila-
toire, dont l'emblème pourrait être la «réticence », cette figure
rhétorique qui interrompt la phrase, la suspend et la dévie (le
Quos ego. virgilien). D’où, dans le code herméneutique, com-
parativement à ses termes extrêmes (la question et la réponse),
l'abondance des morphèmes dilatoires : le leurre (sorte de dévoie-
ment délibéré de la vérité), l’éguivoque (mélange de vérité et de
leurre qui, bien souvent, en cernant l'énigme, contribue à l’épais-
sir), la réponse partielle (qui ne fait qu’irriter lattente de la vérité),
la réponse suspendue (arrêt aphasique du dévoilement) et le blo-
cage (constat d’insolubilité). La variété de ces termes (leur jeu
d'invention) témoigne bien du travail considérable que le dis-
cours doit accomplir s’il veut arrêter l'énigme, la maintenir en
état d'ouverture. L’attente devient de la sorte la condition fon-
datrice de la vérité : la vérité, nous disent ces récits, c’est ce qui
est au bout de l'attente. Ce dessin rapproche le récit du rite ini-
tiatique (un long chemin marqué d’embarras, d’obscurités, d’ar-
rêts, débouche tout d’un coup sur la lumière); il implique un
retour à l’ordre, car l’attente est un désordre : le désordre est le
| supplément, ce qui s’ajoute interminablement sans rien résoudre,
sans rien finir, l’ordre est le complément, ce qui complète, rem-
| plit, sature et congédie précisément tout ce qui menacerait de
|
suppléer : la vérité est ce qui complète, ce qui clôt. En somme,
reposant sur Particulation de la question et de la réponse, le récit
NS
SIN
ANNIII. Et/ou
Lorsque le narrateur hésite à nous dire qui est l’Adonis (et
dévoie ou noie la vérité), le discours mêle deux codes: le code
symbolique — d’où se tire la censure du nom de castrat, laphasie
que ce nom provoque au moment où l’on risque de le proférer -,
et le code herméneutique, selon lequel cette aphasie n’est qu’une
suspension de réponse, obligée par la structure dilatoire du récit.
De ces deux codes, référés simultanément à travers les mêmes
mots (le même signifiant), l’un est-il plus important que l’autre?
Ou plus exactement : si l’on veut «expliquer» la phrase (et par-
tant le récit), faut-il décider pour un code ou pour l’autre ? Doit-
on dire que l’hésitation du narrateur est déterminée par la
contrainte du symbole (qui veut que le castrat soit censuré), ou
par la finalité du dévoilement (qui veut que ce dévoilement soit
à la fois esquissé et retardé) ? Personne au monde (aucun sujet
savant, aucun dieu du récit) ne peut en décider. Dans le récit (et
cela en est peut-être une « définition »), le symbolique et l’opéra-
toire sont indécidables, soumis au régime du et/ou. Aussi, choi-
sir, décider d’une hiérarchie des codes, d’une pré-détermination
des messages, comme le fait l'explication de textes, est imperti-
nent, car c’est écraser la tresse de l’écriture sous une voix unique,
ici psychanalytique, là poétique (au sens aristotélicien). Bien
plus, manquer le pluriel des codes, c’est censurer le travail du
discours : l’indécidabilité définit un faire, la performance du
INC
SA Z
1.8) 3
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1 84
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1806
S / Z
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(141) - Oui. Hé! bien ?
- Hé! bien, j'irai demain soir chez vous vers neuf heures, et je
vous révélerai ce mystère. x On pourrait poser, dans la séquence
«Narrer », une sous-séquence ou brique, celle du «Rendez-vous »
(proposé/refusé/ accepté), d'autant que le Rendez-vous est une pièce
usuelle de l’arsenal romanesque (il y en a un autre dans la suite de
la nouvelle, celui que la duègne donne à Sarrasine, au n° 288).
Néanmoins comme ce rendez-vous-ci, dans sa structure spécifique
(refusé/accepté), transcrit diagrammatiquement le marchandage
noué par le narrateur et la jeune femme autour de l’objet « Récit »,
on l’intégrera directement à la séquence « Narrer », dont il
deviendra un terme intermédiaire : ACT. « Narrer » : 4: proposer un
rendez-vous pour raconter tranquillement une histoire (acte assez
fréquent dans le code de la vie courante :je vous raconterai cela...).
1M9N0)
CN
(148) dans un petit salon élégant, assis tous deux ; elle sur une
causeuse; moi, sur des coussins, presque à ses pieds, et mon œil
sous Le sien. La rue était silencieuse. La lampe jetait une clarté
douce. C'était une de ces soirées délicieuses à l’âme, un de ces
moments qui ne s’oublient jamais, une de ces heures passées
dans la paix et le désir, et dont, plus tard, le charme est toujours
un sujet de regret, même quand nous nous trouvons plus
heureux. Qui peut effacer la vive empreinte des premières
sollicitations de l'amour ? x SYM. La Femme-Reine et le
narraleur-sujet («presque à ses pieds et mon œil sous le sien»). Le
décor (bon feu, silence, meubles confortables, clarté douce) est
ambivalent : il vaut aussi bien pour la narration d’une bonne
histoire que pour une soirée d'amour. xx REF. Code de la Passion,
du Regret, etc.
(RO
Si À Z
1" 92
S'# 5
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S 4 Z
avait été posée : Sarrasine, qu'est-ce que c'est que cela ? I est
maintenant répondu à cette question (HER. Enigme 1: réponse).
xx SYM. Le père et le fils : Antithèse : A : le fils béni (il sera maudit
au n° 168). L’antithèse correspond à un code culturel : à Père
magistrat, Fils artiste : par cette inversion se dissolvent les sociétés.
+xxx Dans ce roman familial, une place est vide : celle de la mère
(SYM. Le père et le fils : la mère absente).
{ 9 4
S / Z
ON
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1 9 6
XLI. Le nom propre
On parle ici, parfois, de Sarrasine comme s’il existait, comme
s’il avait un avenir, un inconscient, une âme; mais ce dont on
parle, c’est de sa figure (réseau impersonnel de symboles manié
sous le nom propre de Sarrasine), non de sa personne (liberté
morale douée de mobiles et d’un trop-plein de sens) : on déve-
loppe des connotations, on ne poursuit pas des investigations ;
on ne cherche pas la vérité de Sarrasine, mais la systématique
d’un lieu (transitoire) du texte : on marque ce lieu (sous le nom
de Sarrasine) pour qu’il entre dans les alibis de l’opératoire nar-
ratif, dans le réseau indécidable des sens, dans le pluriel des
codes. En reprenant au discours le nom propre de son héros, on
ne fait que suivre la nature économique du Nom: en régime
romanesque (ailleurs aussi ?), c’est un instrument d'échange : il
permet de substituer une unité nominale à une collection de traits
en posant un rapport d'équivalence entre le signe et la somme :
c’est un artifice de calcul qui fait qu’à prix égal la marchandise
condensée est préférable à la marchandise volumineuse. Seule-
ment la fonction économique (substitutive, sémantique) du Nom
est déclarée avec plus ou moins de franchise. D’où la variété des
codes patronymiques. Appeler, comme Furetière, des person-
nages Javotte, Nicodème, Belastre, c’est (sans s’abstraire com-
plètement d’un certain code mi-bourgeois, mi-classique) accen-
tuer la fonction structurale du Nom, déclarer son arbitraire, le
dépersonnaliser, accepter la monnaie du Nom comme pure ins-
titution. Dire Sarrasine, Rochefide, Lanty, Zambinella (sans même
parler de Bouchardon, qui a existé), c’est prétendre que le sub-
stitut patronymique est plein d’une personne (civile, nationale,
sociale), c’est exiger que la monnaie appellative soit en or (et
non laissée au gré des conventions). Toute subversion, ou toute
soumission romanesque commence donc par le Nom Propre : si
précise — si bien précisée — que soit la situation sociale du nar-
rateur proustien, son absence de nom, périlleusement entrete-
nue, provoque une déflation capitale de l'illusion réaliste : le je
proustien lui-même n’est plus un nom (contrairement à la nature
substantive du pronom romanesque, XXVIII), car il est miné,
défait par des disturbances d’âge, il perd par brouillage son temps
biographique. Ce qui est caduc aujourd’hui dans le roman, ce
n’est pas le romanesque, c’est le personnage ; ce qui ne peut plus
être écrit, c’est le Nom Propre.
SIT
1 09 43
S/1Z
19080
S # Z
D 01 À
S 4 Z
XLV. La dépréciation
Commencer une liaison /annoncer sa fin/la finir : Vasyndète
signifie la brièveté dérisoire de l’aventure (alors que d’ordinaire
la «liaison » s’offre à mille gonflements et incises romanesques).
Au fond, par sa structure même (cette structure qui se voit bien
dans la simplicité même de la séquence « Liaison»), le proaïré-
tisme déprécie comparativement le langage («agir », dit-on, est
mieux que «parler »): une fois ramené à son essence proaïré-
tique, l’opératoire met en dérision le symbolique, il lexpédie. Par
lasyndète des énoncés de comportements, l’action humaine est
trivialisée, réduite à un horizon de stimulus et de réponses, le
sexuel est mécanisé, annulé. Ainsi, par la seule forme de sa
séquence, la liaison de Sarrasine et de Clotilde maintient le sculp-
teur loin du sexe : le proaïrétisme, lorsqu'il est réduit à ses termes
essentiels, comme autant de couteaux (les couteaux de l’asyn-
dète), devient lui-même un instrument castrateur, appliqué par
le discours à Sarrasine.
XLVTI. La complétude
Partir/voyager/arriver/rester : le voyage est saturé. Finir, rem-
plir, joindre, unifier, on dirait que c’est là l’exigence fondamen-
tale du lisible, comme si une peur obsessionnelle le saisissait :
celle d’omettre une jointure. C’est la peur de l’oubli qui engendre
l'apparence d’une logique des actions : les termes et leur liaison
sont posés (inventés) de façon à se rejoindre, à se redoubler, à
créer une illusion de continu. Le plein génère le dessin qui est
censé l’«exprimer », et le dessin appelle le complément, le colo-
riage : on dirait que le lisible a horreur du vide. Que serait le
récit d’un voyage où il serait dit que l’on reste sans être arrivé,
que l’on voyage sans être parti, — où il ne serait jamais dit qu’étant
parti, on arrive ou n’arrive pas ? Ce récit serait un scandale, l’ex-
ténuation, par hémorragie, de la lisibilité.
(201) /1 avait déjà passé quinze jours dans l’état d’extase qui
saisit toutes les jeunes imaginations à l’aspect de la reine des
ruines, x REF. la Rome antique. xx REF, Chronologie. (Cette
notation — quinze jours — S'accordera rétroactivement avec
l'ignorance du sculpteur à l'égard de la langue italienne et des
mœurs de Rome : ignorance capitale pour toute lhistoire,
puisqu'elle soutient tout le leurre dont Sarrasine est entouré — et
s’entoure — au sujet du sexe de la Zambinella.)
2106
S { Z
XLVTI. S/Z
SarraSine : conformément aux habitudes de l’onomastique
française, on attendrait SarraZine: passant au patronyme du
sujet, le Z est donc tombé dans quelque trappe. Or Z est la lettre
de la mutilation : phonétiquement, Z est cinglant à la façon d’un
fouet châtieur, d’un insecte érinnyque ; graphiquement, jeté par
la main, en écharpe, à travers la blancheur égale de la page,
parmi les rondeurs de l’alphabet, comme un tranchant oblique
et illégal, il coupe, il barre, il zèbre ; d’un point de vue balzacien,
ce Z (qui est dans le nom de Balzac) est la lettre de la déviance
(voir la nouvelle Z. Marcas) ; enfin, icimême, Z est la lettre inau-
gurale de la Zambinella, l’initiale de la castration, en sorte que
par cette faute d’orthographe, installée au cœur de son nom, au
centre de son corps, Sarrasine reçoit le Z zambinellien selon sa
véritable nature, qui est la blessure du manque. De plus, S et Z
sont dans un rapport d’inversion graphique : c’est la même lettre,
vue de l’autre côté du miroir : Sarrasine contemple en Zambi-
nella sa propre castration. Aussi la barre (/) qui oppose le S de
SarraSine et le Z de Zambinella a-t-elle une fonction panique:
c’est la barre de censure, la surface spéculaire, le mur de l’hal-
lucination, le tranchant de l’antithèse, l’abstraction de la limite,
l’oblicité du signifiant, l’index du paradigme, donc du sens.
DOM
S'YNZ
2 0 8
S /2Z
AIX La voir
La musique italienne, objet bien défini historiquement, cul-
turellement, mythiquement (Rousseau, Glückistes et Piccinistes,
Stendhal, etc.) connote un art « sensuel », un art de la voix. Sub-
stance érotique, la voix italienne était produite dénégativement
(selon une inversion proprement symbolique) par des chanteurs
sans sexe : ce renversement est logique (« Cette voix d’ange, cette
voix délicate eût été un contre-sens, si elle fût sortie d’un corps
autre que le tien», dit Sarrasine à la Zambinella, au n° 445),
comme si, par une hypertrophie sélective, la densité du sexe
dût quitter le reste du corps et se réfugier dans le gosier, drai-
nant sur son passage tout le lié de l’organisme. Ainsi, sorti du
corps châtré, un délire follement érotique se reverse sur ce
corps : les castrats-vedettes sont applaudis par des salles hys-
tériques, les femmes en tombent amoureuses, portent leurs por-
traits «un à chaque bras, un au cou suspendu à une chaîne d’or,
et deux sur les boucles de chaque soulier » (Stendhal). La qua-
lité érotique de cette musique (attachée à sa nature vocale) est
ici définie : c’est le pouvoir de lubrification; le lié, c’est ce qui
appartient en propre à la voix ; le modèle du lubrifié, c’est l’or-
ganique, le «vivant », en un mot la liqueur séminale (la musique
italienne «inonde de plaisir ») ; le chant (trait négligé de la plu-
part des esthétiques) a quelque chose de cénesthésique, il est
lié moins à une «impression» qu’à un sensualisme interne,
209
S / Z
(215) Son âme passa dans ses oreilles et dans ses yeux. Il crut
écouter par chacun de ses pores. x ACT. « Séduction » : 2 :
extraversion (la «sortie » du corps vers l’objet de son désir est
d'ordre pré-hallucinatoire : le mur — du réel — est traversé).
L. Le corps rassemblé
La perfection (vocale) de la jeune Marianina tenait à ce qu’elle
rassemblait dans un seul corps des qualités partielles ordinaire-
ment dispersées à travers des chanteuses différentes (n° 20). De
même la Zambinella aux yeux de Sarrasine : le sujet (hors l’épi-
sode insignifiant de Clotilde, XLV) ne connaît le corps féminin
que sous forme d’une division et d’une dissémination d’objets par-
tiels : une jambe, un sein, une épaule, un cou, des mains!. La
Femme coupée en morceaux, tel est l’objet offert aux amours de
Sarrasine. Partagée, écartée, la femme n’est qu’une sorte de dic-
tionnaire d’objets-fétiches. Ce corps déchiré, déchiqueté (on se
rappelle les jeux de l’enfant au collège), l'artiste (et c’est là le
sens de sa vocation) le rassemble en un corps total, corps d’amour
enfin descendu du ciel de l’art, en qui le fétichisme s’abolit et par
qui Sarrasine guérit. Cependant, sans que le sujet le sache encore
et bien que la femme enfin rassemblée soit là réellement devant
lui, proche à la toucher, ce corps sauveur reste un corps fictif, à
travers les louanges mêmes que Sarrasine lui adresse : son sta-
tut est celui d’une création (c’est l’œuvre de Pygmalion « descen-
LIT. Le chef-d'œuvre
Le corps zambinellien est un corps réel; mais ce corps réel
n’est total (glorieux, miraculeux) que pour autant qu’il descend
d’un corps déjà écrit par la statuaire (la Grèce Antique, Pygma-
DL 16
C7
lion) ; il est lui aussi (comme les autres corps de Sarrasine) une
réplique, issue d’un code. Ce code est infini, puisqu'il est écrit.
Il arrive cependant que la chaîne duplicative asserte son origine
et que le Code se déclare fondé, arrêté, buté. Cette origine, cet
arrêt, cette butée du Code, c’est le chef d'œuvre. D'abord présenté
comme un rassemblement inouï de parties dispersées, comme
le concept induit d’un grand nombre d’expériences, le chef-
d'œuvre est en fait, selon l’esthétique sarrasinienne, ce dont des-
cend la statue vivante ; par le chef-d'œuvre, l'écriture des corps
est enfin pourvue d’un terme qui est en même temps son ori-
gine. Découvrir le corps de la Zambinella, c’est donc faire ces-
ser l’infini des codes, trouver enfin l’origine (l'original) des
copies, fixer le départ de la culture, assigner aux performances
leur supplément («plus qu'une femme ») ; dans le corps zambi-
nellien comme chef-d'œuvre, coïncident théologiquement le
référent (ce corps réel qu’il faudra copier, exprimer, signifier)
et la Référence (le commencement qui met fin à l'infini de lécri-
ture et conséquemment la fonde).
2 1 4
SZ
22100
SZ
C2
S/2Z
(249) il alla s’asseoir sur les marches d’une église. Là, le dos
appuyé contre une colonne, il se perdit dans une méditation
confuse comme un rêve. La passion l’avait foudroyé.
x ACT. «Plaisir » : 11: récupérer. La récupération peut se lire selon
des codes divers : psychologique (lesprit reprend ses droits),
chrétien (tristesse de la chair, refuge auprès d’une église),
psychanalytique (retour à la colonne-phallus), trivial (repos post
coïtum).
LIT. L’euphémisme
Voici une certaine histoire de Sarrasine: il entre au théâtre;
la beauté, la voix et l’art de la vedette le ravissent; il sort de la
salle bouleversé, décidé à renouveler l’enchantement du premier
D ANT
S) 7
DA
S À Z
2, 9° 0
S / Z
(259) Puis, comme tous les jeunes gens dont l’âme est
puissante, x REF. Psychologie des âges.
29; A
SZ
(266) malgré les voiles, les jupes, Les corsets et les nœuds de
rubans qui la lui dérobaient. x SYM. Le déshabillage.
2, 202
SD TE
DD ES
S 7 Z
2 2 4
S /Z
LIT. L'arbre
Parfois, au fil de l’énonciation, le code rhétorique vient se
superposer au code proaïrétique : la séquence égrène ses actions
(décider/dessiner/louer une loge/faire une pause/interrompre l’en-
treprise), mais le discours y fait bourgeonner des expansions
logiques : un genre nominal (l’hallucination amoureuse) se mon-
naye en conduites spéciales (le soir/le matin), qui, à leur tour, se
reprennent en résultat, alibi ou résumé. Partant de la nomina-
D DS
SAT
9 10
ouïe vue
ma 8
le matin le soir
dessin FE Lac
romantique 6
dessin dessin annonce
académique fantasmatique nominale
] RÉ
GS nee ES 5 4 5
Poser Dessiner Louer Faire Interrompre
l’entreprise une loge une pause l’entreprise
tirs
Vouloir-aimer
Q
Le code rhétorique, si puissant dans le texte lisible, impose à
certains lieux de la séquence une sorte de bourgeonnement : le
terme est transformé en nœud ; un nom coiffe, pour l’annoncer ou
la résumer, une énumération qui sera, qui a été détaillée : la
pause en moments, le dessin en types, l’hallucination en organes
affectés. À travers une structure proprement aristotélicienne, le
discours oscille sans cesse entre le genre (nominal) et ses espèces
(proaïrétiques) : le lexique, en tant que système de noms géné-
riques et spéciaux, collabore fondamentalement à la structura-
tion. C’est en fait pour se l’approprier, car le sens est une force:
nommer, C’est assujettir, et plus la nomination est générique,
plus lassujettissement est fort. Lorsque le discours lui-même
parle d’hallucination (quitte ensuite à la monnayer), il commet le
même acte de violence que le mathématicien ou le logicien qui
dit : appelons P l’objet qui. ; soit P’ l’image que..., etc. Le discours
lisible est ainsi tissé de nominations pré-démonstratives qui assu-
rent la sujétion du texte — mais aussi peut-être provoquent la
nausée que soulève toute violence appropriative. Nous-mêmes,
en nommant la séquence (« Vouloir-aimer »), nous ne faisons que
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(505) l’enez.
Elle entraîna le Français dans plusieurs petites rues
*x ACT. « Course » : 1: partir. xx ACT. « Course » : 2 : parcourir.
xxx REF. L'Italie ténébreuse et romanesque (les petites rues).
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2 5 6
LX. La casuistique du discours
La façon dont on accueille Sarrasine est assez affectueuse. C’est
là un curieux quantitatif : en réduisant le beaucoup ou le très, il
en rabat sur le positif lui-même : ces compliments assez affec-
tueux sont au fond un peu moins qu’affectueux, ou du moins
affectueux avec gêne et réticence. Cette réticence du discours
est l’effet d’un compromis : d’une part, les chanteurs doivent bien
accueillir Sarrasine afin de le berner et de faire ainsi progresser
la machination qu’ils ont montée (d’où les compliments affec-
tueux) ; d’autre part, cet accueil est une feinte que le discours
voudrait bien ne pas prendre à son compte — sans pouvoir cepen-
dant assumer son propre détachement, car ce serait dénoncer
trop tôt le mensonge des machinateurs et l’histoire perdrait son
suspense (d’où le : assez affectueux). Par où l’on voit que le dis-
cours essaye de mentir le moins possible : juste ce qu’il faut pour
assurer les intérêts de la lecture, c’est-à-dire sa propre survie.
Pris dans une civilisation de l’énigme, de la vérité et du déchif-
frement, le discours en vient à réinventer au niveau de sa propre
instance les accommodements moraux élaborés par cette civili-
sation: il y a une casuistique du discours.
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(558) L’ivresse était dans tous les yeux, dans la musique, dans
Les cœurs et dans les voix. Il déborda tout à coup une vivacité
enchanteresse, un abandon cordial, une bonhomie italienne
x ACT. « Orgie »: 8: s’'abandonner (annonce dénominative).
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S 4 Z
11: s'abandonner (3) : répandre du vin (ce geste n’est pas conforme
au Code de la Jeune Fille et cette incongruité double le signe du
désordre).
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(372) et sur la porte duquel il avait plus d’une fois tourné les
yeux. x ACT. « Rapt» : 4: avoir prémédité l'enlèvement.
2 4 6
Sr
(575) L'Italienne était armée d’un poignard.
- Si tu approches, dit-elle, je serai forcée de te plonger cette
arme dans le cœur. x ACT. « Rapt > : 5 : défense armée de la
victime. xx Ce que la Zambinella défend, ce n’est pas sa vertu, c’est
son mensonge; par là même, elle désigne la vérité et son geste vaut
pour un indice. Cependant Sarrasine attribue ce geste à un calcul
de courtisane, il se leurre lui-même : indice et aveuglement forment
une équivoque (HER. Enigme 6 : équivoque). xxx Le discours prête
son écriture à la Zambinella (je serai forcée) ; par la simple
obligation de lorthographe (l’accord du participe passé), il ne peut
faire autrement que de devenir complice de l’imposture
(HER. Enigme 6 : leurre, du discours au lecteur).
xxxx La Zambinella menace Sarrasine de le mutiler — ce qui
s’accomplira d’ailleurs pour finir :« Tu m'as ravalé jusqu’à toi»,
n° 526 (SYM. La castration, le couteau).
LXT. La «scène »
La Zambinella et Sarrasine échangent des répliques. Chaque
réplique est un leurre, un abus, et chaque abus prend sa justifi-
cation dans un code : à l'Honneur des Femmes répond la Typo-
logie des Femmes : on se jette des codes à la tête, et cette volée
de codes, c’est la « scène ». Ainsi apparaît la nature du sens : c’est
une force, qui tente de subjuguer d’autres forces, d’autres sens,
d’autres langages. La force du sens dépend de son degré de sys-
tématisation : le sens le plus fort est le sens dont la systématisa-
tion englobe un nombre élevé d'éléments, au point de paraître
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LXVIII. La tresse
A ce point du récit (ce pourrait être à un autre), plusieurs
actions restent engagées en même temps: le «danger» couru
par la Zambinella, le «vouloir-mourir » du héros, sa « déclara-
tion d’amour » à sa maîtresse, leur «promenade amoureuse », la
«machination » et l’« excursion » du groupe courent toujours, sus-
pendus et entrelacés. Le texte, pendant qu’il se fait, est semblable
à une dentelle de Valenciennes qui naîtrait devant nous sous les
doigts de la dentellière : chaque séquence engagée pend comme
le fuseau provisoirement inactif qui attend pendant que son voi-
sin travaille ;puis, quand son tour vient, la main reprend le fil,
le ramène sur le tambour; et au fur et à mesure que le dessin
se remplit, chaque fil marque son avance par une épingle qui le
retient et que l’on déplace peu à peu: ainsi des termes de la
séquence : ce sont des positions occupées puis dépassées en vue
d’un investissement progressif du sens. Ce procès est valable pour
tout le texte. L’ensemble des codes, dès lors qu’ils sont pris dans
le travail, dans la marche de la lecture, constitue une tresse (terte,
tissu et tresse, c’est la même chose); chaque fil, chaque code est
une voix; ces voix tressées — ou tressantes — forment l’écriture :
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SU
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(407) Je puis être un ami dévoué pour vous, car j’admire votre
force et votre caractère. J'ai besoin d’un frère, d’un protecteur.
Soyez tout cela pour moi, x ACT. « Déclaration » : 7 : réduction de
l'amour à l’amitié. xx SYM. Protection asexuée (désignant sous
lalibi sublime la carence du sexe). xxx Zambinella, un ami?
Puisque le mot admet un féminin (une amie), il y a choix et le
masculin révèle le travesti. Ce dévoilement est cependant sans
véritable effet sur la lecture : le mot dénonciateur est emporté dans
la généralité fade de la phrase, cautionné par un stéréotype proche
(être un ami dévoué), et de la sorte gommé (HER. Enigme 6 :
dévoilement, de la Zambinella à Sarrasine).
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(420) /V’ai-je pas, depuis dix jours, dévoré, scruté, admiré tes
perfections ? x REF. Chronologie (ce repère est à peu près exact:
une soirée au théâtre, huit jours sur le sofa, puis tout de suite le
rendez-vous de la duègne, l’orgie, l’excursion). xx Sarrasine définit
la nature — ou l’origine — de son admiration pour la Zambinella, en
rapport avec un sème qui lui a déjà été appliqué (n° 162) et qui est
son goût du déchiquetage, du pétrissage, de ce qu’il faudrait
pouvoir appeler, si l’on voulait saisir la forme de ce mouvement, le
Jorage, l'impulsion de percée, sorte d'énergie endoscopique qui,
écartant les voiles, les vêtements, va chercher dans l’objet son
essence intérieure. Scruter veut dire, à la lettre, fouiller, sonder,
visiter, explorer : en scrutant la Zambinella (pendant dix jours),
Sarrasine a exercé une triple fonction : névrotique, puisqu’il a
répété un geste de son enfance (n° 162) ; esthétique (c’est-à-dire
pour lui fondatrice d’être), puisque l'artiste, et spécifiquement le
sculpteur, est celui qui authentifie la copie de l’apparence par la
connaissance de l’intérieur, du dessous ; symbolique enfin, - ou
fatale, ou encore : dérisoire —, puisque cette fouille, dont Sarrasine
expose le produit triomphant (la féminité de la Zambinella), si elle
était conduite plus loin, ramènerait en définitive au jour le rien dont
est fait le castrat, en sorte que ce rien découvert, c’est la science
même de l’artiste qui sera mise en échec, et la statue détruite
(SEM. Déchiquetage).
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(450) II était la proie d’une sourde rage qui lui pressait Le cœur.
Il ne pouvait que regarder cette femme extraordinaire avec des
yeux enflammés qui brûlaient. Cette voix empreinte de faiblesse,
l'attitude, les manières et les gestes de la Zambinella, marqués de
tristesse, de mélancolie et de découragement, réveillaient dans
son âme toutes les richesses de la passion. Chaque parole était un
aiguillon. x Cette configuration sadique a ici deux fonctions ;d’une
part, à court terme, la pulsion dispense le sujet de percevoir la vérité
que lui tend son partenaire et de répondre au congé qui lui est
2 GNT
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(458) mais elle fut remplie par une foule d’incidents qui lui
dévoilèrent la coguetterie, la faiblesse, La mignardise de cette
âme molle et sans énergie. x SEM. Pusillanimité, Féminité.
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mais si vous m'aimez ou si vous êtes sage, vous n’y viendrez plus.
x ACT. « Déclaration » : 17 : congé définitif.
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(466) — C’est sans doute par égard pour les cardinaux, les
évêques et les abbés qui sont ici, demanda Sarrasine, qu’elle est
habillée en homme, qu’elle a une bourse derrière la tête, les
cheveux crêpés et une épée au côté ? x L’énigme de la Zambinella
est tout entière située entre deux vêtements : en femme (n° 525) et
en homme (ici). Le vêtement apparaît (ou apparaissait) comme la
preuve péremptoire du sexe ;cependant Sarrasine, obstiné à
préserver coûte que coûte son leurre, espère ruiner le fait en
disputant du mobile (HER. Enigme 6 : leurre, de Sarrasine à lui-
même). xx La féminité de la Zambinella est désormais « citée »
(elle) : personne, semble-t-il, ne peut plus l’assumer. Cependant
l’origine de cette citation reste énigmatique : est-ce le discours qui
souligne? Est-ce Sarrasine qui met de lemphase dans la
prononciation du pronom ? (HER. Enigme 6 : déchiffrement).
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(475) car Le musico finit par tourner les yeux vers Sarrasine,
x ACT, « Incident » : 2 : attention éveillée. xx REF. L’Italianité (le
discours ne met plus désormais Zambinella au féminin).
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(496) Fers minuit, après avoir erré dans les salons en homme
qui cherche un ennemi, x REF. Chronologie (vers minuit, c’est-à-
dire le soir du concert). xx ACT. « Danger » : 10 :méfiance
subsistante. La séquence « Danger » va désormais faire place à la
séquence « Menace », qui aura pour lieu latelier où Zambinella est
prisonnier de Sarrasine. Bien que ces deux proaïrétismes soient très
proches, ils ne comportent pas le même ordre. Le Danger est ici
constitué par une série de prémonitions ou de réactions à des
incidents répétés ; la Menace est une séquence construite selon le
dessin d’une crise, le Danger pourrait être une série ouverte,
infinie ;ia Menace est une structure fermée, appelant une fin.
Cependant, il y a un rapport structural entre les deux séquences : la
dispersion des termes du Danger a pour fonction de marquer l’objet
de la menace : désigné depuis longtemps comme victime,
Zambinella peut alors entrer dans la crise de la Menace.
Lie] 8 2
Sr
(518) mais.
Sarrasine fit un geste de dégoût x SYM. Tabou sur le nom de
castrat. xx SYM. Horreur, malédiction, exclusion.
LXNXII Glissando
Deux codes mis côte à côte dans une même phrase : cette opé-
ration, artifice courant du lisible, n’est pas indifférente : coulés dans
une même unité linguistique, les deux codes y nouent un lien appa-
remment naturel; cette nature (qui est simplement celle d’une syn-
taxe millénaire) s’accomplit chaque fois que le discours peut ame-
ner un rapport élégant (au sens mathématique : une solution
élégante) entre deux codes. Cette élégance tient dans une sorte
de glissando causal, qui permet de joindre le fait symbolique et
le fait proaïrétique, par exemple, à travers le continu d’une seule
phrase. Ainsi articule-t-on le dégoût du castrat (terme symbolique)
et la destruction de la statue (terme proaïrétique) par toute une
chaîne glissée de menues causalités serrées les unes contre les
autres, comme les grains d’un fil apparemment lisse : l° Sarrasine
est dégoûté par la vue du castrat, 2° le dégoût lui fait fuir cette
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LAXAIII. La pandémie
La castration est contagieuse, elle touche tout ce qu’elle
approche (elle touchera Sarrasine, le narrateur, la jeune femme,
le récit, l’or) : telle est l’une des « démonstrations » de Sarrasine.
Ainsi de la statue : si elle est «illusion », ce n’est pas parce qu’elle
copie par des moyens artificiels un objet réel dont elle ne peut
avoir la matérialité (proposition banale), mais parce que cet objet
(la Zambinella) est vide. L’œuvre «réaliste » doit être garantie
par la vérité intégrale du modèle, qui doit être connu de Partiste
copieur jusqu’en ses dessous (on connaît la fonction du désha-
billage chez le sculpteur Sarrasine); dans le cas de la Zambi-
nella, le creux intérieur de toute statue (qui attire sans doute
bien des amateurs de statuaire et donne tout son contexte sym-
bolique à l’iconoclastie) reproduit le manque central du castrat :
la statue est ironiquement vraie, dramatiquement indigne : le vide
du modèle a envahi la copie, lui communiquant son sens d’hor-
reur : la statue a été touchée par la force métonymique de la cas-
tration. On comprend qu’à cette contagion, le sujet oppose le rêve
d’une métonymie inverse, heureuse, salvatrice : celle de l'essence
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(529) Toi qui ne peux donner la vie à rien, x SYM. Réplique des
Corps.
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XCI. La modification
Un homme amoureux, profitant de la curiosité manifestée par
sa maîtresse pour un vieillard énigmatique et un portrait mys-
térieux, lui propose un contrat : la vérité contre une nuit d’amour,
un récit contre un corps. La jeune femme, après avoir essayé de
se dérober par quelque marchandage, accepte : le récit com-
mence ; mais il se trouve que c’est la relation d’un mal terrible,
animé d’une force irrésistible de contagion; porté par le récit
lui-même, ce mal finit par toucher la belle écouteuse et, la reti-
rant de l’amour, la détourne d’honorer son contrat. L’amoureux,
pris à son propre piège, est rebuté : on ne raconte pas impuné-
ment une histoire de castration. — Cette fable nous apprend que
la narration (objet) modifie la narration (acte): le message est
lié paramétriquement à sa performance ; il n’y a pas d’un côté
des énoncés et de l’autre des énonciations. Raconter est un acte
responsable et marchand (n’est-ce pas la même chose ? ne s’agit-
il pas dans les deux cas de peser ?), dont le sort (la virtualité
de transformation) est en quelque sorte indexé sur le prix de la
marchandise, sur l’objet du récit. Cet objet n’est donc pas der-
nier, il n’est pas le but, le terme, la fin de la narration (Sarra-
sine n’est pas une «histoire de castrat »): comme sens, le sujet
de l’anecdote recèle une force récurrente qui revient sur la parole
et démystifie, désole l’innocence de son émission: ce qui est
raconté, c’est le «raconter ». Finalement, il n’y a pas d’objet du
récit : le récit ne traite que de lui-même : Le récit se raconte.
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Sir/07,
(559) La vertu seule y est sans autels. Oui, les âmes pures ont
une patrie dans le ciel! x SYM. Alibi sublime de la castration (le
Ciel justifiera les castrats que nous sommes devenus). xx REF. Code
moral (la vertu n’est pas de ce monde).
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(Je crois, lui dis-je, que cet Adonis représente un... un... un
parent de madame de Lantry.
P1J'eus la douleur de la voir abîmée dans la contemplation de
cette figure. Elle s’assit en silence, je me mis auprès d’elle et lui
pris la main sans qu’elle s’en aperçût! Oublié par un portrait!
l2En ce moment le bruit léger des pas d’une femme dont la robe
frémissait retentit dans le silence. Nous vîmes entrer la jeune
Marianina, plus brillante encore par son expression d’innocence
que par sa grâce et par sa fraîche toilette; elle marchait alors
lentement, et tenait avec un soin maternel, avec une filiale solli-
citude le spectre habillé qui nous avait fait fuir du salon de
musique ; !?*elle Le conduisit en le regardant avec une espèce d’in-
quiétude posant lentement ses pieds débiles. ‘Tous deux, ils arri-
vèrent assez péniblement à une porte cachée dans la tenture.
26Là, Marianina frappa doucement. ?7Aussitôt apparut, comme
par magie, un grand homme sec, espèce de génie familier. ?8Avant
de confier Le vieillard à ce gardien mystérieux, l?°la jeune enfant
baisa respectueusement le cadavre ambulant, et sa chaste caresse
ne fut pas exempte de cette câlinerie gracieuse dont le secret
appartient à quelques femmes privilégiées.
150Addio, addio! disait-elle avec les inflexions les plus jolies
de sa jeune voix.
151£1le ajouta même sur La dernière syllabe une roulade admi-
rablement bien exécutée, mais à voix basse, et comme pour
peindre l’effusion de son cœur par une expression poétique. 5? Le
vieillard, frappé subitement par quelque souvenir, resta sur le
seuil de ce réduit secret. Nous entendimes alors, grâce à un pro-
fond silence, le soupir lourd qui sortit de sa poitrine; ‘SIL tira la
plus belle des bagues dont ses doigts de squelette étaient chargés
et La plaça dans le sein de Marianina. La jeune folle se mit à
rire, reprit La bague, la glissa par-dessus son gant à l’un de ses
doigts, et s’élança vivement vers le salon, où retentirent en ce
moment les préludes d’une contredanse. Elle nous aperçut.
— Ah! vous étiez là! dit-elle en rougissant.
Après nous avoir regardés comme pour nous interroger, elle
courut à son danseur avec l’insouciante pétulance de son âge.
— 158Qu'est-ce que cela veut dire ? me demanda ma jeune par-
tenaire. Est-ce son mari ? Je crois rêver. Où suis-je ?
— Vous!répondis-je, vous, madame, qui êtes exaltée et qui, com-
prenant si bien les émotions les plus imperceptibles, savez culti-
ver dans un cœur d'homme le plus délicat des sentiments, sans le
flétrir, sans le briser dès le premier jour, vous qui avez pitié des
peines du cœur, et qui à l'esprit d’une Parisienne joignez une âme
passionnée digne de l'Italie ou de l'Espagne...
EUR S
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Elle vit bien que mon langage était empreint d’une ironie amère ;
et, alors, sans avoir l’air d'y prendre garde, elle m'interrompit
pour dire:
- Oh! vous me faites à votre goût. Singulière tyrannie! Vous
voulez que je ne sois pas moi.
- Oh! je ne veux rien, m'écriai-je épouvanté de son attitude
sévère. {Au moins est-il vrai que vous aimez à entendre racon-
ter l’histoire de ces passions énergiques enfantées dans nos cœurs
par les ravissantes femmes du Midi ?
— Oui. Hé! bien ?
- Eh bien, j'irai demain soir chez vous vers neuf heures, et je
vous révélerai ce mystère.
I2Non, répondit-elle d’un air mutin, je veux l’apprendre sur-
le-champ.
— Vous ne m'avez pas encore donné le droit de vous obéir quand
vous dites : Je veux.
5En ce moment, répondit-elle avec une coquetterie déses-
pérante, j'ai le plus vif désir de connaître ce secret. Demain, je ne
vous écouterai peut-être pas...
IH Elle sourit, et nous nous séparâmes, elle toujours aussi fière,
aussi rude, et moi toujours aussi ridicule en ce moment que tou-
jours. Elle eut l’audace de valser avec un jeune aide de camp, et
je restai tour à tour fâché, boudeur, admirant, aimant, jaloux.
54 demain, me dit-elle vers deux heures du matin, quand
elle sortit du bal.
H6Je n'irai pas, pensai-je et je t'abandonne. Tu es plus capri-
cieuse, plus fantasque mille fois peut-être. que mon imagination.
7Le lendemain, nous étions devant un bon feu, ‘Sdans un petit
salon élégant, assis tous deux, elle sur une causeuse, moi sur des
coussins, presque à ses pieds, et mon œil sous le sien. La rue était
silencieuse. La lampe jetait une clarté douce. C'était une de ces
soirées délicieuses à l'âme, un de ces moments qui ne s’oublient
jamais, une de ces heures passées dans la paix et le désir, et dont,
plus tard, le charme est toujours un sujet de regret, même quand
nous nous trouvons plus heureux. Qui peut effacer la vive
empreinte des premières sollicitations de l’amour ?
9A/lons, dit-elle, j'écoute.
150Mais je n'ose commencer. L'aventure a des passages dan-
gereux pour le narrateur. Si je m'enthousiasme, vous me ferez
laire.
151 Parlez.
152 J'obéis.
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512Je n'ai consenti à vous tromper que pour plaire à mes cama-
rades, qui voulaient rire.
515Rire! répondit le sculpteur d’une voix qui eut un éclat
infernal. Rire, rire! Tu as osé te jouer d’une passion d'homme, toi ?
- 5HOR! grâce! répliqua Zambinella.
- 515Je devrais te faire mourir! cria Sarrasine en tirant son
épée par un mouvement de violence. 5'5Mais, reprit-il avec un
dédain froid, °'’en fouillant ton être avec cette lame, y trouve-
rais-je un sentiment à éteindre, une vengeance à satisfaire ? Tu
n’es rien. Homme ou femme, je te tuerais ! °'Smais.
Sarrasine fit un geste de dégoût ‘qui l’obligea de détourner
sa tête, et alors il regarda la statue.
520E1 c’est une illusion! s’écria-t-il. Puis, se tournant vers
Zambinella : « Un cœur de femme était pour moi un asile, une
patrie. As-tu des sœurs qui te ressemblent ? Non. 5°°Eh bien,
meurs! °5%Mais non, tu vivras. Te laisser la vie, n’est-ce pas te
vouer à quelque chose de pire que la mort ? °’*Ce n’est ni mon
sang ni mon existence que je regrette, mais l’avenir et ma for-
tune de cœur. Ta main débile a renversé mon bonheur. Quelle
espérance puis-je Le ravir pour toutes celles que tu as flétries ? Tu
m'as ravalé jusqu’à toi. Aimer, être aimé ! sont désormais des mots
vides de sens pour moi, comme pour toi. °6Sans cesse je penserai
à cette femme imaginaire en voyant une femme réelle. »
Il montra la statue par un geste de désespoir.
»7TJ’aurai toujours dans le souvenir une harpie céleste qui
viendra enfoncer ses griffes dans tous mes sentiments d'homme,
et qui signera toutes les autres femmes d'un cachet d’imperfec-
tion. Monstre ! °"toi qui ne peux donner la vie à rien, tu m'as
dépeuplé la terre de toutes les femmes.
5lSarrasine s’assil en face du chanteur épouvanté. Deux
grosses larmes sortirent de ses yeux secs, roulèrent le long de ses
joues mâles et tombèrent à terre: deux larmes de rage, deux
larmes âcres et brûlantes.
92 Plus d'amour !Je suis mort à tout plaisir, à toutes Les émo-
tions humaines.
954 ces mots, il saisit un marteau et le lança sur la statue avec
une force si extravagante, qu’il la manqua. Il crut avoir détruit
ce monument de sa folie, Set alors il reprit son épée et la bran-
dit pour tuer le chanteur. °Zambinella jeta des cris perçants.
VTEn ce moment trois hommes entrèrent, “Set soudain le sculp-
Leur tomba percé de trois coups de stylet.
5%De la part du cardinal Cicognara, dit l’un d’eux.
#0C’est un bienfait digne d’un chrétien, répondit le Français en
expirant. "Ces sombres émissaires °?apprirent à Zambinella l’in-
Q1 3a 0
SYÆ
5 69
S / Z
5 & 5
S 4 Z
Table raisonnée
1. Le lisible
1. La Typologie I : l'évaluation
a. Pas de critique sans une typologie des textes (1).
b. Fondement de la typologie : la pratique de l'écriture : le texte
scriptible. Pourquoi le scriptible est la première valeur : le
lecteur comme producteur du texte (1).
C. La valeur réactive du scriptible : le lisible, le classique (1).
2. La Typologie Il : l'interprétation
«a. Comment différencier la masse des textes lisibles:
l'appréciation du pluriel du texte (ID).
L’instrument approprié de cette appréciation : la connotation;
sans en être dupe, il faut continuer à la distinguer de la
dénotation (I, IV).
Le texte classique comme pluriel, mais pluriel parcimonieux
(LD).
3. La Méthode I: conditions d'attention au pluriel
a. Accepter comme «preuve » de la lecture son pouvoir de
systématisation (V). Seconde et première lecture (IX),
reversion des lectures sur le texte (LXXD.
b. Admettre que l'oubli des sens constitue la lecture (il n’y a pas
de « somme » du texte) (V).
Analyser un texte unique (VD); cette analyse a valeur
théorique (VD); elle permet de dissiper l'illusion que dans un
texte il y a de linsignifiant et que la structure n’est qu'un
«dessin » (VI, XXID).
Se déplacer pas à pas le long du texte tuteur, quitte à l’étoiler
de digressions, qui sont marques du pluriel inter-textuel (VI).
Ne pas chercher à établir une structure profonde et dernière
du texte (VI), ni à reconstituer le paradigme de chaque code;
viser des structures multiples, en fuite (XI, XID) ; préférer la
SN)
S / Z
6. Le Champ symbolique
a. Le corps, lieu du sens, du sexe et de l'argent : d’où le privilège
critique apparemment accordé au champ symbolique (XCID.
b. Réversibilités : le sujet est perfusé dans le texte (LXX); on
peut accéder au champ symbolique par trois entrées, sans
préséance (XCID).
c. l’entrée rhétorique (le sens) : l'Antithèse (XIV) et ses
transgressions : le supplément (XIV), la conflagration
paradigmatique (XXVII, XLVII, LXXIX).
d. L’entrée poétique (la création, le sexe) : 1. Le corps lubrifié
6308
S, AZ
7. Le Texte
Le texte comme tresse, tissu des voix, des codes (LX VII) :
stéréophonie (VIII, XV) et polytonalité (XV).
III. Le pluriel
1. Le pluriel du texte dans son amplitude
Le pluriel triomphant (IH, V). Le pluriel modeste (VD) et son
diagramme : la partition (XV).
2. Déterminations réductives
a. Solidarités : tenue (LX VI), sur-détermination (LXXVI),
dispersion cohérente (XII).
b. Plénitudes : compléter, clore, prédiquer, conclure (XXII, XX VI,
XXXII, XLVI, LIV, LXXIID) ; remplir le sens, l’art (LXXXIV);
redonder (XXXIV) ;penser (XCIII). Le personnage comme
illusion de plénitude : le Nom Propre (XXVII, XLI, LXXXI); le
personnage comme effet de réel (XLIV) ; le personnage sur-
déterminé par ses mobiles (LVIID). Plénitude, écœurement,
démodé (XLI, LXXX VIT.
Fermetures : l'écriture classique met fin prématurément au
décrochage des codes (LIX) ; rôle insuffisant de Pironie (XXI).
Les codes herméneutique et proaïrétique, agents réducteurs
du pluriel (XV).
OE
4. La Performance
Quelques réussites du narrateur classique : bonne distance
syntagmatique entre les sèmes affinitaires (XID),
indécidabilité des sens, confusion de l’opératoire et du
symbolique (XXXIII, LXX), l’expliquant expliqué (LXXIV), la
métaphore ludique (XXIV).
3 4 O
« Un peu plus, un peu moins, tout homme est suspendu aux récits,
aux romans, qui lui révèlent la vérité multiple de la vie. Seuls ces récits,
lus parfois dans les transes, le situent devant le destin. Nous devons donc
chercher passionnément ce que peuvent être des récits.
Comment orienter l'effort par lequel le roman se renouvelle, ou mieux
se perpétue.
Le souci de techniques différentes, qui remédient à la satiété des formes
à
sus. connues, occupe en effet les esprits. Mais je m'explique mal si nous vou-
lons savoir ce qu’un roman peut être — qu'un fondement ne soit pas
d’abord aperçu et bien marqué. Le récit qui révèle les possibilités de la
vie n'appelle pas forcément, mais il révèle un moment de rage, sans lequel
son auteur serait aveugle à ces possibilités excessives. Je le crois : seule
l'épreuve suffocante, impossible, donne à l’auteur le moyen d'atteindre
la vision lointaine attendue par un lecteur las des proches limites impo-
sées par les conventions.
Comment nous attarder à des livres auxquels, sensiblement, l’auteur
n'a pas élé contraint?
J'ai voulu formuler ce principe. Je renonce à le justifier.
Je me borne à donner des litres qui répondent à mon affirmation
(quelques titres. j'en pourrais donner d’autres, mais le désordre est la
mesure de mon intention) : Wuthering Heights, Le Procès, La Recherche
du temps perdu, Le Rouge et le Noir, Eugénie de Franval, I’Arrêt de
mort, Sarrazine (sic), L’Idiot...'»
Georges Bataille, Le Bleu du ciel,
J.-J. Pauvert, 1957; avant-propos, p. 7.
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I. L’évaluation
I. L'interprétation
IT. La connotation : contre
IV. Pour la connotation, tout de même
V. La lecture, loubli
VI. Pas à pas
VIT. Le texte étoilé
VIIT. Le texte brisé
IX. Combien de lectures?
X. Sarrasine
XI. Les cinq codes
XII. Le tissu des voix
XII. Citar
XIV. L’Antithèse I: le supplément
XV. La partition
XVI. La beauté
XVII. Le camp de la castration
XVIIL. Postérité du castrat
XIX. L'indice, le signe, l’argent
XX. Le jading des voix
XXI. L’ironie, la parodie
XXIL. Des actions très naturelles
XXIIT. Le modèle de la peinture
XXIV. La transformation comme jeu
XXV. Le portrait
XX VI. Signifié et vérité
XXVII. L’Antithèse IT: le mariage
XXVIIT. Personnage et figure
XXIX. La lampe d’albâtre
XXX. Au-delà et en deçà 178
XXXI. La réplique troublée 180
XXXII. Le retard 181
XXXIIL. Et/ou 182
XXXIV. Le babil du sens 184
XXXV. Le réel, l’opérable 185
XXXVI. Le pli, le dépli 186
XXXVII. La phrase herméneutique 188
XXXVIIL. Les récits-contrats 192
XXXIX. Ceci n’est pas une explication
de texte 193
XL. Naissance du thématique
XLI. Le nom propre
XLII. Codes de classe
XLIIT. La transformation stylistique
XLIV. Le personnage historique
XLV. La dépréciation
XLVI. La complétude
XLVIL S/Z
XLVIIT. L’énigme informulée
XLIX. La voix
L. Le corps rassemblé
LI. Le blason
LIT. Le chef-d'œuvre
LIIT. L’euphémisme
LIV. Derrière, plus loin
LV. Le langage comme nature
LVI. L'arbre
LVII. Les lignes de destination
LVIIL. L'intérêt de l’histoire
LIX. Trois codes ensemble
LX. La casuistique du discours
LXI. La preuve narcissique
LXII. L’équivoque I: la double entente
LXIIT. La preuve psychologique
LXIV. La voix du lecteur
LXV.
La «scène »
LXVI. Le lisible I: «Tout se tient »
LXVIT. Comment est faite une orgie
LXVIIT. La tresse
LXIX. L’équivoque IT: le mensonge
métonymique
LXX. Castrature et castration
LXXI. Le baiser reversé
LXXIL La preuve esthétique
LXXIIT. Le signifié comme conclusion
LXXIV. La maîtrise du sens
LXXV. La déclaration d’amour
LXXVI. Le personnage et le discours
LXX VII Le lisible IT:
déterminé/déterminant
LXXVIIL. Mourir d’ignorance
LXXIX. Avant la castration
LXXX. Dénouement et dévoilement
LXXXI. Voix de la personne
LXXXIL Glissando
LXXXIIT. La pandémie
LXXXIV. Pleine littérature
LXXXV. La réplique interrompue
LXXXVI. Voix de l’empirie
LXXXVII. Voix de la science
LXXXVIIT. De la sculpture à la peinture
LXXXIX. Voix de la vérité
XC. Le texte balzacien
XCI. La modification
XCII. Les trois entrées
XCIIT. Le texte pensif
ANNEXES
1. Sarrasine, de Balzac
2. Les suites d’actions 65?
3. Table raisonnée 336
Pourquoi le Japon ? parce que c’est le pays de
l'écriture : de tous les pays que l’auteur a pu
connaître, le Japon est celui où il a rencontré le
travail du signe le plus proche de ses
convictions et de ses fantasmes, ou,
si l’on préfère, le plus éloigné des dégoûts, des
irritations et des refus que suscite en lui la
sémiocratie occidentale. Le signe japonais est
fort : admirablement réglé, agencé, affiché,
jamais naturalisé ou rationalisé. Le signe
japonais est vide : son signifié fuit, point de
dieu, de vérité, de morale au fond de ces
signifiants qui règnent sans contrepartie. Et
surtout, la qualité supérieure de ce signe, la
noblesse de son affirmation et la grâce érotique
dont il se dessine sont apposées partout, sur les
objets et sur les conduites les plus futiles, celles
que nous renvoyons ordinairement dans
l’insignifiance ou la vulgarité. Le lieu du signe
ne sera donc pas cherché ici du côté de ses
domaines institutionnels : il ne sera question ni
d’art, ni de folklore, ni même de « civilisation »
(on n'opposera pas le Japon féodal au Japon
technique).
Il sera question de la ville, du magasin, du
théâtre, de la politesse, des jardins, de la
violence ; il sera question de quelques gestes, de
quelques nourritures, de quelques poèmes ; il
sera question des visages, des yeux et des
pinceaux avec quoi tout cela s'écrit mais ne se
peint pas.
L'Empire des signes
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| À Maurice Pinguet.
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La langue inconnue
Le rêve : connaître une langue étrangère (étrange) et cepen-
dant ne pas la comprendre : percevoir en elle la différence, sans
que cette différence soit jamais récupérée par la socialité super-
ficielle du langage, communication ou vulgarité; connaître,
réfractées positivement dans une langue nouvelle, les impossi-
bilités de la nôtre ; apprendre la systématique de l’inconcevable;
défaire notre «réel» sous l’effet d’autres découpages, d’autres
syntaxes ; découvrir des positions inouïes du sujet dans l’énon-
ciation, déplacer sa topologie ; en un mot, descendre dans l’in-
traduisible, en éprouver la secousse sans jamais l’amortir, jus-
qu’à ce qu’en nous tout l'Occident s’ébranle et que vacillent les
droits de la langue paternelle, celle qui nous vient de nos pères
et qui nous fait à notre tour, pères et propriétaires d’une culture
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MU, le vide.
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L'ONFAMMPEMINRMESNDNE NS S TAIGAINNES
Sans paroles
La masse bruissante d’une langue inconnue constitue une pro-
tection délicieuse, enveloppe l'étranger (pour peu que le pays ne
lui soit pas hostile) d’une pellicule sonore qui arrête à ses oreilles
toutes les aliénations de la langue maternelle : l’origine, régionale
et sociale, de qui la parle, son degré de culture, d'intelligence, de
goût, l’image à travers laquelle il se constitue comme personne
et qu’il vous demande de reconnaître. Aussi, à l’étranger, quel
repos! J’y suis protégé contre la bêtise, la vulgarité, la vanité, la
mondanité, la nationalité, la normalité. La langue inconnue, dont
je saisis pourtant la respiration, l’aération émotive, en un mot la
pure signifiance, forme autour de moi, au fur et à mesure que je
me déplace, un léger vertige, m’entraîne dans son vide artificiel,
qui ne s’accomplit que pour moi: je vis dans l’interstice, débar-
rassé de tout sens plein. Comment vous êtes-vous débrouillé là-bas,
avec la langue ? Sous-entendu : Comment assuriez-vous ce besoin
vital de la communication ? Ou plus exactement, assertion idéo-
logique que recouvre l'interrogation pratique: il n'y a de com-
munication que dans la parole.
Or il se trouve que dans ce pays (le Japon), empire des signi-
fiants est si vaste, il excède à tel point la parole, que l’échange
des signes reste d’une richesse, d’une mobilité, d’une subtilité
fascinantes en dépit de l’opacité de la langue, parfois même grâce
à cette opacité. La raison en est que là-bas le corps existe, se
déploie, agit, se donne, sans hystérie, sans narcissisme, mais
selon un pur projet érotique — quoique subtilement discret. Ce
n’est pas la voix (avec laquelle nous identifions les « droits » de
la personne) qui communique (communiquer quoi? notre âme
— forcément belle — notre sincérité? notre prestige ?), c’est tout
le corps (les yeux, le sourire, la mèche, le geste, le vêtement)
qui entretient avec vous une sorte de babil auquel la parfaite
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L’eau et le flocon
Le plateau de repas semble un tableau des plus délicats : c’est
un cadre qui contient sur fond sombre des objets variés (bols,
boîtes, soucoupes, baguettes, menus tas d'aliments, un peu de
gingembre gris, quelques brins de légumes orange, un fond de
sauce brune), et comme ces récipients et ces morceaux de nour-
riture sont exigus et ténus, mais nombreux, on dirait que ces
plateaux accomplissent la définition de la peinture, qui, au dire
de Piero della Francesca, «n’est qu’une démonstration de sur-
faces et de corps devenant toujours plus petits ou plus grands
suivant leur terme ». Cependant, un tel ordre, délicieux lorsqu'il
apparaît, est destiné à être défait, refait selon le rythme même
de l’alimentation ; ce qui était tableau figé au départ, devient éta-
bli ou échiquier, espace, non d’une vue, mais d’un faire ou d’un
jeu; la peinture n’était au fond qu’une palette (une surface de
travail), dont vous allez jouer au fur et à mesure que vous man-
gerez, puisant ici une pincée de légumes, là de riz, là de condi-
ment, là une gorgée de soupe, selon une alternance libre, à la
façon d’un graphiste (précisément japonais), installé devant un
jeu de godets et qui, tout à la fois, sait et hésite ; de la sorte, sans
être niée ou diminuée (il ne s’agit pas d’une indifférence à l'égard
de la nourriture, attitude toujours morale), l'alimentation reste
empreinte d’une sorte de travail ou de jeu, qui porte moins sur
la transformation de la matière première (objet propre de la cui-
sine ;mais la nourriture japonaise est peu cuisinée, les aliments
arrivent naturels sur la table ; la seule opération qu’ils aient vrai-
ment subie, c’est d’être découpés), que sur l’assemblage mou-
vant et comme inspiré d'éléments dont l’ordre de prélèvement
n’est fixé par aucun protocole (vous pouvez alterner une gorgée
de soupe, une bouchée de riz, une pincée de légumes) : tout le
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D'EMPIRE. DES SIGNES
Baguettes
Sur le Marché Flottant de Bangkok, chaque marchand se tient
dans une petite pirogue immobile ; il vend de très menues quan-
tités de nourriture : des graines, quelques œufs, bananes, cocos,
mangues, piments (sans parler de lInnommable). De lui-même à
sa marchandise en passant par son esquif, tout est petit. La nour-
riture occidentale, accumulée, dignifiée, gonflée jusqu’au majes-
tueux, liée à quelque opération de prestige, s’en va toujours vers
le gros, le grand, l’abondant, le plantureux; l’orientale suit le mou-
vement inverse, elle s’épanouit vers l’infinitésimal : l'avenir du
concombre n’est pas son entassement ou son épaississement, mais
sa division, son éparpillement ténu, comme il est dit dans ce haïku :
Concombre coupé.
Son jus coule
Dessinant des pattes d'araignée.
puisque c’est aussi celle des doigts et des fourchettes), et ces fonc-
tions lui appartiennent en propre. Tout d’abord, la baguette — sa
forme le dit assez — a une fonction déictique : elle montre la nour-
riture, désigne le fragment, fait exister par le geste même du
choix, qui est l’index ; mais par là, au lieu que l’ingestion suive
une sorte de séquence machinale, où l’on se borneraïit à avaler
peu à peu les parties d’un même plat, la baguette, désignant ce
qu’elle choisit (et donc choisissant sur l'instant ceci et non cela),
introduit dans l’usage de la nourriture, non un ordre, mais une
fantaisie et comme une paresse : en tout cas, une opération intel-
ligente, et non plus mécanique. Autre fonction de la double
baguette, celle de pincer le fragment de nourriture (et non plus
de l’agripper, comme font nos fourchettes) ; pincer est d’ailleurs
un mot trop fort, trop agressif (c’est le mot des petites filles sour-
noises, des chirurgiens, des couturières, des caractères suscep-
tibles); car l’aliment ne subit jamais une pression supérieure à
ce qui est juste nécessaire pour le soulever et le transporter; il
y a dans le geste de la baguette, encore adouci par sa matière,
bois ou laque, quelque chose de maternel, la retenue même, exac-
tement mesurée, que l’on met à déplacer un enfant : une force
(au sens opératoire du terme), non une pulsion; c’est là tout un
comportement à l’égard de la nourriture; on le voit bien aux
longues baguettes du cuisinier, qui servent, non à manger, mais
à préparer les aliments : jamais l’instrument ne perce, ne coupe,
ne fend, ne blesse, mais seulement prélève, retourne, transporte.
Car la baguette (troisième fonction), pour diviser, sépare, écarte,
chipote, au lieu de couper et d’agripper, à la façon de nos cou-
verts; elle ne violente jamais l’aliment : ou bien elle le démêle
peu à peu (dans le cas des herbes), ou bien elle le défait (dans
le cas des poissons, des anguilles), retrouvant ainsi les fissures
naturelles de la matière (en cela bien plus proche du doigt pri-
mitif que du couteau). Enfin, et c’est peut-être sa plus belle fonc-
tion, la double baguette translate la nourriture, soit que, croisée
comme deux mains, support et non plus pince, elle se glisse sous
le flocon de riz et le tende, le monte jusqu’à la bouche du man-
geur, soit que (par un geste millénaire de tout Orient) elle fasse
glisser la neige alimentaire du bol aux lèvres, à la façon d’une
pelle. Dans tous ces usages, dans tous les gestes qu’elle implique,
la baguette s’oppose à notre couteau (et à son substitut préda-
teur, la fourchette) : elle est l’instrument alimentaire qui refuse
de couper, d’agripper, de mutiler, de percer (gestes très limités,
repoussés dans la préparation de la cuisine: le poissonnier qui
S 063
LC MEMNDEMMR E MDLE.S MSUNGANSENS
La nourriture décentrée
Le sukiyaki est un ragoût dont on connaît et reconnaît tous les
éléments, puisqu'il est fait devant vous, sur la table même, sans
désemparer, pendant que vous le mangez. Les produits crus (mais
pelés, lavés, revêtus déjà d’une nudité esthétique, brillante, colo-
rée, harmonieuse comme un vêtement printanier : «La couleur,
la finesse, la touche, l'effet, l'harmonie, le ragoût, tout s'y trouve »,
dirait Diderot) sont rassemblés et apportés sur un plateau; c’est
l'essence même du marché qui vous arrive, sa fraîcheur, sa natu-
ralité, sa diversité et jusqu’au classement qui fait de la simple
matière la promesse d’un événement: recrudescence d’appétit
attachée à cet objet mixte qu’est le produit de marché, à la fois
nature et marchandise, nature marchande, accessible à la pos-
session populaire : feuilles comestibles, légumes, cheveux d'ange,
carrés crémeux de pâte de soja, jaune cru de l’œuf, viande rouge
et sucre blanc (alliance infiniment plus exotique, plus fascinante
ou plus dégoûtante, parce que visuelle, que le simple sucré-salé
de la nourriture chinoise, qui, elle, est cuite, et où le sucre ne se
voit pas, sinon dans le luisant caramélisé de certains plats
« laqués »), toutes ces crudités, d’abord alliées, composées comme
dans un tableau hollandais dont elles garderaient le cerne du
trait, la fermeté élastique du pinceau et le vernis coloré (dont on
ne sait s’il est dû à la matière des choses, à la lumière de la scène,
à l’onguent dont est recouvert le tableau ou à l'éclairage du
musée), peu à peu transportées dans la grande casserole où elles
cuisent sous vos yeux, y perdent leurs couleurs, leurs formes et
leur discontinu, s’y amollissent, s’y dénaturent, tournent à ce roux
qui est la couleur essentielle de la sauce ; au fur et à mesure que
5 6 4
Où commence l'écriture ?
Où commence la peinture ?
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L'interstice
Le cuisinier (qui ne cuit rien du tout) prend une anguille
vivante, lui fiche une longue pointe dans la tête et la racle, la
dépiaute. Cette scène preste, humide (plus que sanglante), de
petite cruauté, va se terminer en dentelle. L’anguille (ou le frag-
ment de légume, de crustacé), cristallisée dans la friture, comme
le rameau de Salzbourg, se réduit à un petit bloc de vide, à une
collection de jours: l'aliment rejoint ici le rêve d’un paradoxe:
celui d’un objet purement interstitiel, d'autant plus provoquant
que ce vide est fabriqué pour qu’on s’en nourrisse (parfois Pali-
ment est construit en boule, comme une pelote d’air).
La tempura est débarrassée du sens que nous attachons tradi-
tionnellement à la friture, et qui est la lourdeur. La farine y
retrouve son essence de fleur éparpillée, délayée si légèrement
qu’elle forme un lait, et non une pâte ; saisi par l'huile, ce lait doré
est si fragile qu’il recouvre imparfaitement le fragment de nour-
riture, laisse apparaître un rose de crevette, un vert de piment, un
brun d’aubergine, retirant ainsi à la friture ce dont est fait notre
beignet, et qui est la gangue, l'enveloppe, la compacité. L'huile
(mais est-ce de l'huile, s’agit-il vraiment de la substance mère du
huileux ?) aussitôt épongée par la serviette de papier sur laquelle
on vous présente la tempura dans une petite corbeille d’osier,
Phuile est sèche, sans plus aucun rapport avec le lubrifiant dont
la Méditerranée et l'Orient couvrent leur cuisine et leur pâtisse-
rie; elle perd une contradiction qui marque nos aliments cuits à
l'huile ou à la graisse, et qui est de brûler sans réchauffer; cette
3 6 8
y
ALAN
mn
de
À
L'inters lice.
RE AMPPATRNE SEDREMSNS TIC ANEEES
brûlure froide du corps gras est remplacée ici par une qualité qui
paraît refusée à toute friture : la fraîcheur. La fraîcheur qui cir-
cule dans la tempura à travers la dentelle de la farine, montant des
plus vivaces et des plus fragiles parmi les aliments, le poisson et
le végétal, cette fraîcheur qui est à la fois celle de l’intact et du
rafraîchissant est bien celle de l'huile : les restaurants de tempura
se classent selon le degré d'usure de l'huile qu’ils emploient : aux
plus cotés l’huile neuve, qui, usée, est revendue à un autre res-
taurant plus médiocre, et ainsi de suite ; ce n’est pas l’aliment que
l’on achète, ni même sa fraîcheur (encore moins le standing du
local ou du service), c’est la virginité de sa cuisson.
Parfois la pièce de tempura est à étages: la friture contourne
(mieux que : enveloppe) un piment, lui-même empli d’intérieurs
de moules. Ce qui importe, c’est que l’aliment soit constitué en
morceau, en fragment (état fondamental de la cuisine japonaise,
où le nappage — de sauce, de crème, de croûte — est inconnu),
non seulement par la préparation, mais aussi et surtout par son
immersion dans une substance fluide comme l’eau, cohésive
comme la graisse, d’où sort un morceau fini, séparé, nommé et
cependant tout ajouré ; mais le cerne est si léger qu’il en devient
abstrait: l’aliment n’a plus pour enveloppe que le temps
(d’ailleurs lui-même fort ténu) qui l’a solidifié. On dit que la tem-
pura est un mets d’origine chrétienne (portugaise) : c’est la nour-
riture du carême (tempora) ; mais affiné par les techniques japo-
naises d'annulation et d’exemption, c’est l’aliment d’un autre
temps : non celui d’un rite de jeûne et d’expiation, mais d’une
sorte de méditation, autant spectaculaire qu’alimentaire (puisque
la tempura se prépare sous vos yeux), autour de ce quelque chose
que nous déterminons, faute de mieux (et peut-être en raison de
nos ornières thématiques), du côté du léger, de l’aérien, de l’ins-
tantané, du fragile, du transparent, du frais, du rien, mais dont
le vrai nom serait l’interstice sans bords pleins, ou encore : le
signe vide.
Il faut en effet revenir au jeune artiste qui fait de la dentelle
avec des poissons et des piments. S’il prépare notre nourriture
devant nous, conduisant, de geste en geste, de lieu en lieu, l’an-
guille, du vivier au papier blanc qui, pour finir, la recevra tout
ajourée, ce n’est pas (seulement) pour nous rendre témoins de
la haute précision et de la pureté de sa cuisine; c’est parce que
son activité est à la lettre graphique: il inscrit l’aliment dans la
matière ;son étal est distribué comme la table d’un calligraphe;
il touche les substances comme le graphiste (surtout s’il est japo-
ST E0
BAMEMIP PRE ME SMS I GÉNIE.S
naïs) qui alterne les godets, les pinceaux, la pierre à encre, l’eau,
le papier; il accomplit ainsi, dans la cohue du restaurant et l’en-
trecroisement des commandes, un étagement, non du temps,
mais des temps (ceux d’une grammaire de la tempura), rend
visible la gamme des pratiques, récite l’aliment non comme une
marchandise finie, dont seule la perfection aurait quelque valeur
(ce qui est le cas de nos mets), mais comme un produit dont le
sens n’est pas final mais progressif, épuisé, pour ainsi dire,
quand sa production est terminée : c’est vous qui mangez, mais
c’est lui qui a joué, qui a écrit, qui a produit.
Pachinko
Le Pachinko est une machine à sous. On achète au comptoir
une petite provision de billes métalliques; puis, devant lappa-
reil (sorte de tableau vertical), d’une main l’on enfourne chaque
bille dans une bouche, pendant que de l’autre, à l’aide d’un cla-
pet, on propulse la bille à travers un circuit de chicanes; si le
coup d'envoi est juste (ni trop fort, ni trop faible), la bille pro-
pulsée libère une pluie d’autres billes qui vous tombent dans la
main, et l’on n’a plus qu’à recommencer — à moins que l’on ne
préfère échanger son gain contre une récompense dérisoire
(tablette de chocolat, orange, paquet de cigarettes). Les halls de
Pachinko sont très nombreux et toujours pleins d’un public varié
(jeunes, femmes, étudiants en tunique noire, hommes sans âge
en complet de bureau). On dit que le chiffre d’affaires des
Pachinko est égal (ou même supérieur) à celui de tous les grands
magasins du Japon (ce qui, sans doute, n’est pas peu dire).
Le Pachinko est un jeu collectif et solitaire. Les machines sont
rangées en longues files ; chacun debout devant son tableau joue
pour soi, sans regarder son voisin, que pourtant il coudoie. On
n’entend que le bruissement des billes propulsées (la cadence
d’enfournement est très rapide) ; le hall est une ruche ou un ate-
lier ; les joueurs semblent travailler à la chaîne. Le sens impérieux
de la scène est celui d’un labeur appliqué, absorbé ; jamais une
attitude paresseuse ou désinvolte ou coquette, rien de cette oisi-
veté théâtrale de nos joueurs occidentaux traînant par petits
groupes désœuvrés autour d’un billard électrique, et bien
conscients d'émettre pour les autres clients du café l’image d’un
GTA |
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Sans adresses
Les rues de cette ville n’ont pas de nom. Il y a bien une adresse
écrite, mais elle n’a qu’une valeur postale, elle se réfère à un
cadastre (par quartiers et par blocs, nullement géométriques),
dont la connaissance est accessible au facteur, non au visiteur:
la plus grande ville du monde est pratiquement inclassée, les
espaces qui la composent en détail sont innommés. Cette obli-
tération domiciliaire paraît incommode à ceux (comme nous) qui
ont été habitués à décréter que le plus pratique est toujours le
plus rationnel (principe en vertu duquel la meilleure toponymie
urbaine serait celle des rues-numéros, comme aux Etats-Unis
ou à Kyoto, ville chinoise). Tokyo nous redit cependant que le
rationnel n’est qu’un système parmi d’autres. Pour qu’il y ait maî-
trise du réel (en l’occurrence celui des adresses), il suffit qu’il y
ait système, ce système fût-il apparemment illogique, inutilement
compliqué, curieusement disparate : un bon bricolage peut non
seulement tenir très longtemps, on le sait, mais encore il peut
satisfaire des millions d’habitants, dressés d’autre part à toutes
les perfections de la civilisation technicienne.
L’anonymat est suppléé par un certain nombre d’expédients
(c’est du moins ainsi qu’ils nous apparaissent), dont la combinai-
son forme système. On peut figurer l’adresse par un schéma
d'orientation (dessiné ou imprimé), sorte de relevé géographique
qui situe le domicile à partir d’un repère connu, une gare par
exemple (les habitants excellent à ces dessins impromptus, où
l’on voit s’ébaucher, à même un bout de papier, une rue, un
immeuble, un canal, une voie ferrée, une enseigne, et qui font de
l'échange des adresses une communication délicate, où reprend
place une vie du corps, un art du geste graphique : il est toujours
savoureux de voir quelqu'un écrire, à plus forte raison dessiner :
de toutes les fois où l’on n’a de la sorte communiqué une adresse,
je retiens le geste de mon interlocuteur retournant son crayon
pour frotter doucement, de la gomme placée à son extrémité, la
courbe excessive d’une avenue, la jointure d’un viaduc ; bien que
la gomme soit un objet contraire à la tradition graphique du
Japon, il venait encore de ce geste quelque chose de paisible, de
caressant et de sûr, comme si, même dans cet acte futile, le corps
«travaillait avec plus de réserve que l'esprit», conformément au
précepte de l’acteur Zeami; la fabrication de l’adresse l’empor-
tait de beaucoup sur l'adresse elle-même, et, fasciné, j'aurais sou-
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Carnet d'adresses.
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Ces lutteurs forment une caste ; ils vivent à part, portent
les cheveux longs et mangent une nourriture rituelle. Le
combat ne dure qu'un éclair : le temps de laisser choir
l’autre masse. Pas de crise, pas de drame, pas
d'épuisement, en un mot pas de sport : le signe de la
pesée, non l'éréthisme du conflit.
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PR RADIES € S N'GINIES
La gare
Dans cette ville immense, véritable territoire urbain, le nom
de chaque quartier est net, connu, placé sur la carte un peu vide
(puisque les rues n’ont pas de nom) comme un gros flash; il prend
cette identité fortement signifiante que Proust, à sa manière, a
explorée dans ses Noms de Lieux. Si le quartier est si bien limité,
rassemblé, contenu, terminé sous son nom, c’est qu'il a un
centre, mais ce centre est spirituellement vide : c’est d’ordinaire
une gare.
La gare, vaste organisme où se logent à la fois les grands trains,
les trains urbains, le métro, un grand magasin et tout un com-
merce souterrain, la gare donne au quartier ce repère, qui, au
dire de certains urbanistes, permet à la ville de signifier, d’être
lue. La gare japonaise est traversée de mille trajets fonctionnels,
GS
81 1
P'RBAMRENIRR EDNENS MESA TRGENRENS
5.812
LAEMPIRE DES SIGNES
Les paquets
Si les bouquets, les objets, les arbres, les visages, les jardins et
les textes, si les choses et les manières japonaises nous paraissent
petites (notre mythologie exalte le grand, le vaste, le large, l’ou-
vert), ce n’est pas en raison de leur taille, c’est parce que tout
objet, tout geste, même le plus libre, le plus mobile, paraît enca-
dré. La miniature ne vient pas de la taille, mais d’une sorte de pré-
cision que la chose met à se délimiter, à s’arrêter, à finir. Cette
précision n’a rien de raisonnable ou de moral: la chose n’est pas
nette d’une façon puritaine (par propreté, franchise, ou objecti-
vité), mais plutôt par un supplément hallucinatoire (analogue à
la vision issue du haschisch, au dire de Baudelaire) ou par une
coupure qui ôte à l’objet le panache du sens et retire à sa pré-
sence, à sa position dans le monde, toute fergiversation. Cepen-
dant ce cadre est invisible : la chose japonaise n’est pas cernée,
enluminée ; elle n’est pas formée d’un contour fort, d’un dessin,
que viendraient « remplir » la couleur, ombre, la touche ; autour
d’elle, il y a : rien, un espace vide qui la rend mate (et donc à nos
yeux : réduite, diminuée, petite).
On dirait que l’objet déjoue d’une manière à la fois inatten-
due et réfléchie l’espace dans lequel il est toujours situé. Par
exemple : la chambre garde des limites écrites, ce sont les
nattes du sol, les fenêtres plates, les parois tendues de baguettes
(image pure de la surface), dont on ne distingue pas les portes
à glissières ; tout ici est trait, comme si la chambre était écrite
d’un seul coup de pinceau. Cependant, par une disposition
AMONT
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ALL ki il
Poudre de thé, réseau d'écriture.
D OMEMMEPO
INR EN DE SNS GENNENS
seconde, cette rigueur est à son tour déjouée : les parois sont
fragiles, crevables, les murs glissent, les meubles sont esca-
motables, en sorte qu’on retrouve dans la pièce japonaise cette
« fantaisie » (d’habillement, notamment), grâce à laquelle tout
Japonais déjoue — sans se donner la peine ou le théâtre de le
subvertir - le conformisme de son cadre. Ou encore : dans un
bouquet japonais, «rigoureusement construit» (selon le lan-
gage de l’esthétique occidentale), et quelles que soient les
intentions symboliques de cette construction, énoncées dans
tout guide du Japon et dans tout livre d’art sur l’/kebana, ce qui
est produit, c’est la circulation de l’air, dont les fleurs, les
feuilles, les branches (mots bien trop botaniques) ne sont en
somme que les parois, les couloirs, les chicanes, délicatement
tracés selon l’idée d’une rareté, que nous dissocions pour notre
part de la nature, comme si la profusion seule prouvait le natu-
rel;le bouquet japonais a un volume ; chef-d'œuvre inconnu, à
la façon dont le rêvait Frenhofer, le héros de Balzac, qui vou-
lait que l’on pût passer derrière le personnage peint, on peut
avancer le corps dans l’interstice de ses branches, dans les
jours de sa stature, non point le ire (lire son symbolisme) mais
refaire le trajet de la main qui l’a écrit : écriture véritable, puis-
qu'elle produit un volume, et que, refusant à la lecture d’être
le simple déchiffrement d’un message (fût-il hautement sym-
bolique), elle lui permet de refaire le tracé de son travail. Ou
enfin (et surtout) : sans même tenir pour emblématique le jeu
connu des boîtes japonaises, l’une logée dans l’autre jusqu’au
vide, on peut déjà voir une véritable méditation sémantique
dans le moindre paquet japonais. Géométrique, rigoureuse-
ment dessiné et pourtant toujours signé quelque part d’un pli,
d’un nœud, asymétriques, par le soin, la technique même de sa
confection, le jeu du carton, du bois, du papier, des rubans, il
n’est plus l'accessoire passager de l’objet transporté, mais
devient lui-même objet; l'enveloppe, en soi, est consacrée
comme chose précieuse, quoique gratuite ; le paquet est une
pensée ; ainsi, dans une revue vaguement pornographique,
l’image d’un jeune Japonais nu, ficelé très régulièrement
comme un saucisson : l’intention sadique (bien plus affichée
qu’accomplie) est naïvement — ou ironiquement — absorbée
dans la pratique, non d’une passivité, mais d’un art extrême:
celui du paquet, du cordage.
Cependant, par sa perfection même, cette enveloppe, souvent
répétée (on n’en finit pas de défaire le paquet), recule la décou-
3000
DO EPMMENIRE DAS» SA IGN ES
GRORO
kRenv ersez Limage rien de plus, rien d ‘autre » rien.
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Le travesti oriental ne copie pas la Femme, il la signifie ; il ne
s’empoisse pas dans son modèle, il se détache de son signifié ;
la Féminité est donnée à lire, non à voir : translation, non
transgression ; le signe passe du grand rôle féminin au
quinquagénaire père de famille : c’est le même homme ; mais
où commence la métaphore ?
DO TEMSPSIIRSENNDSESS M SSTRGENNENRS
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L'écriture, donc, sourd du plan d'inscription parce qu'elle se fait depuis un recul
et un décalage non regardable (non en face àface ; incitant d'emblée non à la
vue mais au tracement) qui divise le support en couloirs comme pour rappeler
le vide pluriel où elle s'accomplit — elle est seulement détachée en surface, elle
vient se tisser en surface, elle est déléguée du fond qui n’est pas un fond vers la
surface qui n'est plus une surface mais fibre écrite par en dessous à la verti-
cale de son dessus (le pinceau se tient dressé dans la paume) — l’idéogramme
rentrant ainsi dans la colonne — tube ou échelle — et s'y élageant comme une
barre complexe déclenchée par la monosyllabe dans le champ de la voix : cette
colonne peut être dite un « poignet vide » où apparaît d’abord un «unique trait »
le souffle qui traverse le bras creusé, l'opération parfaite devant être celle de la
«pointe cachée » ou de « l'absence de traces ».
Philippe Sollers, Sur le matérialisme, 1969.
ONE
MS PEAR SEND ME NS MSRIR GENRES
scène soit, non point détruite, mais comme brisée, striée, sous-
traite à la contagion métonymique de la voix et du geste, de âme
et du corps, qui englue notre comédien.
Spectacle total, mais divisé, le Bunraku exclut bien entendu
Pimprovisation : retourner à la spontanéité serait retourner aux
stéréotypes dont notre «profondeur» est constituée. Comme
Brecht l’avait vu, ici règne la citation, la pincée d'écriture, le frag-
ment de code, car aucun des promoteurs du jeu ne peut prendre
au compte de sa propre personne ce qu’il n’est jamais seul à
écrire. Comme dans le texte moderne, le tressage des codes, des
références, des constats détachés, des gestes antholcgiques, mul-
tiplie la ligne écrite, non par la vertu de quelque appel méta-
physique, mais par le jeu d’une combinatoire qui s’ouvre dans
l'espace entier du théâtre : ce qui est commencé par l’un est conti-
nué par l’autre, sans repos.
Animé/inanimé
Traitant d’une antinomie fondamentale, celle de l’animé/
inanimé, le Bunraku la trouble, l’évanouit sans profit pour aucun
de ses termes. Chez nous, la marionnette (le polichinelle, par
exemple) est chargée de tendre à l’acteur le miroir de son
contraire ; elle anime l’inanimé, mais c’est pour mieux manifes-
ter sa dégradation, l’indignité de son inertie; caricature de la
«vie », elle en affirme par là même les limites morales et pré-
tend confiner la beauté, la vérité, l'émotion dans le corps vivant
de l’acteur, qui, cependant, fait de ce corps un mensonge. Le
Bunraku, lui, ne signe pas l’acteur, il nous en débarrasse. Com-
ment ? précisément par une certaine pensée du corps humain,
que la matière inanimée mène ici avec infiniment plus de rigueur
et de frémissement que le corps animé (doué d’une « âme »). L’ac-
teur occidental (naturaliste) n’est jamais beau; son corps se veut
d'essence physiologique, et non plastique: c’est une collection
d'organes, une musculature de passions, dont chaque ressort
(voix, mines, gestes) est soumis à une sorte d'exercice gymnas-
tique ; mais par un retournement proprement bourgeois, bien que
le corps de l’acteur soit construit selon une division des essences
passionnelles, il emprunte à la physiologie l’alibi d’une unité
organique, celle de la «vie »: c’est l’acteur qui est ici marion-
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Dedans/dehors
Prenez le théâtre occidental des derniers siècles ; sa fonction
est essentiellement de manifester ce qui est réputé secret (les
«sentiments », les «situations », les « conflits »), tout en cachant
artifice même de la manifestation (la machinerie, la peinture,
le fard, les sources de lumière). La scène à l’italienne est l’es-
pace de ce mensonge : tout s’y passe dans un intérieur subrep-
ticement ouvert, surpris, épié, savouré par un spectateur tapi dans
l'ombre. Cet espace est théologique, c’est celui de la Faute : d’un
côté, dans une lumière qu’il feint d'ignorer, l'acteur, c’est-à-dire
le geste et la parole, de l’autre, dans la nuit, le public, c’est-à-
dire la conscience.
Le Bunraku ne subvertit pas directement le rapport de la salle
et de la scène (encore que les salles japonaises soient infiniment
moins confinées, moins étouffées, moins alourdies que les nôtres) ;
ce qu’il altère, plus profondément, c’est le lien moteur qui va du
personnage à l'acteur et qui est toujours conçu, chez nous, comme
la voie expressive d’une intériorité. Il faut se rappeler que les
agents du spectacle, dans le Bunraku, sont à la fois visibles et
impassibles ;les hommes en noir s’affairent autour de la poupée,
mais sans aucune affectation d’habileté ou de discrétion, et, si
l’on peut dire, sans aucune démagogie publicitaire ; silencieux,
rapides, élégants, leurs actes sont éminemment transitifs, opé-
ratoires, colorés de ce mélange de force et de subtilité, qui
marque le gestuaire japonais et qui est comme l’enveloppe esthé-
tique de l'efficacité ; quant au maître, sa tête est découverte ; lisse,
nu, sans fard, ce qui lui confère un cachet civil (non théâtral),
son visage est offert à la lecture des spectateurs ;mais ce qui est
soigneusement, précieusement donné à lire, c’est qu’il n’y a rien
à lire; on retrouve ici cette exemption du sens, que nous pou-
vons à peine comprendre, puisque, chez nous, attaquer le sens,
CLIS)
D'OPIMSEMRES DIE SES T'GMMNLES
Courbettes
Pourquoi, en Occident, la politesse est-elle considérée avec sus-
picion? Pourquoi la courtoisie y passet-elle pour une distance
(sinon même une fuite) ou une hypocrisie ? Pourquoi un rapport
«informel » (comme on dit ici avec gourmandise) est-il plus sou-
haitable qu’un rapport codé?
L’impolitesse de l'Occident repose sur une certaine mythologie
de la «personne ». Topologiquement, l’homme occidental est
réputé double, composé d’un «extérieur », social, factice, faux, et
d’un «intérieur », personnel, authentique (lieu de la communica-
tion divine). Selon ce dessin, la « personne » humaine est ce lieu
empli de nature (ou de divinité, ou de culpabilité), ceinturé, clos
par une enveloppe sociale peu estimée : le geste poli (lorsqu’il est
postulé) est le signe de respect échangé d’une plénitude à l’autre,
à travers la limite mondaine (c’est-à-dire en dépit et par l’inter-
médiaire de cette limite). Cependant, dès lors que c’est l’inté-
rieur de la «personne » qui est jugé respectable, il est logique de
reconnaître mieux cette personne en déniant tout intérêt à son
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la reconnaissance, l'âme ne le contamine pas.
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L'EMPIMR'E DES STGNES
L’effraction du sens
Le haïku a cette propriété quelque peu fantasmagorique, que
Von s’imagine toujours pouvoir en faire soi-même facilement.
On se dit :quoi de plus accessible à l'écriture spontanée que ceci
(de Buson) :
4 0 3
D)
.Le
(comme on dit aussi bien d’un esprit irréel que d’un proprié-
taire parti en voyage) appelle la subornation, leffraction, en
un mot, la convoitise majeure, celle du sens. Ce sens précieux,
vital, désirable comme la fortune (hasard et argent), le haïku,
débarrassé des contraintes métriques (dans les traductions que
nous en avons), semble nous le fournir à profusion, à bon mar-
ché et sur commande; dans le haïku, dirait-on, le symbole, la
métaphore, la leçon ne coûtent presque rien : à peine quelques
mots, une image, un sentiment — là où notre littérature demande
ordinairement un poème, un développement ou (dans le genre
bref) une pensée ciselée, bref un long travail rhétorique. Aussi
le haïku semble donner à l'Occident des droits que sa littéra-
ture lui refuse, et des commodités qu’elle lui marchande. Vous
avez le droit, dit le haïku, d’être futile, court, ordinaire; enfer-
mez ce que vous voyez, ce que vous sentez dans un mince hori-
zon de mots, et vous intéresserez; vous avez le droit de fonder
vous-même (et à partir de vous-même) votre propre notable;
votre phrase, quelle qu’elle soit, énoncera une leçon, libérera
un symbole, vous serez profond; à moindres frais, votre écri-
ture sera pleine.
L’Occident humecte toute chose de sens, à la manière d’une
religion autoritaire qui impose le baptême par populations; les
objets de langage (faits avec de la parole) sont évidemment des
convertis de droit : le sens premier de la langue appelle, méto-
nymiquement, le sens second du discours, et cet appel a valeur
d'obligation universelle. Nous avons deux moyens d'éviter au dis-
cours l’infamie du non-sens, et nous soumettons systématique-
ment l’énonciation (dans un colmatage éperdu de toute nullité
qui pourrait laisser voir le vide du langage) à l’une ou l’autre de
ces significations (ou fabrications actives de signes) : le symbole
et le raisonnement, la métaphore et le syllogisme. Le haïku, dont
les propositions sont toujours simples, courantes, en un mot
acceptables (comme on dit en linguistique), est attiré dans l’un
ou l’autre de ces deux empires du sens. Comme c’est un
«poème », on le range dans cette partie du code général des sen-
timents que l’on appelle « l’émotion poétique » (la Poésie est ordi-
nairement pour nous le signifiant du « diffus », de l’«ineffable »,
du «sensible », c’est la classe des impressions inclassables) ; on
parle d’« émotion concentrée », de «notation sincère d’un instant
d’élite », et surtout de « silence » (le silence étant pour nous signe
d’un plein de langage). Si l’un (Jôco) écrit:
DVEMMPPR RIRE MD, ENS RES UIRIGENRESS
Que de personnes
Ont passé à travers la pluie d'automne
Sur le pont de Seta!
La vieille mare :
Une grenouille saute dedans :
Oh ! le bruit de l’eau.
AN ONG
LPO HEMPASTRSENS DAENSEN STD GENTENS
L’exemption du sens
Le Zen tout entier mène la guerre contre la prévarication du
sens. On sait que le bouddhisme déjoue la voie fatale de toute
assertion (ou de toute négation) en recommandant de n’être
jamais pris dans les quatre propositions suivantes : cela est À
— cela n’est pas À — c’est à la fois À et non-A — ce n’est ni À ni
non-A. Or cette quadruple possibilité correspond au paradigme
parfait, tel que l’a construit la linguistique structurale (4 -
non-À — ni À, ni non-A (degré zéro) — À et non-A (degré complete) ;
autrement dit, la voie bouddhiste est très précisément celle du
sens obstrué : larcane même de la signification, à savoir le para-
digme, est rendu impossible. Lorsque le Sixième Patriarche
donne ses instructions concernant le mondeo, exercice de la ques-
tion-réponse, il recommande, pour mieux brouiller le fonction-
nement paradigmatique, dès qu’un terme est posé, de se dépor-
ter vers son terme adverse («$Si, vous questionnant, quelqu'un
vous interroge sur l'être, répondez par le non-être. S'il vous inter-
roge sur le non-être, répondez par l'être. S'il vous interroge sur
l’homme ordinaire, répondez en parlant du sage, etc. »), de façon
à faire apparaître la dérision du déclic paradigmatique et le
caractère mécanique du sens. Ce qui est visé (par une technique
mentale dont la précision, la patience, le raffinement et le savoir
attestent à quel point la pensée orientale tient pour difficile la
péremption du sens), ce qui est visé, c’est le fondement du signe,
à savoir la classification (maya); contraint au classement par
excellence, celui du langage, le haïku opère du moins en vue
d'obtenir un langage plat, que rien n’assied (comme c’est
immanquable dans notre poésie) sur des couches superposées
de sens, ce que l’on pourrait appeler le « feuilleté » des symboles.
Lorsqu'on nous dit que ce fut le bruit de la grenouille qui éveilla
Bashô à la vérité du Zen, on peut entendre (bien que ce soit là
une manière encore trop occidentale de parler) que Bashô
découvrit dans ce bruit, non certes le motif d’une «illumination »,
d’une hyperesthésie symbolique, mais plutôt une fin du langage :
400w7
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4 0 8
ER PEMMENPR EMULES MST GLNLE,S
L'’incident
L’art occidental transforme l’« impression » en description. Le
haïku ne décrit jamais; son art est contre-descriptif, dans la
mesure où tout état de la chose est immédiatement, obstinément,
victorieusement converti en une essence fragile d'apparition:
moment à la lettre «intenable », où la chose, bien que n’étant
déjà que langage, va devenir parole, va passer d’un langage à
un autre et se constitue comme le souvenir de ce futur, par là
même antérieur. Car, dans le haïku, c’est non seulement l’évé-
nement proprement dit qui prédomine,
4 % 0
JARDIN ZEN
« Nulle fleur, nul pas :
où est l’homme ?
dans le transport des rochers,
dans la trace du râteau,
dans le travail de l'écriture. »
L'CNRAMAPATERTE MDRESS MS PTIGANPENRS
fi, AP
ÉOMERMD
EE R ER E S40$ I 'GNNLES
Tel
Le travail du haïku, c’est que l’exemption du sens s’accomplit
à travers un discours parfaitement lisible (contradiction refusée
à l’art occidental, qui ne sait contester le sens qu’en rendant son
discours incompréhensible), en sorte que le haïku n’est à nos
yeux ni excentrique ni familier : il ressemble à rien et à tout:
lisible, nous le croyons simple, proche, connu, savoureux, déli-
cat, « poétique », en un mot offert à tout un jeu de prédicats ras-
surants ; insignifiant néanmoins, il nous résiste, perd finalement
les adjectifs qu’un moment plus tôt on lui décernait et entre dans
cette suspension du sens, qui nous est la chose la plus étrange
puisqu'elle rend impossible l’exercice le plus courant de notre
parole, qui est le commentaire. Que dire de ceci:
Brise printanière :
Le batelier mâche sa pipette.
ou de ceci:
Pleine lune
Et sur les nattes
L'ombre d’un pin.
DANTEMNPIRIE MDRERS RS TNGENPERS
ou de ceci:
ou encore (mais non pas enfin, car les exemples seraient innom-
brables) de ceci:
4 4104
BCP PAMRENMRE ANR ENS MSA GANLES
Papeterie
C’est par la papeterie, lieu et catalogue des choses nécessaires
à l'écriture, que l’on s’introduit dans l’espace des signes; c’est
dans la papeterie que la main rencontre l’instrument et la
matière du trait; c’est dans la papeterie que commence le com-
merce du signe, avant même qu’il soit tracé. Aussi chaque nation
a sa papeterie. Celle des Etats-Unis est abondante, précise, ingé-
nieuse; c’est une papeterie d'architectes, d'étudiants, dont le
commerce doit prévoir les postures décontractées; elle dit que
l'usager n’éprouve nul besoin de s’investir dans son écriture mais
qu’il lui faut toutes les commodités propres à enregistrer confor-
4 1 5
L'OHÉMMOPMNRNE MDEESS STONES
4 1 6
=a.
in
L’Apparat de la Lettre.
AN EMNAPRINRPEN ID MER SN STAR CANRERS
Le visage écrit
Le visage théâtral n’est pas peint (fardé), il est écrit. Il se pro-
duit ce mouvement imprévu: peinture et écriture ayant même
instrument originel, le pinceau, ce n’est pourtant pas la peinture
qui attire l'écriture dans son style décoratif, dans sa touche éta-
lée, caressante, dans son espace représentatif (comme il meût
pas manqué, sans doute, de se produire chez nous, pour qui l’ave-
nir civilisé d’une fonction n’est jamais que son anoblissement
esthétique), c’est au contraire Pacte d'écriture qui subjugue le
geste pictural, en sorte que peindre n’est jamais qu’inscrire. Ce
visage théâtral (masqué dans le Nô, dessiné dans le Kabouki, arti-
ficiel dans le Bunraku) est fait de deux substances : le blanc du
papier, le noir de l’inscription (réservé aux yeux).
Le blanc du visage semble avoir pour fonction, non de dénatu-
rer la carnation, ou de la caricaturer (comme c’est le cas pour nos
clowns, dont la farine, le plâtre ne sont qu’une incitation à pein-
turlurer la face), mais seulement d'effacer la trace antérieure des
traits, d'amener la figure à l'étendue vide d’une étoffe mate qu’au-
cune substance naturelle (farine, pâte, plâtre ou soie) ne vient
métaphoriquement animer d’un grain, d’une douceur ou d’un
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4 2 4
Le Japon entre dans la mue occidentale : il perd ses signes,
comme on perd ses cheveux, ses dents, Sa peau ; il passe de la
signification (vide) à la communication (de masse). lei : deux
charmants Tigers, chanteurs à la mode (tigres de carte postale,
de calendrier et de juke-box).
EMEMPERMREMNMESNS D'OGNE S
427
ÉOPEMAONE
RME M D NE SES TNGENRE"S
La paupière
Les quelques traits qui composent un caractère idéographique
sont tracés dans un certain ordre, arbitraire mais régulier; la
ligne, commencée à plein pinceau, se termine par une pointe
courte, infléchie, détournée au dernier moment de son sens.
C’est ce même tracé d’une pression que l’on retrouve dans l’œil
japonais. On dirait que le calligraphe anatomiste pose à plein son
pinceau sur le coin interne de l’œil et le tournant un peu, d’un
seul trait, comme il se doit dans la peinture alla prima, ouvre le
visage d’une fente elliptique, qu’il ferme vers la tempe, d’un
virage rapide de sa main; le tracé est parfait parce que simple,
immédiat, instantané et cependant mûr comme ces cercles qu’il
faut toute une vie pour apprendre à faire d’un seul geste souve-
rain. L’œil est ainsi contenu entre les parallèles de ses bords et
la double courbe (inversée) de ses extrémités : on dirait l’em-
preinte découpée d’une feuille, la trace couchée d’une large vir-
gule peinte. L’œil est plat (c’est là son miracle); ni exorbité ni
renfoncé, sans bourrelet, sans poche et si l’on peut dire sans
peau, il est la fente lisse d’une surface lisse. La prunelle, intense,
fragile, mobile, intelligente (car cet œil barré, interrompu par le
bord supérieur de la fente, semble receler de la sorte une pensi-
vité retenue, un supplément d'intelligence mis en réserve, non
point derrière le regard, mais au-dessus), la prunelle n’est nulle-
ment dramatisée par l'orbite, comme il arrive dans la morpho-
logie occidentale; l’œil est libre dans sa fente (qu’il emplit
souverainement et subtilement), et c’est bien à tort (par un eth-
nocentrisme évident) que nous le déclarons bridé; rien ne le
retient, car inscrit à même la peau, et non sculpté dans l’ossature,
son espace est celui de tout le visage. L’œil occidental est sou-
mis à toute une mythologie de l’âme, centrale et secrète, dont le
feu, abrité dans la cavité orbitaire, irradierait vers un extérieur
charnel, sensuel, passionnel; mais le visage japonais est sans
hiérarchie morale; il est entièrement vivant, vivace même
4 2 8
Par-dessous la paupière de porcelaine, une large goutte noire :
la Nuit de l’Encrier, dont parle Mallarmié.
LP MRANÉPAINRSENND
BERSENS MAC ANMENS
L'écriture de la violence
Lorsqu'on dit que les combats du Zengakuren sont organisés,
on ne renvoie pas seulement à un ensemble de précautions tac-
tiques (début de pensée déjà contradictoire au mythe de
l’émeute), mais à une écriture des actes, qui expurge la violence
de son être occidental : la spontanéité. Dans notre mythologie,
la violence est prise dans le même préjugé que la littérature ou
l’art: on ne peut lui supposer d’autre fonction que celle d’expri-
mer un fond, une intériorité, une nature, dont elle serait le lan-
gage premier, sauvage, asystématique ; nous concevons bien, sans
doute, que l’on puisse dériver la violence vers des fins réfléchies,
la tourner en instrument d’une pensée, mais il ne s’agit jamais
que de domestiquer une force antérieure, souverainement origi-
nelle. La violence des Zengakuren ne précède pas sa propre régu-
lation, mais naît en même temps qu’elle : elle est immédiatement
signe : n'exprimant rien (ni haine, ni indignation, ni idée morale),
elle s’abolit d'autant plus sûrement dans une fin transitive
(prendre d'assaut une mairie, ouvrir une barrière de barbelés) ;
l'efficacité, cependant, n’est pas sa seule mesure; une action
purement pragmatique met entre parenthèses les symboles, mais
ne leur règle pas leur compte : on utilise le sujet, tout en le lais-
4 3 0
Etudiants
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Les YEUX, el non pa S le regard, la fente, et non pa su 1mE€e
Ni.
.… au sourire près
Table des matières
Là-bas
La langue inconnue
Sans paroles
L’eau et le flocon
Baguettes
La nourriture décentrée
L’interstice
Pachinko
Centre-ville, centre vide
Sans adresses
La gare
Les paquets
Les trois écritures
Animé/inanimé
Dedans/dehors
Courbettes
L’effraction du sens
L’exemption du sens
L’incident
Tel
Papeterie
Le visage écrit
Des millions de corps
La paupière
L'écriture de la violence
Le cabinet des signes
. "
CORALIE 2h s\dnT
UE) s
Ôra sansloir silo nuitosts
1t4 inc) 31
Table des illustrations
1970
| _ L< 0
447
TEXTES 109,720
448
TEXTES 1:97 0
4 4 9
ME MXMAIMERS ES 070
L’ARC
Jévrier 1970
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L'analyse structurale du récit
4 61
T'ES XQTLE See 970
4, 6) 9
DOERKAT EST EH. 9 7 0
11. ‘Les apôtres et les frères établis en Judée avaient entendu dire
que les nations païennes, à leur tour, venaient de recevoir la parole
de Dieu. ? Lorsque Pierre remonta à Jérusalem, les circoncis eurent
des discussions avec lui : 5« Tu es entré, disaient-ils, chez des
incirconcis notoires et tu as mangé avec eux ! » ‘Alors Pierre reprit
l'affaire depuis le début et la leur exposa point par point :
54 Comme je me trouvais dans la ville de Joppé en train de prier, j'ai
vu en extase cette vision : du ciel descendait un objet indéfinissable, une
sorte de toile immense qui, par quatre points, venait se poser du ciel, et
arriva jusqu'à moi. 5 Le regard fixé sur elle, je l'examinais et je vis les
AN 605
NE MTS SEL NO)
4 54
D'EXATUIESS, 1 97 ©
4 5 5
DR MX TMENS 129 00
J'ai dit cela pour prévenir autant que possible une déception
et pour ne pas inciter à mettre trop d'espoir dans une méthode
scientifique qui est à peine une méthode et qui n’est certaine-
ment pas une science. Avant de passer au texte des Actes des
Apôtres qui nous intéresse, je voudrais donner trois principes
généraux qui pourraient, je pense, être reconnus par tous ceux
qui s’occupent actuellement d'Analyse structurale du Récit. J’y
ajouterai quelques remarques au sujet des dispositions opéra-
toires de l’analyse.
I. Principes généraux
et dispositions de l’analyse
1. Principe de formalisation.
Ce principe, qu’on pourrait appeler aussi principe d’abstrac-
tion, dérive de l’opposition saussurienne de la langue et de la
parole. Nous considérons que chaque récit (rappelons que, dans
le monde et dans l’histoire du monde, et l’histoire des peuples
entiers de la terre, le nombre des récits produits par l’homme
est incalculable), chaque récit de cette masse apparemment
hétéroclite de récits est la parole, au sens saussurien, le mes-
sage d’une langue générale du récit. Cette langue du récit est
évidemment repérable au-delà de la langue proprement dite, de
celle qu’étudient les linguistes. La linguistique des langues natio-
nales (dans lesquelles sont écrits les récits) s’arrête à la phrase,
qui est l’unité dernière à laquelle un linguiste peut s’attaquer.
Au-delà de la phrase, la structure ne relève plus de la linguis-
tique, mais d’une linguistique seconde, d’une translinguistique,
qui est le lieu de l’analyse du récit : après la phrase, là où plu-
sieurs phrases sont mises ensemble. Que se passe-t-il alors? On
ne le sait pas encore ; on a cru le savoir pendant très longtemps,
et c’était la rhétorique aristotélicienne ou cicéronienne qui nous
renseignait là-dessus ; mais les concepts de cette rhétorique sont
dépassés, parce que c’étaient surtout des concepts normatifs ;
cependant, la rhétorique classique, quoique caduque, n’est pas
encore remplacée. Les linguistes eux-mêmes ne s’y risquent pas ;
Benveniste a donné quelques indications, comme toujours extré-
mement pénétrantes, sur ce sujet; il y a aussi des Américains
qui se sont occupés de speech-analysis, d'analyse du discours;
mais cette linguistique-là reste encore à construire. Et l’analyse
4 6)7
MER) BES 129162.0
2. Principe de pertinence.
4 5 8
T'EUX (ME SE 41:29
#7 0
4 5 9
VER AINERS L 970
4 6 0
TEXTES 197 0
3. Principe de pluralité.
L’Analyse structurale du Récit (du moins telle que je la conçois)
ne cherche pas à établir «le » sens du texte, elle ne cherche même
pas à établir « un » sens du texte; elle diffère fondamentalement
de l’analyse philologique, car elle vise à tracer ce que j’appelle-
rai le lieu géométrique, le lieu des sens, le lieu des possibles du
texte. De même qu’une langue est un possible de paroles (une
langue est Le lieu possible d’un certain nombre de paroles, à vrai
dire infini), de même ce que l’analyste veut établir en cherchant
la langue du récit, c’est Le lieu possible des sens, ou encore le
pluriel du sens ou le sens comme pluriel. Lorsqu'on dit que l’ana-
lyse cherche ou définit le sens comme un possible, il ne s’agit
pas d’une conduite ou d’une option de type libéral; pour moi en
tout cas, il ne s’agit pas de déterminer libéralement les condi-
tions de possibilité de la vérité, il ne s’agit pas d’un agnosticisme
philologique ; je ne considère pas le possible du sens comme une
sorte de préalable indulgent et libéral à un sens certain; pour
moi, le sens, ce n’est pas une possibilité, ce n’est pas un possible,
c’est l’être même du possible, c’est l'être du pluriel (et non pas un
ou deux ou plusieurs possibles).
Dans ces conditions, l'analyse structurale ne peut être une mé-
thode d’interprétation; elle ne cherche pas à interpréter le texte,
à proposer le sens probable du texte; elle ne suit pas un chemi-
nement anagogique vers la vérité du texte, vers sa structure pro-
fonde, vers son secret; et, par conséquent, elle diffère fonda-
mentalement de ce qu’on appelle la critique littéraire, qui est
une critique interprétative, de type marxiste, ou de type psycha-
nalytique. L’analyse structurale du texte est différente de ces cri-
tiques, parce qu’elle ne cherche pas le secret du texte : pour elle,
toutes les racines du texte sont en l'air; elle n’a pas à déterrer
ces racines pour trouver la principale. Bien entendu, si, dans un
texte, il y a un sens, une monosémie, s’il y a un processus ana-
gogique, ce qui est exactement le cas de notre texte des Actes,
nous traiterons cette anagogie comme un code du texte, parmi
les autres codes, et donné comme tel par le texte.
AE AS FDMEES 190700
4. Dispositions opératoires.
Je préfère cette expression à celle, plus intimidante, de
méthode, car je ne suis pas sûr que nous possédions une méthode ;
mais il y a un certain nombre de dispositions opératoires dans
la recherche, dont il faut parler. Il me semble (c’est là une posi-
tion personnelle, qui peut changer) que, si l’on travaille sur un
seul texte (antérieurement au travail comparatif dont j’ai parlé
et qui est la fin même de l'Analyse structurale classique), il faut
prévoir trois opérations.
1° Découpage du texte, c’est-à-dire du signifiant matériel. Ce
découpage peut, à mon avis, être entièrement arbitraire ; dans un
certain état de la recherche, il n’y a aucun inconvénient à cet arbi-
traire. C’est une sorte de quadrillage du texte, qui donne les frag-
ments de l’énoncé sur lesquels on va travailler. Or, précisément,
pour l'Evangile, et même pour toute la Bible, ce travail est fait,
puisque la Bible est découpée en versets (pour le Coran, en sou-
rates). Le verset est une excellente unité de travail du sens; puis-
qu'il s’agit d’écrémer les sens, les corrélations, le tamis du verset
est d’une excellente taille. Il m’intéresserait d’ailleurs beaucoup
de savoir d’où vient le découpage en versets, s’il est lié à la nature
citationnelle de la Parole, quels sont les liens exacts, les liens struc-
turaux, entre la nature citationnelle de la parole biblique et le ver-
set. Pour d’autres textes, ces fragments d’énoncés sur lesquels on
travaille, j’ai proposé de les appeler des «lexies », des unités de
lecture. Un verset pour nous, c’est une lexie.
2° Inventaire des codes qui sont cités dans le texte : inventaire,
récolte, repérage, ou, comme je viens de le dire, écrémage. Lexie
après lexie, verset après verset, on essaie d’inventorier les sens,
dans l’acception que j'ai dite, les corrélations ou les départs de
codes présents dans ce fragment d’énoncé. Je vais y revenir
puisque je vais faire ce travail sur quelques versets.
3° Coordination : établir les corrélations des unités, des fonc-
tions repérées et qui sont souvent séparées, superposées, entre-
mêlées, ou encore tressées, puisqu’un texte, comme l’étymolo-
gie même du mot le dit, c’est un tissu, une tresse de corrélats,
qui peuvent être écartés les uns des autres par l'insertion d’autres
corrélats, qui appartiennent à d’autres ensembles. Il y a deux
grands types de corrélations : internes et externes. Pour celles qui
sont internes au texte, voici un exemple : si l’on nous dit que l’ange
apparaît, l'apparition est un terme, dont le corrélat est fatalement
4 (6 12
PER
ET ESA 1 SINT0
4 6 3
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4 6 4
TEXTES 197 ©
4 6 5
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4 6 8
TEXTES 1 29,47 0
4 6 9
DO ATARI SRE INON7E 0
que l’on retrouve à peu de variations près dans tous les récits du
folklore russe; son schéma (postulant la suite d’une trentaine
d'actions) a été repris et corrigé par Lévi-Strauss, Greimas et Bre-
mond. On peut dire qu’actuellement la « logique » des actions nar-
ratives est conçue de plusieurs manières, voisines et cependant
différentes. Propp voit la suite des actions narratives comme alo-
gique ; c’est, pour lui, une suite constante, régulière, mais sans
contenu. Lévi-Strauss et Greimas ont postulé qu’il fallait donner
à ces suites une structure paradigmatique et les reconstruire
comme des successions d’oppositions ; ici même, par exemple,
la victoire initiale (de la lettre) s’oppose à sa défaite (finale) : un
terme médian les neutralise temporairement: l’affrontement.
Bremond, pour sa part, a tenté de reconstituer une logique des
alternatives d’actions, chaque «situation » pouvant être « résolue »
d’une manière ou de l’autre et chaque solution engendrant une
nouvelle alternative. Personnellement, j’incline vers l’idée d’une
sorte de logique culturelle, qui ne devra rien à aucune donnée
mentale, fût-elle de niveau anthropologique ; pour moi, les suites
d'actions narratives sont revêtues d’une apparence logique qui
vient uniquement du déjà-écrit : en un mot, du stéréotype.
Cela dit, et de quelque manière qu’on les structure, voici par
exemple deux séquences d'actions présentes dans notre texte.
a. Une séquence élémentaire, à deux noyaux, du type Ques-
tion/Réponse : question de Pierre aux envoyés / réponse des
envoyés ;demande d'explication de Pierre à Corneille / réponse
de Corneille. Le même schéma peut se compliquer sans perdre
sa structure : information troubiante /demande d’éclaircisse-
ment formulée par la communauté / explication donnée par
Pierre / apaisement de la communauté. Notons que c’est dans la
mesure où de telles séquences sont banales qu’elles sont inté-
ressantes; car leur banalité même atteste qu’il s’agit d’une
contrainte quasi universelle, ou encore : d’une règle de gram-
maire du récit.
b. Une séquence développée, à plusieurs noyaux: c’est la
Recherche (de Pierre par les envoyés de Corneille) : partir / cher-
cher / arriver en un lieu / demander / obtenir / ramener. Cer-
tains des termes sont substituables (dans d’autres récits) : rame-
ner peut ailleurs être remplacé par renoncer, abandonner, etc.
Les séquences d'actions, constituées selon une structure logi-
cotemporelle, se présentent au fil du récit selon un ordre compli-
qué : deux termes d’une même séquence peuvent être séparés par
l'apparition de termes appartenant à d’autres séquences ; cet entre-
4 7 0
T'EMXUTrErS 1. 90710
3. Le code métalinguistique.
Le dernier problème que je veux extraire de ce texte des Actes
est relatif à ce que j’ai appelé le code métalinguistique. Le méta-
linguistique se produit, nous l’avons dit, lorsqu'un langage parle
d’un autre langage. C’est le cas du résumé, qui est un acte méta-
linguistique, puisque c’est un discours qui a pour référent un
autre discours. Or, dans notre texte, il y a quatre résumés inter-
textuels et, de plus, un résumé extérieur au texte puisqu'il ren-
voie à tout l'Evangile, à savoir la vie du Christ:
— la vision de Corneille est reprise, résumée par les envoyés
de Corneille à Pierre et par Corneille lui-même à Pierre;
4y 7% À
TE XIE MS 139 0
4 79
TEXTES 1970
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LA QUINZAINE LITTÉRAIRE
1e mai 1970
4 8 1
LME X T ES MRONTAID
4 82
D'EUX ESA El 9 7 ©
4 8 3
DAEMX ALES LMO AD
lettre est dans la figure (c’est le cas de tous les rébus) : puisqu'on
n'arrête pas le symbole, c’est qu’il est réversible : I peut renvoyer
à un couteau, mais le couteau n’est à son tour qu’un départ, au
terme duquel (la psychanalyse l’a montré) vous pouvez retrou-
ver I (pris dans tel mot qui importe à votre inconscient) : il n’y
a jamais que des avatars.
Tout cela dit combien le livre de Massin apporte d'éléments à
l'approche actuelle du signifiant. L’écriture est faite de lettres,
soit. Mais de quoi sont faites les lettres ? On peut chercher une
réponse historique — inconnue en ce qui concerne notre alpha-
bet; mais on peut aussi se servir de la question pour déplacer le
problème de l’origine, amener une conceptualisation progres-
sive de l’entre-deux, du rapport flottant, dont nous déterminons
l’ancrage d’une façon toujours abusive. En Orient, dans cette civi-
lisation idéographique, c’est ce qui est entre l'écriture et la pein-
ture qui est tracé, sans que l’on puisse référer l’une à l’autre;
ceci permet de déjouer cette loi scélérate de filiation, qui est notre
Loi, paternelle, civile, mentale, scientifique: loi ségrégative en
vertu de laquelle nous expédions d’un côté les graphistes et de
l’autre les peintres, d’un côté les romanciers et de l’autre les
poètes ;mais l'écriture est une : le discontinu qui la fonde par-
tout fait de tout ce que nous écrivons, peignons, traçons, un seul
texte. C’est ce que me montre le livre de Massin. À nous de ne
pas censurer ce champ matériel en réduisant la somme prodi-
gieuse de ces lettres-figures à une galerie d’extravagances et de
rêves : la marge que nous concédons à ce qu’on peut appeler le
baroque (pour nous faire comprendre des humanistes) est le lieu
même où l'écrivain, le peintre et le graphiste, en un mot le per-
formateur de texte, doit travailler.
LA QUINZAINE LITTÉRAIRE
1e" juin 1970
1. Dans le paradigme classique des cinq sens, le troisième est l’ouïe (le
premier en importance au Moyen Age); c’est une coïncidence heureuse, car
il s’agit bien d’une écoute; d’abord parce que les remarques d’Eisenstein
dont on se servira ici proviennent d’une réflexion sur l'avènement de l’au-
ditif dans le film; ensuite parce que l’écoute (sans référence à la phoné
unique) détient en puissance la métaphore qui convient le mieux au «tex-
tuel » : l’orchestration (mot de $S. M. E.), le contrepoint, la stéréophonie.
4 8 7
HAE XMTNTRS TND MAC
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0701)
TIME AXMINENS L'9N709
Le sens obtus
La conviction du sens obtus, je l’ai eue la première fois devant
l’image V. Une question s’imposait à moi: qu'est-ce donc qui,
dans cette vieille femme pleurante, me pose la question du signi-
fiant? Je me persuadais vite que ce n’étaient, quoique parfaits,
ni la mine ni le gestuaire de la douleur (les paupières fermées,
la bouche tirée, le poing sur la poitrine) : cela appartient à la
signification pleine, au sens obvie de l’image, au réalisme et au
décoratisme eisensteiniens. Je sentais que le trait pénétrant,
inquiétant comme un invité qui s’obstine à rester sans rien dire
là où on n’a pas besoin de lui, devait se situer dans la région du
front : la coiffe, le foulard-coiffure y était pour quelque chose.
Cependant, dans l’image VI, le sens obtus disparaît, il n’y a plus
qu’un message de douleur. J’ai alors compris que la sorte de scan-
dale, de supplément ou de dérive imposée à cette représentation
classique de la douleur, provenait très précisément d’un rapport
ténu : celui de la coiffe basse, des yeux fermés et de la bouche
convexe ; ou plutôt, pour reprendre la distinction de S.M.E. lui-
même entre «les ténèbres de la cathédrale » et «la cathédrale
enténébrée », d’un rapport entre la «basseur» de la ligne coif-
fante, anormalement tirée jusqu'aux sourcils comme dans ces
déguisements où l’on veut se donner un air loustic et niais, la
montée circonflexe des sourcils passés, éteints, vieux, la courbe
excessive des paupières baissées mais rapprochées comme si
elles louchaient, et la barre de la bouche entrouverte, répondant
à la barre de la coiffe et à celle des sourcils, dans le style méta-
phorique «comme un poisson à sec». Tous ces traits (la coiffe
loustic, la vieillarde, les paupières qui louchent, le poisson) ont
pour vague référence un langage un peu bas, celui d’un dégui-
sement assez pitoyable ; joints à la noble douleur du sens obvie,
ils forment un dialogisme si ténu, qu’on ne peut en garantir lin-
tentionnalité. Le propre de ce troisième sens est en effet — du
moins chez S.M.E. — de brouiller la limite qui sépare l’expres-
sion du déguisement, mais aussi de donner cette oscillation d’une
façon succincte : une emphase elliptique, si l’on peut dire: dis-
position complexe, très retorse (car elle implique une tempora-
lité de la signification), qui est parfaitement décrite par Eisen-
stein lui-même lorsqu'il cite avec jubilation la règle d’or du vieux
K.S. Gillette : un léger demi-tour en arrière du point-limite
(n° 219 des Cahiers du cinéma).
4 9 2
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Le photogramme
C’est pourquoi, dans une certaine mesure (qui est celle de nos
balbutiements théoriques), le filmique, très paradoxalement, ne
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CAHIERS DU CINÉMA
juillet 1970
Une problématique du sens
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TEXTES «97
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FENTE MS L 9 76
Monosémie
Le premier régime est celui de la monosémie, système idéo-
logique social ou institutionnel ou esthétique, dans lequel on
pense que les messages ou les signifiants ont un seul sens, qui
est le bon. Cette monosémie, c’est-à-dire la postulation qu’il y a
un seul sens, est une forme de ce que les pathologues du lan-
gage appellent l’asymbolie.
C’est un régime dans lequel il y a une sorte de cécité ou de
surdité au symbole. J’emploie «symbole » dans une acception
extrêmement simple et large : à savoir toute coexistence de deux
sens; là ou coexistent au moins deux sens, il y a symbole. Si, par
conséquent, on postule qu’il n’y a qu’un seul sens, on se déclare
en quelque sorte fermé, sourd ou aveugle au symbole. Il serait
d’ailleurs intéressant de rappeler que l’asymbolie est précisément
considérée par les spécialistes du langage comme un trait patho-
logique. Le fait d’être sourd ou fermé ou aveugle au symbole est,
en quelque sorte, le signe que quelque chose ne va pas bien.
Actuellement, on arrive assez bien à situer dans une perspective
à la fois psychanalytique et psychosomatique l’importance de
cette asymbolie chez certains êtres.
L’école de psycho-somatique à Paris a fait des travaux très inté-
ressants qui semblent montrer que les malades psycho-somatiques
sont précisément des gens qui ne symbolisent pas en eux-mêmes,
qui ont une impuissance à symboliser, et notamment à symboliser
leur propre corps; par conséquent, ils ne peuvent rien dire, ils ne
peuvent pas parler, ou encore ils ne peuvent pas phantasmer. Le
phantasme est le règne du symbole. C’est parce qu’il ne phantas-
merait pas que le malade aurait cette forme d’affection psychoso-
matique. La conséquence, paradoxale mais évidente, est que pour
traiter un malade psychosomatique, il faut trouver les moyens de
AVE
EX AMIENS EE 00 7
Polysémie
Le régime de la polysémie est la forme de langage, au sens
très large du terme, des sociétés qui acceptent le langage
mythique, ce que Hegel appelait «le frisson du sens ». Hegel disait
que les anciens Grecs attribuaient des sens multiples à tous les
TEXTES 1 29) % 0
5 à 3
TE AXMTAERS 129 720
Asémie
Une troisième forme de régime du sens serait un régime d’asé-
mie, c’est-à-dire d'absence du sens ou, mieux, d’exemption du
sens. Au niveau très général où nous nous plaçons, l’asémie, c’est-
à-dire la non-symbolie dont nous allons voir qu’elle est différente
de l’asymbolie, ne peut représenter qu’une expérience limite, et
c’est au niveau des expériences limites, sur le plan des sociétés,
des civilisations, qu’il faut l’interroger. Il s’agit d'efforts, très loca-
lisés dans certaines civilisations, dans certaines sociétés, pour arri-
ver à ce que j'appelle une exemption totale du sens. Cela n’a rien
à voir, structuralement, avec l’absurde ; l'absurde ou l’absurdité
est un sens, le sens de l'absurde précisément, l’'exemption de sens
est donc un état du sens infiniment plus difficile à réaliser, c’est
une sorte de vide du sens ou plutôt le sens senti et lu comme
vide, ce qui n’est pas le cas de l’absurde. Ce vide du sens, où le
trouve-t-on, pour en donner quelques exemples ? Tous les lan-
gages formalisés, ceux notamment des mathématiques ou de la
logique, sont des langages vides de sens. Ils sont constitués par
de pures relations ; mais dans ces relations, il n’y a aucune plé-
nitude de sens insérée. Ce serait comme une langue qui n’exis-
lerait que par sa syntaxe et non par son lexique. Voilà à peu près
ce que serait ce vide, ce langage vide des systèmes formalisés.
Autre zone très loin dans l’espace, sinon dans le temps, où nous
pouvons approcher l’idée d’un langage vide, d’un sens vide, ce
serait du côté des expériences mystiques. Mais j'ajoute tout de
suite que ce n’est pas dans les descriptions de la mystique chré-
tienne, bien qu’elles jouent beaucoup avec cette idée du vide, et
du sens du vide, de la nuit, chez les mystiques comme saint Jean
de la Croix ou Thérèse dAvila, que j'irai chercher le meilleur
exemple, mais plutôt du côté d'expériences situées dans des reli-
a = EN
TEXTES 1 9 7 ©
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DE XIV E2St 1 9 à 0
occupé par des signifiants à tous les niveaux; et tous ces signi-
fiants renverraient alors, dans l’inconscient, à un signifié unique
et ultime que Lacan appelle la métaphore paternelle. Mais, et c’est
là que Lacan a formulé les choses d’une façon nouvelle, pour
Lacan le signifié ultime, qui est en quelque sorte au fond ou au
bout, dans l'inconscient de ces chaînes de signifiants, est un
manque, un vide. C’est, en termes psychanalytiques, le manque
phallique, le phallus étant le sexe masculin pris dans sa valeur
signifiante, en tant que symbole; ce manque phallique précisé-
ment est lié au complexe fondamental de castration qui serait
au fond ou au bout de cette chaîne de signifiants ; notre psyché,
qu’elle soit normale ou pathologique, passerait son temps à éla-
borer des symboles et des signifiants à partir d’un vide, celui qui
est défini en termes psychanalytiques par la castration. Cela est
nouveau et important parce que précisément cela s’oppose en
quelque sorte à toutes les psychologies de la plénitude, à toutes
les psychologies de l’essence et des essences psychologiques, et
cela constitue une méditation extrêmement neuve sur les rap-
ports du sens et du vide.
Un deuxième niveau, c’est le niveau métaphysique tel qu’on
peut le voir actuellement exploré par les textes de Jacques Der-
rida. On sait depuis Saussure, avec beaucoup de netteté, que le
signe est une différence. Pour qu’il y ait signe, il faut qu’il y ait
différence, différence entre deux signifiants (jeu paradigma-
tique). Saussure avait dit le premier, d’une façon très révolu-
tionnaire, que la langue n’était qu’un système de différences ; Der-
rida a poussé les choses jusqu’au bout et il a vu que le signe était
une différence, était l’amorce d’une sorte de procès infini, qui
recule infiniment le signifié. On pensait jusqu’à présent qu’on
avait besoin de cette espèce de butée du sens. On pensait que
les signes étaient un mélange de signifiants et de signifiés mais
qu’une fois atteint le signifié, le signe s’arrêtait, tout était plein,
tout était rempli, tout était normal. Maintenant on commence à
entrevoir que les systèmes de signes ne peuvent jamais s’arrê-
ter, qu’on ne peut jamais stopper ces systèmes sur des signifiés
ultimes ou un signifié ultime. C’est évidemment là l’amorce d’une
réflexion métaphysique qui va très loin et qui est en réalité pro-
fondément athéiste, puisque les systèmes théologiques font de
Dieu le signifié ultime.
Il serait difficile de concevoir que Dieu soit le signifiant de
quelque chose ; Dieu est ce qui est signifié, c’est lui qui est au
fond en tant que signifié ultime et c’est lui qui est en quelque
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DEXTES 1 9 7 0
Débat
J. - Sur un groupe de vingt-sept élèves de 5°, deux élèves,
devant dix images successives, sont incapables de « phantasmer »;
par exemple : si je présente un cheval dans un pré, ils diront «le
cheval est dans le pré » et ainsi de suite, alors que vingt-cinq
autres élèves se conduisent autrement, ils disent : « c’est un che-
val blanc », etc.
619
TEXTES 1 9 7 0
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Centre régional de documentation pédagogique, Bordeaux, 1970
Aide-mémoire
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TEXTES 119.70
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A. Le voyage
A.1. Naissance de la rhétorique.
A.1.1. Rhétorique et propriété.
La Rhétorique (comme métalangage) est née de procès de
propriété. Vers 485 avant J.-C., deux tyrans siciliens, Gélon et
Hiéron, opérèrent des déportations, des transferts de popula-
tion et des expropriations, pour peupler Syracuse et lotir les
mercenaires ; lorsqu'ils furent renversés par un soulèvement
démocratique et que l’on voulut revenir à l’ante qua, il y eut
des procès innombrables, car les droits de propriété étaient obs-
curcis. Ces procès étaient d’un type nouveau: ils mobilisaient
de grands jurys populaires, devant lesquels, pour convaincre,
il fallait être « éloquent ». Cette éloquence, participant à la fois
de la démocratie et de la démagogie, du judiciaire et du poli-
tique (ce qu’on appela ensuite le délibératif), se constitua rapi-
dement en objet d'enseignement. Les premiers professeurs de
cette nouvelle discipline furent Empédocle d’Agrigente, Corax,
son élève de Syracuse (le premier à se faire payer ses leçons),
et Tisias. Cet enseignement passa non moins rapidement en
Attique (après les guerres médiques), grâce aux contestations
de commerçants, qui plaidaient conjointement à Syracuse et à
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5 2542
TEXTES 19700
A.3. Platon.
Les dialogues de Platon qui traitent directement de la Rhéto-
rique sont : le Gorgias et le Phèdre.
A.5.1. Les deux rhétoriques.
Platon traite de deux rhétoriques, lune mauvaise, l’autre bonne :
1° la rhétorique de fait est constituée par la logographie, activité
qui consiste à écrire n'importe quel discours (il ne s’agit plus seu-
lement de rhétorique judiciaire; la totalisation de la notion est
importante) ; son objet est la vraisemblance, l'illusion ; c’est la rhé-
torique des rhéteurs, des écoles, de Gorgias, des Sophistes; 2° la
rhétorique de droit est la vraie rhétorique, la rhétorique philoso-
phique ou encore la dialectique; son objet est la vérité; Platon
l'appelle une psychagogie (formation des âmes par la parole).
— L'opposition de la bonne et de la mauvaise rhétorique, de la rhé-
torique platonicienne et de la rhétorique sophistique, fait partie
d’un paradigme plus large : d’un côté, les flatteries, les industries
serviles, les contrefaçons ; de l’autre, le rejet de toute complaisance,
la rudesse; d’un côté les empiries et les routines, de l’autre les
arts : les industries du plaisir sont une contrefaçon méprisable
des arts du Bien : la rhétorique est la contrefaçon de la Justice, la
sophistique de la législation, la cuisine de la médecine, la toilette
de la gymnastique : la rhétorique (celle des logographes, des rhé-
teurs, des sophistes) n’est donc pas un art.
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subsistance : l'argent :
Flatteurs. Sophistes.
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fusion est capitale, car elle est à l’origine même de l’idée de lit-
térature : la rhétorique aristotélicienne met l’accent sur le rai-
sonnement; l’elocutio (ou département des figures) n’en est
qu’une partie (mineure chez Aristote lui-même); ensuite, c’est
le contraire : la rhétorique s’identifie aux problèmes, non de
«preuve», mais de composition et de style: la littérature (acte
total d'écriture) se définit par le bien-écrire. Il faut donc consti-
tuer en étape de notre voyage, sous le nom général de rhéto-
rique aristotélicienne, les rhétoriques antérieures à la totalisa-
tion poétique. Cette rhétorique aristotélicienne, nous en aurons
la théorie avec Aristote lui-même, la pratique avec Cicéron, la
pédagogie avec Quintilien et la transformation (par généralisa-
tion) avec Denys d’'Halicarnasse, Plutarque et l'Anonyme du
traité Sur le sublime.
A.4.2. La Rhétorique d’Aristote.
Aristote définit la rhétorique comme «l’art d'extraire de tout
sujet le degré de persuasion qu’il comporte », ou comme «la
faculté de découvrir spéculativement ce qui dans chaque cas
peut être propre à persuader ». Ce qui est peut-être plus impor-
tant que ces définitions, c’est le fait que la rhétorique est une
technè (ce n’est pas une embpirie), c’est-à-dire : le moyen de
produire une des choses qui peuvent indifféremment être ou
n'être pas, dont l’origine est dans l’agent créateur, non dans
l’objet créé: il n’y a pas de technè des choses naturelles ou
nécessaires : le discours ne fait donc partie ni des unes ni des
autres. — Aristote conçoit le discours (l’oratio) comme un mes-
sage et le soumet à une division de type informatique. Le livre
I de la Rhétorique est le livre de l'émetteur du message, le livre
de l’orateur : il y est traité principalement de la conception des
arguments, pour autant qu’ils dépendent de l’orateur, de son
adaptation au public, ceci selon les trois genres reconnus de
discours (judiciaire, délibératif, épidictique). Le livre IL est
le livre du récepteur du message, le livre du public: il y est
traité des émotions (des passions), et de nouveau des argu-
ments, mais cette fois-ci pour autant qu’ils sont reçus (et non
plus, comme avant, conçus). Le livre IIT est le livre du message
lui-même : il y est traité de la lexis ou elocutio, c’est-à-dire des
«figures », et de la taxis ou dispositio, c’est-à-dire de l’ordre des
parties du discours.
TEXTES 1970
A.4.35. Le vraisemblable.
La Rhétorique d’Aristote est surtout une rhétorique de la
preuve, du raisonnement, du syllogisme approximatif (enthy-
mème); c’est une logique volontairement dégradée, adaptée au
niveau du «public», c’est-à-dire du sens commun, de lopinion
courante. Etendue aux productions littéraires (ce qui n’était pas
son propos originel), elle impliquerait une esthétique du public,
plus qu’une esthétique de l’œuvre. C’est pourquoi, mutatis mutan-
dis et toutes proportions (historiques) gardées, elle conviendrait
bien aux produits de notre culture dite de masse, où règne le
«vraisemblable » aristotélicien, c’est-à-dire « ce que le public croit
possible ». Combien de films, de feuilletons, de reportages com-
merciaux pourraient prendre pour devise la règle aristotéli-
cienne : « Mieux vaut un vraisemblable impossible qu’un possible
invraisemblable » : mieux vaut raconter ce que le public croit pos-
sible, même si c’est impossible scientifiquement, que de racon-
ter ce qui est possible réellement, si ce possible-là est rejeté par
la censure collective de l’opinion courante. Il est évidemment ten-
tant de mettre en rapport cette rhétorique de masse avec la poli-
tique d’Aristote ; c’était, on le sait, une politique du juste milieu,
favorable à une démocratie équilibrée, centrée sur les classes
moyennes et chargée de réduire les antagonismes entre les
riches et les pauvres, la majorité et la minorité ; d’où une rhéto-
rique du bon sens, volontairement soumise à la « psychologie »
du public.
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A.4.8. Ecrire.
En traitant des tropes et des figures (livres VIII à X), Quinti-
lien fonde une première théorie de l’«écrire ». Le livre X est
adressé à celui qui veut écrire. Comment obtenir la « facilité bien
fondée » (firma facilitas), c’est-à-dire comment vaincre la stéri-
lité native, la terreur de la page blanche (facilitas), et comment,
cependant, dire quelque chose, ne pas se laisser emporter par
le bavardage, le verbiage, la logorrhée (firma)? Quintilien
esquisse une propédeutique de l’écrivain: il faut lire et écrire
beaucoup, imiter des modèles (faire des pastiches), corriger
énormément, mais après avoir laissé «reposer», et savoir ter-
miner. Quintilien note que la main est lente, la «pensée» et
l'écriture ont deux vitesses différentes (c’est un problème sur-
réaliste :comment obtenir une écriture aussi rapide. qu’elle-
même ?); or, la lenteur de la main est bénéfique : il ne faut pas
dicter, l’écriture doit rester attachée, non à la voix, mais à la
main, au muscle : s'installer dans la lenteur de la main : pas de
brouillon rapide.
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DNEMXMTN ESS 12 187 EU)
À. 5. La néo-rhétorique.
A.5.1. Une esthétique littéraire.
On appelle néo-rhétorique ou seconde sophistique l'esthétique
littéraire (Rhétorique, Poétique et Critique) qui a régné dans le
monde gréco-romain uni, du 11° au 1v° siècle après J.-C. C’est une
période de paix, de commerce, d'échanges, favorable aux socié-
tés oisives, surtout dans le Moyen-Orient. La néo-rhétorique fut
véritablement œcuménique : les mêmes figures furent apprises
par saint Augustin en Afrique latine, par le païen Libanius, par
saint Grégoire de Nazianze dans la Grèce orientale. Cet empire
littéraire s’édifie sous une double référence : 1° la sophistique:
les orateurs d'Asie Mineure, sans attache politique, veulent
reprendre le nom des Sophistes, qu’ils croient imiter (Gorgias),
sans aucune connotation péjorative ; ces orateurs de pur appa-
rat jouissent d’une très grande gloire; 2° la rhétorique: elle
englobe tout, n'entre plus en opposition avec aucune notion voi-
sine, absorbe toute la parole ; ce n’est plus une fechnè (spéciale),
mais une culture générale, et même plus : une éducation natio-
nale (au niveau des écoles d’Asie Mineure); le sophistès est un
directeur d'école, nommé par l’empereur ou par une ville; le
maître qui lui est subordonné est le rhetor. Dans cette institu-
tion collective, pas de nom à citer : c’est une poussière d'auteurs,
un mouvement connu seulement par la lie des sophistes de Phi-
lostrate. De quoi est faite cette éducation de la parole? Il faut
une fois de plus distinguer la rhétorique syntagmatique (parties)
de la rhétorique paradigmatique (figures).
5 419
TEXTES ANOMTO
A.6. Le Trivium.
A.6.1. Structure agonistique de l’enseignement.
Dans l’Antiquité, les supports de culture étaient essentielle-
ment l’enseignement oral et les transcriptions auxquelles il
pouvait donner lieu (traités acroématiques et technai des logo-
graphes). A partir du vit siècle, l’enseignement prend un tour
agonistique, reflet d’une situation concurrentielle aiguë. Les
écoles libres (à côté des écoles monacales ou épiscopales) sont
laissées à l'initiative de n’importe quel maître, souvent très jeune
(vingt ans); tout repose sur le succès : Abélard, étudiant doué,
«défait» son maître, lui prend son public payant et fonde une
a B e
TVEMXATA ENS (MO NTAD
A.6.2. L’écrit.
Quant à l'écrit, il n’est pas soumis, comme aujourd’hui, à une
valeur d'originalité ; ce que nous appelons l’auteur n’existe pas;
autour du texte ancien, seul texte pratiqué et en quelque sorte
géré, comme un capital reconduit, il y a des fonctions différentes :
1° le scriptor recopie purement et simplement; 2° le compilator
ajoute à ce qu’il copie, mais jamais rien qui vienne de lui-même ;
3° le commentator s’introduit bien dans le texte recopié, mais
seulement pour le rendre intelligible ; 4° l’auctor, enfin, donne
ses propres idées mais toujours en s’appuyant sur d’autres auto-
rités. Ces fonctions ne sont pas nettement hiérarchisées : le com-
mentator, par exemple, peut avoir le prestige qu’aurait aujour-
d’hui un grand écrivain (ce fut, au x1r° siècle, le cas de Pierre Hélie,
surnommé «le Commentator »). Ce que par anachronisme nous
pourrions appeler l'écrivain est donc essentiellement au Moyen
Age : 1° un transmetteur : il reconduit une matière absolue qui est
le trésor antique, source d’autorité ; 2° un combinateur: il a le
droit de « casser » les œuvres passées, par une analyse sans frein,
et de les recomposer (la « création », valeur moderne, si l’on en
avait eu l’idée au Moyen Age, y aurait été désacralisée au profit
de la structuration).
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D BXL EASY LS 70
A.6.5. Le Septennium.
Au Moyen Age, la « culture » est une taxinomie, un réseau fonc-
tionnel d’« arts », c’est-à-dire de langages soumis à des règles (l’éty-
mologie de l’époque rapproche art de arctus, qui veut dire arti-
culé), et ces «arts » sont dits « libéraux » parce qu’ils ne servent pas
à gagner de l’argent (par opposition aux artes mechanicae, aux
activités manuelles) : ce sont des langages généraux, luxueux. Ces
arts libéraux occupent la place de cette «culture générale » que
Platon récusait au nom et au profit de la seule philosophie, mais
que l’on réclama ensuite (Isocrate, Sénèque) comme propédeu-
tique à la philosophie. Au Moyen Age, la philosophie elle-même
se réduit et passe dans la culture générale comme un art parmi
les autres (Dialectica). Ce n’est plus à la philosophie que la cul-
ture libérale prépare, c’est à la théologie, qui reste souveraine-
ment en dehors des sept Arts, du Septennium. Pourquoi sont-ils
sept? On trouve déjà dans Varron une théorie des arts libéraux:
ils sont alors neuf (les nôtres, augmentés de la médecine et de
l'architecture); cette structure est reprise et codifiée au v° et au
vie siècle par Martianus Capella (africain païen) qui fonde la hié-
rarchie du Septennium dans une allégorie, Les Noces de Mercure
et de Philologie (Philologie désigne ici le savoir total) : Philologie,
la vierge savante, est promise à Mercure ; elle reçoit en cadeau de
noces les sept arts libéraux, chacun étant présenté avec ses sym-
boles, son costume, son langage ; par exemple, Grammatica est
une vieille femme, elle a vécu en Attique et porte des vêtements
romains ; dans un petit coffret d'ivoire, elle tient un couteau et une
lime pour corriger les fautes des enfants ;Rhetorica est une belle
femme, ses habits sont ornés de toutes les figures, elle tient les
armes destinées à blesser les adversaires (coexistence de la rhé-
torique persuasive et de la rhétorique ornementale). Ces allégo-
ries de Martianus Capella furent très connues, on les trouve sta-
tufiées sur la façade de Notre-Dame, sur celle de la cathédrale de
Chartres, dessinées dans les œuvres de Botticelli. Boèce et Cas-
siodore (vi: siècle) précisent la théorie du Septennium, le premier
en faisant passer l’Organon d’Aristote dans Dialectica, le second
en postulant que les arts libéraux sont inscrits de toute éternité
dans la sagesse divine et dans les Ecritures (les Psaumes sont pleins
de « figures ») : la rhétorique reçoit la caution du Christianisme,
elle peut légalement émigrer de l'Antiquité dans l'Occident chré-
tien (et donc dans les temps modernes); ce droit sera confirmé
par Bède, à l’époque de Charlemagne. - De quoi est fait le Sep-
6 4 6
MAENXAT
ER STI EUA 0)
1. Il existait une liste mnémonique des sept arts : Gram (matica) loqui-
tur. Dia (lectica) vera docel. Rhe (torica) verba colorat. Mu (sica) canit. 4r
(ithmetica) numeral. Ge (omelria) ponderat. Às (tronomia) colit astra.
Une allégorie d'Alain de Lille (xnt siècle) rend compte du système dans
sa complexité : les Sept Arts sont convoqués pour fournir un chariot à Pru-
dentia, qui cherche à guider l’homme : Grammatica fournit le timon, Logica
(ou Dialectica) lessieu, que Rhetorica orne de joyaux; le quadrivium four-
nit les quatre roues, les chevaux sont les cinq sens, harnachés par Ratio:
l’attelage va vers les saints, Marie, Dieu; lorsque la limite des pouvoirs
humains est atteinte, Theologia prend la relève de Prudentia (l'Education
est une rédemption).
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Rhetorica
5 4 7
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1. La roue de Virgile est une classification figurée des trois « styles »; cha-
cun des trois secteurs de la roue réunit un ensemble homogène de termes et
de symboles:
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{. (La sophistique du non chez les mystiques : «pour être à tout veillez à
n'être à rien en rien ».) «Par un paradoxe aisément explicable, cette logique
destructrice plaît aux conservateurs : c’est qu’elle est inoffensive ; abolissant tout,
elle ne touche à rien. Privée d’'efficace, elle n’est, au fond, qu’une rhétorique.
Quelques états d'âme truqués, quelques opérations effectuées sur le langage,
ce n’est pas cela qui changera le cours du monde » (Sartre, Saint Genet, p. 191).
2. J. Kristeva, Sèméiotikè, Paris, Ed. du Seuil, 1969 [coll. « Points », 1978].
5. Rhélorique générale, par le Groupe h, Paris, Larousse, 1970 [Ed. du
Seuil, coll. « Points », 1982].
4. « La disparition de la Rhétorique traditionnelle a créé un vide dans les
humanités et la stylistique a déjà fait un long chemin pour combler ce vide.
En fait, il ne serait pas Lout à fait faux de décrire la stylistique comme une
bU5uS
DUREE ESS 411,9)
7 0
B. Le réseau
B.0.1. L’exigence de classement.
Tous les traités de l’Antiquité, surtout post-aristotéliciens, mon-
trent une obsession de classement (le terme même de partitio
oratoire en témoigne): la rhétorique se donne ouvertement
comme un classement (de matériaux, de règles, de parties, de
genres, de styles). Le classement lui-même est l’objet d’un dis-
cours : annonce du plan du traité, discussion serrée du classe-
ment proposé par les prédécesseurs. La passion du classement
apparaît toujours byzantine à celui qui n’y participe pas: pour-
quoi discuter si âprement de la place de la propositio, mise tan-
tôt à la fin de l’exorde, tantôt au début de la narratio ? Cepen-
dant, la plupart du temps, et c’est normal, l'option taxinomique
implique une option idéologique : il y a toujours un enjeu à la place
des choses: dis-moi comment tu classes, je te dirai qui tu es. On
ne peut donc adopter, comme on le fera ici, à des fins didactiques,
DC
NF MINERS TIMOR O0
5? MEMORIA er AR pd.
EC memoriae mandare recourir à la mémoire
Mnémè
Les trois premières opérations sont les plus importantes ({nven-
tio, Dispositio, Elocutio) ; chacune supporte un réseau ample et
subtil de notions, et toutes trois ont alimenté la rhétorique au-
delà de l’Antiquité (surtout l’Elocutio). Les deux dernières (Actio
et Memoria) ont été très vite sacrifiées, dès lors que la rhétorique
n’a plus seulement porté sur les discours parlés (déclamés) d’avo-
cats ou d'hommes politiques, ou de « conférenciers » (genre épi-
dictique), mais aussi, puis à peu près exclusivement, sur des
«œuvres » (écrites). Nul doute, pourtant, que ces deux parties ne
présentent un grand intérêt : la première (Actio) parce qu’elle ren-
voie à une dramaturgie de la parole (c’est-à-dire à une hystérie
et à un rituel); la seconde parce qu’elle postule un niveau des
stéréotypes, un inter-textuel fixe, transmis mécaniquement. Mais,
comme ces deux dernières opérations sont absentes de l’œuvre
(opposée à l’oratio) et comme, même chez les Anciens, elles n’ont
donné lieu à aucun classement (mais seulement à de brefs com-
mentaires), on les éliminera, ici, de la machine rhétorique. Notre
arbre comprendra donc seulement trois souches : 1° /nventio;
2° Dispositio ; 3° Elocutio. Précisons cependant qu’entre le concept
de technè et ces trois départs s’interpose encore un palier : celui
des matériaux «substantiels » du discours : Res et Verba. Je ne
pense pas qu’il faille traduire simplement par les Choses et les
Mots. Res, dit Quintilien, ce sont quae significantur, et Verba : quae
significant ;en somme, au niveau du discours, les signifiés et les
signifiants. Res, c’est ce qui est déjà promis au sens, constitué dès
le départ en matériau de signification ; Verbum, c’est la forme qui
va déjà chercher le sens pour l’accomplir. C’est le paradigme
res/verba qui compte, c’est la relation, la complémentarité,
l'échange, non la définition de chaque terme. —- Comme la Dis-
positio porte à la fois sur les matériaux (res) et sur les formes dis-
cursives (verba), le premier départ de notre arbre, la première
épure de notre machine doit s’inscrire ainsi:
Technè rhetorike
Res CE RS Ve f,
B.1. L’Inventio.
B.1.2. Convaincre/émouvoir.
De l’inventio partent deux grandes voies, l’une logique, l’autre
psychologique : convaincre et émouvoir. Convaincre (fidem facere)
requiert un appareil logique ou pseudo-logique qu’on appelle en
gros la Probatio (domaine des « Preuves ») : par le raisonnement,
il s’agit de faire une violence juste à l’esprit de l’auditeur, dont
le caractère, les dispositions psychologiques, n’entrent pas alors
en ligne de compte : les preuves ont leur propre force. Emouvoir
(animos impellere) consiste au contraire à penser le message pro-
batoire non en soi, mais selon sa destination, l'humeur de qui
doit le recevoir, à mobiliser des preuves subjectives, morales.
Nous descendrons d’abord le long chemin de la probatio (convain-
cre), pour revenir ensuite au second terme de la dichotomie de
départ (émouvoir). Toutes ces « descentes » seront reprises gra-
phiquement, sous forme d’un arbre, en annexe.
5 6 4
ODA ES 0:
D A)
B.1.7. L’exemplum.
L’exemplum (paradeigma) est l'induction rhétorique : on pro-
cède d’un particulier à un autre particulier par le chaînon impli-
cite du général : d’un objet on infère la classe, puis de cette classe
on défère un nouvel objet. L’exemplum peut avoir n'importe
quelle dimension, ce peut être un mot, un fait, un ensemble de
faits et le récit de ces faits. C’est une similitude persuasive, un
argument par analogie : on trouve de bons exempla, si l’on a le
don de voir les analogies — et aussi, bien entendu, les contraires ?;
comme son nom grec l'indique, il est du côté du paradigmatique,
du métaphorique. Dès Aristote, l’exemplum se subdivise en réel
et fictif; le fictif se subdivise en parabole etfable ; le réel couvre
des exemples historiques, mais aussi mythologiques, par oppo-
sition non à l’imaginaire, mais à ce qu’on invente soi-même ; la
parabole est une comparaison courte 5, la fable (logos) un assem-
blage d’actions. Ceci indique la nature narrative de lexemplum,
qui va s'épanouir historiquement.
B.1.8. La figure exemplaire : l’imago.
Au début du 1‘ siècle avant J.-C., une nouvelle forme d’exem-
plum apparaît : le personnage exemplaire (eikôn, imago) désigne
Pincarnation d’une vertu dans une figure : Cato illa virtutum viva
imago (Cicéron). Un répertoire de ces «imago » s'établit à l'usage
des écoles de rhéteurs (Valère Maxime, sous Tibère : Factorum
ac dictorum memorabilium librinovem), suivi plus tard d’une ver-
sion en vers. Cette collection de figures a une immense fortune
au Moyen Age; la poésie savante propose le canon définitif de
ces personnages, véritable Olympe d’archétypes que Dieu a mis
dans la marche de lhistoire ; l’imago virtutis saisit parfois des
personnages très secondaires, voués à une immense fortune, tel
5 7
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B.1.15. L’eikos, le vraisemblable.
Le deuxième type de « certitude » (humaine, non scientifique)
qui peut servir de prémisse à l’enthymème est le vraisemblable,
notion capitale aux yeux d’Aristote. C’est une idée générale repo-
sant sur le jugement que se sont fait les hommes par expériences
et inductions imparfaites (Perelman propose de l’appeler le pré-
Jérable). Dans le vraisemblable aristotélicien il y a deux noyaux :
1° l’idée de général, en ce qu’elle s’oppose à l’idée d’universel :
luniversel est nécessaire (c’est l’attribut de la science), le géné-
ral est non nécessaire ; c’est un « général » humain, déterminé
en somme statistiquement par l’opinion du plus grand nombre ;
2° la possibilité de contrariété ; certes l’enthymème est reçu par
le public comme un syllogisme certain, il semble partir d’une
opinion à laquelle on croit « dur comme fer »; mais par rapport
à la science, le vraisemblable admet, lui, le contraire : dans les
limites de l'expérience humaine et de la vie morale, qui sont
celles de Perkos, le contraire n’est jamais impossible : on ne peut
prévoir d’une façon certaine (scientifique) les résolutions d’un
être libre : «celui qui se porte bien verra le jour demain », «un
père aime ses enfants », «un vol commis sans effraction dans la
maison a dû l’être par un familier », etc. : soit, mais le contraire
est toujours possible ; l'analyste, le rhétoricien sent bien la force
de ces opinions, mais en toute honnêteté il les tient à distance
en les introduisant par un esto (soit) qui le décharge aux yeux
de la science, où le contraire n’est jamais possible.
87 5
DE XAT ES 1.59 47:10
6 7 6
T EXT ES 1 9 7 ©
1. Ces grilles topiques sont stupides, elles n’ont aucun rapport avec la
«vie», la «vérité», on a eu bien raison de les bannir de l’enseignement
moderne, etc. : sans doute : encore faudrait-il que les «sujets » (de devoir,
de dissertation) suivent ce beau mouvement. Au moment où j'écris ceci,
j'entends que l’un des «sujets » du dernier baccalauréat était quelque chose
comme : Faut-il encore respecter les vieillards ? À sujet stupide, topique indis-
pensable.
DANCE B. 1.25
HOME OC MAIS 1 49 1710
était soumis à une seule réserve : ils ne pouvaient être mis dans la
peroratio (péroraison), qui est entièrement contingente, car elle
doit résumer l’oratio. Cependant, depuis et aujourd’hui, combien
de conclusions stéréotypées!
B.1.22. Quelques Topiques.
Revenons à notre Topique-grille, car c’est elle qui nous per-
mettra de reprendre la « descente » de notre arbre rhétorique, dont
elle est un grand lieu distributeur (de dispatching). L’Antiquité et
le classicisme ont produit plusieurs topiques, définies soit par le
groupement affinitaire des lieux, soit par celui des sujets. Dans le
premier cas, on peut citer la Topique générale de Port-Royal, ins-
pirée du logicien allemand Clauberg (1654) ; la Topique de Lamy,
qu’on a citée, en a donné une idée : il y a les lieux de grammaire
(étymologie, conjugata), les lieux de logique (genre, propre, acci-
dent, espèce, différence, définition, division), les lieux de méta-
physique (cause finale, cause efficiente, effet, tout, parties, termes
opposés); c’est évidemment une topique aristotélicienne. Dans le
second cas, qui est celui des Topiques par sujets, on peut citer les
Topiques suivantes : 1° la Topique oratoire proprement dite; elle
comprend en fait trois topiques : une topique des raisonnements,
une topique des mœurs (ethe: intelligence pratique, vertu, affec-
tion, dévouement) et une topique des passions (pathè: colère,
amour, crainte, honte et leurs contraires) ; 2° une topique du risible,
partie d’une rhétorique possible du comique ; Cicéron et Quinti-
lien ont énuméré quelques lieux du risible : défauts corporels,
défauts d'esprit, incidents, extérieurs, etc.; 3° une topique théolo-
gique: elle comprend les différentes sources où les théologiens
peuvent puiser leurs arguments : Ecritures, Pères, Conciles, etc.;
4° une topique sensible ou topique de l'imagination; on la trouve
ébauchée dans Vico : « Les fondateurs de la civilisation [allusion
à l’antériorité de la Poésie] se livrèrent à une topique sensible, dans
laquelle ils unissaient les propriétés, les qualités ou les rapports
des individus ou des espèces et les employaient tout concrets à
former leur genre poétique »; Vico parle ailleurs des « universaux
de l'imagination »; on peut voir dans cette topique sensible une
ancêtre de la critique thématique, celle qui procède par catégo-
ries, non par auteurs: celle de Bachelard, en somme : l’ascen-
sionnel, le caverneux, le torrentueux, le miroitant, le dormant, etc.,
sont des «lieux » auxquels on soumet les «images » des poètes.
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des « langages ». Il peut paraître très plat (et sans doute faux) de
dire que les jeunes gens se mettent plus facilement en colère
que les vieillards ;mais cette platitude (et cette erreur) devient
intéressante, si nous comprenons qu’une telle proposition n’est
qu’un élément de ce langage général d'autrui qu’Aristote recons-
titue, conformément peut-être à l’arcane de la philosophie aris-
totélicienne : « l'avis universel est la mesure de l'être » (Ethique de
Nicomaque, X.2.1173 a 1).
B.1.50. Semina probationum.
Ainsi se termine le champ ou le réseau de l’Inventio, prépa-
ration heuristique des matériaux du discours. Il faut aborder
maintenant l’Oratio elle-même : l’ordre de ses parties (Disposi-
tio) et sa mise en mots (Elocutio). Quels sont les rapports « pro-
grammatiques » de l’/nventio et de l’Oratio ? Quintilien le dit d’un
mot (d’une image) : il recommande de disposer déjà dans la nar-
ratio (c’est-à-dire avant la partie argumentative proprement dite)
des «germes de preuves » (semina quaedam probationum spar-
gere). De l’Inventio à l'Oratio, il y a donc rapport d’essaimage : il
faut lancer, puis taire, reprendre, faire éclater plus loin. Autre-
ment dit, les matériaux de l’/nventio sont déjà des morceaux de
langage, posés dans un état de réversibilité, qu’il faut maintenant
insérer dans un ordre fatalement irréversible, qui est celui du
discours. D’où la seconde grande opération de la technè: la Dis-
positio, ou traitement des contraintes de succession.
B.2. La Dispositio.
On a vu que la situation de la Dispositio (Taxis) dans la technè
constituait un enjeu important. Sans revenir sur ce problème, on
définira la dispositio comme l’arrangement (soit au sens actif, opé-
ratoire, soit au sens passif, réifié) des grandes parties du discours.
La meilleure traduction est peut-être : composition, en se rappe-
lant que la compositio, en latin, est autre chose : elle renvoie uni-
quement à l’arrangement des mots à l’intérieur de la phrase ; quant
à la conlocatio, elle désigne la distribution des matériaux à l’in-
térieur de chaque partie. Selon une syntagmatique augmentative,
on a donc: le niveau de la phrase (compositio), le niveau de la
partie (conlocatio), le niveau du discours (dispositio). Les grandes
parties du discours ont été posées très tôt par Corax! et leur dis-
1.4Cf. supra,-A1.2.
ANSE TERRES INOM7A0
passionnel
Ge CN (5)
TEXTES 1 9 7 ©
B.2.4. Le proème.
Dans la poésie archaïque, celle des aèdes, le prooimon
(proème) est ce qui vient avant le chant (oimë) : c’est le prélude
des joueurs de lyre qui, avant le concours, s’essaient les doigts
et en profitent pour se concilier à l’avance le jury (trace dans les
Maîtres chanteurs de Wagner). L’oimè est une vieille ballade
épique : le récitant commençait à raconter l’histoire à un moment
somme toute arbitraire : il aurait pu la « prendre » plus tôt ou plus
tard (l’histoire est « infinie ») ; les premiers mots coupent le fil vir-
tuel d’un récit sans origine. Cet arbitraire du début était marqué
par les mots : ex ou (à partir de quoi) : je commence à partir d’ici;
laède de l'Odyssée demande à la Muse de chanter le retour
d'Ulysse « à partir du moment où cela lui plaît». La fonction du
proème est donc, en quelque sorte, d’exorciser l'arbitraire de tout
début. Pourquoi commencer par ceci plutôt que par cela ? Selon
quelle raison couper par la parole ce que Ponge (auteur de
Proèmes) appelle le «magma analogique brut » ? I] faut à ce cou-
teau un adoucissement, à cette anarchie un protocole de déci-
sion : c’est le prooimon. Son rôle évident est d’apprivoiser, comme
si commencer à parler, rencontrer le langage, c’était risquer de
réveiller l'inconnu, le scandale, le monstre. En chacun de nous,
il y a une solennité terrifiante à «rompre » le silence (ou l’autre
langage) sauf chez certains bavards qui se jettent dans la parole
comme Gribouille et la «prennent » de force, n’importe où : c’est
ce qu’on appelle la « spontanéité ». Tel est, peut-être, le fond d’où
procède l’exorde rhétorique, l’inauguration réglée du discours.
B.2.5. L’exorde.
L’exorde comprend canoniquement deux moments. 1° La cap-
tatio benevolentiae, ou entreprise de séduction à l’égard des audi-
teurs, qu’il s’agit tout de suite de se concilier par une épreuve
5.8 Z
TEXTES 14900
B.2.6. L’épilogue.
Comment savoir si un discours se termine ? C’est tout aussi arbi-
traire que le début. Il faut donc un signe de la fin, un signe de la
clôture (ainsi dans certains manuscrits : « ci falt la geste que Turol-
dus declinet »). Ce signe a été rationalisé sous l’alibi du plaisir (ce
qui prouverait à quel point les Anciens étaient conscients de
P<ennui» de leurs discours !). Aristote l’a indiqué, non à propos
de l’épilogue, mais à propos de la période : la période est une phrase
«agréable », parce qu’elle est le contraire de celle qui ne finit pas;
il est désagréable au contraire de ne rien pressentir, de ne voir
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B.3. L’Elocutio.
Les arguments trouvés et répartis par grosses masses dans les
parties du discours, il reste à les «mettre en mots »: c’est la fonc-
tion de cette troisième partie de la technè rhétorikè qu’on appelle
lexis ou elocutio, à quoi on a l’habitude de réduire abusivement la
rhétorique, en raison de l'intérêt porté par les Modernes aux figures
de rhétorique, partie (mais seulement partie) de l’Elocutio.
B.5.1. Evolution de l’Elocutio.
L’Elocutio, en effet, depuis l’origine de la Rhétorique, a beau-
coup évolué. Absente du classement de Corax, elle a fait son appa-
rition lorsque Gorgias a voulu appliquer à la prose des critères
esthétiques (venus de la Poésie); Aristote en traite moins abon-
damment que du reste de la rhétorique; elle se développe sur-
509 01
TEEN ETIEAS 19700
B.3.2. Le réseau.
Les classements internes de l’Elocutio ont été nombreux, cela
sans doute pour deux raisons : d’abord parce que cette technè a dû
traverser des idiomes différents (grec, latin, langues romanes) dont
chacun pouvait infléchir la nature des «figures »; ensuite, parce
que la promotion croissante de cette partie de la rhétorique a obligé
à des réinventions terminologiques (fait patent dans la nomination
délirante des figures). On simplifiera ici ce réseau. L'opposition
mère est celle du paradigme et du syntagme : 1° choisir les mots
(electio, eglogè) ;2° les assembler (synthésis, compositio).
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“On saute ici, dans le seul texte dont nous disposons, de 4 à 6. Il y a tout
lieu de supposer qu’en 5 devait se placer la synecdoque : où la partie est dite
pour le tout. [N.d.£.]
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B.3.11. La compositio.
Il faut maintenant revenir à la première opposition, celle qui
sert de départ au réseau de l’Elocutio: à l’electio, champ substitu-
tif des ornements, s'oppose la compositio, champ associatif des mots
dans la phrase. On ne prendra pas parti ici sur la définition lin-
guistique de la « phrase » : elle est seulement pour nous cette unité
de discours intermédiaire entre la pars orationis (grande partie
de l’oratio) et la figura (petit groupe de mots). L’ancienne Rhéto-
rique a codé deux types de «constructions » : 1° une construction
«géométrique » : c’est celle de la période (Aristote) : «une phrase
ayant par elle-même un commencement, une fin et une étendue
que lon puisse facilement embrasser »; la structure de la période
dépend d’un système interne de commas (frappes) et de colons
(membres); le nombre en est variable et discuté ; en général, on
demande 3 ou 4 colons, soumis à opposition (1/3 ou 1-2/3-4); la
référence de ce système est vitaliste (le va-et-vient du souffle) ou
sportive (la période reproduit l’ellipse du stade : un aller, une
courbe, un retour) ; 2° une construction « dynamique » (Denys d’Ha-
licarnasse) : la phrase est alors conçue comme une période subli-
mée, vitalisée, transcendée par le «mouvement »; il ne s’agit plus
d’un aller et d’un retour, mais d’une montée et d’une descente;
cette sorte de «swing » est plus importante que le choix des mots :
508
TEXTES 1970
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COMMUNICATIONS
décembre 1970
En appendice
Le classement structural des figures de rhétorique
SELF, séance du 14 novembre 1964
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TEXTES { 9, 0
LE FRANÇAIS MODERNE
janvier 1966
LE FIGARO LITTÉRAIRE
1970
Introduction
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TEXTES Léa 0
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TNEMXATS
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Eden, Eden, Eden, est un texte libre : libre de tout sujet, de tout
objet, de tout symbole : il s’écrit dans ce creux (ce gouffre ou cette
tache aveugle) où les constituants traditionnels du discours (celui
qui parle, ce qu’il raconte, la façon dont il s’exprime) seraient de
trop. La conséquence immédiate est que la critique, puisqu'elle
ne peut parler ni de l’auteur, ni de son sujet, ni de son style, ne
peut plus rien sur ce texte: il faut «entrer » dans le langage de
Guyotat : non pas y croire, être complice d’une illusion, partici-
per à un fantasme, mais écrire ce langage avec lui, à sa place, le
signer en même temps que lui.
Etre dans le langage (comme on dit: être dans le coup) : cela
est possible parce que Guyotat produit non une manière, un
genre, un objet littéraire, mais un élément nouveau (que ne
lajoute-t-on aux quatre Eléments de la cosmogonie ?) : cet élé-
ment est une phrase : substance de parole qui a la spécialité d’une
étoffe, d’une nourriture, phrase unique qui ne finit pas, dont la
beauté ne vient pas de son «report» (le réel à quoi elle est sup-
posée renvoyer), mais de son souffle, coupé, répété, comme s’il
s’agissait pour l’auteur de nous représenter non des scènes ima-
ginées, mais la scène du langage, en sorte que le modèle de cette
nouvelle mimèsis n’est plus l’aventure d’un héros, mais l’aven-
ture même du signifiant : ce qu’il lui advient.
Eden, Eden, Eden, constitue (ou devrait constituer) une sorte
de poussée, de choc historique : toute une action antérieure, appa-
remment double, mais dont nous voyons de mieux en mieux la
coïncidence, de Sade à Genet, de Mallarmé à Artaud, est recueillie,
déplacée, purifiée de ses circonstances d'époque; il n’y a plus ni
Récit ni Faute (c’est sans doute la même chose), il ne reste plus
que le désir et le langage, non pas celui-ci exprimant celui-là,
mais placés dans une métonymie réciproque, indissoluble.
La force de cette métonymie, souveraine dans le texte de Guyo-
tat, laisse prévoir une censure forte, qui trouvera réunies là ses
deux pâtures habituelles, le langage et le sexe ;mais aussi cette
censure, qui pourra prendre bien des formes, par sa force même,
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1. Littérature et linguistique
Pendant des siècles, la culture occidentale a conçu la littéra-
ture non point - comme on le fait encore aujourd’hui — à travers
une pratique des œuvres, des auteurs et des écoles, mais à tra-
vers une véritable théorie du langage. Cette théorie avait un nom :
la Rhétorique, qui a régné en Occident, de Gorgias à la Renais-
sance, c’est-à-dire pendant près de deux millénaires. Menacée
dès le xvi° siècle par l'avènement du rationalisme moderne, la
rhétorique a été tout à fait ruinée lorsque ce rationalisme s’est
transformé en positivisme, à la fin du xix° siècle. À ce moment,
entre la littérature et le langage, il n’y a pour ainsi dire plus
aucune zone commune de réflexion : la littérature ne se sent plus
langage, sauf chez quelques écrivains précurseurs, tel Mallarmé,
et la linguistique ne se reconnaît sur la littérature que des droits
très limités, enfermés dans une discipline philologique secon-
daire, au statut d’ailleurs incertain : la stylistique.
On le sait, cette situation est en train de changer, et c’est un
peu, me semble-t-il, pour en prendre acte que nous sommes en
partie réunis : la littérature et le langage sont en train de se retrou-
ver. Les facteurs de ce rapprochement sont divers, complexes; je
citerai les plus manifestes : d’une part, l’action de certains écri-
vains qui depuis Mallarmé ont entrepris une exploration radicale
de l'écriture et ont fait de leur œuvre la recherche même du Livre
total, tels Proust et Joyce; d’autre part, le développement de la
linguistique elle-même, qui inclut désormais dans son champ le
poétique, ou ordre des effets liés au message et non à son réfé-
rent. Il existe donc aujourd’hui une perspective nouvelle de
réflexion, commune, j y insiste, à la littérature et à la linguistique,
au créateur et au critique, dont les tâches, jusqu'ici absolument
étanches, commencent à communiquer, peut-être même à se
confondre, tout au moins au niveau de l'écrivain, dont l’action
peut de plus en plus se définir comme une critique du langage.
C’est dans cette perspective que je voudrais me placer, en indi-
(6 Ir
APERXAINE rs 1n98 740
2. Le langage
Cette conjonction nouvelle de la littérature et de la linguis-
tique, dont je viens de parler, on pourrait l’appeler provisoire-
ment, faute de mieux, sémio-critique, puisqu'elle implique que
l'écriture est un système de signes. Or la sémio-critique ne peut
se confondre avec la stylistique, même renouvelée, ou, tout au
moins, la stylistique est loin de l’épuiser. Il s’agit d’une perspective
d’une tout autre ampleur, dont l’objet ne peut être constitué par
de simples accidents de forme, mais par les rapports mêmes du
scripteur et de la langue. Ceci implique que, si l’on se place dans
une telle perspective, on ne se désintéresse pas de ce qu'est le
langage, mais que, au contraire, on revienne sans cesse aux
«vérités », fussent-elles provisoires, de l'anthropologie linguis-
tique. Certaines de ces vérités ont encore force de provocation,
face à une certaine idée courante de la littérature et du langage,
et, pour cette raison, il ne faut pas négliger de les rappeler.
1° L’un des enseignements qui nous est donné par la linguis-
tique actuelle, c’est qu’il n’y a pas de langue archaïque, ou que,
tout au moins, il n’y a pas de rapport entre la simplicité et l’an-
cienneté d’une langue : les langues anciennes peuvent être aussi
complètes et aussi complexes que les langues récentes; il n’y a
pas d'histoire progressiste du langage. Donc, lorsque nous
essayons de retrouver dans l'écriture moderne certaines caté-
gories fondamentales du langage, nous ne prétendons pas mettre
à jour un certain archaïsme de la « psyché »; nous ne disons pas
que l'écrivain fait retour à l’origine du langage, mais que le lan-
gage est pour lui origine.
2° Un second principe, particulièrement important en ce qui
concerne la littérature, c’est que le langage ne peut être consi-
déré comme un simple instrument, utilitaire ou décoratif, de la
pensée. L'homme ne préexiste pas au langage, ni phylogénéti-
quement ni ontogénétiquement. Nous n’atteignons jamais un état
où l’homme serait séparé du langage, qu’il élaborerait alors pour
«exprimer » ce qui se passe en lui: c’est le langage qui enseigne
la définition de l’homme, non le contraire.
5° De plus, d’un point de vue méthodologique, la linguistique
(} Mi
€ EXT ES 1 970
3. La temporalité
Nous le savons, il y a un temps spécifique de la langue, égale-
ment différent du temps physique et de ce que Benveniste appelle
le temps «chronique », ou temps des computs et des calendriers.
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HET HIT RES AOC
620
FENTE SI 1 0
4. La personne
Ceci amène à une seconde catégorie grammaticale, tout aussi
importante en linguistique qu’en littérature : celle de la personne.
Il faut d’abord rappeler avec les linguistes que la personne (au
sens grammatical du terme) semble bien être universelle, liée à
l'anthropologie même du langage. Tout langage, comme l’a mon-
tré Benveniste, organise la personne en deux oppositions : une
corrélation de personnalité, qui oppose la personne (je ou tu) à la
non-personne (il), signe de celui qui est absent, signe de l'absence ;
et, intérieure à cette première grande opposition, une corrélation
de subjectivité oppose deux personnes, le je et la personne non-
je (c’est-à-dire le tu). Pour notre usage, il nous faut, avec Benve-
niste, faire trois observations. D’abord ceci: la polarité des per-
sonnes, condition fondamentale du langage, est cependant très
particulière, car cette polarité ne comporte ni égalité ni symétrie :
ego a toujours une position de transcendance à l’égard de tu, je
étant intérieur à l'énoncé et tu lui restant extérieur; et, cepen-
dant, je et tu sont inversibles, je pouvant toujours devenir tu, et
réciproquement ; ce n’est pas le cas pour la non-personne (il), qui
ne peut jamais s’inverser en personne ni réciproquement. Ensuite
— ce sera la seconde observation -, le je linguistique peut et doit
se définir d’une façon a-psychologique : je n’est rien d’autre que
«la personne qui énonce la présente instance de discours contenant
l’instance linguistique je » (Benveniste). Enfin, dernière remarque,
le il, ou non-personne, ne réfléchit jamais l’instance du discours,
hors de laquelle il se situe; il faut donner tout son poids à la
recommandation de Benveniste qui dit de ne pas se représenter
le il comme une personne plus ou moins diminuée ou éloignée :
il est absolument la non-personne, marquée par l’absence de ce
qui fait spécifiquement (c’est-à-dire linguistiquement) je et tu.
6 21
T° EXT. ETS 1 LI
5. La diathèse
Il reste à parler d’une dernière notion grammaticale qui peut,
à notre sens, éclairer l’activité d'écriture dans son centre, puis-
qu’elle concerne le verbe écrire lui-même. Il serait intéressant
de savoir à quel moment on s’est mis à employer le verbe écrire
d’une façon intransitive, l'écrivain n'étant plus celui qui écrit
quelque chose, mais celui qui écrit, absolument : ce passage est
certainement le signe d’un changement important de mentalité.
Mais s’agit-il vraiment d’intransitivité ? Aucun écrivain, à quelque
temps qu’il appartienne, ne peut ignorer qu’il écrit toujours
quelque chose ; on pourrait même dire que c’est paradoxalement
au moment où écrire paraît devenir intransitif que son objet, sous
le nom de livre, ou de texte, prend une importance particulière.
Ce n’est donc pas, du moins en premier lieu, du côté de l’in-
transitivité qu’il faut chercher la définition de l'écrire moderne.
Une autre notion linguistique nous en donnera peut-être la clef:
celle de diathèse, ou, comme on dit dans les grammaires, de
«voix » (active, passive, moyenne). La diathèse désigne la façon
dont le sujet du verbe est affecté par le procès; c’est bien évi-
dent pour le passif: et pourtant les linguistes nous apprennent
que, en indo-européen du moins, ce que la diathèse oppose véri-
tablement, ce n’est pas l'actif et le passif, c’est l’actif et le moyen.
Selon l'exemple classique, donné par Meillet et Benveniste, le
verbe sacrifier (rituellement) est actif si c’est le prêtre qui sacri-
fie la victime à ma place et pour moi, et il est moyen si, prenant
en quelque sorte le couteau des mains du prêtre, je fais moi-
même le sacrifice pour mon propre compte ; dans le cas de lac-
tif, le procès s’accomplit hors du sujet, car, s’il est vrai que le
prêtre fait le sacrifice, il n’en est pas affecté; dans le cas moyen,
6025
é ENSUFIV ENS 1091-760
6 2 4
PoEXAT ES 1 49.2:% 9
6. L’instance du discours
On la compris, ces quelques remarques tendent à suggérer
que le problème central de l’écriture moderne coïncide exacte-
ment avec ce que l’on pourrait appeler la problématique du verbe
en linguistique : de même que la temporalité, la personne et la
diathèse délimitent le champ positionnel du sujet, de même la
littérature moderne cherche à instituer, à travers des expé-
riences diverses, une position nouvelle de l’agent de l’écriture
dans lécriture elle-même. Le sens, ou si l’on préfère le but, de
cette recherche est de substituer à l’instance de la réalité (ou
instance du référent), alibi mythique qui a dominé et domine
encore l’idée de littérature, l’instance même du discours: le
champ de l'écrivain n’est que l’écriture elle-même, non comme
«forme » pure, telle qu’a pu la concevoir une esthétique de l’art
pour l'art, mais d’une façon beaucoup plus radicale comme seul
espace possible de celui qui écrit. Il faut en effet le rappeler à
ceux qui accusent ce genre de recherches de solipsisme, de for-
malisme ou de scientisme ; en revenant aux catégories fonda-
mentales de la langue, tels la personne, le temps, la voix, nous
nous plaçons au cœur d’une problématique de l’interlocution,
car ces catégories sont précisément celles où se nouent les rap-
ports du je et de ce qui est privé de la marque du je. Dans la
mesure même où la personne, le temps et la voix (si bien nom-
mée !) impliquent ces êtres linguistiques remarquables que sont
les shifters, elles nous obligent à penser la langue et le discours
non plus dans les termes d’une nomenclature instrumentale, et
par conséquent réifiée, mais comme l’exercice même de la
parole : le pronom, par exemple, qui est sans doute le plus ver-
tigineux des shifters, appartient structuralement (j'insiste) à la
parole ; c’est là, si l’on veut, son scandale, et c’est sur ce scan-
dale que nous devons travailler aujourd’hui, linguistiquement et
littérairement : nous cherchons à approfondir le «pacte de
parole » qui unit l'écrivain et l’autre, en sorte que chaque moment
du discours soit à la fois absolument neuf et absolument com-
pris. Nous pouvons même, avec une certaine témérité, donner à
cette recherche une dimension historique. On sait que le Septe-
GR E
UE
EX LINE SUN 9700
(UN)
DNA
AIO EL SN 1090070
650
EUX ET. ES 14070
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EL destee. aide name
ELU
Entretiens
1970
Se = œ é—
Critique et autocritique
C’est cela. Or, dès mes débuts, j’ai éprouvé le même intérêt qu’au-
jourd’hui ou, si vous voulez la même obsession pour... disons : la signi-
fication, le langage littéraire, les langages. Dans tout ce que j’ai écrit,
je ne me suis pas occupé d’autre chose, mais j’ai poursuivi cette pré-
occupation à travers des domaines très différents. Il y a eu, en pre-
mier lieu, la littérature proprement dite ; dans Mythologies, je me suis
attaché à des phénomènes qui relèvent plutôt de la sociologie ; je me
suis occupé aussi de l’image publicitaire, etc.
Done, j’ai pu donner lieu à une impression, parfois même à une
accusation de polygraphisme, de dispersion. En réalité, je me suis
toujours occupé de la même chose.
Cela dit, j’ai évolué beaucoup quant aux méthodes d'approche, je
dirais même quant aux implications idéologiques, au sens très large
du terme, depuis une vingtaine d'années. En gros, j’ai accompagné
mon temps sans savoir si je le suivais ou si partiellement, parfois, c’est
lui qui me suivait. C'était vraiment une dialectique qui se faisait. Jai
commencé par être marqué par un certain langage de type sartrien,
au sens très général du terme, puisque ma génération a été celle qui
correspondait à la maturité de Sartre, et à sa découverte, après la Libé-
ration. Le marxisme, aussi, a été très important pour moi, à ce même
moment. Et puis, à partir de la postface de Mythologies, vers 1956, j'ai
découvert la linguistique et donc la sémiologie, la science des signes,
la possibilité d'appliquer une méthodologie linguistique à des phéno-
mènes qui en principe ne sont pas directement le langage articulé.
Cela a été une très grande découverte pour moi. Elle a commencé
d’ailleurs d’une façon très classique, par une sorte d'enthousiasme
devant le texte de Saussure, et c’est à partir de ce moment que j'ai
OS
DINVT RENTE NE Sp 192780
Vous m'avez dit que vous aviez été obsédé par la signification;
comment cette obsession s’est-elle manifestée en vous ? Vous avez
été forcément un étudiant d'avant la Nouvelle Critique. Quelles
ont été les relations, à ce moment-là, avec l’enseignement que vous
avez reçu et quelle a été ensuite votre évolution ?
J'ai fait des études un peu frustrées, car pour des raisons de mala-
die, je n’ai pas suivi la carrière que j'aurais voulu; j’ambitionnais
l'Ecole normale supérieure, l'agrégation, etc. J’ai fait simplement une
licence à la Sorbonne et je dois dire franchement — mais pas du tout
pour réveiller des querelles maintenant anachroniques — que len-
seignement littéraire de la Sorbonne, à cette époque-là, était encore.
moins émancipé que maintenant. En français, je n’ai eu aucun pro-
fesseur qui m’ait marqué. Au contraire, ils éveillaient en moi, et pas
seulement en moi, des idées critiques, et même souvent ironiques.
Au fond, à la Sorbonne, je n’ai eu qu’un professeur que j'ai profon-
dément admiré, que j'ai d’ailleurs mieux connu que les autres : Paul
Mazon, l’helléniste, le grand traducteur d'Eschyle. Auprès de lui,
j'avais l’impression d’un humanisme très large, d’une possibilité
d'apprentissage, d’un véritable savoir, et je laimais beaucoup.
Et c’est parce que l’enseignement de la Sorbonne ne m’appor-
tait rien qu’à ce moment-là je me suis tourné vers une activité de
rechange et que j'ai créé avec des camarades le Groupe de théâtre
antique ; c'était en 1936.
Là, il faut bien dire les choses comme elles sont: nous nous
sommes complètement investis dans cette entreprise, et nous n'avons
pas du tout préparé les examens. Je me rappelle que l’œuvre que
nous avions à notre programme de théâtre, c'était Les Perses d'Es-
chyle, qui était aussi au programme de licence, et j'avais travaillé
Les Perses pour le théâtre toute l’année. Eh bien! j’ai été interrogé
sur Les Perses à l’oral de licence, et j’ai séché! Cela dit, le Théâtre
antique a tout de même été une grande expérience. À ce moment-
là, je n'avais pas d'approche véritable vers la littérature. Les écri-
vains Contemporains que je connaissais, c’étaient les grands noms:
Gide, Valéry ; ou alors ceux qui arrivaient dans une sorte d’atmosphère
d'avant-garde : Malraux ou Céline, par exemple.
CS
BE NT IR E T'IMEIN S L 9:17©
Adolescent, j'ai été un très grand lecteur, sinon un très bon lec-
teur; après, j’ai moins lu. J’avais un type de lecture essentiellement
romanesque ; j'aimais le roman et je lisais des romans.
Plus tard. Comme je vous l'ai dit, j’ai été malade et je suis allé
au sanatorium des étudiants pendant de longues années. Là j'ai
été bibliothécaire; j’ai beaucoup lu (notamment des classiques,
de Voltaire à Dostoïevski) et alors, pour la première fois, spontané-
ment, jai objectivé, si je puis dire, un langage littéraire. Ce fut en
quelque sorte l’origine de la notion d'écriture que j’ai utilisée ensuite
avec L'Etranger d'Albert Camus. L’Etranger est un livre qui m’a
beaucoup frappé comme tout le monde mais surtout sur ce plan
de l’écriture, du langage littéraire. C’est en lui que j'ai puisé la
première idée d’un type d'écriture blanche qui essaie de dépasser
les signes du style, de la littérature, pour arriver à une sorte d’écri-
ture que j’appelais «blanche » et qu’ensuite j’ai appelée «écriture
degré zéro ».
Donc, c’est sur cette œuvre de Camus, que s’est cristallisée votre
conception ?
Exactement.
Et après ?
CNET
EUNATAR ENTIATRE NES ATOS 0)
En effet.
CN GNE
ENTRE FAIMEPNT 'S 119
#7 ©
Oui. Vous avez raison de le dire. Je crois qu’il ne faut pas élu-
der cette question.
(FEU
BANMTMR|
ET TR ENDSEMTMO NET 0
Exactement. En tout cas, ce sont des signifiés que l’on aurait inté-
rêt à replacer dans la position du signifiant.
Eh bien! précisons-la.
OMAN
E NT IR EtTMIMEIN SE A 9 #7 0
C’est une notion qui est contestée, qui est en tout cas battue en
brèche.
6 4 1
ÉINNTMR, EMTATNPANNS IMO 70
Diable !
6 4 3
PANIMIMRSEN'ENIMERNES; 1070
6 4 4
BONETUR
EM IMEE NY St Ai 9 47 0
Que devient le lecteur dans tout cela ? Le lecteur de tous les pros-
crits ? des 991?
6 4 65
EINNIMRMEMAIME ANS 1NOM7EC
Il faut être lucide : cette union s’est défaite, mais non sans des
conditions d'amitié et de cordialité totales. Il n’y a aucun malentendu
entre nous. En ce qui me concerne, ce que j'avais hautement appré-
cié dans le travail de Robbe-Grillet, c’est précisément la recherche
d’un travail romanesque sur les signes, ou plutôt sur les non-signes,
puisque le Nouveau Roman se donnait comme une littérature du
dépouillement de la signification — ce qui me paraît extrêmement
intéressant et correspondait en gros, dans le roman, à ce que j’ap-
pelais le «degré zéro» en écriture. Mais même à cette époque-là,
l'étiquette « Nouveau Roman » a tout de suite été une création artifi-
cielle. C’est la presse qui a groupé des écrivains très différents, et
6 4 6
EN DR EMEUINEINTS 194740
Si, j'en dirais presque autant avec les mêmes précisions, à savoir
que cela ne met pas en cause le travail personnel de tous ceux qui
en font partie, et que j'estime. D’ailleurs eux-mêmes ne seraient pas
choqués par ce que je dis là. Tous ces Nouveaux Critiques ne se sont
jamais sentis nouveaux critiques! Ce sont, en général, sur le plan
humain, des hommes modestes, qui ne sont pas terroristes du tout,
qui font leur travail. Mais, pour en revenir à notre question, oui: je
crois que la Nouvelle Critique correspond aussi à une certaine
tranche d'histoire idéologique des vingt dernières années très mar-
quée par l’existentialisme, disons plutôt par la phénoménologie.
Maintenant, la sémiotique littéraire bouscule un peu la notion même
64 7
B'ANMEMR EIRE ENS 1 9 70
R.B. — Oui, c’est une utopie ;on ne trouve guère en effet de textes
scriptibles en librairie. L'intérêt du scriptible est qu’il constitue une
notion théorique qui permet de prendre ses distances à l’égard de ce
que j'appelle le texte lisible, c’est-à-dire la masse de la littérature dans
la mesure où nous sommes tellement habitués à elle qu’elle nous
semble naturelle. Le scriptible est un objet utopique qui secoue notre
usage de la lecture.
ÉeN SARA
Te EINT SN Pe20) RO
C’est à des textes lisibles (ou classiques) que nous avons sans cesse
affaire. Ilfaudra donc distinguer parmi eux ceux qui n’ouvrent qu'un
seul champ de signification et qui forment de ce fait un tout fermé sur
lui-même et réductible en un système (textes «singuliers ») ; et ceux qui
permettent une multiplication des «codes » (les différents registres de
sens) et ne peuvent être résumés par un seul type de signifié (textes
«pluriels »).
Les textes classiques sont partiellement pluriels ; ils le sont comme
par hasard :
6ù bn 0)
E NTAR
ER M IMEIN S1 #19
7 0
R.B. - Le texte est branché sur d’autres textes. C’est ce que j’ap-
pelle les citations sans guillemets. La lecture que je propose consiste,
en multipliant les codes, à voir le texte dans son intertextualité, à le
brancher sur l'infini du langage.
Mais si Le texte est fait d'éléments repris dans un déjà écrit, l’au-
teur n’a plus droit à l'originalité, il est exproprié de son œuvre ?
694
EN ET AR ES TIME ANS L 19/4740
662
SUN NTMR EM PUIMENNESR 41 19 #7 0
6265
BON ALTER EM IMIMENNCSEMET80 700
TRIBUNE DE GENÈVE
15 avril 1970
68580
DANATMRMENMINME NES NO PAC
(MINS)
EN TIR EP PMINEIN S 197 0
(CS 7
EN MR EN TOIMERNDS MOETAN
C’est en effet le même mouvement, et, aux noms que vous venez
de citer, on pourrait ajouter sans forcer ceux de Lacan, de Derrida,
de Julia Kristeva, et de Sollers dans ses notes théoriques. Chez les
uns, Lel Lévi-Strauss, il s’agit d’une nouvelle composition du discours,
qui s'efforce de dépasser la monodie de la dissertation vers une com-
position polyphonique ; chez les autres, tel Lacan, il y a une levée de
la censure séculaire qui oblige tout texte «intellectuel» à gommer
l'éclat, labrupt des formulations : il n’y a pas eu de Nietzsche en
France pour oser discourir (mettons un tiret) d'éclat en éclat, d’abîme
en abîme. C’est précisément l’un de mes projets immédiats que
d'aborder (comme je lai fait pour la narration avec Sarrasine) l’'ana-
lyse du texte intellectuel, de l'écriture de la science.
J’ajouterai encore ceci: j'aurais pu penser, en morcelant ainsi le
texte, que j'allais perdre dans ce travail discontinu la possibilité de
saisir de grandes structures, comme on les trouve quand on fait le
plan très intelligent d’un livre. Or je n’ai été gêné en rien par cette
6 5 8
B ON CTAR EP PULMEUNT S4 M © #7 Ô
C’est une formule qui voudrait détourner une sorte d’aporie, d’im-
possibilité : à savoir que, si tout ne signifie pas, il y aurait de Pinsi-
gnifiant dans un texte. Quelle peut être alors la nature de cet insigni-
fiant? Du naturel? Du futile? Ce ne sont pas là des notions très
scientifiques, si j'ose dire, et cela me paraît poser un problème théo-
rique très lourd, autant dire insoluble.
Cependant, il peut y avoir des moments du texte, peut-être moins
nombreux que vous n’avez l’impression, où la littéralité de l’énoncé
— la dénotation — suffit en quelque sorte à épuiser son sens. Remar-
quons alors que, même à ce niveau, il y a au moins un sens connoté,
6 59
EMNATURT
EN TE TIRERNNSE MMNONTE0
6 6 0
ENTRETIENS 1 9 7 ©
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EMIN ITMR MENTITLRE MINES 1,49 070
6 6 4
E NTIR ET l'ENS 1 9 #7 0
Si ce que vous dites là est vrai, c’est qu’alors je suis dans lécri-
ture, ce que je souhaite. Car ce qui est pour moi fondamentalement
inacceptable, c’est le scientisme, c’est-à-dire le discours scientifique
qui se pense en tant que science, mais censure de se penser en tant
que discours. Il n’y a qu’une façon de dialectiser le travail : accepter
d'écrire, entrer dans le mouvement de l'écriture, en étant aussi
rigoureux que possible. Le flottement du concept n’a pas à être rec-
tifié par un consensus des lecteurs compétents; il est maintenu par
le système de l’auteur, son idiolecte, il suffit que les concepts soient
ajustés entre eux à l’intérieur du discours, de façon que l'autre texte,
le texte tuteur, l’objet, quel qu’il soit, à partir duquel on écrit soil
seulement pris en écharpe par le langage et non scruté frontalement.
CMOS
EUNTNRR ENTREE NES 19700
Ce que vous théorisez ainsi: «IL n’y a pas d'autre preuve d’une
lecture que la capacité et l'endurance de sa systématique. » N’est-
ce pas sous-entendre que l’opération de commentaire vise à per-
mettre une sorte de rehiérarchisation des valeurs littéraires dans
la mesure où elle se constitue elle-même en tant qu’expérience lit-
téraire ou, comme vous le dites, discours de la lecture, écriture-
lecture ?
6 6 6
E N'TUR ET 'IP'ELN S 1 9 = 0
Comment la définiriez-vous ?
GNOME
RON EDR ŒCPUIAENN S 1149870
LESADETTRES FRANÇAISES
20 mai 1970
* Cet entretien a été repris en 1971 dans Le Livre des autres, L’Herne, et
en 1978 dans Le Livre des autres, entretiens, Christian Bourgois, coll. «10/18 ».
6720
« L’Express » va plus loin
avec... Roland Barthes
(5)
HONOR
OP ATUTILEEINES) LRO
27AD
Je ne pense pas du tout donner une explication tirée par les che-
veux en établissant un rapport étroit entre le vide du castrat et le
vide du nouvel or parisien.
Sans doute, mais Sarrasine, qui donne son nom à la nouvelle, est
un sculpteur dont on apprend au cours du récit qu’il a été assas-
siné pour avoir aimé Zambinella, qu'il croyait être une femme.
Votre interprétation risque de ne pas correspondre à celle du lec-
teur moyen, celui qui simplement lit Balzac et qui « marche ».
Autrement dit, avec votre second lecteur, ce que vous êtes en train
de définir, c’est la critique.
0 75
EN MTMRMENTATOE INRS ANOM7AD
tique ne soit pas une question d'humeur, comme cela arrive trop sou-
vent.
6 7 4
E N TR E'MPIMENNS 197 0
G 7 5
EAN EDR MEME
ENRS NAT MO INTAI0U
moment où l’enfant saisit son corps dans une image rassemblée. Mais
l'importance du symbolique, tout la corrobore, et pas seulement la
réflexion théorique d’un psychanalyste.
La médecine psychosomatique, par exemple, a pu établir que des
affections spécifiquement psychosomatiques telles que asthme, les
ulcères d’estomac, ont toujours pour origine un trouble de la sym-
bolisation. Les malades psychosomatiques ne symbolisent pas assez.
L’idéal pour les guérir serait de leur injecter du symbolique, donc
de les névroser.
Mais non, pas du tout. D’ailleurs, ce n’est pas moi qui la propose,
mais les psychosomaticiens.
Le névrosé est celui dont le blocage résulte de diverses censures
qui annihilent tous ses symboles. Son silence est un silence de cen-
sure. Le malade psychosomatique, c’est tout le contraire. Il ne sym-
bolise pas son corps, qui reste mat, sans écho. Son silence est un
silence de vide. Sa guérison interviendra pour autant qu’on réussisse
à rétablir en lui la fonction symbolique qui, précisément, est hyper-
trophiée dans les cas de névrose.
GNT
BON SUR EM TMISENN S2 Mi © 7 (0
qu’on dit qu’ils sont comme tout le monde pour dire, en réalité, qu’ils
ne le sont pas.
Leur banalité affirme et confirme leur singularité. C’est là un
des mécanismes que j'ai essayé de mettre au jour. Non seulement
j'ai voulu rétablir le processus d'élaboration du sens par la société,
mais montrer comment celle-ci tente, en fait, d'imposer ce sens sous
des apparences de naturel.
Vous vous en êtes pris également aux détergents, aux guides tou-
ristiques, aux vedettes du Tour de France, aux jouets en matière
plastique.
Elle n’est riche qu’au niveau du journal de mode qui, lui, dis-
tingue entre 5 heures de l’après-midi, 8 heures du soir, 11 heures et
midi, le cocktail, le théâtre, etc. Dans la réalité, il n’y a pas de 5 heures
de l’après-midi. Du point de vue sociologique et statistique, il n’y a
pas longtemps, dans notre pays, il n'existait que deux tenues, la tenue
de travail et la tenue du dimanche.
Et aujourd’hui ?
67
D'UN ETMR MENT LME RINESRAEMO NU
Non, je crois que c’est une utopie. Selon une certaine concep-
tion marxiste, les mythes seraient des productions imaginaires et
naïves liées à la phase de l'humanité dans laquelle elle ne savait pas,
elle ne pouvait pas encore résoudre les contradictions de la réalité.
C’est pourquoi elle les aurait résolues en élaborant des histoires où
ces contradictions seraient surmontées imaginairement. Et le rai-
sonnement marxiste, c’est que, quand nous aurons résolu scienti-
fiquement ces contradictions par le socialisme, les mythes, à ce
moment-là, disparaîtront.
Le problème est immense el je ne voudrais pas en traiter avec
désinvolture. Le marxisme peut très bien envisager qu’une société
socialiste remodèlera la carte du langage en intervenant d’une façon
pour nous complètement inouïe, inimaginable. Mais je pense que
même, alors, il subsistera une dernière contradiction, au sens large
du terme, insurmontable : celle de la mort. EC tant qu’il y aura de la
mort, il y aura du mythe.
CONTES
ENT IR Et MINE) NS 1N9N7e0
C'est-à-dire ?
Ils ne sont pas écrits dans des livres, mais ils le sont sur la soie
de la vie. Et ce qui me fascine là-bas, c’est que les systèmes de signes
(5,77. 00)
BANNIMRAEMTATINE
ENS MINT EU
Mais oui, je vous donne un exemple simple, vous allez voir : celui
du dictionnaire. Un dictionnaire est composé de signifiants, c’est-à-
dire les mots vedettes imprimés en corps gras, et chacun de ces mots
est nanti d’une définition qui a valeur de signifié. Or ces signifiés,
ces définitions du dictionnaire, sont constitués eux-mêmes d’autres
mots, et cela à l’infini.
Un dictionnaire est un objet parfaitement paradoxal, vertigineux,
à la fois structuré et indéfini, ce qui en fait un très grand exemple,
car il est une structure infinie décentrée puisque l’ordre alphabé-
tique dans lequel il est présenté n’implique aucun centre.
6 8 0
E NATIR EPMMIMEIN Si 19# 0
6 64
ÉUNINTUSR
MEPMIONIME MINS METEO MEN 0)
C'est-à-dire ?
Parce que notre langue, comme notre menu, est très rigide, très
centrée, dans la mesure où elle a été codifiée au xviré siècle par un
petit groupe social.
Ce qu’on a appelé jusqu’à Rivarol «le génie de la langue fran-
çaise » recouvrait, en fait, la conviction que le français, parce qu’on
y place le sujet avant le verbe et le verbe avant le complément, était
la meilleure langue du monde. Les classiques étaient persuadés que
c'était là l’ordre logique, naturel, de l'esprit. C’est sur cette croyance
que s’est édifié le nationalisme linguistique de la France.
68 5
BANSTMRSECIRIREANES. L NO 7MUÛ
Une stéréophonie ?
Oui, je veux dire par là qu’il est un espace, qu’il met en place
les pensées et les sentiments selon des distances et des volumes dif-
férents. Evidemment, si je dis :«Entrez et fermez la porte », ce n’est
pas une phrase qui contient beaucoup de stéréophonie. Mais un texte
littéraire est, lui, vraiment stéréographique.
Comme Sarrasine.
BON ECIR EM IERIN SE MP:
F7 0
Vous avez établi autrefois une distinction qui est devenue clas-
sique entre les notions d’écrivant et d'écrivain. De quoi s'agit-il ?
L’écrivant est celui qui croit que le langage est un pur instru-
ment de la pensée, qui voit dans le langage seulement un outil. Pour
l'écrivain, au contraire, le langage est un lieu dialectique où les choses
se font et se défont, où il immerge et défait sa propre subjectivité.
Ça dépend.
(MS)
EANMTIMREE TIM TNTENES 149 V700
Vous dites qu'être écrivain ou non n’est pas une question de style,
mais ce n’est pas non plus cultiver l’obscurité.
C’est un titre qui est fait pour qu’on y investisse plusieurs sens
possibles et, dans cette mesure-là aussi, le titre représente un des
projets du livre, qui est de montrer les possibilités d’une critique plu-
raliste qui autorise de dégager plusieurs sens d’un texte classique.
Quant à la barre oblique qui oppose $ et Z, il s’agit d’un signe qui
vient de la linguistique et marque l’alternance entre deux termes d’un
paradigme. En toute rigueur, il faudrait lire S versus Z, comme on
dit dans le jargon linguistique, c’est-à-dire S contre Z.
6 8 7
E ON TARN TATEE RINIES 1597410
nom dans une trappe. Or vous savez très bien que toucher à un nom
propre, c’est quelque chose de grave : c’est porter atteinte à la pro-
priété (ce qui n’indiffère), mais aussi à l’intégrité — ce à quoi, je sup-
pose, personne n’est insensible, surtout lorsqu'on vient de lire une
histoire de castration!
L’EXPRESS
31 mai 1970
6 8 8
Sur la théorie
(ASIN)
E NSR EMI EANES NOTA 0
(5)NCT1)
5 NAT ER Et M IMEIN S 120
#7 0
6.94
HONTE
ENT IIERIN SR 4109700
Vous avez l’air de dire que dans une société sans nécessité la théo-
rie est superflue puisque l’homme n'’essaiera plus de sortir d’une
situation pour entrer dans une autre : il y aura une acceptation
complète de la situation.
Ce n’est pas cela que je veux dire. L’homme n’aura plus besoin
d’un discours de type réflexif ou intellectuel. La théorie sera entiè-
rement politisée. Elle sera dans la révolution elle-même et done, à
ce moment-là, il n’y aura plus lieu d’opposer la théorie et la pratique.
La pratique sera entièrement théorique et vice versa. Et je pense
qu’en gros, c’est déjà comme ça en Chine.
69"2
E NITIR H'MDENS 1.30:870
manente, dissout sans cesse le signifié qui est toujours prêt à se réi-
fier derrière la science. Et c’est en cela qu’elle s’articule, comme je
le disais tout à l'heure, sur lécriture comme règne du signifiant.
Dans S/Z, vous dites qu'il y a une science du texte, supposant qu’il
peut y avoir un savoir scientifique sur le texte...
Il y a une phrase que je n'ai pas comprise. Vous dites « une théo-
rie libératrice du signifiant »; est-ce qu’il faut comprendre « une
théorie libératrice - du signifiant » ou bien « une théorie libérant
Le signifiant » ?
Pourquoi faire l'analyse sur des œuvres, sur des textes et non pas
sur le langage lui-même ? Pourquoi ce recours à l’œuvre d'art qui,
finalement, ne représente qu’une catégorie très limitée de la
société ?
ÉMNMTRIR
SEMI TIRENNES 1070
Vous dites, par ailleurs, que le groupe Tel Quel fait une des seules
œuvres théoriques actuellement. Qu'entendez-vous par là ?
6 9 4
E NATIR E TIME NS 1492270
6 9,5
ESNMIMRSES
Te TIRE NDS EME 0
VH 101
été 1970
Sade, Fourier, Loyola
Textes
Cours et entretiens
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Sade, Fourier, Loyola
140871
Préface
7.02
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APE E 220 OÙ DUR LE RD © % O1 À
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SOUDE
EP OMUMRAMMEUR "AL NO NO AL
Juin 1971
Note
2. Sade I a paru dans 7el Quel, n° 28, hiver 1967, sous le titre « L'arbre
du crime » et dans le tome XVI des Œuvres complètes de Sade, Cercle
du Livre précieux, 1967, p. 509-552. Loyola a paru dans 7el Quel,
n° 358, été 1969, sous le titre « Comment parler à Dieu ? » et doit servir
d'introduction aux Exercices spirituels, traduits par Jean Ristat, à
paraître aux éditions Christian Bourgois, collection 10 X 18. Fourier a
paru en partie dans Critique, n° 281, octobre 1970, sous le titre « Vivre
avec Fourier». Peu de corrections ont été apportées à ces textes.
Sade IT, une partie du Fourier et la Fie de Sade sont inédits.
4. Les informations dont il est fait état dans les Fies sont de seconde
main. Pour Sade, elles proviennent de la biographie monumentale de
Sade par Gilbert Lély (Paris, Cercle du Livre précieux, 1966, tomes [I
el Il) et du Journal inédit de Sade, préface de Georges Daumas, Paris,
Gallimard, collection «Idées » (livre de poche), 1970. Pour Fourier, ces
informations proviennent des préfaces de Simone Debout-Oleszkiewiez
aux tomes | et VII des Œuvres complètes de Fourier (Paris, Anthro-
pos, 1967).
TUE
SA UDOMS MESOCUMRAT
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uit aux Tito pie), tuile, rois Loan :N |
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part one lontlié Mate rune, n° 21, oies LUN, je do Wlra
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Sn , er dattle Cu Pure be Un Pur OP un out MR
st +
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Sade I
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_——n voyage beaucoup dans certains romans de Sade. Juliette
parcourt (et dévaste) la France, la Savoie, l'Italie jusqu’à Naples;
avec Brisa-Testa, on atteint la Sibérie, Constantinople. Le voyage
est un thème facilement initiatique ; cependant, bien que Juliette
commence par un apprentissage, le voyage sadien n’enseigne rien
(la diversité des mœurs est reléguée dans la dissertation sadienne,
où elle sert à prouver que le vice et la vertu sont des idées toutes
locales) ; que ce soit à Astrakhan, à Angers, à Naples ou à Paris, les
villes ne sont que des pourvoyeuses, les campagnes des retraites,
les jardins des décors et les climats des opérateurs de luxure !; c’est
toujours la même géographie, la même population, les mêmes fonc-
tions ; ce qu’il importe de parcourir, ce ne sont pas des contingences
plus ou moins exotiques, c’est la répétition d’une essence, celle du
crime (entendons une fois pour toutes sous ce mot le supplice et
la débauche). Si donc le voyage est divers, le lieu sadien est unique :
on ne voyage tant que pour s’enfermer. Le modèle du lieu sadien
est Silling, le château que Durcet possède au plus profond de la
Forêt-Noire et dans lequel les quatre libertins des 120 Journées s’en-
ferment pendant quatre mois avec leur sérail. Ce château est her-
métiquement isolé du monde par une suite d'obstacles qui rap-
pellent assez ceux que l’on trouve dans certains contes de fées : un
hameau de charbonniers-contrebandiers (qui ne laisseront passer
personne), une montagne escarpée, un précipice vertigineux qu’on
ne peut franchir que sur un pont (que les libertins font détruire,
une fois enfermés), un mur de dix mètres de haut, une douve pro-
fonde, une porte, que l’on fait murer, sitôt entrés, une quantité
effroyable de neige enfin.
La clôture sadienne est donc acharnée ; elle a une double fonc-
tion; d’abord, bien entendu, isoler, abriter la luxure des entre-
prises punitives du monde; pourtant, la solitude libertine n’est
pas seulement une précaution d'ordre pratique ; elle est une qua-
IN
SADE, PR ONTNRMTINES
AR TRONTMONENR
lité d'existence, une volupté d’être !; elle connaît donc une forme
fonctionnellement inutile mais philosophiquement exemplaire :
au sein des retraites les mieux éprouvées, il existe toujours, dans
l’espace sadien, un « secret », où le libertin emmène certaines de
ses victimes, loin de tout regard, même complice, où il est irré-
versiblement seul avec son objet — chose fort singulière dans cette
société communautaire ; ce «secret » est évidemment formel, car
ce qui s’y passe, étant de l’ordre du supplice et du crime, pra-
tiques très explicites dans le monde sadien, n’a nul besoin d’être
caché; à l'exception du secret religieux de Saint-Fond, le secret
sadien n’est que la forme théâtrale de la solitude : il désocialise
le crime pour un moment; dans un monde profondément péné-
tré de parole, il accomplit un paradoxe rare : celui d’un acte muet;
et comme il n’y a jamais de réel, chez Sade, que la narration, le
silence du «secret» se confond entièrement avec le blanc du
récit :le sens s'arrête. Ce «trou » a pour signe analogique le lieu
même des secrets : ce sont régulièrement des caveaux profonds,
des cryptes, des souterrains, des excavations situées au plus bas
des châteaux, des jardins, des fossés, dont on remonte seul, sans
rien dire ?. Le secret est donc en fait un voyage dans les entrailles
de la terre, thème tellurique dont Juliette donne le sens à pro-
pos du volcan de Pietra Mala.
La clôture du lieu sadien a une autre fonction : elle fonde une
autarcie sociale. Une fois enfermés, les libertins, leurs aides et
leurs sujets forment une société complète, pourvue d’une éco-
nomie, d’une morale, d’une parole et d’un temps, articulé en
horaires, en travaux et en fêtes. Ici comme ailleurs, c’est la clô-
ture qui permet le système, c’est-à-dire l'imagination. L’équiva-
lent le plus proche de la cité sadienne serait le phalanstère fou-
1. La neige tombe sur Silling : «On n’imagine pas comme la volupté est
servie par ces sûretés-là et ce que l’on entreprend quand on peut se dire:
“Je suis seul ici, j'y suis au bout du monde, soustrait à tous les yeux et sans
qu'il puisse devenir possible à aucune créature d'arriver à moi; plus de
freins, plus de barrières.” »
2. Jardins de la Société des Amis du Crime : « Au pied de quelques-uns
de ces arbres sont ménagés des trous, où la victime peut à l'instant dispa-
raître. On soupe quelquefois sous ces arbres, quelquefois dans ces trous
mêmes. Il y en à d’extrêmement profonds, où l’on ne peut descendre que
par des escaliers secrets et dans lesquels on peut se livrer à toutes les infa-
mies possibles avec le même calme, le même silence que si l’on était dans
les entrailles de la terre. »
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1. Seule, Juliette est très jeune ; mais il ne faut pas oublier que c’est une
apprentie-libertine — et que de plus elle est le sujet de la narration.
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1. Le détail moral, donné en vrac parmi les détails physiques, est fonc-
tionnel : de même que l’esprit, l'intelligence, l'imagination font les bons liber-
tins, de même la sensibilité, la vivacité, le romanesque, la religion font les
bonnes victimes. Sade ne connaît d’ailleurs qu’une forme d'énergie, indif-
féremment physique ou morale : « Nous nourrissions son extase... en la cares-
sant de tous nos moyens physiques et moraux », dit Juliette de la Durand.
Et ceci : « J'étais aux nues, je n’existais plus que par le sentiment profond
de ma luxure.»
2. Même opposition au niveau des noms propres. Les libertins et leurs
aides ont des noms «réalistes », dont la « vérité » ne pourrait être désavouée
par Balzac, Zola, etc. Les victimes ont des noms de théâtre.
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1. L'écriture
Les jésuites, on le sait, ont beaucoup contribué à former l’idée
que nous avons de la littérature. Héritiers et propagateurs de la
rhétorique latine à travers l’enseignement dont ils ont eu pour
ainsi dire le monopole dans l’ancienne Europe, ils ont légué à la
France bourgeoise l’idée du bien-écrire, dont la censure se
confond encore souvent avec l’image que nous nous faisons de
la création littéraire. Cependant, ce prestige de la littérature, qu’ils
ont aidé à former, les jésuites le refusent facilement au livre de
leur fondateur : l'exposition des Exercices est déclarée « décon-
certante », « curieuse », « bizarre »; «tout y est laborieux, écrit un
Père, littérairement pauvre. L’auteur ne visait qu’à fournir l’ex-
pression la plus juste, la transmission aussi exacte que possible
à la Compagnie de Jésus et, par son entremise, à l'Eglise, du don
que lui-même avait reçu de Dieu ». On retrouve ici le vieux mythe
moderne selon lequel le langage n’est que l’instrument docile et
insignifiant des choses sérieuses qui se passent dans l'esprit, le
cœur ou l’âme. Ce mythe n’est pas innocent; le discrédit de la
forme sert à exalter l'importance du fond: dire : j'écris mal veut
dire : je pense bien. L’idéologie classique pratique dans l’ordre cul-
turel la même économie que la démocratie bourgeoise dans
l’ordre politique : une séparation et un équilibre des pouvoirs ; un
territoire confortable, mais surveillé, est concédé à la littérature,
à condition que ce territoire soit isolé, opposé hiérarchiquement
à d’autres domaines; c’est ainsi que la littérature, dont la fonc-
tion est mondaine, n’est pas compatible avec la spiritualité ; l’une
est détour, ornement, voile, l’autre est immédiation, nudité : voilà
pourquoi on ne peut être à la fois saint et écrivain. Purifié de tout
contact avec les séductions et les illusions de la forme, le texte
d’Ignace, suggère-t-on, est à peine du langage : c’est la simple
voie neutre qui assure la transmission d’une expérience mentale.
Ainsi se confirme une fois de plus la place que notre société
assigne au langage : décoration ou instrument, on voit en lui une
SMACDUR MERONTRRST
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2. Le texte multiple
Nos habitudes de lecture, notre conception même de la litté-
rature font que tout texte nous apparaît aujourd’hui comme la
communication simple d’un auteur (en l'occurrence ce saint
espagnol qui a fondé au xvi° siècle la Compagnie de Jésus) et
d’un lecteur (en l’occurrence nous-mêmes) : Ignace de Loyola
aurait écrit un livre, ce livre aurait été publié et aujourd’hui nous
le lisons. Ce dessin, douteux pour tout livre (puisque nous ne
pouvons jamais manifester définitivement qui est l’auteur et qui
est le lecteur), est assurément faux en ce qui concerne les Exer-
cices. Car s’il est vrai qu’un texte se définit par l’unité de sa com-
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Texte littéral Sémantique Allégorique Anagogique
Ignace
le directeur le directeur
Pexercitant lexercitant
la divinité la divinité
l'exercitant
3. La mantique
L’idée de soumettre la méditation religieuse à un travail
méthodique n’était pas neuve ; Ignace à pu l’hériter de la devo-
tio moderna des mystiques flamands, dont il avait connu, dit-on,
les traités d’oraison réglée, pendant son séjour à Montserrat ;d’un
autre côté, parfois, lorsque par exemple Ignace recommande de
prier par rythme en attachant un mot du Pater à chaque souffle
de la respiration, sa méthode rappelle certaines techniques de
l'Eglise orientale (l’hésychasme de Jean Climaque, ou prière
continue liée au souffle), sans parler, bien entendu, des disci-
plines de la méditation bouddhique; mais ces méthodes (pour
s’en tenir à celles qu’a pu connaître Ignace) visaient seulement
à accomplir en soi une théophanie intime, une union avec Dieu.
Ignace donne à la méthode d’oraison un tout autre but: il s’agit
d'élaborer techniquement une interlocution, c’est-à-dire une
langue nouvelle qui puisse circuler entre la divinité et l’exer-
citant. Le modèle du travail d’oraison est ici beaucoup moins mys-
tique que rhétorique, car la rhétorique fut elle aussi la recherche
d’un code second, d’une langue artificielle, élaborée à partir d’un
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4. L'imagination
L'invention d’une langue, tel est donc l’objet des Exercices.
Cette invention se prépare par un certain nombre de protocoles,
que l’on peut rassembler sous une prescription unique d’isole-
ment : retraite dans un lieu clos, solitaire et surtout inhabituel,
conditions de lumière (adaptées au sujet de la méditation),
emplacements de la pièce où doit se tenir l’exercitant, postures
(à genoux, prosterné, debout, assis, visage vers le ciel), portée
du regard, qui doit être retenu, et surtout, bien entendu, orga-
nisation du temps, pris entièrement en charge par le code, du
réveil au sommeil en passant par les occupations les plus
modestes de la journée (s’habiller, manger, se détendre, s’en-
»
dormir). Ces prescriptions ne sont pas propres au système
d’Ignace, on les retrouve dans l’économie de toutes les religions,
mais chez Ignace elles ont ceci de particulier qu’elles préparent
l'exercice d’une langue. Comment ? En aidant à déterminer ce
que l’on pourrait appeler un champ d’exclusion. l’organisation
très serrée du temps, par exemple, permet de napper entière-
ment la journée, de supprimer en elle tout interstice par lequel
pourrait revenir une parole extérieure; pour être répulsive, la
jointure du temps doit être si parfaite qu’Ignace recommande de
commencer le temps futur avant même que le temps présent soit
épuisé : en m’endormant, penser déjà à mon réveil, en m’ha-
billant, penser à l’exercice que je vais faire : un déjà incessant
marque le temps du retraitant et lui assure une plénitude qui
repousse loin de lui toute langue autre. Même fonction, quoique
plus indirecte, pour les gestes : c’est la prescription même, non
son contenu, qui isole; dans son absurdité, elle déconditionne
de l’habituel, sépare l’exercitant de ses gestes antérieurs
(différents), repousse l’interférence des langues mondaines qu’il
parlait avant d’entrer en retraite (ce qu’Ignace appelle «les
paroles oiseuses »). Tous ces protocoles ont pour fonction d’ins-
taller dans l’exercitant une sorte de vide linguistique, nécessaire
à l’élaboration et au triomphe de la langue nouvelle : le vide est
idéalement l’espace antérieur de toute sémiophanie.
C’est selon ce sens négatif, répulsif, qu’il faut interpréter — du
moins dans un premier temps -— l’imagination ignacienne. Il faut
ici distinguer l'imaginaire de l’imagination. L’imaginaire peut
être conçu comme un ensemble de représentations intérieures
(c’est le sens courant), ou comme le champ de défection d’une
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5. L'’articulation
Quiconque lit les Exercices voit du premier coup d’œil que la
matière en est soumise à une séparation incessante, méticuleuse
et comme obsessionnelle ; ou plus exactement, les Exercices sont
cette séparation même, à laquelle rien ne préexiste : tout est
immédiatement divisé, subdivisé, classé, numéroté en annota-
tions, méditations semaines, points, exercices, mystères, etc.
Une opération simple, que le mythe attribue au créateur du
monde séparant le jour, la nuit, l’homme, la femme, les éléments
et les espèces, fonde continûment le discours ignacien : l’articu-
lation. Le concept a chez Ignace un autre nom que l’on retrouve
obstinément à tous les niveaux de son œuvre : le discernement :
discerner, c’est distinguer, séparer, écarter, limiter, énumérer,
évaluer, reconnaître la fonction fondatrice de la différence; la
discretio, mot ignacien par excellence, désigne un geste si ori-
ginel qu’il peut s'appliquer aussi bien à des conduites (dans le
cas de la prazxis aristotélicienne) et à des jugements (la discreta
carilas, charité clairvoyante, qui sait distinguer) qu’à des dis-
cours : la discretio fonde tout langage, puisque tout ce qui est lin-
guistique est articulé.
Les mystiques l’ont bien compris : la fascination et la méfiance
qu’ils éprouvent à l'égard du langage se sont exprimées dans un
débat très vif autour du discontinu de l’expérience intérieure:
c’est le problème des « appréhensions distinctes !». Même lorsque
le terme de lexpérience mystique est défini comme un au-delà
du langage, où s’abolit sa marque même, qui est l'existence d’uni-
tés articulées, les états antérieurs sont classés, une langue inau-
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| 6. L'arbre
L’articulation imprimée à l’image divise une contiguïté ; elle est
d'ordre syntagmatique et correspond à cette opposition des uni-
tés au sein de la phrase que les linguistes appellent « contraste ».
La langue ignacienne comporte aussi l’ébauche d’un système d’op-
positions virtuelles ou paradigmatiques. Ignace pratique inlassa-
blement cette forme exaspérée du binarisme qu’est l’antithèse;
toute la seconde Semaine, par exemple, est réglée par l’opposi-
tion des deux règnes, des deux étendards, des deux camps, celui
du Christ et celui de Lucifer, dont les attributs se contrarient un
à un; tout signe d'excellence détermine immanquablement le
creux où il prend structuralement appui pour signifier : la sagesse
de Dieu et mon ignorance, sa toute-puissance et ma faiblesse, sa
justice et mon iniquité, sa bonté et ma malice, autant de couples
paradigmatiques. On sait que Jakobson a pu définir le « poétique »
comme l’actualisation et l’extension d’une opposition systématique
sur le plan de la chaîne parlée ; le discours d’Ignace est fait de ces
extensions qui, si l’on veut bien les projeter graphiquement, pren-
nent l’allure d’un réseau de nœuds et d’embranchements ; réseau
relativement simple lorsque les embranchements sont des bifur-
cations (on appelait précisément binaire, aux xiv° et xv° siècles, le
choix impliqué par un cas de conscience), mais qui peuvent
atteindre une complication extrême lorsque les embranchements
sont multiples. Le développement du discours ressemble alors à
l’éploiement d’un arbre, figure bien connue des linguistes. Voici,
esquissé, l'arbre de la première Semaine :
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Mémoire '
Volonté
Soupeser Me comparer
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Lieu Objet
Points
Préludes
Colloque Préludes
Préludes Colloque Prière Colloque
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Oraison D
Le
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7. Topiques
L’arbre d’'Ignace suggère l’idée d’une poussée, d’une conduite
de la demande (objet de l'Exercice) à travers un entrelacs de
branches, mais pour se subdiviser, le thème soumis à la médi-
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8. Assemblages
Ce qui a été articulé doit être rassemblé. Le texte de l’exerci-
tant comporte deux grandes formes d'assemblage, la répétition
et le récit. La répétition est un élément capital de la pédagogie
des Exercices. I] y a tout d’abord la répétition littérale, qui consiste
à refaire entièrement un Exercice dans sa marche et son détail;
c’est la rumination (le mot est d’Ignace). Il y a ensuite la réca-
pitulation, vieux schéma classique de la summatio, repris abon-
damment pendant des siècles : au septième jour de la troisième
Semaine, Ignace recommande ainsi de reprendre et de considé-
rer tout l’ensemble de la Passion. Il y a enfin la répétition variée,
celle qui consiste à reprendre un sujet en en changeant le point
de vue ; si, par exemple, au bord de l'élection, je m’arrête en pen-
sée sur un choix, je dois considérer ce qu’il sera advenu de ce
choix au jour de ma mort, puis au jour du Jugement dernier. La
répétition consiste à épuiser les «pertinences » d’un sujet: on
répète, en variant un peu, pour être sûr de bien recouvrir. Le
modèle complexe de la répétition ignacienne pourrait bien être
la formule quadruple qui résume, dit-on, les quatre Semaines
des Exercices : 1° Deformata reformare, 2° Reformata conformare,
S'A D'E ; FROM RTE MO
TEE Où IT A!
9. Le fantasme
«Les Exercices, dit un commentateur jésuite !, sont un lieu
redoutable et désirable à la fois... » Celui qui lit les Exercices ne
peut être en effet que frappé par la masse de désir qui s’agite
ici. La force immédiate de ce désir se lit dans la matérialité même
des objets dont Ignace demande la représentation : lieux dans
leur dimension exacte, complète, personnages dans leurs cos-
tumes, leurs attitudes, leurs actions, leurs paroles directes. Les
choses les plus abstraites (qu’Ignace appelle «invisibles ») doi-
vent trouver quelque mouvement matériel où se peindre et finir
en tableau vivant : s’il faut susciter la Trinité, ce sera sous la forme
de trois personnes en train de regarder les hommes qui des-
cendent vers l’enfer; mais le fond, la force de la matérialité, le
chiffre immédiat du désir, c’est, bien entendu, le corps humain ;
corps sans cesse mobilisé dans l’image par le jeu même de l’imi-
tation qui établit une analogie littérale entre la corporéité de
l’exercitant et celle du Christ, dont il s’agit de retrouver l’exis-
tence, presque physiologique, par une anamnèse personnelle. Le
corps dont il s’agit chez Ignace n’est jamais conceptuel : c’est tou-
jours ce corps : si je me transporte dans une vallée de larmes, il
faut imaginer, voir cette peau, ces membres parmi les corps des
animaux et percevoir l'infection qui sort de cet objet mystérieux
dont le démonstratif (ce corps) épuise la situation, puisqu'il ne
peut être jamais que désigné, non défini. Le déictisme du corps
est renforcé par la voie qui le transmet, l’image. L'image est en
effet, par nature, déictique, elle désigne, ne définit pas; il y a
toujours en elle un résidu de contingence, qui ne peut être que
pointé du doigt. Sémiologiquement, l’image entraîne toujours
plus loin que le signifié, vers la pure matérialité du référent.
Ignace suit toujours cet emportement, qui veut fonder le sens en
matière et non en concept; se plaçant devant la croix (plaçant
ce corps-là devant la croix), il cherche à dépasser le signifié de
l’image (qui est le sens chrétien, universellement médité) vers
son référent, qui est la croix matérielle, ce bois croisé, dont, par
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11. La comptabilité
On peut concevoir les Exercices comme une lutte acharnée
contre l’éparpillement des images, qui marque psychologique-
ment, dit-on, le vécu mental et dont seule — toutes les religions
en sont bien d’accord - une méthode extrêmement rigoureuse
peut venir à bout. L’imagination ignacienne, on l’a déjà dit, a
d’abord cette fonction de sélection et de concentration: il s’agit
de chasser toutes ces images flottantes qui envahissent l’esprit,
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L On m'a convié un jour à manger un couscous au beurre
rance ; ce ranci était régulier ; dans certaines régions il fait par-
tie du code du couscous. Cependant, soit préjugé, soit manque
d'habitude, soit intolérance digestive, je n’aime guère le ranci.
Que faire ? En manger, bien sûr, pour ne pas désobliger l’hôte,
mais du bout des lèvres, pour ne pas désobliger la conscience
de mon dégoût (car pour le dégoût lui-même, il suffit d’un peu
de stoïcisme). A ce repas difficile, Fourier m’eût aidé. D’une part,
intellectuellement, il m'aurait persuadé de trois choses : la pre-
mière est que le ranci du couscous n’est nullement une question
oiseuse, futile ou triviale et qu’il n’est pas plus ridicule d’en
débattre que de la Transsubstantiation!; la seconde est qu’en
m'acculant à mentir sur mes goûts (ou mes dégoûts) la société
manifeste sa fausseté, c’est-à-dire non seulement son hypocrisie
(ce qui est banal) mais aussi le vice du mécanisme social, dont
lengrenage est faussé; la troisième, que cette même société ne
saurait avoir de repos qu’elle n’ait assuré (comment ? Fourier l’a
bien expliqué mais il faut avouer que ça n’a pas marché) l’exer-
cice de mes manies, fussent-elles « bizarres » ou « subalternes »,
comme celles des amateurs de vieilles poules, des mange-vilé-
nies (tel l’astronome Lalande qui aimait manger des araignées
vivantes), des sectaires du beurré, de la bergamote, du rousse-
let, des pille-talons ou du vieux poupon sentimental’. D’autre
1.« On va d’abord traiter de puérilité ces batailles sur la palme des crèmes
sucrées ou des petits pâtés; on pourrait répondre que ce débat ne sera pas
plus ridicule que ceux de nos guerres de Religion sur la Transsubstantia-
tion. » (VIT, 346).
2. Les pille-talons sont des hommes qui aiment à gratter le talon de leur
maîtresse (VII, 335) ; le poupon sentimental est un sexagénaire qui veut se
faire traiter en marmot, veut que la soubrette le corrige «en tapotant dou-
cement son fessier patriarcal » (VIT, 334).
FH HN)
SANDSNS,, AN CONUMRMINRINIRS LRO BYAONTN A
1. Fourier aurait été ravi, je n’en doute pas, de voir mon ami Abd el Kebir
Khatibi entrer dans le tournoi des couscous pour y défendre, dans la lettre
qu'il m'a écrite, la thèse du ranci :
«Je ne suis pas non plus un Ranciste. Je préfère le couscous à la citrouille,
marqué légèrement par des raisins secs — bien mouillés à l’œuvre tout
de même — et tout cela produit ee qu’il peut: une insubordination à l’ex-
pression.
L’apparente instabilité du système culinaire chez le paysan marocain pro-
vient, cher ami, du fait que le beurre rance se construit un foyer troublant
sous terre, à l'intersection du temps cosmique et du temps de la consom-
mation. Le beurre rance est une espèce de propriété décomposée, agréable
au monologue intérieur.
Puisé à main large, le beurre rance se bricole dans le rite rond que voici :
une grosse el magnifique boule de couscous est éjaculée dans la gorge, à
tel point que le rance se neutralise, C’est une ellipse à double foyer, dirait
Fourier.
C’est pourquoi le paysan se cherche dans le dépouillement : la parabole
donne le surplus, la terre appartenant à Dieu. Il enfouit le beurre frais, puis
l'extrait en temps utile. Mais c'est la femme accroupie, toujours accroupie,
qui mène l’opération par en dessous. Préparation lente et laborieuse, ren-
dant mon couscous assez androgyne à mon goût.
J'accepte ainsi d'agir dans ces limites : le rance est un phantasme impé-
ralif, Le plaisir est de manger avec le groupe.
A rapprocher celle façon de conserver le beurre sous terre d’une pra-
tique traditionnelle de guérison mentale, On enterre le fou furieux pour un
jour ou deux, le laissant presque nu et sans nourrilure. Quand on le sort, il
renaîl souvent ou meurt pour de bon. Il y a entre le ciel et la terre des signes
pour ceux qui savent.
La surenchère sur le couscous — objet bien énigmatique — m'oblige à me
laire et à vous saluer amicalement. »
SAR DA MAT OP O0 FR 0 ER I Or OP IA À
Il. Fourier aime les compotes, le beau temps, les melons par-
faits, les petits pâtés aux aromates appelés mirlitons et la com-
pagnie des saphiennes. A ces goûts, la société et la nature appor-
tent quelques entraves : le sucre coûte (ou coûtait) cher (plus
cher que le pain), le climat de la France est insupportable, sauf
en mai, septembre et octobre, nous ne disposons d’aucun moyen
sûr pour détecter la qualité d’un melon, en Civilisation les petits
pâtés sont indigestes, les saphiennes sont proscrites et, longtemps
aveugle sur lui-même, Fourier ne sut que très tard qu’il les aimait.
Il faut donc refaire le monde avec mon plaisir :mon plaisir sera
tout en même temps la fin et le moyen: en l’organisant, en le
distribuant, je le comblerai.
III. En tout lieu où nous voyageons, en toute occasion où
nous éprouvons un désir, une envie, une lassitude, une vexa-
tion, il est possible d'interroger Fourier, de se demander:
qu’en aurait-il dit ? Que ferait-il de ce lieu, de cette aventure?
Me voici, un soir, dans un motel du Sud marocain : à quelques
centaines de mètres de la ville populeuse, haïllonneuse, pous-
siéreuse, un parc d’essences rares, une piscine bleue, des
fleurs, des bungalows silencieux, des serviteurs discrets en
foule. En Harmonie, qu’est-ce que cela donnerait ? Tout d’abord
ceci : viendraient dans ce lieu tous ceux qui ont ce goût bizarre,
cette manie subalterne d'aimer les lumignons dans les bos-
quets, les dîners aux bougies, la domesticité folklorique, les
grenouilles nocturnes et un chameau dans un pré sous votre
fenêtre. Puis cette rectification : les Harmoniens n’auraient
guère besoin de ce lieu, luxueux en raison de sa température
(le printemps en plein hiver), puisque, par action sur l’atmo-
sphère, par modification de la couronne boréale, ce climat exo-
tique pourrait être transporté à Jouy-en-Josas ou Gif-sur-
Yvette. Enfin ce compromis : à certains moments de l’année,
les hordes, par goût du voyage et de l’aventure, convergeraient
vers le motel idyllique et y tiendraient des conciles d'amour et
de gastronomie (ce serait un lieu tout désigné pour notre repas
de thèse sur les couscous). De quoi il ressort de nouveau ceci:
que le plaisir fouriériste est le bout de la nappe: tirez le
moindre incident futile, pourvu qu’il mette en jeu votre conten-
tement, et tout le reste du monde suit: son organisation, ses
limites, ses valeurs; cet enchaînement, cette induction fatale
qui relie l’inflexion la plus ténue de notre désir à la socialité
la plus vaste, cet espace unique dans lequel se trouvent pris
le fantasme et la combinatoire sociale, c’est très exactement
TT
SABDIEL MN EMONTMRUINENRR
NERO MONTMA
Le calcul de plaisir
Le mobile de toute construction (de toute combinaison) fou-
riériste n’est pas la justice, l'égalité, la liberté, etc., c’est le plai-
sir. Le fouriérisme est un eudémonisme radical. Le plaisir fou-
riériste (appelé bonheur positif) est très facile à définir: c’est le
plaisir sensuel : «la liberté amoureuse, la bonne chère, l’insou-
ciance et autres jouissances que les Civilisés ne songent même
pas à convoiter, parce que la philosophie les habitue à traiter
de vice le désir des biens véritables !. » La sensualité fouriériste
est surtout orale. Certes les deux grandes sources du plaisir sont
à égalité l'Amour et la Nourriture, mis sans cesse en parallèle;
mais si Fourier revendique en faveur de la liberté érotique, il
ne la décrit pas sensuellement ; tandis que la nourriture est fan-
ANT N2
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1. «Si nous pouvions voir subitement cet Ordre combiné, cet œuvre de
Dieu tel qu’il sera dans sa pleine activité... il est hors de doute que beau-
coup de Civilisés seraient frappés de mort par la violence de leur extase.
La seule description [de la 8° société] pourra causer à plusieurs d’entre eux,
et surtout aux femmes, un enthousiasme qui tiendra de la manie ; elle pourra
les rendre indifférents aux amusements, inhabiles aux travaux de la Civi-
lisation » (I, 65).
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Le méta-livre
Le méta-livre est le livre qui parle du livre. Fourier passe son
temps à parler de son livre en sorte que l’œuvre de Fourier que
. nous lisons, mêlant indissolublement les deux discours, forme
finalement un livre autonyme, dans lequel la forme dit sans cesse
la forme.
Fourier accompagne son livre très loin. Par exemple, il ima-
gine un dialogue entre le libraire et le client. Ou encore, sachant
que son livre sera mis en procès, il établit tout un système ins-
titutionnel de défense (tribunal, jury, avocats) et de diffusion (le
lecteur riche qui voudra s’éclaircir sur quelques doutes appel-
lera l’auteur en leçons payées, comme celles des sciences et des
arts : « C’est un genre de relations sans conséquence, comme avec
un marchand de qui l’on achète »: après tout, c’est un peu ce
que fait aujourd’hui l’écrivain qui part en tournées de conférences
pour redire en paroles ce qu’il a dit en écriture).
Quant au livre lui-même, il suppose une rhétorique, c’est-à-
dire l’adaptation des types de discours à des types de lecteurs:
l'exposition s'adresse aux « Curieux » (c’est-à-dire aux hommes
studieux) ; les descriptions (aperçus sur les jouissances des Des-
tinées privées) s’adressent aux Voluptueux ou Sybarites ; la confir-
mation, pointant les bévues systématiques des Civilisés en proie
à l'Esprit Commercial, s’adresse aux Critiques. On distinguera
des morceaux de perspective et des morceaux de théorie (1,160) ;
il y aura des aperçus (abstraits), des abrégés (à moitié concrets),
des dissertations approfondies (corps de doctrine). Il s’ensuit que
le livre (vue en quelque sorte mallarméenne), non seulement
est morcelé, articulé (structure banale), mais encore mobile sou-
mis à un régime d'actualisation intermittente : on invertira des
chapitres, on précipitera (marche expéditive) ou on ralentira la
lecture, selon la classe de lecteurs dans laquelle on désire se
ranger ;à la limite, le livre n’est fait que de sauts, troué, comme
NT 9)
SMADDR MEN ONUNRNINENRNMTAORMORIREX
La savate flamboyante
Fourier parle quelque part du « mobilier nocturne ». Que m’im-
porte si cette expression est la trace d’un délire qui fait valser
les astres ? Je suis emporté, ébloui, convaincu par une sorte de
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Le hiéroglyphe
Fourier veut déchiffrer le monde pour le refaire (car comment
le refaire sans le déchiffrer ?).
Le déchiffrement fouriériste part de la plus difficile des situa-
tions, qui n’est pas tellement la latence des signes que leur
continu. il y a un mot de Voltaire que Fourier reprend sans cesse
à son compte : « Mais quelle épaisse nuit voile encore la nature ? »;
or, dans le voile, il y a finalement moins l’idée de masque que
celle de nappe. Une fois de plus la tâche primordiale du logo-
thète, du fondateur de langage, est de découper le texte sans fin :
1584
SADE , FOURIER, LO XNONT A
THIBNS
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IS ENRE NM ORIMIOMIER
7 8 6
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Libéral ?
La combinaison des différences implique que l’individuation
de chaque terme est respectée : on n’essaye pas de redresser, de
corriger, d'annuler un goût, quel qu’il soit (si «bizarre » soit-il) ;
bien au contraire, on l’affirme, on lemphatise, on le reconnaît,
on le légalise, on le renforce en associant tous ceux qui veulent
le pratiquer: le goût ainsi corporé, on le laisse jouer en opposi-
tion avec d’autres goûts à la fois affinitaires et différents : un jeu
de compétition (voire d’intrigue, mais codée) s’établira entre les
amateurs de bergamote et les amateurs de beurré : on ajoutera
alors à la satisfaction d’un goût simple (aimer les poires) lexer-
SPAPDRE MMENONUT RIRE EN ARROIR OPERA
Passions
La passion (le caractère, le goût, la manie) est l’unité irré-
ductible de la combinatoire fouriériste, le graphème absolu du
texte utopique. La passion est naturelle (rien à corriger en elle,
sauf à produire une contre-nature, ce qui se passe en Civilisa-
tion). La passion est nette (son être est pur, fort, bien contourné :
seule la philosophie civilisée conseille des passions flasques, apa-
thiques, des contrôles et des compromis). La passion est heureuse
(«Le bonheur... consiste à avoir beaucoup de passions et beau-
coup de moyens de les satisfaire », I, 92).
La passion n’est pas la forme exaltée du sentiment, la manie
n’est pas la forrne monstrueuse de la passion. La manie (et même
la lubie) est l’être même de la passion, l'unité à partir de laquelle
se détermine l’Attraction (attractive et attrayante). La passion
n’est ni déformable, ni transformable, ni réductible, ni mesurable,
ni substituable : ce n’est pas une force, c’est un nombre : on ne
peut ni décomposer ni amalgamer cette monade heureuse,
franche, naturelle, mais seulement la combiner, jusqu’à rejoindre
l’âme intégrale, corps transindividuel de 1 620 caractères.
FRENS
SAP
ON EP OMR O0) 0 ROULE
RE.,0 M, © N O1 In A
L'arbre du bonheur
Les passions (au nombre de 810 pour chaque sexe) partent,
comme les rameaux d’un arbre (larbre-fétiche des classifica-
teurs), de trois souches : le /urisme, qui rassemble les passions
sensitives (une pour chacun des cinq sens), le groupisme (quatre
passions de départ: l'honneur, l’amitié, l’amour, la parenté) et
le sériisme (trois passions distributives). Toute la combinatoire
s’éploie à partir de ces douze passions (elles n’ont aucune pré-
éminence morale, mais seulement structurale).
Les neuf premières passions viennent de la psychologie clas-
sique, mais les trois dernières, formelles, sont d'invention fou-
riériste. La Dissidente (ou Cabalistique) est une fougue réfléchie,
une passion de l’intrigue, une manie calculatrice, un art d’ex-
ploiter les différences, les rivalités, les conflits (on n’aura pas de
peine à en reconnaître la texture paranoïaque) ; elle est le délice
des courtisans, des femmes et des philosophes (des intellectuels),
ce pour quoi on peut l’appeler aussi la Spéculative. La Compo-
site (à vrai dire moins bien cernée que ses voisines) est la pas-
sion du débordement, de l’exaltation (sensuelle ou sublime), de
la multiplication; on peut l’appeler la Romantique. La Variante
(ou Alternante, ou Papillonne) est un besoin de variété pério-
dique (changer d'occupation, de plaisir, toutes les deux heures);
c’est, si l’on veut, la disposition du sujet qui n’investit pas d’une
façon stable dans le « bon objet » : passion dont la figure mythique
serait don Juan: individus qui changent sans cesse de métiers,
de manies, d’amours, de désirs, dragueurs impénitents, infidèles,
renégats, sujets à «humeurs », etc. : passion méprisée en Civili-
sation, mais que Fourier place très haut: c’est elle qui permet
de parcourir rapidement beaucoup de passions à la fois, et telle
une main agile sur un clavier multiple, de faire vibrer harmo-
nieusement (c’est le cas de le dire) la grande âme intégrale ; agent
de transition universelle, elle anime ce genre de bonheur attri-
bué aux sybarites parisiens, l’art de vivre si bien et si vite, la variété
et l’enchaînement des plaisirs, la rapidité du mouvement (on se
rappelle que pour Fourier le mode de vie de la classe possédante
est le modèle même du bonheur).
Ces trois passions sont formelles : comprises dans le classement,
elles en assurent le fonctionnement (la «mécanique »), ou plus
exactement encore : le jeu. Si lon compare l’ensemble des pas-
sions à un jeu de cartes ou d'échecs (ce qu’a fait Fourier), les trois
Th
8 9
SAARDREMMENORUMAMIPEMR MAT ONBORTEX
Nombres
L'autorité de Fourier, la Référence, la Citation, la Science, le
Discours antérieur qui lui permet de parler et d’avoir lui-même
autorité sur «l’étourderie de 25 siècles savants qui n’y avaient
pas songé », c’est le calcul (comme l’est aujourd’hui pour nous
la formalisation). Ce calcul n’a pas besoin d’être important ou
compliqué : c’est un petit calcul. Petit, pourquoi? Parce que,
quoique conséquent (de lui dépend le bonheur de l’humanité),
ce calcul est simple. De plus, la petitesse emporte l’idée d’une
PROMO
SAP PE JEU OL TU RM HE R° 0 Jr O! M ON TN A!
TO.
SCAIDIE
MEN ONU MENR ME TOMMROMIEEA
Le brugnon
Il y a toujours, dans n’importe quel classement de Fourier, une
part réservée. Cette part est appelée de noms divers : passage,
mixte, transition, neutre, trivialité, ambigu (nous pourrions,
nous, l’appeler : supplément) ;naturellement, elle est nombrée :
c’est le 1/8 de toute collection. Ce 1/8 a d’abord une fonction
bien connue des savants : c’est la part légale de l'erreur. («Les
calculs sur l’Attraction et sur le Mouvement social sont tous sujets
à l'exception d’un 1/8... elle sera toujours sous-entendue. ») Seu-
lement, comme chez Fourier il s’agit toujours d’un calcul de bon-
heur, l'erreur est immédiatement éthique : quand la Civilisation
(abhorrée) «se trompe » (sur son propre système), elle produit
le bonheur : le 1/8 représente donc, en Civilisation, les gens heu-
reux. De cet exemple, il est facile de comprendre que pour Fou-
rier la huitième part ne procède pas d’une concession libérale
ou statistique, de la vague reconnaissance d’un écart possible,
d’un relâchement « humain » du système (que l’on devrait prendre
avec philosophie); il s’agit bien au contraire d’une haute fonc-
tion structurale, d’une contrainte de code. Laquelle?
En tant que classificateur (taxinomiste), ce dont Fourier a le
plus grand besoin, ce sont les passages, les termes spéciaux qui
permettent de transiter (d’engrener) d’une classe à une autre,
c’est l'espèce de lubrifiant dont l'appareil combinatoire doit faire
usage pour ne pas grincer; la part réservée est donc celle des
Transitions ou Neutres (le neutre est ce qui prend place entre la
marque et la non-marque, cette sorte de tampon, d’amortisseur,
dont le rôle est d’étouffer, d’adoucir, de fluidifier le tic-tac séman-
tique, ce bruit métronomique qui signe obsessionnellement
alternance paradigmatique : oui/non, oui/non, oui/non, etc.). Le
brugnon, qui est l’une de ces Transitions, amortit l'opposition de
la prune et de la pêche, comme le coing amortit celle de la poire
et de la pomme : ils font partie du 1/8 des fruits. Cette part (le
1/8) est scandaleuse parce qu’elle est contradictoire : elle est la
classe où s’engouffre tout ce qui tente d'échapper au classement ;
mais aussi cette part est supérieure : espace du Neutre, du sup-
plément de classement, elle relie les règnes, les passions, les carac-
7 9 4
SARL DER UP CO, OL R D F6 Et 9 0)
% OL I À
Système/systématique
que le réel contenu de ces systèmes ne se trouve
guère dans leur forme systématique, c'est ce que
prouvent le mieux les fouriéristes orthodoxes... qui
malgré toute leur orthodozxie sont exactement les
antipodes de Fourier : des bourgeois doctrinaires.
(Marx-Engels, /déologie allemande)
Hot,(6)
SAT
DL EUR "OL ITR IE: KR 4 Ai OH ON À
La party
Qu'est-ce qu’une party? 1° un partage, qui isole un groupe loin
des autres, 2° une partouze, qui en lie érotiquement les partici-
pants, 3° une partie, le moment réglé d’un jeu, d’un divertisse-
ment collectif. Chez Sade, chez Fourier, la party, qui est la plus
haute forme du bonheur sociétaire ou sadien, possède ce triple
caractère : c’est une cérémonie mondaine, une pratique érotique,
un acte social.
La vie fouriériste est une immense party. Dès 3 heures et demie
du matin, au solstice d’été (on a besoin de peu de sommeil en
Harmonie), l’homme sociétaire est en état de mondanité : engagé
dans une succession de «rôles » (chacun étant l’affirmation nue
Her
SPAPDPE M MENONUMEINE
RE MAN ONMOMIE
FONCTIONS PAISIBLES
repas | télégraphe
études Cour d'hiver pigeons
__ conseil temple
jardins carillon jardins
[ Cour de parade \
Bruits : caravansérail
ateliers Place de manœuvres bals
forges étrangers
enfants
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SAME
0 FOUR SN ER 0 L 10 M 011 À
Les compotes
Un livre oriental dit qu’il n’est de meilleur remède contre la soif
qu’un peu de compote froide, bien sucrée, suivie de quelques gor-
gées d’eau fraîche. Ce conseil eût doublement enchanté Fourier :
SNOMM
SANDER ENOAUMENIMENRE MORIN OMTIEA
1. «.… V’air est un champ soumis aussi bien que les terres à l’exploitation
industrielle » (III, 97).
SPANDUE, MORMIONTUMEANIN EME L'O'YPONI A
8 O0 4
SA OR SR OUR MR CIO AOL: À
digestion qui sera due à la délicatesse des mets » (on côtoie ici
encore un thème sadien : ce qui est chez Fourier réglage de l’in-
gestion par la digestion, se trouve renversé (ou redressé) chez
Sade, où c’est l’ingestion qui règle la digestion (la coprophagie
a besoin de bonnes matières fécales) ;d) sexe : «Il faudrait pour
confondre la tyrannie des hommes qu’il existât pendant un siècle
un troisième sexe, mâle et femelle, et plus fort que l’homme. »
Inutile d’insister sur le caractère raisonnable de ces délires,
puisque certains sont en voie d'application (accélération de l’'His-
toire, modification des climats par la culture ou l’urbanisation,
percée des isthmes, transformation des sols, conversion des lieux
désertiques en lieux cultivés, conquête des astres, accroissement
de la longévité, développement physique des races). L’adunaton
le plus fou (le plus résistant) n’est pas celui qui renverse les lois
\
de la «nature », mais celui qui renverse les lois du langage. Les
impossibilia de Fourier, ce sont ses néologismes. Il est plus facile
de prévoir la subversion du «temps qu’il fait» que d'imaginer,
tel Fourier, un masculin au mot « Fées » et de l’écrire tout sim-
plement : « Fés » : le surgissement d’une configuration graphique
insolite d’où a chu la féminité, voilà le véritable impossible : l’im-
possible ramassé du sexe et du langage: dans «matrones et
matrons », c’est vraiment un nouvel objet, monstrueux, trans-
gresseur, qui vient à l'humanité.
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Cacher la Femme
Tous les libertins ont cette manie, dans leurs plaisirs, de vou-
loir cacher scrupuleusement le sexe de la Femme. Triple profit.
D’abord une parodie dérisoire renverse la morale : une même
phrase sert au libertin et au puritain: « Cachez le con, mes-
- dames », dit Gernande indigné à Justine et Dorothée, du même
ton que Tartuffe s’adresse à Dorine («Couvrez ce sein que je ne
saurais voir »); la phrase et le vêtement restent en place mais
selon des fins contraires, ici pudeur hypocrite, là débauche. La
meilleure des subversions ne consiste-t-elle pas à défigurer les
codes, plutôt qu’à les détruire?
Ensuite : la Femme est abîmée : on l’empaquette, on l’entortille,
on l’embéguine, on la déguise, de façon à effacer toute trace de
ses attraits antérieurs (figure, seins, sexe); on produit une sorte
de poupée chirurgicale et fonctionnelle, un corps sans devant (hor-
reur et défi structural), un pansement monstrueux, une chose.
Enfin : par son ordre d’occultation, le libertin contredit l’immo-
ralisme courant, il prend le contre-pied de la pornographie des col-
légiens, qui fait de la dénudation sexuelle de la Femme la suprême
audace. Sade demande un contre-Strip-tease ;alors que sur la scène
des music-halls le triangle de diamant à quoi finalement résiste le
dévêtement de la danseuse désigne en l’interdisant l’arcane même
de la jouissance, ce même triangle, dans la cérémonie libertine,
définit le lieu d’une horreur : « Bressac pose des mouchoirs trian-
gulaires, renoués sur les reins; et les deux femmes s’avancent... »
La morale libertine consiste, non à détruire, mais à dévoyer;
elle détourne l’objet, le mot, l’organe, de son usage endoxal; mais
pour que ce vol s’accomplisse, pour qu’il y ait prévarication du
système libertin aux dépens de la morale courante, il faut que
le sens persiste, il faut que la Femme continue à représenter un
espace paradigmatique, pourvu de deux lieux dont le libertin, en
linguiste respectueux du signe, va marquer l’un et neutraliser
l’autre. Certes, en cachant le sexe de la Femme, en dénudant ses
SAND EMONUMRNINENRE-TAOMONTENA
Nourriture
La nourriture sadienne est fonctionnelle, systématique. Cela
ne suffirait pas à la rendre romanesque. Sade y ajoute un sup-
plément d’énonciation : l’invention du détail, la nomination des
plats. Victorine, l’intendante de Sainte-Marie-des-Bois, mange à
son repas une dinde aux truffes, un pâté de Périgueux, une mor-
tadelle de Bologne et boit six bouteilles de vin de Champagne ;
Sade note ailleurs le menu d’un «dîner fort irritant : potage au
bouillon de 24 petits moineaux au riz et au safran, tourte dont
les boulettes sont de viande de pigeon hachée et garnie de culs
d’artichauts, œufs au jus, compote à l’ambre ». Le passage de la
notation générique («ils se restaurèrent ») au menu détaillé («à
la pointe du jour on leur servit des œufs brouillés, chincara,
potage à l’oignon et omelettes ») constitue la marque même du
romanesque : on pourrait classer les romans selon la franchise
de allusion alimentaire : avec Proust, Zola, Flaubert, on sait tou-
jours ce que mangent les personnages ; avec Fromentin, Laclos
ou même Stendhal, non. Le détail alimentaire excède la signifi-
cation, il est le supplément énigmatique du sens (de l'idéologie) ;
dans Poie dont s’empiffre le vieux Galilée, il n’y a pas seulement
un symbole actif de sa situation (Galilée est hors de la course;
il mange ; ses livres agiront pour lui), mais aussi comme une ten-
dresse brechtienne pour la jouissance. De même les menus de
Sade ont pour fonction (infonctionnelle) d'introduire le plaisir
(et non plus seulement la transgression) dans le monde libertin.
Si AN D EN OM CE TONER D 5 KR M A O! M O1 à À
Le tapis roulant
L’Eros sadien est évidemment stérile (diatribes contre la géné-
ration). Son modèle est cependant le travail. L’orgie est organi-
sée, distribuée, commandée, surveillée comme une séance d’ate-
lier; sa rentabilité est celle du travail à la chaîne (mais sans
plus-value) : «Je n’ai vu de mes jours, dit Juliette chez Franca-
ville sodomisé 300 fois en deux heures, un service aussi lestement
fait que celui-là. Ces beaux membres, ainsi préparés, arrivaient
de main en main jusque dans celles des enfants qui devaient les
introduire ; ils disparaissaient dans le cul du patient; ils en sor-
taient, ils étaient remplacés; et tout cela avec une légèreté, une
promptitude dont il est impossible de se faire une idée. » Ce qui
“est décrit ici est en fait une machine (la Machine est l'emblème
sublimé du travail dans la mesure où elle l’accomplit et l’exonère
en même temps) ; enfants, ganymèdes, préparateurs, tout le monde
forme un immense et subtil rouage, une horlogerie fine, dont la
fonction est de lier la jouissance, de produire un temps continu,
d'amener le plaisir au sujet sur un tapis roulant (le sujet est magni-
fié comme issue et finalité de toute la machinerie, et cependant
dénié, réduit à un morceau de son corps). Toute combinatoire a
besoin d’un opérateur de continuité; tantôt c’est la couverture
simultanée de tous les sites du corps, tantôt, comme ici, c’est la
rapidité même des obturations.
La censure, l'invention
Sade est apparemment censuré deux fois : lorsqu'on interdit
d’une manière ou d’une autre la vente de ses livres; lorsqu'on le
déclare ennuyeux, illisible. La vraie censure, cependant, la cen-
sure profonde, ne consiste pas à interdire (à couper, à retrancher,
à affamer), mais à nourrir indûment, à maintenir, à retenir, à étouf-
fer, à engluer dans les stéréotypes (intellectuels, romanesques, éro-
tiques), à ne donner pour toute nourriture que la parole consa-
crée des autres, la matière répétée de l’opinion courante.
L’instrument véritable de la censure, ce n’est pas la police, c’est
l’endoxa. De même qu’une langue se définit mieux par ce qu’elle
oblige à dire (ses rubriques obligatoires) que par ce qu’elle inter-
dit de dire (ses règles rhétoriques), de même la censure sociale
n’est pas là où l’on empêche, mais là où l’on contraint de parler.
(Cr|
S'ANDIE,, FLOUE.
DEN A OT O0 ROMA
La haine du pain
Sade n’aime pas le pain. La raison en est doublement poli-
tique. D’une part, le Pain est emblème de vertu, de religion, de
travail, de peine, de besoin, de pauvreté, et c’est comme objet
moral qu'il doit être méprisé; d'autre part, c’est un moyen de
chantage : les tyrans asservissent le peuple en menaçant de lui
retirer le pain; c’est un symbole d’oppression. Le pain sadien est
donc un signe contradictoire : moral et immoral, condamné dans
le premier cas par le Sade contestataire et dans le second cas
par le Sade républicain.
Le texte cependant ne peut s'arrêter au sens idéologique
(même contradictoire) : au pain chrétien et au pain tyrannique
s’ajoute un troisième pain, un pain «textuel»; ce pain-là est un
«<amalgame pestilentiel d’eau et de farine »; substance, il est pris
dans le système proprement sadien, celui du corps; il est retran-
ché de la nourriture des sérails parce qu’il produirait chez les
sujets des digestions impropres à la coprophagie. Ainsi tournent
les sens : carrousel de déterminations qui ne s’arrête nulle part
et dont le texte est le mouvement perpétuel.
Le corps éclairé
Sade, pas plus que personne, n'arrive à décrire la beauté; tout
au plus peut-il l’affirmer, au moyen de références culturelles
(« faite comme Vénus », «la taille de Minerve », «la fraîcheur de
Flore »). Etant analytique, le langage n’a de prise sur le corps
CHINE
SAME EUR CEE AR D RU SL 'O WOOD A
que s’il le morcelle ; le corps total est hors du langage, seuls arri-
vent à l'écriture des morceaux de corps; pour faire voir un corps,
il faut ou le déplacer, le réfracter dans la métonymie de son vête-
ment, ou le réduire à l’une de ses parties; la description rede-
vient alors visionnaire, le bonheur d’énonciation se retrouve
(peut-être parce qu’il y a une vocation fétichiste du langage) : le
moine Severino trouve à Justine «une supériorité décidée dans
la coupe des fesses, une chaleur, un étroit indicible dans l’anus ».
Autant les corps des sujets sadiens sont fades, dès lors qu’ils sont
totalement beaux (la beauté n’est qu’une classe), autant les
fesses, le vit, l’haleine, le sperme trouvent une individualité
immédiate de langage.
Il est cependant un moyen de donner à ces corps fades et par-
faits une existence textuelle. Ce moyen est le théâtre (ce qu’a
\
compris l’auteur de ces lignes en assistant à un spectacle de tra-
vestis donné dans un cabaret parisien). Pris dans sa fadeur, son
abstraction («la plus sublime gorge, de très jolis détails dans les
formes, du dégagement dans les masses, de la grâce, du moel-
leux dans l'attachement des membres », etc.), le corps sadien
est en fait un corps vu de loin dans la pleine lumière de la scène;
c’est seulement un corps très bien éclairé, et dont l’éclairement
même, égal, lointain, efface l’individualité (les imperfections de
la peau, les couleurs mauvaises du teint), mais laisse passer la
pure vénusté ; totalement désirable et absolument inaccessible,
le corps éclairé a pour espace naturel le petit théâtre, celui du
cabaret, du fantasme ou de la présentation sadienne (le corps
de la victime sadienne ne devient accessible que lorsqu'il des-
cend de sa première description et se morcelle). C’est finale-
ment la théâtralité de ce corps abstrait qui est rendue par des
expressions ternes (corps parfait, corps à ravir, faite à peindre,
etc.), comme si la description du corps avait été épuisée par sa
mise (implicite) en scène : peut-être est-ce en somme la fonc-
tion de ce peu d’hystérie qui est au fond de tout théâtre (de tout
éclairage) que de combattre ce peu de fétichisme qui est dans
le « découpage » même de la phrase écrite. Quoi qu’il en soit, il
ma suffi d’éprouver une vive commotion devant les corps éclai-
rés du Cabaret parisien, pour que les allusions (apparemment
fort plates) de Sade à la beauté de ses sujets cessent de m’en-
nuyer et éclatent à leur tour de toute la lumière et l’intelligence
du désir.
SAAB DRE M FNODTINR
INENR UNIT OMAOR IA
L'’inondation
Juliette, Olympe et Clairwil sont aux prises avec dix pêcheurs
de Baïes; comme elles sont trois, trois de ces pêcheurs sont
d’abord satisfaits, mais ceux qui restent se disputent ;Juliette les
calme en leur prouvant qu'avec un peu d’art chacune des trois
femmes peut occuper trois hommes (le dixième, épuisé, se
contentera de regarder). Cet art est celui de la catalyse: il
consiste à saturer le corps érotique en occupant simultanément
les chefs-lieux du plaisir (la bouche, le sexe, l'anus) ; chaque sujet
est trois fois comblé (dans les deux sens du mot) et de la sorte
chacun des neuf partenaires trouve son emploi érotique (il est
vrai que cet emploi est simple, alors que le plaisir des sujets est
triple ; c’est différence de classe : les libertins opposés aux agents,
les riches aventurières aux pauvres pêcheurs).
La saturation de toute l’étendue du corps est le principe de
l’érotique sadienne : on essaye d'employer (d'occuper) tous ses
lieux distincts. Ce problème est celui-là même de la phrase (en
quoi il faut parler d’une érotographie sadienne, la structure de
la jouissance ne se distinguant pas de celle du langage) : la phrase
(littéraire, écrite) est elle aussi un corps qu’il faut catalyser, en
remplissant tous ses lieux premiers (sujet-verbe-complément)
d’expansions, d’incises, de subordonnées, de déterminants ;
certes, cette saturation est utopique, car rien ne permet (struc-
turalement) de terminer une phrase : on peut toujours lui ajou-
ter un supplément, qui ne sera jamais, en droit, le dernier (cette
incertitude de la phrase rendait Flaubert très malheureux); de
même, bien que Sade ait tenté d’allonger sans cesse l'inventaire
des sites érotiques, il sait bien qu’il ne peut fermer le corps amou-
reux, terminer la catalyse voluptueuse (la par-faire) et épuiser
la combinatoire des unités : il reste toujours un supplément de
demande, de désir, qu’on essaye illusoirement d’épuiser, soit en
répétant ou permutant les figures (comptabilité des « coups»),
soit en couronnant l’opération combinatoire (par définition, ana-
lytique), d’un sentiment extatique de continuité, de couverture,
de perfusion.
Cette transcendance de la combinatoire a été également recher-
chée par le premier théoricien de la phrase, Denys d'Halicarnasse :
il s'agissait de postuler une valeur diffuse, épandue sur l’addition
et Particulation des mots (valeur liée, rythmée, respiratoire). Or,
passer de la catalyse sommative à une totalité existentielle, c’est
SAME. 60 AO)
UNR LE D A EL (O0 Ÿ OUT,À
Social
Les aventures sadiennes ne sont pas fabuleuses : elles se pas-
sent dans un monde réel, contemporain de la jeunesse de Sade,
à savoir la société de Louis XV. L’armature sociale de ce monde
est brutalement soulignée par Sade; les libertins appartiennent
à l'aristocratie ou plus exactement (ou plus souvent) à la classe
des financiers, traitants et prévaricateurs, en un mot : des exploi-
tants, la plupart enrichis dans les guerres de Louis XV et dans
les pratiques de corruption du despotisme ; sauf si leur origine
noble est un facteur de volupté (rapt des filles de bon ton), les
sujets appartiennent au sous-prolétariat industriel et urbain (par
exemple, les chiffrecane de Marseille, enfants «travaillant aux
manufactures et qui fournissent aux paillards de cette ville les
plus jolis objets qu’il soit possible de trouver») ou aux serfs de
la féodalité terrienne, là où elle subsiste (en Sicile, par exemple,
où Jérôme, le futur moine de Justine, va s’installer, selon un pro-
jet proprement arcadien qui lui permettra, dit-il, de dominer éga-
lement sur son champ et sur ses vassaux).
Cependant il se produit ce paradoxe : les rapports de classes
sont, chez Sade, à la fois brutaux et indirects ;énoncés selon l’op-
position radicale des exploitants et des exploités, ces rapports ne
passent pas dans le roman comme s’il s’agissait de les décrire à
titre référentiel (ce qu'a fait un grand romancier « social » comme
Balzac); Sade les prend différemment, non comme un reflet à
peindre, mais comme un modèle à reproduire. Où ? Dans la petite
société des libertins; cette société est construite comme une
maquette, une miniature ; Sade y transporte la division de classe ;
d’un côté les exploitants, les possédants, les gouvernants, les
& À 5
SAMDIE MARRON TARA ER MECS OMMOMIEEX
Politesse
Lorsque Sade travaille, il se vouvoie : « Ne vous écartez en rien
de ce plan. Détaillez le départ. adoucissez beaucoup la pre-
mière partie... peignez... récapitulez avec soin... », ete. Ni je ni tu,
le sujet de l'écriture se traite dans la plus grande distance, celle
du code social : cette politesse adressée à soi-même, c’est un peu
comme si le sujet se prenait avec des pincettes, ou en tout cas
s’entourait de guillemets : suprême subversion qui, par opposi-
tion, remet à sa place (conformiste) la pratique systématique du
tutoiement. Ce qui est remarquable, c’est que cette politesse, qui
n’est nullement respect mais distance, Sade la met en œuvre lors-
qu’il se trouve en situation de travail, sous l'instance de l'écriture.
Ecrire, c’est d'abord mettre le sujet (y compris son imaginaire
d'écriture) en citation, rompre toute complicité, tout empoisse-
ment entre celui qui trace et celui qui invente, ou mieux encore,
810
SAS 41 PO KI E KR 11 LL O0 À ©! LE À
Figures de rhétorique
La pratique libidineuse est chez Sade un véritable texte - en
sorte qu’il faut parler à son sujet de pornographie, ce qui veut
dire : non pas le discours que l’on tient sur les conduites amou-
reuses, mais ce tissu de figures érotiques, découpées et combi-
nées comme les figures rhétoriques du discours écrit. On trouve
donc dans les scènes d’amour, des configurations de personnages,
des suites d'actions formellement analogues aux «ornements »
repérés et nommés par la rhétorique classique. Au premier rang,
la métaphore, qui substitue indifféremment un sujet à un autre
selon un même paradigme, celui de la vexation. Ensuite, par
exemple : l’asyndète, succession abrupte de débauches («Je par-
ricidais, j’incestais, j’assassinais, je prostituais, je sodomisais »,
dit Saint-Fond en bousculant les unités du crime comme César
celles de la conquête : veni, vidi, vici) ;lanacoluthe, rupture de
construction par laquelle le styliste défie la grammaire (Le nez
de Cléopâtre, s’il eût été plus court.) et le libertin celle des
conjonctions érotiques («Rien ne m'amuse comme de commen-
CS Sr
SAR
D EAP OL ULR NN EUR 0 LROMPOLTr A
cer dans un cul l'opération que je veux terminer dans un autre »).
Et de même qu’un écrivain audacieux peut créer une figure de
style inouïe, de même Rombeau et Rodin dotent le discours éro-
tique d’une figure nouvelle (sonder tour à tour et rapidement les
postérieurs alignés de quatre filles), à laquelle, en bons gram-
mairiens, ils n’oublient pas de donner un nom (le moulin à vent).
La crudité
Le lexique sexuel de Sade (lorsqu'il est « cru ») accomplit une
prouesse linguistique: celle de se maintenir dans la dénotation
pure (exploit ordinairement réservé aux langages algorithmiques
de la science); le discours sadien semble alors s’édifier sur un
tuf originel que rien ne peut percer, reculer, transformer ; il détient
une vérité lexicographique, les mots (sexuels) de Sade sont aussi
purs que les mots du dictionnaire (le dictionnaire n’est-il pas cet
objet en deçà duquel on ne peut remonter et d’où l’on peut seu-
lement descendre ? Le dictionnaire est comme la imite de la
langue ; se porter à cette limite relève de la même audace qui
entraîne à la dépasser : il y a une analogie de situation entre le
mot cru et le mot nouveau : le néologisme est une obscénité et le
mot sexuel, s’il est direct, est toujours reçu comme s’il n'avait
jamais été lu). Par la crudité du langage s’établit un discours hors-
sens, déjouant toute «interprétation » et même tout symbolisme,
un territoire hors douane, extérieur à l’échange et à la pénalité,
sorte de langue adamique, entêtée à ne pas signifier : c’est, si l’on
veut, la langue sans supplément (utopie majeure de la poésie).
Un supplément vient cependant au discours sadien : lorsqu'il
apparaît que ce langage est destiné, pris dans un certain circuit
de destination, celui qui enchaîne le praticien de la débauche
(libertin ou sujet) à sa parole imaginaire, c’est-à-dire aux justi-
fications (vertu ou crime) qu’il se donne : tendre la main à l’étron
du partenaire est dégoûtant selon le langage de la victime, déli-
cieux selon le langage du libertin; ainsi les «idées locales » (qui
font l’adultère, l’infanticide, la sodomie, l’anthropophagie
condamnés ici et révérés là), dont Sade s’autorise si souvent pour
justifier le crime, sont en fait des opérateurs de langage: cette
partie du langage qui reverse sur l'énoncé, comme le sens même,
la particularité de sa destination : le supplément, c’est l'Autre;
mais comme il n’est ni désir ni discours avant l'Autre et en dehors
de l'Autre, le langage cru de Sade est la part utopique de son dis-
6MIRS
SANDER RNOLULR
© EH Re 0 L. 0; Yh O1 ln À
La moire
Impossibilia
Dans le jeu scolastique de la disputatio, il était parfois demandé
au répondant (au candidat) de défendre des impossibilia, des thèses
apparemment impossibles. De la même façon, en imaginant les
SO
SUURDUE
MAT ONULR I EN R MEIONTR OI
8 2 10
SAT
Eù E 20 07 © OÙ RTER 0 D O0 % O! b À
Le mouchoir
La famille
Transgresser l’interdit familial consiste à altérer la netteté ter-
minologique du découpage parental, à faire qu’un seul signifié
(tel individu, une fille prénommée Olympe, par exemple) reçoive
en même temps plusieurs de ces noms, de ces signifiants que
Pinstitution, ailleurs, maintient soigneusement distincts, asepti-
quement préservés de toute confusion : « Olympe... réunit, dit le
moine incestueux de Sainte-Marie-des-Bois, le triple honneur
d’être à la fois ma fille, ma petite-fille et ma nièce.» Autrement
dit, le crime consiste à transgresser la règle sémantique, à créer
de l’homonymie : l’acte contre-nature s’épuise dans une parole
contre-langage, la famille n’est rien de plus qu’un champ lexical,
mais cette réduction n’est nullement indifférente : elle assure son
plein scandale à la plus forte des transgressions, celle du langage ;
transgresser, c’est nommer hors de la division du lexique (fonde-
ment de la société, au même titre que la division des classes).
La Famille se définit à deux niveaux : son «contenu» (liens
affectifs, sociaux, reconnaissance, respect, etc.), dont le libertin
se moque, et sa « forme », le réseau des liens nominatifs, et par
là même combinatoires, dont le libertin se joue, qu’il reconnaît
pour mieux les truquer et sur quoi il fait porter des opérations
syntaxiques; C’est à ce second niveau que pour Sade s’accomplit
la transgression originale, celle qui suscite l’enivrement d’une
invention continue, la jubilation de surprises incessantes : «II
raconte qu’il a connu un homme qui a foutu trois enfants qu’il
avait de sa mère, desquels il y avait une fille qu’il avait fait épou-
ser à son fils, de façon qu’en foutant celle-là, il foutait sa sœur,
sa fille et sa belle-fille et qu’il contraignait son fils à foutre sa
CO |
SMAMDNE
ME MONOMRNTISE MR OIL IOYN ONE
Les miroirs
L’Occident a fait du miroir, dont il ne parle jamais qu’au sin-
gulier, le symbole même du narcissisme (du Moi, de l'Unité
réfractée, du Corps rassemblé). Les miroirs (au pluriel), c’est un
tout autre thème, soit que deux miroirs se disposent l’un en face
de l’autre (image Zen) de façon à ne jamais refléter que le vide,
soit que la multiplicité des miroirs juxtaposés entoure le sujet
d’une image circulaire dont par là même le va-et-vient est aboli.
C’est le cas des miroirs sadiens. Le libertin aime à conduire son
orgie au milieu des reflets, dans des niches revêtues de glaces
ou dans des groupes chargés de multiplier une même image:
«On encule l'Italien; quatre femmes nues l’entourent de tous
côtés; l’image qu’il adore se reproduit en mille différentes
manières sous ses yeux libertins; il décharge »; cette dernière
disposition a le double avantage d'identifier les sujets à des
meubles (thème sadien : chez Minski, les tables, les fauteuils sont
des filles) et de répéter l’objet partiel, couvrant, inondant ainsi
le libertin d’une orgie lumineuse et liquide. Il se crée alors une
surface de crime : l’espace ménager est nappé de débauche.
Lafrappe
Le langage de la débauche est souvent frappé. C’est un langage
césarien, cornélien : «Mon ami, dis-je au jeune homme, vous
voyez tout ce que j'ai fait pour vous; il est bien temps de m’en
récompenser. — Qu’exigez-vous ? — Votre cul. - Mon cul? - Vous
ne posséderez pas Euphrémie que je n’aie obtenu ma demande. »
On croit entendre le vieil Horace : «Que vouliez-vous qu’il fît
contre trois ? - Qu'il mourût. » Ainsi, à travers Sade et grâce à lui,
apparaît la Rhétorique : une machine de désir : il existe des fan-
tasmes de langage : la concision, le resserrement, la détonation,
8 2
SAVE JF ON ÉRRUIUER,
R° M MO" NOTE À
kRapsodie
Peu étudiée des grammairiens du récit (tel Propp), il existe
une structure rapsodique de la narration, propre notamment au
roman picaresque (et peut-être au roman proustien). Raconter,
ici, ne consiste pas à faire müûrir une histoire puis à la dénouer,
selon un modèle implicitement organique (naître, vivre, mou-
rir), c’est-à-dire à soumettre la suite des épisodes à un ordre
-“naturel (ou logique), qui devient le sens même imposé par le
« Destin » à toute vie, à tout voyage, mais à juxtaposer purement
etsimplement des morceaux itératifs et mobiles : le continu r’est
alors qu’une suite d’apiècements, un tissu baroque de haïillons.
La rapsodie sadienne enfile ainsi sans ordre : des voyages, des
vols, des meurtres, des dissertations philosophiques, des scènes
libidineuses, des fuites, des narrations secondes, des pro-
grammes d’orgies, des descriptions de machines, etc. Cette
construction déjoue la structure paradigmatique du récit (selon
laquelle chaque épisode a son «répondant » quelque part plus
loin, qui le compense ou le répare) et par là même, esquivant
la lecture structuraliste de la narration, constitue un scandale
du sens : le roman rapsodique (sadien) n’a pas de sens, rien ne
l’oblige à progresser, müûrir, se terminer.
Le mobilier de la débauche
L’orgie se passe dans le plus beau salon, préparé dès le matin
par les vieilles :
Le parquet est un vaste matelas piqué à 6 pouces d’épaisseur :
conjonction tendancielle du lit et du plancher; civilisations où
lon marche déchaussé dans la chambre, non pour éviter de
« salir »— scrupule petit-bourgeois qui oblige dans certains appar-
tements les visiteurs à se munir de patins assez ridicules — mais
pour accomplir l'intimité totale, celle du corps et de la surface
mobilière, et lever ainsi à avance la censure imposée par la sta-
ture verticale, légale, morale, séparatrice ; être debout est réputé
CR
SLANDIE OMEMONURR ESR MTTONMONTERA
viril; un être chaussé est un être qui ne peut tomber (ou qui ne
peut que tomber) ;rester chaussé dans un lieu, c’est dire que le
désir y est forclos (au Japon, certains Français répugnent à se
déchausser, soit par peur de perdre leur virilité, soit par gêne
d’avoir sous le soulier une chaussette trouée). Sur ce matelas,
on a jeté deux ou trois douzaines de carreaux (coussins carrés) :
c’est aujourd’hui l’usage de quelques « boîtes », dans lesquelles,
sur ce point du moins, le sens de l’art de vivre n’a pas été com-
plètement oblitéré par la vulgarité et la moralité.
Au fond est disposée une large ottomane entourée de glaces :
les miroirs inondent d'images : de plus, dans l’ancienne écono-
mie, où le miroir coûtait un nombre élevé de journées de tra-
vail, il est le signe du plus haut luxe, le produit presque emblé-
matique de l’exploitation (comme aujourd'hui, un yacht, un
avion personnel).
Des tables roulantes d’ébène et de porphyre, répandues çà et
là, supportent tous les accessoires du libertinage (verges,
condoms, godemichés, pommades, essences, etc.); la séance de
débauche a tout le protocole d’une opération chirurgicale; le
débauché, où qu’il soit dans la pièce, doit avoir à portée de main
les instruments de la volupté; il roule avec lui son petit attirail,
telle une manucure ou une infirmière (ce simple détail de lec-
ture fait la débauche terrible).
Un buffet énorme, en face de l’ottomane, offre à profusion tout
le jour des mets que l’on peut tenir chauds « sans qu’on s’en aper-
çoive »; en somme la salle de débauche est un salon mondain;
comme à n'importe quelle réception bourgeoise, il y a au fond
un buffet permanent (la différence, c’est que ce buffet sert, non
pas à se désennuyer de la conversation du voisin, mais à répa-
rer les pertes de sperme et de sang) : ce buffet au fond, c’est tout
le cocktail.
Il y a une immensité de roses, d’œillets, de lilas, de jasmins, de
muguets ; cependant la débauche finira dans un océan d’excré-
ments et de vomissures; les fleurs sont inaugurales ; elles jalon-
nent le départ d’une dégradation qui fait partie du projet libertin.
En face du buffet, «artistement placé dans une nue », on voit
une effigie du prétendu Dieu : tableau mécanique dans le goût des
automates de l’époque, puisque plus tard, au gré d’un jeu qui met
la débauche en loterie, sortiront de la bouche de l'Eternel des rou-
leaux de satin blanc où est inscrit, dans le style du Décalogue, le
commandement de certaines postures : dans ce raout, on joue aussi
aux petits papiers.
SAIDIE 00 0. DUR TER 0 1.0. M OI À
La marque
Au château de Silling, les sujets sont marqués (à l’aide de cou-
leurs différentes). L’enjeu de cette marque est le dépucelage de
chaque victime, qui est réservé à l’un ou à l’autre des quatre Mes-
sieurs (plus loin, c’est la vie même : les futurs survivants de la tue-
rie sont marqués d’un ruban vert) ; et comme deux lieux du corps
féminin peuvent être déflorés, le devant et le derrière, la marque
.-est double, d’appropriation (à tel libertin) et de localisation:
duc
de Blangis | rose vert
lEvêque 0 violet
Durcet 0 lilas
Le casque
Le cri est la marque de la victime : c’est parce qu’elle choisit
de crier, qu’elle se constitue victime ; si, sous la même vexation,
elle en venait à jouir, elle cesserait d’être victime, se transfor-
merait en libertin: crier/décharger, ce paradigme est le départ
du choix, c’est-à-dire du sens sadien. La meilleure preuve en est
que si une phrase commence par le récit d’une vexation, il est
impossible de savoir qui la prononce, parce qu’il est impossible
de prévoir si elle se terminera en cris ou en jouissance : la phrase
est libre, jusqu’au dernier moment : « Verneuil lui pinça alors les
fesses d’une si cruelle force. » (on attend quelque chose comme :
«que la victime ne put retenir ses cris »; mais ce que l’on obtient
de la machine syntaxique, de la phrase-posture, c’est tout le
contraire :).. «que la putain déchargea à l’instant. » (De même,
inversement : « Mon enfant, dit le marquis, qu’une nuit passée
avec Justine... avait étonnamment irrité contre cette fille. »)
Cependant, le cri, qui fonde la victime, n’en est aussi, contra-
dictoirement, que l’attribut, l'accessoire, le supplément amou-
reux, une emphase. D’où le prix d’une machine qui isole le cri
et le livre au libertin comme une partie délicieuse du corps vic-
timal, c’est-à-dire comme un fétiche sonore : c’est le casque à
tuyau dont on affuble le crâne de Mme de Verneuil; il est « orga-
nisé de manière que les cris que lui faisaient jeter les douleurs
dont on l’accablait ressemblaient aux mugissements d’un bœuf ».
Ce bonnet singulier a un triple avantage : la victime étant enfer-
mée avec son suppliciant dans un cabinet solitaire, le casque
transmet sa douleur aux autres libertins, comme par radio, sans
qu’ils voient la scène : ils peuvent, plaisir suprême, l’imaginer,
c’est-à-dire la fantasmer ; de plus, sans rien lui ôter de son pou-
voir signalétique, le casque dénature le cri, le frappe d’une étran-
geté animale, transformant «la femme pâle, mélancolique et dis-
tinguée » en masse bovine ; enfin, le tuyau, vagin ou colon, injecte
dans le libertin un bâton sonore, un étron musical (létron est
très précisément l’excrément rendu à l’état de phallus): le cri
est un fétiche.
SVALELES 12 JR OL OR R9 TE HR}. 0 D 10; YO!
IX À
La confession
La confession, cérémonie religieuse que Sade aime beaucoup
mettre dans ses orgies, n’a pas pour seule fonction de parodier
ignominieusement le sacrement de la pénitence ou d'illustrer la
situation sadique du sujet qui se confie à son bourreau; elle intro-
duit dans la « scène » (épisode érotique, combatif et théâtral) une
duplicité de sens mais aussi d'espace. Comme dans le spectacle
médiéval, deux lieux sont donnés à lire en même temps, soit que
le libertin entende et voie simultanément ce qui est séparé par la
théologie, à savoir l’Ame et la Chair («Il veut que sa fille aille à
confesse à un moine qu’il a gagné... ainsi il entend la confession
de sa fille et il voit son cul tout à la fois»), soit que le lecteur,
placé devant le confessionnal comme devant une scène divisée,
En ONT
SLAPDIE MELORULR
DE RP TR OR YR GTR A
La dissertation, la scène
Celui qui feuillette les livres de Sade sait bien que deux
grandes formes typographiques y alternent : des pages serrées,
suivies : c’est la grande dissertation philosophique ; des pages cou-
pées de blancs, d’alinéas, de point de suspension, d'exclamation,
langage tendu, troué, vacillé : c’est l’orgie, la scène libidineuse
ou criminelle. Quoi qu’en fasse la pratique de lecture (plus ou
moins paresseuse), ces deux blocs sont à égalité : la dissertation
est un objet érotique.
Ce n’est pas seulement la parole qui est érogène, ce n’est même
pas ce qu’elle représente (la dissertation, par définition, ne peint
rien du tout, mais le libertin, infiniment plus sensible que le lec-
teur sadien, s’y excite au lieu de s’y ennuyer), ce sont les formes
les plus subtiles, les plus cultivées du discours : le raisonnement
(« Quoi ! dit Nicette, tu ne veux pas que je perde mon foutre, quand
mon père raisonne si bien ?»), le système («Vous bandez, mon-
seigneur ?.… — Cela est vrai. ces systèmes m’échauffent l’imagi-
nation »), la maxime («Cœur de Fer s’échauffait en exposant ces
sages maximes »). Juliette met donc naturellement la disserta-
tion au rang des plaisirs exorbitants qu’elle exige du pape Bra-
schi en échange de l’ardeur qu’elle lui promet; elle la cite pêle-
mêle avec le vol, la messe noire, l’orgie somptueuse.
La dissertation « séduit », « anime », « égare », « électrise », «en-
flamme »; sans doute, dans la suite des orgies, elle a la fonction
d’un repos, mais ce repos n’est pas seulement de plate récupé-
ration: c’est une énergie érotique qui s’élabore au cours de la
dissertation. Le corps libertin, dont fait partie le langage, est un
appareil homéostatique qui s’entretient lui-même : la scène
oblige à une justification, à un discours ; ce discours enflamme,
érotise; le libertin «n’y tient plus»; une nouvelle scène s’en-
clenche, et ainsi de suite, à l'infini.
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L'espace du langage
Au château de Silling, le haut lieu est le théâtre de débauche où
l’on se rassemble chaque jour de cinq heures à dix heures du soir.
Dans ce théâtre, tout le monde est acteur et spectateur. L'espace y
est donc à la fois celui d’une mimesis, ici purement auditive, confiée
au récit de l’Historienne, et d’une praæis (conjonction recherchée
généralement sans succès par maint théâtre d’avant-garde).
Ce qui est exhaussé sur un trône, c’est la Parole, organe pres-
tigieux de la mimesis. Les Messieurs, chacun sur son ottomane,
dans sa niche, ayant à ses pieds son quatrain de sujets qui fait
corps avec lui (c’est le cas de le dire), ne sont d’abord que des
Auditeurs. Sur une banquette, les trois historiennes qui ne sont
pas de service forment la réserve de Parole, tout comme sur les
gradins du proscenium les sujets qui ne sont pas retenus dans
les quatrains appropriés forment la réserve de Luxure. Entre la
Mimesis et la Praxis (dont les lieux seront les ottomanes et les
cabinets d’entresol), il s'étend ainsi un espace intermédiaire, qui
est celui de la virtualité : le discours traverse cet espace, et dans
cette traversée se transforme peu à peu en pratiques: l’histoire
racontée devient le programme d’une action qui a pour théâtre
subsidiaire l’ottomane, la niche, le cabinet.
L’espace total est - diagrammatiquement — celui du langage.
Autour du Trône, issus de la Parole fondatrice, celle de l’'Historienne,
la Langue, le Code, la Compétence, les unités de la combinatoire,
les éléments du Système. Du côté des Messieurs, la Parole mon-
nayée, la Performance, le Syntagme, la Phrase dite. Ainsi le théâtre
sadien (et justement parce que c’est un théâtre) n’est pas ce lieu
courant où l’on passe platement de la parole au fait (selon le des-
sin empirique de l'application), mais la scène du premier texte, celui
de lP’Historienne (venu lui-même de combien de codes antérieurs),
traverse un espace de transformation et engendre un second texte,
dont les premiers auditeurs deviennent les seconds énonciateurs :
mouvement sans arrêt (ne sommes-nous pas à notre tour les lec-
teurs de ces deux textes ?) qui est le propre de l'écriture.
L'ironie
86.0
SJ APDPH/0 ON U'R"I ERP. EDP
OP TMrA
Le voyage
On ne dit jamais que Sade est un romancier picaresque (lun
des rares de notre littérature). La raison apparente de cet « oubli »
est que l’aventurier sadien (Juliette, Justine) ne traverse jamais
qu’une seule et même aventure et que cette aventure est crue.
Cependant, la plus grossière des censures (celle des mœurs)
masque toujours un profit idéologique : si le roman sadien est
exclu de notre littérature, c’est que la pérégrination romanesque
n’y est jamais quête de l’Unique (l'essence de temps, de vérité,
de bonheur) mais répétition du plaisir; l’errance sadienne est
malséante, non parce qu’elle est luxurieuse et criminelle, mais
SAT
ANDRE M PONUNRAUNEN
RE ME AOM MORIN
Sade précurseur
La débauche est imaginative; sous son impulsion Sade a
inventé : la radiodiffusion (le casque à cris permet aux libertins
de vivre sans les voir les supplices qui s’accomplissent dans la
chambre d'à côté : la simple information sonore les fait jouir,
comme elle permet à l’auditeur moderne de dramatiser) et le
cinéma (chez Cardoville, aux environs de Lyon, Dolmus imagine
8507
SPORE FAOME RATE ER 0 Lr'O SUOMI
Poëétique du libertin
Qu'est-ce qu’un paradigme? une opposition de termes qui ne
peuvent être actualisés en même temps. Le paradigme est très
moral : chaque chose en son temps, ne confondons pas, etc., et
c’est ainsi que le sens, dispensateur de loi, de clarté, de sécurité,
sera fondé. Chez Sade, la victime désire la loi, veut le sens, res-
pecte le paradigme; le libertin, au contraire, s’emploie à les
étendre, c’est-à-dire à les détruire ; puisque la langue propose une
séparation des fautes (inceste/parricide), le libertin fera tout pour
en réunir les termes (être à la fois incestueux et parricide, et sur-
tout forcer l’autre à commettre les deux fautes), la victime fera
tout pour résister à ce brouillage et maintenir l’incommunication
des morphèmes du crime (Cloris, victime de Saint-Fond qui le
fait chanter, «est incestueux pour ne pas devenir parricide »).
Les machines
De vraies machines, voluptueuses ou criminelles, Sade en
invente souvent. Il y a des appareils à faire souffrir :machine à
fustiger (elle dilate les chairs pour faire apparaître très vite le
sang), machine à violer (chez Minski), machine à engrosser
(c’est-à-dire à préparer l’infanticide), machine à faire rire (pro-
duisant «une douleur si violente qu’il en résultait un rire sardo-
nique, extrêmement curieux à examiner »). Il y a des machines
à faire jouir; la plus étudiée est celle du prince de Francaville,
le plus riche seigneur de Naples : celle qui s’y loge reçoit un gode-
miché doux et flexible qui, müû par un ressort, la soumet à un
limage perpétuel; tous les quarts d’heure, sont lancés «dans le
vagin des flots d’une liqueur chaude et gluante, dont l’odeur et
8 5 5
S: AADLE PLOMUNURAINE Re l. 0, MOMIR À
Les couleurs
Les couleurs du vêtement sont des signes. D’un côté les classes
d'âge et de fonctions (gitons, jockeys, agents, fouteurs, pucelles,
filles de bon ton, duègnes, etc.), de l’autre des couleurs. Le rap-
port des deux corrélats est communément arbitraire (immotivé).
Il se produit pourtant, comme dans la langue, une certaine ana-
logie, un rapport proportionnel, une relation diagrammatique:
8, 53,4
SAP EURO CRU ER. I O, M OLA
SN 355
SV AL DREN UF OÙ R 1 BU, LL OR ONLEX
Le langage et le crime
Imaginons (s’il est possible) une société sans langage. Voici
qu’un homme y copule avec une femme, a tergo et en mêlant à
son action un peu de pâte de blé. À ce niveau il n’y a aucune
perversion. C’est seulement par l’adjonction progressive de
quelques noms que le crime va prendre peu à peu, augmenter
de volume, de consistance et atteindre la plus forte transgres-
sion. L'homme est nommé le père de la femme qu’il possède,
dont il est dit qu’elle est mariée ;la pratique amoureuse est igno-
minieusement classée, c’est la sodomie ; et le peu de pain asso-
cié bizarrement à cette action devient, sous le nom d’hostie, un
symbole religieux, dont le déni est sacrilège. Sade excelle à
ramasser cette montée du langage : la phrase a pour lui cette
fonction même de fonder le crime : la syntaxe, affinée par des
siècles de culture, devient un art élégant (au sens où l’on dit, en
mathématiques, d’une solution qu’elle est élégante); elle ras-
SOI
SPARDREN MENONUMRNIMENRE ET OMROMLAEE
L’homonymie
Dans l’art de vivre sadien, il ne s’agit pas tellement de multi-
plier les plaisirs, de les faire tourner, d’en composer un carrou-
sel enivrant (cette succession rapide définirait la Fête), que de
les superposer (cette simultanéité définirait ce qu’on pourrait
appeler le sybaritisme). Ainsi pour «tuer une femme grosse »:
«il y a deux plaisirs pour un: c’est ce qu’on appelle la vache et
le veau». L’addition des plaisirs fournit un plaisir supplémentaire,
qui est celui-là même de l’addition ; dans l’arithmétique sadienne,
la somme devient à son tour une unité qui s'ajoute à ses com-
posants : «Et ne voyez-vous donc pas que ce que vous osez faire
porte à la fois l'empreinte de deux ou trois crimes...? - Eh! mais
vraiment, madame, c’est précisément ce que vous me dites qui
va me faire le plus délicieusement décharger.» Ce plaisir supé-
rieur, tout formel puisqu'il n’est en somme qu’une idée mathé-
matique, est un plaisir de langage : celui de déplier un acte cri-
minel en noms différents : «Me voilà donc à la fois incestueux,
adultère, sodomite » : c’est l’homonymie qui est voluptueuse.
Strip-tease
Il n’y a pas de strip-tease chez Sade. On dévoile le corps tout
de suite (sauf pour quelques jeunes garçons dont on laisse
«agréablement tomber la culotte au bas des cuisses»). Voici
quelle en est peut-être la raison. Le strip-tease est un récit: il
développe dans le temps les termes (les « classèmes ») d’un code
qui est celui de l’'Enigme : dès le début le dévoilement d’un secret
est promis, puis retardé («suspendu») et finalement à la fois
accompli et esquivé ;comme le récit, le strip-tease est soumis à
un ordre logico-temporel, c’est une contrainte de code qui le
constitue (ne pas dévoiler le sexe en premier). Or chez Sade il
n’y à aucun secret du corps à quérir, mais seulement une pra-
tique à accomplir ; l'invention, l'émotion, la surprise ne naissent
pas d’un secret postulé puis violé, mais des efflorescences d’une
combinatoire qui se cherche à ciel ouvert, à travers un ordre qui
OUAIS
RAIDE, FOOT RME F0 JL. 0} Yt OLIA À
Le pornogramme
.* Ce que produit Sade, ce sont des pornogrammes. Le porno-
gramme n’est pas seulement la trace écrite d’une pratique éroti-
que, ni même le produit d’un découpage de cette pratique, traitée
comme une grammaire de lieux et d'opérations; c’est par une chi-
mie nouvelle du texte, la fusion (comme sous l'effet d’une tem-
pérature ardente) du discours et du corps («Me voilà toute nue,
dit Eugénie à ses professeurs : dissertez sur moi autant que vous
voudrez»), en sorte que, ce point atteint, l'écriture soit ce qui règle
léchange de Logos et d’Eros, et qu’il soit possible de parler de
l’érotique en grammairien et du langage en pornographe.
Le langage d’Augustin
Augustin est ce jeune jardinier, d’une figure délicieuse, d’en-
viron dix-huit ans, que les libertins du Boudoir adjoignent comme
mannequin à leur enseignement et comme sujet à leurs plaisirs.
Sa place sociale est marquée deux fois : d’abord par le style
paysan de ses phrases («Ah ! tatiguai! la belle bouche !.. Comme
ça vous est frais !.. Il me semble avoir le nez sur les roses de not
jardin. Aussi, voyez-vous, monsieur, v'là l’effet que ça pro-
duit !»), style dont la société aristocratique met quelque snobisme
à s'amuser comme d’un exotisme rural (« Ah! charmant! char-
mant!...») ;ensuite et plus sérieusement par l'exclusion de lan-
gage qu’on lui impose : au moment où Dolmancé s’apprête à lire
à ses compagnons le pamphlet Français, encore un effort si vous
voulez être républicains, on fait sortir Augustin : « Sors, Augustin :
ceci n’est pas fait pour toi; mais ne t’éloigne pas; nous sonne-
SSI
SANDIEN MEN ONUER RE ONMONE À
rons dès qu’il faudra que tu reparaisses. » Cela veut dire que : 1°
la morale est renversée : là où l’on fait d'ordinaire sortir l’enfant
pour qu’il n’entende pas les obscénités de l’adulte, Sade fait sor-
tir le sujet de débauche pour qu’il n’entende pas le discours
sérieux du libertin : sorte de carré noir mis sur l’écran du texte;
2° le discours qui fonde une morale républicaine est paradoxa-
lement un acte de sécession linguistique ; le langage populaire,
d’abord frotté plaisamment au langage aristocratique, est ensuite
simplement exclu de la Dissertation, c’est-à-dire de l’échange
(entre Logos et Eros); la scène libidineuse est un mélange sans
frein des corps mais non des langages : l’érotisme panique s’ar-
rête à la division des sociolectes ;Augustin représente cette der-
nière limite d’une façon exemplaire, dans la mesure où ce n’est
pas une victime (aucun mal ne lui sera fait) : il est le populaire
pur, qui donne la fraîcheur de son corps et de son langage: il
n’est en rien humilié, mais seulement exclu.
Complaisance de la phrase
Ce qui étonnait le plus le Moyen Age dans la virginité de la
mère de Dieu, c’était la subversion de la grammaire : que le Créa-
teur se fit créature, qu’une vierge conçût, se ramenait en somme
(mais n’était-ce pas le dernier approfondissement de la question ?)
à une inversion des voix (le passif devenant l’actif), à un boule-
versement des classes sémantiques : c'était l'alliance de mots qui
stupéfiait, l’arrêt de toute règle grammaticale (in hac verbi copula
stupet omnis regula). Sade sait lui aussi que la perfection d’une
posture perverse est indissociable du modèle phrastique qui sert
à l’énoncer. La symétrie rhétorique, le raccourci élégant, le
balancement exact, la solidarité de l’actif et du passif, en un mot
tout l’art du discours figure diagrammatiquement l’art même de
la volupté : «Elle reçoit des doigts de cette jolie fille les mêmes
services que sa langue me rend »: le paradigme, étendu par la
plus élégante des figures, le chiasme (recevoir.../...rendre), devient
la condition du plaisir, qui ne peut exister sans cette complai-
sance totale de la phrase, sans cette intelligence, à la fois men-
tale et complice, de la syntaxe.
8 4 0
SA) OR IQ EMR MI ER 0 AL OM ON A
Mettre de l’ordre
«Attendu qu’il est tout à fait préférable pour le plaisir que les
choses se passent d’une manière ordonnée. » Ce n’est pas Sade
qui parle ainsi; c’est Brahms (dans un avertissement aux dames
du Chœur de Hambourg) ; mais ce pourrait être Sade (« Amis,
dit ce moine, mettons de l’ordre à ces procédés »; ou encore:
«Un moment, dit-elle tout en feu ;un instant, mes bonnes amies,
mettons un peu d’ordre à nos plaisirs, on n’en jouit qu’en les
fixant », etc.).
L’ordre est nécessaire à la luxure, Hesbasire à la transgres-
sion ; l’ordre est précisément ce qui sépare la transgression de
la contestation. Cela vient de ce que la luxure est un espace
d'échange : une pratique contre un plaisir; les « débordements »
doivent être rentables; il faut donc les soumettre à une écono-
mie et cette économie doit être planifiée. Toutefois le planifi-
cateur sadien n’est ni un tyran, ni un propriétaire, ni un tech-
nocrate : il n’a aucun droit permanent sur le corps de ses
partenaires, il n’a aucune compétence particulière; c’est un
maître de cérémonie très passager et qui ne manque pas de
rejoindre au plus vite la scène qu’il vient de programmer: il
n’en reçoit aucune volupté supérieure à celle de ses complices;
du plaisir qu’il vient d’organiser par sa parole, il ne retient pour
lui rien de plus; il lance la marchandise-plaisir, mais celle-ci
circule sans jamais s’appesantir d’une plus-value (jouissance ou
prestige) ; sa fonction est assez analogue (d’où la rencontre avec
l’innocent Brahms) à celle d’un chef d'orchestre qui dirige ses
compagnons à partir de son pupitre de violon (en jouant lui-
même), sans en recevoir aucune consécration. Celui qui règle
le plaisir est d'ordinaire un sujet humain ; mais les libertins peu-
vent très bien décider qu’en telle occasion ce sera le hasard: le
jeu des postures se décide par une loterie qui attache tel numéro
à telle partie du corps de la victime et chacun tire le numéro de
son plaisir : le hasard apparaît alors comme un ordre désaliéné ;
la structure des plaisirs, nécessaire à leur marche, ne peut plus
être suspectée de devoir rien à aucune Loi, à aucun sujet : toute
rhétorique, et en somme toute politique, sont abolies sans que
le groupe cesse de recevoir son plaisir de cette marche dont
l’origine, se renversant, s’est perdue dans le jeu même qu’elle
a produit.
SAARDREN PF OMR ER NTRIOMYMONTIENES
L’échange
Nous pensons bien que le Récit (comme pratique anthropolo-
gique) est fondé sur quelque échange : un récit se donne, se
recoit, se structure pour (ou contre) quelque chose, dont il est
en quelque sorte le pesant. Mais quoi ? Certes, nous voyons bien
que dans le Sarrasine de Balzac le récit s’échange contre une
nuit d'amour et que dans Les Mille et une nuits chaque nouvelle
histoire vaut à Schéhérazade un jour de survie ;mais c’est parce
qu’alors l'échange est représenté dans le récit lui-même : le récit
raconte le contrat dont il est l'enjeu. C’est ce qui se passe à deux
reprises chez Sade. Tout d’abord il est constant dans son œuvre
que l’auteur, les personnages et les lecteurs échangent une dis-
sertation contre une scène : la philosophie est le prix (c’est-à-
dire le sens) de la luxure (ou réciproquement). Et puis, dans les
120 Journées, le récit équivaut (comme dans Les Mille et Une Nuits)
à la vie même : la première Historienne, dont la fonction, insti-
tuée par les libertins, est précisément d'élever l'Histoire (le
Récit) comme un objet consacré au-dessus de l'assemblée (elle
parle à partir d’un trône), de l’exposer comme une marchandise
luxueuse, d’un prix énorme (n’a-t-on pas organisé ce voyage
insensé à Silling, si semblable dans sa structure aux voyages d’ini-
tiation du conte populaire, pour y recueillir l’'Herbe de Vie, l'Or
de la Sur-puissance, le talisman, le Trésor de Parole ?), la Duclos,
donc, en échange du grand Récit coprophagique (articulé en
150 anecdotes) qu’elle délivre somptueusement («en déshabillé
très léger et très élégant, beaucoup de rouge et des diamants »)
obtient des Messieurs la promesse « qu’à quelqu’extrémité qu’on
pût se porter contre les femmes dans le cours du voyage, elle
serait toujours ménagée, et très certainement ramenée chez elle
à Paris». Ce contrat solennel, rien ne dit d’ailleurs qu’il sera
honoré : que peut valoir la promesse d’un libertin, sinon la
volupté même de trahir? Ainsi l'échange fuit : le contrat qui fonde
le Récit n’est si fortement posé que pour être plus sûrement
défait : l'avenir du signe est la trahison dans laquelle on va le
prendre. Encore cette défection n'est-elle possible et désirable
que parce qu’on a feint d’instituer solennellement l'échange, le
signe, le sens.
oo EN to
n > (æ 4 OUR ER 0 di O M ON ls À
La dictée
Comment inventer le plaisir? Voici la technique que Juliette
recommande à la belle comtesse de Donis :
CCE
SMARDNE MN ONTNR INMENR ME NOMROBIENX
La chaîne
La relation sadienne (entre deux libertins) n’est pas de réci-
procité, mais de revanche (Lacan) : la revanche est un simple
tour, un mouvement combinatoire : «Maintenant victime d’un
moment, mon bel ange, et tout à l'heure persécutrice.. » Ce glis-
sement (de la reconnaissance à la simple disponibilité) garantit
Pimmoralité des rapports humains (les libertins sont complai-
8 4 4
SAARDER M SFEOMMREICEUR...0 ALTOMYMOL TA
sants mais aussi ils s’entretuent) : le lien n’est pas duel, mais plu-
riel ;non seulement les amitiés, s’il s’en produit, sont révocables,
elles circulent (Juliette, Olympe, Clairwil, la Durand), mais sur-
tout toute conjonction érotique tend à s’échapper de la formule
monogamique : au couple se substitue, dès qu’il est possible, la
chaine (que les religieuses de Bologne pratiquent sous le nom
de chapelet). Le sens de la chaîne est de poser l'infini du langage
érotique (la phrase elle-même n’est-elle pas une chaîne ?), de
casser le miroir de l’énonciation, de faire en sorte que le plaisir
ne revienne pas là d’où il est parti, de gaspiller l'échange en dis-
sociant les partenaires, de ne pas rendre à qui vous donne, de
donner à qui ne vous rendra pas, de déporter la cause, l’origine
ailleurs, de faire terminer par l’un le geste commencé par l’autre :
toute chaîne étant ouverte, la saturation n’y est que provisoire :
il ne s’y produit rien d’interne, rien d’intérieur.
La grammaire
Si je dis qu’il y a une grammaire érotique de Sade (une porno-
grammaire) — avec ses érotèmes et ses règles de combinaison
— cela ne signifie pas que j’ai quelque droit sur le texte sadien à
la façon d’un grammairien (au fait, qui dénoncera l'imaginaire
de nos linguistes ?). Je veux dire seulement qu’au rituel de Sade
(structuré par Sade lui-même sous le nom de scène) doit répondre
(mais non correspondre) un autre rituel de plaisir, qui est le tra-
vail de lecture, la lecture au travail: il y a travail, dès lors que
le rapport des deux textes n’est pas de simple compte rendu; la
vérité ne guide pas ma main, mais le jeu, la vérité du jeu. Il n’y
a pas de méta-langage, a-t-on dit : ou plutôt : il n’y a que des méta-
langages : langage sur langage, comme un feuilleté sans noyau,
ou mieux encore, parce qu'aucun langage n’a barre sur l’autre,
comme au jeu de la main chaude.
Le silence
A part les cris des victimes, à part les blasphèmes, qui les uns
et les autres font partie de l’efficace du rituel, un profond silence
est imposé à toute scène de luxure. Dans le grand raout orga-
nisé par la Société des Amis du Crime, «on eût entendu le vol
d’une mouche ». Ce silence est celui de la machine luxurieuse,
ANDRE MOREL OUTRRNINEN RE MAIN ORYMOMTEMA
Le bas de la page
Saint-Florent, l’un des persécuteurs de Justine, est par là
même, de droit, un libertin adorable, conforme aux descrip-
tions exaltées que Sade fait des héros du Mal. Cependant, en
nous confiant dans une note que Saint-Florent a réellement
existé à Lyon, Sade, très indigné, ajoute que ce fut un monstre
exécrable. De même la liste des crimes, des débauches, des
ignominies des papes sert à discréditer la religion, mais cette
même liste, lue, si l’on peut dire, dans son endroit, est celle
des grands libertins que Sade doit admirer. C’est que les deux
instances, celle du «réel» et celle du discours, ne se rejoi-
gnent jamais : aucune dialectique ne les lie, ne les pourvoit
d’un sens commun, articulé, et c’est pour cela que dans le cas
de Saint-Florent, le «réel» est énoncé à un autre niveau de la
page, dans une note qui en constitue le déchet (dans le cas
des papes, la liste se détache typographiquement de l’histoire
comme un supplément incongru, un appendice). Le Texte est
cette coupure même ; le Texte n’est pas irréaliste, il n’oublie
pas pudiquement le référent qui pourrait gêner son mensonge ;
il coupe mais ne retranche pas; il s’accomplit dans un défi
logique, une contradiction chaude.
Le rituel
La Loi, non. Le protocole, oui. Le plus libertaire des écrivains
veut la Cérémonie, la Fête, le Rite, le Discours. Dans la scène
sadienne, il y a quelqu'un qui «commande les décharges, pres-
8 4 6
S ALDIF ; F OUR IHAR, EUONP OM A
Noms propres
Robustesse française des noms de roture : Foucolet (président
masochiste de la Chambre des Comptes), Gareau, Ribert, Ver-
nol, Maugin (mendiants), Latour (valet), Marianne Lavergne,
Mariette Borelly, Mariannette Laugier, Rose Coste, Jeanne Nicou
(prostituées de Marseille).
Rectitude des surnoms : Brise-cul (il a le vit tors), Bande-au-
Ciel, Clairwil (le clair vouloir de la plus intraitable des libertines
s’énonce à travers la plus aiguë des voyelles; son nom est de
même signifiance que son régime alimentaire : blancs de volaille,
eau glacée au citron et à la fleur d’oranger).
Beauté des noms naturels : généalogie de Sade : Bertrande de
Bagnols, Emessende de Salves, Rostain de Morières, Bernard
d’Ancezune, Verdaine de Trentelivres, Barthélemy d’Oppède,
Sibille de Jarente, Diane de Simiane ; Hugues, Raimonde, Augière,
Guillaumette, Audrivet, Aigline. - Soldats du fort de Miolans, où
fut emprisonné Sade : La Violence, L’Allégresse.
Attention extrême, amoureuse, délicate et droite au signifiant
souverain : le nom propre. Sade écrit dans ses notes : « Ziza, joli
nom à employer», « Alaïre, joli nom à placer », «Maseline, joli
nom d'homme à prendre ».
Le vol, la prostitution
Voler le riche, obliger le pauvre à se prostituer sont des opéra-
tions raisonnables, empiriques, banales ; elles ne peuvent en rien
constituer des transgressions. La transgression s’institue dans le
renversement des délits ;le crime ne commence qu’à la forme et
SANT
SAN DN MM IONTUNR
UE ER M EN OM ON" A
le paradoxe est la plus pure des formes : il faut donc voler le pauvre
et prostituer le riche ; Verneuil ne consent à sodomiser Dorothée
d’Esterval qu’à condition qu’elle exige de lui beaucoup d'argent:
«Vous êtes riche, dit-on, madame ? Eh bien, en ce cas, il faut que
je vous paie : si vous étiez pauvre, je vous volerais. »
Couture
Parmi tous les supplices imaginés par Sade (liste monotone,
peu terrifiante, tant elle relève le plus souvent de la boucherie,
c’est-à-dire de l’abstraction), un seul est troublant: celui qui
consiste à coudre le vagin ou l’anus de la victime (dans le Bou-
doir', dans l’orgie chez Cardoville et dans les 120 Journées). Pour-
quoi ? Parce qu’à première vue la couture déjoue la castration:
comment coudre (qui est toujours : recoudre, fabriquer, réparer)
peut-il équivaloir : mutiler, amputer, couper, créer une place vide ?
En fait, l’inversion même des sexes, ou plutôt des locaux,
réglant toute l’économie sadienne, cette inversion entraîne un
renversement de la castration: là où cela est, il faut enlever
cela; mais là où cela n’est pas, pour châtier la jouissance qui
reste triomphalement attachée à ce manque, il ne reste plus
qu’à le punir d’être vide, qu’à dénier ce vide, non en l’emplis-
sant, mais en le clôturant, en le couturant. La couture est une
castration seconde imposée à l’absence de pénis : la plus mali-
cieuse des castrations en vérité, puisqu'elle fait rétrograder le
corps dans les limbes du hors-sexe. Coudre, c’est finalement
refaire un monde sans couture, renvoyer le corps divinement
morcelé — dont le morcellement est la source de tout le plai-
sir sadien — dans l’abjection du corps lisse, du corps total.
Lejil rouge
La voie sûre de l'horreur, c’est la métonymie : l'instrument est
plus terrible que la torture (d’où l'importance, dans le mobilier
sadien, de ces tables basses où attendent les accessoires du sup-
plice). Pour coudre la victime, on usera d’une « grande aiguille
où tient un gros fil rouge ciré ». Plus la synecdoque s’étend, plus
l'instrument se détaille en ses éléments ténus (la couleur, la cire),
plus Phorreur croît et s’imprime (si l’on nous avait raconté le
grain du fil, cela serait devenu intolérable); elle s’approfondit
848
DA ER ON UMA
ER RUNQU CL OV
ON TN À
Le désir de tête
Chez Sade, les mâles (fouteurs, drauques, laquais, hercules)
ont un emploi tout à fait subalterne : ni victimes ni libertins, ils
n’accèdent pas au langage (on en parle très peu, tout juste par
obligation de classement) et à peine au corps (par le nombre des
coups dont ils sont capables et par les pintes de sperme qu’ils
emplissent) : aucune mythologie de la virilité. Ce qui fait la valeur
du sexe, c’est l’esprit. L’esprit est à la fois une effervescence de
tête («Je vis le foutre s’exhaler de ses yeux ») et une garantie de
x
rentabilité, car l’esprit ordonne, invente, affine : «O ma bonne,
lui dis-je, n’est-il pas vrai que plus on a d’esprit et mieux l’on
goûte les douceurs de la volupté ? »
Sadisme
Le sadisme ne serait que le contenu grossier (vulgaire) du texte
sadien.
Le principe de délicatesse
La marquise de Sade ayant demandé au marquis prisonnier
de lui faire remettre son linge sale (connaissant la marquise : à
quelle autre fin, sinon de le faire laver ?), Sade feint d’y voir un
tout autre motif, proprement sadien : « Charmante créature, vous
voulez mon linge sale, mon vieux linge? Savez-vous que c’est
d’une délicatesse achevée ? vous voyez comme je sens le prix des
choses. Ecoutez, mon ange, j’ai toute l’envie du monde de vous
satisfaire sur cela, car vous savez que je respecte les goûts, les
fantaisies : quelque baroques qu’elles soient, je les trouve toutes
respectables, et parce qu’on n’en est pas le maître, et parce que
la plus singulière et la plus bizarre de toutes, bien analysée,
remonte toujours à un principe de délicatesse. »
Certes, on peut lire Sade selon un projet de violence ;mais on
peut le lire aussi (et c’est ce qu’il nous recommande) selon un
principe de délicatesse. La délicatesse sadienne n’est pas un pro-
8 4 9
SYARDEES MT OMR RE RAT OMOR TEA
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une bouffée d’encens pour l'Empereur ».
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L'AUTRE [PC a Len
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Préface 701
Note 708
Sade I 711
Loyola 753
1. L'écriture 735
2. Le texte multiple 756
3. La mantique 739
4. L’imagination 745
5. L’articulation 746
6. L'arbre 749
7. Topiques 750
8. Assemblages 752
9. Le fantasme 754
10. Orthodoxie de l’image 756
11. La comptabilité 759
12. La balance et la marque 762
Fourier 766
Départs 769
Le calcul de plaisir 772
L'argent fait le bonheur 776
Inventeur, non écrivain TT
Le méta-livre 779
La savate flamboyante 780
Le hiéroglyphe 784
Libéral ? 787
Passions 788
L'arbre du bonheur 789
Nombres 790
Le brugnon 794
Système/systématique 796
La party 797
Les compotes 801
Le temps qu’il fait 803
Sade II 807
Cacher la Femme 809
Nourriture 810
Le tapis roulant s11
La censure, l'invention s11
La haine du pain 812
Le corps éclairé 812
L’inondation 814
Social 815
Politesse 816
Figures de rhétorique 817
La crudité 818
La moire 819
Impossibilia 819
Le mouchoir 821
La famille 821
Les miroirs 822
La frappe 822
Rapsodie 823
Le mobilier de la débauche 823
La marque 825
Le casque 826
La division des langages 827
La confession 827
La dissertation, la scène 828
L'espace du langage 850
L’ironie 850
Le voyage | 851
Sade précurseur 832
Poétique du libertin 833
Les machines 833
Les couleurs 834
Scène, machine, écriture 835
Le langage et le crime 857
L’homonymie 858
Strip-tease 838
Le pornogramme 839
Le langage d’Augustin 859
Complaisance de la phrase 840
Mettre de l’ordre 841
L’échange 842
La dictée 843
La chaîne 844
La grammaire 845
Le silence 845
Le bas de la page 846
Le rituel 846
Noms propres 847
Le vol, la prostitution 847
Couture 848
Le fil rouge 848
Le désir de tête
Sadisme
Le principe de délicatesse
Vies
de Sade
de Fourier
Textes
NOR
— de délitsbsnes
Fra”
ie
LUS CONT TES
L’éblouissement
Le MonpE
11 mars 1971
La mythologie aujourd’hui
1. Les textes des WMythologies ont été écrits entre 1954 et 1956; le livre,
paru en 1957, est reproduit au tome I des Œuvres complètes.
8 175
Ter Xl Es S lg7 d
8 7 4
LT EX MrErSs 19/7 1
CT
TEXTES L 9 4
EsPriT
avril 1971
Artaud : écriture/figure
GET OT
ARENA 1" O7
Texte daté par R.B. du 21 juin 1971 et qui devait servir de préface
à un livre de Bernard Lamarche-V’adel sur Antonin Artaud,
que l’auteur a renoncé à publier. (Ce texte a paru dans Luna-Park,
n° 7, mars 1981.)
La paix culturelle
Dire qu’il y a une culture bourgeoise est faux, parce que c’est
toute notre culture qui est bourgeoise (et dire que notre culture
est bourgeoise est un truisme fatigant, qui traîne dans toutes les
universités). Dire que la culture s’oppose à la nature est incer-
tain, parce qu’on ne sait pas très bien où sont les limites de l’une
et de l’autre : où est la nature dans l’homme ? Pour se dire homme,
il faut à l’homme un langage, c’est-à-dire la culture même. Dans
le biologique? On retrouve aujourd’hui dans l’organisme vivant
les mêmes structures que dans le sujet parlant : la vie elle-même
est construite comme un langage. Bref, tout est culture, du vête-
ment au livre, de la nourriture à l’image, et la culture est par-
tout, d’un bout à l’autre des échelles sociales. Cette culture, déci-
dément, est un objet bien paradoxal : sans contours, sans terme
oppositionnel, sans reste.
Ajoutons même peut-être : sans histoire — ou du moins sans
rupture, soumise à une répétition inlassable. Voici, à la télévi-
sion, un feuilleton américain d'espionnage : il y a cocktail sur un
yacht, et les partenaires se livrent à une sorte de marivaudage
mondain (coquetteries, répliques à double sens, jeux d’intérêts) ;
mais cela a déjà été vu ou dit :non seulement dans des milliers
de romans et de films populaires, mais dans les œuvres
anciennes, qui ont appartenu à ce qui pourrait passer pour une
autre culture, dans Balzac, par exemple : on croirait que la prin-
cesse de Cadignan s’est simplement déplacée, qu’elle a quitté le
Faubourg Saint-Germain pour le yacht d’un armateur grec. Ainsi,
la culture, ce n’est pas seulement ce qui revient, c’est aussi et
surtout ce qui reste sur place, tel un cadavre impérissable : c’est
un jouet bizarre que l'Histoire ne casse jamais.
Objet unique, puisqu'il ne s’oppose à rien, objet éternel, puis-
qu’il ne se casse jamais, objet paisible en somme, dans le sein
duquel tout le monde est rassemblé sans conflit apparent : où est
donc le travail de la culture sur elle-même, où sont ses contra-
dictions, où est son malheur ?
Pour répondre, il nous faut, en dépit du paradoxe épistémolo-
EVEMX ABS 160 4721
8.76"1
T EX T ES 1 97 1
8 8 2
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86 5
DREAMEE SRE El
Inédit en français.
Un très beau cadeau
Le Monpe
16 octobre 1971
Ecrivains, intellectuels, professeurs
Deux contraintes
La parole est irréversible, soit : on ne peut reprendre un mot,
sauf à dire précisément qu’on le reprend. Ici, raturer, c’est ajou-
ter; si je veux gommer ce que je viens d’énoncer, je ne puis le
faire qu’en montrant la gomme elle-même (je dois dire : « ou plu-
Lôt... », «je me suis mal exprimé... »); paradoxalement, c’est la
parole, éphémère, qui est indélébile. non l'écriture, monumen-
tale. A la parole, on ne peut que rajouter une autre parole. Le
mouvement correctif et perfectif de la parole est le bredouille-
ment, tissage qui s’épuise à se reprendre, chaîne de corrections
augmentatives où vient se loger par prédilection la part incons-
ciente de notre discours (ce n’est pas fortuitement que la psy-
chanalyse est liée à la parole, non à l'écriture : un rêve ne s’écrit
pas) : la figure éponyme du parleur, c’est Pénélope.
so
TÉEAXMTAEASR ALROPTEL
Le résumé
Statutairement, le discours du professeur est marqué de ce
caractère : qu’on peut (ou qu’on puisse) le résumer (c’est un pri-
vilège qu’il partage avec le discours des parlementaires). On le
sait, il y a dans nos écoles un exercice qui s'appelle la réduction
de texte; cette expression donne bien l’idéologie du résumé: il
y a d’un côté la « pensée », objet du message, élément de l’ac-
tion, de la science, force transitive ou critique, et de l’autre le
«style », ornement qui relève du luxe, de l’oisiveté et donc du
futile ;séparer la pensée du style, c’est en quelque sorte débar-
rasser le discours de ses habits sacerdotaux, c’est laïciser le mes-
sage (d’où la conjonction bourgeoise du professeur et du député) ;
la «forme », pense-t-on, est compressible, et cette compression
n’est pas jugée essentiellement dommageable : en effet, de loin,
c’est-à-dire à partir de notre cap occidental, la différence est-elle
tellement importante entre une tête de Jivaro vivant et une tête
de Jivaro réduite?
Il est difficile pour un professeur de voir les « notes » que lon
prend à son cours; il n’y tient guère, soit discrétion (car rien de
plus personnel que des «notes », en dépit du caractère protoco-
laire de cette pratique), soit plus probablement peur de se
contempler à l’état réduit, mort et substantiel à la fois, tel un
Jivaro traité par ses congénères ; on ne sait si ce qui est pris (pré-
levé) du flux de parole, ce sont des énoncés erratiques (des for-
mules, des phrases) ou la substance d’un raisonnement; dans
les deux cas, ce qui est perdu, c’est le supplément, là où s’avance
l'enjeu du langage : le résumé est un déni d'écriture.
Par conséquence contraire, peut être déclaré «écrivain » (ce
SINSMO
T E X M ES 19,7 1
mot désignant toujours une pratique, non une valeur sociale) tout
destinateur dont le «message» (détruisant par là aussitôt sa
nature de message) ne peut être résumé : condition que l’écri-
vain partage avec le fou, le bavard et le mathématicien, mais que
précisément l'écriture (à savoir une certaine pratique du signi-
fiant) a à charge de spécifier.
La relation enseignante
Comment peut-on assimiler le professeur au psychanalyste ? C’est
exactement le contraire qui se passe : c’est lui le psychanalysé.
Imaginons que je sois professeur : je parle, sans fin, devant et
pour quelqu’un qui ne parle pas. Je suis celui qui dit je (qu’im-
portent les détours du on, du nous ou de la phrase impersonnelle).
Je suis celui qui, sous couvert d'exposer un savoir, propose un
discours, dont je ne sais jamais comment il est reçu, en sorte que
je ne peux jamais me rassurer d’une image définitive, même offen-
sante, qui me constituerait : dans l'exposé, mieux nommé qu’on
ne croit, ce n’est pas le savoir qui s'expose, c’est le sujet (il s’ex-
pose à de pénibles aventures). Le miroir est vide: il ne me ren-
voie que la défection de mon langage au fur et à mesure qu’il se
déroule. Tels les Marx Brothers déguisés en aviateurs russes (dans
Une Nuit à l'Opéra - œuvre que je tiens pour allégorique de maint
problème textuel), je suis, au début de mon exposé, affublé d’une
grande barbe postiche ; mais, inondé peu à peu par les flots de
ma propre parole (substitut de la carafe d’eau à laquelle le Muet,
Harpo, s’abreuve goulûment, sur la tribune du maire de New
York), je sens ma barbe se décoller par lambeaux devant tout le
monde : à peine ai-je fait sourire l’auditoire par quelque remarque
« fine », à peine l’ai-je rassuré de quelque stéréotype progressiste,
que je sens toute la complaisance de ces provocations; je regrette
la pulsion hystérique, je voudrais la reprendre, préférant trop tard
un discours austère à un discours coquet (mais, dans le cas
contraire, c’est la « sévérité » du discours qui me paraîtrait hys-
térique); si en effet quelque sourire répond à ma remarque ou
quelque assentiment à mon intimidation, je me persuade aussi-
tôt que ces complicités manifestées proviennent d’imbéciles ou
de flatteurs (je décris ici un processus imaginaire); moi qui
cherche la réponse et me laisse aller à la provoquer, il suffit qu’on
me réponde pour que je me méfie; et si je tiens un discours tel
qu’il refroidit ou éloigne toute réponse, je ne m’en sens pas plus
SOU
T E X M E°s 1 97 À
Juste (au sens musical) pour cela; car il me faut bien alors me
faire gloire de la solitude de ma parole, lui donner ’alibi des dis-
cours missionnaires (science, vérité, etc.).
Ainsi, conformément à la description psychanalytique (celle
de Lacan, dont chaque parleur peut vérifier ici la perspicacité),
quand le professeur parle à son auditoire, l’Autre est toujours là,
qui vient {rouer son discours; et son discours, fût-il bouclé par
une intelligence impeccable, armé de «rigueur » scientifique ou
de radicalité politique, il n’en serait pas moins troué : il suffit que
je parle, il suffit que ma parole coule, pour qu’elle s’écoule. Natu-
rellement, bien que tout professeur soit en posture de psycha-
nalysé, aucun auditoire étudiant ne peut se prévaloir de la situa-
tion inverse ; d’abord, parce que le silence psychanalytique n’a
rien de prééminent ; et puis parce que parfois un sujet se détache,
ne peut se retenir et vient se brûler à la parole, se mêler à la
partouze oratoire (et si le sujet se tait obstinément, il ne fait que
parler l’obstination de son mutisme); mais, pour le professeur,
l'auditoire étudiant est tout de même l’Autre exemplaire parce
qu’il a l’air de ne pas parler — et que donc, du sein de sa matité
apparente, il parle en vous d’autant plus fort: sa parole impli-
cite, qui est la mienne, m’atteint d'autant plus que son discours
ne m’encombre pas.
Telle est la croix de toute parole publique : que le professeur
parle ou que l’auditeur revendique de parler, dans les deux cas,
c’est aller tout droit au divan; la relation enseignante n’est rien
de plus que le transfert qu’elle institue; la «science», la
«méthode », le « savoir », «idée » viennent par la bande ; ils sont
donnés en plus; ce sont des restes.
Le contrat
La plupart du temps, les relations entre humains
souffrent, souvent jusqu'à la destruction, de ce que
le contrat établi entre eux n'est pas respecté. Dès
que deux humains entrent en relation réciproque,
leur contrat le plus souvent tacite, entre en vigueur.
Il règle la forme de leurs relations, etc.
(Brecht)
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La recherche
8 9 4
TRES ATAENS 1 4 #7 ul
La méthode
Certains parlent de la méthode avec gourmandise, avec exi-
gence ; dans le travail, ce qu’ils désirent, c’est la méthode; elle
ne leur paraît jamais assez rigoureuse, assez formelle. La
méthode devient une Loi; mais, comme cette Loi est privée de
tout effet qui lui soit hétérogène (personne ne peut dire ce qu’est,
en «sciences humaines», un «résultat»), elle est infiniment
déçue; se posant comme un pur méta-langage, elle participe à
la vanité de tout méta-langage. Aussi il est constant qu’un tra-
vail qui proclame sans cesse sa volonté de méthode soit finale-
ment stérile : tout est passé dans la méthode, il ne reste plus rien
à l'écriture ; le chercheur répète que son texte sera méthodolo-
gique, mais ce texte ne vient jamais : rien de plus sûr, pour tuer
une recherche et lui faire rejoindre le grand déchet des travaux
abandonnés, rien de plus sûr que la Méthode.
Le danger de la Méthode (d’une fixation à la Méthode) vient
de ceci : le travail de recherche doit répondre à deux demandes ;
la première est une demande de responsabilité : il faut que le
travail accroisse la lucidité, parvienne à démasquer les implica-
MER RMRES DENON
Les questions
Questionner, c’est désirer savoir une chose. Cependant, dans
beaucoup de débats intellectuels, les questions qui suivent
l'exposé du conférencier ne sont nullement l’expression d’un
manque, mais l’assertion d’une plénitude. Sous couvert de ques-
tionner, je monte une agression contre l’orateur; questionner
reprend alors son sens policier : guestionner, c’est interpeller.
Cependant, celui qui est interpellé doit feindre de répondre à la
lettre de la question, non à son adresse. Un jeu s’établit alors:
bien que chacun sache à quoi s’en tenir sur les intentions de
l’autre, le jeu oblige à répondre au contenu, non à l’adresse. Si,
d’un certain ton, on me demande : «A quoi sert la linguistique ?»,
me signifiant par là qu’elle ne sert à rien, je dois feindre de
répondre naïvement : «Elle sert à ceci, à cela», et non, confor-
mément à la vérité du dialogue : « D'où vient que vous m'’agres-
sez ? » Ce que je reçois, c’est la connotation ; ce que je dois rendre,
c’est la dénotation. Dans l’espace de parole, la science et la
logique, le savoir et le raisonnement, les questions et les réponses,
les propositions et les objections sont les masques de la relation
dialectique. Nos débats intellectuels sont aussi codés que les dis-
putes scolastiques; il s’y trouve toujours des rôles de service (le
«sociologiste », le « goldmannien », le «telquelien », etc.), mais à
la différence de la disputatio, où ces rôles auraient été cérémo-
niels et auraient affiché l’artifice de leur fonction, notre « com-
merce » intellectuel se donne toujours des airs «naturels » : il pré-
tend n’échanger que des signifiés, non des signifiants.
Bi, KA
HE AT RES EL 06 37
Au nom de quoi?
Je parle au nom de quoi ? D’une fonction ? D’un savoir ? D’une
expérience ? Qu'est-ce que je représente ? Une capacité scienti-
fique? Une institution ? Un service ? En fait, je ne parle qu’au
nom d’un langage : c’est parce que j’ai écrit que je parle; l’écri-
ture est représentée par son contraire, la parole. Cette distorsion
veut dire que, en écrivant de la parole (au sujet de la parole), je
suis condamné à l’aporie suivante : dénoncer l’imaginaire de la
parole à travers l’irréalisme de l'écriture; ainsi, présentement,
je ne décris aucune expérience «authentique », je ne photogra-
phie aucun enseignement « réel », je n’ouvre aucun dossier « uni-
versitaire ». Car l'écriture peut dire le vrai sur le langage, mais
non le vrai sur le réel (nous cherchons actuellement à savoir ce
qu'est un réel sans langage).
La station debout
Imagine-t-on une situation plus ténébreuse que de parler pour
(ou devant) des gens debout ou visiblement mal assis ? Qu’est-
ce qui s’échange ici? De quoi cet inconfort est-il le prix? Que
vaut ma parole ? Comment l’incommodité où se trouve laudi-
teur ne l’amènerait-elle pas rapidement à s'interroger sur la vali-
dité de ce qu’il entend? La station debout n’est-elle pas émi-
nemment critique? Et n'est-ce pas ainsi, à une autre échelle, que
commence la conscience politique : dans le mal-aise ? L’écoute
me renvoie la vanité de ma propre parole, son prix, car, que je
le veuille ou non, je suis placé dans un circuit d'échange; et
l'écoute, c’est aussi la station de celui à qui je m'adresse.
Le tutoiement
Il arrive parfois, ruine de Mai, qu’un étudiant tutoie un pro-
fesseur. C’est là un signe fort, un signe plein, qui renvoie au plus
psychologique des signifiés : la volonté de contestation ou de copi-
nage : le muscle. Puisqu’une morale du signe est ici imposée, on
peut à son tour la contester et lui préférer une sémantique plus
subtile : les signes doivent être maniés sur fond neutre, et, en
français, le vouvoiement est ce fond. Le tutoiement ne peut
CONTI
TOR OXMNTES TL AMEL
Notre place
De même que la psychanalyse, avec Lacan, est en train de pro-
longer la topique freudienne en topologie du sujet (linconscient
n’y est jamais à sa place), de même il faudrait substituer à l’es-
pace magistral d'autrefois, qui était en somme un espace reli-
gieux (la parole dans la chaire, en haut, les auditeurs, en bas;
ce sont les ouailles, les brebis, le troupeau), un espace moins
droit, moins euclidien, où personne, ni le professeur ni les étu-
diants, ne serait jamais à sa dernière place. On verrait alors que
ce qu’il faut rendre réversible, ce ne sont pas les « rôles » sociaux
(à quoi bon se disputer l’« autorité », le « droit » de parler ?), mais
les régions de la parole. Où est-elle ? Dans la locution? Dans
l'écoute? Dans les retours de l’une et de l’autre? Le problème
n’est pas d’abolir la distinction des fonctions (le professeur, l’étu-
diant : après tout, l’ordre est un garant du plaisir, Sade nous l’a
appris), mais de protéger l'instabilité, et, si l’on peut dire, le tour-
nis des lieux de parole. Dans l’espace enseignant, chacun ne
devrait être à sa place nulle part (je me rassure de ce déplace-
ment constant : s’il m’arrivait de trouver ma place, je ne feindrais
même plus d'enseigner, jy renoncerais).
Le professeur, cependant, n’a-t-il pas une place fixe, qui est
celle de sa rétribution, la place qu’il a dans l’économie, dans la
production ? C’est toujours le même problème, le seul qu’inlas-
sablement nous traitions : l’origine d’une parole ne l’épuise pas;
une fois que cette parole est partie, il lui arrive mille aventures,
son origine devient trouble, tous ses effets ne sont pas dans sa
cause ; c’est ce surnombre que nous interrogeons.
PIE XATLERSS pari
Deux critiques
Les fautes que l’on peut faire en copiant un manuscrit à la
machine sont autant d'incidents signifiants, et ces incidents, par
analogie, permettent d’éclaircir la conduite qu’il nous faut tenir
à l’égard du sens quand nous commentons un texte.
Ou bien le mot produit par la faute (si une mauvaise lettre le
défigure) ne signifie rien, ne retrouve aucun tracé textuel; le code
est simplement coupé : c’est un mot asémique qui est créé, un pur
signifiant ;par exemple, au lieu d'écrire «officier », j'écris «offi-
vier », qui ne veut rien dire. Ou bien le mot erroné (mal frappé),
sans être le mot qu’on voulait écrire, est un mot que le lexique
permet d'identifier, qui veut dire quelque chose : si j’écris «ride »
au lieu de «rude », ce mot nouveau existe en français : la phrase
garde un sens, fût-il excentrique ; c’est la voie (la voix?) du jeu
de mots, de l’anagramme, de la métathèse signifiante, de la contre-
pèterie : il y a glissement à l’intérieur des codes : le sens subsiste,
mais pluralisé, triché, sans loi de contenu, de message, de vérité.
Chacun de ces deux types de fautes figure (ou préfigure) un
type de critique. Le premier type donne congé à tout sens du
texte tuteur : le texte ne doit se prêter qu’à une efflorescence
signifiante ; c’est son phonisme seul qui doit être traité, mais non
interprété : on associe, on ne déchiffre pas ;donnant à lire «offi-
vier», et non «officier », la faute m’ouvre le droit d'association
(je puis faire éclater, à mon gré, «offivier» vers «obvier»,
«vivier », elc.); non seulement l’oreille de ce premier critique
entend les grésillements du phono-capteur, mais elle ne veut
entendre qu’eux et en fait une nouvelle musique. Pour le second
critique, la «tête de lecture » ne rejette rien : elle perçoit, et le
sens (les sens) et ses grésillements. L’enjeu (historique) de ces
deux critiques (j'aimerais pouvoir dire que le champ de la pre-
mière est la signifiose, et celui de la seconde, la signifiance) est
évidemment différent.
La première a pour elle le droit du signifiant à s’éployer là où
il veut (là où il peut ?) : quelle loi et quel sens, venus d’où, vien-
draient le contraindre ? Dès lors qu’on a desserré la loi philolo-
gique (monologique) et entrouvert le texte à la pluralité, pour-
quoi s’arrêter? Pourquoi refuser de pousser la polysémie jusqu’à
Pasémie ? Au nom de quoi? Comme tout droit radical, celui-ci
suppose une vision utopique de la liberté : on lève la loi tout de
suile, hors de toute histoire, au mépris de toute dialectique (ce
90.0
TEXTES 1 49 5 À
Deux discours
Distinguons deux discours.
Le discours terroriste n’est pas forcément lié à l’assertion
péremptoire (ou à la défense opportuniste) d’une foi, d’une
vérité, d’une justice ; il peut vouloir simplement accomplir l’adé-
quation lucide de l’énonciation à la violence vraie du langage,
violence native qui tient à ce qu'aucun énoncé ne peut exprimer
directement la vérité et n’a d'autre régime à sa disposition que
le coup de force du mot; aussi, un discours apparemment ter-
roriste cesse de l’être si, le lisant, on suit l'indication qu’il vous
tend lui-même : d’avoir à rétablir en lui le blanc ou la disper-
sion, c’est-à-dire l’inconscient; cette lecture n’est pas toujours
NOM
ME AXES JDN
Le champ axiomatique
«Il suffira, dit Brecht, d’établir quelles interprétations des faits,
apparues au sein du prolétariat engagé dans la lutte des classes
(nationale ou internationale), lui permettent d'utiliser les faits
pour son combat. Il faut en faire une synthèse afin de créer un
champ axiomatique. » Ainsi tout fait possède plusieurs sens (une
pluralité d’«interprétations »), et, parmi ces sens, il en est un qui
est prolétarien (ou du moins qui sert le prolétariat dans son com-
bat) ; en connectant ces divers sens prolétariens, on construit une
axiomatique (révolutionnaire). Mais qui établit le sens ? Le pro-
létariat lui-même, pense Brecht («apparues au sein du proléta-
riat »). Cette vue implique qu’à la division des classes répond fata-
lement une division des sens, et qu’à la lutte des classes répond
non moins fatalement une guerre des sens : tant qu’il y a lutte
des classes (nationale ou internationale), la division du champ
axiomatique est inexpiable.
La difficulté (en dépit de la désinvolture verbale de Brecht :
«il suffira») vient de ce qu’un certain nombre d’objets de dis-
cours n’intéressent pas directement le prolétariat (aucune inter-
prétation n'apparaît à leur égard dans son sein) et que cepen-
dant le prolétariat ne peut s’en désintéresser, car ils constituent,
du moins dans les Etats avancés, qui ont liquidé à la fois la misère
NON?
HUB
M ES 57 À
Notre inconscient
Le problème que nous nous posons est celui-ci : comment faire
pour que les deux grandes épistèmès de la modernité, à savoir la
dialectique matérialiste et la dialectique freudienne, se rejoignent,
se conjoignent et produisent un nouveau rapport humain (il ne
faut pas exclure qu’un troisième terme soit tapi dans l’inter-dit
des deux premiers) ? C’est-à-dire : comment aider à l’inter-action
de ces deux désirs : changer l’économie des rapports de produc-
tion et changer l’économie du sujet ? (La psychanalyse nous appa-
raît pour le moment comme la force la mieux adaptée à la
seconde de ces tâches ;mais d’autres topiques sont imaginables,
celles de l’Orient, par exemple.)
Ce travail d'ensemble passe par la question suivante : quel
rapport y a-t-il entre la détermination de classe et inconscient ?
Selon quel déplacement cette détermination vient-elle se glis-
ser entre les sujets ? Non certes par la « psychologie » (comme
s’il y avait des contenus mentaux : bourgeois/prolétariens/intel-
lectuels, etc.), mais bien évidemment par le langage, par le dis-
cours : l'Autre, qui parle, qui est toute parole, l'Autre est social.
D'un côté, le prolétariat a beau être séparé, c’est le langage bour-
geois, sous sa forme dégradée, petite-bourgeoise, qui parle
inconsciemment dans son discours culturel; et, de l’autre, il a
beau être muet, il parle dans le discours de l’intellectuel, non
comme voix canonique, fondatrice, mais comme inconscient :
il suffit de voir comment il frappe à tous nos discours (la réfé-
ONOMA
T'EX I ES L 00:07
La parole paisible
L'une des choses que l’on peut attendre d’une réunion régu-
lière d’interlocuteurs est simplement celle-ci : la bienveillance ; que
cette réunion figure un espace de parole dénué d’agressivité.
Ce dénuement ne peut aller sans résistances. La première est
d'ordre culturel : le refus de la violence passe pour un mensonge
humaniste, la courtoisie (mode mineur de ce refus) pour une
valeur de classe, et l’accueillance pour une mystification appa-
rentée au dialogue libéral. La deuxième résistance est d'ordre
9105
ME EX TMS 10 Pr
NOM
2ON AN. CETONE DST RTE
1e AONUMARE
automne 1971
De l’œuvre au texte
92,09
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OMAMNIO)
TEXTES 19e
CN |
ME UXATUERSE AE 29170
OMIS
RARE SXAT ER SON MP 71
REVUE D'ESTHÉTIQUE
3e trimestre 1971
Une idée de recherche
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HONTE, ts L 9 Wa
PARAGONE
octobre 1971
Erté ou A la lettre
La vérité
Pour être connus, les artistes doivent passer par un petit pur-
gatoire mythologique: il faut qu’on puisse les associer machi-
nalement à un objet, à une école, à une mode, à une époque dont
ils sont, dit-on, les précurseurs, les fondateurs, les témoins ou
les symboles; en un mot, il faut qu’on puisse les classer à
moindres frais, les assujettir à un nom commun, comme une
espèce à son genre.
Le purgatoire de Erté, c’est la Femme. Certes, des femmes,
Erté en a dessiné beaucoup, il n’a même, à vrai dire, dessiné que
cela, comme s’il ne pouvait jamais s’en séparer (âme ou acces-
soire, obsession ou commodité ?), comme si la Femme signait
plus sûrement chacun de ses cartons que la fine graphie de son
nom. Voyez quelque grande composition de Erté (il y en a
quelques-unes) : le fouillis décoratif, l’exubérance précise et
baroque, la transcendance abstraite qui entraînent les lignes,
vous disent cependant, à la façon d’un rébus : Cherchez la Femme.
On la trouve toujours; elle est là, minuscule au besoin, étendue
au centre d’un motif qui, dès lors qu’il est repéré, fait basculer
et converger tout l’espace vers l’autel où elle est adorée (sinon
suppliciée). Cette pratique constante de la figure féminine résulte
sans doute de la vocation modéliste de Erté ; mais cette vocation
elle-même augmente la consistance mythologique de l'artiste,
car la Mode est l’un des meilleurs lieux où l’on croit pouvoir lire
l'esprit de la modernité, ses expériences plastiques, érotiques,
oniriques ; or Erté a occupé continûment pendant un demi-siècle
le territoire de la Mode (et du Spectacle, qui bien souvent l’ins-
pire ou en dépend); et ce territoire constitue de droit, institu-
tionnellement (c’est-à-dire en bénéficiant de la bénédiction et de
la reconnaissance de la société tout entière), une sorte de pare
national, de réserve zoologique, où se conserve, se transforme
et s’affine, au gré d'expériences surveillées, l’espèce Femme.
Rarement, en somme, la situation d’un artiste (combinat de pra-
TEXTES 1.29
1% 1
9)
2 &
MVFAXAT ENS HU 071
La silhouette
Ce signe féminin, pour le construire, il faut bien sacrifier
quelque chose d’énorme, qui est le corps (comme secret, lieu
fondateur de l’inconscient). Naturellement, il est impossible
d’abstraire complètement (de transformer en signe pur) une
représentation du corps humain : l'enfant parvient à rêver même
devant les planches anatomiques d’un dictionnaire. Aussi, en
dépit de sa chasteté élégante (mais continue), la sémantique de
Erté, ce que l’on pourrait appeler sa somatographie, comporte
quelques lieux-fétiches (à vrai dire rares) : le doigt, coupé du
corps (c’est le propre du fétiche) et par conséquent désigné par
le bijou qui le chausse en son bout (au lieu de l’anneler, comme
il est fait usuellement), à la façon d’un pansement phallique (cas-
trateur), dans l’étonnant Bijou pour un doigt (le cinquième doigt :
originairement fouisseur, puis promu symboliquement au rang
d’emblème social pour signifier la classe supérieure, chez les
peuples qui laissent démesurément pousser l’ongle auriculaire,
lequel ne doit être cassé par aucun travail manuel) ; le pied, bien
sûr, désigné une seule fois mais exemplairement (faire d’un objet
le sujet d’une peinture, n'est-ce pas toujours le fétichiser ?) par
le délicieux soulier, tout à la fois sage et raffiné, aigu et voluté,
oblique et d’aplomb, qui est présenté seul, profilé comme un
navire ou une maison, aussi doux que celle-ci, aussi élégant que
celui-là ; la croupe enfin, emphatisée par le bouillonnement de
traîne qui en part (dans la lettre R de l’alphabet écrit par Erté),
mais le plus souvent esquivée (et donc sur-signifiée) par le
déplacement dénégateur que l'artiste impose à cette même traîne
en la rattachant, non plus aux reins, mais aux épaules, comme
dans la Femme-Guadalquivir. Ce sont là des fétiches très ordi-
naires, signalés en passant, pourrait-on dire, par l'artiste ;mais
ce qui est à coup sûr fétiche, pour Erté, qui en a fait la spécia-
lité de son œuvre, c’est un lieu du corps qui échappe à la col-
lection classique des organes-fétiches, un lieu ambigu, c’est une
limite de fétiche, symbole à regret, beaucoup plus franchement
9 2 4
TEXTES 1 9 7 à
DS
ME XAT EAST 109707
La chevelure
Pourquoi cet objet (que l’on a appelé, faute de mieux, une sil-
houette) ? Où conduit cette invention d’une Femme-Vêtement qui
n’est cependant plus, et de loin, la Femme de Mode ? Avant de
le savoir (et pour le savoir), il faut dire comment Erté traite cet
élément du corps féminin qui est précisément, dans sa nature et
son histoire même, comme une promesse de vêtement, à savoir
la chevelure. On en connaît le symbolisme très riche.
Anthropologiquement, par une métonymie très ancienne,
venue du fond des âges, puisque la religion prescrit aux Femmes
de la cacher (de la désexualiser) en entrant à l’église, la cheve-
lure est la Femme elle-même, dans sa différence fondatrice. Poé-
tiquement, c’est une substance totale, proche du grand milieu
vital, marin ou végétal, océan ou forêt, par excellence l’objet-
fétiche en quoi l’homme s’absorbe (Baudelaire). Fonctionnelle-
ment, elle est, du corps, ce qui peut devenir tout de suite vête-
ment, non point tellement en ce qu’elle peut couvrir le corps,
mais parce qu’elle accomplit sans préparation la tâche névrotique
de tout vêtement, qui doit, pareil à la rougeur qui empourpre un
visage honteux, tout à la fois cacher et afficher le corps. Symbo-
liquement enfin, elle est «ce qui peut être tressé » (comme les
poils du pubis) : fétiche que Freud place à l’origine du tissage
(institutionnellement dévolu aux femmes) : la tresse se substitue
au pénis manquant (c’est la définition même du fétiche), en sorte
que «couper la natte (la tresse) », soit amusement de la part des
petits garçons à l’égard de leurs sœurs, soit agression sociale chez
les Anciens Chinois pour qui la natte était l'apanage phallique
des maîtres et envahisseurs mandchous, est un acte castrateur.
Or, de chevelures, il n’y en a pour ainsi dire pas dans les gyné-
cographies de Erté. La plupart de ses femmes -— trait d'époque -
ont les cheveux courts, plaqués à la garçonne, calotte noire, aima-
blement serpentine ou méphistophélique, simple signature gra-
phique de la tête; et ailleurs, s’il s’en trouve, les cheveux sont
immédiatement transformés en autre chose : en plumes, s’extra-
TARA
TA NLS ECO 70 1
Q) 27°
TEXTES RCI
La lettre
Cet objet nouveau que Erté fait naître, telle une chimère com-
posée par moitié de Femme et par moitié de coiffure (ou de
traîne), cet objet est la Lettre (ce mot doit s’entendre à la lettre).
L’alphabet de Erté est, je crois, célèbre. On sait que chacune de
nos vingt-six lettres, sous sa forme majuscule, y est composée (à
peu d’exceptions près, dont on parlera pour finir) d’une femme
ou de deux, dont la posture et la parure s’inventent en fonction
de la lettre (ou du chiffre) qu’elles doivent figurer et à laquelle
cette femme (ou ces femmes) s’asservit. Qui a vu l’alphabet de
OMI 9
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D'EURCMUENSS À 9 7 1
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TEXTES HE ee TL
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Saussure est connu par son Cours de linguistique générale, d’où
est sortie une bonne partie de la linguistique moderne. On com-
mence à deviner cependant, par quelques publications frag-
mentaires, que le grand dessein du savant genevois n’était nul-
lement de fonder une linguistique nouvelle (il estimait peu,
dit-on, son Cours), mais de développer et d'imposer aux autres
savants (fort sceptiques) une découverte qu’il avait faite et qui
obséda sa vie (beaucoup plus que la linguistique structurale) : à
savoir qu’il existe, tressé dans le vers des anciennes poésies
(védique, grecque, latine) quelque nom (de dieu, de héros) placé
là par le poète d’une façon quelque peu ésotérique — et cepen-
dant régulière, ce nom s’entendant par sélection successive de
quelques lettres privilégiées. La découverte de Saussure, c’est,
en somme, que la poésie est double : fil sur fil, lettre sur lettre,
mot sur mot, signifiant sur signifiant. Ce phénomène anagram-
JNSNS
NE XNTNENS LAONNT
L’alphabet
Erté a composé un alphabet. Prise dans l’alphabet, la lettre y
devient primordiale (elle y est ordinairement majuscule); don-
née sous son état princeps, elle y renforce son essence de lettre :
c’est ici la lettre pure, à l'abri de toute tentation qui l’enchaîne-
rait et la dissoudrait dans le mot (c’est-à-dire dans un sens contin-
gent). Claudel disait de la lettre chinoise qu’elle possédait un être
schématique, une personne scripturale. Par son travail poétique,
Erté fait de chacune de nos lettres occidentales un idéogramme,
c’est-à-dire un graphisme qui se suffit à lui-même, il congédie
le mot: qui aurait envie d'écrire un mot avec les lettres de Erté ?
Ce serait comme un contresens : le seul mot, le seul syntagme
composé par Erté avec ses lettres, c’est son propre nom, c’est-à-
dire encore deux lettres. Il y a dans l'alphabet de Erté un choix
qui dénie la phrase, le discours. Claudel, ici encore, nous aide à
© re] B
PARA RESTO 71
secouer cette paresse qui nous laisse croire que les lettres ne
sont que les éléments inertes d’un sens qui ne naîtrait que par
combinaisons et accumulations de formes neutres ; il nous aide
à comprendre ce que peut être une lettre solitaire (dont l’alphabet
nous garantit la solitude) : « La lettre est par essence analytique :
tout mot qu’elle constitue est une énonciation successive d’af-
firmations que l’œil et la voix épellent: à l’unité elle ajoute sur
une même ligne l’unité, et le vocable précaire dans une perpé-
tuelle variation se fait et se modifie.» La lettre de Erté est une
affirmation (fût-elle pleine d’aménité), elle se pose antérieure-
ment au précaire du mot (qui se défait de combinaisons en com-
binaisons) : seule, elle cherche à se développer non vers ses sœurs
(le long de la phrase) mais vers la métaphore sans fin de sa forme
individuelle : voie proprement poétique, qui ne mène pas au dis-
cours, au /0g0s, à la ratio (toujours syntagmatique), mais au sym-
bole infini. Tel est le pouvoir de l’alphabet : retrouver une sorte
d’état naturel de la lettre. Car la lettre, si elle est seule, est inno-
cente : la faute, les fautes commencent lorsqu'on aligne les lettres
pour en faire des mots (quel meilleur moyen de mettre fin au
discours de l’autre que de défaire le mot et de le faire revenir à
la lettre primordiale comme il est bien dit dans la locution popu-
laire : n, à, ni, c’est fini).
Qu'on permette ici une brève digression personnelle. L'auteur
de ces lignes a toujours éprouvé un vif mécontentement de lui-
même à ne pouvoir s'empêcher de faire toujours les mêmes
fautes de frappe en recopiant un texte à la machine. Ces fautes
sont banalement des omissions ou des additions: diabolique, la
lettre est en trop ou en moins ; la faute la plus retorse (déformant
le mot de la façon la plus perfide), la plus fréquente aussi, c’est la
métathèse : combien de fois (animé sans doute d’une irritation
inconsciente contre des mots qui m’étaient familiers et dont par
conséquent je me sentais prisonnier) n’ai-je pas écrit sturcture (au
lieu de structure), susbtituer (pour substituer) ou trasncription
(pour transcription) ? Chacune de ces fautes, à force de se répé-
ter, prend une physionomie bizarre, personnelle, malveillante,
elle me signifie qu’il y a quelque chose en moi qui résiste au mot
et le châtie en le défigurant. D’une certaine façon, avec le mot,
avec la suite intelligible de lettres, c’est le mal qui commence.
Aussi, antérieur ou extérieur au mot, l’alphabet accomplit-il une
sorte d’état adamique du langage : c’est le langage avant la faute,
parce que c’est le langage avant le discours, avant le syntagme,
et cependant, déjà, par la richesse substitutive de la lettre, entiè-
FT EX T'ES 1087
La sinueuse
La matière dont Erté fait la lettre, on l’a dit, est un mixte de
femme et de parure; le corps et le vêtement se supplémentent
l’un l’autre ; l'appendice vestimentaire évite à la femme toute pos-
ture acrobatique et la transforme en lettre sans qu’elle perde rien
de sa féminité, comme si la lettre était «naturellement » fémi-
nine. Les opérateurs de lettres sont nombreux et divers: ailes,
queues, cimiers, panaches, cheveux, écharpes, fumées, ballons,
traînes, ceintures, voiles ; ces «mutants » (ils assurent la muta-
tion de la Femme en Lettre) n’ont pas seulement un rôle for-
mateur (par leurs compléments, leurs corrections, ils aident à
créer géométriquement la lettre) mais aussi conjuratoire : ils per-
mettent, par le rappel d’un objet gracieux ou culturel (familier),
d’exorciser la mauvaise lettre (il y en a) : T est un signe funeste :
c’est un gibet, une croix, un supplice; Erté en fait une nymphe
printanière, florale, le corps nu, la tête couverte d’un voile léger;
là où alphabet littéral dit: Les bras en croix, l'alphabet symbo-
lique de Erté dit: Les bras offerts, engagés dans un geste à la fois
pudique et favorable. C’est que Erté fait avec la lettre ce que le
poète fait avec le mot : un jeu. Le jeu de mots repose sur un méca-
nisme sémantique très simple : un seul et même signifiant (un
mot) prend simultanément deux signifiés différents, en sorte que
l'écoute du mot est divisée : c’est, bien nommée, la double entente.
Installé dans le champ symbolique, Erté pratique, si l’on peut
dire, la double vision : vous percevez, à votre gré, la femme ou
la lettre, et, supplémentairement, l’agencement de l’une et de
l’autre. Voyez le chiffre 2 : c’est une femme agenouillée, c’est un
long panache en point d'interrogation, c’est 2; la lettre est une
forme totale et immédiate, qui perdrait son sens propre si on
TEXTES 1
RCE00 |
© Où 2)
110720. QE TON SRECPS CE
Départs
Les lettres de Erté sont « poétiques ». Qu’est-ce que cela veut
dire? Le «poétique » n’est pas quelque impression vague, une
sorte de valeur indéfinissable, à quoi l’on se référerait commo-
PME SALE
9) 4 «0
TROT ES ELU 7e
M
Cependant, on le sait, lâcher des symboles n’est jamais un acte
spontané, l'affirmation poétique s’appuie sur des dénégations, des
démentis imprimés par l'artiste au sens platement culturel de la
forme: la création symbolique est un combat contre les stéréo-
types. Erté défait le sens premier de certaines lettres. Voyez son
E (important puisqu'il fait partie de son nom écrit); cette lettre
est graphiquement réputée ouverte, par ses trois branches, vers
la suite du mot; elle va, comme on dit, de l'avant; sans la défi-
gurer, Erté retourne son tropisme; l'arrière de la lettre devient
son front; la lettre regarde vers la gauche (région dépassée, selon
le sens de notre écriture), elle s’effiloche vers son avant, comme
si la traîne et les ailes de ses deux femmes étaient prises dans
un vent contraire. Voyez encore le ©, lettre inévitablement mal-
sonnante en français, et par conséquent quelque peu tabou : c’est
l'une des plus gracieuses que Erté ait imaginées : deux oiseaux
forment cercle, de leurs becs joints jusqu’à l’extrémité de leurs
longues queues qui s’entrecroisent pour former cette virgule de
la lettre qui la différencie du O. Au-delà de ces accentuations
euphoriques, Erté prend ses distances à l’égard de toute une
mythologie de la lettre qui, pour être superbement poétique, n’en
est pas moins un peu trop connue : celle que Rimbaud nous a
léguée dans son sonnet des « Voyelles » : À n’est pas pour Erté un
«golfe d'ombre », un «noir corset velu», mais c’est l’arquebou-
tement jaune de deux corps face à face, dont les jambes en
équerre tirent de leur acrobatie une idée de tension construc-
tive ; E, angélique et féminin, n’est pas «la lance des glaciers
fiers »; 1, si sa tête décollée de son corps sage et modeste confère
à sa rectitude, comme on l'a dit, un soupçon d'inquiétude, n’est
nullement pourpre (il n’y à jamais de sang dans l’œuvre de Erté) ;
U, dont les deux branches enferment, comme celles de deux vases
communicants, deux femmes fauves, n’est pas la marque cyclique
imprimée par l’alchimie aux grands fronts studieux; et le O de
Erté, ligne dessinée dans l'air comme la figure de deux acro-
bates, n’est en rien le «suprême clairon plein de strideurs
étranges », ce n’est pas l’Oméga, foyer du «Rayon violet de Ses
Yeux », mais seulement la bouche, ouverte pour sourire, embras-
9 42
EL ROUTES S A59.
7. 1
ser ou parler. C’est que pour Erté, il faut y insister encore, l’es-
pace de l’alphabet, même si la lettre se souvient de son phoné-
tisme, n’est pas sonore, mais graphique ; il s’agit principalement
d’un symbolisme des lignes, non des sons: c’est la lettre qui
«part », non le phonème ; ou du moins ce quelque chose qui avant
de s’identifier à un son clair est un geste musculaire marqué en
nous par des mouvements d’occlusion, de concentration et de
détente (c’est le travail de l’acrobate, figuré dans le O, dans le
A, dans le X, dans le Y, dans le 4), Erté le cherche toujours du
côté de la ligne, du trait, unité graphique ; son symbolisme est
contenu, mais du moins s’empare-t-il d’un art délaissé par notre
grande culture et qui est l’art typographique. Enracinée dans cet
art, la lettre, détachée du son, ou du moins le soumettant, l’in-
corporant à ses lignes, libère un symbolisme propre dont le corps
féminin devient le médiateur. Finissons par quatre lettres de Erté
qui accomplissent exemplairement ce développement métapho-
rique, où se tressent le son et la ligne. R est, phonétiquement,
une valeur grasse (ce n’est que par exception que les Parisiens
d’abord, les Français ensuite, lescamotent) : R est un son rural,
terrien, matériel : R roule (pour Cratyle, le dieu logothète en avait
fait un son fluvial) ; d’une femme nue, offerte sur ses talons hauts,
en dépit du geste méditatif de sa main levée, s’épanouit posté-
rieurement tout un large canal d’étoffe (ou de chevelure : on sait
qu'on ne peut et qu’il ne faut pas distinguer), dont la courbe
grasse, prenant appui sur les fesses, à la façon des anciennes
tournures, forme les deux volutes du R, comme si la femme dési-
gnait abondamment par-derrière ce qu’elle semble réserver par-
devant. Même matérialité (qui ne cesse jamais d’être élégante)
dans le S: c’est une femme sinueuse, lovée dans le contourne-
ment de la lettre, fait lui-même d’un bouillonnement rose ; on
dirait que le jeune corps nage dans quelque substance primor-
diale, effervescente et lisse tout à la fois, et que la lettre dans son
entier est une sorte d’hymne printanier à l’excellence de la sinuo-
sité, ligne de vie. Tout autre est une lettre voisine, sœur jumelle
et pourtant ennemie du S: le Z; Z n'est-il pas un S inversé et
angulé, c’est-à-dire démenti ?
Pour Erté, c’est une lettre dolente, crépusculaire, voilée, bleu-
tée, dans laquelle la femme inscrit à la fois sa soumission et sa
supplication (pour Balzac aussi, c’était une lettre mauvaise,
comme il l'explique dans sa nouvelle Z. Marcas).
Il est enfin dans cette cosmographie alphabétique de Erté une
letire singulière, la seule, je crois, qui ne doive rien à la Femme
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EME XNTIEMSE TL I9 7 1
9 4 6
TE MURS LMD CL
pour nous le dire); c’est cette même opposition que l’on ren-
contre par exemple entre Condé et Turenne, qui seraient les
grandes figures archétypiques de deux tempéraments français:
si vous les mettez ensemble dans un seul écrivain (on sait depuis
Jakobson que l’acte poétique consiste à étendre un paradigme
en syntagme), vous produisez des auteurs qui concilient à la fois,
par exemple, « l’art formel et l'extrême sensibilité » ou qui mani-
festent «le goût des plaisanteries dissimulant une profonde
détresse » (comme Villon). Ce que je dis là est simplement
lamorce de ce que l’on pourrait imaginer comme une sorte de
petite grammaire de notre littérature, grammaire qui produirait
des sortes d’individuations stéréotypées : les auteurs, les mou-
vements, les écoles.
Deuxième composant de ce souvenir : l’histoire littéraire fran-
çaise est faite de censures qu’il faudrait inventorier. Il y a - on
le sait, on l’a déjà dit - toute une autre histoire de notre littéra-
ture à écrire, une contre-histoire, un envers de cette histoire, qui
serait l’histoire de ces censures précisément. Ces censures, que
sont-elles ? D’abord les classes sociales; la structure sociale qui
est sous cette littérature se trouve rarement dans les manuels
d'histoire littéraire, il faut déjà passer à des livres de critique
plus émancipés, plus évolués, pour la trouver; lorsqu'on lit ces
manuels, les références à des dispositions de classes existent par-
fois, mais alors uniquement en passant et à titre d’oppositions
esthétiques. Au fond, ce que le manuel oppose, ce sont des atmo-
sphères de classes, non pas des réalités : lorsque l'esprit aristo-
cratique est opposé à l’esprit bourgeoïs et populaire, tout au moins
pour les siècles passés, c’est la distinction du raffiné opposé à la
bonne humeur et au réalisme. On trouve encore, même dans des
manuels récents, des phrases de ce genre : « Plébéien, Diderot
manque de tact et de délicatesse; il commet des fautes de goût
qui traduisent de la vulgarité dans les sentiments eux-mêmes... »
Donc, la classe existe, mais à titre d’atmosphère esthétique ou
éthique; au niveau des instruments de savoir, il y a dans ces
manuels l’absence flagrante d’une économie et d’une sociologie
de notre littérature. La seconde censure serait évidemment celle
de la sexualité, mais je n’en parle pas, parce qu’elle rentre dans
la censure beaucoup plus générale que toute la société fait por-
ter sur le sexe. Une troisième censure serait — je considère pour
ma part que c’est une censure — celle du concept même de lit-
térature, qui n’est jamais défini en tant que concept, la littéra-
ture dans ces histoires étant au fond un objet qui va de soi et
AN MINERST MO T7
9 4 8
MAE KT ES 19.7 À
quand commence une langue ? Qu'est-ce que cela veut dire pour
une langue que commencer ?Quand commence un genre ? Qu’est-
ce que cela veut dire quand on nous parle du premier roman fran-
Çais, par exemple ? En vérité, on voit bien qu’il y a toujours, der-
rière l’idée classique de la langue, une idée politique: l'être de
la langue, c’est-à-dire sa perfection et même son nom, est lié à
une culmination de pouvoir: le classique latin, c’est le pouvoir
latin ou romain; le classique français, c’est le pouvoir monar-
chique. C’est pour cela qu’il faut dire que, dans notre enseigne-
ment, on cultive, ou on promeut, ce que j’appellerai la langue
paternelle, et non pas la langue maternelle - d'autant que, soit
dit en passant, le français parlé, on ne sait pas ce que c’est; on
sait ce que c’est que le français écrit parce qu’il y a des gram-
maires du bon usage, mais le français parlé, personne ne sait ce
que c’est; et, pour le savoir, il faudrait commencer par échapper
au classico-centrisme.
Troisième élément de ce souvenir d'enfance : ce souvenir est
centré, et son centre est — je viens de le dire — le classicisme. Ce
classico-centrisme nous paraît anachronique; pourtant nous
vivons encore avec lui. Encore maintenant, on passe les thèses
de doctorat dans la salle Louis-Liard, à la Sorbonne, et il faut
faire l’inventaire des portraits qui sont dans cette salle; ce sont
les divinités qui président au savoir français dans son ensemble :
Corneille, Molière, Pascal, Bossuet, Descartes, Racine sous la pro-
tection — cela, c’est un aveu — de Richelieu. Ce classico-centrisme
va donc loin, puisqu'il identifie toujours, et cela même dans l’ex-
posé des manuels, la littérature avec le roi. La littérature, c’est
la monarchie, et invinciblement on construit l’image scolaire de
la littérature autour du nom de certains rois: Louis XIV, bien
sûr, mais aussi François I", Saint Louis, en sorte que, au fond,
on nous présente une sorte d'image lisse où le roi et la littéra-
ture se réfléchissent l’un l’autre. Il y a aussi, dans cette structure
centrée de notre histoire de la littérature, une identification natio-
nale : ces manuels d'histoire mettent en avant, perpétuellement,
ce qu’on appelle des valeurs typiquement françaises ou des tem-
péraments typiquement français; on nous dit par exemple que
Joinville est typiquement français ; ce qui est français — le géné-
ral de Gaulle en a donné une définition — c’est ce qui est « régu-
lier, normal, national ». C’est évidemment l’éventail des normes
et des valeurs de notre littérature. Du moment que cette histoire
de notre littérature a un centre, il est évident qu’elle se construit
par rapport à ce centre; ce qui vient après ou avant dans l’en-
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moi, très vite, certains indices font surgir le nom d’Assassinat que
ma réception du conte est effectivement une lecture, et non la
simple perception de phrases dont je comprendrais le sens lin-
guistique, mais non le sens narratif: lire, c’est nommer (ce pour
quoi l’on pourrait aller jusqu’à dire, du moins par rapport à cer-
tains textes modernes: lire, c’est écrire).
Sans prétendre couvrir toute la logique actionnelle et sans
même prétendre que cette logique soit une, essayons de réduire
quelques séquences proaïrétiques à un petit nombre de rapports
simples ;on pourra ainsi avoir une première idée d’une certaine
allure rationnelle du récit classique.
1° Consécutif. Dans le récit (et c’en est peut-être la marque),
il n’y a pas de succession pure : le temporel se pénètre immé-
diatement de logique, le consécutif est en même temps du consé-
quent!: ce qui vient après a l’air produit par ce qui était avant.
Cependant, dans la décomposition de certains mouvements, on
approche du temporel pur : ainsi de la perception d’un objet, une
peinture par exemple (jeter un regard à la ronde/apercevoir l’ob-
jet). Le caractère faiblement logique de ces séquences (d’ailleurs
rares) se voit bien en ceci que chaque terme ne fait en somme
que répéter le précédent, comme dans une série (qui n’est pas
une structure) : sortir d’un premier lieu (une salle par exemple)/
sortir d’un second lieu (l'édifice qui contient cette salle) ; cepen-
dant, la logique est toute proche, sous forme d’un rapport d’im-
plication : pour « remarquer », ilfaut d'abord « voir »; pour «entrer
dans une salle », il faut d’abord «entrer dans l’édifice »; à plus
forte raison si le mouvement implique un retour (Excursion, Pro-
menade amoureuse) : la structure semble alors très mince (à force
d’être élémentaire) : c’est celle de l’aller et retour ;mais il suffit
d'imaginer qu’un terme n’en soit pas noté pour mesurer le scan-
dale logique dont le récit se ferait alors tout à coup le porteur:
le voyage sans retour (par simple carence d’un terme de la suite)
est l’un des incidents les plus signifiants qui puisse être donné
à raconter.
2° Conséquentiel. C’est le rapport classique entre deux actions
dont l’une est la détermination de l’autre (mais ici encore, symé-
triquement et inversement au rapport précédent, le plus souvent,
le lien causal se pénètre de temporalité) ; l'articulation consé-
Ju6us
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97 0)
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déclare écrite, en route vers son état littéraire : la phrase est déjà,
en soi, un objet stylistique : l'absence de bavure, en quoi elle s’ac-
complit, est en quelque sorte le premier critère du style; on le
voit bien par deux valeurs proprement stylistiques : la simplicité
et la frappe : toutes deux sont des effets de propreté, l'un lito-
tique, l’autre emphatique : si telle phrase de Claudel («La nuit
est si calme qu’elle me paraît salée ») est à la fois simple et frap-
pée, c’est qu’elle accomplit la phrase dans sa plénitude néces-
saire et suffisante. Ceci peut être mis en rapport avec plusieurs
faits historiques : d’abord, une certaine hérédité gnomique du
langage écrit (sentences divinatoires, formules religieuses, dont
la clôture, typiquement phrastique, assurait la polysémie);
ensuite, le mythe humaniste de la phrase vivante, effluve d’un
modèle organique, à la fois clos et générateur (mythe qui s’ex-
prime dans le traité Du sublime) ; enfin, les tentatives, à vrai dire
encore peu efficaces, tant la littérature, même subversive, est
liée à la phrase, menées par la modernité pour faire éclater la
clôture phrastique (Coup de dés de Mallarmé, hyper-proliféra-
tion de la phrase proustienne, destruction de la phrase typogra-
phique dans la poésie moderne).
La phrase, dans sa clôture et sa propreté, m’apparaît donc
comme la détermination fondamentale de l'écriture. A partir de
quoi bien des codes écrits sont possibles (à vrai dire, mal repé-
rés) : écriture savante, universitaire, administrative, journalis-
tique, etc., chacune pouvant être décrite en fonction de sa clien-
tèle, de son lexique et de ses protocoles syntaxiques (inversions,
figures, clausules, tous traits marquant l'identité d’une écriture
collective par leur présence ou leur censure). Parmi toutes ces
écritures, et avant même de parler de style au sens individuel
où nous entendons ordinairement ce mot, il y a le langage litté-
raire, écriture véritablement collective dont il faudrait recenser
les traits systématiques (et non seulement les traits historiques,
comme on l’a fait jusqu’à présent) : qu'est-ce qui, par exemple,
est permis dans un texte littéraire, mais ne l’est pas dans un article
universitaire : inversions, clausules, ordre des compléments,
licences syntaxiques, archaïsmes, figures, lexique ? Ce qu’il faut
d’abord saisir, ce n’est pas l’idiolecte d’un auteur mais celui d’une
institution (la littérature).
Ce n’est pas tout. L'écriture littéraire ne doit pas être seule-
ment située par rapport à ses voisines les plus proches, mais aussi
par rapport à ses modèles. J’entends par modèles non des sources,
au sens philologique du terme (notons en passant que l’on a
T'EMNIT ES 14007"T
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Cours et entretiens
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La notion d’idiolecte :
premières questions, premières recherches
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NME MENN Se tale 0 TEL
Publications :
M. R. Barthes, directeur d’études : a) « Masculin, féminin, neutre »,
in Echanges et communications. Mélanges offerts à CI. Lévi-Strauss,
Mouton, 1970, p. 893-907; b) «Réflexions sur un manuel», in L’En-
seignement de la littérature, Plon, 1971, p. 170-177; c) « l'analyse struc-
turale du récit : à propos d’Actes 10-11 », in Exégèse el herméneutique,
Paris, Ed. du Seuil, 1970, p. 181-204; d) « l’ancienne rhétorique », in
Communications, n° 16, décembre 1970, p. 172-235; e) « Sémiologie
et urbanisme», in L’Architecture d'aujourd'hui, n° 153, décembre
1970-janvier 1971, p. 11-13.
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G'ORUER S MERE PEUNATIRTENT
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COOMIMRLS, EU MEANQEUR
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LA GAZETTE DE LAUSANNE
6 février 1971
992
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1. FORMALISME
Il n’est pas sûr que le mot formalisme doive être tout de suite
liquidé, car ses ennemis sont les nôtres, à savoir : les scientistes, les
causalistes, les spiritualistes, les fonctionnalistes, les spontanéistes ;
les attaques contre le formalisme se font toujours au nom du contenu,
du sujet, de la Cause (mot ironiquement ambigu, puisqu’il renvoie à
une foi et à un déterminisme, comme si c'était la même chose), c’est-
à-dire au nom du signifié, au nom du Nom. Nous n’avons pas à
prendre nos distances à l’égard du formalisme, mais seulement nos
aises (l'aise, ordre du désir, est plus subversive que la distance, ordre
de la censure). Le formalisme auquel je pense ne consiste pas à
«oublier », à «négliger », à «réduire » le contenu («l’homme »), mais
seulement à ne pas s'arrêter au seuil du contenu (gardons provisoi-
rement le mot); le contenu est précisément ce qui intéresse le for-
malisme, car sa tâche inlassable est en chaque occasion de le recu-
ler (jusqu’à ce que la notion d’origine cesse d’être pertinente), de le
déplacer selon un jeu de formes successives. N'est-ce pas ce qui arrive
à la science physique elle-même, qui, depuis Newton, n’en finit pas
de reculer la matière, non au profit de l’«esprit», mais au profit de
l’aléatoire (rappelons-nous Verne citant Poe : «Un hasard doit être
ON
GMOMUERS SAR AEDONENNN ET R RE TMIMIERINIES LAO'ETA
9 9 4
G''OAUER St AB ME ANATIRMET MMEMN:S TROT
2. VIDE
l’idée de décentrement est certainement beaucoup plus impor-
tante que celle de vide. Celle-ci est ambigué : certaines expériences
religieuses s’accommodent très bien d’un centre vide (j'ai suggéré
cette ambiguïté à propos de Tokyo, en rappelant que le centre vide
de la ville était occupé par le palais de l’empereur). Ici encore, il faut
refaire inlassablement nos métaphores. Tout d’abord, ce que nous
abhorrons dans le plein, ce n’est pas seulement l’image d’une sub-
stance ultime, d’une compacité indissociable; c’est aussi et surtout
(du moins pour moi) une mauvaise forme : le plein, c’est, subjecti-
vement, le souvenir (le passé, le Père), névrotiquement la répétition,
socialement le stéréotype (il fleurit dans la culture dite de masse,
dans cette civilisation endoxale, qui est la nôtre). À l’opposé, le vide
ne doit plus être conçu (imagé) sous la forme d’une absence (de corps,
de choses, de sentiments, de mots, etc.: le rien) — nous sommes ici
victimes de la physique ancienne; nous avons une idée quelque peu
chimique du vide. Le vide, c’est plutôt le nouveau, le retour du nou-
veau (qui est le contraire de la répétition). Jai lu récemment dans
une encyclopédie scientifique (mon savoir ne va évidemment pas au-
delà) l'exposé d’une théorie physique (la plus récente, je crois) qui
m’a donné quelque idée de ce fameux vide auquel je pense (je crois
de plus en plus à la valeur métaphorique de la science); c’est la théo-
9,95
CLONMDERSST EME NNATRAEMINIMENNES A'RDUEZ
A
3. LISIBLE
Le sens aboli, Llout reste à faire, puisque le langage continue
(la formule « tout reste à faire » renvoie évidemment au travail). Pour
JON
GYOUMER SP MENTI MENATIRAE
NT LI AN: 'Se ELN9
7 Al
moi (peut-être ne l’ai-je pas assez dit), le prix du haïku est para-
doxalement dans ceci, qu’il est lisible. Ce qui - du moins dans ce
monde plein — nous retranche le mieux du signe, ce n’est pas le
contraire du signe, le non-signe, le non-sens (l’illisible,au sens cou-
rant), Car ce non-sens est immédiatement récupéré par le sens
(comme sens du non-sens); il est inutile de subvertir la langue en
détruisant, par exemple, la syntaxe : c’est en fait une bien maigre
subversion, qui, de plus, est loin d’être innocente, car, comme on
Pa dit, «les petites subversions font les grands conformismes ». Le
sens ne peut s'attaquer de front, par la simple assertion de son
contraire; il faut tricher, dérober, subtiliser (dans les deux accep-
tions du mot: raffiner et faire disparaître une propriété), c’est-à-
dire : à la rigueur parodier, mais encore mieux simuler. Le haïiku,
par toute une technique, voire un code métrique, a su évaporer le
signifié ; il ne reste plus qu’un mince nuage de signifiant; et c’est
à ce moment-là, semble-t-il, que, par une dernière torsion, il prend
le masque du lisible, copie, en les privant cependant de toute réfé-
rence, les attributs du « bon » message (littéraire) : la clarté, la sim-
plicité, l'élégance, la finesse. Le travail d'écriture auquel nous pen-
sons aujourd’hui ne consiste ni à améliorer la communication, ni
à la détruire, mais à la filigraner; c’est en gros ce qu’a fait (parci-
monieusement) l’écriture classique, qui est, pour cette raison, et
quoi qu’il en soit, une écriture; cependant, une nouvelle étape,
amorcée ici et là dans le dernier siècle, a commencé, où ce n’est
plus le sens qui est rendu (libéralement) pluriel à l’intérieur d’un
seul code (celui de «bien écrire »), mais l’ensemble même du lan-
gage (comme «hiérarchie fluctuante » de codes, de logiques) qui
est visé, travaillé ; cela doit encore se faire dans l’apparence de la
communication, car les conditions sociales, historiques, d’une libé-
ration du langage (par rapport aux signifiés, à la propriété du dis-
cours) ne sont nulle part encore réunies. D’où l’importance actuelle
des concepts théoriques (directeurs) de paragramme, de plagiat,
d’intertextualité, de fausse lisibilité.
Point n° 4. Ce qui est lisible dans les trois points précédents est
sans doute la question de l’ancrage matérialiste de l'écriture que
désigne Le mot «Japon » - ancrage que l’on peut déterminer à par-
tir d’une pratique complexe articulée (séries relativement auto-
nomes et réglées, dans leur stratification, par leurs rapports de
dominance et de détermination: ici, aussi bien «cuisine» que
«théâtre», « lutte» que «poésie», « politesse » que « topologie »),
mais aussi à partir de la langue -, nous confrontant brutalement
à tout ce qu’il y a d’idéologique et d’inconscient dans la façon
que nous avons de vivre notre rapport à elle (langue qui, nous le
NON
CHOMUMR SOMME STI ANMIMRSEMIMIMEANES 1'EON7
4. LANGUE
«La langue n'est pas une superstructure », dites-vous. À ce sujet,
deux remarques restrictives. D'abord, la proposition ne peut être sûre
tant que la notion de «superstructure » n’est pas éclaircie, et elle est
actuellement en plein remaniement (du moins je le souhaite). Ensuite
ceci : si l’on conçoit une histoire «monumentale », il est certainement
possible de reprendre la langue, les langues, dans une totalité struc-
turale : il y a une «structure » de l’indo-européen (par opposition, par
exemple, aux langues orientales) qui est en rapport avec les institu-
tions de cette aire de civilisation (chacun sait que la grande coupure
passe entre l'Inde et la Chine, l’indo-européen et les langues asia-
tiques, la religiosité bouddhique et le taoïsme ou le zen — le zen est
apparemment bouddhique, mais il n’est pas du côté du bouddhisme ;
le clivage dont je parle n’est pas celui de l’histoire des religions ; c’est
précisément celui des langues, du langage).
Quoi qu’il en soil, même si la langue n’est pas une superstruc-
ture, le rapport à la langue est politique. Cela n’est peut-être pas sen-
sible dans un pays historiquement et culturellement «tassé » comme
la France : la langue n’est pas ici un thème politique ; cependant, il
suffirait de réveiller le problème (par n'importe quelle forme de
recherche : élaboration d’une sociolinguistique engagée ou simple
numéro spécial de revue), pour être sans doute stupéfait de son évi-
dence, de son ampleur, de son acuité (par rapport à leur langue, les
Français sont simplement endormis, chloroformés par des siècles
d'autorité classique) ;cependant, dans des pays moins nantis, le rap-
port à la langue est brûlant; dans les pays arabes naguère colonisés,
la langue est un problème d'Etat où s’investit tout le politique. Je ne
suis pas sûr d’ailleurs qu’on soit bien préparé à le résoudre: il
manque une théorie politique du langage, une méthodologie qui per-
mettrait de mettre au jour les processus d’appropriation de la langue
et d'étudier la « propriété » des moyens d’énonciation, quelque chose
comme le Capital de la science linguistique (je pense, pour ma part,
qu’une telle théorie s’élaborera peu à peu à partir des balbutiements
actuels de la sémiologie, dont ce sera en partie le sens historique);
celte théorie (politique) devra notamment décider où s'arrête la
langue — et si elle s'arrête quelque part; il prévaut actuellement dans
certains pays encore embarrassés par l’ancienne langue coloniale (le
JNOMS
GLOMMRAISS FEMME TEMNETERMENTI
TIME NNESE MOT 1
5. SEXUALITÉ
La délicatesse du jeu sexuel, c’est là une idée très importante et
tout à fait inconnue, me semble-t-il, de POccident (motif majeur pour
s’y intéresser). La raison en est simple. En Occident, la sexualité ne
se prête très pauvrement qu’à un langage de transgression ; mais faire
de la sexualité un champ de transgression c’est encore la tenir pri-
sonnière d’un binaire (pour/contre), d’un paradigme, d’un sens. Pen-
ser la sexualité comme un continent noir, c’est encore la soumettre
au sens (blanc/noir). L’aliénation de la sexualité est consubstantiel-
lement liée à l’aliénation du sens, par le sens. Ce qui est difficile, ce
n’est pas de libérer la sexualité selon un projet plus ou moins liber-
taire, c’est de la dégager du sens, y compris de la transgression comme
sens. Voyez encore les pays arabes. On y transgresse aisément cer-
taines règles de la «bonne » sexualité par une pratique assez facile
de l'homosexualité (à condition de ne jamais la 20mmer : mais c’est
là un autre problème, le problème immense de la verbalisation du
sexuel, barrée dans les civilisations à «honte », cependant que cette
même verbalisation est chérie — confessions, représentations porno-
graphiques — des civilisations à « culpabilité ») ; mais cette transgres-
sion reste implacablement soumise à un régime du sens strict: l’ho-
mosexualité, pratique transgressive, reproduit alors immédiatement
en elle (par une sorte de colmatage défensif; de réflexe apeuré) le
paradigme le plus pur qu’on puisse imaginer, celui de l’actif/passif,
du possédant/possédé, du niqueur/niqué, du tapeur/lapé {ces mots
«pieds-noirs » sont ici de circonstance : encore la valeur idéologique
de la langue). Or le paradigme, c’est le sens; aussi, dans ces pays,
toute pratique qui déborde lalternative, la brouille où simplement
la retarde (ce que certains appellent dédaigneusement, là-bas, faire
l'amour) est d’un même mouvement interdite et inintelligible. La « déli-
catesse » sexuelle s'oppose au caractère fruste de ces pratiques, non
sur le plan de la transgression, mais sur celui du sens; on peut la
définir comme un brouillage du sens, dont les voies d’énonciation
sont : ou des protocoles de « politesse », ou des techniques sensuelles,
ou une conceplion nouvelle du «temps » érotique. On peut dire tout
cela d’une autre manière : l’interdit sexuel est entièrement levé, non
au profit d’une «liberté » mythique (concept tout juste bon pour satis-
faire les timides fantasmes de la société dite de masse), mais au pro-
fit de codes vides, ce qui exonère la sexualité du mensonge sponta-
néiste. Sade a bien vu cela : les pratiques qu’il énonce sont soumises
à une combinatoire rigoureuse; cependant, elles restent marquées
d’un élément mythique proprement occidental: une sorte d’éré-
thisme, de transe, ce que vous appelez très bien une sexualité chaude :
et c’est encore sacraliser le sexe en en faisant l’objet, non d’un hédo-
nisme, mais d’un enthousiasme (le dieu l’anime, le vivifie).
1 0 O0 0
COOATERTSE MERNTL TANMTMRYENT
ITEMN :S LODTET4
6. SIGNIFIANT
Le signifiant : il faut nous résoudre à abuser encore longtemps
du mot (notons une fois pour toutes que nous n’avons pas à le défi-
nir, mais à l’employer, c’est-à-dire à le métaphoriser, à l’opposer
— notamment au signifié, dont on a cru, au début de la sémiologie,
qu’il était le simple corrélat, mais dont nous savons mieux aujour-
d’hui qu’il est l'adversaire). La tâche actuelle est double. D’une part,
il faut arriver à concevoir (j'entends par ce mot une opération plus
métaphorique qu’analytique) comment peut s’énoncer contradictoi-
rement /a profondeur et la légèreté du signifiant (n'oublions pas que
léger peut être un mot nietzschéen) ; car, d’un côté, le signifiant n’est
IMOMOMI
C''OAULR S5 FEI EZNNT IRMENE JIMAN".S DUO 1
INONON?
G'ONUVR SU EUT CENUIDIR
SEUTS TB IN,S 19 Tel
en Orient, puisque c’est bien là, un peu au sud du Japon, que cette
contradiction se joue de la façon la plus décisive, là où l’affron-
tement des signes a laissé place à celui des armes.
7. ARMES
Vous opposez d’une manière très frappante les signes aux armes,
mais selon un processus encore substitutif, et vous ne pouvez faire
autrement ; car les signes et les armes, c’est la même chose; tout
combat est sémantique, tout sens est guerrier; le signifié est le nerf
de la guerre, la guerre est la structure même du sens; nous sommes
actuellement dans la guerre, non du sens (une guerre pour abolir le
sens), mais des sens: des signifiés s'affrontent, munis de toutes les
sortes d’armes possibles (militaires, économiques, idéologiques, voire
névrotiques) : il n’y a actuellement dans le monde aucun lieu insti-
tutionnel d’où le signifié soit banni (on ne peut aujourd’hui chercher
à le dissoudre qu’en trichant avec les institutions, dans des lieux
instables, fugitivement occupés, inhabitables, contradictoires au point
d’en paraître parfois réactionnaires). Pour ma part, le paradigme sur
lequel en toute rigueur (c’est-à-dire au-delà d’une position politique
préférentielle) j'essaye de me régler, n’est pas : impérialisme/socia-
lisme, mais : impérialisme/autre chose; cette levée de la marque au
moment où le paradigme va se conclure, cette opposition rendue boi-
teuse par le raccourci, le supplément ou la déviation du neutre, cette
béance d’utopie, il faut bien m’y résoudre, est le seul lieu où je puisse
actuellement me tenir. L’impérialisme, c’est le plein; en face, il y a
le reste, non signé: un texte sans titre.
PROMESSE
printemps 1971
HNONONS
Entretien (A conversation
with Roland Barthes)
Vous avez parlé d’une certaine distance qui vous sépare main-
tenant de vos travaux antérieurs, et vous avez également dit que
l'écrivain « doit tenir ses anciens textes pour des textes autres,
qu’il reprend, cite ou déforme comme il le ferait d’une multitude
d’autres signes !». IL semble d’ailleurs que vous avez toujours eu
pleine conscience d'occuper une position relative dans l’histoire
de l’élaboration d’un savoir, la sémiologie (ainsi Système de la
Mode est reconnu par vous, au moment même de son édition,
comme déjà une histoire de la sémiologie). Pourriez-vous indi-
quer quelles sont vos préoccupations actuelles, et en quoi elles
développent vos anciens travaux ou s’en éloignent ?
L'UOMO"A
C'OMRMR SL UMERTI CENNMIMRMENT T'ÉEMNNS: WAUO
67 4
1MO0NONG
GLOMEMRIS MENT MIE EN ATNER ZE OT (TÉEENES LEO MNT
C’est ce que vous avez essayé dans L'Empire des signes, n'est-ce pas ?
MONO
COUT ERAS ME STIMENNETMRTEMINITENNSSMIARD ATEN
IMOMUOMS
CO AUTER St FEMME NNATIRIENT
TIEUN S2 110467À
Or, plus récemment, vous vous êtes plutôt proposé comme objet
«la reproduction de la production d’un texte» (ce que vous
appelleriez, je crois, sa structuration), déclarant notamment aussi
que « chaque texte est son propre modèle !», et, au cours du cha-
pitre liminaire de S/Z, vous indiquez clairement votre distance
à l’égard de cette poétique scientifique. Voyez-vous cette modifi-
cation comme un développement inévitable de la poétique struc-
turale, ou comme un changement plus radical, et comment situe-
riez-vous votre analyse de Sarrasine dans ce contexte ? En quoi
l'approche structuraliste a-t-elle eu à se modifier en confrontant
le texte littéraire comme objet d'étude ?
HOMO 9
CROMURRS SRE STIMENNATIRMENDUMENNNS ER 07
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COAOMIERISEMERTE MEONNTERMEAUT ITEMNPS 1097 I
En fait, ce que j’ai essayé d’amorcer dans S/7, c’est une identi-
fication des notions d'écriture et de lecture: j'ai voulu les « écraser »
lune dans l’autre. Je ne suis pas le seul, c’est un thème qui circule
dans toute lavantgarde actuelle. Encore une fois, le problème n’est
pas de passer de l'écriture à la lecture, ou de la littérature à la lec-
ture, ou de l’auteur au lecteur; le problème est un problème, comme
on l'a dit, de changement d'objet, de changement de niveau de per-
ception : l’écriture et la lecture doivent se concevoir, se travailler, se
définir, se redéfinir toutes les deux ensemble. Car, si l’on continue
à les séparer (et cela est souvent très insidieux, très perfide, on est
sans cesse ramené vers une séparation de l'écriture et de la lecture),
que se passe-t-il? À ce moment-là, on produit une théorie de la lit-
térature qui, si on isole la lecture de l'écriture, ne pourra jamais être
qu'une théorie d'ordre sociologique ou phénoménologique, selon
laquelle la lecture sera toujours définie comme une projection de
l'écriture et le lecteur comme un «frère» muet et pauvre de Pécri-
vain. On sera une fois de plus entraîné en arrière vers une théorie
de l’expressivité, du style, de la création ou de linstrumentalité du
langage. Il faut par conséquent bloquer les deux notions.
1MOMAE 5
C'OMDERIS ME RETI ME ANIEIR
ENT TEE ANS MALE ETES
Cela ne veut pas dire que, transitoirement, il n’y ait pas des pro-
blèmes de lecture qui soient d'ordre, si je puis dire, réformiste : c’est-
à-dire qu’effectivement il y a un problème réel, pratique, humain,
social, qui est de se demander si l’on peut apprendre à lire des textes,
ou si l’on peut modifier la lecture réelle, pratique, par rapport à des
groupes sociaux, si l’on peut apprendre à lire ou à ne pas lire ou à relire
des textes hors du conditionnement scolaire et culturel. Je suis persuadé
que tout cela n’a pas été étudié ni même posé. Par exemple, nous
sommes conditionnés à lire la littérature selon un certain rythme de la
lecture: il faudrait savoir si, en changeant le rythme de la lecture, on
n’obtiendrait pas des mutations de compréhension; en lisant plus vite
ou plus lentement, des choses qui paraissaient complètement opaques
pourraient devenir éblouissantes. Il y a aussi par exemple — je cite là
des problèmes techniques de lecture — le problème du conditionnement
au développement, au déroulement de l’histoire racontée, dont nous ne
supportons pas qu’elle se répète. C’est d’ailleurs assez paradoxal que
notre civilisation endoxale, civilisation de masse, qui vit, est empoissée,
dans un monde de stéréotypes et de répétitions, se déclare avec beau-
coup de grandiloquence absolument allergique à tout texte qui semble
se répéter, qui semble contenir des répétitions. On en a un exemple
tout récent avec le livre de Guyotat Eden Eden Eden qui est très hypo-
critement décrété illisible par la presque totalité de la critique parce
qu’il semble se répéter. Il faudrait essayer de suggérer aux lecteurs qu’il
y à plusieurs modes de lecture possibles, et qu’on n’est pas obligé de
lire un livre dans un déroulement linéaire et continu; rien n’oblige à
lire Guyotat comme un roman de Guy des Cars, ou même comme L'’Edu-
cation sentimentale, du début à la fin, mais les gens ne l’admettent pas.
Grand paradoxe : ils admettent très bien de ne pas lire la Bible de bout
en bout, mais ils n’admettent pas de ne pas lire Guyotat de bout en bout!
Il y a donc là des problèmes de conditionnement de lecture qu’il fau-
drait un jour au moins formuler, poser d’une façon revendicative.
140 A6
COD'AUMR SERIE NAT ERME NT INEUN S% Mi9
47
MONT
Cr OMER, SE MEMDIMENINETERPERTAIMEENES 1e 97e d
Est-ce que je sens des contraintes ? Je sens que, d’un certain point
de vue, je devrais vous répondre oui, car enfin cela serait complète-
ment démentiel de penser que j'écris sans contraintes. Mais en même
temps, sur un plan existentiel, je peux dire que je n’éprouve pas de
contraintes dans ce que je fais. Pourquoi ? Disons que je prends du
plaisir (au sens fort du terme) à jouer le jeu social, non pas d’une
façon emphatique et pleine, mais, à un niveau plus profond, en vertu
d’une certaine éthique du jeu; cela fait qu’au fond, au niveau du sort
de ce que j'écris ou de l'insertion de ce que j'écris dans ma société,
je n’ai aucune revendication personnelle à formuler : je n’ai ni plainte
ni désir à formuler. J'écris, cela se lance dans la communication : un
point c’est tout. Je n’ai rien de plus à en dire, et je dirais même que
12 DANS
CROMTER SRE ME NATIRMENT T'IBAN S 11967 À
Absolument. A tel point que je suis fasciné par des formes agres-
sives de code, comme la bêtise.
D'ailleurs, pour essayer de revenir un peu à la question des
contraintes, je dirais que, ce qu’il faudrait faire, c’est retracer non
pas la biographie d’un écrivain, mais ce qu’on pourrait appeler Péceri-
ture de son travail, une sorte d’ergographie. En ce qui me concerne,
l’histoire de ce que j'ai écrit est l’histoire d’un jeu, c’est un jeu suc-
cessif où j'ai essayé des textes: c’est-à-dire que j'ai essayé des
registres de modèles; j’ai essayé des champs de citations. Ainsi le
Système de la Mode est un certain registre de citations, de modèles,
tourné beaucoup plus vers une écrivance que vers une écriture, Pour-
quoi ? Parce qu’en réalité pour mon travail sur la mode, écriture à
été dans la fabrication du système, c’est-à-dire dans le bricolage, et
non pas dans le compte rendu, la scription du livre. Là, pour une
fois, l'écriture n’est vraiment pas dans le livre : elle à été dans ce que
j'ai fait tout seul avant et c’est d’ailleurs de cela que je me souviens.
Tandis que pour L'Empire des signes, c’est tout différent : ici, je me
suis donné la liberté d'entrer complètement dans le signifiant, c’est-
à-dire d'écrire, même au sens stylistique dont nous parlions tout à
l'heure, et notamment le droit d'écrire par fragments. Evidemment,
(ROMAN
CNOAUMRESA ME MTIMENNETMAREEAIMIRE
AN SH 00 A7
Pour vous répondre, je jouerai un peu sur les mots. Vous dites:
«Comment concevez-vous cette fin du livre»; je ne sais pas bien
répondre au verbe lui-même. En fait, je ne prévois pas cette fin du
livre, c’est-à-dire que je ne peux pas la faire entrer dans une pro-
grammation historique ou sociale; tout au plus pourrais-je la voir,
en tant que voir s'oppose à prévoir comme une activité utopique et
fantasmatique. Mais, au vrai, je ne peux pas voir la fin du livre parce
que ce serait voir ma propre mort: je suis incapable de voir la fin du
livre autrement que ma propre mort; c’est dire que je peux à peine
en parler, sinon mythiquement, comme prise dans un jeu héracli-
téen qui fait tourner l’histoire.
Cela dit, je peux ajouter, en vous donnant une réponse plus réa-
liste et plus inquiète, que la barbarie (cette barbarie que Lénine posait
comme lalternative même du socialisme) est toujours possible. On
peut dès lors avoir une vision apocalyptique de la fin du livre : le livre
ne disparaîtrait pas — loin de là -, mais il triompherait sous ses formes
les plus abjectes : ce serait le livre de la communication de masse,
le livre de la consommation, disons le livre capitaliste au sens où une
société capitaliste ne laisserait plus à ce moment-là aucun jeu pos-
sible à des formes marginales, où il n’y aurait plus aucune tricherie
possible. Alors, à ce moment-là, ce serait la barbarie intégrale: la
NOM
Gao U IR S B'APÉLOIPONSTERTENT
TÉEUN :S LEO TN
Oui, c’est cela que j'ai voulu faire dans S/Z. Je n’excommunie
pas ce que j'appelle la critique en do majeur, mais justement, j’op-
pose aux rôles critiques l’activité critique, qui est tout simplement
une activité d'écrivain, qui n’est plus une activité de critique. C’est
une activité du texte, de l’intertexte, du commentaire, en ceci qu’au
fond on peut concevoir (du moins pour ma part je le conçois) d'écrire
10:27 À
CLOMU RES? MENT MEN RTMR ET ETAIMEENSSERTROINT EE
infiniment sur des textes passés. J’ai un peu l’idée que maintenant
on pourrait très bien concevoir une époque où on n’écrirait plus
d'œuvres au sens traditionnel du terme, et l’on réécrirait sans cesse
les œuvres du passé, «sans cesse » au sens de «perpétuellement » :
c’est-à-dire qu’au fond il y aurait une activité de commentaire pro-
liférant, bourgeonnant, récurrent, qui serait véritablement l’activité
d'écriture de notre temps. Après tout, ce n’est pas impensable, puisque
le Moyen Age a fait cela, et encore vaudrait-il mieux retourner au
Moyen Age, à ce qu’on appelle la barbarie du Moyen Age, qu’à une
barbarie de la répétition ; il vaudrait mieux réécrire Bouvard et Pécu-
chet perpétuellement plutôt que de rester dans la répétition inavouée
des stéréotypes. Ce serait évidemment un commentaire perpétuel qui,
grâce à des élucidations théoriques fortes, dépasserait le stade de la
paraphrase pour casser les textes et obtenir autre chose.
Je ne sais pas très bien répondre. Je ne sais pas s’il faut ensei-
gner la littérature. Si lon pense qu’il le faut, on doit alors accepter
une perspective, disons, réformiste, et dans ce cas on fait de
l«entrisme »: on entre dans l’Université pour changer les choses,
dans les écoles, dans les lycées pour changer l’enseignement de la
littérature. Dans le fond, je serais plutôt enclin, par tempérament per-
sonnel, à ce réformisme provisoire, localisé. Dans ce cas, la tâche de
l’enseignement serait de faire éclater le texte littéraire le plus lar-
gement possible. Le problème pédagogique serait de bousculer la
notion du texte littéraire et d'arriver à faire comprendre aux ado-
lescents qu’il y a du texte partout, mais que tout n’est pas texte non
plus ; je veux dire qu’il y a du texte partout et en même temps de la
répétition, du stéréotype, de la doxa partout. Le but, c’est cela: le
départage entre ce texte qui n’est pas seulement dans la littérature
et l'activité névrotique de répétition de la société. Il faudrait faire
admettre aux gens qu’on a le droit d'accéder aux textes non impri-
més en lant que textes, comme je l’ai fait par exemple pour le Japon,
en apprenant à lire le texte, le tissu, de la vie, de la rue. Il faudrait
peut-être même refaire des biographies en tant qu’écritures de vie,
non plus appuyées sur des référents d'ordre historique ou réel. Il y
aurait là un ensemble de tâches qui seraient en gros des tâches de
dépropriation du texte.
110492
Réponses
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CAO MUMRN SAME CRE EN AIR AT SIOUMEMNES 129
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Vous n'avez pas publié de livre sur le théâtre. Vos écrits sur le
théâtre se retrouvent dispersés dans Mythologies, Sur Racine et
Essais critiques, ou bien n'ont pas été repris en volume. Pourquoi ?
DMC
GRONUMRES ONE MEANEONALER
ME MENT IE MNES LAS ATAT
Vous avez plusieurs fois insisté sur l’importance, dans votre « évo-
lution », de l'essai « Le Mythe, aujourd’hui » (1956) qui termine les
Mythologies. Or, après la publication des Mythologies, vous n’al-
Lez publier aucun livre pendant cinq ans. Bien que les livres pos-
térieurs reprennent des textes écrits en fait pendant ces années,
est-ce que ce silence indique une «crise»? des «difficultés »,
d'ordre « poétique » ou scientifique ?...
MONS
CLOMUMRESS MENT FRENIEMR
MIE MMM NES MALE EL
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GC OMR Sr VEN EN MIMREE ET) TIME ANLS 1,00) £7i À
Lacan, Todorov, Genette, Derrida, Kristeva, Tel Quel, Sollers) qui fait
le sujet du séminaire auquel je désire travailler pour 1971-1972. Car
si c’est bien la linguistique qui a posé le cadre opératoire de la sémio-
logie, celle-ci ne s’est modifiée et approfondie que sous la lumière
d’autres disciplines, d’autres pensées, d’autres exigences : l’ethnolo-
gie, la philosophie, le marxisme, la psychanalyse, la théorie de lécri-
ture et du texte (et encore est-il faux de «ramener » ces disciplines
à la sémiologie, sous prétexte qu’on est « sémiologue » : il y a une dis-
location générale vers autre chose).
1 0 5 6
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CUONDÉRS SEE NT IMENNATIRER
MIT TIEENNS 190721
Je n’ai jamais écrit qu’un seul texte «pour rien», mon premier
texte, celui que j'ai montré à Nadeau vers 1946, qui n’a pas été publié
mais qui a déterminé les demandes suivantes. À part ce premier texte
zéro, Lous mes autres textes ont été écrits à la demande (lorsqu'on
me laisse libre du sujet) ou à la commande (si l’on me donne le sujet,
ce dont je ne me plains pas forcément). En somme j’ai toujours écrit
pour répondre à l'incitation de quelqu'un. C’est dire que la vie pas-
sant et drainant un nombre croissant de relations et de situations,
j'ai de plus en plus de travail « devant moi » — et donc que je suis tou-
jours en retard; je passe mon temps à me faire des «programmes »
(dans l’espoir magique qu’inscrire un projet, c’est déjà l'avoir réa-
lisé), que j’affiche devant moi, puis que je reprends parce qu'ils ne
sont plus à jour. Il y a dans le «métier » intellectuel (car c’est un
métier) un vertige bien connu : ce vertige tient à la contradiction qui
s’élablit entre la pression des demandes, qui provoque une itlusion
de vilalilé, comme si vous étiez quelqu'un de nécessaire, et la gra-
tuité de la pratique d'écriture, dont on se remparde, comme dirait
Lacan, en se redisant que l'écriture est une tâche politique, contre-
idéologique, etc. : un travail qui est demandé par l'Histoire. Un moyen
de limiter ce vertige sans entrer pour autant dans l'imaginaire des
fausses raisons est, si je puis dire, de /onctionnariser la pratique d’écri-
ture, c’est-à-dire de la régulariser par une ascèse horaire ; pour ma
part, j'essaye de réserver, envers et contre tout, chaque matinée à un
travail d'écriture.
Ecrire pour répondre à une demande (ou à une commande) est
une «tâche ». Je vais donc ainsi de tâche en tâche, ce qui n'exclut en
rien la jouissance de l'écriture, ni même, si je puis dire, ses «rêves ».
Un rêve d'écriture n’est pas forcément compact; on ne forme pas le
projet d’un livre d’une façon organisée, volontaire, justifiée, mais plu-
tôt par bribes de désir, éclats d’envie, qui surgissent à n’importe quel
contact proposé par la vie et qui ne portent pas forcément sur des
idées importantes; avant d’avoir conçu un livre, avant d’avoir la
moindre idée de ce qu’il sera ou même qu'il puisse un jour exister,
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ture lui interdit d'écrire. Ce que l'écriture n’écrit jamais, c’est Je; ce
que la parole dit toujours, c’est Je; ce que l’intervieweur doit sollici-
ter, c’est donc l’imaginaire de l’auteur, la collection de ses fantasmes,
pour autant qu’il puisse les réfléchir, les énoncer dans cet état fra-
gile (qui serait alors, d’une façon spécifique, celui de la parole inter-
viewée) où ils sont assez articulés pour être dits et insuffisamment
liquidés pour pouvoir être écrits (par exemple, en ce qui me
concerne : la musique, la nourriture, le voyage, la sexualité, les habi-
tudes de travail).
Quant à la «postérité », que dire ? C’est un mot mort pour moi
(ce qui n’est que lui rendre la monnaie de sa pièce, puisqu'il n’éta-
blit sa validité que sur ma propre mort). J’estime avoir jusqu'ici très
bien vécu (je veux dire : heureusement, d’une façon distractive, en
état de jouissance) avec une petite portion de mon époque et de mon
pays; je m’épuise entièrement dans cette simultanéité, dans cette
concomitance ; je ne suis qu’un contemporain particulier, ce qui veut
dire : voué de mon vivant à l’exclusion d’un grand nombre de lan-
gages, et voué ensuite à la mort absolue; enfoui dans les Archives
(du xx® siècle), j’en ressortirai peut-être un jour fugitivement, témoin
parmi d’autres, dans une émission du Service de la Recherche sur
le «structuralisme », la « sémiologie », la «critique littéraire ». Vous
imaginez si l’on peut vivre, travailler, désirer, pour cela! De toutes
manières, la seule pensée eschatologique que je puisse avoir ne sau-
rait concerner « ma » survivance ; si un jour les rapports du sujet et
du monde devaient être changés, des mots tomberont, comme dans
cette tribu mélanésienne où, à chaque mort, on supprime quelques
vocables du lexique, en signe de deuil; mais ce sera alors plutôt en
signe de joie; ou du moins ils rejoindront ce musée d'archéologie
sociale et burlesque, dont rêvait Fourier pour la distraction des
enfants phalanstériens : ainsi, sans doute du mot « postérité », et peut-
être même de tous les « possessifs» de notre langue, et, pourquoi
pas, du mot «mort» lui-même. Ne peut-on concevoir la création
d’une communauté telle (inouïe des religions elles-mêmes), que la
solitude affreuse de la mort (éprouvée d’abord dans la peur de perdre
ceux qu’on aime) y serait impossible ? N’y aura-t-il pas un jour une
solution socialiste à l'horreur de la mort? Je ne vois pas pourquoi la
mort ne serait pas un problème socialiste. Quelqu'un (Gurvitch, je
crois) citait ce mot de Lénine ou de Trotsky (je ne sais plus lequel,
mais c’était en pleine révolution d'Octobre et la distinction n’avait
pas encore cours) : « Et si le soleil est bourgeois, nous arrêterons le
soleil ». C’est là un mot spécifiquement révolutionnaire (qui ne peut
être produit qu’en période révolutionnaire); quel marxiste aujour-
d’hui oserait s’écrier : « Et si la mort est bourgeoise, nous arrêterons
la mort » ?
1 O 4# 5
ChHONUMRSSEME CT MENNALMRSE
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DETROUET
automne 1971
1 O0 4 4
Voyage autour de Roland Barthes
Où4 5
CIOZLUMRXS FENTE ENT RME EN IAANSS ARLON TE
R.B. - Tous les trois sont des fondateurs, des classificateurs car à
partir de l’idiome qu’ils connaissaient, chacun a fondé une langue
seconde, qui est faite à son tour d'unités, de morphèmes, de « mots »
et de règles d’agencement. Voilà si vous voulez le pivot qui relie trois
œuvres par ailleurs dissemblables. Et sans doute tout écrivain ne tra-
vaille-t-il que comme créateur d’une langue seconde; il n’est pas utile
d’insister sur ce point qui rejoint tous les débats actuels centrés autour
des phénomènes de démultiplication du langage, avec formation de
sous-langues, de sur-langues. Il reste que, parmi ceux qui écrivent, j’ai
choisi Fourier, Sade et Loyola comme créateurs d’une langue seconde.
Pourquoi donc ces trois-là ? C’est que leur travail ne se limite pas
à créer un style, comme chez Flaubert, Stendhal, un style fonctionnant
comme les langues dites naturelles. L'ouvrage des trois modèles de
Barthes est bien différent.
R.B. - Oui, pour réaliser leur dessein de créer une langue seconde
avec les matériaux de la première langue, ils ont tous les trois tracé
d’abord une sécession d’avec le monde, ou d'avec les autres langues
jugées oiseuses. IIS ont mis au point des sortes de protocoles de
retraite : pour Sade, c’est l’enfermement, pour Fourier le phalans-
tère, pour Loyola, le lieu de retraite. Il s’agit chaque fois de couper
le langage nouveau, par une opération matérielle, de le couper du
monde qui pourrait perturber le sens nouveau. Ils créent ainsi un
espace pur, un espace sémantique.
1 0 4 6
CPOMURNISE MENT I TE RNRTAIRMEMLTITEMNNSS 1 LOFT
Est-ce que tout cela est clair ? Et d’ailleurs, ce sont des choses que
je connais, n'est-ce pas, oui, Roland Barthes est vraiment très gentil,
presque on dirait qu'il s'excuse de se livrer à une sorte de cours devant
moi el en effet, à cause de ces longues années d'enseignement, il est
vrai que sa parole s’agence naturellement en discours, et s’il écoute
soigneusement toutes les questions qui lui sont posées, s'il y répond avec
précision, on dirait en même temps qu'il les efface pour les noyer dans
le flux même de son discours. Quand, par exemple, je lui demande si
sa démarche, face à la singularité de ses trois modèles, ne risque pas
d'en affaiblir les dissemblances, il répond :
MOMENT
CIO AURAS ME ATAME MNT AR AE INTENSE MIDI
1 0 48
Clôture du périple autour de Sade, Loyola, Fourier. Commence
un autre voyage, autour de Roland Barthes. Ce qui nous y convie est
le numéro spécial que la revue Tel Quel consacre à Barthes.
R.B. — Y croient-ils? Il est vrai que pour ma part j'ai cru, ou bien
voulu croire, à une science du discours mais je ne sais pas, en avan-
çant en âge, peut-être devient-on, contrairement à ce qui se dit, plus
libre, la science me fait moins envie, de plus en plus, je suis sensible
au plaisir du texte, non à sa loi.
Au fond, je me vois, tout au long de ma vie, comme n’ayant eu
qu’un seul investissement et c’est dans le langage. Jai eu toujours
des rapports ambivalents avec le langage, que j’éprouve à la fois
comme érotisé et coercitif. Puisque vous m’interrogez sur moi, c’est
cela qui m’apparaît: il y a une grande fidélité au niveau du désir, et
c’est cette relation au langage. Mais en même temps, il y a une grande
souplesse, ou une grande infidélité dans le champ intellectuel.
Je ne suis pas un grand lecteur. Je ne suis pas non plus un grand
débatteur. Bref, je ne suis pas un véritable intellectuel...
1mMO 40,9
EL OMR SEE NME ENTRER
ME ANLSS AIS 5001
R.B. — La poésie dont vous parlez n’est sans doute que le plaisir
d'écrire, garant lui-même du plaisir de lire. Je suis sûr que c’est vers
ce plaisir qu’il faut aller, mais la seule condition d’intellectuel, de
professeur ou d’essayiste responsable vous en éloigne sans cesse; le
plaisir du texte se conquiert lentement, parfois durement. Si vous
écrivez un jour une étude sur les intellectuels, il faudra bien tenir
compte de ces aventures du désir.
LA QUINZAINE LITTÉRAIRE
1-15 décembre 1971
1m OMS 0
Chronologie
Index
Table
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LL
es
eo
Cet index comprend les noms propres, les principales revues, les titres des
œuvres et les noms des personnages de fiction! cités par Roland Barthes.
Nous avons indiqué les prénoms, que Roland Barthes ne donne presque
Jamais, les dates de naissance et de mort, ou, à défaut, la fonction, le champ
d'activité des personnes citées, ou encore le titre supposé du livre auquel
Barthes fait allusion : celui-ci est alors signalé entre crochets, par exem-
ple : Van GINNEKEN le Père Jacques (1877-1945, jésuite et linguiste hol-
landais [La Reconstruction typologique des langues archaïques de l’hu-
manité, Amsterdam, 1939]). De la même manière, lorsque le titre donné
par Barthes est incomplet ou lorsqu'une indication bibliographique est
trompeuse, nous indiquons entre crochets l'information plus exacte : ainsi,
l’œuvre de Vuillaume datée de 1938 par Barthes n'est qu'une réédition,
aussi signalons-nous le titre suivi de l'information : [Cours complet de rhé-
torique, 1857, rééd. 19381].
J'adresse ici ma gratitude à Yoshiko Ishikawa pour l'aide qu'elle m'a appor-
tée dans l'indexation des noms japonais.
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INDEX
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Table du tome III
Présentation
1968
Textes
L'EFFET DE RÉEL 25
Communications, n° 11, mars 1968 (repris dans
Le Bruissement de la langue, Seuil, 1984, abrégé en BL
pour la suite).
LEÇON D’ÉCRITURE 33
Tel Quel, n° 34, été 1968. (Première version de l’ensemble
intitulé «Les trois écritures » présent dans L'Empire
des signes.)
LA MORT DE L'AUTEUR 40
Manteia, n° 5, 4° trimestre 1968 (publié d’abord en anglais
sous le titre « The death of the author », Aspen Magazine,
n° 5-6, automne-hiver 1967, repris dans BL).
L’ÉCRITURE DE L'ÉVÉNEMENT 46
Communications, n° 12, novembre 1968 (repris dans BL).
(Sur mai 1968.)
LINGUISTIQUE ET LITTÉRATURE 52
Langages, n° 12, décembre 1968. (Présentation
du numéro sur ce thème.)
SOCIÉTÉ, IMAGINATION, PUBLICITÉ 60
Dans Publicità e televisione, sous le titre « Società,
immaginazione, publicità », RAI, Rome, 1968.
Cours
ANALYSE STRUCTURALE D'UN TEXTE NARRATIF :
« SARRASINE » DE BALZAC 75
Ecole pratique des hautes études, 1967-1968.
Entretiens
STRUCTURALISME ET SÉMIOLOGIE (avec Pierre Daix) ——— 77
Lettres françaises, n° 1245, 51 juillet 1968.
JAPON : L'ART DE VIVRE, L'ART DES SIGNES 84
(avec G. Gauthier et P. Pilard)
Image et son, décembre 1968.
1969
Textes
ALEJANDRO 95
Prospectus de l’exposition Ramon Alejandro (Galerie Maya,
Bruxelles, février 1969).
LA PEINTURE EST-ELLE UN LANGAGE ? 97
La Quinzaine littéraire, 1° mars 1969 (repris dans L'’Obvie
et l’obtus, Seuil, 1982, puis coll. « Points », 1992, abrégé
en O0 pour la suite). (Sur le livre de Jean-Louis Schefer,
Scénographie d’un tableau, coll. « Tel Quel», Seuil.)
DIX RAISONS D’ÉCRIRE 100
Corriere della sera, 29 mai 1969, sous le titre « Dieci ragioni
per scrivere ».
« D'UN SOLEIL RÉTICENT » 102
Le Nouvel Observateur, 17 juin 1969. (Sur le recueil
de poèmes de Zaghloul Morsy, Grasset.)
UN CAS DE CRITIQUE CULTURELLE 104
Communications, n° 14, novembre 1969. (Sur les hippies.)
Cours
ANALYSE STRUCTURALE D'UN TEXTE NARRATIF :
«SARRASINE » DE BALZAC (suite) 111
Ecole pratique des hautes études, 1968-1969.
Entretiens
ENTRETIEN ds
Umi, 1, n° 1, Tokyo, juin 1969.
1970
Livres
« SZ » 119
Seuil, coll. « Tel Quel », 1970. (Réédition en collection
de poche, Seuil, coll. « Points », 1976.)
« L/EMPIRE DES SIGNES» 347
Coll. «Les Sentiers de la création », Skira, 1970. (Réédition
en collection de poche, Flammarion, coll. « Champs », 1980.)
Textes
1971
Livre
«SADE, FOURIER, LOYOLA » 699
Seuil, coll. « Tel Quel», 1971. (Réédition en collection de
poche, Seuil, coll. « Points », 1980.)
Textes
L’ÉBLOUISSEMENT 871
Le Monde, 11 mars 1971 (repris dans Obliques, n° 20-21,
spécial « Brecht», et dans BL). (Sur le retour du Berliner
Ensemble à Paris.)
LA MYTHOLOGIE AUJOURD'HUI 873
Esprit, avril 1971, sous le titre « Changer l’objet lui-même »
(repris dans BL).
ARTAUD : ÉCRITURE/FIGURE 877
Texte daté par R.B. du 21 juin 1971 et qui devait servir
de préface à un livre non publié de B. Lamarche-Vadel
sur Antonin Artaud. (Ce texte a paru dans Luna-Park,
n° 7, mars 1981.)
LA PAIX CULTURELLE 880
Times Literary Supplement, 8 octobre 1971, sous le titre
«Languages at war in a culture at peace » (repris dans BL).
UN TRÈS BEAU CADEAU 885
Le Monde, 16 octobre 1971 (repris dans BL). (Sur l’œuvre
du linguiste Roman Jakobson).
ÉCRIVAINS, INTELLECTUELS, PROFESSEURS 887
Tel Quel, n° 47, automne 1971 (repris dans BL).
DE L'ŒUVRE AU TEXTE 908
Revue d'esthétique, n° 5, 5° trimestre 1971 (repris dans
BL). (Texte issu d’une conférence à la faculté des lettres
de Lausanne en 1971.)
UNE IDÉE DE RECHERCHE (OH ré
Paragone, n° 261, Florence, octobre 1971 (repris dans
De Shakespeare à Beckett. Mélanges offerts à Henri
Fluchère, Didier, 1976, et dans Recherches de Proust, Seuil,
coll. « Points », 1980, et BL). (Sur Proust.)
ERTÉ OU À LA LETTRE
Dans Ærté, F.M. Ricci, Parme, 1971, sous le titre
« Letteralmente », puis en français, F.M. Ricci, Paris, 1973
(repris dans O0).
RÉFLEXIONS SUR UN MANUEL
Dans L’Enseignement de la littérature (colloque Cerisy,
1969), Plon, 1971 (repris dans BL). (Sur le « Lagarde et
Michard ».)
PRÉFACE 952
Préface au livre de Savignac, Défense d'afficher, Delpire,
1971.
LES SUITES D’ACTIONS 962
Dans Patterns of Literary Style, sous le titre « Action
sequences », The Pennsylvania State University Press,
University Park et Londres, 1971 (repris dans AS).
LE STYLE ET SON IMAGE
Dans Literary Style. À Symposium, sous le titre «Style and
its image », Oxford University Press, Londres et New York,
1971, repris dans BL). (Colloque de Bellaggio, 1969.)
Cours
LA NOTION D’IDIOLECTE : PREMIÈRES QUESTIONS,
PREMIÈRES RECHERCHES 985
Ecole pratique des hautes études, 1970-1971.
Entretiens
ROLAND BARTHES CRITIQUE (avec Edgar Tripet) 988
La Gazette de Lausanne, 6 février 1971 (repris dans GP).
DIGRESSIONS (avec Guy Scarpetta)
Promesse, n° 29, printemps 1971 (repris dans GY).
ENTRETIEN (avec Stephen Heath)
Signs of the Times, Cambridge, 1971 (repris dans GP).
RÉPONSES (avec Jean Thibaudeau)
Tel Quel, n° 47, automne 1971.
CHRONOLOGIE
, Michelet
« Ecrivains de toujours », 1954
réédition en 1995
Mythologies, 1957
et « Points Essais », 1970, n° 10
S/Z, 1970
et « Points Essais », 1976, n° 70
Roland Barthes
«Ecrivains de toujours », 1975, 1995
Poétique du récit
(en collaboration)
«Points Essais », 1977, n° 78
Leçon, 1978
et «Points Essais », 1989, n° 205
Littérature et Réalité
(en collaboration)
«Points Essais », 1982, n° 142
Essais critiques IV
Le Bruissement de la langue, 1084
et «Points Essais », 1993, n° 258
Incidents, 1987
ŒUVRES COMPLÈTES
t. 1, 1949-1965
1993
t. 2, 1966-1973
1994
t 5, 1974-1980
1995
Le Plaisir du texte
précédé de Variations sur l'écriture
(préface de Carlo Ossola)
2000
Erté
Ricci, 1975
Archimboldo
Ricci, 1978
La Chambre claire
Gallimard/Seuil, 1980, 1989
Sur la littérature
(avec Maurice Nadeau)
PUG, 1980
La Tour Eiffel
(en collaboration avec André Martin)
CNP/Seuil, 1989, 1999
Janson
Altamira, 1999
1 cs ie
darCa a tardsoins
Portrait de Roland Barthes, p. 7 : photo Louis Monier.
— En frontispice de S/Z (p. 120) : tableau de Girodet, Le Sommeil d'Endymion
(musée du Louvre/photo Bulloz). — Les crédits photo de L'Empire des signes font
objet d’une table p. 441-444. — Les photogrammes de $S. M. Eisenstein (p. 485-
506) sont extraits des Cahiers du cinéma, n° 217-8-9. - Dessin du château de
Silling (p. 829) par Ramon Alejandro, dans Sade, Fourier, Loyola : droit réservés.
— Compositions de Erté p. 922-944 : © Severnarts Ltd, Londres, 1994. - Les affi-
ches de Savignac (p. 952-961) sont extraites de Défense d'afficher, Delpire éditeur
(© Spadem, 1994).
Wwww.seuil.com
Photo © Louis Monier
ISBN : 2-02-056728.8
567282 Imprimé en France 11.02