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Dr Luc Darnige
Service d’hématologie biologique, Hôpital européen Georges Pompidou
Pr Jean-Charles Piette
Service de médecine interne, Pitié-Salpétrière,
Centre national de référence Syndrome des Antiphospholipides
I-Définition
1
II- Epidémiologie
III- Pathogenèse
En raison de la rareté de ce syndrome la pathogenèse du SCAPL a été très peu étudiée
et est mal connue.
Différents mécanismes sont évoqués (4, 5) :
Le facteur déclenchant du SCAPL étant très souvent une infection, le rôle de celle-ci
dans la survenue de la thrombose a été plus particulièrement étudié. Il existe une homologie
de structure entre la partie de la β2GPI reconnue par les anti-β2GPI et des séquences
peptidiques présentes sur certains virus et bactéries. Une mécanisme d’activation cellulaire
commun aux infections et au SCAPL a ainsi été évoqué et mettant en jeu le Toll-Like
Receptor 4 (TLR-4). Ainsi les anti-β2GPI activeraient les cellules endothéliales, selon un
mécanisme dépendant du TLR-4. La production excessive de cytokines qui en résulte serait
responsable :
- d’une réponse inflammatoire systémique.
- de l’acquisition d’un phénotype endothélial pro-coagulant et pro-thrombotique
associée à une augmentation de synthèse et/ou d’expression de facteur tissulaire.
La thrombose elle-même entretiendrait le processus thrombotique avec génération
excessive de thrombine et de fibrine associée à une diminution de la fibrinolyse par
augmentation de synthèse de l’inhibiteur de l’activateur du plasminogène (PAI), observée au
cours de cette pathologie.
2
IV- Facteurs déclenchants et présentation clinique inaugurale
Le « CAPS registry » portant sur 280 patients a permis d’identifier un facteur
déclenchant chez 53% d’entre eux. Par ordre de fréquence, on note : une infection (22%), une
chirurgie ou une autre procédure effractive (10%), un arrêt des anticoagulants ou un INR en
dessous de la zone thérapeutique si un traitement antagoniste de la vitamine K est en cours
(8%), des complications obstétricales (7%), la prise de nouveaux médicaments (7%), un
cancer (5%) et une poussée lupique (3%) (3).
Les signes d’appel identifiés dans le registre sont variables : dyspnée, toux sèche,
encéphalopathie hypertensive avec protéinurie ou hématurie, parfois aussi macro-thrombose
…(3).
V- Manifestations cliniques
Les anomalies biologiques le plus souvent observées sont les suivantes (3) :
- Une thrombopénie (<100 G/L) de mécanisme variable (en rapport avec une activation de la
coagulation et/ou d’origine auto-immune) est observée chez 46% des patients.
- Une anémie hémolytique est mise en évidence dans 35% des cas, de type mécanique
(schizocytes), liée à une microangiopathie thrombotique dans 16 % des cas.
- Une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) a été trouvée chez 15% des patients
selon les critères définis par le sous-comité de l’ISTH et associant : plaquettes <100 G/L,
baisse du temps de Quick en pourcentage d’activité, augmentation des produits de
3
dégradation de la fibrine ou des D-dimères et diminution de la concentration du fibrinogène
<1 g/L (6).
- Les aCL d’isotype IgG sont généralement présents à titre élevé chez 83% des patients ; les
aCL d’isotype IgM sont moins fréquents. Si ces anticorps n’étaient pas connus au préalable, il
convient dans toute la mesure du possible de les rechercher rapidement. Il existe dans plus de
80% des cas un LA mais sa mise en évidence lors de la phase évolutive du syndrome peut être
délicate, surtout s’il existe une CIVD.
Des critères préliminaires de classification du SCAPL ont été proposés en 2003 par un collège
d’experts (7). Ils ont été modifiés en 2010 avec l’inclusion des anti-β2GPI comme critère
biologique et la nécessité de la persistance des aPL à 12 semaines (8)
1) Mise en évidence de l’atteinte d’au moins 3 organes, systèmes et/ou tissusa
2) Survenue simultanée des différentes atteintes en moins d’une semaine
3) Confirmation histologique de l’occlusion des petits vaisseaux dans au moins un organe ou
tissub
4) Confirmation biologique de la présence d’anticorps antiphospholipides (LA et/ou aCL
et/ou anti-β2GPI) c
a
Mise en évidence clinique d’occlusion vasculaire, confirmée par des techniques d’imagerie appropriées. L’atteinte rénale se
définit comme une augmentation d’au moins 50 % de la créatininémie, l’apparition d’une hypertension artérielle marquée (>
180/100 mm Hg) et/ou d’une protéinurie (> 500 mg/24 h)
4
b
La confirmation histologique signifie la mise en évidence d’un phénomène de thrombose bien qu’un processus de
vascularite puisse occasionnellement coexister
c
Si le patient n’a jamais eu de test biologique au préalable, les anticorps antiphospholipides doivent être détectés à deux
reprises, espacées d’au moins 12 semaines (pas nécessairement au moment de l’événement clinique), en accord avec les
critères préliminaires proposés pour la classification des syndromes des antiphospholipides de Sapporo révisés à Sydney
Ces critères malgré leur bonne sensibilité et spécificité (plus de 90%) demeurent empiriques.
Ils sont établis plus pour classer les patients que pour établir un diagnostic chez un patient
donné (9).
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Pour mémoire les autres diagnostics différentiels possibles sont les endocardites marastiques
ou bactériennes, et l’encéphalopathie réversible postérieure.
La prise en charge thérapeutique optimale du SCAPL n’est pas connue, mais elle doit avoir
trois objectifs (3) :
1) Traiter tous les facteurs précipitants :
- traitement antibiotique précoce en cas d’infection
- exérèse si possible de tout organe nécrosé
- grande vigilance chez les patients avec SAPL ayant une intervention chirurgicale ou
une procédure effractive.
2) Prévenir et traiter tout événement thrombotique
3) Supprimer « l’orage » cytokinique
Compte tenu de la rareté du syndrome, le traitement n’est pas standardisé. Il associe :
- un traitement anticoagulant (héparine intraveineuse suivie par un traitement antagoniste de
la vitamine K). La surveillance du traitement par héparine non fractionnée devra être
effectuée par l’héparinémie (0,3 à 0,7 U/mL) et non sur l’allongement du TCA chez ces
patients ayant fréquemment un allongement de base de leur TCA en raison du LA. Pour
limiter les risques de thrombopénie induite par l’héparine, si la fonction rénale le permet, les
HBPM peuvent être préférées à l’héparine non fractionnée.
- les échanges plasmatiques (avec plasma frais congelé ; particulièrement en cas de présence
de schizocytes)
- les immunoglobulines intraveineuses (IgIV)
- le cyclophosphamide en cas de poussée lupique associée.
Plus récemment l’administration de rituximab, d’eculizumab ou de defibrotide a été proposée,
là encore empiriquement, ponctuellement et sans aucune validation (16).
X- Evolution-pronostic
1) à court terme :
Le pronostic immédiat du SCAPL est mauvais puisque 44% des 280 patients du
« CAPS registry » sont décédés au moment de l’événement : principalement de causes
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cérébrales (AVC ischémique, hémorragie cérébrale, encépholopathie) (27%), cardiaques
(insuffisance cardiaque, troubles du rythme) (20%), infectieuses (20%) et de défaillance
multiviscérale (17%) (12).
Dans notre récente expérience, la guérison est obtenue plus souvent chez les patients
ayant reçu un traitement anticoagulant par rapport à ceux sans traitement (63% vs 22%
p<0,0001). L’association : anticoagulants, corticoïdes, échanges plasmatiques et/ou IgIV
semble encore meilleure (69% vs 54% de guérison) (3).
Les autres facteurs de mauvais pronostic sont le LES (59% vs 38%, p=0,003) et la
présence d’anticorps anti-noyaux (66% vs 49% p=0,02) (12). Chez ces patients atteints de
LES, l’adjonction de cyclophosphamide au traitement est associée à un meilleur pronostic
(13).
2) à long terme
Les séquelles sont fréquentes, notamment cardiaques (insuffisance cardiaque,
arythmie), cérébrales et rénales (insuffisance rénale parfois terminale).
La récidive de SCAPL est un évènement très rare. Parmi 58 patients « survivants du
SCAPL », aucune récidive n’est survenue pendant un suivi médian de 67,2 mois mais 19%
ont présenté un nouvel événement du SAPL non fatal et 16% (9/58) sont décédés (14). Parmi
ces 9 patients décédés, une défaillance multiviscérale a été fatale chez 3 d’entre eux au
décours de l’épisode de SCAPL. A distance, 4 sont décédés d’une cause liée au SAPL
(complications périopératoires, infarctus pulmonaire, embolie pulmonaire) et 2 d’une
étiologie indépendante du SCAPL (14). Les « survivants » doivent être considérés comme
des patients à très haut risque justifiant une éducation renforcée sur leur maladie et leur
traitement.
XI- Prévention
Compte tenu du pronostic péjoratif et de l’existence de facteurs déclenchants dans
plus de 50% des cas de SCAPL, il est important d’essayer de prévenir la survenue d’un
SCAPL chez les patients ayant un SAPL déjà diagnostiqué. Le patient doit également être
capable de prévenir lui-même des situtations à risque (connaissance approfondie des
situations potentiellement déclenchantes) et doit avoir un suivi attentif à long terme.
La chirurgie est une situation particulièrement à risque de déclenchement d’un SCAPL
car elle peut nécessiter une modification du traitement anticoagulant (avec parfois un
déséquilibre) et un risque infectieux majoré.
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Les recommandations sur la prise en charge péri-opératoire d’un patient avec SAPL sont les
suivantes (15) :
Evaluation pré-opératoire
- l’allongement du TCA dû au LA n’est pas une contre indication à la chirurgie si il n’y pas de
coagulopathie surajoutée qui doit être systématiquement recherchée comme précisé dans les
recommandations de l’ISTH.
- la thrombopénie modérée du SAPL (> 100 G/L) ne nécessite pas de traitement spécifique et
ne protège pas de la thrombose
- la chirurgie ou autres procédures effractives doivent reposer sur une indication formelle en
l’absence d’autre possibilité
Précautions péri-opératoires
- réduire au minimum les manipulations intravasculaires (voies d’accès et surveillance)
- ne pas prendre la tension au brassard trop fréquemment pour réduire au minimum la stase
veineuse distale
- éviter les garrots pour la même raison
- tout événement anormal doit faire évoquer une thrombose artérielle ou veineuse
- un collapsus peut traduire une insuffisance surrénale aiguë parfois révélatrice du SCAPL
Anticoagulation péri-opératoire
- Réduire les périodes sans anticoagulation au strict minimum
- Utiliser les moyens mécaniques de prévention des thromboses veineuses
- Reprendre le traitement anti-thrombotique en post-opératoire, le plus tôt possible
- Savoir que le patient peut développer une récidive de thrombose malgré un traitement
anticoagulant adapté
- Prendre en charge les patientes avec un SAPL exclusivement obstétrical comme si elles
avaient un antécédent thrombotique
A retenir :
L’association de thromboses des petits vaisseaux, survenant en moins d’une semaine, dans
au moins 3 organes différents doit faire évoquer un SCAPL. Il sera confirmé par la présence
d’anticorps antiphospholipides (LA et/ou aCL et/ou anti-ß2GPI). Un facteur déclenchant tel
qu’une infection est souvent retrouvé. Il nécessite une prise en charge diagnostique et
thérapeutique urgente.
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Références
1 Miyakis S, Lockshin MD, Atsumi T, Branch DW, Brey L, Cervera R,et al. International
consensus statement on an update of the classification criteria for definite antiphospholipid
syndrome (APS). J Thromb Haemost 2006 ;4 : 295-306.
2 Asherson RA. The catastrophic antiphospholipid syndrome. J Rheumatol 1992; 19: 508-12.
7 Asherson RA, Cervera R, de Groot PG, Erkan D, Boffa MC, Piette JC et al. Catastrophic
antiphospholipid syndrome: international consensus statement on classification criteria and
treatment guidelines. Lupus 2003 ; 12 :530-4.
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10 Amoura Z, Costedoat-Chalumeau N, Veyradier A, Wolf M, Ghillani-Dalbin P, Cacoub P
et al. Thrombotic thrombocytopenic purpura with severe ADAMTS-13 deficiency in two
patients with primary antiphospholipid syndrome. Arthritis Rheum 2004;50:3260-3264.
14 Erkan D, Asherson RA, Espinosa G, Cervera R, Font J, Piette JC, Lockshin MD Long term
outcome of catastrophic antiphospholipid syndrome survivors. Ann Rheum Dis. 2003;62530-3
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Tableau 1 : diagnostics différentiels du SCAPL (5,6) :
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