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Archives de pédiatrie 11 (2004) 1314–1318

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Mémoire original

Acquisition nosocomiale de bactéries multirésistantes dans un service


de néonatologie : étude prospective et analyse des facteurs de risque
A routine prospective survey process to detect nosocomial bacterial
colonization in a neonatal unit: risk factors for acquisition
F. Campeotto a, F. Garnier e, N. Kalach a,d, P. Soulaines a, C. Dupont a, J. Raymond b,*,c
a
Service de néonatologie, hôpital Cochin–Saint-Vincent-de-Paul, 82, Assistance publique – Hôpitaux de Paris, avenue Denfert-Rochereau, 75674 Paris
cedex 14, France
b
Service de microbiologie, hôpital Cochin–Saint-Vincent-de-Paul, 82, Assistance publique – Hôpitaux de Paris, avenue Denfert-Rochereau, 75674 Paris
cedex 14, France
c
Université Paris-V, faculté de médecine Cochin, 24, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France
d
Clinique de pédiatrie Saint-Antoine, hôpital Saint-Vincent-de-Paul, université catholique, boulevard de Belfort, 59020 Lille, France
e
Service de microbiologie, CHU Limoges, 2, avenue Martin-Luther-King, 87402 Limoges cedex, France
Reçu le 10 février 2004 ; accepté le 27 mai 2004
Disponible sur internet le 23 juillet 2004

Résumé

Une étude prospective systématique de la colonisation nasale et rectale des nouveau-nés par des bactéries multirésistantes (BMR) a été
menée chaque semaine dans une unité de néonatologie.
Patients et méthodes. – Pendant une période de six mois des écouvillons nasaux et rectaux ont été systématiquement prélevés chez
187 nouveau-nés le jour de l’admission puis toutes les semaines jusqu’à leur sortie. Les BMR étaient recherchées, principalement les
staphylocoques résistants à la méticilline (Staphylococcus aureus et staphylocoque coagulase négative) et les bacilles à Gram négatif
multirésistants.
Résultats. – Parmi les 187 enfants, 50 étaient colonisés dès l’admission et ont été exclus de l’étude. Parmi les 137 autres, 49 (35 %) ont été
colonisés par au moins une BMR. Au total, 71 souches ont été isolées. Les BMR les plus fréquentes étaient les staphylocoques à coagulase
négative résistants à la méticilline (MRSCN) et plus particulièrement Staphylococcus epidermidis (66,1 %). Les bacilles à Gram négatif
(BGN) ne représentaient que 9,8 % des bactéries isolées. La colonisation par les MRSCN débutait plus précocement, 7,8 ± 6 jours vs
15,5 ± 16 jours pour les BGN, p = 0,004, et se terminait plus tôt, 22,7 ± 15 vs 38,5 ± 16 jours, p = 0,03. En analyse univariée, les enfants
colonisés avaient un plus petit poids de naissance, recevaient plus fréquemment une alimentation parentérale, avaient une notion d’hospitali-
sation antérieure et étaient plus jeunes. L’analyse des facteurs de risque relatifs, l’Odds ratio pour la colonisation étaient de 4,06 pour la
prématurité et de 43,83 pour une hospitalisation préalable. La présence de MRSCN était corrélée à l’utilisation empirique des antibiotiques
(p < 0,05). Aucune infection nosocomiale n’est survenue pendant l’étude.
Conclusion. – Un fort taux de colonisation des nouveau-nés hospitalisés en unité de néonatologie est rapporté. La colonisation est
majoritairement représentée par des MRSCN, acquis plus précocement que les BGN et favorisée par une antibiothérapie préalable.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

A systematic analysis of weekly nasal and rectal swabs was carried out in a neonatal unit in order to detect colonization with multiresistant
bacteria (MRB).
Patients and methods. – During a 6-month period, rectal and nasal samples were taken in 187 consecutively hospitalized newborns, the day
of the admission (day 0) and every week until discharge, in order to detect MRB, mainly methicillin-resistant coagulase negative staphylococci
(MRCoNS), Staphylococcus aureus and multi-resistant Gram-negative bacilli.

* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : j.raymond@svp.ap-hop-paris.fr (J. Raymond).

© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.


doi:10.1016/j.arcped.2004.05.020
F. Campeotto et al. / Archives de pédiatrie 11 (2004) 1314–1318 1315

Results. – Among 187 infants, 50 were already colonized at entrance and excluded from the study. In others, 49 (35%) were colonized by
at least one MRB, with a total of 71 strains isolated. The most frequent was MRCoNS, especially Staphylococcus epidermidis (66.1%).
Gram-negative bacilli accounted for 9.8%. Colonization began earlier with MRCoNS than with Gram-negative bacilli, 7.8 ± 6 vs.
15.5 ± 16 days, P = 0.004, and finished earlier 22.7 ± 15 vs. 38.5 ± 16 days, P = 0.03. Colonized children exhibited by univariate analysis a
lower birth weight, more frequent parenteral nutrition or previous hospitalization in a neonatal unit and a younger age at admission. Odds ratio
for colonization were 4.06 for prematurity and 43.83 for a previous hospitalization. MRCoNS at days 15 (P < 0.05) and 22 (P < 0.05) were
correlated with the empiric use of antibiotics. No nosocomial infection occurred during the study.
Conclusion. – A high rate of newborns were colonized with MRB in our unit, especially MRCoNS, acquired earlier than Gram-negative
bacilli, with a favoring action of empiric antibiotherapy.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Infections nosocomiales ; Colonisation bactérienne ; Nouveau-né ; Prématuré

Keywords: Infant, premature; Infant, newborn; Carrier state, microbiology; Carrier state, epidemiology; Intensive care unit, neonatal

La colonisation postnatale par des bactéries multirésistan- mières et 14 auxiliaires de puériculture. Une équipe d’infir-
tes (BMR) peut être suivie d’infection en particulier chez les mières est dévolue à chaque unité, sauf la nuit. Le ratio
patients immunodéprimés et les nouveau-nés [1,2]. Chez les soignant–soignés théorique est de 1/3. Tous les visiteurs
prématurés, la survie est largement associée à de longues doivent se laver les mains (Hibiscrub®) avant d’entrer dans la
périodes d’hospitalisation, l’utilisation de cathéters, et à chambre. Les membres de l’équipe soignante doivent se
l’utilisation large d’antibiotiques [3,4]. Tous ces paramètres laver les mains entre chaque patient. Le protocole de lavage
constituent des facteurs de risque de développement des des mains est identique pour les visiteurs et le personnel
infections nosocomiales en particulier dans les services de soignant. Le temps de lavage des mains demandé est de trois
soins intensifs. Les infections nosocomiales du nouveau-né minutes après avoir ôté tous les bijoux sauf l’alliance. Le
présentent certaines particularités. En effet, si ce sont les lavage des mains jusqu’au coude n’est pas spécifié. Les
bacilles à Gram négatif qui sont le plus souvent responsables visiteurs et le personnel soignant doivent revêtir une blouse
des infections nosocomiales (IN) dans la population géné- (différente pour chacun d’eux) avant d’entrer dans la cham-
rale, les staphylocoques à coagulase négative (SCN) sont le bre.
plus fréquemment en cause chez le nouveau-né. À cet âge les Pour chaque nouveau-né, les renseignements suivants
SCN résistant à la méticilline (MRSCN) sont reconnus res- étaient recueillis : sexe, date de naissance, âge gestationnel,
ponsables d’infections nosocomiales [5–8]. dates d’admission et de sortie, antibiothérapie (durée du
Une des façons de prévenir la survenue d’infections noso- traitement), hospitalisation préalable (unité de soins inten-
comiales est la surveillance de la colonisation des nouveau- sifs), nutrition parentérale, infection prouvée.
nés et la mise en route de mesures d’hygiène permettant La nutrition parentérale était une nutrition administrée par
d’éviter la dissémination des BMR à l’intérieur d’une même voie intraveineuse par l’intermédiaire d’un cathéter central
unité. Nous avons donc décidé d’évaluer par une étude pros- (« Jonathan »). Elle était soit totale soit mixte. Les prépara-
pective la colonisation de nouveau-nés hospitalisés dans un tions de ces nutritions parentérales étaient effectuées dans le
service de néonatologie en prenant en compte la colonisation service sous flux laminaire.
par les MRSCN. Le but de ce travail était d’étudier la cinéti- Le protocole d’antibiothérapie probabiliste des enfants
que de colonisation de ces nouveau-nés par les BMR ainsi incluait l’association de céfotaxime (100 mg/kg/j), vancomy-
que de préciser les facteurs de risque d’acquisition en in- cine (30 mg/kg/j) et amikacine (15 mg/kg/j).
cluant l’étude des MRSCN.
1.2. Données microbiologiques

1. Patients et méthodes Un écouvillon nasal et un écouvillon rectal ont été préle-


vés pour chaque enfant lors de son admission (jour 0) puis
1.1. Organisation du service et des soins une fois par semaine jusqu’à sa sortie (jours 8, 15 et 22).
Les écouvillons rectaux étaient ensemencés sur milieu de
Une étude prospective de surveillance a été réalisée sur Drigalski (Mérieux®, Marcy l’Étoile, France) en présence
une période de six mois, de mars à septembre 2001, dans un d’un disque de ceftazidime chargé à 30 µg (Mérieux, Marcy
service de soins intensifs néonatal (niveau 2B). Ce service est l’Étoile) afin de détecter la présence de bacilles à Gram
composé de trois unités de respectivement huit, six et quatre négatif résistant aux céphalosporines de troisième généra-
chambres individuelles, et n’accepte pas de nouveau-né ven- tion. Les bactéries poussant au contact du disque étaient
tilé. L’unité de huit lits est plus particulièrement dévolue aux ensuite identifiées et un antibiogramme était réalisé. Les
nouveau-nés de petit poids de naissance. Le nombre de b-lactamines, les aminosides, le chloramphénicol, les tétra-
soignants travaillant de jour comme de nuit est de 30 infir- cyclines, les quinolones, la colimycine et le cotrimoxazole
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étaient testés par la méthode de diffusion en gélose selon les Tableau 1


critères du Comité de l’antibiogramme de la Société fran- Distribution des bactéries isolées et délai d’acquisition pendant l’étude
çaise de microbiologie (CASFM). La présence d’une Type de germes Jour 8 Jour 15 Jour 22
b-lactamase à spectre élargi était recherchée par la mise en Staphylocoques à coagulase négative méti R 20 19 8
évidence d’une synergie entre un inhibiteur de b-lactamase et Staphylocoques à coagulase négative méti S 4 1 0
Staphylococcus aureus méti R 0 1 1
les céphalosporines de troisième génération et/ou l’aztréo-
Staphylococcus aureus méti S 5 4 1
nam selon les recommandations du CASFM. La présence
Enterobacter sp. 2 1 1
d’une céphalosporinase déréprimée était recherchée à l’aide Citrobacter freundii 0 1 0
des disques de céfotaxime et ceftazidime. Klebsiella pneumoniae 0 1 1
De la même façon, les écouvillons nasaux ont été ense-
mencés sur gélose au sang additionnée de 5 % de sang de Parmi les 137 enfants restants, 49 (35 %) ont été secondai-
mouton (Mérieux®, Marcy l’Étoile, France) en présence d’un rement colonisés par au moins une BMR (25 garçons et
disque d’oxacilline à 5 µg et incubé à 30 °C pendant 48 heu- 24 filles). Parmi ces 49 enfants colonisés, 34 (69 %) étaient
res afin de détecter la présence de staphylocoque (Staphylo- hospitalisés dans le service dès leur naissance, un avait aupa-
coccus aureus ou staphylocoque coagulase négative) résis- ravant été hospitalisé en maternité et 14 venaient de réanima-
tant à la méticilline. Les cocci à Gram positif cultivant au tion (28 %). Parmi les 88 enfants non colonisés (44 garçons et
contact du disque de oxacilline étaient identifiés et un anti- 44 filles), 23 (26 %) avaient été hospitalisés en réanimation,
biogramme réalisé. 20 (22 %) en maternité, 22 (25 %) venaient de leur domicile
La multirésistance a été définie par la résistance d’une et 23 (26 %) étaient hospitalisés dans le service depuis leur
bactérie à plusieurs familles d’antibiotiques : b-lactamines et naissance.
macrolides ou aminosides ou fluoroquinolones pour les sta- Au total, 71 BMR ont été isolées. Seulement deux enfants
phylocoques, b-lactamines et aminosides ou fluoroquinolo- ont été simultanément colonisés par deux BMR. Il s’agissait
nes ou chloramphénicol pour les bacilles à Gram négatif. dans les deux cas d’un MRSCN et d’un Enterobacter sp. Les
L’infection nosocomiale a été définie par la survenue d’une bactéries les plus fréquemment retrouvées étaient les
infection après 48 heures d’hospitalisation. MRSCN, plus particulièrement Staphylococcus epidermidis
dans 47/71 cas (66,1 %) et les BGN dans 7/71 (9,8 %) des cas
1.3. Analyse statistique des facteurs de risque (Tableau 1). Les bactéries du genre Staphylococcus étaient
de colonisation toutes retrouvées dans les prélèvements nasaux et les BGN
dans les prélèvements rectaux.
Les tests statistiques étaient effectués à l’aide du pro- Aucune infection nosocomiale due à une BMR n’a été
gramme Statview (Abacus®, CA, États-Unis). Pour tous les retrouvée pendant la période de l’étude. Sur une période d’un
paramètres la médiane, la déviation standard et l’intervalle de an concernant l’année précédant cette étude, nous avions mis
confiance étaient calculés (95 % CI). Les différences entre en évidence deux infections nosocomiales dues à des BMR
les paramètres qualitatifs et quantitatifs ont été analysées par chez 62 enfants colonisés sur 235 hospitalisés (0,8 %). La
les tests de v-square et Anova. Les facteurs de risque relatifs colonisation à BMR a été associée à un faible risque d’infec-
ont été calculés (Odds ratio). Une valeur de p ≤ 0,05 a été tion nosocomiale chez le nouveau-né.
considérée comme statistiquement significative.
2.2. Facteurs de risque de colonisation

L’analyse a permis de séparer deux groupes : celui des


2. Résultats enfants colonisés vs celui des enfants non colonisés. Selon
l’analyse univariée, les enfants colonisés et non colonisés
2.1. Incidence de la colonisation à BMR avaient des âges gestationnels similaires, respectivement
34,4 semaines (de 29 à 40 semaines) vs 36,4 semaines (de
Pour une période de six mois, 187 nouveau-nés ont été 26 à 41 semaines), ns, un plus faible poids de naissance,
admis. Leur âge gestationnel moyen était de 35 semaines (de 2206 g (1170–3720 g) vs 2640 g (670–4730 g), p < 0,05, un
26 à 41 semaines), le poids de naissance moyen de 2400 g (de plus fort pourcentage de nutrition parentérale, 30 vs 16 %,
670 à 4730 g) et l’âge médian à l’admission de 3,7 jours (de p < 0,05, un plus fort pourcentage d’hospitalisation préala-
la naissance à 45 jours de vie). Le sex-ratio était de 1/1. ble, 98 vs 52 %, p < 0,0001 et un plus jeune âge à l’admis-
Parmi ces 187 enfants, 50 (26 %) étaient colonisés dès leur sion, deux jours (0–38) vs 5,4 jours (0–45), p < 0,05 (Ta-
admission dans le service. Tous ces enfants venaient d’unités bleau 2). L’isolement de MRSCN à J15 (p < 0,05) et J22
de soins intensifs ou de chirurgie. Ces 50 enfants étaient plus (p < 0,05) était corrélé à l’utilisation probabiliste d’antibioti-
prématurés que ceux qui n’étaient pas colonisés au jour J0 ques (à J15, 11/19 enfants porteurs de MRSCN avaient reçu
[respectivement 34 semaines (26–41) vs 36 semaines (26– des antibiotiques et à J22, 4/5 enfants porteurs de MRSCN
41) p < 0,01] et de plus petit poids de naissance [1930 g avaient reçu des antibiotiques). Aucune association n’a été
(750–4700) vs 2465 g (670–4730) p < 0,05]. Étant colonisés retrouvée avec un antibiotique particulier, ni avec la durée de
à J0, ils n’ont pas été inclus dans l’étude. l’antibiothérapie.
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Tableau 2
Caractéristiques des patients colonisés et non colonisés
Enfants colonisés (n = 49) Enfants non colonisés (n = 88) p
Sexe 24 filles/25 garçons 44 filles/44 garçons ns
PN a (g), médiane 2206 2640 p < 0,05
écarts 1170–3720 670–4730
AG b (semaines), médiane 34,4 36,4 ns
écarts 29–40 26–41
Âge c (jours), médiane 2 5,4 p < 0,05
écarts 0–38 0–45
Nutrition Parentérale 30 % 16 % p < 0,05
Hospitalisation préalable (néonatologie, soins intensifs) 98 % 52 % p < 0,0001
a
PN, poids de naissance.
b
AG, âge gestationnel.
c
Âge, âge à l’admission.

Les facteurs de risque d’acquisition d’une colonisation à tion du tractus digestif est aussi possible et peut conduire à
BMR étaient représentés par la prématurité (OR = 4,06, 95 % des translocations. Dans cette étude nous nous sommes limi-
CI 1,88–8,76, p = 0,0004), une hospitalisation préalable tés à l’étude de la colonisation du nasopharynx et de l’anus
(OR = 43,83, 95 % CI 16,98–113,18, p < 0,0001), une représentant respectivement la colonisation du pharynx et du
nutrition parentérale (OR = 2,33, 95 % CI 1,03–5,31, p = tractus digestif.
0,04) et des antécédents de ventilation assistée (OR 3,16, Ce protocole de surveillance diffère de ceux préalable-
95 % CI 1,22–8,17, p < 0,01). ment décrits par la prise en compte des MRSCN habituelle-
ment non recherchés. Le SCN est le principal agent des
2.3. Durée de la colonisation infections nosocomiales du nouveau-né [5–7]. Dans une ré-
cente étude, Isaacs et al. [12], ont montré que la plupart des
Le délai moyen d’acquisition d’une colonisation à BMR nouveau-nés infectés avaient un âge gestationnel < 30 semai-
après l’admission était de huit jours (de 0 à 58 jours), la durée nes et que la bactériémie a lieu le plus souvent entre sept et
de colonisation était de neuf jours en moyenne (de 1 à 14 jours de vie. Il a par ailleurs été montré une identité entre
68 jours) et la fin de la colonisation de 21 jours en moyenne les SCN de portage et d’infection chez le même enfant
prématuré [7]. De la même façon il a été montré à l’aide de
(de 8 à 91 jours). Plus précisément, 12 enfants sont restés
techniques de biologie moléculaire que des SCN responsa-
colonisés pendant deux semaines par la même BMR, deux
bles de septicémies pouvaient se retrouver chez d’autres
sont restés colonisés pendant trois semaines, un pendant
enfants du même service ou chez le personnel soignant met-
quatre semaines et un pendant cinq semaines. La date
tant ainsi en évidence une dissémination clonale [13,14].
moyenne de début de colonisation variait selon la nature de la
Nous confirmons les résultats de Szewczyk et al [1] en
bactérie. Elle était significativement plus élevée pour les
montrant que les BMR isolées en néonatologie sont princi-
BGN (15,5 ± 16 jours), que pour les MRSCN (7,8 ± 6 jours, palement des MRSCN, plus particulièrement S. epidermidis
p= 0,004). La fin de la colonisation était aussi significative- (66,1 %) et des BGN (9,8 %), principalement Enterobacter
ment plus tardive pour les BGN que pour les MRSCN (res- aerogenes. S. epidermidis est reconnu comme agent patho-
pectivement 38,5 ± 16 jours vs 22,7 ± 15 jours, p = 0,03). gène le plus souvent responsable d’infections nosocomiales
en unité de soins intensifs néonatale [5,9,15]. Les SCN pré-
sentent un haut niveau de résistance à la méticilline (66 à
3. Discussion 97 %) [1] et sont responsables de l’utilisation importante de
la vancomycine en néonatologie [5,16]. Dans cette étude,
Nous présentons une analyse systématique de la sur- 8 % des SCN étaient de sensibilité diminuée à la teicoplanine
veillance de la colonisation bactérienne nasale et rectale par mais aucun n’était résistant à la vancomycine.
des BMR chez des enfants prématurés hospitalisés en néona- Cette étude a permis de mettre en évidence certains fac-
tologie. Le taux de colonisation des nouveau-nés était de teurs de risque favorisant la colonisation bactérienne. Ce sont
35 %. Plusieurs études ont rapporté des taux de colonisation la prématurité, une hospitalisation préalable, la nutrition pa-
de 10 à 20 % chez des enfants de très faible poids de rentérale et des antécédents de ventilation assistée. La colo-
naissance hospitalisés en unité de soins intensifs [6,8,9]. Peu nisation était souvent associée à des facteurs de sévérité de la
d’études ont analysé la colonisation chez des enfants hospi- maladie comme cela a été précédemment décrit [17,18]. Il a
talisés par des BMR en service de néonatologie. été montré qu’il existe une corrélation entre un très faible
La peau du nouveau-né est très vite colonisée après la poids de naissance et le risque d’acquisition d’une infection
naissance par S. epidermidis qui joue un rôle de barrière nosocomiale [1,19,20].
vis-à-vis de bactéries résistantes [10]. La colonisation du Les similarités entre les facteurs de risque de colonisation
pharynx fait le lit des infections invasives [11]. La colonisa- mis en évidence dans cette étude et ceux des infections
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nosocomiales précédemment décrits soulignent le rôle ma- [5] Villari P, Sarnataro C, Iacuzio L. Molecular epidemiology of Staphy-
jeur de la colonisation dans le début de l’infection. De plus, lococcus epidermidis in a neonatal intensive care unit over a three-
year period. J Clin Microbiol 2000;38:1740–6.
les progrès en néonatologie impliquent des périodes d’hospi- [6] Sohn AH, Garrett DO, Sinkowitz-Cochran RL, Grohskopf LA,
talisation prolongée et la pose fréquente de cathéters. Levine GL, Stover BH, et al. The Pediatric Prevention Network :
Le risque d’acquisition d’une BMR débute dès le premier Prevalence of nosocomial infections in neonatal intensive care unit
jour d’hospitalisation et est en moyenne de huit jours en patients: Results from the first national point-prevalence survey. J
accord avec la précédente étude de van der Zwet et al. [3] Pediatr 2001;139:821–7.
[7] de Silva GD, Justice A, Wilkinson AR, Buttery J, Herbert M,
rapportant un délai moyen de colonisation de 6,3 jours pour
Day NP, et al. Genetic population structure of coagulase-negative
Klebsiella pneumoniae. Les SCN apparaissent et disparais- staphylococci associated with carriage and disease in preterm infants.
sent plus précocement que les BGN. Une infection peut Clin Infect Dis 2001;33:1520–8.
apparaître dès le septième jour de vie [12]. Toltzis et al. [21], [8] Ford-Jones EL, Mindorff CM, Pollock E, Milner R, Bohn D,
en utilisant l’électrophorèse en champ pulsé, ont montré que Edmonds J, et al. Evaluation of a new method of detection of nosoco-
mial infection in the pediatric intensive care unit: the Infection Con-
dans une période épidémique l’acquisition de BGN multiré-
trol Sentinel Sheet System. Infect Control Hosp Epidemiol 1989;10:
sistants par contamination croisée se faisait très rapidement 515–20.
et la durée de colonisation était courte. Nous n’avons observé [9] Gaynes RP, Martone WJ, Culver DH, Emori TG, Horan TC, Baner-
aucune contamination croisée dans cette étude. jee SN, et al. Comparison of rates of nosocomial infections in neonatal
Cette étude montre une dissociation entre le taux de colo- intensive care units in the United States. Am J Med 1991;16:192S–6S
nisation des enfants relativement élevé et l’absence d’infec- National Nosocomial Infections Surveillance System.
[10] Huebner J, Kropec A. Cross infections due to coagulase negative
tion. Une des explications peut être trouvée dans les mesures staphylococci in high risk patients. Zentralbl Bakteriol 1995;283:
d’hygiène mises en route pour chaque enfant colonisé : les 169–74.
nouveau-nés colonisés étaient signalés à la porte de leur [11] Finelli L, Livengood JR, Saiman L. Surveillance of pharyngeal
chambre, les soignants étaient sensibilisés et utilisaient des colonization: detection and control of serious bacterial illness in low
blouses et des gants différents pour chaque enfant. birth weight infants. Pediatr Infect Dis J 1994;13:854–9.
[12] Isaacs D, Australasian Study Group for Neonatal Infections. A ten
year multicentre study of coagulase negative staphylococcal infec-
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4. Conclusion 2003;88:F89–93.
[13] Krediet TG, Jones ME, Janssen K, Gerards LJ, Fleer A. Prevalence of
Nous rapportons dans cette étude un fort taux de coloni- molecular types and mecA gene carriage of coagulase-negative Sta-
sation par les BMR (35 %) chez les nouveau-nés hospitalisés phylococci in a neonatal intensive care unit: relation to nosocomial
en néonatologie. Il s’agissait de staphylocoques à coagulase septicemia. J Clin Microbiol 2001;39:3376–8.
négative résistant à la méticilline dans 66 % des cas. La [14] Raimundo O, Heussler H, Bruhn JB, Suntrarachun S, Kelly N, Deigh-
ton MA, et al. Molecular epidemiology of coagulase-negative staphy-
colonisation par les MRSCN a débuté plus précocement et lococcal bacteremia in a newborn intensive care unit. J Hosp Infect
s’est terminée aussi plus précocement que la colonisation par 2002;51:33–42.
les BGN. Les principaux facteurs de risque d’acquisition [15] Hall SL. Coagulase-negative staphylococcal infections in neonates.
retrouvés ont été la prématurité, une hospitalisation préalable Pediatr Infect Dis J 1991;10:57–67.
et une antibiothérapie préalable. Bien qu’aucune infection [16] Matrai-Kovalskis Y, Greenberg D, Shinwell ES, Fraser D, Dagan R.
Positive blood cultures for coagulase-negative staphylococci in
nosocomiale n’ait été retrouvée dans cette étude, les précau-
neonates: does highly selective vancomycin usage affect outcome?
tions d’isolement et de protection chez ces patients porteurs Infection 1998;26:85–92.
de BMR ne doivent pas être remises en cause. [17] Lucet JC, Chevret S, Decre D, Vanjak D, Macrez A, Bedos JP, et al.
Outbreak of multiply resistant Enterobacteriaceae in an intensive care
unit: epidemiology and risks factors for acquisition. Clin Infect Dis
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