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http://www.cardio lo gie-pratique.co m/jo urnal/article/009886-linertie-therapeutique-pro po s-de-lhta
Premier motif de consultation dans les pays occidentaux, l’HTA présente une prévalence en constante
augmentation, phénomène expliqué par le vieillissement de la population et l’épidémie d’obésité. Alors que
l’on estimait à 25 % la population mondiale touchée par l’HTA en 2000, les prévisions f ont état de 1,5
milliards d’adultes hypertendus, soit 30 % de la population mondiale en 2025(1). L’HTA est un f acteur de
risque majeur de maladie coronaire et d’accident vasculaire cérébral(2) avec une relation linéaire à partir
de 115/75 mmHg, d’insuf f isance cardiaque(3), d’insuf f isance rénale terminale(4) et de démence(5). Le
bénéf ice du traitement antihypertenseur a clairement été démontré en termes de morbi-mortalité
cardiovasculaire(2), cérébrovasculaire(6) et de néphroprotection(7). L’intensité de l’association entre HTA
et mortalité cardiovasculaire apparaît de moins grande envergure chez les hypertendus âgés. Cependant,
l’ef f icacité du traitement antihypertenseur est également mise en évidence dans cette population par
plusieurs études, dont l’étude HYVET (8) qui démontre un bénéf ice en termes de réduction de mortalité
globale, de mortalité par AVC, d’incidence d’évènements cardiovasculaires et une tendance pour la
prévention des troubles cognitif s.
L’HTA est f réquemment associée à d’autres f acteurs de risque cardiovasculaire, notamment dans le
cadre du syndrome métabolique, constat expliqué par les changements d’habitudes alimentaires,
l’augmentation de la consommation en sel et l’incidence accrue d’obésité, f acteur prédictif indépendant
de risque cardiovasculaire(9). Parallèlement à la dif f iculté du contrôle tensionnel, l’ef f et multiplicateur de
cette association sur le risque global rend compte d’une morbi-mortalité cardiovasculaire accrue(10). La
f réquence de l’association entre HTA et diabète de type 2 (plus de la moitié des patients diabétiques
sont hypertendus et près de 20 % des hypertendus sont diabétiques) mérite une attention particulière
pour les mêmes raisons.
De plus, l’existence d’un risque résiduel sous traitement antihypertenseur, après ajustement aux autres
f acteurs de risque et pour un même niveau tensionnel, est associée à un niveau plus élevé d’événements
coronariens, cérébrovasculaires et de la mortalité cardiovasculaire(11) (figure 1).
Ces dif f érents constats doivent encourager le praticien à lutter activement contre les mauvaises
habitudes de prescription en adoptant une attitude thérapeutique plus conf orme aux recommandations
dans le cadre d’une prise en charge globale du risque cardiovasculaire de chaque patient.
Déf inition
L’inertie médicale représente un déf aut de qualité des soins prodigués au patient que ce soit un déf aut
de diagnostic ou d’adaptation thérapeutique lorsqu’elle celle-ci est requise.
Dans le domaine de l’HTA, une des composantes de l’inertie médicale, l’inertie thérapeutique est déf inie
comme « l’échec » du médecin d’initier ou d’intensif ier le traitement antihypertenseur, avec des
médicaments ayant f ait leurs preuves, lorsque cela est indiqué, sous-entendant la responsabilité
médicale pour l’insuf f isance de contrôle tensionnel(14, 15). Problème f réquent des prof essionnels
(généralistes ou spécialistes) et des systèmes de santé dans la prise en charge de pathologies
chroniques asymptomatiques telles que l’HTA ou le diabète, cette attitude peut parf ois être f avorisée par
la surcharge de travail et les incertitudes scientif iques. Sa correction est complexe.
Données récentes
L’analyse des paramètres d’inertie thérapeutique dans le domaine de l’HTA en Europe et aux États-Unis
rend pourtant bruyamment compte de la nécessité de changer nos habitudes de prescription : en France,
seules 15 % des consultations au cours desquelles une modif ication du traitement était indiquée ont
abouti à une adaptation thérapeutique (comparativement à 38 % aux États-Unis et 28 % en
Angleterre)(12). Les auteurs suggèrent que les guides de bonne pratique clinique aux États-Unis sur la
prise en charge de l’HTA recommandent une thérapie plus agressive que les recommandations
européennes : en particulier, la prescription d’associations médicamenteuses, dont l’utilité en termes de
contrôle tensionnel et de prévention cardiovasculaire maintenant bien démontrée(16), est plus f réquente
aux États-Unis.
Les dif f érentes caractéristiques des patients hypertendus non contrôlés ont été décrites par plusieurs
auteurs(13, 17, 18) : l’âge élevé (≥ 75 ans) et le sexe masculin sont souvent retrouvés ainsi que l’HTA de
grade I mais également et paradoxalement la présence de comorbidités telles qu’un diabète de type 2,
une néphropathie, une maladie cardiovasculaire ou encore une insuf f isance cardiaque chronique.
Constat plus inquiétant, le contrôle des dif f érents f acteurs de risque cardiovasculaire (notamment l’HTA,
le diabète, le tabagisme et l’obésité) chez des patients coronariens dans 8 pays européens dont la
France reste très insuf f isant dans les 3 études observationnelles EUROASPIRE(19) soulignant
notamment l’explosion de l’épidémie d’obésité et l’insuf f isance d’éducation thérapeutique et de règles
hygiénodiététiques prodiguées par les praticiens.
D’autres f acteurs peuvent parf ois expliquer l’absence d’intensif ication du traitement sans être
nécessairement critiquables : les demandes concurrentielles ou « competing demands » du patient et les
pathologies lourdes majorant le risque d’ef f ets indésirables des médicaments. Ces raisons justif ient
l’attention du praticien et l’encouragent vers une approche centrée patient, f ondement même de la
pratique médicale(23). Il n’est donc pas simple de reprocher l’absence d’adaptation thérapeutique lors
d’une HTA non équilibrée en consultation à l’aide des seules recommandations de bonne pratique, sans
prise en compte de l’historique médical et des demandes du patient.
De plus, les recommandations de l’ESH ont récemment été réévaluées à la lumière des grands essais
publiés depuis 2007. L’accent est mis sur l’absence de preuves convaincantes en termes de
morbimortalité d’un objectif tensionnel plus strict chez le patient à haut risque cardiovasculaire,
diabétique, insuf f isant rénal ou en prévention secondaire comme en témoignent les résultats de la
récente étude ACCORD BP(25). Les cibles tensionnelles plus ambitieuses pourraient même être
délétères. Le dogme « the lower the better » est actuellement remis en question, plusieurs études alertant
sur l’existence d’un seuil tensionnel au-dessous duquel apparaîtrait un sur-risque coronaire. C’est
l’hypothèse de la courbe en J, une des questions les plus débattues actuellement dans le domaine de
l’HTA.
Une attitude prudente quant à des objectif s tensionnels trop stricts devrait être adoptée en particulier
chez les sujets f ragiles, âgés, avec comorbidités ou ayant une maladie cardiovasculaire évoluée.
Parallèlement au contrôle des autres f acteurs de risque et à la dif f usion des règles hygiénodiététiques,
l’optimisation de la prise en charge thérapeutique du patient hypertendu ne doit pas être restreinte au
seul contrôle du niveau tensionnel en consultation.
Pression mesurée en dehors du cabinet médical
Le diagnostic de l’HTA était posé, jusqu’à une période récente, par la mesure de la PA ef f ectuée au
cabinet médical avec un sphygmomanomètre à mercure. Plusieurs études battent en brèche ce dogme,
principalement :
• Une étude ancillaire de l’étude SYST-EUR a montré que les patients présentant une HTA non soutenue
(PAS > 160 mmHg au cabinet médical mais <140 mmHg à la mesure ambulatoire de la PA) ne présentaient
pas de bénéf ice au traitement actif à base de nitrendipine contre un traitement par placebo(26).
• L’étude SHEAF a clairement montré que les chif f res de PA mesurés en automesure étaient plus
étroitement associés à la survenue des événements cardiovasculaires que les chif f res mesurés au
cabinet médical. Qui plus est, les patients normotendus en automesure mais hypertendus en cabinet
médical (ef f et blouse blanche) avaient un niveau de risque équivalent à celui des normotendus
concordants ; alors que les patients hypertendus en automesure, même s’ils étaient normotendus au
cabinet médical (HTA masquée), avaient un niveau de risque équivalent aux hypertendus concordants.
L’atteinte des organes cibles est ainsi mieux corrélée aux valeurs de la PA mesurée par automesure,
qu’en milieu médical. En automesure, une augmentation de la pression artérielle systolique de 10 mmHg
est corrélée à une augmentation du risque d’événement cardiovasculaire de 17,2 % et une élévation de la
PAD de 5 mmHg augmente ce même risque de 11,7 %. En revanche, pour la même augmentation de la PA
mesurée de manière conventionnelle, il n’y a pas d’augmentation signif icative du risque cardiovasculaire.
Cette étude suggère donc la supériorité prédictive de l’automesure par rapport à la mesure
conventionnelle en termes de pronostic cardiovasculaire(27).
En 2012, toutes les données de la littérature internationale concordent pour considérer qu’il existe une
relation plus étroite entre les chif f res de PA mesurés par automesure ou mesure ambulatoire et la
survenue des évènements cardiovasculaires morbides et mortels imputables à l’HTA, qu’entre les
chif f res de PA mesurés par le médecin au cabinet médical et ces mêmes évènements. De plus, dans le
cadre du diagnostic de l’HTA, l’automesure permet de dépister les HTA « blouse blanche » ne nécessitant
pas l’introduction d’un traitement antihypertenseur (mais nécessitant probablement un suivi tensionnel
régulier).
Dans le cadre du suivi des hypertendus, il a été clairement montré que la prise en considération de
l’automesure évite des intensif ications de traitement illégitimes et des non-modif ications de traitement,
elles aussi illégitimes, ces décisions thérapeutiques non adaptées concernant environ un quart des
patients(28).
Finalement, dans ces cas d’ef f et blouse blanche, l’inertie thérapeutique serait la solution médicalement
adaptée ; l’intensif ication du traitement ne serait associée à aucun bénéf ice clinique.
Pression centrale et rigidité artérielle
L’intérêt de l’évaluation du niveau de PA la plus f iable possible à l’origine de l’atteinte des organes cibles
explique l’émergence de concepts tels que pression pulsée, pression centrale et vitesse de l’onde de
pouls carotido-f émorale. La composante pulsatile de la PA, par opposition à la composante continue, est
le plus important f acteur de risque de morbi-mortalité cardiovasculaire chez le patient coronarien(29).
La pression centrale, par opposition à la pression périphérique brachiale prise en consultation, est plus
représentative du niveau tensionnel imposé aux coronaires et aux artères à destinée cérébrale,
constituant ainsi un meilleur marqueur de l’atteinte artérielle et f acteur prédictif du risque d’événements
cardiovasculaires(XXVI).
Plus récemment, l’étude Framingham Heart Study(31) a mis en évidence l’intérêt de mesurer la vitesse de
propagation de l’onde de pouls (VOP) aortique de manière non invasive dans l’évaluation du risque
cardiovasculaire. Traduisant la rigidité aortique, l’augmentation de la VOP au niveau central a été
identif iée dans plusieurs études comme un marqueur prédictif indépendant de mortalité cardiovasculaire
et toutes causes, d’événements coronariens et vasculaires cérébraux chez les hypertendus, les patients
avec insuf f isance rénale terminale, les patients âgés et dans la population générale.
La prise en considération de la pression pulsée centrale et de la VOP aortique devrait permettre
d’optimiser la stratégie d’évaluation du risque du patient hypertendu pour une meilleure prévention
cardiovasculaire.
Variabilité tensionnelle
La multiplication des mesures tensionnelles en ambulatoire et en hospitalier traduit la volonté de la
communauté médicale de s’af f ranchir autant que possible de la variabilité des chif f res tensionnels lors
du suivi en consultation af in de mieux évaluer la PA moyenne et adapter la stratégie thérapeutique selon
les recommandations correspondantes. Cependant, la notion de variabilité tensionnelle chez les patients
hypertendus traités apparaît depuis peu comme un puissant prédicteur du risque cardiovasculaire(32). La
variabilité de la PA en consultation et la pression artérielle systolique maximale sont de puissants
prédicteurs du risque d’AVC, d’événement coronarien et d’insuf f isance cardiaque, indépendamment de la
pression artérielle systolique moyenne.
Choix des molécules
Les dif f érences d’ef f icacité des classes d’antihypertenseurs en termes de morbi-mortalité
cardiovasculaire à même niveau tensionnel pourraient par conséquent être expliquées par leurs
dif f érences d’action sur la variabilité tensionnelle(33, 34) ainsi que par leur action sur la pression
centrale.
Les inhibiteurs calciques et les diurétiques thiazidiques présentent l’ef f et de classe le plus important sur
la diminution de variabilité de la PA.
Le choix des médicaments antihypertenseurs repose également sur les ef f ets pléiotropes spécif iques de
certaines classes telles que inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (néphroprotection),
inhibiteurs calciques (protection cérébrale). Les recommandations prônent une bithérapie, parf ois une
trithérapie, pour équilibrer le plus grand nombre de patients. Les associations médicamenteuses
permettent parallèlement d’améliorer l’observance par la réduction du nombre de comprimés.
Actuellement, à la lumière des résultats de l’étude ACCOMPLISH(35), c’est l’association IEC/inhibiteur
calcique qui f ournit le niveau le plus élevé de prévention cardiovasculaire chez l’hypertendu à haut risque.
Le traitement antihypertenseur doit donc s’intégrer, d’une part, dans la maîtrise du risque cardiovasculaire
global incluant la prise en charge des autres f acteurs de risque et, d’autre part, dans une stratégie
thérapeutique raisonnée et basée sur les résultats d’essais thérapeutiques randomisés contrôlés.
En pratique