Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Hervé Aubron, L'image, Une Contrariété Du Cinéma (2009)
Hervé Aubron, L'image, Une Contrariété Du Cinéma (2009)
Hervé Aubron
Dans Nouvelle revue d’esthétique 2009/2 (n° 4), pages 105 à 110
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 1969-2269
ISBN 9782130572763
DOI 10.3917/nre.004.0105
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 04/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 78.194.32.238)
L’image,
une contrariété du cinéma 1
« Le cinéma, c’est construire du temps et de la durée. Moi, vues en extérieurs durant ses premières années et ne s’inter-
les cinéastes qui sont des purs imagiers, des purs imagistes – et dit pas de jouer avec le hors champ. Peu importe: ce Yalta
il y en a des formidables –, ils me tombent des yeux. Tout ce esthétique entre la vue et le tableau, la durée et l’image, a indu-
qui est décoratif, dans le cinéma, me tombe des yeux. » Dans bitablement et durablement structuré la pensée du cinéma, tout
ce résumé sans détours face à Régis Debray, le critique Serge comme il y a nourri de nombreuses querelles. Mais s’agit-il
Daney2 a beau reconnaître du talent à certains « imagiers » (il vraiment de se quereller entre deux écoles? Il semble plutôt
doit entre autres penser à Fellini ou à Kubrick), il n’en assi- que ce tiraillement soit toujours à l’œuvre à l’intérieur de
mile pas moins immédiatement l’image, au cinéma, à de la chaque film ou de chaque essai théorique: si querelle il y a,
décoration. Postulat exemplaire d’une réticence très partagée: elle est avant tout intérieure. Elle relève de la contrariété – pour
beaucoup de réalisateurs et de théoriciens ont en effet martelé paraphraser le prologue de Jacques Rancière à son recueil La
que le cinéma travaillait la lumière, le mouvement, le temps, Fable cinématographique, intitulé « Une fable contrariée » et
mais surtout pas l’image, sans quoi il céderait nécessairement auquel on reviendra.
à l’imagerie. L’image, au cinéma, était apparemment condam- Il est comme un refoulement dans l’iconophobie lumièriste
née à n’être que d’Épinal. – la plus fertile et agissante sur le plan théorique. Certes, il s’agit
entre autres, sous couvert de démonstrations ou d’emporte-
Lumière et Méliès, un Yalta cinéphile ments désintéressés, de sceller la spécificité du cinéma (notam-
Étrange « iconophobie » – plutôt qu’iconoclasme –, alors même ment par rapport à la peinture), donc aussi la nécessité d’un
qu’il s’agissait de penser un objet audiovisuel. Cette réticence discours spécialisé – pré carré sur lequel ont veillé farouche-
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 04/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 78.194.32.238)
Couleur qualitative:
« On se souvient de la surprenante réaction de l’un des
premiers spectateurs du Goûter de bébé, Georges Méliès.
[…] Méliès ne relève qu’une chose: au fond de l’image,
il y a des arbres, et, merveille, les feuilles de ces arbres sont
agitées par le vent. Ailleurs, ce seront des fumées […], des © PATHÉ, TOUS DROITS RÉVERVÉS.
buées, des vapeurs, des reflets, des vagues clapotantes […]. Jean Epstein, Cœur fidèle, 1923 (extrait).
[…] nous avons oublié qu’au long d’un siècle au moins,
la peinture puis la photographie se sont acharnées à
produire ce type d’effet. Il y a là une histoire, celle de la 6. GIACOMETTI, « Entretien avec Pierre Schneider » (1961), in Écrits, éd. Hermann,
1995, p. 265-266.
peinture des nuages, des pluies, des tempêtes et des arcs-
7. J. AUMONT, L’Œil interminable, éd. Séguier, 1995, p. 22-23.
en-ciel […] »8. 8. Ibid., p. 23-24.
9. Ibid., p. 25.
Vibration infinie de l’atmosphère, des météores. Avec les 10. J. RANCIÈRE, La Fable cinématographique, éd. du Seuil, La Librairie du XXIe siècle,
vues Lumière, conclut Aumont, la synthèse des deux principes 2001, p. 15-16.