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monnaie forte, supérieure au dollar. Son cours oscillait


entre 1,2 et 1,3dollar, avec parfois des pics à 1,4 voire
Inflation : l’effet domino mondial
PAR MARTINE ORANGE
plus.
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 18 MAI 2022

© Amaury Cornu / Hans Lucas via AFP Cours de l'euro face au dollar sur un an. © @Boursorama

Le choc énergétique est en train de se propager Alors que la Réserve fédérale américaine a déjà
dans toute l’économie. L’envolée des coûts et des commencé de relever ses taux directeurs – ce qui
prix touche tous les secteurs et affecte l’ensemble renforce la capacité d’attraction du dollar dans ces
des ménages. La Commission européenne tente temps d’incertitude –, cette dépréciation de l’euro ne
d’en minimiser l’ampleur, afin de ne pas nourrir peut que pousser la Banque centrale européenne à elle
les revendications salariales. Jusqu’à quand est-ce aussi revenir au plus vite à une politique monétaire
tenable? plus restrictive. Car la chute de la monnaie européenne
C’est une question de semaines, à en croire certains apporte une nouvelle brique au mur inflationniste qui
spécialistes des marchés des changes. Pour eux, le s’érige tout au long des chaînes économiques: si la
mouvement est inexorable: à brève échéance, l’euro monnaie est plus faible, le coût des produits importés,
sera à parité avec le dollar. Depuis le début de la guerre principal moteur de l’explosion actuelle des prix, s’en
en Ukraine, la monnaie européenne a perdu plus de 7% retrouve surenchéri, à commencer par le pétrole et le
de sa valeur face à la monnaie américaine. L’euro vaut gaz libellés en dollars.
aujourd’hui 1,05dollar. Flambée des cours de l’énergie et des matières
Pour la Banque centrale européenne et les premières agricoles, envolée des prix des produits
responsables européens, cet alignement des deux alimentaires et de première nécessité… les vents
devises pourrait sonner comme une défaite. Depuis contraires forcissent sur tout le continent et
sa création, l’euro s’est toujours affiché comme une commencent à sérieusement inquiéter. L’inflation est
déjà à plus de 11% aux Pays-Bas, 9,8% en Espagne,
7,4% en Allemagne. En moyenne, elle s’élevait à 7,5%
dans la zone euro en avril. Du jamais-vu depuis trente
ans.
Alors que la guerre en Ukraine s’intensifie et se
prolonge – sans doute bien plus que les responsables
européens ne l’avaient anticipé –, les effets des
sanctions contre la Russie additionnés à la paralysie
d’une partie de la Chine commencent d’ébranler les
moteurs économiques.
Après la menace d’un embargo européen total sur le
pétrole russe, les prix du brut se sont durablement
installés autour de 110dollars le baril (contre 55 dollars

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il y a un an). «Les prix du diesel et de l’essence sont frappée de pénurie, qui prend 20%, du lait ou même
appelés à rester durablement élevés», préviennent les de l’eau, qui prend quelques centimes par-ci par-là.
raffineurs, expliquant qu’il n’existe pas de sources de Sans parler de l’essence à plus de 2euros le litre. Cela
substitution suffisantes pour remplacer la Russie. La finit par représenter des hausses substantielles sur des
situation est encore plus critique pour le gaz, qui tourne achats de produits souvent de première nécessité.
autour des 100euros le MWth et franchit allègrement Et ce n’est que la première vague. À force de
les 125euros (contre 25 euros il y a un an), depuis que vivre dans un contexte d’inflation faible voire de
la Russie a commencé de restreindre ses livraisons. déflation depuis des décennies, on a oublié l’existence
de certains mécanismes d’ajustement des prix sur
l’inflation, qui ne demandent qu’à être remis en
vigueur. L’indice du coût de la construction qui sert
de référence sur l’indexation des loyers par exemple
comporte une variable tenant compte de la hausse des
prix. Dès la fin du deuxième trimestre, cela va se
traduire directement dans le prix des logements. Les
Station de compression de gaz en Allemagne. ©
contrats de concessions autoroutières, renégociés en
PATRICK PLEUL / dpa Picture-Alliance via AFP 2015 sous la houlette notamment d’Élisabeth Borne,
La contagion s’étend. Alors que les exportations de prévoient eux aussi une révision des tarifs des péages
blé d’Ukraine sont gelées et que l’Inde a annoncé une en fonction de l’inflation. Cela vaut pour quantité
interdiction d’exportation de sa production, la tonne d’autres contrats.
de blé sur les marchés européens a dépassé 438euros Cette pression accrue sur le budget des ménages
cette semaine. Un niveau exorbitant pour l’Europe commence à se faire sentir partout. Les banques
mais encore plus pour tous les pays émergents qui sont alimentaires voient arriver des personnes qui n’avaient
directement menacés de pénuries alimentaires. Mais pas l’habitude de frapper à leurs portes, mais
il faudrait aussi parler de l’orge, des engrais, de la qui désormais n’y arrivent plus dès le 15 du
pâte à papier, de l’aluminium, du nickel, du bois, du mois. Les autres réduisent autant que possible leur
caoutchouc… La liste est interminable. consommation. Dans tous les pays d’Europe, la
L’effet domino joue à plein : l’inflation se propage demande – un des moteurs de l’économie – baisse et
dans toute l’économie. De proche en proche, tous les le moral des ménages est en berne.
secteurs sont concernés.
Mais désormais, il n’est plus possible de parler
d’une inflation transitoire et circonscrite à l’énergie
et quelques secteurs annexes. L’effet domino joue à
plein: l’inflation se propage dans toute l’économie. De
proche en proche, tous les secteurs sont concernés,
d’une façon ou d’une autre, que ce soit par la hausse
© Amaury Cornu / Hans Lucas via AFP
des coûts de leurs approvisionnements, par celle de
leurs coûts de production, en raison de la flambée Révisions des prévisions
de l’énergie, ou plus simplement par leurs coûts de Après avoir tenté de nier pendant des semaines la
transport et de logistique. dégradation économique en cours , la Commission
La valse des étiquettes a commencé dans toutes les européenne a dû se rendre à l’évidence: le 16 mai,
chaînes de distribution et les commerces. C’est le elle a révisé ses prévisions pour 2022. Alors qu’elle
prix des pâtes qui augmente de 15%, celui de l’huile,

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tablait sur une inflation autour de 3,5%, elle concède conséquences, lorsque ces hausses sont advenues? Dès
désormais que celle-ci pourrait évoluer entre 6, 1% et l’été 2021, alors que les cours du pétrole et du gaz
6, 8%. La croissance, elle, ne serait plus que de 2,8%. avaient déjà été multipliés par deux ou trois, moult
Ces prévisions sont soumises à «une forte incertitude» représentants des secteurs industriels, ou même de
liée à l’évolution du conflit et le tableau pourrait se simples observateurs alertaient sur les conséquences
noircir encore, a toutefois prévenu le commissaire prévisibles et néfastes d’un choc énergétique sur
européen à l’économie Paolo Gentiloni. «D’autres l’économie. Tous insistaient sur un fait simple et
scénarios sont possibles, dans lesquels la croissance indéniable: les modèles de l’économie mondiale
pourrait être plus faible et l’inflation plus élevée que reposent sur des énergies carbonées et bon marché,
ce que nous prévoyons aujourd’hui.» que personne, en dépit des grandes déclarations sur la
transition écologique, n’a voulu modifier depuis vingt
Dans un scénario catastrophe, la Commission
ans. Modifier ce seul facteur ne peut qu’entraîner un
européenne envisage une inflation à plus de 9%, en
bouleversement de tous les équilibres internes.
cas d’arrêt total des approvisionnements de gaz et
de pétrole en provenance de Russie, et une récession Parfaitement informées, les instances européennes ne
pour toute l’économie européenne. «L’impact de la pouvaient ignorer ce constat. Leur volonté de minorer
guerre en Ukraine pourrait être encore beaucoup la gravité de la situation frisant parfois le déni relève
plus important que ce à quoi la Banque centrale d’un autre champ: l’incapacité d’imaginer voire de
européenne et les marchés s’attendent. Il y a des s’extraire d’un modèle économique qui leur paraît
risques d’escalade», préviennent des économistes de avoir été un succès.
Bloomberg. Pendant plus de vingt ans, la Chine, transformée en
Le mea culpa de la BCE atelier du monde avec ses salaires à bas coût et
ses productions à des prix défiant toute concurrence,
Ce ne serait pas la première fois que les prévisionnistes a exercé une pression déflationniste continue sur
sous-estiment l’ampleur du choc inflationniste. Depuis l’économie mondiale. Cela a permis de contenir toutes
le début de la pandémie, ils se trompent même avec les aspirations de hausse de salaire et de maintenir
régularité. Dans une étude publiée fin avril, la des profits élevés. Bénéficiant de cet environnement
Banque centrale européenne a fait un premier mea jugé porteur, l’Europe a construit une politique
culpa: elle reconnaît avoir bâti des scénarios beaucoup économique, largement inspirée par l’Allemagne,
trop optimistes et s’être trompée depuis deux ans sur comprimant la demande interne afin de devenir une
la montée de l’inflation. machine exportatrice.
Elle se justifie en expliquant que ses erreurs sont
Résister aux revendications salariales
essentiellement liées «aux développements inattendus
des prix de l’énergie, couplés aux effets des Ce sont des pans entiers de ce modèle qui sont en train
réouvertures de l’économie après la levée des de s’effondrer en même temps. La Chine n’est plus ce
restrictions liées au coronavirus, et à ceux des goulots vecteur mondial déflationniste depuis quelque temps
d’étranglement dans l’approvisionnement mondial». et est en train de se replier sur elle-même. La machine
«La hausse des prix de l’énergie n’avait pas été exportatrice européenne voit ses marchés se rétrécir à
anticipée par les acteurs du marché», ajoute-t-elle vue d’œil, tandis que sa compétitivité est durablement
pour sa défense. mise à mal par l’envolée des coûts de l’énergie.
S’il était difficile pour tous de prévoir que les Mais il reste un front sur lequel les instances
prix du gaz, du pétrole et de l’énergie allaient européennes veulent tenir aussi longtemps que
être multipliés par quatre, cinq ou six dès l’été possible: celui de la compression de la demande
2021, était-il vraiment impossible d’en évaluer les interne, quitte à sacrifier les populations. Reconnaître

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l’intensité de l’inflation qui sévit actuellement et son de geler momentanément les prix de l’énergie, d’autres
caractère durable serait, selon eux, ouvrir la boîte ont mis à contribution leurs groupes énergétiques en
de Pandore : les revendications salariales afin de surtaxant les superprofits qu’ils ont réalisés au cours
maintenir le pouvoir d’achat. La courbe de Phillips, des derniers mois, d’autres encore procèdent à des
cette fameuse théorie économique censée décrire allégements de TVA sur des produits de première
l’enchaînement fatal et inextricable entre la hausse nécessité.
des prix et des salaires, est convoquée dans tous les Jusqu’à quand ces expédients permettront-ils de tenir?
discours afin de dissuader par avance tout processus Selon des confidences recueillies par Bloomberg, des
d’augmentation des revenus des ménages. fonctionnaires européens à Bruxelles s’inquiètent des
Parce qu’il est malgré tout difficile de rester sourd réactions des opinions publiques, confrontées à une
à l’effondrement des revenus des ménages, la flambée des prix, des risques de récession, une guerre
Commission européenne a autorisé les gouvernements sur le continent et un appauvrissement généralisé. Tout
à quelques opérations de bricolage: les uns ont décidé cela donne effectivement des raisons de s’inquiéter.

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