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Tribune

Florence Delamoye

Entre managers…. le sens ne suffit plus… et c’est tant mieux !

De mon expérience de dirigeante d’entités de l’ESS, je me suis souvent interrogé de ce qui


peut être attendu d’un employeur au sein de cette planète si dynamique, si innovante, si
motivante. Pour simplifier, être un employeur exemplaire, particulièrement en termes
d’avantages sociaux ou rester dans les obligations sociales afin de préserver au maximum les
moyens pour la cause mais également le cas échéant, pour faire écho à l’investissement
bénévole déployé ?

La question s’inscrit aussi dans un contexte, la cause ou le sens apporté ne serait plus attractif
à lui seul. Le cabinet de recrutement Orientation Durable constate la baisse de 60 % des
candidats pour certains postes dans l’ESS et une recrudescence des demandes de missions de
recrutement !

Quelles sont les marges de manœuvre pour les dirigeants aujourd’hui ?

Décentrons-nous, juste un temps, de cette « cause » qui nous animent tant et posons la
question autrement ! « Comment parvenir à des niveaux de satisfaction et de qualité de vie
au travail pour tous (salariés et dirigeants) au bénéfice de chaque individu, de l’organisation
mais également de la cause soutenue ? » Viser un bénéfice pour ces trois cibles peut paraitre
ambitieux ; or, il est tout autant pertinent qu’atteignable, même si nos moyens sont restreints.

Reprenons le cheminement habituel : Le sens serait tellement important que ceux qui ont la
chance d’en disposer dans leur travail n’ont pas à être « bénéficiaires », en plus, d’actions
spécifiques pour leur « bien-être » au travail. Nous oserions investir dans le « bien-être » ou
le « mieux-être » alors que nous agissons pour des causes humanitaires, sociales,
environnementales, … Pendant longtemps, le Sens a été considéré comme le vecteur majeur
de la motivation et de l’émulation collective. A juste titre, j’en suis convaincue mais il ne se
suffit pas (ou plus) à lui seul. A-t-il réellement suffi un jour pour faire du bon boulot ? Soyons
honnête, l’ESS est capable du meilleur comme du pire, il peut être source d’un
épanouissement formidable mais aussi d’une grande maltraitance y compris de ses salariés et
dirigeants, bénévoles également - souvent « au nom de la cause ».
« Profond bouleversement du rapport au travail » nous dit-on, les jeunes générations
repositionnent-elles désormais le travail comme un gagne-pain ? Le travail n’est plus une fin
en soi, n’a plus à être le centre de sa vie, n’est plus l’unique marqueur social…mais il reste
important, « autant être bien, voire s’éclater, puisqu’il est indispensable ».

Tentons l’équilibre et l’ESS a beaucoup d’atouts à faire valoir, en se préservant de ses vieux
démons : « agissons, démenons-nous, usons-nous, c’est pour la bonne cause ». Comment ? A
l’issue d’une semaine de sensibilisation et forts des enseignements du dernier baromètre des
salaires proposé par Orientation Durable/On purpose1, la voie de la Santé Qualité de Vie au
Travail (SQVT) parait très pertinente. La question n’est finalement pas d’être un employeur
modèle mais de répondre à des besoins que l’on aura identifiés spécifiquement pour notre
organisation et nos salariés. Le sens porté par l’ESS n’interdit pas d’être un employeur
« ajusté » en intégrant la dimension bénévole qui surajoute de la richesse mais aussi de la
complexité.

47 % des salariés estiment que leur QVT s’est dégradée au cours des dernières années, 37 %
des dirigeants le pensent également. Je me suis particulièrement intéressée à une démarche
SQVT venue du Canada, pour laquelle nous retrouvons des préceptes français commun. Elle
est pragmatique et efficace. Oui, les démarches SQVT fonctionnent partout, y compris au sein
des petites organisations, pas besoin d’être un mastodonte de l’ESS pour déployer une telle
politique envers ses collaborateurs.

Cette démarche investit quatre sphères. Pratiques managériales ! seuls 63 % des salariés
reconnaissent un soutien adapté de leurs managers face à des difficultés2. Conditions de
travail, 50 % des salariés et 54 % des dirigeants ont déclaré une charge de travail excessive 1.
Conciliation vie professionnelle et vie privée : 77% des dirigeants sont connectés en dehors de
leur temps de travail 1. Enfin, habitudes de vie qui, en France, sont sur un terrain peu
investigué par les employeurs car trop proche de la vie personnelle. Pourtant, qualité de
sommeil, addictions, exercices physiques, nutrition, ... sont autant de domaines connectés
avec le travail. Pas pour se mêler de la vie des équipes mais pour intégrer des actions et pas
uniquement d’information et de sensibilisation.

Alors, quel employeur ESS devons-nous être ? Des salariés « acteurs » de leur qualité de vie
au travail induit alors un « mieux-être » général par le sentiment de reconnaissance généré et
les mesures « adaptées », évite le gaspillage de mesures parfois coûteuses qui tombent à coté
et permet un dialogue social transparent et constructif. « Le Sens » est aujourd’hui proposé
aux salariés mais finalement il reste entre les mains de l’organisation ; pourquoi ne pas
envisager de réellement le partager y compris de façon pragmatique, en posant
collectivement les conditions pour le servir ?

1
https://onpurpose.org/fr/temoignages/barometre-des-salaires-de-l-ess-edition-2022/
2
Baromètre national qualité de vie au travail dans l’ESS Chorum 2020
Et la « cause » sera finalement mieux servie, j’en suis convaincue, sans qu’il s’agisse que tout
le monde s’occupe et/ou décide de tout ! La qualité de vie au travail au sein d’une organisation
retentit rapidement sur une meilleure attractivité mais aussi tout simplement par une
réduction du turn-over. Face à des difficultés de recrutement, faisons simple, conservons nos
collaborateurs en acceptant de modifier nos pratiques.

Allons-nous regarder passer le train ? En référence au slogan Emmaüssien, « toujours agir,


jamais subir », je nous invite à bouger les lignes.

Au sein de cette planète ESS, les forces d’innovation et d’adaptation sont systématiquement
reconnues, souvent la rareté de moyens et la force des convictions en l’humain ont permis de
déplacer des montagnes. Initier une démarche SQVT est une chance d’action et d’inversement
des tendances, individuellement et collectivement. Associer un travail sur son identité peut
également être pertinent, questionner ses valeurs et ce pour quoi nous sommes tous là, pour
vérifier que l’écho est conforme au projet associatif… et pourquoi pas mener un travail
d’évaluation de son action, valoriser ce qui est bien fait (reconnaissance de chacun), identifier
les zones d’amélioration (travail collectif à initier pour un plan d’action) et monter un tableau
de bord partagé ((re)donner le « pourvoir d’agir »3 à chaque collaborateur) ?

Florence Delamoye

Fondatrice du Cabinet FDE Conseil et Accompagnement


fdelamoye@fde-ca.com

3
Clinique du Travail, Yves Clot

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