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Carnets

Revue électronique d’études françaises de l’APEF 


Deuxième série - 24 | 2022
La chanson en français à l'intersection du poétique et
du politique

Un chant “ pour les voyous virés de la


Sorbonne » :la poéticité maudite des chansons
d’Hubert-Félix Thiéfaine
François Prévost

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/carnets/13833
DOI : 10.4000/carnets.13833
ISSN : 1646-7698

Éditeur
APEF
 

Référence électronique
François Prévost, « Un chant “ pour les voyous virés de la Sorbonne » :la poéticité maudite des
chansons d’Hubert-Félix Thiéfaine », Carnets [En ligne], Deuxième série - 24 | 2022, mis en ligne le 30
novembre 2022, consulté le 01 décembre 2022. URL : http://journals.openedition.org/carnets/13833  ;
DOI : https://doi.org/10.4000/carnets.13833

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Un chant “ pour les voyous virés de la Sorbonne » :la poéticité maudite des c... 1

Un chant “ pour les voyous virés de


la Sorbonne » :la poéticité maudite
des chansons d’Hubert-Félix
Thiéfaine
François Prévost

1 À l’image des oxymores qui innervent une œuvre discographique initiée en 1978,
l’auteur-compositeur-interprète Hubert-Félix Thiéfaine est un artiste de paradoxes,
sinon de franches contradictions. “ Dernier monstre sacrément poétique » (Bataille,
2021) de la chanson française dont il est probablement le plus “ célèbre inconnu »
(Lesprit, 2001), il est “ celui dont on parle pour dire que personne n’en parle » (Serrel,
2021), celui que les médias invitent pour rappeler qu’il n’est invité nulle part, celui qui
remplit “ sans aucune promotion » et “ dans l’indifférence des médias
mainstream » (Bataille, 2021) les plus grandes salles de France, le succès de la tournée
actuellement en cours2 confirmant l’invariabilité du constat. Auteur de dix-huit albums
écoulés à plus de quatre millions d’exemplaires3, “ le phénomène Thiéfaine » (Hamel,
1981) serait donc cette alliance a priori oxymorique entre un succès public jamais
démenti depuis la fin des années 1970 et une confidentialité mass-médiatique d’une
semblable constance.
2 Invité en 2012 à expliquer ce silence, voire ce mépris, son ancien manager et
compagnon de route Tony Carbonare avançait une hypothèse : “ La poésie ne passe pas
en prime time à la télévision » (Buzon et Debaralle, 2012). Il brouillait alors à dessein la
frontière ténue entre ce genre “ composite et polysémiotique » (July, 2019) qu’est la
chanson et l’art poétique, qui entretient par son essence mythologique et son “ oralité
originelle » (Dournel, 2020 : 3) une relation privilégiée avec le lyrisme et donc la
musicalité. Parce que précisément dans le cas de Thiéfaine, le canteur, selon le terme de
Stéphane Hirschi4, s’est façonné durant plus de quatre décennies un ethos de poète,
maudit à bien des égards. “ J’utilise les mots comme des peintures 5 » explique-t-il,
“ j’aime créer des images6 » rappelait-il très récemment, “ Je n’suis qu’un escroc

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solitaire / […] qui blanchit des mots & du vent » chantait-il en 2014 : autant de marques
d’une indiscutable poéticité qui se manifeste bien au-delà des textes eux-mêmes pour
essaimer jusque dans le matériau péritextuel et épitextuel de son œuvre.
3 Sans prétendre défricher ou épuiser la question de la poéticité de l’œuvre
thiéfainienne dont plusieurs travaux d’envergure ont pointé l’acuité (au premier rang
desquels le dense et érudit “ Projet Thiéfaine » initié en 2012 par l’universitaire
Françoise Salvan-Renucci, ainsi que les deux ouvrages collectifs dirigés par Rémi Astruc
et Alexandre Georgandas parus en 2017 puis 2021), il s’agira de souligner ici combien
les chansons de Thiéfaine se donnent à voir comme objets poétiques et littéraires dès
leurs marges paratextuelles, et ont d’ailleurs été perçues comme tels, notamment dans
le discours médiatique, dès les premiers tours de chant du “ poète conteur 7 ». Il
conviendra d’observer plus largement la façon dont les vers de Thiéfaine, bien souvent
réfractaires aux canons radiophoniques et télévisuels, dessinent une poétique maudite
expliquant pour une large part près d’un demi-siècle de sous-exposition médiatique.
Car l’écriture thiéfainienne cultive son unicité, se faisant à dessein hermétique en
usant, à la manière d’un Mallarmé, d’une syntaxe et d’un lexique se distinguant de ceux
“ de la tribu ». Car elle ambitionne également de “ trouver une langue » dans le sillage
rimbaldien, choyant sa littérarité tout autant que le pouvoir de suggestion de ses tropes
agissant à la manière du “ stupéfiant image » que chérissaient André Breton et les
surréalistes, avec lesquels le corpus thiéfainien noue des affinités incontestables qu’il
conviendra de mettre au jour. Car, enfin, elles sont l’occasion de la reprise et de
l’appropriation des “ topiques du mythe du poète maudit » (Brissette, 2005) et le lieu
d’une intertextualité avec les figures tutélaires de la malédiction poétique. En somme,
autant de singularités propres à expliquer que l’œuvre de Thiéfaine résonne
aujourd’hui bien au-delà de la seule sphère de la chanson française.

La perception d’un ethos poétique


4 Aux prémices de sa carrière d’auteur-composteur-interprète et bien avant
l’enregistrement de son premier album à la fin des années soixante-dix, Thiéfaine
brouillait déjà les frontières entre son œuvre musicale et le genre poétique. Une lettre
datée du 15 janvier 1974, signée d’un imaginaire “ secrétaire artistique » et destinée à
promouvoir un premier récital intitulé “ Comme un chien dans un cimetière », vantait
ainsi les mérites d’un “ spectacle de chansons et de poèmes 8 ». Dès ses premières
interviews, on trouve trace de l’importance que le chanteur entendait donner aux mots
auxquels, selon l’expression de Mallarmé, il souhaitait céder l’initiative et donner le
primat : “ Je suis davantage un faiseur de mots qu’un musicien » déclarait-il au
magazine Chanson dès janvier 1975, “ les mots doivent porter en eux leur musique et
leur rythme, […] la mélodie ne peut que souligner ce rythme et cette musique ». Et de
son propre aveu, il se prenait alors “ pour un chanteur maudit » (Théfaine, 2011 : 84),
voyant dans ses années de “ galères capitales » (ibid. : 66) à écumer les cabarets
parisiens, tels que le bien nommé “ Club des poètes », le signe d’une élection artistique
tout autant que le parcours obligé de tout artiste digne d’être élevé in fine au rang de
“ poète maudit » (Verlaine, 1884).
5 La réception critique médiatique a entretenu elle aussi très tôt cette ambiguïté
générique : en 1978, quelques mois seulement après la sortie de son premier album,
Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, la presse parle d’un

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“ poète étrange9 », de “ belles chansons poétiques » (Théfaine, 2011 : 103), salue “ la


poésie d’Hubert-Félix Thiéfaine10 » et relève unanimement que “ l’intérêt principal » de
son œuvre réside dans les “ paroles » (Théfaine, 2011 : 103). Plus de quarante plus tard,
l’ambivalence perdure si l’on en juge l’accueil médiatique réservé au “ chanteur-
poète11 » et “ poète rock au cœur noir12 » à l’occasion de la parution de Géographie du
vide, album “ débord[ant] d'éclats poétiques13 » et dernier en date du chanteur jurassien
classé parmi “ les poètes […] immortels » par Les Échos du 14 octobre 2021. Plus
largement encore, si l’on se penche sur l’image médiatique du chanteur façonnée par
près de cinquante ans d’articles de presse, l’ethos poétique de l’artiste y semble
indéfectible. De Sud-Ouest à L’Est républicain, de Libération à Télérama, que ce soit dans la
presse nationale, régionale ou bien spécialisée14, les chansons de Thiéfaine y sont
décrites avec constance comme des œuvres poétiques, de “ longs poèmes quotidiens »
selon une expression rencontrée dans Le Monde (Fléouter, 1982). Et le chanteur y est à
l’envi présenté comme un “ authentique poète15 » s’inscrivant sans nul doute possible
dans le sillage de “ ses grands frères poètes maudits 16 » “ auxquels il dédie ses
chansons17 ».
6 En gardiens du temple de cette singularité, les fans perpétuent cette caractérisation et
associent telle une épithète homérique tenace le nom de Thiéfaine à celui de poète.
L’observation de certains groupes Facebook est éloquente à cet égard puisqu’ils sont
baptisés “ Thiéfaine le poète maudit18 », “ Thiéfaine, Rock et poésie en liberté19 »,
“ Thiéfaine, Higelin et les cercles des poètes and co. 20 » ou encore “ Hubert-Félix
Thiéfaine, l’aède désenchanté21 », l’un d’entre eux n’hésitant pas à se donner comme
exergue une injonction significative : “ N’attendons pas pour découvrir […] un de nos
plus précieux poètes22 ». Il serait tout autant instructif de se souvenir d’ailleurs des
réactions que suscitait le chanteur à l’occasion de son premier spectacle, présenté fin
1973 dans sa région natale. “ T’es Rimbaud » se serait ainsi enthousiasmé un lycéen
auprès de l’artiste débutant, si l’on en croit l’anecdote consignée dans la première
biographie qui lui a été consacrée (Bigot, 1988). De même qu’il s’agirait d’avoir en
mémoire les premiers temps d’antenne que la télévision consacrait à Thiéfaine pour
mesurer la constance de la réception poétique et littéraire de l’artiste auprès de ses
admirateurs. Le chanteur doit ainsi sa première programmation sur une chaîne
nationale à plusieurs jeunes Havrais qui, dans le cadre de l’émission “ Mi fugue mi
raison » tournée en direct de la MJC du Havre, tenaient à faire découvrir le jeune artiste
en raison de “ l’importance des textes de ses chansons 23 ».
7 Un regard jeté sur la réception universitaire serait elle aussi un indice de la poéticité et
de la littérarité de l’œuvre de Thiéfaine, sujet d’un mémoire de maîtrise de lettres
modernes de Jean-Christophe Loison en 2009, d’une thèse de doctorat actuellement en
cours et centrée sur la “ construction poétique et médiatique d’un ethos de poète
maudit » (Prévost, 2020). Évoquons entre autres preuves de la reconnaissance
universitaire, et sans prétendre à une quelconque exhaustivité, ce colloque de
l’Université de Cergy-Pontoise de juin 2015 dédié à “ Hubert-Félix Thiéfaine, poètes des
parkings… et autres mélancolies souterraines24 » ; ce cours de l’université Paul-Valéry
de Montpellier dispensé sur “ Le Mythe du poète maudit de F. Villon à H.-F.
Thiéfaine » ; cette étude textométrique de l’université de Bretagne consacrée en 2018
aux archétypes jungiens comme clé à la base de l’écriture thiéfainienne (Beucher-
Marsal et Kerneis, 2016) ; ou encore les riches et précieux travaux de l’universitaire
Françoise Salvan-Renucci consacrés à son “ Projet Thiéfaine », envisagé précisément
comme un “ essai d'analyse du discours poétique et musical des chansons de H.F.

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Thiéfaine ». Signalons enfin la parution récente de Thiéfaine Christ Rock chez RKI press,
recueil d’exégèses universitaires de quatorze chansons iconiques de l’artiste et
présenté significativement à la Maison de la Poésie de Paris le 23 novembre 2021.
8 Autre manière de reconnaissance poétique, Thiéfaine fut l’objet dès 1988, c’est-à-dire
dix ans seulement après la sortie de son premier album, d’une biographie chez Seghers
dans la collection “ Poésie et Chansons », celle-là même qui avait accueillie en son sein
Brel et Brassens en les présentant comme des “ poètes d’aujourd’hui ». L’avant-propos
louangeur de cet ouvrage de Pascale Bigot était alors signé Léo Ferré, dont le répertoire
concrète on ne peut mieux la frontière poreuse entre chanson et poésie.

Le paratexte poétique des chansons de Thiéfaine


9 Au-delà de cette reconnaissance médiatique, éditoriale, universitaire et même
académique25 de la poéticité des chansons de Thiéfaine, observons également combien
celles-ci s’appréhendent dès leurs marges, dès leurs “ seuils » selon l’expression de
Gérard Genette, comme des objets littéraires. Car la littérarité chez Thiéfaine se
manifeste, de prime abord, dans le matériau péritextuel et épitextuel de ses textes.
10 Premièrement en accompagnant chaque album original des paroles tapuscrites des
morceaux présents sur celui-ci, manière de rappeler leur importance dans cet art du
métissage générique qu’est la chanson : cela peut aller de soi, mais cette attention n’est
pas une règle dans la chanson française, a fortiori depuis que les compacts discs ont
supplanté les généreuses pochettes des 33 tours. Ensuite en citant, entre autres,
Lucrèce, Rimbaud, Whitman ou Hugo sur les livrets intérieurs des albums, ou en y
joignant un glossaire en forme d’invitation à l’exégèse textuelle. Une observation du
livret intérieur de Suppléments de mensonge que Thiéfaine souhaitait précisément
comme “ un recueil de poèmes » (Marchand, 2011) est particulièrement instructive de
cette dimension littéraire puisque l’on y trouve placés en épigraphes les mots d’Aristote
et de Catulle (respectivement en grec et en latin dans le texte), ceux d’Aloysius
Bertrand, de Tolstoï, de Théophile Gautier, de Sylvia Plath, tandis qu’un apparat
critique, sous la forme de notes de fin d’ouvrage, explique notamment que le titre
générique “ Suppléments de mensonge » est extrait du Gai Savoir de Nietzsche. Le
paratexte y est aussi complété d’un glossaire précisant l’étymologie du néologisme
“ orchidoclaste » et la signification d’expressions québécoises dont le sens se déroberait
à l’oreille de l’auditeur français comme “ Je slow bine » (“ je traîne »), “ je toffe les runs
(“ je tiens le coup envers et contre tous »), “ j’suis sur le go » (“ je tiens le coup »). Chez
Thiéfaine, la matière péritextuelle peut même se prolonger par le récit écrit de la
genèse de l’album que l’auditeur-lecteur tient entre ses mains : c’est le cas de Défloration
13, album augmenté d’un CD-Rom où l’on trouve “ Comment j’ai usiné ma 13 e
défloration », paratexte précieux pour le généticien littéraire et dédié “ aux courageux
étudiants qui ont peiné sur mes chansons et les ont décortiquées dans le cadre de
mémoires et autres inventions universitaires26 ».
11 La littérarité se constate aussi dans ce que l’on pourrait nommer le parachant et qui
désignerait l’ensemble des éléments entourant l’interprétation scénique d’une chanson.
Par exemple lorsque le chanteur emprunte à Sénèque et à De la Constance du sage 27 pour
baptiser une tournée en 2012 “ Homo plebis ultimae tour ». Ou bien lorsque sont projetés
sur l’arrière-scène de Paris-Bercy le 22 octobre 2011 les vers originels de la “ Lorelei »
de Heine pour expliciter l’hypotexte du premier succès radiophonique du Jurassien 28.

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C’est en outre l’intertextualité poétique explicitement présente dans les intertitres,


c’est-à-dire ces paroles prononcées sur scène avant l’interprétation d’un morceau :
ainsi ces convocations de Chénier, Rimbaud et Cendrars avant de jouer “ Les Dingues et
les paumés » sur les routes d’une tournée en 198829 ; ou encore la récitation du premier
quatrain de “ L’Albatros » baudelairien en 2015 avant d’interpréter une chanson
précisément intitulée “ Syndrome albatros30 » ; ou enfin l’évocation en 2018 de cette
“ petite chambre meublée » de la rue Pigalle où a été composée la mélodie d’” Exil sur
planète-fantôme » et que le chanteur a partagée, à plus d’un siècle d’intervalle, avec
“ un certain Charles Baudelaire31 ». Ce serait plus largement aussi toutes ces références
littéraires, et plus particulièrement poétiques, qui jalonnent les propos de l’artiste qui,
lorsque les médias l’interviewent, cite en lettré érudit Virgile, Villon, Lautréamont, Poe,
les écrivains de la Beat Generation aussi bien que les poètes et poétesses russes du début
du XXe siècle 32. C’est enfin, au-delà des seules prestations scéniques, lorsque l’homme
prête sa voix et sa “ diction émue et mordante33 » selon les termes de l’éditeur Patrick
Frémeaux aux Carnets du sous-sol de Dostoïevski pour une lecture gravée sur CD en 2017,
ou bien quand il est convié à l’inauguration du Musée Rimbaud de Charleville-Mézières
le 27 juin 2015. À bien des aspects, le chanteur se mue alors en véritable homme de
lettres.
12 Mais au-delà de la question de la réception et des considérations paratextuelles, un
survol même rapide du corpus thiéfainien tendrait à nous en prouver son caractère
éminemment poétique. Parce qu’une chanson de Thiéfaine est avant tout un travail sur
la langue, un lieu de création lexicale, une sculpture du signifiant ; ensuite parce que les
albums de Thiéfaine sont des albums au sens premier du terme, c’est-à-dire des recueils
d’images, enfantées par une écriture flirtant avec le surréalisme ; enfin parce que le
corpus thiéfainien se nourrit des topiques du poète maudit pour faire entendre un
chant aussi poétique que marginal.

La langue poétique et littéraire de Thiéfaine


13 Premier constat, la langue de Thiéfaine est incontestablement une “ langue littéraire »
(Philippe et Piat, 2009), en ce sens que, se démarquant d’” une langue qui s’use chaque
jour » (Bruley, 2014 : 281), elle s’apparente à “ celle des écrivains […] à travers une
grande maîtrise de son lexique, une connaissance intime de sa syntaxe » (idem). Une
langue polie plus de “ vingt fois sur le métier » selon l’injonction bien connue de
Boileau et qui se distingue alors, non sans paradoxe puisqu’elle se destine in fine à être
mise en voix, de la langue parlée. Il serait assurément vain de pointer ici toutes les
occurrences d’un niveau de langage particulièrement soutenu au sein d’une œuvre “ où
les stryges […] manipulent les rostres de notre inconscient 34 », où coexistent
“ nautoniers35 », “ saxifrages36 », “ sycophantes37 », où l’on coudoie des “ amants noyés
dans leurs arcanes38 » et “ les sargasses d’un océan martyr39 ». Renvoyons plus
humblement à ce “ dictionnaire amoureux » aux quelque huit-cent-cinquante entrées
proposé par Jean-Michel Gaudron en 2019, “ exercice de simple éducation avec dix fois
le mot paradis » pour aider à la bonne intelligence des mots parfois abscons, parce que
précisément littéraires, du corpus thiéfainien.
14 Second constat, les chansons de Thiéfaine relèvent pour une large part, et si l’on s’en
tient à la terminologie de Jakobson, de la “ fonction poétique » du langage, puisqu’elles
se servent des signifiants comme d’instruments à part entière, le chanteur

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ambitionnant des textes musicaux avant même qu’un premier accord de guitare ne soit
posé dessus. Mentionnons entre maints exemples ces “ flèches où les fleurs flashent
avec la folie » de “ Soleil cherche futur40 » où l’allitération se fait mimétique de
crépitements lumineux des visions hallucinées d’un monde au bord d’un nouveau
déluge ; ou encore les paronomases facétieuses de “ L’Amour mou » pour signifier
l’engluement du protagoniste dans les affres et vanités de l’amour (“ l’amour le mord,
l’amour le moud/l’amour ça mord, l’amour c’est mou/l’amour ça meurt à la mi-août/
sans mots sans remords ni… remous !41 ») ; ou bien enfin le refrain d’ ” Affaire
Rimbaud » conjuguant précisément paronomase et allitération pour faire entendre
l’horreur du trafic d’armes éthiopien de l’ancien poète aux semelles de vent (“ Horreur
Harar Arthur42 »).
15 Plus remarquable encore, Thiéfaine semble avoir fait siennes les exhortations
rimbaldiennes et baudelairiennes et “ plong[e] » “ au fond de l’Inconnu 43 » pour
“ trouver une langue44 ». Dans ses chansons, “ le temps nous apoplexise 45 », les idoles
sont “ défunctées46 », on forge le terme “ médiacrité47 » pour condamner la médiocrité
des mass-médias. Thiéfaine chante des “ bannières désétoilées » dans “ Lobotomie
Sporting Club48 » ; se peint en “ vieille copie du terrien-terreur/tirée au
ronéochibreur49 » pour enfanter des “ Whiskeuses images again » ; s’invente un
“ scaphandre à nébulos » pour prendre un vol sur la “ Nyctalopus airline 50 ». Plus
intéressant encore, il expose en 2014 sa “ stratégie de l’inespoir », avant de découvrir
que Verlaine l’avait précédé dans l’emploi du néologisme. Dans un titre de 2011 51, non
sans rappeler l’ambition mallarméenne de donner un sens plus pur aux mots de la
tribu, il réactive l’étymologie d’” orchidoclaste52 » pour mettre en garde contre une
“ vamp » castratrice. Et en gardien de musée des vocables désuets de son enfance, il
s’empresse de sauver de l’oubli les termes “ kéfir », “ dinky » ou “ bouiffe », ressuscités
dans les vers nostalgiques de “ La Ruelle des morts53 »54.
16 Parce que d’après lui “ [s]a langue natale est morte dans ses charentaises / faute d’avoir
su swinguer au rythme de son blues55 », les chansons de Thiéfaine sont un creuset
linguistique relevant de ce que Michel Hamel nommait, dans un article de 1981, une
“ poésie des flippers » (Hamel, 1981). S’opèrent dans ses vers des métissages
linguistiques, des télescopages enfantant des expressions hapaxiques dont l’évocation
de certains titres de chansons permet de rendre compte : “ Amants destroy », “ Droïde
song », “ Sweet Amanite Phalloïde Queen », “ Roots & déroutes + croisement ». Le
répertoire thiéfainien est en somme un incubateur d’inédits lexicaux que l’on
rencontre avec régularité au gré de plus de quarante ans de création et “ d’acrobaties
verbales56 », à l’image de ces nombreux mots valises et de ces noms composés tels
“ bouche-agonie », “ cholest-et-rock-and-roll » ou “ bluesymentales », qui prouveraient
à eux seuls que les textes de Thiéfaine relèvent bien de la poésie, dans l’acception
étymologique pleine et entière du terme.

La poésie surréaliste de Thiéfaine


17 Au-delà des créations lexicales, la poéticité des chansons de Thiéfaine se lit aussi dans
sa parenté manifeste avec la poésie surréaliste. Et étudier la réception médiatique de
l’artiste permet de s’apercevoir que l’adjectif surréaliste accolé à son œuvre est une
qualification aussi tenace que précoce. Dès ses premiers tours de chant, la presse
régionale le présente en “ petit-fils de Dada et des surréalistes 57 » ; dès le premier

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article conséquent que Le Monde consacre à l’artiste, sont mentionnées “ [s]es chansons
surréalistes », dans lesquelles le chanteur “ raconte[rait] en une cascade d'images une
histoire surréaliste » (Fléouter, 1982).
18 Se plonger dans sa biographie permet de comprendre en outre que la découverte du
surréalisme a constitué chez Hubert, alors futur bachelier, une forme de révélation,
restée gravée à jamais dans sa mémoire, lorsque son professeur de français, la dernière
heure de cours de l’année s’achevant, s’est décidé à lire quelques vers d’André Breton.
“ Ça m’a tétanisé » confie Thiéfaine, qui raconte avoir couru aussitôt dans une librairie
se procurer Arcane 17. Même choc à la lecture à peine plus tardive du Déshonneur des
poètes de Benjamin Péret. Et de cette découverte de l’or surréaliste, les chansons de
Thiéfaine portent les traces indélébiles.
19 Cela se constate d’abord au fait que ses premiers albums sont placés sous le signe du
délire le plus irrationnel, le chanteur s’octroyant pour reprendre le titre de son second
album une “ autorisation de délirer » la plus absolue. Les spectateurs de son premier
one dog show, “ Comme un chien dans un cimetière », pourraient en témoigner puisque
Thiéfaine se présentait alors sur scène avec perruques, grosses baccantes, cotillons et
accessoires, sa guitare “ Gordini » en bandoulière (“ une guitare ripolinée bleu de
France, avec deux barres blanches et le mot Gordini bien en vue, comme sur les
voitures Dauphine du même nom qui font fureur à l’époque ») (Théfaine, 2011 : 81). Les
concerts de Thiéfaine sont alors beaux comme la rencontre fortuite sur la scène d’un
cabaret de la rue Mouffetard d’une voiture de course et d’une guitare acoustique.
20 Les pochettes des trois premiers albums se font l’écho de cette période loufoque : une
paire de chaussures en guise de portrait au recto de Tout corps vivant branché sur le
secteur étant appelé à s’émouvoir ; la prise jack d’un écouteur plongé dans un bocal à
poisson rouge pour Autorisation de délirer ; le chanteur nez rouge, imposantes
moustaches et bouquet de roses, menaçant le spectateur avec son pistolet sur le verso
de De L’amour, de l’art ou du cochon ?, se rapprochant alors par sa posture de ce que
Breton, dans son Second manifeste du surréalisme, décrivait comme “ l’acte surréaliste le
plus simple » “ consist[ant], revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au
hasard, tant qu’on peut, dans la foule ».
21 Les chansons de l’époque contribuent bien sûr elles aussi au règne de l’absurde et du
non-sens apparents, avec leurs accumulations d’images hétéroclites donnant aux textes
des allures d’écriture automatique chantée. Quelques exemples pour s’en convaincre :
“ La Vierge au dodge 51 » relate, avec un fort accent québéco-franc-comtois, la matinée
de “ vieillards » qui, “ au lieu de se rendre à l’école », “ s’amus[ent] à casser des huîtres
sur le rebord du trottoir avec des démonte-pneus58 » ; “ De l’amour, de l’art ou du
cochon ? » est l’occasion d’une déclaration d’amour des plus fantaisistes : “ écoute-
moi… écoute-moi mon amour… je claquerai connement la tête coincée dans un
strapontin… ce sera pendant l’été de 1515 sur l’aéroport de Marignane… je claquerai
vraiment connement… mais je ressusciterai le troisième jour & ce troisième jour sera
l’avant-veille de l’attentat de Sarajevo…59 ». Évoquons enfin la chanson “ 22 mai »
consacrée à l’événement prétendument “ le plus important » du printemps 1968,
lorsqu’” un séminariste à moto » portant “ sur le porte-bagages / le Saint-Esprit […] »
est venu “ percuter de plein fouet / un pylône garé en stationnement illicite / sur le
bas-côté de l’autoroute60 ».
22 En outre, et parce que le surréalisme ne saurait se circonscrire à n’être que l’estampille
accolée hâtivement sur des textes à première vue incohérents, notons que les chansons

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de Thiéfaine s’apparentent par moments à de véritables collages lexicaux, à l’instar de


“ Photographie-Tendresse », succession télégraphique de termes non verbaux
(“ […] souvenir – coma – trauma – de – vieillard – géranium – camé – baisers – tranxène
– coagulés – sur – miroir – hygiaphone61 »). Le surréalisme chez Thiéfaine se lit et
s’entend aussi dans le détournement de proverbes ou d’expressions figées à la manière
des 152 proverbes mis au goût du jour en leur temps par Paul Éluard et Benjamin Péret :
citons “ la concierge se trouve actuellement dans l’escalier mais comme elle ne le sait
pas vous êtes priés de ne pas la déranger » ou bien encore l’injonction potache “ vous
êtes invités à laisser l’état dans les WC où vous l’avez trouvé en entrant ». Parfois
même, ses chansons sont de véritables récits de rêves, d’authentiques comptes-rendus
oniriques qu’une écriture consciente éveillée a parachevés, Thiéfaine confiant à
l’occasion d’interviews que certains morceaux, à l’instar des “ Fastes de la solitude »,
avaient d’abord été conçus dans son sommeil62.
23 Ce sont dernièrement — mais l’étude du surréalisme de Thiéfaine mériterait un
traitement bien plus conséquent — ces images dont regorgent ses albums et qui
semblent respecter avec fidélité le principe de Pierre Reverdy, repris dans le Manifeste
du surréalisme de 1924 : “ Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront
lointains et justes, plus l’image sera forte — plus elle aura de puissance émotive et de
réalité poétique ». Il en va ainsi de ces métaphores hétéroclites et singulièrement belles
que l’on aurait pu rencontrer dans Clair de terre ou Poisson soluble : celle de ce fou “ mort
de désespoir / dans un champ de labiales carnivores63 » ; ces “ alligators 427 / aux ailes
de cachemire-safran64 » ; cette “ orpheline aux yeux de feu-follet » dont “ le lit croise
l’aéropostal65 », cette “ fée aux yeux de lézard » qui “ plonge » le protagoniste de
“ Nyctalopus Airlines » “ dans ses brouillards nacrés 66 » ; ces “ joyeux éboueurs des
âmes délabrées / [qui] se vautrent dans l’algèbre des mélancolies 67 » ; en somme toutes
ces “ whiskeuses images again », selon le titre d’une chanson de 1984, qui nourrissent
une “ poésie souterraine » (Astruc et Georgandas, 2017) mettant en images inouïes et
inédites les visions inconscientes et oniriques de leur créateur.

Une œuvre exploitant les topiques de la malédiction


poétique
24 Soulignons enfin combien la poéticité thiéfainienne s’inscrit “ dans la lignée des poètes
maudits » (Salvan-Renucci, 2018), tant le répertoire observé exploite ce que Pascal
Brissette nommait les “ topiques de la malédiction poétique » (Brissette, 2005).
Pauvreté, persécution, maladies, souffrance, insuccès, solitude et mélancolie, autant de
topoï et de variations sur un même scénario auctorial qui ont nourri les œuvres de “ ces
poètes qu’on appelle maudits » (Steinmetz, 2020) et qui innervent pareillement les
couplets et refrains de Thiéfaine.
25 C’est ainsi que, non sans écho biographique aux années de grande pauvreté du
chanteur, ” La Dèche, le twist et le reste » décline l’isotopie du dénuement pour
évoquer le quotidien d’un couple “ bouff[ant une fois tous les trois jours », lui “ bricole
et […] fabrique des chansons qui sont invendables », elle, “ à bout de fric », “ fou[t] le
camp chez les émigrés » pour des “ passes non déclarées 68 ». Dans “ Alligators 42769 », le
locuteur “ crache [s]on cancer », traîne en phtisique “ [s]es poumons dans la sciure »
dans “ Soleil cherche futur70 », et “ rien que le fait de respirer [lui] file des crampes dans
le sternum » dans “ Taxiphonant d’un pack de Kro71 ». Autant d’exemples, parmi tant

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Un chant “ pour les voyous virés de la Sorbonne » :la poéticité maudite des c... 9

d’autres, d’une filiation avec les figures du “ poète-misère », du ” poète affamé » ou du


“ poète poitrinaire » que Brissette évoquait dans son étude sur la généalogie du mythe
du poète maudit.
26 Le corpus thiéfainien est de plus la mise en vers d’un “ scandale mélancolique », selon
le titre d’une chanson de 2005, une défiance explicite à l’égard de “ la tentation du
bonheur » à laquelle est préféré “ le bonheur de la tentation72 », et plus globalement un
“ éloge de la tristesse », puisque “ la tristesse est la seule promesse / que la vie tient
toujours73 ». Et tel un poète conscient d’avoir “ une malédiction sur sa vie » (Vigny,
2008 : 223) et d’être “ né sous le signe de Saturne » (Verlaine, 1902 : 1), Thiéfaine exhibe
dans son œuvre la “ pauvre âme damnée74 » d’un chanteur “ bercé par les étoiles d’une
essence romantique75 », persuadé “ que jour de [s]a naissance un éléphant est mort &
[que] depuis ce jour-là [il] le porte à [s]on cou !76 ».
27 Les chansons de Thiéfaine sont enfin autant d’espaces de dialogues intertextuels avec
les figures tutélaires de la malédiction poétique. Baudelaire, au premier chef, puisque
ses Fleurs du mal embaument nombre de chansons à l’instar de “ Lorelei Sébasto Cha »
ou “ Les Dingues et les Paumés », dont les analyses textuelles récentes (Astruc &
Georgandas : 2021) s’évertuent à montrer l’influence. Rimbaud, bien sûr, et parmi
d’abondantes occurrences le morceau “ Affaire Rimbaud » qui est l’occasion d’une
réécriture de “ Jadis, si je souviens bien » d’Une Saison en Enfer, de “ Matinée d’ivresse »
et de “ Vies » des Illuminations77. Il faudrait mentionner tout autant Verlaine, dont
Françoise Salvan-Renucci a souligné la “ présence et l’actualité dans le discours
poétique des chansons de Thiéfaine » (Salvan-Renucci, 2017) ; Mallarmé, dont “ L’après-
midi d’un faune » constitue l’hypotexte d’un premier morceau78 en 1996 puis de sa
“ suite faunesque79 » deux ans plus tard. Edgar Allan Poe enfin — mais la liste ne saurait
être close — puisque le chanteur propose en 2011 “ Trois poèmes pour Annabel Lee »,
en référence au dernier poème écrit par le poète de Baltimore 80 et dont l’iconique
“ corbeau » est même devenu un emblème repris sur les pochettes d’albums, les
affiches de tournées ou les décors scéniques depuis près de dix ans maintenant.

“ J’en veux pour ma fin »81


28 Pour conclure, parce qu’il serait périlleux d’avancer une définition définitive de la
poésie et que la poéticité d’une œuvre se justifie peut-être avant tout “ parce qu’elle est
tout simplement ressentie comme telle » (Astruc et Georgandas, 2017 : 72), cédons la
parole aux fans de l’artiste à qui Les Enfants du rock tendaient leur micro en 1983.
“ Quand tu écoutes un truc de Thiéfaine, tu as le droit d’imaginer ce que tu veux dessus,
à partir de ses chansons tu imagines plein de trucs » 82 s’enthousiasmait un premier
admirateur. “ On voit peut-être quelque chose que lui ne voit pas, ou lui voit quelque
chose qu’on ne voit pas » expliquait un second. Autant de définitions certes
personnelles mais non sans pertinence de ce qu’est, en somme, toute poésie réussie ou,
pour le dire avec les mots de Rémi Astruc, de ce que serait “ l’effet-Thiéfaine » (Astruc
et Georgandas, 2017 : 72). L’intéressé confiait d’ailleurs lui-même en 2011 : “ Ce n’est
pas compliqué mes textes. Ce sont des livres d’images. […] Chacun prend ce qu’il veut
[…]. L’important c’est ce que chacun peut ressentir […]. » (Marchand, 2011). Ne peut-on
pas lire dans ces propos l’ambition propre à tout poète ?
29 Mais parce que Thiéfaine a fait le choix, contrairement à d’autres auteurs-
compositeurs-interprètes (Bonnet : 2021), de ne publier par exemple ni poème ni

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roman, en somme le choix exclusif de l’” objet artistique polymorphe » (Abbrugiati,


2019 : 7) qu’est la chanson et par conséquent d’une “ littérarité hors la lettre » (July,
2019), sa poéticité doit nécessairement être appréhendée dans le cadre de la
performance chansonnière, c’est-à-dire au sein d’un dialogue entre paroles, musique et
interprétation. C’est pourquoi la poésie de Thiéfaine, par essence pluri-sémiotique, se
lit autant qu’elle s’écoute, s’observe autant qu’elle s’entend, dans son parachant
scénique autant que dans ses accompagnements musicaux propres à décupler et même
renouveler la force poétique d’un texte (Astruc et Georgandas, 2021 : 79). Et
réjouissons-nous alors car si cette poésie ne passe pas en prime-time à la télévision, elle
n’en remplit pas moins les plus grandes salles de concert de France.

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NOTES
1. « Stratégie de l’inespoir » (Stratégie de l’inespoir, 2014).
2. Au mois de juin 2022, le site officiel thiefaine.com estimait à “ plus de 50 000 » le nombre de
spectateurs ayant assisté “ à la tournée Unplugged », entamée le 9 janvier 2022 et censée
s’achever le 22 novembre de la même année, alors même qu’une nouvelle tournée “ Replugged »,
passant dans les principaux Zénith de France du 3 mars au 14 avril 2023, était d’ores et déjà
annoncée.
3. Entretien personnel du 28 octobre 2021 avec Hugo Thiéfaine, manager de l’artiste depuis 2017.
4. Pour Stéphane Hirschi, le canteur est “ l’équivalent du narrateur dans une chanson » (Hirschi,
2008 : 20).
5. Entretien avec Michel Troadec, publié le 16 novembre 2014 sur le site www.ouest-france.fr
6. Entretien avec Jean-Marc Le Scouarnec, publié dans La Dépêche du Midi du 20 janvier 2022.
7. Entretien avec Julien Bouisset, publié sur le site de L’Obs le 18 décembre 2021.
8. Document consultable sur le site officiel de l’artiste : https://thiefaine.com/documents/lettre-
comme-un-chien-dans-un-cimetiere/
9. Article du 23 juin 1978 annonçant son concert au cabaret du Salignon (Animabus, 1991).
10. Sud Ouest, 3 mai 1978.
11. Ouest-France, 10 octobre 2021.
12. L’Obs, 18 décembre 2021.
13. La Croix, 19 octobre 2021.
14. Pour ne donner que quelques exemples parmi les maintes occurrences, évoquons
chronologiquement un article de Sud Ouest qui, le 2 février 1987, se fait l’écho de “ la légende qui
dit déjà qu’il est un peu le poète maudit des années 85 » ; celui paru dans L’Humanité le dimanche
22 août 1991 qui salue le “ rocker-poète » ; Hélène Hazera dans le numéro de Libération paru le 15
octobre 1994 parle quant à elle du “ poète rock » ; en 1998, Télérama recourt à la périphrase
(“ poète des sentiments (enfuis ?) et de la révolte ») pour évoquer “ cet obsédé textuel » (n° 2527,
juin 1998) ; Rock & Folk salue en 2001 le renouvellement musical de ce “ poète maudit » ; Ouest-
France se réjouit le 4 mars 2012 qu’” un poète de l’ombre » soit enfin couronné lors des Victoires
de la musique ; L’Express consacre un article le 9 novembre 2017 au “ poète qui se joue des chiffres
et des années » à l’heure d’entamer une tournée pour célébrer ses quarante ans de carrière
discographique.
15. L’Est Républicain, 1er avril 1998.
16. Sud Ouest, 14 mai 1988.
17. Le Monde, 16 août 1987.
18. Groupe privé de 17,2K membres au 1er septembre 2022.
19. Groupe privé de 4,3K membres.
20. Groupe privé de 8,3 K membres.
21. 7 membres seulement.
22. Le groupe privé “ Thiéfaine est vivant ».
23. “ Mi fugue mi raison », présentée par Patrice Laffont et diffusée sur Antenne 2 le mercredi 17
janvier 1979 à 21h10.
24. Sous la direction de Rémi Astruc et Alexandre Georgandas.

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25. Le chanteur fut lauréat du Prix de l’académie Charles-Cros en 1996 et 2015, et décoré de
l'ordre des Arts et des Lettres (officier en 2009 puis promu au grade de commandeur le 13
septembre 2016).
26. Défloration 13, 2001.
27. L’expression “ homo plebis ultimae » est utilisée par Sénèque dans De la constance du sage et
traduite par J. Baillard (1914) par “ homme de la lie du peuple ».
28. “ Lorelei Sébasto Cha » (Soleil cherche futur, 1982).
29. Routes 88, 1988.
30. Vixi Tour XVII, 2016.
31. 40 ans de chansons sur scène, 2019.
32. Entre autres multiples exemples, et parmi les plus récents, citons les entretiens accordés à
Paris Match (7 octobre 2021), à Marianne (9 décembre 2021), L’Obs en ligne (18 décembre 2021), La
Marseillaise (14 janvier 2022), le Maine libre (4 mars 2022) ou encore les interviews radiophoniques
avec Rebecca Manzoni (pour France Inter, le 13 novembre 2021) et Elodie Suigo (pour France Info,
le 11 janvier 2022).
33. https://www.fremeaux.com/fr/4312-hubert-felix-thiefaine-9782844681287-fa8128.html
34. “ En remontant le fleuve » (Stratégie de l’inespoir, 2014).
35. Idem.
36. “ Les Jardins sauvages » (Scandale mélancolique, 2005).
37. “ Quand la banlieue descendra sur la ville » (Défloration 13, 2001).
38. “ Les Fastes de la solitude » (ibidem).
39. Idem.
40. Soleil cherche futur, 1982.
41. De l’amour, de l’art ou du cochon ?, 1980.
42. “ Affaire Rimbaud » (Météo für nada, 1986).
43. “ Le Voyage » (Baudelaire : 1861).
44. Lettre de Rimbaud à Paul Demeny du 15 mai 1871.
45. “ Autoroute jeudi d’automne » (Soleil cherche futur, 1982).
46. “ Narcisse 81 » (Dernières balises (avant mutation), 1981).
47. “ Médiocratie… » (Stratégie de l’inespoir, 2014).
48. Suppléments de mensonge, 2011.
49. “ Whiskeuses images again » (Alambic/Sortie-Sud, 1984).
50. Alambic/Sortie-Sud, 1984.
51. “ Ta Vamp orchidoclaste » (Suppléments de mensonge, 2011).
52. Tout en précisant dans le livret intérieur de Suppléments de mensonge l’étymologie grecque du
terme (orchis = testicules, clan = casser).
53. Suppléments de mensonge, 2011
54. Dans Galaxie Thiéfaine : Supplément d’âme (Buzon et Debaralle, 2012) Thiéfaine expliquait ainsi
sa démarche : “ Je me dis : si je n’utilise pas le mot Kéfir ou le mot Dinky Toys, ça va disparaître
donc il faut vite que je le sauve. Et j’ai voulu sauver tout un paysage, les bidons en fer blanc idem.
Donc, voilà, c’est un musée que j’ai créé. Le musée des années 50. Il faut éviter d’aller sur les lieux
de son enfance, d’aller sur les lieux où on a vécu un certain nombre de choses émouvantes parce
qu’on casse le souvenir. »
55. “ Was ist das rock’n’roll » (Eros über alles, 1988).
56. Idem.
57. Voir notamment le “ Dossier de presse (1973) » consultable sur le site officiel https://
thiefaine.com/
58. Autorisation de délirer, 1979.
59. De l’amour, de l’art, ou du cochon ?, 1980.
60. Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir…, 1978.

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61. Dernières balises (avant mutation), 1981.


62. Voir par exemple l’entretien accordé par le chanteur à Leïla Marchand en mars 2011
(Marchand, 2011).
63. “ Le Chant du fou » (Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir…, 1978).
64. Alligators 427 (Autorisation de délirer, 1979).
65. “ Lorelei Sébasto Cha » (Soleil cherche futur, 1982).
66. “ Nyctalopus Airlines » (Alambic/Sortie-Sud, 1984).
67. “ Confession d’un Never Been » (Scandale mélancolique, 2005).
68. “ La Dèche, le twist et le reste » (Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir,
1978).
69. Autorisation de délirer, 1979.
70. Soleil cherche futur, 1982.
71. Dernières balises (avant mutation), 1981.
72. Référence au diptyque La Tentation du bonheur (1996) et Le Bonheur de la tentation (1998).
73. “ Éloge de la tristesse » (Défloration 13, 2001).
74. “ Amant sous contrôle » (Amicalement blues, 2007).
75. “ Stratégie de l’inespoir » (Stratégie de l’inespoir, 2014).
76. Psychanalyse du singe » (De l’Amour, de l’art ou du cochon, 1980).
77. “ ô sorcière, ô misère / ô haine, ô guerre voici / le temps des assassins / que tu sponsorisas /
en livrant tous tes flingues / au royaume de Choa », “ horreur harar arthur / t’es vraiment
d’outre-tombe / horreur harar arthur / & pas… de commission ».
78. “ 24 heures dans la nuit d'un faune » (La Tentation du bonheur, 1996).
79. “ 27ème Heure : Suite Faunesque » (Le Bonheur de la tentation, 1998).
80. Et traduit précisément par Stéphane Mallarmé.
81. « Alligators 427 » (Autorisation de délirer, 1979)
82. “ Hubert Félix Thiéfaine et les autres », reportage des Enfants du rock diffusé le 12 novembre
1983, à 23h30, sur Antenne 2.

RÉSUMÉS
Prétendant “ jou[er] pour les voyous virés de la Sorbonne1 » et caractérisé comme poète dès ses
débuts par le discours médiatique, l’auteur-compositeur-interprète contemporain Hubert-Félix
Thiéfaine a constitué, en plus de quarante ans et près de deux cents chansons, un répertoire
brouillant les frontières poreuses entre la chanson et la poésie.
Cette contribution se donne pour objectif d’étudier quelques aspects de la poéticité d’une œuvre
qui se donne à voir comme objet littéraire, en observant notamment à quel point les chansons de
Thiéfaine sont le lieu de créations lexicales et ses dix-huit albums le recueil d’images à bien des
égards surréalistes. Il s’agira, également, de souligner combien cette dimension poétique s’établit
à travers la reprise des topiques du mythe du poète maudit, autant que par son intertextualité
avec les figures tutélaires de la malédiction poétique.

Claiming to “play for the thugs fired from the Sorbonne” and defined as a poet from the early
beginning of his career by the media, the contemporary singer-songwriter Hubert-Félix
Thiéfaine has been blurring the porous line between song and poetry for more than forty years
and nearly two hundred songs.

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This contribution will focus on some of the poetic aspect of Thiéfaine’s work which is to be
studied as a literary piece. I will thus develop how lexical creations are conspicuous of his songs
and how the eighteen albums display a collection of images related to Surrealism. I will moreover
underline how much this poetic dimension is rooted in the reappropriation of the cursed poet
myth and in its intertextuality with the cursed tutelary figures.

INDEX
Mots-clés : Thiéfaine (Hubert-Félix), chanson, poésie, poètes maudits
Keywords : Thiéfaine (Hubert-Félix), song, poetry, cursed poet

AUTEUR
FRANÇOIS PRÉVOST
RiRRa 21 – Université Paul-Valéry de Montpellier
francois.prevost[at]univ-montp3.fr

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