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DES LIVRES

Chronique bibliographique sous la responsabilité de Daniel C. Bach


avec la collaboration de Mahaman Sanoussi Tidjani Alou, Jean
Copans, Etienne Le Roy, Jean-Pierre Magnant, Roland Marchal,
Vittorio Morabito, René Otayck, Patrick J. Quantin, Comi
M. Toulabor..

BOUQUET (Christian). - Insulaires et sions gigognes : si elles ont le mérite de


riverains du lac Tchad, Etude géo- situer les débats et de présenter des
graphique. - Paris, L’Harmattan, synthèses, elles auraient pu sans risque
1990, 2 tomes, 416-464 p. être allégées.
Autre défaut, l’ouvrage a un peu
vieilli depuis sa rédaction. L’auteur n’a
En deux forts volumes, Ch. Bouquet plus jamais eu l’occasion de retourner
présente la thèse qu’il a soutenue à Bor- sur son terrain depuis janvier 1979, du
deaux en 1984. L’ouvrage, incontesta- fait de la guerre du Tchad et de l’évo-
blement destiné aux spécialistes, restera lution de sa carrière professionnelle. Ne
un ouvrage de réErence sur les ruraux voulant pas parler de ce qu’il ne sait
et les citadins de la région du lac pas (ce que personne ne lui reprochera),
Tchad. Mais, même pour le spécialiste, il n’a donc pas actualisé son étude et,
l’accès à l’ouvrage est difficile car le de ce fait, l’habitué du Sud du Kanem
texte de la thèse n’a pas été remanié ou du bas Chari regrette de ne pas trou-
pour la publication. I1 a donc toutes les ver de références à la grande sécheresse
qualités (richesse de l’information et de 1984. De plus, à l’époque où les
luxe de détails) mais, aussi, les défauts recherches ont eu lieu, nous vivions
d’une thèse. tous sur des acquis de la période colo-
Les défauts classiques d‘une thèse niale en matière d‘histoire du Kanem et
apparaissent dans la rhétorique de en matière ethnographique : ces acquis
l’ouvrage. La rigidité des règles de sont aujourd‘hui remis en question par
forme que l’université impose à la pré- les recherches les plus récentes et le
sentation des résultats d‘une recherche livre de Bouquet arrive un peu tard ...
contraint souvent l’auteur à des redites Dernière critique qui s’adresse plus
qu’un plan non universitaire permettrait à l’éditeur qu’à l’auteur : beaucoup de
d’élaper. Les précautions oratoires, cartes sont illisibles parce que trop rédui-
nécessaires lorsque l’on affronte un jury tes et la carte ethnodémographique hors-
de doctorat dont dépend sa propre car- texte, coincée entre deux publicités en fm
rière, lassent le lecteur quand il fait lui- de premier tome, a eté sauvagement sim-
même partie du jury ... à plus forte rai- plifiée ... et c’est bien dommage !
son en dehors de ce cadre. I1 en va de Ces critiques faites, il faut insister
même des introductions et des conclu- sur les qualités du travail présenté ici

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car l’ouvrage apporte une documenta- tieux comptes rendus d’enquêtes de ter-
tion cxceptionnelle sur les populations rain, d‘interviews, d‘observations person-
du lac Tchad. Ethnologues, historiens, nelles. Contrairement à beaucoup
juristes, économistes (n’étant pas géogra- d‘enquêteurs qui retravaillent sous cli-
phe, je ne p e u pas parler pour eux) y matiseur les rapports que leur livrent
trouveront des informations inédites et leurs informateurs, l’auteur a sillonné le
matière à réflexion. pourtour et l’intérieur du lac Tchad,
La première partie de l’étude est accompagné de son seul interprète et
avant tout méthodologique. Extrême- toutes les informations qu’il livre, il les
ment critique par rapport aux acquis de a recueillies lui-même, directement.
la Géographie et par rapport à son pro- C’est, sans doute, ce qui explique la
pre travail (certains développements sur rareté (pour une thèse) des notes infra-
la subjectivité du chercheur pourraient paginales dont l’ouvrage est étayé.
sans doute être allégés), l’auteur ne l’est L’auteur livre ses observations et pré-
pas assez (excès de modestie ?) par rap- sente des faits : on peut discuter l’inter-
port aux connaissances acquises, à son prétation ou les conclusions qu’il en tire
époque, dans les autres disciplines, en (lui-même y invite), mais les faits sont
particulier par rapport aux connaissan- là et ils remettent souvent en question
ces sur l’histoire de l’Empire du Kanem des vérités acquises.
et de l’Empire du Borno (deux empi- La troisième partie ne manque pas
res qu’il ne faut pas confondre : ce n’est d‘intérêt lorsqu’elle décrit l’évolution
pas parce qu’un Orange est monté sur des systèmes agraires ou pastoraux et
le trône d’Angleterre que la Grande- l’adaptation des hommes et de leurs
Bretagne est devenue néerlandaise ou la sociétés aux modifications de l’environ-
Hollande britannique) ou par rapport nement, ou lorsqu’elle présente les
aux acquis ethnologiques sur la région mécanismes des circuits commerciaux et
- en particulier sur les Haddad )) (sic).
(( cherche leurs racines anciennes. Ceci
Par contre, il ébauche une Géographie
(( l’amène à remettre en question certai-
du vécu )) qui n’est pas sans intérêt : nes typologies trop rigides pour être
comment le paysan de tel village voit- l’expression du vécu des hommes et à
il le temps et l’espace? Comment remettre en cause la vision encore
maîtrise-t-il (ou ne maîtrise-t-il pas 2) ancrée chez certains auteurs d’un com-
l’un et l’autre, tant sur le plan indivi- merce sans traditions profondes dans
duel que sur le plan collectif? Cette l’Afrique sub-saharienne. Mais le non-
problématique, qui se fonde sur les géographe est moins convaincu par cer-
acquis de toutes les sciences humaines, tains développements plus théoriques,
peut paraître évidente à l’homme de ter- en particulier lorsque l’auteur entre dans
rain ;elle ne l’est certainement pas pour la discussion de la notion de région.
les experts, économistes, développeurs et Dans l’ensemble, on ne peut que
autres responsables de la coopération suivre l’auteur lorsqu’il cherche à faire
internationale (en particulier française), la jonction entre les différentes sciences
comme le montrent les exemples, don- humaines pour appréhender la réalité
nés en troisième partie de l’ouvrage, de sociale et l’on regrettera que les géogra-
((plans de développement qui ont phes soient souvent les seuls à suivre
connu des échecs retentissants. Le géo- cette voie. Comme beaucoup d‘autres
graphe sera-t-il entendu par le fonction- sciences humaines, la Géographie y
naire de la Coopération ? invite. Mais si les géographes ont de
La deuxième partie est des plus plus en plus recours à l’Histoire, à
intéressantes parce que particulièrement l’Ethnologie, à la Linguistique ou à la
riche en informations concrètes. On Sociologie, combien d’historiens, de
peut discuter les découpages géographi- sociologues, de politistes ou d’ethnolo-
ques choisis par l‘auteur (lui-même le gues sortent-ils de leur tour d‘ivoire étri-
fait), mais il reste une série de mono- quée ? Pourtant, qu’est-ce qu’un homme
graphies de terroirs, unique sur la hors de son environnement physique et
région considérée. Les descriptions que humain ? Qu’est-ce qu’un groupe sans
nous livre Ch. Bouquet sont de minu- son histoire et sa culture ? Ceci pose le

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problème de la notion d’ethnie, un con- peut, par ailleurs, bien se comprendre,


cept qui est fort discuté aujourd’hui, en s’il l’on considère l’état de la recherche
, particulier depuis la publication, en en sciences humaines au Niger.
1985, un an après la soutenance de la L’ouvrage de Charlick, en se situant
thèse de Ch. Bouquet, de Au c a w de dans une optique générale, s’inscrit dans
Z’ethnie de Amselle et Mbokolo : il est la lignée des ouvrages de J. Séré de
dommage que l’auteur n’ait pas pu pro- Rivières (1950, 1965), de F. Fuglestad
fiter de ce débat et nous présente une (1984) et de A. Salifou (1989). Mais il
vision qui, de nos jours, paraît bien va aussi au-delà des limites temporelles
rigide de l’ethnie. D.-P. M.] couvertes par ces ouvrages en intégrant
des champs d’études nouveaux comme
les relations internationales, thèmes
ignorés des précédents.
- Niger. Per-
CHARLICK(Robert B.). Le premier chapitre de l’ouvrage est
sonal Rule and Survival in Sahel. consacré au Sahel nigérien et à son peu-
- Boulder, Westview Press, 1991, plement. I1 s’agit d’une présentation de
189 p. l’univers physique et du cadre de vie
des peuples du Sahel nigérien. Ces peu-
ples sont ensuite présentés dans la
L’ouvrage de R.B. Charlick vient à diversité de leurs organisations sociales
point nommé, alors que les Nigériens et de leurs croyances religieuses; une
cherchent de nouvelles voies pour place particulière est accordée à l’islam.
asseoir les bases d’une politique nou- Sans doute, le principal apport de Char-
velle. Les sujets abordés sont divers et lick est d’analyser la structure sociale
l’on notera l’appréciable contribution de dans sa dynamique historique, en y inté-
l’auteur à l’analyse du système politique grant largement les périodes coloniale et
nigérien qui, comme on le sait, a été post coloniale et leurs effets sur la pro-
si peu étudié. duction subséquente de groupes sociaux
Et même s’il a pu exister des tra- nouveaux.
vaux de ce type, ils n’ont guère été Le second chapitre entre de plain-
publiés et continuent de croupir dans pied dans l’histoire de l’espace nigérien
les froids rayons des bibliothèques uni- qui est analysée dans sa dynamique poli-
versitaires françaises ou dans ceux, tique précoloniale (on se référera utile-
poussiéreux, des bibliothèques nigérien- ment à la carte, p. 28) puis coloniale.
nes. Et il est vrai qu’à ce sujet, .des thè- Sur ce dernier point, on soulignera les
ses remarquables ont été soutenues et développements consacrés aux politiques
pour certaines d’entre elles publiées du gouvernement français au Niger pen-
dans des éditions à diffusion plutôt res- dant cette période, de même que les
treinte. On pourrait citer à cet égard les intéressants passages sur la genèse du
travaux remarquables d’A. Salifou sur champ politique nigérien (cf. le tableau
Les sociétés indigènes face à la colonisa- de la p. 47 qui récapitule la dynamique
tion a u Niger (1978), de K. Idrissa sur des (re)compositions partisanes). Mais
L a formation de la colonie du NigW èntre tous ces Cléments sont déjà connus,
1880 et 1922 (1987), de M. Arzika sur puisqu’ils ont été plus ou moins abor-
Coutumes et sociétés a u Niger (1985) ; on dés par tous les auteurs que nous avons
ajoutera à cette liste indicative la riche cités précédemment.
collection d’Etudes nigériennes, publiée Le troisième chapitre de l’ouvrage,
par l’Institut de recherche en sciences consacré au système politique nigérien,
humaines du Niger depuis le début des constitue sans aucun doute une impor-
années 1960. Tous ces travaux ont la tante contribution à la connaissance du
spécificité d‘étudier soit des périodes politique au Niger. Charlick y présente
bien délimitées dans l’histoire du pays, non seulement une histoire du Niger
soit des régions bien particulières, sans postcolonial, mais tente également
qu’on puisse identifier une étude de d’expliquer le fonctionnement des régi-
portée générale faisant le point dans mes qui s’y sont succédé au pouvoir.
l’espace et le temps. Une telle situation Pour cela, il entreprend de vérifier cer-

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taines hypothèses de la science politique gences contemporaines auxquelles on ne


américaine, celles de la bureaucratie peut qu’adhérer. Penser qu’il existe dans
autoritaire et du pouvoir personnel - ce domaine des particularités propres à
qui inspirent d’ailleurs le titre de son l’Afrique centrale bantu sur la base
livre. I1 y a là incontestablement une d’une communauté linguistique, c’est
analyse intéressante et inédite du pro- rencontrer le même obstacle que celui
cessus du changement politique au des études Eministes : se penser à la fois
Niger. semblable et différent. Dans ce cas, et
Le quatrième chapitre traite de bien que préparé dans le cadre du Cen-
l’économie nigérienne ou plutôt de la tre international des civilisations Bantu
genèse de sa crise actuelle. L’analyse est de LiBreville, non seulement il n’est pas
articulée autour de la présentation des fait la preuve de particularités bantu D
secteurs économiques et de l’évaluation mais, inversement, (( dans le souci de
des stratégies rentières utilisées par les ménager les susceptibilités nationales des
différents régimes, ainsi que leurs effets uns et l’amour-propre des autres, il a été
sur la croissance et le développement convenu de ne pas préciser la zone de
économique. De même, l’auteur tente- validité (p. 15) des conclusions tirées.
))

t-il d’identifier les principaux bénéficiai- Le résultat de cet exercice d’autocen-


res de ces politiques. sure, où pèse lourdement l’autocratisme
Enfin, le dernier chapitre est une zairois, est déroutant de généralité,
tentative de synthèse de la place du d’imprécisions et finalement d’idées tou-
Niger dans le monde. Sont ainsi mis en tes faites, voire de caricatures. Car la
évidence les rapports particuliers qui culture ici envisagée est plus souvent
lient le Niger à la Frqce, de même que pensée comme un frein n que comme
((

les rapports avec les Etats-Unis, l’Alle- ((valeur positive )).Aussi ce guide, éta-
magne, le Japon et le Canada. Un bli à l’occasion d‘un séminaire en 1986,
regard est aussi jeté sur la politique afri- prend les apparences d’un catéchisme
caine où des développements particuliers avec des encadrés qui, dans chaque
sont consac$s aux rapports du Niger rubrique, condensent les conclusions à
avec les Etats voisins, notamment, vulgariser. On met en cause la jalousie,
l’Algérie, la Libye et le Nigeria. les forces occultes, l’alcoolisme, le mysti-
Ce livre démontre la connaissance cisme, l’absence d’éducation. Cela est
approfondie qu’a son auteur, pour avoir parfois amusant, parfois risible, parfois
séjourné plusieurs années au Niger en insupportable tant transparaît alors la
tant qu’agent de l’USAID, et par la naïve idéologie du rédacteur.
masse de documentation, parfois mécon- En dehors du chapitre consacré à la
nue du lecteur francophone, qu’il a uti- santé (pp. 75 à p. 98) dont les observa-
lisée. I1 s’agit assurément d’une contri- tions sont utiles, les autres analyses relè-
bution importante à la connaissance vent d’une conception évolutionniste et
d’un Etat dont o n sait si intellectualiste dont on doit avec tris-
peu ... [M.S.T.A.] tesse constater la permanence.
Malgré le besoin en guides et
manuels exprimé par les responsables
du développement rural, il sera sage,
CICIBA.- Facteurs culturels et pro- comme en matière d‘alcool, d’user de
jets de développement rural en cet ouvrage avec modération. [E.L.R.]
Afrique centrale. Points de repère.
- Paris, L’Harmattan, 1989, 182 p.

DE WAAL (Victor). - The Politics of


Ne pas considérer les cultures afri- Reconciliation. - Londres, Hurst,
caines comme des obstacles au dévelop- 1990,, 146p.
pement et abandonner des visions tech-
nocratiques et manipulatrices qui repo-
sent sur l’assimilation des valeurs La réconciliation dont il est question
modernes et occidentales sont deux exi- ici est celle que prôna Robert Mugabe

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à la suite de la victoire électorale de son Politica Internazionale consacre un


parti en 1980. Toutefois, en lisant le dossier au thème démocratie et déve-
bilan que dresse V. de Waal de ces diu loppement )) en Afrique, poursuivant en
dernières années, le lecteur est parfoiscela l’analyse des rapports entre (( pro-
tenté de se demander s’il ne s’agit pas cessus de changement et démocratie ))
plutôt pour lui de sceller par la même qui caractérise les orientations de la
occasion, grâce à une peinture avanta- revue et du Conseil de l’Institut italien
pour les relations entre l’Italie et les
geuse de l’action de l’élite actuellement
au pouvoir, une laborieqe réconciliationpays d‘cique, d’Amérique latine et du
Moyen-Orient, responsable de sa
entre cette dernière et 1’Eglise anglicane
dont il est un éminent représentant. publication.
I1 serait inutile de chercher dans ce Treize spécialistes, originaires de dif-
livre une analyse originale de l’expé- férents pays, ont collaboré 5 ce dossier
rience zimbabwéenne. La documentation et ils sont bien d’accord : 1’Etat africain
en est honnête mais ne sort guère des est en crise n, g en faillite et la
(( ))

sentiers battus. Pourtant les autorités démocratie ne se résume pas unique-


locales ont déroulé le tapis rouge sous ment au pluripartisme qui ne saurait
les pas de V. de Waal. Il a eu accès auxconstituer une potion miracle. D’autres
archives nationales et même à celles du mots reviennent également sous toutes
ministère de l’Information. Insigne hon- les plumes : corruption, marchés clan-
neur dans ce pays où l’obtention d’un destins ou parallèles, tribalisme, répres-
permis de recherche est une démarche sion, inégalités ...
kafkaïenne ! B. Davidson s’attarde sur l’organi-
Ce livre de :ommande, exécuté par sation politique de l’Afrique précoloniale
un homme d’Eglise pour le compte pqur en conclure que le système de
d’une institution caritative (Cold Com- l’Etat-nation s’est avéré désastreux.
fort Farm Trust), s’apparente parfois à Seule la voie de la démocratie parti-
((

un ouvrage de propagande douce et dis- cipative )) pourra porter la légitimité


tinguée, dédié à la paix entre les hom- populaire du bas vers le haut. J.-
mes... Programme inattaquable ! Son F. Bayart, quant à lui, situe la démo-
utilisation comme introduction au Zim- cratisation dans une perspective histo-
babwe contemporain n’est pas pour rique qui relie, en outre, la pratique de
autant à proscrire car il existe si peu l’autoritarisme au passé colonial.
de travaux ... I1 convient cependant de L’invention de la démocratie en Afrique
signaler à un lecteur non averti que requiert un métissage de sa conception
l’organisme qui a piloté cet écrit est coloniale avec les inégalités sociales, les
devenu aujourd’hui une fondation visant contradictions culturelles, ainsi que la
à superviser les recherches à dimension redéfinition des pratiques économiques
politique sur le pays et qu’il est direc-
et politiques. P. Valsecchi montre com-
tement sous la tutelle des dirigeants dument l’Etat, malgré sa nature clepto-
((

de facto one party state n. Le cratique ))et sa tendance, vers la


N patron n de Cold Comfort s’appelle (( monarchie informelle D, continue
Robert Mugabe et le plus influent de d’exister. On doit à M.-C. Ercolessi une
ses ((trustees n est Didymus Mutasa fine analyse des processus de démocra-
qui, après avoir dirigé dans les années tisation et des réformes institutionnelles
70 la ferme qui abrite aujourd’hui l’ins-
à travers l’établissement d’une typologie
titution, exerce actuellement les .fonc-des revendications en matière de chan-
tions de ministre des Maires politiques.gement politique. Des études de cas
V.J.Q.1 prolongent ces articles en évoquant la
Corne de l‘Afrique (G. Calchi Novati)
et l’Afrique australe (T. Young). L’inté-
gration régionale offre, pour D. Bach,
Democrazia e sviluppo in Africa )),
(( une ultime chance de remettre en ques-
Umberto Di Giorgi, dir., in : Politica tion la segmentation des Etats africains
Internazionale. - (Rome), vol. XIX, afin de promouvoir leur réinsertion dans
no 4, juillet-août 1991, 277 p. le marché mondial, tout en contrôlant

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LA REVUE DES L I V R E S

les flux informels qui ((montent à Dans un style direct, mais au prix d’une
l’assaut de 1’Etat D. La sauvegarde des démarche parfois confuse, A. Kabou
droits de l’homme, selon K. Toma- s’explique sur cette affirmation qui
sevski, ne doit pas être un obstacle aux prendra plus d’un à rebrousse-poils.
aides économiques internationales. Dans Impertinente sinon iconoclaste, passion-
la première des trois études économi- née mais parfois excessive, discutable
ques du dossier, E. Caputo évoque la mais toujours stimulante, son argumen-
coopération dans ses modalités idéales ; tation donnera à réfléchir, à défaut
K. Helleiner traite des résultats des pro- d’emporter tout à fait l’adhésion. De ce
grammes d’ajustement structurel et ne point de vue, ( ( E t si l’Afrique refusait
s’affirme optimiste qu’en ce qui con- le diveloppement ? N peut être considéré
cerne les opérations de longue durée ; comme une utile contribution au débat
V. Lele parle, lui, de la nécessité d’une sur (( l’afropessimisme D, quand bien
défense de l’agriculture, trop souvent même l’auteur nous laisse bien peu de
négligée lors des transformations indus- ...
raisons d’être optimistes [R.O.]
trielles. Enfii, c’est un cri d’alarme que
lance J.-D. Stryker devant les consé-
quences néfastes des plans d’ajustement
structurel sur l’environnement et les res- KEPEL (Gilles), RICHARD (Yann) (dir.).
sources naturelles. Bien qu’il soit publié - Intellectuels et militants de
hors dossier, un article de M. Micarelli l’Islam contemporain. - Paris, éd.
mérite d’être evoqué car )1 traite de la d u Seuil, 1990, 287 p., Index
coopération italienne en Ethiopie et en ((tSociologie N).
Somalie, un sujet peu connu en France.
[V.M.]
Après ses travaux bien connus sur
l’islamisme en Egypte, G. Kepel, avec
Y. Richard cette fois, nous présente ici
IUBOu (Axelle). - Et si l’Afrique sept études de cas sur les intellectuels
refusait le développement ? - Paris, islamistes. De l’Iran au Maroc, en pas-
L‘Harmattan, 1991, 207 p. sant par les Territoires occupés,
l’Egypte, la Turquie et Oman, les con-
tributeurs nous familiarisent avec les
A. Kabou ne se fera certainement discours et les stratégies de ces intellec-
pas que des amis avec ce livre ! Voilà, tuels issus des lieux de savoir moder-
<(

en effet, un regard sans complaisance nes B que sont les universités inspirées
aucune sur le <( mal africain et ses ori-
)> du modèle occidental. Paradoxe, mais
gines. En un peu plus de 200 pages, paradoxe apparent seulement, c’est au
l’auteur règle définitivement leur sein de ces produits de la culture euro-
compte à nombre d’idées reçues sur le péenne ou américaine que surgit et se
sous-développement et démythifie, une développe la critique de l’Occident et
fois pour toutes, les discours convenus que s’affirme l’exigence de 1’Etat isla-
sur les valeurs africaines 1). Tout le
(( mique. Ce paradoxe, les auteurs du livre
monde y passe, personne n’est oublié : l’expliquent clairement et, .d‘une étude
les tiers-mondistes et les anti-tiers- de cas à une autre, on voit bien l’unité
mondistes, les libéraux, les intellectuels et la diversité de la contestation isla-
africains, les oracles du management miste. A ce propos, la conclusion d’O.
appliqué à l’Afriqu5, l’OUA et son Roy (NLes nouveaux intellectuels isla-
syndicat de chefs #Etat, les (( masses N mistes : essai d’approche philosophi-
...
africaines Volontairement polémique, que v, pp. 261-283) s’avère particulière-
ce livre met le doigt sur les résistances ment bienvenue en ce qu’elle tente de
endogènes au développement en Afri- construire le type idéal )) de l’intellec-
((

que, résistances que résume une formule tuel islamiste, par opposition à l’intel-
brutale : L'Afrique est sous-développée
(( lectuel occidentalisé et à l’ouléma. Sa
et stagnante parce qu’elle rejette le déve- démarche est d’autant plus intéressante
loppement de toutes ses forces (p. 26).
)) qu’elle fait sens pour ceux qui tra-

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vaillent sur le radicalisme islamique en il des émules ? Micro-analyses ethnolo-


Afrique noire dont, au passage, on peut giques et fresques métaphysiques se jux-
regretter la totale absence du livre de taposent pour justifier une ethnologie
G. Kepel et Y. Richard. [R.O.] nomade (ethnonomie), un projet de réor-
ganisation de l’expression collective du
symbole, ((une intersubjectivité où
s’accomplit l’échange 1) (p. 231). Sous-
LE PICHON (Alain). - Le regard h é - traire le ou les déterminismes de la dia-
gal - Paris, J.-C. Lattes, 1991, 247 p. lectique anthropologique, c’est à mon
avis refuser l’historicité de sa relation et
donc de ses regards. Bien entendu il
I1 n’est pas évident de pouvoir fabri- faut porter l’autre en soi-même mais de
quer des paradigmes d’interprétation de ce point de vue même Levi-Strauss, le
l’histoire de l’ethnologie dans la mesure plus rationaliste des rationalistes, y est
où, jusqu’à présent, les traditions natio- parfaitement parvenu.
nales la modèlent si fortement. I1 existe L‘écoute des autres n’est pas qu’un
des relectures pourtant ambitieuses dont principe moral : il est également de
les prétentions quasi métaphysiques (et nature méthodologique. Croire en autrui
bibliques !) dénaturent des objectifs (voir la guérison des maux de dos de
méthodologiques plus modestes et jus- Le Pichon, pp. 194-195), c’est aussi
tifiés. Ainsi en est-il des efforts d’Alain savoir comment se faire comprendre.
Le Pichon pour mettre sur pied depuis Les renversements de perspectives anth-
une dizaine d’années une anthropologie ropologiques doivent venir simultané-
réciproque, c’est-à-dire une anthropolo- ment des anthropologues et des non-
gie inversée : en l’occurrence, c’est anthropologues. Mais à ce compte-là, les
l’occident qui se trouve l’objet du peul,,les soninké de Paris ou les intel-
regard africain. Dans le regard inégal, lectuels de Florence sont aussi bien
l’auteur révèle le fond de sa pensée : le armés les uns que les autres. Donner la
mode de connaissance occidental n’est parole à tout le monde est assurément
pas le seul mode de connaissance. démocratique. Mais pour se faire, la
L’auteur fait appel à une raison poéti- Bible comme la pensée peule sont des
que universelle (c qui n’est pas exclusive instruments aussi ethnocentriques les
de la connaissance analytique mais qui uns que les autres. Le travail sur sa dis-
la comprend (p. 13 et voir le chapi-
))
cipline et sur soi-même passe par un
tre p. 229 Vers une raison poétique en
((
inventaire plus méthodique et surtout
anthropologie D). I1 est certain que la par une dénonciation de la fausse uni-
logique scientifique relève d‘un rationa- versalité du subjectivisme. Les mauvai-
lisme positif, lui-même ((reflet d’un ses questions sont souvent plus utiles
mode de développement propre à nos qu’on ne le pense. J’ai toujours défendu
sociétés européennes )) (p. IO). Cepen- A. Le Pichon contre les cyniques de
dant, s’il existe une autonomie relative notre establishment mais je ne sais
du regard anthropologique, peut-on être quelle figure peut prendre ce mendiant
sûr que les modèles ethnologiques soient qui se placerait au carrefour des cultu-
autre chose qu’un sens commun sophis- res (page 241) ? Faut-il choisir (SEdipe,
tiqué ou une idéologie construite par le Sphinx ou aller ailleurs ? Personnel-
des chercheurs émangers ingénieux ? lement, je ne crois pas aux vertus de
Dans son essai, A. Le Pichon la connaissance prophétique (voir Tou-
reprend les archétypes de la Bible pour raine en sociologie) ou de la raison poé-
confronter une idéologie européenne pré tique. Mais il peut y avoir débat et il
ou pan-anthropologique à des modes de faut que ces rêves s’expriment. D.C.]
connaissance semi-empiriques, semi-
élaborés à l’exemple des modes de pen-
sée peuls sur lesquels il a jadis travaillé.
L’ouvrage prend lui-même la forme PATMAN (Robert (3,). -
The Soviet
d‘une fable poétique et biblique (Abel, Union in the Horn of Africa. The
Isaac, Jacob, Josephe). R. Girard ferait- Diplomacy of Intervention and

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LA REVUE DES LIVRES

Disengagement. - Cambridge, Cam- conflit Est/Ouest a pu inciter à une


bridge University Press, 1990, Soviet flexibilité plus ou moins grande.
and East European Studies, n o 71. L’analyse de la période 1974-1979,
évidemment cruciale, est particulière-
ment intéressante. L’auteur souligne
L’ouvrage de R. Patman offre une avec force détails le décalage qui exis-
excellente synthèse de la politique sovié- tait alors entre la perception des experts
tique dans la Corne de l’Afrique et l’attitude des décideurs politiques.
jusqu’en 1979. Après avoir rappelé les Entre 1974 et 1976, les experts soutien-
liens anciens entre l’Ethiopie et la Rus- nent les militaires éthiopiens
sie tsariste et orthodoxe, l’étude se con- (p. 106-107, p. 162); mais, dans le
centre sur la période 1955-1979. En même temps, la générosité soviétique
conclusion, l’auteur trace à grands traits permet à la Somalie d’accéder au qua-
les évolutions de la décennie 1980-1990, trième rang des puissances militaires de
nous laissant cependant sur notre faim, l’Afrique noire (p. 181). Cela oblige à
tant ce qui précède est précis et réintroduire, au-delà de certains choix
argumenté. stratégiques, les contradictions entre
Plus que sur la Corne dans son acteurs soviétiques - notamment dans
ensemble, c’est sur 1’Ethiopie et la cette période, l’opposition entre, d’une
Somalie que se concentre réellement part, l’amiral Gorshkov et le président
l’analyse. Si l’ouvrage ne comporte pas Podgorny, attachés au maintien des rela-
de révélations, la mise en regard du dis- tions avec la Somalie, et, d’autre part,
cours des experts et des politiques per- Andrey Gromyko et son fils Anatoly,
met de nuancer fortement certains juge- eux-mêmes partisans d’un rqnversement
ments sur :attitude soviétique. L‘inté- d’alliances en faveur de l’Ethiopie.
rêt pour l’Ethiopie, permanent depuis L’ouvrage, s’il reste bien évidemment
1955, ne peut se réduire à la seule centré sur la politique soviétique et le
dimension géostratégique, évidemment conflit EstDuest, mentionne l’impor-
cruciale. I1 y a également une affinité tance qu’ont eue dans la détermination
fondée sur une similitude entre l’URSS de la position de l’URSS d’autres
et ce pays que les experts soviétiques acteurs, comme la Chine, Israël et l’Ara-
soulignent à plusieurs moments (p. 140). bie saoudite. I1 indique également com-
La Somalie est, elle, une société bien ment les tensions entre les grandes puis-
plus hermétique aux Soviétiques et sances ont été jusqu’à un certain point
l’auteur montre leur incapacité à perce- instrumentalisées par les Etats de la
voir la société réelle, mais aussi leur région, avec brio pour la Soma-
méfiance croissante, dès le début des lie (p. 99). I1 faut regretter cependant
années 1970, face à un régime dont les que l’on n’en dise pas plus sur le débat
régulations étaient bien étrangères aux au sein des alliés de l’URSS présents
canons du marxisme-léninisme. dans la région, comme Cuba ou l’ex-
R. Patman restitue également la RDA, ni sur leurs éventuelles divergen-
complexité ou l’ambiguïté de la position ces. Malgré quelques erreurs factuelles
soviétique sur les revendications natio- dues à un emploi trop confiant de sour-
nalistes érythréenne et pansomalienne. ces secondaires, l’auteur prend garde
I1 montre que, dans le premier cas, d’éviter certaines facilités ou des analy-
l’URSS n’a jamais soutenu l’idée d’une ses téléologiques : ses remarques SUT la
indépendance de l’ancienne colonie ita- possible-intervention soviétique dans le
lienne, mais a réagi sur cette question coup d‘Etat en Somalie en 1969, ou son
en fonction des gains possibles des puis- analyse du basculement de l’URSS en
sances occidentales : pas de protestation faveur de 1’Ethiopie témoignent d’une
en 1962, lors de l’annexion de 1’Eryth- grande rigueur méthodologique.
rée par 1’Ethiopie et refus de l’octroi Certes, ce livre ne répond pas à tou-
d’une aide directe aux nationalistes tes les questions et ne dit rien des
érythréens. Les aspirations unitaires réseaux construits grâce à cette présence
somaliennes ont toujours été perçues soviétique dans la Corne, ni de la per-
avec une certaine méfiance, même si le ception de l’URSS par les élites politi-

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LA REVUE DES LIVRES

ques régionales. De plus, l’ouvrage RUGGIERI (Giuseppe) (éd.).- Église


demeure souvent plus une analyse diplo- et histoire de 1’Eglise en Afrique.
matique qu’une réelle sociologie des - Paris, Beauchesne, 1988, 393p:
relations internationales, sans doute
parce que l’accès aux sources soviétiques
n’est pas des plus aisés. Mais il n’en Cet ouvrage collectif rassemble les
constitue pas moins une somme. [R. M.] contributions exposées lors du colloque
organisé à Bologne en Italie en octobre
1988 par l’Institut des sciences religieu-
ses de Bologne et l’Ecole française de
ROULAND (Norbert). - Aux confrns Rome. I1 est structuré autour de cinq
du Droit. - Paris, Éditions Odile grandes thématiques qui traitent de
l’historique de la conquête missionnaire
Jacob, 1991, 318 p. (Sciences humaines).
de l’Afrique, de l’idéologie et de la pra-
tique du christianisme, des rapports de
Poursuivant, dans une collection et celui-ci avec l’islam, de l’africanisation
chez un éditeur réputés, son œuvre de de 1’Eglise et enfin des problèmes de
vulgarisation créative, Norbert Rouland méthodologie liés à une histoire ecclé-
présente ici une suite de son manuel siale africaine. Des thématiques peu ori-
Antlzropologie juridique (Paris, PUF, ginales, et amplement débattues sur
1988). Son objet est le Droit tel qu’il d‘autres tribunes, auxquelles des contri-
est perçu en Occident et selon ce que buteurs fort érudits ont essayé d’appor-
peut en dire un observateur, anthropo- ter leur grain de sel. I1 faut saluer les
logue et historien, aussi sensible au mes- remarquables études, qu’on aimerait voir
sage d’une publicité à la télévision se multiplier, de Patrick Ryan et de
qu’aux théories contemporaines. Joseph Kenny sur les relations de
Restituant parfaitement les évolu- l’islam et du christianisme. [C.M.T.]
tions et les questionnements de l’anth-
ropologie du Droit à l’échelle euro-
péenne, l’ouvrage de Norbert Rouland
doit intéresser directement les politistes VERIN (Emmanuel Nirina). - Les
africains et africanistes par la nature Comores dans la tourmente : vie
même de la problématique mise en politique de l’archipel de 1976 h
œuvre, valable pour interpeler le déve- 1978. - Paris, INALCO, 1988, 118 p.
loppement du Droit au nord comme au (Etudes océan Indien, diffusées par
sud de la Méditerranée. l’AIGLON, association des étudiants de
Interpelé par la pluralité des histoi- 1’INALCO).
res, des modèles et des valeurs, l’auteur SULTAN CHOUZOUR. -
Le POUVOh’
présente l’état des recherches les plus de l’honneur. Essai sur l’organisa-
récentes sur le monopole étatique de la tion sociale traditionnelle de Nga-
violence, les virtualités d’un (( ordre zidja et sa contestation. -
Paris,
négocié )) et les risques du pluralisme INALCO, 1989, 508p.
juridique pour déboucher sur deux
grands débats : l’universalisme contesté
des Droits de l’homme et la reconnais- Un autre titre possible de la notice
sance d’un G droit de la nature )). d‘Emmanuel Vérin aurait pu être Les ((

Dans une langue souveraine, avec Comores des années noires D. Le noir
des exemples savoureux, l’auteur sait était en effet la couleur qu’avait adop-
introduire l’exigence éthique dans les tée le président Ali Soilihi pour carac-
discussions techniques et obligera le tériser l’état de la société comorienne
juriste à repenser son art. Notons tou- avant l’adoption du socialisme. Ses
tefois que la poursuite d’une telle aspects féodaux
(( et (( islamistes
)) ))

réflexion exigera d’autres engagements, devaient être éclairés par les lumières de
en particulier sur le terrain de I’obser- la révolution. Pour mes interlocuteurs
vation participante et sur celui des choix des années 1986 à 1989, le noir ‘était
politiques. [E.L.R.] plutôt celui des citernes où ils étaient

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LA REVUE DES LIVRES

enfermés de retour de mission à l’étran- particulier de Soilihi l’intellectuel et


ger pour retrouver, grâce à un régime d’Abdallah à mi-chemin entre le Sultan
de mise à la diète, les vertus de la fm- et le planteur madré. I1 manque aussi
galité révolutionnaire. Pour d’autres, à l’analyse du rôle du clan des Réunion-
Ouani par exemple, dans l’île nais, des liens entre les stratégies écono-
d‘Anjouan, ces années noires rappellent miques et les tactiques politiques, à
tous les morts qu’ont eu à déplorer les Mayotte, à la Réunion et en France, puis
Anjouanais et les privations qu’ils une explication des mauvaises raisons . I

eurent à endurer. qui, finalement, font de facto le politique.


Souvent, u n parallèle se présente à Mais ces limites, qui sont celles du
l’esprit entre le projet des Khmers rou- mémoire qui a donné naissance à la
ges de Pol Pot et celui d‘Ali Soilihi. La publication, ne doivent pas cacher l’inté-
volonté d’effacement des structures colo- rêt que le lecteur trouvera dans cet
niales et la remise en cause des institu- ouvrage, judicieusement accompagné
tions traditionnelles compromises avec d‘une chronologie et de discours remar-
le pouvoir colonial puis considérées quables d‘A. Soilihi. On espère donc
comme des obstacles à la révolution se qu’E. Verin nous écrua prochainement
retrouvent bien dans la période d’exa- un ouvrage d‘histoire, qui puisse être le
cerbation de la révolution de 1977
(( )) digne pendant de la géographie des
((

à 1978. Par contre, la violence, réelle, Comores )).


a été réduite aux Comores et n’a jamais La thèse de Sultan Chouzour sou-
constitué un projet de génocide. Le tenue en 1989 est à, cet égard, d’un
texte d’E. Verin le montre avec beau- apport tout aussi intéressant. L’honneur
coup de pudeur, tant ces faits spnt est dans les sociétés africaines islamisées,
encore vivants car le projet d’Etat(( du Sénégal aux Comores, une valeur .
lycéen qu’avaient vulgarisé les deux
)) d’autant plus fondatrice des rapports
articles de J.C.Pomonti dans Le Monde sociaux qu’elle est idéalisée.
des 5 et 6 août 1977 pourrait redevenir Sortie de ses obligations juridiques
d’actualité alors que les quinze derniè- et des vendettas, elle constitue une
res années n’ont fondamentalement rien représentation intemporelle, donc
réglé des problèmes de l’indépendance : moderne à certains égards, des aspira-
Mayotte reste une entité administrative tions et des références que les musul-
française j la dépendance économique et mans peuvent partager. Sur le plan
alimentaire est toujours totale. Les moral, l’honneur remplit ainsi chez les
grands mariages si dispendieux, critiqués sunnites un vide laissé par l’absence de
par Ali Soilihi, restent à l’ordre du jour relais i( cléricaux N. I1 est aussi particu-
alors que, de plus en plus, la société lièrement valorisé par la fonction de
comorienne paraît duale et pour l’essen- médiation qu’il permet d’assurer entre
tiel exprime sa dynamique et se repro- le visible et l’invisible, l’ici et l’ailleurs,
duit dans les diasporas de l‘extérieur, à le maintenant et l’origine d u groupe.
Marseille par exemple. Les exemples détaillés par Sultan Chou-
L’ouvrage d’E. Verin est particuliè- zour de quelques institutions comorien-
rement précieux, par son objectivité et, nes, les classes d’âge, le grand mariage
malgré certaines imprécisions, pour ou le règlement des conflits en illustrent
prendre la mesure de l’abandon dans les virtualités, Son analyse de la
lequel la France de la 5e République (( période noire 1) comme crépuscule de
((

avait laissé les Comores, mais aussi du la coutume et de la religion )) est


défi que représentaient la déclaration d’autant plus nuancée (pp. 400-460)
unilatérale d’indépendance d‘A. Abdal- qu’il fut un des protagonistes, à Paris,
lah puis le coup d’Etat de l’ingé- (( des débuts de la période révolutionnaire.
nieur Soilihi, sans parler des consé-
)) Comme on le constate ainsi, les
quences de l’abandon, à la gui-
(( petites îles n‘en ont pas moins de ,

neenne )), des trois îles par l’ancien grands problèmes et l’on se félicite
colonisateur. qu’une nouvelle génération de cher-
I1 manque au récit d‘E. Verin un por- cheurs nous en donne une connaissance
trait plus fouillé des protagonistes, en plus profonde. [E.L.R.]

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