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BONHEUR AU TRAVAIL ET PERFORMANCE FINANCIERE

De l’étude quantitative de la relation au modèle prédictif

Renaud Gaucher (IFAS)

1
SOMMAIRE

SOMMAIRE ...................................................................................................................................................... 2

1. INTRODUCTION........................................................................................................................................ 4

1.1 ALIGNER LES INTERETS DES EMPLOYES ET CEUX DE L’ENTREPRISE AU MOYEN DU BONHEUR AU TRAVAIL ................................ 4
1.2 LE CADRE SCIENTIFIQUE : PSYCHOLOGIE POSITIVE, ECONOMIE DU BONHEUR, ECONOMETRIE DE L’INTERIEUR ET FINANCE
D’ENTREPRISE.......................................................................................................................................................... 5
1.3 LES OBJECTIFS DE L’ETUDE.................................................................................................................................... 5
1.4 LES PRINCIPAUX POINTS FORTS DE L’ETUDE .............................................................................................................. 6
1.5 LA PRINCIPALE LIMITE DE L’ETUDE .......................................................................................................................... 7
1.6 LA QUESTION DE LA REPRESENTATIVITE DES RESULTATS .............................................................................................. 7
1.7 LE PLAN............................................................................................................................................................ 7

2. A QUEL POINT LES PERSONNES INTERROGEES SONT-ELLES HEUREUSES OU NON AU TRAVAIL ? ............. 8

2.1 LA METHODE..................................................................................................................................................... 8
2.2 LES RESULTATS DE L’APPROCHE HEDONIQUE ............................................................................................................ 8
2.3 LES RESULTATS DE L’APPROCHE EUDEMONIQUE ...................................................................................................... 10
2.4 LES RESULTATS DE L’APPROCHE DE L’USAGE DU TEMPS............................................................................................. 11
2.5 PROPOSITIONS POUR AMELIORER LE BONHEUR AU TRAVAIL....................................................................................... 16

3. A QUEL POINT LE BONHEUR AU TRAVAIL ET LA PERFORMANCE FINANCIERE PEUVENT-ILS ETRE LIES ? . 19

3.1 LA METHODE................................................................................................................................................... 19
3.2 LE BONHEUR AU TRAVAIL ET LA PERFORMANCE FINANCIERE SONT-ILS LINEAIREMENT LIES ? ............................................. 20
3.3 LE BONHEUR AU TRAVAIL LE PLUS GRAND EST-IL LIE A LA PERFORMANCE FINANCIERE LA PLUS GRANDE ? LE BONHEUR AU
TRAVAIL LE MOINS GRAND EST-IL LIE A LA PERFORMANCE FINANCIERE LA MOINS GRANDE ? ................................................... 21
3.4 EST-CE QUE LES CONCEPTS DU BIEN-ETRE SUBJECTIF ET DU BIEN-ETRE PSYCHOLOGIQUE AU TRAVAIL SONT EXPLICATIFS DE LA
PERFORMANCE FINANCIERE ? ................................................................................................................................... 22
3.5 EST-CE QU’UN MODELE LINEAIRE EST LE MEILLEUR MODELE POUR RENDRE COMPTE DE LA RELATION ENTRE BONHEUR AU
TRAVAIL ET PERFORMANCE FINANCIERE ?.................................................................................................................... 22
3.6 L’APPORT DE L’APPROCHE DE L’USAGE DU TEMPS DANS LA COMPREHENSION DE LA RELATION ENTRE BONHEUR AU TRAVAIL ET
PERFORMANCE FINANCIERE ...................................................................................................................................... 25

4. PEUT-ON METTRE EN EVIDENCE DE POSSIBLES DETERMINANTS COMMUNS AU BONHEUR AU TRAVAIL


ET A LA PERFORMANCE FINANCIERE ? ........................................................................................................... 26

4.1 LES QUATRE CONCEPTS TESTES ............................................................................................................................ 26


4.2 LA METHODE................................................................................................................................................... 27
4.3 A LA RECHERCHE DU DETERMINANT QUI FAVORISERAIT LE PLUS LE BONHEUR AU TRAVAIL ................................................ 27
4.4 A LA RECHERCHE DU DETERMINANT QUI FAVORISERAIT LE PLUS LA PERFORMANCE FINANCIERE......................................... 29

5. UN MODELE PREDICTIF AFIN DE COMPRENDRE COMMENT OPTIMISER LA RELATION ENTRE BONHEUR


AU TRAVAIL ET PERFORMANCE FINANCIERE .................................................................................................. 29

5.1 LE MODELE PREDICTIF ....................................................................................................................................... 29


5.2 EST-IL POSSIBLE DE FINANCER UNE POLITIQUE D’AMELIORATION DU BONHEUR AU TRAVAIL PAR L’AUGMENTATION DE
PERFORMANCE QUE CETTE POLITIQUE APPORTERAIT ? ................................................................................................... 30

6. CONCLUSION ......................................................................................................................................... 31

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ................................................................................................................... 33

2
AVERTISSEMENT

Dans cette étude, le masculin est utilisé comme représentant des deux sexes, sans discrimination à
l’encontre des hommes et des femmes, et dans le seul but d’alléger le texte et d’en faciliter la
lecture.

3
1. INTRODUCTION

1.1 Aligner les intérêts des employés et ceux de l’entreprise au moyen du bonheur
au travail

Pour beaucoup d’entre nous, être heureux est important, d’abord parce qu’il est agréable d’être
heureux, ensuite parce que nous pouvons subodorer que le bonheur peut avoir des conséquences
positives sur nos vies, ce que des études scientifiques confirment (pour une revue de littérature, voir
Lyubomirsky, King et Diener, 2005).

Dans le même temps, une entreprise, fût-elle une entreprise de l’économie sociale et solidaire, existe
dans une économie de compétition. Aussi bien sa survie que son développement dépendent donc de
sa capacité à être compétitive.

Notre Graal est d’essayer de favoriser l’alignement des intérêts des employés et ceux de l’entreprise
pour le bien des employés et de l’entreprise. Pour ce faire, il convient de trouver des moyens qui
permettent cet alignement.

Cette approche est une approche pragmatique. Si une politique est intéressante pour les employés
mais qu’elle coûte plus d’argent à l’entreprise qu’elle ne lui en rapporte, alors la probabilité que cette
politique soit mise en place sera moindre que si elle permet à l’entreprise de gagner plus d’argent
qu’elle ne lui coûte.

Il est cependant à noter que l’amélioration du bonheur au travail des employés peut être en soi un
objectif des entreprises dans une démarche de RSE.

Pour comprendre à quel point le bonheur au travail peut être un investissement rentable, nous
pouvons imaginer deux voies : se demander si le bonheur au travail peut aider à réduire les coûts et
se demander s’il peut permettre d’augmenter le chiffre d’affaire ou le bénéfice. Nous allons nous
intéresser à la deuxième voie, qui est plus difficile à analyser. Plus précisément, nous allons nous
centrer sur la relation entre bonheur au travail et performance financière. Pour autant, notre travail
prépare aussi à une analyse de la première voie.

En ce qui concerne la relation entre bonheur au travail et performance financière, une relation
gagnante, hypothétiquement, peut s’établir de trois façons. La première est que le bonheur au travail
en lui-même soit source de performance financière, la deuxième est que le bonheur au travail et la
performance financière aient des déterminants communs, la troisième est que la performance
financière en elle-même soit source de bonheur au travail. Dans notre étude, nous allons nous nous
sommes intéressé aux deux premières possibilités. La raison de ce choix est la suivante : nous
souhaitons comprendre comment l’amélioration du bonheur au travail et de ses déterminants peut
influencer la performance financière.

D’un point de vue théorique, si la compétitivité des entreprises peut être améliorée grâce au
bonheur au travail, alors il y a une incitation claire pour les entreprises à améliorer le bonheur au
travail de leurs employés. Les entreprises pionnières auraient un avantage, avantage qui se réduirait

4
avec le nombre de plus en plus important d’entreprises qui suivraient le mouvement. Au final, si
toutes les entreprises se saisissaient avec la même intelligence d’un même outil, il n’y aurait plus
d’avantage compétitif pour aucune d’entre elles. Par contre, il y aurait une société plus heureuse au
travail. Bien évidemment, dans la réalité, les choses seraient plus compliquées. Ainsi, nous savons
que des entreprises d’un même secteur peuvent rester très différentes dans leur performance même
dans un contexte de haute compétition (Gibbons et Henderson, 2012).

1.2 Le cadre scientifique : psychologie positive, économie du bonheur,


économétrie de l’intérieur et finance d’entreprise

Notre étude est au carrefour de quatre champs scientifiques : la psychologie positive, l’économie du
bonheur, l’insider econometrics et la finance d’entreprise.

La psychologie positive peut être définie comme l’étude scientifique du meilleur de l’être humain. Un
des objectifs de la psychologie positive est de rééquilibrer la psychologie en tant que science, science
qui a tendance à beaucoup plus s’intéresser à ce qui ne fonctionne pas plutôt qu’à ce qui fonctionne
(Keyes et Lopez, 2005).

L’économie du bonheur est une branche récente et marginale de l’économie qui fait le lien entre la
psychologie du bonheur et l’économie. C’est « une démarche essentiellement empirique : elle
cherche à mesurer le bonheur et estimer les déterminants de la satisfaction ou du bien-être
déclaré » (Davoine, 2012).

L’insider econometrics ou économétrie de l’intérieur (traduction de l’auteur) est une méthode qui
consiste à recueillir des données très fines dans une ou des organisations et de traiter ces données
de manière économétrique (Ichniowski et Shaw, 2006), l’économétrie étant la branche statistique de
l’économie. Les études portant sur une seule entreprise ou sur une partie d’une entreprise (single-
firm studies) sont une des formes que peut prendre l’économétrie de l’intérieur.

La finance d'entreprise est la branche de la finance qui s'intéresse aux décisions, aux opérations et
aux équilibres financiers des entreprises. Comme nous allons le voir, au-delà d’une étude de la
relation entre bonheur au travail et performance financière, l’objectif est de développer et tester un
modèle prédictif qui permette de comprendre à quel point une politique d’amélioration du bonheur
au travail peut être financée par ses conséquences financières futures.

1.3 Les objectifs de l’étude

Notre objectif est d’étudier la relation entre bonheur au travail et performance financière pour
mieux la comprendre pour elle-même et pour tester un modèle prédictif dont le but est de
permettre l’optimisation de cette relation.

A ces fins, nous avons divisé cet objectif en quatre objectifs intermédiaires.

5
Le premier objectif intermédiaire est de proposer un tableau du bonheur au travail pour le
département de commerciaux de l’entreprise. Nous avons utilisé différentes mesures du bonheur au
travail afin de donner une image plus complète que ne l’aurait fait une mesure unique.

Le deuxième objectif intermédiaire de l’étude est d’étudier la relation entre bonheur au travail et
performance financière. Est-ce que le bonheur au travail est lié à la performance financière ? Est-ce
que le bonheur au travail le plus grand est lié la performance financière la plus grande ? Est-ce qu’un
modèle du bonheur au travail peut être un meilleur prédicteur de la performance financière qu’un
autre ? Est-ce qu’un modèle linéaire est le meilleur modèle pour rendre compte de la relation entre
bonheur au travail et performance financière ? Est-ce que la relation change selon les mesures
utilisées ?

Le troisième objectif intermédiaire est d’essayer de trouver des déterminants communs au bonheur
au travail et à la performance financière. Pour ce faire, nous testerons différents modèles issus de la
recherche : trois modèles issus de la psychologie - la mindfulness, le flow et la motivation – et un
modèle issu de l’économie - le système de travail à haute performance.

Le quatrième et dernier objectif intermédiaire est de proposer un modèle prédictif et de tester ce


modèle à l’aide de certains des résultats obtenus.

1.4 Les principaux points forts de l’étude

Le premier point fort est l’adaptation de la méthode de reconstruction de la journée de Kahneman et


ses collègues (2004) au monde du travail afin de gagner en intelligence sur le bonheur au travail,
mais aussi sur la performance financière. Notre adaptation, tout en gardant les atouts de la version
de Kahneman et ses collègues, est plus pratique car moins longue à passer en tant que
questionnaire. Elle nous a permis notamment de mesurer l’évolution des émotions tout au long de la
journée, de connaître la relation entre les différentes tâches d’un commercial et son niveau de
bonheur, d’avoir une estimation de la portion de la journée de travail où les émotions négatives
dominent et de pouvoir faire des propositions sur l’organisation même de la journée d’un
commercial afin d’améliorer à la fois son bonheur au travail et sa performance financière.

Le deuxième point fort est d’avoir fait se rencontrer l’économie du bonheur et l’économétrie de
l’intérieur en créant une base de données originale. L’économétrie de l’intérieur est une démarche
scientifique récente qui consiste à recueillir des données à un niveau micro et à traiter ces données à
l’aide de l’économétrie. Les économistes utilisant la méthode de l’économétrie de l’intérieur ne
s’intéressent pas au bonheur dans leurs études (pour une revue d’études utilisant l’économétrie de
l’intérieur, voir Ichniowski et Shaw, 2013). Dans le même temps, les économistes du bonheur n’ont
pas l’habitude d’utiliser l’économétrie de l’intérieur dans leurs études, alors que cette approche
permettrait de développer des bases de données d’une grande finesse sur le bonheur au travail.
Notre travail permet de jeter un pont entre l’économie du bonheur et l’économétrie de l’intérieur.

Le dernier point fort est la présentation d’un modèle prédictif qui devrait aider à comprendre à quel
point une politique d’amélioration du bonheur au travail peut être autofinancée par ses

6
conséquences financières. Cette méthode n’est fonctionnelle que dans des entreprises et les services
ou départements de plus de 30 personnes.

1.5 La principale limite de l’étude

La principale limite de l’étude tient dans le fait que nous avons peut-être sous-estimé le caractère
stochastique de la performance à court terme des commerciaux. C’est une hypothèse parmi deux
autres pour expliquer pourquoi nos résultats sur la recherche de modèles explicatifs de la
performance sont décevants. Les deux autres hypothèses sont qu’il est possible qu’il y ait des erreurs
dans le recueil des données lorsqu’il s’agit de données chiffrées sur la performance et qu’il est
possible que les modèles testées ne permettent pas d’expliquer la performance.

1.6 La question de la représentativité des résultats

Sur les 189 commerciaux du service, 97 ont participé à l’étude. Bien évidemment, il est improbable
que nos échantillons soient représentatifs de l’ensemble des commerciaux comme il est entendu
dans la méthode des quotas.

Cependant, le fait de ne pas suivre la méthode des quotas a des avantages non négligeables.
D’abord, cette méthode a des limites : elle ne permet de prendre en considération qu’un petit
nombre de paramètres, essentiellement socio-démographiques. Ensuite, l’économétrie permet de
tenir compte de ces paramètres si cela est souhaité. Enfin et surtout, l’avantage majeur de notre
étude est qu’elle est démocratique. Chacun a le droit de répondre et les réponses de chaque
répondant ont la même valeur.

1.7 Le plan

Le plan reprend les quatre objectifs secondaires de l’étude. Dans la première partie, nous proposons
un tableau du bonheur au travail dans le service étudié ainsi que des propositions subséquentes pour
l’améliorer. Dans la deuxième partie, nous étudions la relation directe entre bonheur au travail et
performance financière au moyen de différents outils statistiques. Dans la troisième partie, nous
étudions la relation indirecte entre bonheur au travail et performance financière en partant à la
recherche de déterminants communs possibles. Dans la dernière partie, nous présentons un modèle
prédictif qui doit permettre d’optimiser la relation entre bonheur au travail et performance
financière et nous le testons.

7
2. A quel point les personnes interrogées sont-elles heureuses ou non au
travail ?

2.1 La méthode

Nous avons mesuré le bonheur au travail selon trois approches : l’approche hédonique, l’approche
eudémonique et l’approche de l’usage du temps.

L’approche hédonique lie le bonheur au plaisir (Kahneman, 1999). Cette approche est dominée par le
modèle du bien-être subjectif, un modèle en trois composantes : la satisfaction, les émotions
positives et les émotions négatives. Nous avons mesuré chacune des trois composantes à l’aide d’un
questionnaire validé pour les émotions – la validation francophone du PANAS (Gaudreau et ses
collègues, 2006) et à l’aide de deux mesures que nous avons développées pour la satisfaction au
travail.

L’approche eudémonique lie le bonheur à l’accomplissement de soi, au plein exercice de ses


capacités. Pour représenter cette approche, nous avons utilisé le modèle développé du bien-être
psychologique au travail de Dagenais-Desmarais et Savoie (2012). Ce modèle possède cinq
dimensions : l’adéquation interpersonnelle au travail, l’épanouissement au travail, le sentiment de
compétence au travail, la reconnaissance perçue au travail et la volonté d’engagement au travail.

L’approche de l’usage du temps permet de réduire les biais des mesures utilisées dans les approches
hédonique et eudémonique et d’apporter des informations nouvelles sur le bonheur au travail. Ces
biais sont la négligence de la durée et le surpoids donné aux pics émotionnels et aux moments
précédents le remplissage des questionnaires (Kahneman, 1999). Afin de réduire ces biais, nous
avons mesuré le bonheur au travail tout au long de la journée de travail. Nous nous sommes appuyé
sur le travail de Kahneman et ses collègues (2004, 2006) et nous l’avons adapté au monde du travail
en créant la méthode de reconstruction de la journée de travail.

2.2 Les résultats de l’approche hédonique

Tableau : le bien-être cognitif et le bien-être émotionnel au travail

En médiane En moyenne

Satisfaction au travail (mesure 5 4,61


1)
Satisfaction au travail (mesure 4,2 4,2
2)
Emotions positives au travail 3,55 3,55

Emotions négatives au travail 2,1 2,13

8
Pour mesure la satisfaction, nous avons créé une échelle à un item (mesure 1) et une échelle à cinq
items (mesure 2). La seconde échelle a une bonne fiabilité (alpha de Cronbach de 0,87) et une bonne
validité convergente et divergente. Nous n’avons pas réalisé d’autre traitement psychométrique.

Pour les émotions positives et négatives, nous avons utilisé le PANAS (Watson et ses collègues, 1988)
dans sa version francophone (Gaudreau et ses collègues, 2006).

Les échelles vont de 1 (pas du tout satisfait/ pas du tout d’accord) à 7 (totalement satisfait/
totalement d’accord) pour les mesures de la satisfaction et de 1 (très peu ou pas du tout) à 5
(énormément) pour la mesure des émotions positives et négatives.

En ce qui concerne la satisfaction globale au travail (bien-être cognitif), les commerciaux déclarent
être plutôt satisfaits de leur travail (mesure 1 de la satisfaction). La mesure 2 est plus exigeante, ce
qui a pour conséquence attendue de faire descendre le résultat. Les deux échelles ont tendance à
écraser les résultats (il est difficile d’avoir de très bons ou de très mauvais résultats sur un
échantillon), mais ont l’avantage de permettre l’expression de l’insatisfaction. Ainsi, en médiane et
en moyenne, nous savons que les commerciaux ne sont pas insatisfaits de leur travail.

En ce qui concerne les émotions (bien-être émotionnel), les commerciaux déclarent des émotions
positives à un niveau modéré et légèrement plus (médiane et moyenne autour de 3,5). Ils déclarent
également ressentir peu d’émotions négatives (médiane et moyenne autour de 2). Cependant, deux
émotions négatives sont proches d’un niveau modéré : l’angoisse (2,77) et la nervosité (2,82).

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2.3 Les résultats de l’approche eudémonique

Tableau : le bien-être psychologique au travail et ses cinq dimensions pour les commerciaux de
l’entreprise française et pour 1 080 travailleurs canadiens

En médiane En moyenne Echantillon de 1 080


travailleurs canadiens
(en moyenne)
Indice de bien-être 3,96 3,88 3,89
psychologique au
travail
Adéquation 4,2 3,99 3,94
interpersonnelle au
travail
Epanouissement au 3,8 3,69 3,73
travail

Sentiment de 4,4 4,25 4,26


compétence au travail

Reconnaissance perçue 3,4 3,4 3,91


au travail

Volonté d'engagement 4,2 4,06 3,64


au travail

Le questionnaire utilisé pour mesurer le bonheur au travail dans son approche eudémonique et
l’Indice de bien-être psychologique au travail de Dagenais-Desmarais et Savoie (2012). L’échelle va de
0 à 5. 0 marque le fait que le répondant déclare une absence de bonheur pour la dimension mesurée,
5 une présence extrêmement forte de bonheur pour la dimension mesurée.

En plus des résultats du département de commerciaux de l’entreprise française, nous donnons les
résultats obtenus par Dagenais-Desmarais et Savoie (2012) sur 1 080 travailleurs canadiens. Ce sont
des résultats en moyenne.

Nous fournissons ces résultats afin d’approfondir la réflexion, non pour savoir s’il y a un échantillon
où les résultats sont meilleurs que d’autres. Le bonheur, que ce soit entre entreprises ou à l’intérieur
d’une même entreprise, n’est pas une compétition et ce pour trois raisons.

D’abord, que ce soit pour une personne ou une organisation, il s’agit d’être sur son propre chemin.
Le bonheur est un but important, mais il est possible de choisir d’être un peu moins heureux afin de
réaliser d’autres buts. Ensuite, les personnes ayant une approche de maximisation (obtenir le
meilleur) sont souvent moins heureuses que celles ayant une approche de satisfaction (obtenir
quelque chose qui soit au-dessus d’un niveau jugé satisfaisant). Enfin, il serait facile d’apparaître
comme la personne, l’entreprise ou le service le plus heureux en remplissant des questionnaires : il

10
suffirait de remplir les bonnes cases. Mais cela ferait perdre toute valeur informative aux études
menées (Gaucher, 2012).

D’un point de vue global, les commerciaux français déclarent un niveau élevé de bien-être
psychologique. En effet, la médiane et la moyenne sont proches de 4.

De manière détaillée, il apparaît que le sentiment de compétence et la volonté d’engagement sont


les dimensions les plus fortes et la reconnaissance perçue et l’épanouissement au travail les
dimensions les plus faibles.

Si nous regardons les résultats obtenus au Canada, nous nous apercevons que les commerciaux de
français déclarent un plus haut niveau d’engagement et un plus bas niveau de reconnaissance
perçue. La comparaison se fait uniquement sur les moyennes car nous n’avons pas les médianes pour
l’échantillon canadien et les résultats sont statistiquement significatifs. Cela nous permet de
confirmer qu’il y a un potentiel d’amélioration sur la dimension reconnaissance perçue au travail.

2.4 Les résultats de l’approche de l’usage du temps

Les résultats de l’approche de l’usage du temps font suite à l’élaboration d’un questionnaire
expérimental afin d’adapter le travail de Kahneman et ses collègues (2004, 2006) au monde du
travail. En raison de ce caractère expérimental et de sa longueur, le questionnaire n’a été proposé
qu’aux régions Sud-Ouest et Sud-Est des commerciaux de l’entreprise.

Ce questionnaire porte sur une journée de travail et permet de répondre notamment aux questions
suivantes :

- Quelle est la portion de la journée où les émotions négatives sont dominantes ?


- Comment évoluent les émotions au fur et à mesure de la journée ?
- Comment évoluent les émotions avec les différentes tâches qu’un commercial doit
accomplir ?

2.4.1 Le U-index ou indice d’insatisfaction

Le U-index ou indice d’insatisfaction représente la portion de temps dans la journée étudiée où les
émotions négatives ont dominé les émotions positives. Il peut aller de 0 à 1.

En médiane, le U-index est de 0,15. Cela signifie que la moitié des commerciaux a vécu une journée
de travail où les émotions négatives ont dominé les émotions positives pendant au plus 15% du
temps et une autre moitié de commerciaux où les émotions négatives ont dominé pendant au moins
15% du temps.

11
En moyenne, le U-index est de 0,25. Cette différence forte avec la médiane montre que certains
commerciaux déclarent avoir vécu beaucoup plus d’émotions négatives que les autres durant leur
journée de travail.

2.4.2 L’évolution des émotions tout au long de la journée de travail

Les données récoltées par notre méthode de la reconstruction de la journée de travail nous
permettent de représenter sous forme de graphique l’évolution des émotions positives « heureux »
et « compétent » et des émotions « stressé/nerveux » et « impatient que cela se termine » tout au
long de la journée de travail.

Des tendances relativement claires ressortent des résultats, comme les graphiques ci-dessous
peuvent nous le montrer.
5
4.8
4.6
Emotion
heureux

4.4
4.2
4

9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Heure

L’émotion « heureux » augmente en matinée avant de retomber à partir du début de l’après-midi.

12
6
5.8
5.6
compétent
Emotion

5.4
5.2
5

9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Heure

L’émotion « compétent » tend à décline au fur et à mesure de la journée après une montée initiale
brutale.
3.5
3
stressé/nerveux

Emotion

2.5
2

9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Heure

L’émotion « stressé/nerveux » tend à augmenter tout au long de la journée.

13
4.5
4
Emotion

3.5
3
2.5

9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Heure

L’émotion « impatient que cela se termine », après une baisse en début de journée de travail, tend à
augmenter tout au long de la journée.

Globalement, il semble que le matin soit la meilleure partie de la journée de travail en termes de
bonheur. En effet, les émotions positives y sont plus fortes et les émotions négatives plus faibles.
L’après-midi, les émotions négatives continuent d’augmenter, l’émotion « compétent » continue de
baisser et l’émotion « heureux » débute sa baisse.

2.4.3 Les émotions en fonction des activités

L’échelle va de 1 à 7. Un score de 7 signifie la forte présence des émotions et un score de 1 leur


absence. Quand une émotion est positive, un score élevé signifie un haut niveau d’émotions
positives. Quand une émotion est négative, un score élevé signifie un haut niveau d’émotions
négatives.

Notre méthode de reconstruction de la journée de travail permet de montrer quelles sont les
activités les plus liées à un état heureux et celles les moins liées à un état heureux.

14
Tableau : les émotions positives en fonction des tâches

Déplacement Travail Rendez-vous avec Préparation des


administratif un client rendez-vous et
prospection

Heureux 4,59 4,25 4,80 3,92

Compétent 5,45 5,88 6,04 5,3

Nous pouvons remarquer que la préparation des rendez-vous et la prospection représentent


l’activité qui procure le moins d’émotions positives, y compris d’un point de vue purement
eudémonique (« compétent »). A l’opposé, les rendez-vous avec les clients sont l’activité qui procure
le plus d’émotions positives.

Tableau : les émotions négatives en fonction des tâches

Déplacement Travail Rendez-vous avec Préparation des


administratif un client rendez-vous et
prospection

Stressé/nerveux 2,81 2,88 2,18 2,40

Impatient que 4,28 4,39 2,71 3,72


cela se termine

Nous pouvons remarquer que les rendez-vous avec les clients sont l’activité qui procure le moins
d’émotions négatives. A l’opposé, les déplacements et le travail administratif sont les activités qui
procurent le plus de désagrément.

15
Tableau : les émotions positives lors des pauses-repas

Pause-repas

Heureux 5,21

Compétent 5,44

Nous pouvons remarquer que la pause-repas est l’activité décrite comme la plus heureuse.

Tableau : les émotions négatives lors des pauses-repas

Pause-repas

Stressé/nerveux 1,78

Impatient que cela se termine 2,23

Nous pouvons également remarquée que la pause-repas est décrite comme l’activité qui apporte le
niveau d’émotions négatives le plus faible.

2.5 Propositions pour améliorer le bonheur au travail

Nous allons présenter les propositions pour améliorer le bonheur au travail selon le cadre théorique
dans lequel elles s’inscrivent : bonheur hédonique, bonheur eudémonique, usage du temps. Les
propositions les plus valides sont celles concernant le bonheur eudémonique, car la démarche
scientifique dont elles sont issues a pour but de pouvoir rencontrer le monde du conseil. Les
propositions quant à l’usage du temps sont novatrices car issues d’une approche nouvelle de la
mesure du bonheur au travail. Les propositions les moins intéressantes sont celles sur le bonheur
hédonique, car si les mesures sont informatives d’un point de vue scientifique, elles le sont peu en
termes de conseil.

2.5.1 Les propositions pour améliorer le bonheur au travail dans son approche hédonique

Les mesures de l’approche hédonique nous ont principalement servies à donner un tableau du
bonheur au travail et à nourrir notre modèle prédictif. Il n’y a donc pas de propositions issues de
l’étude en tant que tel.

16
Nous utilisons cependant les résultats de l’approche hédonique pour valider des propositions issues
des deux autres approches.

2.5.2 Les propositions pour améliorer le bonheur au travail dans son approche eudémonique

Les résultats de l’approche eudémonique montrent que le potentiel d’amélioration du bien-être


psychologique au travail se situe principalement au niveau de la reconnaissance perçue et de
l’épanouissement au travail.

Il existe différents moyens d’améliorer la reconnaissance perçue et l’épanouissement au travail. En


ce qui concerne la reconnaissance perçue, nous pouvons formuler quatre pistes. Une première piste
consiste à reconnaître régulièrement les résultats individuels, y compris pour les employés qui ont
une performance à la fois constante et satisfaisante. Quand tout fonctionne bien, il convient de le
dire et de montrer de la reconnaissance aux employés. Cela permet notamment de valider leurs
efforts passés et d’encourager les efforts futurs.

Une deuxième piste est que la reconnaissance doit s’exprimer aussi bien sur le processus de travail
que sur les résultats obtenus. En effet, il est possible que des résultats soient mauvais alors que le
processus de travail est bon du fait de facteurs extérieurs à l’employé, l’équipe ou l’organisation.

Une troisième piste tient dans le développement de la reconnaissance existentielle, qui est une
forme de reconnaissance de la personne pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle fait. Dans la
reconnaissance existentielle, le supérieur immédiat témoigne sa reconnaissance en offrant à
l’employé de la disponibilité et du temps de qualité, le plus souvent de manière informelle et privée.

Une quatrième et dernière piste réside dans le développement d’une culture de la gratitude. Le
développement de la gratitude en tant que trait de personnalité est un moyen puissant d’améliorer
son bonheur au travail, mais aussi en dehors.

En ce qui concerne l’épanouissement au travail, nous pouvons donner quatre pistes. Une première
piste réside dans le fait de développer le partage et le développement des compétences. Les cercles
d’apprentissage1, les communautés de pratique2 et les séances de leçons apprises peuvent être très
utiles à cet égard. En effet, les activités entre pairs permettent de motiver les participants et de
renforcer les liens.

Une deuxième piste est de donner un sens aux demandes adressées aux employés, faire comprendre
le pourquoi, afin qu’ils comprennent l’utilité de leur travail et lui donne une importance particulière.

1
Un cercle d’apprentissage est une méthode d’apprentissage coopérative fondée sur des discussions et des
présentations où les participants partagent leurs expériences et développent ensemble de nouvelles
connaissances et de nouvelles compétences.
2
Une communauté de pratique est un groupe où des personnes, en général sur la base du volontariat,
collaborent en face à face ou au moyen des technologies de l’information afin de s’entraider en partageant
leurs meilleures pratiques et en développant de nouvelles connaissances. L’entraide est continue et de long
terme.

17
Une troisième piste est de fournir aux employés des défis qui s’inscrivent dans une démarche
d’amélioration de leur potentiel. Ces défis doivent être adaptés à leurs capacités et prennent si
possible en considération leurs intérêts et leurs objectifs.

Une quatrième piste est de communiquer clairement la mission et la vision de l’organisation aux
employés et, mieux encore, de faire participer ces employés à leur définition.

2.5.3 Les propositions pour améliorer le bonheur au travail dans l’approche de l’usage du temps

En ce qui concerne l’amélioration du bonheur au travail dans l’approche de l’usage du temps,


l’analyse des résultats obtenus permet de mettre en avant deux façons d’améliorer le bonheur au
travail dans une perspective d’usage du temps.

La première façon est liée à l’évolution des émotions tout au long de la journée. La tendance est que
les émotions négatives tendent à croître au fur et à mesure de la journée et les émotions positives à
décroître - au moins à partir de l’après-midi en ce qui concerne l’émotion « bonheur ».

Pour essayer de briser cette tendance, il pourrait être intéressant d’expérimenter une activité peu
consommatrice de temps et dont il serait espéré qu’elle permette de faire décroître les émotions
négatives et/ou accroître les émotions positives. C’est ce que montrent certaines études (e.g. Brown
et Ryan, 2003). Afin de vérifier l’intérêt de l’activité choisie, une expérience scientifique pourrait être
tentée avec des commerciaux divisés en deux groupes, groupe de traitement et groupe de contrôle.
Il conviendrait alors de mesurer le bonheur au travail, mais aussi la performance financière.

Des résultats que nous allons présenter dans la suite de notre de synthèse tendent à montrer que la
mindfulness pourrait être un excellent moyen de faire diminuer les émotions négatives. L’activité
testée pourrait être une pause mindfulness3.

La seconde façon est liée aux différentes tâches d’un commercial. Certaines tâches sont plus
appréciées que d’autres. En conséquence, réduire le temps nécessaire pour les tâches les moins
appréciées ou en faire évoluer la réalisation pourrait être une autre voie d’amélioration du bonheur
au travail, si elle est réaliste dans le cadre de l’entreprise.

Les tâches qui procurent le plus d’émotions négatives et - avec la prospection et la préparation des
rendez-vous - le moins d’émotions positives sont le travail administratif et les déplacements. A
l’opposé, les rendez-vous avec les clients constituent la tâche qui procure le plus d’émotions
positives et le moins d’émotions négative. Dans une approche de l’usage du temps, le conseil serait
de réduire ou d’aménager les activités les moins liées au bonheur et d’augmenter celles qui sont le
plus liées.

L’optimisation des déplacements est une optimisation en temps et non en kilomètre ou en


consommation de carburant. La prise en considération des durées est en effet centrale dans une
approche du bonheur au travail par l’usage du temps. Pour autant, il est probable qu’une

3
La mindfulness en tant que pratique est une forme de méditation.

18
optimisation en temps s’inscrive au moins partiellement dans une optimisation des déplacements en
coûts ou en impact sur l’environnement.

Libérer du temps pour les clients favoriserait sans doute à la fois le bonheur au travail et la
performance financière. En effet, les clients ne voient ni les déplacements, ni le travail administratif
des commerciaux. Par contre, c’est dans la relation aux clients que se signent les contrats.

3. A quel point le bonheur au travail et la performance financière peuvent-


ils être liés ?

3.1 La méthode

Nous avons étudié la relation directe entre bonheur au travail et performance financière en essayant
de répondre aux questions suivantes :

- A quel point bonheur au travail et performance financière sont-ils linéairement liés ?


- Est-ce que le bonheur au travail le plus grand favorise la performance financière la plus
grande ?
- Est-ce que le bonheur au travail est un prédicteur de la performance financière ? Est-ce
qu’un modèle du bonheur au travail peut être un meilleur prédicteur de la performance
financière qu’un autre ?
- Est-ce qu’un modèle linéaire est le meilleur modèle pour rendre compte de la relation entre
bonheur au travail et performance financière ?
- Est-ce que les mesures d’usage du temps peuvent donner une autre vision de la relation
entre bonheur au travail et performance financière ?

Afin de comprendre à quel point bonheur au travail et performance financière sont linéairement liés,
nous avons utilisé les corrélations. Pour comprendre si les commerciaux les plus heureux sont aussi
les plus performants, nous avons découpé les résultats de l’échantillon en quartiles. Afin de
comprendre à quel point le bonheur au travail peut être ou non un bon prédicteur de la performance
financière, nous avons utilisé la régression classique et la régression quantile. Pour donner une image
de la relation, nous avons utilisé la régression non paramétrique. Afin d’étudier l’apport des mesures
d’usage du temps, nous nous sommes cantonné à l’utilisation de la corrélation. Mais les méthodes
que nous avons utilisé pour les mesures globales du bonheur au travail peuvent aussi être utilisées
pour les mesures d’usage du temps.

19
3.2 Le bonheur au travail et la performance financière sont-ils linéairement liés ?

Voici le tableau des corrélations entre les mesures du bonheur au travail et les mesures de la
performance financière. Nous avons enlevé du tableau toutes les corrélations comprises entre -0.05
et 0.05. Une corrélation peut aller de -1 à +1.

Tableau : corrélations entre les mesures du bonheur au travail et les mesures de la performance
financière

Production de Production de Production de Rémunération Récurrent


juin mai mai et juin de 2012

Satisfaction au 0.18 0.11 -0.10 0.18


travail –
mesure 1

Satisfaction au 0.16 0.09 -0.12 0.10


travail –
mesure 2

Emotions -0.12 -0.07 -0.07


positives au
travail

Emotions -0.09 -0.18 -0.16 0.18 -0.24*


négatives au
travail

Bien-être 0.12 0.17 0.18 -0.05 0.17


psychologique
au travail

*Corrélation statistiquement significatives avec une probabilité d’erreur inférieure à 5%

La moyenne des corrélations (en valeur absolue) est de 0,12 en tenant compte de toutes les
corrélations, y compris celles qui ne sont pas écrites dans le tableau.

Les émotions négatives et le bien-être psychologique sont les mesures du bonheur avec les plus
fortes corrélations en valeur absolue.

Les corrélations obtenues sont plus faibles que celles trouvées dans les articles de recherche.
Cependant, nos corrélations sont obtenues avec des mesures objectives et non des mesures

20
subjectives de la performance. En fait, il est possible que les mesures subjectives de la performance
soient biaisées, par exemple par des illusions positives : les personnes se croient plus performantes
qu’elles ne le sont et en retirent davantage de bonheur. L’hypothèse contraire est possible aussi : les
personnes plus heureuses ont tendance à se considérer plus performantes qu’elles ne le sont.

3.3 Le bonheur au travail le plus grand est-il lié à la performance financière la


plus grande ? Le bonheur au travail le moins grand est-il lié à la performance
financière la moins grande ?

Dans le tableau qui suit, nous vous présentons les résultats pour l’une des quatre mesures du
bonheur utilisées, ici le bien-être psychologique au travail.

Tableau : le bien-être psychologique au travail

Production du mois de juin en Récurrent en euro (médiane)


euros (médiane)

Premier quartile (25% les moins 65 100 2 560


heureux)

Deuxième quartile 45 000 200

Troisième quartile 93 300 3 600

Quatrième quartile (25% les 73 450 13 200


plus heureux)

La méthode des quartiles nous permet de dégager trois idées. D’abord, elle ne montre pas que les
performances augmentent au fur et à mesure que le bonheur au travail augmente. Ensuite, les
commerciaux les plus heureux ne sont pas toujours les plus performants. Enfin, les commerciaux les
plus heureux sont presque toujours plus performants que les commerciaux les moins heureux. Ces
résultats doivent cependant être considérés avec distance : il ne s’agit que de statistiques
descriptives. Aucun lien de cause à effet ne peut être établi.

21
3.4 Est-ce que les concepts du bien-être subjectif et du bien-être psychologique au
travail sont explicatifs de la performance financière ?

Le concept du bien-être subjectif (satisfaction, émotions positives, émotions négatives) ne semble


pas explicatif de la performance financière.

Le concept du bien-être psychologique au travail semble légèrement explicatif de la performance


financière. Il n’est pas possible de dire s’il y a un lien de cause à effet ni sa direction s’il y en a un.
Cependant, comme il existe des mesures claires pour améliorer le bien-être psychologique au travail,
si certaines de ces mesures étaient mises en place, il serait possible d’analyser la performance
financière afin de comprendre si les mesures d’amélioration du bien-être psychologique ont une
influence sur l’évolution de la performance. Ainsi, l’existence ou non d’un lien de causalité serait
scientifiquement établi au moyen de ce qui est appelé en économie et en finance une étude
d’événement.

3.5 Est-ce qu’un modèle linéaire est le meilleur modèle pour rendre compte de la
relation entre bonheur au travail et performance financière ?

La régression non paramétrique à polynômes locaux permet de donner une image de la relation
entre bonheur au travail et performance financière. Voici les images obtenues lorsque nous avons
croisé la somme des productions des mois de mai et de juin avec les mesures du bonheur au travail
suivantes : satisfaction globale (mesure 2), émotions positives, émotions négatives et bien-être
psychologique.

Les graphiques obtenus sont purement descriptifs. Aucun lien de cause à effet ne peut en être
déduit. Leur seul intérêt est de rendre la relation statistique visible.

Ces graphiques permettent cependant de voir que :

- Les relations peuvent être très différentes d’une mesure du bonheur au travail à une autre
- Une relation claire, à savoir que les émotions négatives diminuent de manière régulière avec
l’augmentation de la production
- Une relation contraire à la théorie, à savoir que les émotions positives ont tendance à baisser
avec l’augmentation de la production
- Des relations qui font littéralement des vagues et pour lesquelles les commerciaux les plus
heureux sont aussi les plus performants et les moins heureux les moins performants : c’est le
cas de la satisfaction et du bien-être psychologique au travail dans leur relation à la
production

22
Graphique : la satisfaction

Régression non paramétrique


1000000
500000

2 3 4 5 6 7
Satisfaction - mesure 2
kernel = epanechnikov, degree = 0, bandwidth = .46

Graphique : les émotions positives

Régression non paramétrique


1000000
500000

2 3 4 5
Emotions positives
kernel = epanechnikov, degree = 0, bandwidth = .46

23
Graphique : les émotions négatives

Régression non paramétrique


1000000
500000

1 2 3 4
Emotions négatives
kernel = epanechnikov, degree = 0, bandwidth = .63

Graphique : le bien-être psychologique au travail

Régression non paramétrique


1000000
500000

1 2 3 4 5
Bien-être psychologique
kernel = epanechnikov, degree = 0, bandwidth = .38

24
3.6 L’apport de l’approche de l’usage du temps dans la compréhension de la
relation entre bonheur au travail et performance financière

Voici le tableau des corrélations entre les mesures d’usage du temps et les mesures de la
performance financière sur une journée. Nous avons enlevé du tableau toutes les corrélations
comprises entre -0.05 et 0.05. Une corrélation peut aller de -1 à +1.

Tableau : corrélations entre les mesures d’usage du temps du bonheur au travail et celles de la
performance journalière

Heureux Compétent Stressé/ Impatient que U-index


nerveux cela se
termine

Production 0,11 -0,09 0,15

Nombre de 0,16 -0,06 -0,27 -0,37* -0,33


contrats signé

Nombre de -0,39* -0,18


rendez-vous

Part variable 0,17 -0,20 0,10 -0,07 -0,13

*Corrélation statistiquement significatives avec une probabilité d’erreur inférieure à 5%

La moyenne des corrélations (en valeur absolue) est de 0,14 en tenant compte de toutes les
corrélations, y compris celles qui ne sont écrites pas dans le tableau.

Les corrélations obtenues sont plus faibles que celles trouvées dans les articles de recherche.
Cependant, nos corrélations sont obtenues avec des mesures objectives et non des mesures
subjectives de la performance.

L’émotion négative « stressé/nerveux » est l’émotion la plus fortement corrélée en valeur absolue
avec les mesures de la performance. En valeur absolue toujours, le nombre de contrat signé est la
mesure la plus fortement corrélée avec les mesures d’usage du temps, vient ensuite la part variable.

25
L’émotion négative « impatient que cela se termine » est systématiquement corrélée négativement
avec les mesures de performance, ce qui va dans le sens de l’intuition.

Par contre, certaines corrélations ouvrent sur l’idée que le bonheur au travail n’est pas toujours lié à
la performance. L’émotion « compétent » est ainsi corrélée négativement avec trois des quatre
mesures de la performance. L’émotion « stressé/nerveux » est corrélée positivement à la production
et à la part variable.

4. Peut-on mettre en évidence de possibles déterminants communs au


bonheur au travail et à la performance financière ?

4.1 Les quatre concepts testés

Nous avons testé quatre concepts comme déterminants possibles du bonheur au travail et de la
performance financière. Ces choix résultent de la lecture d’articles scientifiques. Il existe des études
qui montrent que le flow, la mindfulness, le système de travail à haute performance et la motivation
peuvent être liés au bien-être et à la performance.

Le flow peut être défini comme l’expérience de travailler au niveau optimal. Cette expérience
possède les caractéristiques suivantes : concentration intense sur la tâche qui est en train d’être
accomplie, distorsion de l’expérience temporelle dans laquelle le temps qui passe est oublié,
réalisation de la tâche qui est en soi la récompense, perte de conscience de soi-même, sentiment de
contrôle, fusion de la conscience et de l’action (Nakamura et Csikszentmihalyi, 2005). Le
questionnaire utilisé pour mesurer l’état de flow est le Flow4D16 de Heutte et Fenouillet (2010).

La mindfulness est la capacité d’observer sans passion l’expérience du moment présent et de ne pas
porter de jugement sur elle (Sauer et ses collègues, 2012). Elle a deux dimensions distinctes, la
présence - qui est l’attention au moment présent - et l’acceptation - qui est une attitude ouverte,
sans critique, à l’égard de l’expérience présente. Le questionnaire utilisé pour mesurer la mindfulness
est la validation française du Freiburg Mindfulness Inventory réalisée par Trousselard et ses collègues
(2010).

Le système de travail à haute performance (Appelbaum et ses collègues, 2000) est une organisation
du travail dont l’objectif est d’obtenir la meilleure performance pour l’entreprise. Les dimensions de
ce modèle sont : l’opportunité de participer aux décisions, le développement des compétences, les
incitations. Les incitations sont de quatre types : la sécurité de l’emploi, les opportunités de
promotion, l’équilibre entre travail et vie privé, les incitations financières. Comme il n’existe pas de
questionnaire validé, nous en avons fabriqué un à partir des indications données par Appelbaum et
ses collègues (2000).

26
Le modèle de la motivation au travail que nous avons choisi distingue quatre formes de motivation:
la régulation externe qui est liée au salaire et au niveau de vie ; la régulation introjectée qui est liée à
la réputation et au souhait d’être un « gagnant », la régulation identifiée qui est liée à la réalisation
d’objectifs propres à la personne et à ses valeurs personnelles ; et la motivation intrinsèque qui est
liée au plaisir et à l’amusement qu’un travail peut apporter (Gagné et ses collègues, 2010). Le
questionnaire utilisé pour mesurer la motivation au travail est l’EMAT ou Echelle de motivation au
travail, qui a été créée en langue française et en langue anglaise par Gagné et ses collègues (2010).

4.2 La méthode

Ces quatre concepts ont été testés sur des mesures du bonheur au travail et sur des mesures de la
performance. Les mesures du bonheur au travail sont des mesures de la satisfaction globale au
travail (deux mesures), des émotions positives, des émotions négatives et du bien-être
psychologique.

Les mesures de la performance sont les productions des mois de mai et de juin, la somme des
productions des mois de mai et de juin, le récurrent et le revenu de 2012. Le revenu de 2012 a été
utilisé comme approximation de la performance de long terme quand nous nous sommes aperçus
que nous avions peut-être sous-estimé la dimension stochastique de la performance financière des
commerciaux.

Les méthodes statistiques utilisées sont les suivantes : régression à la moyenne, régression à la
médiane (pour limiter les problèmes qui pourraient provenir de données extrêmes) et
transformation de variables afin d’étudier également les relations en pourcentage et pas seulement
en valeur.

Comme notre étude est une étude en coupe, il n’est pas possible de faire apparaître de lien de cause
à effet. Cependant, nous avons choisi une démarche de recherche confirmatoire plutôt
qu’exploratoire, c’est-à-dire que nous avons testé des modèles qui, souvent, ont déjà été testés.
Lorsque ces tests ont montré un lien de cause à effet et que notre étude montre qu’un modèle ou
une dimension peut être explicative, alors il y a une présomption de causalité.

4.3 A la recherche du déterminant qui favoriserait le plus le bonheur au travail

Regardons à quel point chaque concept testé a été explicatif ou non des différentes mesures du
bonheur au travail.

Le flow semble être un concept explicatif des mesures du bonheur au travail. Une analyse détaillée
tend à montrer que deux dimensions du flow sont liées au bonheur au travail : l’absorption cognitive
et l’altération de l’expérience temporelle. Nous pouvons en conclure qu’il pourrait être intéressant
que les commerciaux puisse reconnaître les situations qui font naître et perdurer l’état de flow. Il y a
cependant une erreur méthodologique de notre part dans son étude, car une des dimensions de la

27
mesure du flow mesure le bien-être. Nous avons donc réalisé les régressions avec et sans cette
dimension. Dans les deux cas, l’absorption cognitive et l’altération de l’expérience temporelle ont
une influence, mais cette influence est moins forte quand la dimension du bien-être est introduite
dans les régressions.

La mindfulness ne semble pas être un concept explicatif des mesures bonheur au travail, à
l’exception notable d’une de ces mesures, celle des émotions négatives. Une des deux dimensions de
la mindfulness telle qu’elle a été étudiée, l’acceptation, est en effet très fortement liée aux émotions
négatives. Plus l’acceptation est forte et plus les émotions négatives sont faibles. Notre étude ne
permet pas d’établir un lien de causalité mais, comme il s’agit d’une démarche confirmatoire, il est
probable que la mindfulness puisse être une excellente solution pour aider les commerciaux à
réduire leurs émotions négatives. De manière plus générale, il est probable qu’il en soit ainsi de toute
pratique qui permet d’améliorer l’acceptation. En outre, l’approche de l’usage du temps confirme
l’intérêt d’une pratique faiblement consommatrice en temps qui permettrait de réduire les émotions
négatives qui ont tendance à augmenter dans la journée de travail.

Le système de travail à haute performance n’a pas été élaboré pour améliorer le bonheur au travail,
mais pour comprendre et améliorer la performance. Cependant, il existe des liens forts entre la
perception de l’entreprise comme système de travail à haute performance et le fait de se sentir
heureux au travail. De manière plus précise, les dimensions incitations et, dans une moindre mesure,
développement des compétences, sont les plus explicatives des différentes mesures du bonheur au
travail. En ce qui concerne les incitations, le sentiment d’équilibre entre travail et vie personnelle et
familiale et le sentiment de sécurité de l’emploi sont les caractéristiques les plus explicatives. Il est à
noter que la sécurité de l’emploi est un concept qui dans le cadre de ce modèle se fonde sur trois
idées : l’entreprise essaiera de conserver les emplois si les ventes déclinent, l’entreprise fait des
efforts pour être compétitive, l’entreprise partage les informations importantes.

L’étude d’un modèle de la motivation n’a pas pur but de comparer ce modèle aux modèles
précédents, mais de comprendre si une forme de motivation pourrait être préférable aux autres dans
une perspective d’amélioration du bonheur au travail. Sur les quatre types de motivation étudiés, il
ressort que seule la motivation intrinsèque est explicative du bonheur au travail. La motivation
intrinsèque est marquée par la recherche du plaisir et de l’amusement. Comme nous sommes dans
une approche confirmatoire, nous pouvons penser qu’utiliser la motivation intrinsèque comme
source de motivation pour les commerciaux peut être un moyen d’amélioration de leur bonheur au
travail.

Au final, nous pensons que la meilleure solution est qu’il n’existe pas un modèle meilleur que les
autres, mais que certains modèles présentent des résultats intéressants. L’intérêt d’un modèle peut
dépendre de l’objectif recherché. Ainsi, si cet objectif est de réduire les émotions négatives, alors la
mindfulness est sans doute le concept le plus prometteur parmi les quatre concepts étudiés.

28
4.4 A la recherche du déterminant qui favoriserait le plus la performance
financière

Aucun concept testé ne semble explicatif de la performance financière.

Nous formulons trois hypothèses pour expliquer ce résultat décevant quant à nos espérances. La
première hypothèse est que les résultats sont justes et que les modèles testés ne permettent
effectivement pas d’expliquer la performance. La deuxième hypothèse est qu’il y a des erreurs dans
les données recueillies et que ces erreurs faussent le traitement statistique malgré l’utilisation
protectrice de la régression quantile. La troisième hypothèse est que nous avons sous-estimé la
nature stochastique, aléatoire, de la performance des commerciaux lors de la conception de l’étude.

Si une étude devait être de nouveau réalisée, il serait important de tenir compte de ces trois
hypothèses dans la conception du plan de l’étude. Cela pourrait se réaliser de deux façons. D’abord,
le risque d’erreur dans le recueil des données numériques sur la performance pourrait être réduit en
mettant en place une communication spécifique sur ce risque et ses répercutions et en envoyant à
chaque commercial un courriel pour lui rappeler ses performances afin qu’il puisse les retranscrire
facilement lors du recueil des données.

Ensuite, la possible sous-estimation de la part stochastique de la performance des commerciaux


pourrait être réduite en demandant des résultats de la performance mois par mois sur une période
de 6 à 12 mois. Une étude statistique préalable pourrait être éclairante à ce sujet.

5. Un modèle prédictif afin de comprendre comment optimiser la relation


entre bonheur au travail et performance financière

5.1 Le modèle prédictif

La relation causale entre bonheur au travail et performance peut prendre quatre formes (Warr,
2007) :

- Le bonheur au travail favorise la performance


- La performance favorise le bonheur au travail
- Bonheur au travail et performance se favorisent mutuellement (causalité bidirectionnelle)
- Le bonheur au travail et la performance ont des déterminants communs

Comme notre sujet est la performance financière, nous reprenons les relations mises en avant par
Warr (2007) et la performance financière remplace la performance.

29
L’objectif du modèle statistique est de prendre en considération trois de ces quatre possibilités. La
relation exclue est celle qui va de la performance vers le bonheur. Nous l’excluons car nous
cherchons à comprendre comment améliorer le bonheur au travail et ses déterminants peut avoir
des conséquences financières.

Nous adaptons économétriquement les trois relations que nous avons conservées dans un système
prédictif.

( )
{ ( )
( )

Où « Performance financière », « Bonheur au travail » et « Déterminant » sont des variables ou des


vecteurs selon les circonstances, où β représente divers coefficient de régression ou vecteurs de
coefficients de régression à estimer et ε divers termes d’erreur.

L’équation (1) peut représenter en effet un système d’équation. Dans notre étude, elle représente le
système suivant :

( )
{
( )

Les équations (2) et (3) peuvent aussi représenter différents systèmes d’équation. Ainsi, dans notre
étude, l’équation (2) représente le système d’équation suivant lorsqu’il s’agit de tester le système de
travail à haute performance comme déterminant possible du bonheur au travail :

( )
( )
( )
( )
{ ( )

Ce modèle se fonde sur une hypothèse forte et contestable selon laquelle les différences
interindividuelles sont prédictives des différences intra-individuelles. En effet, lors de l’étude en
coupe, nous avons mesuré des différences interindividuelles. Cependant, si une politique
d’amélioration du bonheur au travail était mise en place, elle viserait à créer des différences intra-
individuelles, c’est-à-dire à ce que chaque personne soit plus heureux au travail.

Nous avons utilisé ce modèle dans une étude en coupe, mais il est possible de l’utiliser dans une
étude d’événement, une étude expérimentale ou une étude longitudinale.

5.2 Est-il possible de financer une politique d’amélioration du bonheur au travail


par l’augmentation de performance que cette politique apporterait ?

Nous pouvons tester notre modèle prédictif au moyen de certains des résultats de l’étude.
L’équation (1) a été utilisée pour comprendre à quel point les modèles du bien-être subjectif et du
bien-être psychologique au travail sont des prédicteurs de la performance financière. Les résultats

30
montrent que le seul modèle qui est prédicteur de la performance financière est le modèle du bien-
être psychologique au travail et que sa capacité prédictive est faible.

Les équations (2) et (3) ont été utilisées afin de comprendre si certains modèles pouvaient être des
déterminants communs du bonheur au travail et de la performance financière. Aucun des modèles
testés n’a été à la fois déterminants possibles du bonheur au travail et de la performance financière.

Le Graal de notre étude est de créer un modèle prédictif qui permette de comprendre comment
améliorer conjointement le bonheur au travail et la performance financière, car il est plus
facile/moins compliqué pour une entreprise d’investir dans une politique qui améliore le bonheur au
travail des employés si cette même politique améliore également la performance financière au point
de coûter moins que les gains financiers espérés, additionnés de ce que les financiers appellent la
prime de risque.

Si notre modèle économétrique permet d’aller chercher ce Graal dans n’importe quelle entreprise ou
département d’entreprise de plus de 30 personnes, nous n’avons pas réussi à mettre clairement en
lumière des moyens pour améliorer conjointement bonheur au travail et à la performance financière
dans le contexte étudié. Pour autant, cela ne veut pas dire que cela ne soit pas possible dans d’autres
contextes.

Ainsi, même si certains résultats ne sont pas allés dans le sens de nos espérances, cela ne signifie pas
qu’il n’existe pas de moyens d’améliorer de manière conjointe le bonheur au travail et la
performance financière afin que l’investissement dans l’amélioration du bonheur au travail favorise
également l’amélioration de la performance financière.

6. Conclusion

Les principaux résultats de notre étude sont les suivants. Le premier est que le fait d’utiliser
différentes façons de mesurer le bonheur au travail permet d’avoir des perspectives
complémentaires sur le bonheur plutôt que des perspectives redondantes ou concurrentes. C’est
particulièrement le cas de la méthode de reconstruction de la journée de travail qui se montre
innovante par rapport aux autres mesures qui sont des mesures globales.

Le deuxième est que la relation directe entre bonheur au travail et performance financière varie
selon la manière dont le bonheur au travail est mesuré et que cette relation n’est pas nulle même si
elle est faible. Si les relations sont souvent faibles et intuitives, nous pouvons noter certains résultats
contre-intuitifs. Ainsi, les émotions positives ont tendance à diminuer avec la performance.

Le troisième est qu’il est difficile de mesurer les relations indirectes entre bonheur au travail et
performance financière. En effet, de nombreux modèles prétendent pouvoir améliorer les deux. Les
quatre modèles que nous avons testés ont donné des résultats décevants, mais il est possible, sinon

31
probable, que ce ne soit pas les modèles qui soient en cause mais notre relevé de données
financières.

Le dernier grand résultat est que nous avons un modèle prédictif, mais ce modèle n’a permis de
donner que des recommandations fragiles afin d’améliorer conjointement bonheur au travail et
performance financière. Les résultats obtenus, quand ils prennent en compte la performance
financière, sont à prendre avec beaucoup de précaution. En effet, nous ne pouvons distinguer si ces
résultats sont le fait d’une fréquente absence de relation entre bonheur au travail et performance
financière, d’un problème statistique dû à des données financières dont la dimension stochastique a
été négligée ou bien d’erreurs de frappe des répondants.

Notre étude ouvre sur de nombreuses pistes de recherche. Elle ouvre ainsi sur des thèmes nouveaux
comme la validation de la méthode de reconstruction de la journée de travail, la création d’un grand
questionnaire sur le bonheur au travail à l’image de ce qui existe par exemple pour le stress avec
l’OSI-R.

L’étude ouvre également sur un élargissement des échantillons. Il est possible de mesurer le bonheur
au travail dans n’importe quel service ou entreprise. Il en est de même de la performance si elle est
mesurée de manière subjective. Si des mesures objectives individuelles de la performance existent,
qu’elles soient ou non financières, il est possible de réaliser une étude à l’image de la nôtre ou plus
sophistiquée encore. Si les mesures objectives de la performance sont collectives, alors il convient
d’avoir au moins trente groupes pour pouvoir utiliser ces mesures dans notre modèle
économétrique.

L’étude ouvre enfin sur d’autres formes d’études, plus pointues, les études longitudinales,
expérimentales ou d’événements. Les études expérimentales et les études d’événement permettent
d’aller loin dans la compréhension de la causalité. Elles peuvent aussi s’inscrire dans une étude
longitudinale qui offre une veille organisationnelle permanente.

32
Références bibliographiques

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systems pay off, Cornell University Press.

DAGENAIS-DESMARAIS, V., SAVOIE (2012), What is Psychological Well-Being, Really? A Grassroots


Approach from the Organizational Sciences, Journal of Happiness Studies, 13, 4, 659-684.

DAVOINE, L. (2012), L’économie du bonheur, La Découverte.

GAGNE, M., FOREST, J., GILBERT, M.-H., AUBE, C., MORIN, E., MALORNI, A., The motivation at Works
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646.

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