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ÉDITORIAL.

APRÈS DAVOS

Éditions Esprit | « Esprit »

2022/7 Juillet-Août | pages 5 à 7


ISSN 0014-0759
ISBN 9782372342193
DOI 10.3917/espri.2207.0005
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-esprit-2022-7-page-5.htm
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Éditorial

APRÈS DAVOS

Avec l’été qui s’ouvre, si chacun sent que nous n’en avons pas encore fini
avec les rebonds épidémiques et les variants – les images de Shanghaï
strictement confiné jusque tout récemment sont là pour nous le rap‑
peler – prédomine malgré tout l’impression que le temps a repris son
cours. Après deux années d’interruptions et de faux départs, les frontières
se sont rouvertes et la circulation des voyageurs a repris ; il redevient
possible de faire des projets.
Mais en deux ans, notre représentation du monde a profondément
changé. Et depuis l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022, le
monde semble toujours plus lourd de menaces. À la violence de la guerre
s’ajoute l’appréhension de ses conséquences internationales : la difficulté
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à se passer du gaz ou du pétrole russes en Europe, les risques de famine
qui planent sur de nombreux pays dans le monde, le déplacement de mil‑
lions de réfugiés. L’interdépendance, autrefois associée à des promesses
de prospérité partagée, n’est plus l’objet abstrait de calculs et de modèles
de croissance économique, mais un sujet de préoccupation éminemment
politique. Les tableaux de chiffres ont cédé la place à des planisphères,
sur lesquels se matérialisent à présent des lignes de front, des routes
d’approvisionnement, des espaces aériens ou des zones économiques
exclusives, des câbles sous-marins et autres infrastructures stratégiques.
L’inter­dépendance se présente d’abord sous la forme des cargaisons de
grains bloquées dans le port d’Odessa.
Cela faisait déjà quelques années que pâlissait l’étoile de Davos, ce ras‑
semblement des gagnants de la mondialisation. Cette année, un sommet
a bien été organisé en mai, mais c’est tout juste s’il en a été question
dans les médias. Les représentants russes en étaient exclus, tandis que

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Esprit

la délégation chinoise était réduite au strict minimum. L’administration


américaine de Joe Biden était quant à elle représentée par John Kerry,
porteur d’un discours de responsabilité sur l’urgence de la lutte contre
le changement climatique. Bien loin de la foi des années 1990 dans les
vertus inhérentes à la circulation toujours accrue de marchandises, de
personnes et de capitaux, l’on s’y interrogeait plutôt sur les manières
de protéger les populations de nouveaux risques majeurs – qu’ils soient
économiques, technologiques, sanitaires ou sécuritaires. Foin des pro‑
messes des marchés ouverts de la communication ou de l’intégration
économique globale. Retour à la géopolitique.
Au mois de juin à Singapour, à l’occasion du dialogue de Shangri-La,
ce sont les relations sino-américaines qui ont requis l’attention de diplo‑
mates et d’experts de la défense venus du monde entier. La guerre russe
qui ravage l’Ukraine apparaissait soudain comme le prélude à celle que
pourrait entraîner le geste ou la déclaration de trop sur l’indépendance
de Taïwan, chacun des ministres de la Défense chinois et américain
réaffirmant les lignes rouges sur lesquelles il ne transigerait pas. Oubliées
les Nations unies ou l’architecture globale de sécurité collective, seules
les nouvelles alliances régionales semblent pouvoir servir de forces
d’équilibre pour tempérer les deux géants qui se font face. L’heure est à
l’« ambiguïté stratégique », par laquelle on se donne le temps de jauger le
rapport de force et la détermination du partenaire, qui est aussi le rival
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et peut-être l’adversaire.
Loin des promesses de la gouvernance globale, une nouvelle géo‑
graphie se dessine, qui voit le monde s’émietter, se fragmenter ou se
compartimenter selon de nouvelles lignes de faille. La notion de région
indo-pacifique en est un exemple, qui dit les efforts américains et euro‑
péens pour essayer de contenir l’influence de la Chine. Plus près de
nous, l’entrée imminente de la Finlande et de la Suède dans l’Otan étend
­l’alliance atlantique vers le Nord, soulignant en retour la position sin‑
gulière de la Turquie au Sud, dont le régime autocratique d’Erdoğan n’a
d’ailleurs pas renoncé à jouer les médiateurs avec la Russie de Poutine.
Tandis que les producteurs de pétrole du Golfe entendent bien, eux aussi,
préserver leurs relations avec les États-Unis comme avec la Chine, avec
la Russie comme avec l’Europe.
Dans ce nouvel âge géopolitique, les seules perspectives seraient-elles
celles de la guerre et des conflits ? Les seules règles qui vaillent celles de

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Après Davos

l’impérialisme, de la captation et de la prédation des ressources, de la


course aux armements, de la lutte pour la suprématie militaire ? Aurait-on
renoncé définitivement à mieux répartir les richesses du monde, à voir
s’exprimer durablement une solidarité entre les peuples, à construire un
jour une véritable « société des nations » ?
Avec la conscience accrue des risques dont la mondialisation est por‑
teuse, deux tentations peuvent se faire jour, qui doivent également être
combattues. La première serait de rester
Les seules règles qui vaillent
dans l’illusion qu’il est possible aujourd’hui
seraient-elles celles de
de se replier derrière ses frontières natio‑
l’impérialisme, de la captation
nales, loin des turbulences du monde,
et de la prédation des
oubliant que le défi environnemental, à lui
ressources, de la course aux
seul, commande déjà de penser notre
armements, de la lutte pour la
avenir à l’échelle planétaire. La seconde
suprématie militaire ?
serait de s’avancer vers une nouvelle par‑
tition du monde en blocs séparés et hostiles, qui entretiendraient un
conflit permanent : sous la forme de ­l’affrontement armé ou des guerres
commerciales et technologiques, des sanctions, du « découplage » de tous
les échanges.
Devant le tour que prennent les événements, à l’est de l’Europe comme
en mer de Chine méridionale, il faudrait manquer singulièrement de
lucidité pour ne pas envisager les risques d’une conflagration mondiale,
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ou refuser de se préparer à affronter la dureté d’éventuels conflits. Mais
ce qui est possible n’est pas non plus écrit d’avance, comme le montre
aujourd’hui la capacité de la résistance ukrainienne à ralentir, repousser
et, qui sait, peut-être faire reculer l’agression russe.

Esprit

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