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La Revue Des Livres
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car l’ouvrage apporte une documenta- tieux comptes rendus d’enquêtes de ter-
tion cxceptionnelle sur les populations rain, d‘interviews, d‘observations person-
du lac Tchad. Ethnologues, historiens, nelles. Contrairement à beaucoup
juristes, économistes (n’étant pas géogra- d‘enquêteurs qui retravaillent sous cli-
phe, je ne p e u pas parler pour eux) y matiseur les rapports que leur livrent
trouveront des informations inédites et leurs informateurs, l’auteur a sillonné le
matière à réflexion. pourtour et l’intérieur du lac Tchad,
La première partie de l’étude est accompagné de son seul interprète et
avant tout méthodologique. Extrême- toutes les informations qu’il livre, il les
ment critique par rapport aux acquis de a recueillies lui-même, directement.
la Géographie et par rapport à son pro- C’est, sans doute, ce qui explique la
pre travail (certains développements sur rareté (pour une thèse) des notes infra-
la subjectivité du chercheur pourraient paginales dont l’ouvrage est étayé.
sans doute être allégés), l’auteur ne l’est L’auteur livre ses observations et pré-
pas assez (excès de modestie ?) par rap- sente des faits : on peut discuter l’inter-
port aux connaissances acquises, à son prétation ou les conclusions qu’il en tire
époque, dans les autres disciplines, en (lui-même y invite), mais les faits sont
particulier par rapport aux connaissan- là et ils remettent souvent en question
ces sur l’histoire de l’Empire du Kanem des vérités acquises.
et de l’Empire du Borno (deux empi- La troisième partie ne manque pas
res qu’il ne faut pas confondre : ce n’est d‘intérêt lorsqu’elle décrit l’évolution
pas parce qu’un Orange est monté sur des systèmes agraires ou pastoraux et
le trône d’Angleterre que la Grande- l’adaptation des hommes et de leurs
Bretagne est devenue néerlandaise ou la sociétés aux modifications de l’environ-
Hollande britannique) ou par rapport nement, ou lorsqu’elle présente les
aux acquis ethnologiques sur la région mécanismes des circuits commerciaux et
- en particulier sur les Haddad )) (sic).
(( cherche leurs racines anciennes. Ceci
Par contre, il ébauche une Géographie
(( l’amène à remettre en question certai-
du vécu )) qui n’est pas sans intérêt : nes typologies trop rigides pour être
comment le paysan de tel village voit- l’expression du vécu des hommes et à
il le temps et l’espace? Comment remettre en cause la vision encore
maîtrise-t-il (ou ne maîtrise-t-il pas 2) ancrée chez certains auteurs d’un com-
l’un et l’autre, tant sur le plan indivi- merce sans traditions profondes dans
duel que sur le plan collectif? Cette l’Afrique sub-saharienne. Mais le non-
problématique, qui se fonde sur les géographe est moins convaincu par cer-
acquis de toutes les sciences humaines, tains développements plus théoriques,
peut paraître évidente à l’homme de ter- en particulier lorsque l’auteur entre dans
rain ;elle ne l’est certainement pas pour la discussion de la notion de région.
les experts, économistes, développeurs et Dans l’ensemble, on ne peut que
autres responsables de la coopération suivre l’auteur lorsqu’il cherche à faire
internationale (en particulier française), la jonction entre les différentes sciences
comme le montrent les exemples, don- humaines pour appréhender la réalité
nés en troisième partie de l’ouvrage, de sociale et l’on regrettera que les géogra-
((plans de développement qui ont phes soient souvent les seuls à suivre
connu des échecs retentissants. Le géo- cette voie. Comme beaucoup d‘autres
graphe sera-t-il entendu par le fonction- sciences humaines, la Géographie y
naire de la Coopération ? invite. Mais si les géographes ont de
La deuxième partie est des plus plus en plus recours à l’Histoire, à
intéressantes parce que particulièrement l’Ethnologie, à la Linguistique ou à la
riche en informations concrètes. On Sociologie, combien d’historiens, de
peut discuter les découpages géographi- sociologues, de politistes ou d’ethnolo-
ques choisis par l‘auteur (lui-même le gues sortent-ils de leur tour d‘ivoire étri-
fait), mais il reste une série de mono- quée ? Pourtant, qu’est-ce qu’un homme
graphies de terroirs, unique sur la hors de son environnement physique et
région considérée. Les descriptions que humain ? Qu’est-ce qu’un groupe sans
nous livre Ch. Bouquet sont de minu- son histoire et sa culture ? Ceci pose le
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les rapports avec les Etats-Unis, l’Alle- ((valeur positive )).Aussi ce guide, éta-
magne, le Japon et le Canada. Un bli à l’occasion d‘un séminaire en 1986,
regard est aussi jeté sur la politique afri- prend les apparences d’un catéchisme
caine où des développements particuliers avec des encadrés qui, dans chaque
sont consac$s aux rapports du Niger rubrique, condensent les conclusions à
avec les Etats voisins, notamment, vulgariser. On met en cause la jalousie,
l’Algérie, la Libye et le Nigeria. les forces occultes, l’alcoolisme, le mysti-
Ce livre démontre la connaissance cisme, l’absence d’éducation. Cela est
approfondie qu’a son auteur, pour avoir parfois amusant, parfois risible, parfois
séjourné plusieurs années au Niger en insupportable tant transparaît alors la
tant qu’agent de l’USAID, et par la naïve idéologie du rédacteur.
masse de documentation, parfois mécon- En dehors du chapitre consacré à la
nue du lecteur francophone, qu’il a uti- santé (pp. 75 à p. 98) dont les observa-
lisée. I1 s’agit assurément d’une contri- tions sont utiles, les autres analyses relè-
bution importante à la connaissance vent d’une conception évolutionniste et
d’un Etat dont o n sait si intellectualiste dont on doit avec tris-
peu ... [M.S.T.A.] tesse constater la permanence.
Malgré le besoin en guides et
manuels exprimé par les responsables
du développement rural, il sera sage,
CICIBA.- Facteurs culturels et pro- comme en matière d‘alcool, d’user de
jets de développement rural en cet ouvrage avec modération. [E.L.R.]
Afrique centrale. Points de repère.
- Paris, L’Harmattan, 1989, 182 p.
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les flux informels qui ((montent à Dans un style direct, mais au prix d’une
l’assaut de 1’Etat D. La sauvegarde des démarche parfois confuse, A. Kabou
droits de l’homme, selon K. Toma- s’explique sur cette affirmation qui
sevski, ne doit pas être un obstacle aux prendra plus d’un à rebrousse-poils.
aides économiques internationales. Dans Impertinente sinon iconoclaste, passion-
la première des trois études économi- née mais parfois excessive, discutable
ques du dossier, E. Caputo évoque la mais toujours stimulante, son argumen-
coopération dans ses modalités idéales ; tation donnera à réfléchir, à défaut
K. Helleiner traite des résultats des pro- d’emporter tout à fait l’adhésion. De ce
grammes d’ajustement structurel et ne point de vue, ( ( E t si l’Afrique refusait
s’affirme optimiste qu’en ce qui con- le diveloppement ? N peut être considéré
cerne les opérations de longue durée ; comme une utile contribution au débat
V. Lele parle, lui, de la nécessité d’une sur (( l’afropessimisme D, quand bien
défense de l’agriculture, trop souvent même l’auteur nous laisse bien peu de
négligée lors des transformations indus- ...
raisons d’être optimistes [R.O.]
trielles. Enfii, c’est un cri d’alarme que
lance J.-D. Stryker devant les consé-
quences néfastes des plans d’ajustement
structurel sur l’environnement et les res- KEPEL (Gilles), RICHARD (Yann) (dir.).
sources naturelles. Bien qu’il soit publié - Intellectuels et militants de
hors dossier, un article de M. Micarelli l’Islam contemporain. - Paris, éd.
mérite d’être evoqué car )1 traite de la d u Seuil, 1990, 287 p., Index
coopération italienne en Ethiopie et en ((tSociologie N).
Somalie, un sujet peu connu en France.
[V.M.]
Après ses travaux bien connus sur
l’islamisme en Egypte, G. Kepel, avec
Y. Richard cette fois, nous présente ici
IUBOu (Axelle). - Et si l’Afrique sept études de cas sur les intellectuels
refusait le développement ? - Paris, islamistes. De l’Iran au Maroc, en pas-
L‘Harmattan, 1991, 207 p. sant par les Territoires occupés,
l’Egypte, la Turquie et Oman, les con-
tributeurs nous familiarisent avec les
A. Kabou ne se fera certainement discours et les stratégies de ces intellec-
pas que des amis avec ce livre ! Voilà, tuels issus des lieux de savoir moder-
<(
en effet, un regard sans complaisance nes B que sont les universités inspirées
aucune sur le <( mal africain et ses ori-
)> du modèle occidental. Paradoxe, mais
gines. En un peu plus de 200 pages, paradoxe apparent seulement, c’est au
l’auteur règle définitivement leur sein de ces produits de la culture euro-
compte à nombre d’idées reçues sur le péenne ou américaine que surgit et se
sous-développement et démythifie, une développe la critique de l’Occident et
fois pour toutes, les discours convenus que s’affirme l’exigence de 1’Etat isla-
sur les valeurs africaines 1). Tout le
(( mique. Ce paradoxe, les auteurs du livre
monde y passe, personne n’est oublié : l’expliquent clairement et, .d‘une étude
les tiers-mondistes et les anti-tiers- de cas à une autre, on voit bien l’unité
mondistes, les libéraux, les intellectuels et la diversité de la contestation isla-
africains, les oracles du management miste. A ce propos, la conclusion d’O.
appliqué à l’Afriqu5, l’OUA et son Roy (NLes nouveaux intellectuels isla-
syndicat de chefs #Etat, les (( masses N mistes : essai d’approche philosophi-
...
africaines Volontairement polémique, que v, pp. 261-283) s’avère particulière-
ce livre met le doigt sur les résistances ment bienvenue en ce qu’elle tente de
endogènes au développement en Afri- construire le type idéal )) de l’intellec-
((
que, résistances que résume une formule tuel islamiste, par opposition à l’intel-
brutale : L'Afrique est sous-développée
(( lectuel occidentalisé et à l’ouléma. Sa
et stagnante parce qu’elle rejette le déve- démarche est d’autant plus intéressante
loppement de toutes ses forces (p. 26).
)) qu’elle fait sens pour ceux qui tra-
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Dans une langue souveraine, avec Comores des années noires D. Le noir
des exemples savoureux, l’auteur sait était en effet la couleur qu’avait adop-
introduire l’exigence éthique dans les tée le président Ali Soilihi pour carac-
discussions techniques et obligera le tériser l’état de la société comorienne
juriste à repenser son art. Notons tou- avant l’adoption du socialisme. Ses
tefois que la poursuite d’une telle aspects féodaux
(( et (( islamistes
)) ))
réflexion exigera d’autres engagements, devaient être éclairés par les lumières de
en particulier sur le terrain de I’obser- la révolution. Pour mes interlocuteurs
vation participante et sur celui des choix des années 1986 à 1989, le noir ‘était
politiques. [E.L.R.] plutôt celui des citernes où ils étaient
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neenne )), des trois îles par l’ancien grands problèmes et l’on se félicite
colonisateur. qu’une nouvelle génération de cher-
I1 manque au récit d‘E. Verin un por- cheurs nous en donne une connaissance
trait plus fouillé des protagonistes, en plus profonde. [E.L.R.]
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