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Restaurations Intégration biologique, couleur et forme

esthétiques
en céramique

Allégorie de la forme
Intégration biologique, couleur et forme
Quel est le critère le plus important dans
nos restaurations céramiques ?
JF. LASSERRE, H. LAFARGUE

RéSUMé SUME
L’intégration biologique, la couleur et la forme constituent le trépied de la
réussite esthétique en prothèse fixée. Cependant, l’intégration biologique
repose avant tout sur la bonne gestion du profil d’émergence et du contour
axial qui sont des problématiques morphologiques. Dans le domaine de la
couleur, c’est la dimension « luminosité » qui est la plus importante, or elle
rejoint le modelé, le clair-obscur et la perspective qui sont aussi, finalement,
de l’ordre de la forme. La forme apparaît donc comme la clef de voûte de l’in-
tégration esthétique de nos restaurations : elle intervient depuis le plus petit
détail de microgéographie jusqu’à la vision globale de la dent restaurée dans
la composition du sourire ou au-delà dans l’équilibre facial. L’apprentissage
dans ce domaine commence par l’observation de la nature.

IMPLICATION CLINIQUE
La progression dans la maîtrise des restaurations céramiques antérieures
passe avant tout par l’entraînement à la sculpture et à l’observation des détails
morphologiques naturels.

D
Jean-François LASSERRE1
DCD, MCU, PH

Hélène LAFARGUE1 e nombreux facteurs contri- le chirurgien-dentiste, par sa maîtrise des


DCD, AHU buent à la réussite esthétique étapes cliniques, de la préparation jusqu’à
d’une restauration en céramique. Son inté- l’assemblage de la prothèse, optimisera le
Département de prothèses
1 gration dans l’environnement intrabuccal, potentiel esthétique des matériaux. Au troi-
UFR d’Odontologie de Bordeaux 2 mais aussi dans l’harmonie du sourire et sième plan, le prothésiste de laboratoire
au-delà dans l’ensemble du visage, est un doit témoigner d’un haut niveau de préci-
objectif complexe qui ne dépend pas que sion, de maîtrise de l’ajustage, des procé-
du praticien. Au premier plan, intervient la dures techniques et de personnalisation de
recherche sur les biomatériaux dont la tolé- la prothèse résultant de la prise en compte
rance biologique peut être mise en balance des éléments communiqués par le prati-
avec leur toxicité potentielle. Ces dernières cien. Enfin, le patient a lui aussi son rôle à
années, les progrès dans ce domaine ont jouer. Il doit comprendre qu’aucune restau-
permis la diffusion de céramiques d’in- ration prothétique, aussi belle soit-elle, ne
frastructures et cosmétiques parfaitement vaut une dent naturelle et qu’il doit mettre
biocompatibles, plus faciles à mettre en en œuvre, à long terme, une hygiène rigou-
œuvre, et dont les propriétés colorimétri- reuse indispensable à la stabilité des tissus
ques restent plus stables tout au long de la environnants. Dans cette problématique
chaîne technologique. Au deuxième plan, prothétique, il n’est pas aisé de hiérarchiser
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Restaurations esthétiques en céramique

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L’INTÉGRATION BIOLOGIQUE
Sous l’éclairage de la parodontologie clinique, «  c’est la
santé gingivale qui témoigne du succès de l’intégration
esthétique d’une restauration de prothèse fixée ». Cette
phrase de Glickman (1) qui date de plus de 50 ans est
toujours d’actualité. Mais l’intégration biologique dépasse
largement le cadre de la santé de la gencive marginale
qui est en rapport avec la finesse d’adaptation de la pièce
prothétique et la réalisation d’un profil d’émergence cor-
rect. L’intégration biologique résulte en premier lieu de la
biocompatibilité des matériaux prothétiques : l’absence de
toxicité cellulaire, de pouvoir mutagène ou de potentiels
électrogalvaniques élevés, doit être garantie. La mise en
œuvre de ces matériaux doit également permettre une
grande qualité d’ajustage aux tissus sains restant, garante
d’un continuum dentoprothétique biomécanique et esthé-
3 tique. Cette notion a largement été développée par Mar-
tignoni (2) à la grande époque des coulées artisanales
Fig. 1 - Facteurs d’intégration biologique. d’alliages d’or où les joints d’ajustages dentoprothétiques
pouvaient déjà être inférieurs à 30 microns.
Fig. 2 - L’espace biologique selon Gargiulo (1961). Toutefois, l’ajustage seul ne suffit pas et Martignoni ajoutait
Fig. 3 - Après élévation d’un lambeau d’épaisseur totale, un défaut que « si le résultat esthétique est directement dépendant
d’ajustage du joint dentoprothétique est visible sur la couronne céramo- de la résistance des artifices prothétiques, la résistance
métallique de la 14 dont la limite cervicale est située au ras de l’attache est directement dépendante de la fonction  ». La bonne
épithéliale. intégration dans la fonction de mastication, de déglutition,
et de phonation assure la stabilité des tissus profonds à
long terme. L’absence de trauma occlusal par interféren-
ces, prématurités en surguidage dans le cycle masticatoire
les facteurs de la réussite esthétique. L’évaluation clini- contribue à la santé du parodonte profond. La figure 1 pré-
que peut plus simplement reposer sur les trois volets d’un sente ces trois grandes orientations (biocompatibilité/ajus-
triptyque que sont l’intégration biologique, la couleur et la tage/fonction) pour l’intégration biologique, ainsi que sept
forme. L’éclairage de cet article est de démontrer la prio- cofacteurs essentiels dans la réalisation des prothèses.
rité de la forme sur les deux autres facteurs. Le praticien
doit développer son sens de l’observation de la nature pour L’espace biologique
reproduire toute la finesse des détails morphologiques Défini pour la première fois par Gargiulo en 1961 (3) l’espace
observés dans la réalisation des prothèses céramiques. Il biologique est une zone tissulaire située entre le fond du sul-
doit aussi interpréter les formes dans leurs interrelations cus gingival et le rebord crestal osseux. Elle est constituée
complexes avec l’intégration biologique et la couleur. Cette par l’attache épithéliale et l’attache conjonctive du parodonte
démarche demande un sens artistique réel. superficiel à la dent ; la hauteur de cet espace est d’environ

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2  mm partagés entre 1  mm d’attache épithéliale et 1  mm


d’attache conjonctive supra-crestale (fig. 2). Cet espace doit
absolument être respecté lors des préparations de prothèse
fixée car toute violation entraîne une inflammation de la
gencive marginale suivie d’une cicatrisation avec récession
gingivale. Le respect du festonnage gingival lors des prépa-
rations, en particulier dans les zones proximales, est indis-
pensable à la préservation de cet espace biologique.
Les situations des lignes de finition des préparations pour
restaurations esthétiques peuvent être, suivant le contexte
clinique, supra gingivales, juxta-gingivales ou sous-gingi-
vales. Les situations enfouies dans le sulcus sont les plus
fréquentes pour masquer le joint dentoprothétique. Cepen-
dant, elles restent les plus difficiles à contrôler du point de
vue de l’ajustage, car le joint dentoprothétique n’est plus
accessible au contrôle visuel direct et des défauts plus ou Fig. 4 - Lors d’une préparation sous-gingivale, la collerette marginale de
moins importants peuvent passer inaperçus (fig. 3). gencive ainsi que les papilles proximales doivent être soutenues par le profil
d’émergence de la céramique.
Profil d’émergence et soutien tissulaire
Pour Weisgold « La couronne dentaire doit se fondre avec
le profil radiculaire au niveau de l’émergence sulculaire »
(4). Le profil d’émergence peut se définir comme l’orien- Ce rôle de soutien gingival est parfaitement compréhensi-
tation de la zone cervicale de la prothèse par rapport à ble à partir de l’exemple de la préparation sous-gingivale
la racine de la dent préparée. Pour une limite esthétique présentée à la figure 4. Les défauts les plus classiques de
enfouie, ce profil se situe 1 mm en infragingival et 1 mm en profil d’émergence sont le surcontour ou le souscontour
supragingival. Selon Stein et Kuwata ces deux premiers horizontal quand il existe un débordement ou un retrait de
millimètres doivent être dans le prolongement parfait de la la limite prothétique dans le sens horizontal par rapport à la
racine, sans débordement ou changement brutal d’angula- ligne de finition de la préparation (mauvais ajustage sur la
tion. Le principe d’un profil émergent plat garantit toujours ligne de finition prothétique), ainsi que le surcontour ou le
la bonne santé parodontale (5). Cependant, lors d’une pré- souscontour vertical quand il existe une angulation exces-
paration intrasulculaire, la marge prothétique a aussi pour sive ou négative de l’émergence de la couronne par apport
objectif de soutenir le rebord gingival (5, 6). Ce soutien à l’orientation radiculaire (excès de bombé ou défaut de
correct des tissus mous tient compte du biotype gingival et volume à partir de la limite cervicale). De manière géné-
de la texture tissulaire. Comme le souligne Knellesen des rale, le surcontour est toujours plus néfaste que le sous
concavités d’émergences proximales sont nécessaires à contour et ce d’autant plus qu’il est sous-gingival (5, 6).
la santé des papilles gingivales, alors qu’en vestibulaire Lorsque l’ajustage dento-prothétique et le profil d’émer-
un soutien positif allant jusqu’à 15° d’angulation est parfois gence de la céramique sont corrects on retrouve rapide-
souhaitable, en particulier sur les gencives post-cicatriciel- ment une parfaite santé gingivale traduisant l’intégration
les, face auxquelles Keough systématise cette angulation. biologique de la prothèse (fig 5).

Fig. 5 -
a) Couronne céramocéramique
sur chape Lava® en place sur
la préparation de 11 (visible
en figure 4), on note la qualité
tissulaire parfaite de la gencive
marginale vestibulaire et des
papilles proximales.
b) À droite, la radiographie
montre la situation des marges de
zircone qui ont respecté l’attache
épithéliale et l’attache conjonctive
à environ 2 mm des septa osseux.
5a 5b

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Fig. 6 - Définition du contour axial.


Fig. 7 - Principe de l’aile de mouette d’Abrams, ici avec des couronnes
que de la restauration. Le principe est de casser la hauteur
céramiques à bombés vestibulaires bien marqués en rapport avec un
de la couronne clinique en réalisant un collet radiculaire
parodonte épais post chirurgical.
céramique dans le prolongement du profil d’émergence
Fig. 8 - Principe du contour axial à double orientation selon Kay plat, puis de sculpter une couronne anatomique qui res-
dans le cas d’un excès de hauteur de la couronne clinique, ici pour pecte le principe de l’aile de mouette d’Abrams (fig. 8).
une restauration céramique sur implant en 21, on réalise une portion
de fausse racine de céramique puis la couronne en harmonie avec 11 La prédominance de la forme
naturelle.
Ainsi l’intégration biologique, une fois la biocompatibilité
des matériaux acquise, dépend avant tout de la sculpture
Contour axial et fonctions buccales prothétique. Grasso (10) montre que davantage que la
Le contour axial peut se définir comme la forme générale précision d’ajustage du joint dentoprothétique, ce sont les
de la dent au-delà du profil d’émergence (fig. 6). Il s’agit contours coronaires et les profils d’émergence, en parti-
de la grande morphologie de la couronne dont le modelé culier dans les zones d’embrasures, qui garantissent la
est conditionné au premier plan par la fonction mastica- santé parodontale. Le modelé, les bombés et les fosset-
toire au travers de l’occlusion statique et dynamique mais tes, le galbe, le profil d’émergence simple ou à double
aussi par le positionnement des bombés vestibulaires et orientation, sont des déclinaisons de la forme inspirées
linguaux pour une bonne déflexion du bol alimentaire (5, par l’observation des dents naturelles. Seule une morpho-
6, 7). Le positionnement des bords incisifs maxillaires logie esthétique et fonctionnelle bien comprise conduit
ainsi que l’orientation des faces palatines contribuent à donc à l’intégration biologique.
la phonation en particulier lors de la prononciation des
dentolabiales et des dentolinguales. Enfin la typologie, LA COULEUR
les formes et l’agencement des dents contribuent au pou-
voir expressif du sourire et donc à l’esthétique du sourire. Le monde des couleurs est un domaine relativement
L’harmonie dentogingivale doit respecter le principe de méconnu et mal aimé par les praticiens. De ce fait, ces
l’aile de mouette d’Abrams (8). Aux gencives bombées derniers adressent souvent les patients au laboratoire
correspondent des dents bombées et aux gencives fines pour se décharger de la détermination de la couleur.
correspondent des dents plates, ceci revient à dire que le Cependant notre perception colorée est fréquemment
contour axial de la céramique doit reproduire l’architecture sollicitée au cabinet, lors de l’élaboration prothétique, ou
inversée du profil gingival. On peut parler d’une relation de la réalisation des restaurations esthétiques de com-
d’image en miroir entre le contour vestibulaire dentaire posites ou de céramiques. La parfaite intégration colorée
et les tissus parodontaux de soutien. L’application de ce d’une incisive centrale unitaire reste, par exemple, l’un
principe permet de respecter la fonction déflectrice des des objectifs les plus difficiles à atteindre en prothèse. La
dents vis-à-vis du bol alimentaire lors de la mastication restauration doit se fondre le plus possible avec les dents
et d’éviter les stases alimentaires sous des bombés trop naturelles voisines, grâce à des procédés de l’ordre du
forts, ou les microtraumatismes marginaux gingivaux par trompe l’œil (11). Pour arriver à cet objectif, le praticien
des bombés insuffisants (fig. 7). doit connaître les différentes dimensions colorées de la
Au niveau des parodontes affaiblis où les couronnes cli- dent naturelle (fig. 9).
niques présentent des hauteurs disgracieuses, Kay (9),
reprenant les travaux d’Amsterdam (8), propose un com- Trois dimensions fondamentales
promis esthétique par la réalisation d’un contour axial à D’un point de vue théorique, toute couleur peut se défi-
double orientation (ou double déflexion). Il s’agit de créer nir dans un espace chromatique tridimensionnel par trois
une illusion d’optique destinée à diminuer la longueur clini- variables que sont la luminosité, la saturation et la tonalité

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Fig. 9 - Les dimensions de la couleur des dents naturelles.

chromatique et dont la première représentation fût celle


de Munsell (12).
• La luminosité est la quantité de blanc contenue dans une
couleur ou de manière plus générale la quantité de lumière
réfléchie (13, 14). On peut parler aussi de brillance ou de
luminance, en anglais « luminosity » ou « brigtness ». Son
appréciation s’effectue mieux dans une ambiance lumi-
neuse de faible intensité où seuls les bâtonnets rétiniens
sont stimulés. De manière générale, les dents ont une
luminosité élevée dans le sourire.
• La saturation est la quantité de pigment pur contenue
dans une couleur, on parle d’intensité ou de pureté de la 11
teinte (13, 14). Une couleur peut être déssaturée soit par
adjonction de blanc ce qui éclaircit la couleur et donne Fig. 10 - Les trois dimensions de la couleur LCH: 1 Luminosité
un ton pastel, soit par adjonction de noir ce qui rend la (Luminosity)-2 Saturation (Chroma)-3 Tonalité chromatique (Hue)
nuance terne, la couleur est alors dite rabattue. Le terme
Fig. 11 - La sphère chromatique des couleurs visibles sert à définir l’espace
anglophone de « chroma » peut prêter à confusion avec la
chromatique des naturelles qui adopte la forme d’un rhomboïde
tonalité chromatique que nous définirons par la suite (11).
ou « banane chromatique ».
Des effets de saturation s’observent entre la canine plus
saturée et les incisives plus blanches ou du collet de la
dent haut en couleur jusqu’au bord incisif moins coloré. du système de représentation des couleurs L*a*b* de la
• La tonalité chromatique correspond à la teinte, ton ou commission internationale de l’éclairage (CIE) (fig.  11).
chromaticité de la couleur. En anglais on parlera de « hue ». Dans le système de la CIE, L* représente l’axe vertical de
La teinte caractérise la longueur d’onde dominante de la luminosité et a* et b* définissent des coordonnées rec-
lumière réfléchie par l’objet (13, 14). Elle correspond aux tangulaires chromatiques dans lesquelles l’axe [–a*, +a*]
différentes sensations colorées comme le rouge, le vert, le représente les variations du vert au rouge et l’axe [–b*,
bleu, le jaune, l’orange et le violet. Les cônes rétiniens sont +b*] les variations du bleu au jaune. Les dents naturelles
responsables de la perception trichromate. Le noyau den- humaines occupent un espace en forme de rhomboïde
tinaire donne la tonalité chromatique de base de la dent communément appelé «  banane chromatique  ». Cette
qui s’évalue dans le tiers moyen des faces vestibulaires. zone est globalement haut située dans l’espace chroma-
tique et assez près de l’axe blanc/noir ce qui signifie que
L’espace chromatique des dents les dents naturelles sont très lumineuses et déssaturées.
naturelles Cet espace s’étire en longueur le long de l’axe noir/blanc,
L’espace chromatique des dents naturelles peut être ceci traduit des variations importantes de luminosité qui
représenté dans la « sphère chromatique » qui est issue correspondent vers le haut aux dents jeunes et vers le
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Fig. 12 - La structure stratifiée hétérogène de la dent (noyau dentinaire


semi-opaque sous une coque d’émail semi-translucide), et la convexité L’aspect visuel d’une dent naturelle est avant tout lié à l’exis-
de sa face vestibulaire, sont responsables d’un comportement optique tence d’une coque d’émail recouvrant un corps dentinaire
complexe. Ici, une opalescence orange de l’émail en transmission (fig. 12). Son comportement optique est une combinaison de
lumineuse. sept paramètres qui sont la transparence et la translucidité,
Fig. 13 - Très belles dents avec un émail lumineux développant de l’effet l’opalescence, la fluorescence, la texture de surface, les
opalescent sur le bord incisif et qui présentent des effets nuageux blanc caractérisations et l’effet nacré et comme nous l’avons évo-
laiteux très caractéristiques des dents jeunes. qué plus haut, la stratification (fig. 9) (11, 12, 13, 14, 15). Par
exemple, la translucidité n’apparaît pas dans l’analyse de la
bas aux dents âgées. Cet espace est étroit dans le sens couleur de Munsell alors qu’elle est un facteur très important
transversal car les variations de saturation sont faibles, dans le résultat final d’une restauration. Plus une dent est
dans le plan horizontal la banane chromatique se situe translucide plus sa luminosité baisse car une grande par-
dans un cadran compris entre l’axe des jaunes (+b*) tie de lumière pénètre dans la dent. Cette translucidité est
et l’axe des rouges (+a*), tout en étant plus proche de forte pour l’émail naturel (70 %) alors qu’elle est faible pour
l’axe des jaunes, c’est-à-dire que la tonalité chromatique la dentine (40  %°). L’opalescence et la fluorescence sont
des dents naturelles est jaune orangé. De haut en bas, souvent confondues. L’opalescence est avant tout un effet
la banane a une orientation oblique. Sa partie inférieure de dents jeunes où l’émail développe des nuances bleutées
plus externe que sa partie supérieure traduit le fait que en réflexion lumineuses et orangées en transmission. La
les dents sombres sont aussi plus saturées en teinte. En fluorescence se définit comme la capacité des dents natu-
fait comme nous aimons le dire « le choix de la teinte des relles à réémettre une lumière visible blanc-bleuté lorsqu’el-
dents naturelles est un faux problème, toutes les dents les sont soumises à un rayonnement ultraviolet non visible
étant jaune-orangé avec des nuances plus jaunes, ou comme il en existe dans la lumière naturelle. La dentine est
plus rouges suivant les cas ». Ainsi l’interprétation de la essentiellement responsable de cette propriété. Techni-
banane chromatique démontre l’importance de la lumino- quement, des mélanges de terres rares confèrent la même
sité dans la réussite de la couleur. fluorescence aux céramiques dentaires. Enfin les caracté-
risations comme les sillons colorés, les fêlures, les taches
Les sept corollaires de la couleur blanchâtres hypoplasiques (fig. 13), permettent d’individua-
Les dents sont des structures complexes et la connaissance liser les prothèses alors que l’effet nacré de dents jeunes ou
des trois dimensions de la couleur précédemment évoquées, « pearl effect » décrit par le prothésiste Sieber (16) est une
ne garantit pas la réalisation de restaurations parfaitement observation beaucoup plus anecdotique.
esthétiques. Le relevé de la couleur n’est pas aussi simple
que le serait celui d’un objet plat de structure homogène Quand la couleur rejoint la forme
et de couleur uniforme. Les effets colorés de transmission, La prééminence de la luminosité
liés à la nature translucide de l’émail et qui s’opposent à la En fait la dimension la plus importante dans la réussite de
réflexion colorée du noyau dentinaire, ou encore les formes la couleur d’une dent est paradoxalement celle qui s’avère
axiales convexes des dents naturelles modifiant les axes de la plus éloignée des problèmes chromatiques. Il s’agit de la
réflexion par rapport à ceux d’une surface plane rendent dif- luminosité (11). La luminosité, ou nuances de gris, rejoint
ficile la mesure de la couleur (15). les thématiques du modelé, du clair-obscur et de la pers-

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Intégration biologique, couleur et forme

pective qui sont des problématiques de la forme et non de


la couleur. Cette remarque se justifie par la compréhension
de l’allure de l’espace chromatique des dents naturelles
(fig. 11). Elle a conduit la firme Vita™ à créer un teintier dont
la méthodologie tient compte de l’ordre de priorité des para-
mètres de couleur. En effet le teintier 3D de chez Vita® est
le seul teintier construit par familles de luminosité et non par
familles de nuances chromatiques. Il est conçu pour défi-
nir très vite, en premier lieu, le groupe d’appartenance de
luminosité de la dent observée. La saturation puis la tonalité
chromatique sont déterminées dans un second temps.
Luminosité et texture
Là encore l’interaction entre la couleur et la forme est évi-
dente. La luminosité d’une dent est influencée par sa tex-
ture ou par son aspect de surface. Ce dernier conditionne le
pourcentage de flux lumineux réfléchi (réflexion spéculaire 14
ou diffuse) par rapport au pourcentage de flux lumineux
transmis ou absorbé par la dent. Les dents qui ont un aspect Fig. 14 - Les dimensions de forme.
de surface brillant (glacé pour les prothèses) absorbent plus
de lumières et paraissent donc plus grises que des dents
d’aspect de surface satiné ou dépoli. Les dents ou les céra-
miques satinées développent une réflexion diffuse en halo,
elles apparaissent plus blanches que les dents brillantes Trois échelles dans l’analyse de la forme
(17). Ce résultat peut être obtenu au laboratoire de prothèse Cheminant depuis les formes générales vers les détails nous
par dépolissage mécanique d’une céramique trop brillante. pouvons décrire trois dimensions morphologiques dans
Perspectives, couleurs et valeurs l’analyse d’une dent qui correspondent par ailleurs à la chro-
Enfin la couleur d’un objet peut influencer sa perception nologie dans l’élaboration prothétique d’une dent céramique.
spatiale. Les tons froids semblent reculer l’objet alors que La typologie
les tons chauds l’avancent. Ce phénomène, issu de l’ob- Si l’on cherche à classer les dents antérieures selon leurs
servation de la nature (premiers plans chauds et lointains formes, on retrouve les trois grandes familles qui servent
bleutés) est très utilisé par les peintres pour créer des pers- à la fabrication industrielle des dents artificielles pour pro-
pectives colorées. De la même manière, pour ce qui est de thèses amovibles c’est-à-dire la typologie rectangulaire
la luminosité, le noir et les tons sombres reculent, le blanc ou carrée, la typologie triangulaire et la typologie ovoïde
et les tons lumineux avancent. À l’inverse, un objet qui est (fig.  15). Le modelé et la position des lignes de transi-
situé plus près d’un observateur apparaît plus grand et plus tion, entre la face vestibulaire et les faces proximales,
lumineux qu’un objet éloigné. Ce phénomène est facilement conditionnent cette typologie (fig. 15 et 21). Nous avons
remarquable au plan dentaire lorsqu’il existe des chevau- observé dans une population occidentale une répartition
chements ou malpositions. Les dents en retrait paraissent de 58 % de dents naturelles rectangulaires, 21 % de dents
plus sombres, les dents avancées paraissent plus claires. triangulaires et 21 % de dents ovoïdes. Toutefois, il sem-
Ainsi, tout en révélant une autre nature sensible des ble qu’en termes de reconstitution, les patients aient une
objets, la couleur rejoint et interagit avec la forme sous préférence pour les formes ovoïdes à lobes distaux bien
bien des aspects. développés (18). Cette correspondance est couramment
utilisée lors du choix des dents en prothèse adjointe.
LA FORME
L’anatomie dentaire est en général enseignée dans nos facul-
tés en tant que science fondamentale, dans les années initia-
les de formation. Elle est le plus souvent oubliée lorsque les
étudiants débutent leur exercice hospitalier et leurs premières
réalisations prothétiques. Or, seule une parfaite compréhen-
sion de l’anatomie appliquée aux restaurations permet l’excel-
lence en esthétique. La forme peut tout d’abord se décliner à
l’échelle de la dent, dans ses trois dimensions que sont la typo-
logie, la macrogéographie et la texture. On la retrouve par la 15
suite à l’échelle du sourire dans la composition de l’arc dentaire
où interviennent les notions plus vastes de symétrie, de pro-
portions relatives des dents entre elles et des lignes et plans Fig. 15 - La typologie des dents antérieures sépare les dents carrées ou
rectangulaires (1), les dents ovoïdes (3) et les dents triangulaires (4).
classiques de référence de l’analyse esthétique (fig. 14).
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Restaurations esthétiques en céramique

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Fig. 16 - Macrogéographie d’une incisive centrale avec plusieurs fossettes reflétant son élaboration trilobée et un profil d’émergence bombé.
Fig. 17 - Microgéographie tourmentée avec état de surface brillant d’une incisive centrale jeune vue en très fort grossissement. On remarque
les périchématies régulières dans le tiers cervical et des formes en relief ou en fossettes sur le reste de la dent qui sont toutes douces et
émoussées.

La macrogéographie
La macrogéographie décrit le modelé et la structure de la tègre parfaitement dans les schémas fonctionnels, qui,
dent en rapport avec son élaboration lors de l’odontoge- concernant les dents antérieures sont ceux de l’incision
nèse. Elle correspond aux sillons, fosses et fossettes qui et de la fonction d’outil au travers de la préhension et de la
recèlent la structure trilobée des incisives (fig.  16). Elle section souvent négligées lors de l’analyse des fonctions
s’intéresse en particulier à la position des grands bom- buccales (fig. 18).
bés déflecteurs sur les faces axiales qui jouent un rôle Le réglage du bord à bord incisif constitue un élément clé
important dans la fonction, et aux variations morpholo- du contrôle. Les facettes d’usure des bords incisifs doi-
giques qui permettent d’orienter en mésial ou distal une vent être rodées et correctement orientées dans la dyna-
couronne. Dans ces formes, les variations individuelles mique occlusale. La morphologie des faces palatines des
sont infinies. incisives maxillaires est un exemple de morphologie fonc-
tionnelle adaptée à la prise en charge des mouvements
La microgéographie ou texture centrifuges de propulsion et des forces horizontales à
La microgéographie est l’appropriation de la forme à plus partir des contacts de l’OIM. Ces contacts ne sont pas
petite échelle. Elle rejoint la texture et l’état de surface de cingulaires mais principalement situés sur les crêtes mar-
la dent plus ou moins brillant, satiné ou mat, en particulier ginales des faces palatines. Dans l’analyse centripète des
suivant l’âge. Elle s’inscrit grâce aux stries de croissance mouvements mandibulaires la concavité palatine supra-
de l’émail appelées périchématies et très visibles sur les cingulaire doit libérer l’incision à partir du bout à bout et
dents jeunes ou peu fonctionnelles (fig.  17). Certaines les passages latéraux lors du cycle masticatoire (fig. 19).
particularités comme les puits et les perles de l’émail ou
les stries horizontales hypoplasiques sont du même regis- Forme et composition du sourire
tre. La réalisation de la texture au laboratoire demande un La forme unitaire d’une dent n’a de sens que dans les
grand savoir-faire et un long temps de travail après les relations harmonieuses qu’elle entretient avec les formes
différentes cuissons et glaçage de la dent céramique. voisines. Les études sur les mécanismes de perception
visuelle nous apprennent que nous devons raisonner en
La forme inséparable de la fonction terme de composition car lorsque nous observons un
La forme est inséparable de la fonction. Elle est issue de sourire nous avons une vision holistique, les détails nous
l’évolution des espèces, elle-même soumise aux lois de échappent le plus souvent. Ces mécanismes soutendent
sélection naturelle résultant en une plus grande effica- ce que Lombardi définit pour la première fois en 1973
cité, spécialisation ou adaptation fonctionnelle à l’environ- sous le nom d’« arc dentaire antérieur » (19). Cet arc est
nement. Il n’y a pas de morphologie gratuite : tout détail limité vers le haut par la ligne ou découpe gingivale et
morphologique est centré vers une fonction particulière. vers le bas par la ligne ou découpe incisale. Ces lignes
L’excellence esthétique ne sera atteinte que si elle s’in- ont un fort pouvoir expressif. La ligne incisale doit en par-

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ticulier être convexe et suivre la courbure de la lèvre infé-
rieure lors du sourire (fig. 20). La ligne gingivale quant à
elle ne supporte que très peu d’asymétrie par rapport au Fig. 18 - Fonction outil des incisives pour la section ici d’un fil de pêche.
plan sagittal médian, la symétrie des festons gingivaux
Fig. 19 - Morphologie fonctionnelle palatine des incisives centrales, en
des incisives centrales est un prérequis en prothèse fixée. bleu les marquages centripètes et en rouge les marquages centrifuges de
Dans un sourire harmonieux, la totalité de la hauteur des propulsion moins marqués.
incisives centrales est visible sans excès gingival et avec
un affleurement du bord incisif par la lèvre inférieure. Une Fig. 20 - Analyse de la composition harmonieuse de l’arc dentaire
tendance à la convergence mésiale des axes corono- antérieur : ligne incisive convexe (rouge), ligne gingivale symétrique
(jaune), Zénith distalé des festons gingivaux sur les incisives centrales
radiculaires, des centrales dominantes bien positionnées
(points jaunes), ascension distale des points de contact proximaux,
dans le visage, des incisives latérales légèrement asymé-
convergence mésiale des axes coronoradiculaires, légère asymétrie droite/
triques et des variations de hauteur des pointes canines,
gauche de l’ensemble.
sont autant d’éléments inspirés de l’observation du natu-
rel et qui vont donner vie au sourire restauré.

CONCLUSION
Un très grand nombre de facteurs contribuent à la réussite
de l’intégration esthétique d’une restauration céramique.
Cependant la maîtrise de la forme prédomine par rapport Mots clés
aux autres facteurs évoqués. Ce travail de la forme doit Esthétique, forme, couleur, intégration
s’envisager du plus petit détail de microgéographie à la biologique
vision globale de la dent restaurée dans la composition
du sourire et au-delà dans l’équilibre facial. Seuls l’obser- Key words
vation minutieuse de la nature, l’entraînement à la mor- Aesthetics, shape, shade, periodontal
phologie par la sculpture de pièces de montre, et le travail health
personnel de développement du sens artistique, permet-
tront au praticien de fuir la réalisation de dents stéréoty-
Réalités Cliniques 2010. Vol. 21, n°4 : pp. 9
Restaurations esthétiques en céramique

pées et sans vie. Ce travail doit s’envisager en équipe,


abstract
avec le prothésiste de laboratoire, pour lequel la connais-
sance morphologique est une des plus fines aptitudes. En ALLEGORY OF TOOTH FORM
tant que praticien, nous prendrons grand soin à conserver Biological integration, shade
une documentation initiale, comme mémoire morphologi- and morphology: which is the
que naturelle, à transmettre les modèles des prothèses most important aesthetic
provisoires qui sont les “solutions morphologiques élabo- criterion in our ceramic
rées par le praticien”. Nous développer toutes les métho- restorations?
des qui contribueront à affiner la communication avec le
Biological integration, color and morphology are
laboratoire. Ainsi, si nous respectons ces prescriptions,
kind of a tripod for aesthetic success in fixed
la maîtrise de la forme peut devenir notre meilleure alliée
prosthodontics. Biological integration is based
dans l’imitation du naturel.
on emergence profile and axial outline that are
relative to shape. As far is color is concerned,
luminosity seems to be the principal parameter:
for it joins relief, chiaroscuro and perspective, it
références is also shape concerns. Thus, shape appears to
be the key of our aesthetic restorations from the
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