Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Les débats qui ont cour en France au sujet des gaz et huiles de schiste démontrent la
réelle complexité de ce sujet. Etant une source d’énergie aux multiples enjeux, cette dernière
pose de nombreuses interrogations, qu’elles soient environnementales, politiques,
économiques ou autres. Dans cette partie, ce sont donc les arguments géostratégiques et
économiques autour des gaz de schistes que nous allons analyser.
A)Géostratégie de l’énergie
D’un point de vue idéalement construit, les matières premières sont considérées
comme n’importe quel autre produit dans une économie de marché. Elles seraient donc
allouées d’une manière optimale au sein d’un système économique, et ce par le mécanisme de
la fixation du prix par la « loi » de l’offre et de la demande.
De plus, les matières premières sont un intrant essentiel de la vie de nos sociétés, et ce
sur de nombreux éléments. Elles sont également « le fondement même de toute production
donc de toute création de richesse. Elles ont donc de tout temps intéressé les pouvoirs pour
lesquels elles sont un instrument de contrôle et de domination incontestable. »1 Nous pouvons
donc classer les matières premières selon trois grandes catégories qui sont : les produits
agricoles, les minerais et l’énergie.
Nous allons donc ici nous concentrer sur les caractéristiques de l’énergie, catégorie
qui, dans le cadre de notre travail, est la plus importante à prendre en compte. Nous pouvons
cependant ajouter que ces produits ont tous un point commun : ils sont liés à la terre, à un
territoire et très inégalement répartis sur la planète.
Cette caractéristique accroît leur dimension stratégique puisque, bien qu’elles soient
indispensables pour se développer, prospérer ou même se protéger, aucun pays n’est sensé
disposer des quantités nécessaires de matières premières sur son territoire national pour être
autosuffisant.
Le cas du gaz de schiste est ici éclairant puisque dans son rapport annuel, l’agence
internationale de l’énergie énonce le fait que les Etats-Unis d’Amérique vont devenir
indépendant énergétiquement grâce à cette matière première d’ici 2017 2 (il faut aussi prendre
en compte l’exploitation non pas seulement de gaz de schiste mais aussi des huiles de schiste,
permettant la production de pétrole). Nous verrons cette notion d’indépendance énergétique
plus en détail dans une partie suivante.
La carte3 suivante recense les stocks possibles de gaz de schiste en Europe, montrant
l’importance de ces derniers en France, et notamment dans le bassin parisien et les régions du
sud-ouest.
1
Alex, B., & Matelly, S. (2011). Pourquoi les matières premières sont-elles stratégiques? Revue internationale et
stratégique, p. 52
2
Agence Internationale de l'Energie. (2012). Golden Rules for a golden age of gas.
3
AIE, op. cit.. p. 121
La question centrale est donc ici l’identification des différentes zones possibles où le
gaz de schiste serait présent en grande quantité.
Les gaz non conventionnels sont souvent présentés comme étant la solution majeure à
une problématique qui préoccupe de nombreux pays, la notion d’indépendance énergétique.
Cette dernière « désigne la capacité d’un pays à satisfaire de manière autonome ses besoins
énergétiques.
4
CDE (connaissances des énergies). (2012, Juin 04). Comment est calculée l’indépendance énergétique de la
France ? Récupéré sur http://www.connaissancedesenergies.org:
http://www.connaissancedesenergies.org/comment-est-calculee-l-independance-energetique-de-la-france-120604
5
INSEE. (s.d.). Taux d'indépendance énergétique. Récupéré sur www.insee.fr:
http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/taux-independance-energetique.htm
Cette notion est fondamentale. En effet, c’est souvent par le biais de cette dernière
qu’est justifié le recours au gaz de schiste. Quoi de plus bénéfique que de produire sur le sol
national une ressource qui était auparavant importée et soumise à des possibles fluctuations de
prix non contrôlables par les autorités.
Le gaz de schiste n’est donc pas seulement une ressource particulièrement stratégique
de par sa situation géographique, comme évoqué ci-dessus, mais aussi et surtout du fait de
l’évolution de la consommation mondiale de gaz. Ainsi, comme nous le montre le graphique
suivant6, on anticipe une forte augmentation de la cette dernière dans les 20 - 30 prochaines
années.
Le gaz est ainsi le secteur énergétique qui connaitrait une hausse de sa consommation
la plus spectaculaire, cette dernière doublant quasiment, passant d’environ 2500 MTOE
(Million Tonnes of Oil Equivalent, Million de Tonnes d’équivalent pétrole) à plus de 4000 en
2035.
6
AEGE - Réseau d’experts en Intelligence Economique. (2012). L'intérêt du gaz de schiste: Analyse critique du
débat sur le dossier. p. 24
Cette possible hausse, qui est envisagée par de nombreux organismes, a pour origine le
fait que le gaz peut être considéré comme étant la meilleure énergie de substitution. En effet,
comme le résume Jacques PERCEBOIS7 :
« Le charbon est polluant, le fuel est cher et relativement polluant…Il y a certes les
énergies renouvelables (éolien, solaire photovoltaïque, solaire à concentration) mais elles
sont coûteuses et doivent être subventionnées. Il est logique alors, pour beaucoup de pays, de
se tourner vers le gaz pour produire cette électricité. »
Nous allons dans cette partie nous attarder sur les conséquences géopolitiques que les
gaz et huiles de schiste peuvent occasionner, et ce notamment sur le cas des Etats-Unis.
Tout d’abord, c’est bien cette logique d’indépendance énergétique qui a joué un rôle
important aux États-Unis dans la mise en valeur des ressources de gaz non conventionnel. En
effet, la production de gaz conventionnel s’épuisait et les importations par gazoducs en
provenance du Canada (qui représentaient environ 17 % de la consommation en 2006) ne
suffisaient plus à couvrir la demande.
Les États-Unis avaient donc prévu d’importer du gaz naturel liquéfié en provenance
du reste du monde (Russie, Algérie, Proche-Orient, Australie). Cependant, « l’émergence
rapide du gaz non conventionnel a changé la donne : les importations de gaz naturel liquéfié,
pourtant modestes, se sont effondrées en 2008. »8
7
PERCEBOIS, J. (2011). Le gaz non conventionnel, facteur d'indépendance énergétique? Revue internationale et
stratégique, p. 73
8
Op. cit.
et seraient exportateurs net de brut en 2035. D’ores et déjà, « l’Amérique a ramené la part de
sa consommation de pétrole importé à 47 % en 2010, contre plus de 60 % en 2005. » 9
Ces prévisions sur le Saint Graal de l’indépendance énergétique à la portée d’un pays
comme les Etats-Unis, et ce grâce aux gaz et huile de schiste, ont aussi des répercussions
profondes sur la politique étrangères des Etats-Unis.
Les Etats-Unis ne sont bien sûr pas les seuls à trouver un fort intérêt géopolitique dans
les gaz de schiste. Nous allons donc maintenant analyser le cas de la Pologne
La Pologne est l’un des pays européen qui possède le plus grand potentiel concernant
les gaz de schiste, potentiel que ce pays compte bien utiliser, et ce à cause de son voisin
Russe.
9
Courrier International. (2012, Novembre 13). Les Etats-Unis à deux doigts de l’indépendance énergétique.
Récupéré sur www.courrierinternational.com: http://www.courrierinternational.com/article/2012/11/13/les-
etats-unis-a-deux-doigts-de-l-independance-energetique
de certains pays baltes. Le problème est ici l’utilisation de Gazprom, ce géant de l’énergie
russe, comme un outil de pression diplomatique sur les Etats de l’union Européenne, et plus
particulièrement ceux de l’ancienne sphère d’influence de l’Union Soviétique.
C’est la raison majeure qui a poussé la Pologne à se lancer dans une grande politique
énergétique basée sur les gaz de schiste (un investissement de 12,5 milliards d’euros d’ici à
2020). En effet, « ces hydrocarbures non conventionnels doivent lui permettre de s'affranchir
de sa dépendance vis-à-vis de la Russie, qui lui livre 70% de ses besoins en gaz et qui lui
faisait payer le prix le plus élevé d’Europe. »10
Au-delà de cet aspect géopolitique, qui de plus semble être l’argument majeur en
faveur des gaz non conventionnel, il existe des considérations purement « économiques » que
nous allons étudier plus en détail ci-dessous.
10
Smolar, P. (2012, Décembre 21). Les gisements polonais de gaz de schiste moins prometteurs que prévu.
Récupéré sur www.lemonde.fr: http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/04/03/les-gisements-polonais-
de-gaz-de-schiste-moins-prometteurs-que-prevu_1679754_3244.html
Nous pouvons résumer les deux grands effets positifs des gaz non conventionnels en terme
de nombres d’emplois crées par la filière et la baisse du prix du gaz entrainant un avantage
compétitif aux entreprises.
1) Emplois
Le deuxième schéma12 nous montre la prévision qui est faite pour 2015, avec une
filière à l’origine de plus de 1.5 millions d’emplois prévus.
Nous voyons bien que la filière du gaz de schiste à un effet plus que bénéfique sur
l’emploi, avec notamment une diversité de secteurs profitant de cette manne de travail.
11
IHS. (s.d.). The Economic and Employment Contributions of Shale Gas in the US. Récupéré sur
http://www.ihs.com: http://www.ihs.com/info/ecc/a/shale-gas-jobs-report.aspx
12
Op. cit.
Certains organismes ont prévu que la France gagnerai de 100 000 à 400 000 emplois
si elle s’engageait dans le voie des gaz de schiste.
L’un des autres atouts majeurs de cette énergie est son prix très faible. Une valeur peu
onéreuse qui peut s’analyser en deux temps :
C’est déjà dans un premier temps une industrie qui permet un prix du gaz faible
comparé aux autres pays. C’était même le plus faible de 2008 jusqu’à aujourd’hui. En
effet, selon le graphique ci-dessous13, la valeur d’un million de Btu (British termal
Unit) était sur le marché spot américain de moins de 4$ en 2012, et ce grâce aux gaz
de schiste. De plus, on peut observer une constante baisse de ce prix alors que sur les
autres marchés il augmente d’une manière constante depuis 2010.
Prix moyens du gaz sur les marchés américains, européens et japonais en octobre de chaque année, en $/MBtu.
Ce prix très faible du gaz a permis donc aux Etats-Unis de faire profiter à ses
industries, surtout pétrochimiques, d’un gaz très bon marché.
Ainsi tout porte à croire que les entreprise française et européennes gagneraient en
compétitivité dans l’exploitation du gaz de schiste avec notamment des factures énergétiques
moins onéreuses
13
De RAVIGNAN, A. (2013, février). Etats-Unis : du pétrole dans le gaz de schiste. Alternatives économiques.