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Cousinet Roger. Qu'est-ce que l'éducation ?. In: Bulletin de psychologie, tome 7 n°5, 1954. Psychologie de l'enfant et
pédagogie. pp. 261-263;
https://www.persee.fr/doc/bupsy_0007-4403_1954_num_7_5_6327
R. COUSINET
écoles
leur
ses élèves,
(1)et normales
Le
une problème
etconduite
doitprimaires,
ainsi
sehumaine
compliquant
faire
classes
artificiellement
contemporaine
supérieures
là où l’éducateur
decoexister
dula second
leur.
(cours
en degré)
luicomplémentaires
uneappartient
conduite pédagogique
àde lal’enseignement
même antérieure
génération
primaire,
à que
la
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que les jeunes générations sont en contact avec leurs aînés, donc d’une façon
permanente, ce qui revient à dire que l’éducation se confond avec la vie; et que le
mot peut être rayé du vocabulaire.
On pourrait dire sans doute que ce contact n’est pas permanent, que les jeunes
ne vivent pas toujours avec leurs aînés, mais vivent aussi, à l’écart des aînés, entre
eux. Mais ce que Durkheim appelle l’influence éducatrice ne cesse pas, surtout
aujourd'hui, pour autant. Cette influence ne se borne pas à l’exemple, aux paroles
prononcées, aux actes accomplis. Alors même que ces actes, ces paroles, cet exemple,
ne sont plus présents, ils laissent après eux des effets (presse, et pas seulement
la presse enfantine, radio, cinéma, courants d’idées et de sentiments; suggestions
sociales) qui continuent à agir. Et nous en revenons à dire que vivre c’est s’éduquer,
et que éducation et vie se confondent.
Une telle conclusion ne sera évidemment pas acceptée sans résistance, soit
de la part des professionnels qui verraient ainsi disparaître une activité sociale à
laquelle ils attachent d’abord du prix parce qu’ils l’exercent, soit de la part des
amateurs (ou des spectateurs) qui n’ont pas confiance en la vie, ni en les expérien¬
ces qu’elle comporte. Les uns et les autres seraient donc sans doute disposés à réser¬
ver le nom d'éducation à l’action volontaire exercée par l’éducateur, soit d’une façon
systématique, dans l’école, à l’aide d’une didactique construite comprenant des pro¬
grammes, des leçons, une discipline, soit d’une façon plus libre, mais toujours cons¬
ciente et voulue, dans la famille. Il y aurait donc éducation proprement dite, non
continuement, comme le voulait Durkheim, mais seulement quand, par notre exem¬
ple, par nos paroles, par nos actes, nous nous proposons de façonner l’âme de nos
enfants. Dans le cas contraire, il peut y avoir, mais il peut aussi ne pas y avoir,
influence éducatrice. Nous serons certains que notre exemple sera suivi, que nos
paroles seront écoutées, que nos actes seront imités, seulement quand nous le
voudrons ainsi. L’éducateur n'éduquera que dans les moments où il se proposera
délibérément d’éduquer, il n’éduquera que quand il voudra tenir le rôle (au sens
social du mot) d’éducateur. C’est l’intention qui créera l’éducation. Mais on voit
d’abord que, même ainsi, la réponse à notre question n’est plus aisée. La distinction
est-elle si facile à faire entre les cas où il y a, incontestablement, intention, et ceux
où il n’y a pas intention ? Cette distinction est évidemment presque impossible à
l’observateur. Elle est presque impossible à l'auteur, à l’éducateur (professionnel ou
non), qui ne peut arriver à prendre conscience d’une façon nette de ce qu’il y a en
lui de volontaire, ou d’involontaire. Le journaliste, qui publie une information
ou un reportage, veut à la fois instruire ses lecteurs, mais en même temps exercer
son métier, piquer une curiosité, paraître « au courant de l’actualité ». Exerce-t-il
une influence éducatrice ? L’homme politique, qui, par ses discours, veut « façon¬
ner » l’esprit de ses électeurs (et des autres citoyens), veut aussi, à l’occasion, se
justifier, ou même les égarer. Mérite-t-il le nom d’éducateur ? Que dirons-nous du
père de famille, dont si souvent, même aux moments où il a intention éducatrice,
l’exemple dément les, paroles, ou les paroles démentent l’exemple ? Qu’est-ce qui
exerce alors une influence . éducatrice ? Si ses enfants n’écoutent pas ses paroles, qui
étaient intentionnelles et donc du domaine de l’éducation, et se conforment à son
exemple qui ne l’était pas et est donc du domaine de la vie, dirons-nous que dans
ce cas c’est la vie qui a été éducatrice, alors que l’éducation ne l’a pas été, ce qui
revient à démentir notre définition précédente, et à dire qu’il existe une éducation
non éducative, ce qui est une absurdité ? Et le problème est au moins aussi com¬
plexe quand il s’agit de l’école, et de l’éducateur professionnel. Si intentionnel que
soit celui-ci, si enfermé avec de plus en plus d’aisance dans ce rôle dont l'habitude
lui fait une seconde nature, il a une nature humaine, inextricablement mêlée à l’autre.
Combien de fois a-t-on répété que l’éducateur exerce son influence éducatrice, au¬
tant, et plus, par ce qu’il est que par ce qu’il dit et par ce qu’il enseigne ? Chez lui
aussi l’exemple
successifs être contradictoires,
peut démentir lesses paroles,
intentions
les rester
parolessans
démentir
effet, sa
l’exemple,
vie (et les
j’entends
actes
par là tout ce qui en lui est distinct de son intention éducative) sa vie involontaire,
inintentionnelle dans tant de ses démarches, non systématisée, avoir de l’effet,
exercer une influence éducative que son éducation n’exerce pas, et nous nous retrou¬
vons devant la même contradiction. Ajoutons qu’il est évidemment impossible à
l’éducateur, quelle que soit la vigilance et la maîtrise qu’il exerce sur lui-même,
de séparer son activité éducativement intentionnelle de celle qui ne l’est pas, et
encore moins, encore une. fois, d’empêcher ce qui est en lui inintentionnel d’avoir plus
d’efficacité éducative que ce qui est intentionnel.
Ainsi le langage courant voudrait distinguer l’éducation de la vie par un carae-'
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tère indiscernable, et attribuer à l’éducation sur la vie une supériorité éducative qui,
ainsi que l’expérience le montre, revient souvent à la vie. Nous ne pouvons définir
l’éducation une activité volontaire formatrice, puisqu’elle peut être formatrice sans
être volontaire, et elle se confond donc avec la vie, et elle peut être volontaire
sans être formatrice, et elle ne mérite donc plus le nom d’éducation.
Il semble que nous ne puissions sortir de cette difficulté qu’en abandonnant
l’éducateur et en nous tournant vers l’enfant. C’est au disciple, et non plus au
maître, que nous demanderons la définition de l’éducation. Tout occupé en effet du
rôle social de l’éducation, et dé l’importance de l’action éducative, Durkheim a
négligé de considérer que l’influence éducative est réelle non quand elle est exercée,
mais quand elle est effectuée. Il y a influence, c’est-à-dire action efficace, agissant
sur l’individu, dirigeant sa conduite, ou l’aidant seulement à suivre sa direction
propre, seulement quand l’individu accepte l’influence et l’utilise. Sinon il y a tenta¬
tive, intention, mais aucunement influence, puisque l’individu sur lequel on essaie
d’exercer l’influence n’est pas modifié, reste le même. Ce n’est pas de celui qui
exerce l’influence que le résultat dépend, mais de celui qui la reçoit et s’en sert.
Nous ne pouvons même pas dire que, même quand il agit intentionnellement, l’édu-
câteur exerce une influence éducative. Tout ce que nous pouvons constater, c’est
qu’il exerce, qu’il déploie une certaine activité (enseignements, discipline, exemple)
dont nous sommes le témoin, mais c’est de l’élève et non de lui, qu’il dépend que
cet exercice, que cette activité, influent, c’est-à-dire modifient pour un temps la
conduite de l’élève, et influent éducativement, c’est-à-dire aident l’élève à développer
sa personnalité et à s’adapter au groupe.
C’est donc à l’enfant, à l’élève, au disciple, que nous devons demander la défi¬
nition de l’éducation, qui ne peut d’ailleurs être pour le moment que très générale.
Nous pourrions dire que l’éducation est l’ensemble des réactions de l’élève à certaines
excitations du milieu (humain et non humain), réactions utiles à son développe¬
ment. Nous pourrions même dire que nous réserverons la qualité d’éducatives à celles
de ces réactions qui sont volontaires, afin de distinguer l’éducation du développe¬
ment. Mais cela demanderait une analyse plus longue.
Roger COUSINET,
Chargé de conférences à la Sorbonne.