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Chapitre 2. Anticipations rationnelles et inefficacité


des politiques économique : la nouvelle macroéconomie
classique.

La théorie des anticipations rationnelles a donné naissance à ce que l'on


appelle la nouvelle macroéconomie classique. La nouvelle macroéconomie
classique repose sur deux piliers : les anticipations rationnelles et l'hypothèse
d'équilibre permanent de marché. Elle s'est développée à partir des années 70,
impulsée par de travaux de nombreux auteurs (Lucas, Sargent, Barro) qui ont
trouvé leur aspiration dans l'analyse développée par Muth dès 1961
(«anticipation rationnelle et théorie des mouvements de prix »). S'appuyant sur
l'hypothèse d'anticipation rationnelle les auteurs de ce courant vont développer
une analyse qui tend à nier radicalement l'efficacité de la politique économique
conjoncturelle. D'où une question que nous pouvons nous poser : la simple
introduction d'une hypothèse sur les anticipations des agents suffit-elle à
discréditer totalement la politique économique ?

Section.1. La critique de la politique budgétaire à travers d'hypothèse


d'anticipation rationnelle.

1.1. Un renouveau de l'analyse.

A) Une critique de l'hypothèse d'anticipation adaptative.

La théorie des anticipations rationnelles s'est développée à partir de la


critique de l'hypothèse d'anticipation adaptative utilisée par les keynésiens et
les monétaristes friedmaniens. Selon ces derniers des anticipations se
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forment de manière rétrospective. Ainsi, l'anticipation sur l'évolution future


d'une variable résulte de la moyenne pondérée des valeurs passées de cette
variable. Cette conception a été considérée comme insatisfaisante pour trois
raisons principales. C'est tout d'abord le caractère rétrospectif de l'hypothèse
d'anticipations adaptatives qui a été dénoncée. Les agents forment leurs
anticipations en ne considérant que les événements passés. En conséquence,
si un événement quelconque surgit un moment donné, il ne modifiera pas les
anticipations des individus puisqu'il n'a pas encore agi sur les valeurs passées
des variables de l'économie. Et cela même si les conséquences de cet
événement sont évidentes à terme. Ensuite, l'hypothèse d'anticipation
adaptative a le défaut de considérer que les agents peuvent faire des erreurs
systématiques, même si un événement a déjà commencé à agir sur les
variables économiques. Il ne s'adapte que progressivement. Ceci, pour les
théoriciens des anticipations rationnelles, semble difficilement compatible
avec des agents supposés rationnels et guidés par leur intérêt personnel.
Enfin le dernier défaut souligné met aussi en cause le type de rationalité du
comportement des individus. Dans l'hypothèse d'anticipation adaptative en
effet ceux-ci n'utilisent pas toutes les informations disponibles qui
concernent l'activité. Ils n'utilisent que l'information sur la variable dont ils
cherchent à prévoir l'évolution. Ainsi, par exemple, s'ils cherchent à prévoir
le niveau futur de la production ils n'utiliseront que des informations sur
production passée.

B) Les caractéristiques de l'hypothèse d'anticipation rationnelle.

On peut maintenant comprendre les caractéristiques de l'hypothèse


d'anticipation rationnelle. On considérera que les agents utilisent toutes les
informations disponibles et qu'ils sont capables d'utiliser efficacement cette
information. Bien entendu il va falloir maintenant introduire un élément
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nouveau par rapport à l'hypothèse d'anticipation adaptative. Puisque toutes


les informations disponibles sont utilisées, il faut supposer que les agents
sont capables de relier les différentes variables entre elles. Pour Muth cela
signifie que les agents rationnels connaîtront le vrai modèle de l'économie.
En fait, on se rend compte que les individus sont supposés guidés par une
théorie particulière : la théorie de l'équilibre général et la théorie monétariste.
De ce fait une augmentation de la quantité de monnaie par exemple conduira
les individus à anticiper une hausse future des prix.
Les anticipations rationnelles sont supposées dotées de trois propriétés
importantes : premièrement elles ne sont pas biaisées. Ceci signifie que la
différence entre les variables anticipées et les variables réalisées être
aléatoires c'est-à-dire qu'elle ne dépend pas du comportement calculateur des
individus. Si aucun événement aléatoire ne survient il n'y a pas de différence
entre les variables réalisées et anticipées. Les anticipations sont parfaites. En
règle générale, les anticipations individuelles ne sont pas des anticipations
parfaites. Les erreurs aléatoires se compensent cependant en moyenne. Elles
ne sont donc pas systématiquement ces erronées. Deuxièmement, l'erreur de
prévision ne dépend d'aucune information connue au moment où les
anticipations ont été formées. Troisièmement, les anticipations des différents
individus sont cohérentes entre elles. Les écarts entre anticipations
individuelles ne proviennent que des erreurs aléatoires.

1.2. La neutralité de la politique budgétaire.

L'hypothèse d'anticipation rationnelle va être utilisée pour analyser de


manière nouvelle les conséquences des politiques économiques et pour en
dénoncer les effets. Il va s'agir d'intégrer dans l'analyse des conséquences des
politiques économiques les réactions d'individus rationnels. Ceux-ci
supposée disposer d'une information équivalente à celle de l'Etat.
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Prenons le cas d'un déficit public qui provient d'une baisse des impôts.
Dans le modèle keynésien, le multiplicateur fiscal montre que le revenu est
stimulé. Que se passe-t-il si l'on introduit les anticipations rationnelles ? C'est
ce qu'a cherché à analyser Barro en 1974 avec son théorème de l'équivalence
ricardienne. Il faut tout d'abord considérer que cette mesure doit être
financée. Elle peut l'être soit par création monétaire soit par endettement. Si
le financement est monétaire les individus vont anticiper une hausse future
des prix. De la sorte la quantité réelle de monnaie sera inchangée. Les
individus ne modifieront par leur consommation. Si le financement s'effectue
par endettement (emprunt), les individus vont anticiper le remboursement de
cet emprunt à terme. Celui-ci se fera soit par création monétaire (on revient
en cas précédent) soit par l'augmentation d'impôts. Les individus vont donc
anticiper une cause future de l'impôt. En conséquence ils vont augmenter leur
épargne.
Précisons le raisonnement. Il est extrêmement simple. Dans la période
initiale la réduction d'impôt fournit par exemple une unité monétaire
supplémentaire aux individus. Si on considère que le taux d'intérêt est r, les
individus en anticiperont une hausse des impôts à la période suivante, qui est
la période de remboursement, égales à (1+r) unités monétaires. Ainsi la
baisse des impôts de la période initiale procure à l'individu une somme juste
suffisante pour payer l'impôt à la période suivante. En conséquence les
ménages qui ont anticipé de manière rationnelle l'évolution des impôts
épargnent la somme gagnée par la réduction initiale. La demande n'augmente
donc pas et la baisse des impôts ne peut pas stimuler l'offre de travail. En fait
l'épargne des ménages leur sert à acheter les titres émis par le gouvernement
pour financer la réduction d'impôt.
On voit la conséquence de cette analyse : le mode de financement des
mesures gouvernementales n'a pas d'effet réel. Les emprunts ne sont que des
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impôts différés. Il n'y a pas lieu, comme dans l'approche keynésienne, de


distinguer différents modes de financement du déficit budgétaire.

1.3. Des hypothèses contestées.

En fait l'analyse repose sur trois types d'hypothèse qui vont constituer
autant d'angles d'attaque contre la position de Barro. Premièrement les
impôts sont tout d'abord considérés comme forfaitaires, c'est-à-dire qui ne
modifient pas les incitations qui pèsent avant impôt sur les individus. Si les
impôts ne sont pas forfaitaires, c'est-à-dire que s'ils sont liés à des
caractéristiques spécifiques des individus (revenu, la richesse,
consommation etc.), les impôts anticipés dépendent donc de la législation
fiscale et des anticipations faites sur ces caractéristiques. Ceci peut être
susceptible de redonner un effet à la baisse des impôts. L'analyse de
l'équivalence ricardienne ne conduit cependant pas Barro à nier que la baisse
des impôts a un effet sur l'économie. Elle peut être utilisée a contrario : si la
baisse des impôts accroît l'activité économique comme cela a été le cas dans
les années 60 avec Kennedy ou dans les années 81 avec Reagan, c'est que les
impôts ne sont pas forfaitaires. Les impôts modifient les incitations qui
pèsent sur les individus. Une baisse des impôts réduit ainsi la distorsion des
incitations. En conséquence, si la baisse des impôts agit sur économie ce n'est
pas parce qu'elle modifie la demande comme le soutiennent les keynésiens,
mais parce qu'elle stimule l'offre.
La seconde hypothèse soutient que les marchés financiers sont
parfaitement efficients. Cela signifie que les individus et les Etats
empruntent au même taux d'intérêt. Or cette hypothèse a un caractère
discutable. Il y a en effet une différence importante entre l'Etat et les
individus : le risque d'insolvabilité. Celui est supérieur pour les individus que
pour les Etats. Le taux d'intérêt devrait donc être supérieur pour les individus
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que pour les Etats. Si tel est le cas la baisse des impôts accroît la richesse des
individus. Si, par exemple, l'Etat réduit des impôts d'un agent de 100 francs
celui-ci, conformément à l'analyse de Barro, va placer ces 100 francs.
Supposons que le taux d'intérêt soit pour les individus de 15% et pour l'Etat
de 10%. Au bout d'un an un individu disposera d'une somme de 115. Si l'on
suppose qu'il s'agit de la date de remboursement la dette publique se montera
à 110 et les impôts correspondront à cette somme. Il y a donc une différence
de 5 francs au bénéfice des individus. Cette différence est d'autant plus
importante que l'écart de taux est grand et que la date de remboursement est
éloignée. Puisque les individus sont rationnels ils vont prévoir ce gain et ils
pourront donc accroître leur demande.
La troisième hypothèse enfin et celle de l’altruisme intergénérationnel.
Elle signifie que des ménages prennent en compte les générations futures et
ne souhaitent pas réduire la consommation future de ces générations. Ainsi,
les individus ont un horizon infini dans leur arbitrage entre consommation et
épargne. Il s'agit d'un comportement dynastique : chaque individu envisage
la situation économique de ses descendants.
On peut envisager la nécessité de cette hypothèse en considérant une
hypothèse alternative celle, classique, Modigliani (1954). Celui-ci considère
que les individus prennent en compte le revenu anticipé sur l'ensemble de
leur vie. Cet argument repris par Tobin qui ajoute l'hypothèse d'une
indifférence des agents à la situation de leurs descendants. Dans ce cas,
l'augmentation des impôts à la génération future conduite à une
augmentation de la consommation à la génération actuelle. Cette
argumentation peut d'ailleurs être renforcée par un argument de Barro lui-
même. Dans le cas d'une économie en progrès, si des agents anticipent une
amélioration de la situation économique de leurs descendants,
l'augmentation de la consommation présente pourra être effective. Ainsi, si
l'on introduit une différence entre les horizons temporels de l'Etat et des
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individus, le déficit budgétaire a bien un effet sur l'activité économique. On


peut alors se demander si ce n'est pas précisément la caractéristique de l'Etat
avoir une durée de vie infinie ou en tout cas supérieure par définition aux
individus et aux familles qui constituent l'économie ?
Cette analyse du mode de financement du déficit public n'est qu'un aspect
de la critique des politiques économiques développée par la nouvelle
macroéconomie classique

Section 2. Le principe d'inefficacité des politiques conjoncturelle.

2.1. Hypothèse d’anticipations rationnelles et défense du marché


concurrentiel.

Dans la nouvelle macroéconomie classique les politiques conjoncturelles


sont considérées comme incapables d'affecter les variables réelles. Ceci
provient en partie de l'hypothèse d'anticipation rationnelle des agents qui
déjoueront en quelque sorte la politique conjoncturelle de l'Etat. Nous allons
considérer un modèle simple qui permet de comprendre la logique du
raisonnement d'un nouveau classique. Ce modèle concerne la politique
monétaire mais ces résultats sont transposables au cadre de la politique
budgétaire.

A) Présentation du modèle.

En simplifiant le modèle on peut distinguer quatre fonctions : une


fonction d'offre de bien une fonction de demande, une fonction d'offre de
monnaie et une fonction d'anticipation rationnelle.
- La fonction d'offre globale. Yt = Y* + (pt - pat-pt, t-1) +t
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Y * correspond au niveau de la production naturelle, c'est-à-dire à la


production qui résulte de l'emploi d'une population lorsque le taux de
chômage est égal au taux de chômage naturel. La fonction précédente
indique donc que la production au moment t dépend du niveau de la
production naturelle, de l'écart entre prix réalisés et prix anticipés (avec 
constant) et d'un terme d'erreur aléatoire t qui est égale à zéro en moyenne.
Puisqu'on suppose donné y*, il faut déterminer les écarts entre le prix réalisé
et prix anticipés.
- La fonction de demande est déterminée à partir de l'équation quantitative
MV =PY. En supposant la vitesse de circulation de la monnaie (V) égale à
1, cette fonction s'écrit sous forme logarithmique : Pt =mt-yt+ut avec ut terme
d'erreur qui provient des chocs aléatoires sur la vitesse de circulation de la
monnaie.
- La fonction d'offre de monnaie on suppose que la banque centrale augmente
l'offre de monnaie un taux constant . La fonction d'offre de monnaie est
Mt = (1+) Mt-1. On linéarise cette fonction en l'écrivant sous forme
logarithmique : mt =  + mt-1+ et, avec et représentant les erreurs aléatoires
dans la détermination de l'objectif monétaire.
- La fonction d'anticipation rationnelle. Le prix de la période t anticipé à la
période t-1 est donné par l'espérance mathématique du prix en t effectuée à
partir de l'information en t-1 cette fonction s'écrit : Pat, t-1 = E(Pt/It-1)

B) Déduction du principe d'inefficacité.

Si l'on cherche à étudier la politique monétaire, on se demande si la


variation de l'offre de monnaie à un effet sur Y, la production au moment t.
Il va donc nous falloir déterminer y en prenant en compte l'ensemble des
équations. Pour déterminer la production moment t, il faut considérer l'écart
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entre prix réalisés et prix anticipés. Or l'équation d'anticipation rationnelle


indique que : Pat, t-1 = E(Pt/It-1)
Ainsi l'anticipation rationnelle va dépendre de l'espérance mathématique
de la demande : Pt =mt-yt+ut.
C'est donc cette équation qu'il convient de commencer à étudier. Que
peut-on en tirer ? Plusieurs enseignements : tout d'abord les espérances
mathématiques de la variable aléatoire ut est par définition égale à 0 puisque
l'on considère (hypothèse d'anticipation rationnelle) que les erreurs se
compensent en moyenne. Ensuite la meilleure prévision de Yt est Y * c'est-
à-dire le niveau de la production naturelle. Les individus prévoient une
correction des erreurs de prévision et, bien sûr, une annulation des erreurs
aléatoires. Enfin, puisque les individus connaissent le vrai modèle de
l'économie, ils vont déterminer mt, la quantité de monnaie, à partir de la
fonction d'offre de monnaie. Bien entendu ils prendront la partie non
aléatoire de cette équation.
On peut donc écrire : Pat, t-1 = E(Pt/It-1) =  + mt-1 – Y*
Quant au prix au moment t il est donné par Pt =  + mt-1+ et - yt + ut
On peut alors définir la différence entre prix réalisés et prix anticipés :
Pt - Pat, t-1 =  + mt-1+ et - yt + ut – ( + mt-1 – Y*)
D’où :
Pt - Pat, t-1 = Y* - Yt + ut + et

On intègre cette dernière expression dans la fonction d’offre globale :


Yt = Y* + (Y* - Yt + ut + et) + t
On obtient ainsi :

Yt = Y* + (( ut + et) + t)/(1+)

La conséquence apparaît clairement : la production ne dépend d'aucun des


termes qui caractérisent la politique monétaire (mt et ). Elle lui est donc
totalement indépendante. La politique monétaire est ainsi inefficace. Le
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niveau de la production dépend cependant des erreurs d'anticipation (( ut +


et) + t)/(1+)). Mais étant donné l'hypothèse d'anticipation rationnelle ces
erreurs sont aléatoires et ne sont pas corrélées avec les informations dont
disposent les individus. La production va donc fluctuer autour de son niveau
naturel de manière aléatoire. Les Etats ne peuvent obtenir de manière durable
et prévisible un niveau de production supérieure au taux de croissance
naturelle. Il faut donc agir sur Y * et mener une politique structurelle visant
à protéger et renforcer les cadres du marché concurrentiel.
Ainsi l'approfondissement de la réflexion sur la rationalité des individus
semble à la base d'une remise en cause radicale de la politique économique.
L'intervention de l'Etat reposerait ainsi sur la négligence de la capacité de
réaction des individus rationnels. Nous allons voir cependant que l'hypothèse
anticipation rationnelle peut être retournée en faveur des propositions
keynésiennes.

2.2. Le retournement de l'hypothèse d'anticipation rationnelle.

La réponse des keynésiens a été celle d'une critique interne à la démarche


de la nouvelle macroéconomie classique. Leur critique les a conduits à
introduire une distinction entre l'hypothèse d'anticipation rationnelle et le
cadre néoclassique et monétariste qui sous-tend les attaques contre la
politique économique. En effet, puisque les individus sont censés connaître
le vrai modèle de l'économie est puisque celui-ci est donné par la théorie
néoclassique dominante, les individus sont guidés par ce modèle
néoclassique. Que se passe-t-il alors si les agents adoptent un modèle
keynésien ? Nous allons voir que la critique de la politique économique va
perdre de sa validité.

A) Un modèle keynésien d'anticipations rationnelles.


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L'efficacité des politiques économique peut alors être démontrée à partir


d'un modèle keynésien avec anticipations rationnelles proposé par Pierre
Alain Muet. On part de deux équations :
(1) Yt = Ct + Gt + t
Dans cette équation le revenu dépend de la consommation, des dépenses
publiques et d'une variable aléatoire
(2) Ct = cYat, t-1
Dans cette autre équation la consommation un moment t dépend du
revenu de la période t tel qu'il a été anticipé à la période t-1
D’où : Yt = cYat, t-1 + Gt + t
Avec les anticipations rationnelles on a : Yat, t-1 = E(Yt/It)
Si l’on suppose que les anticipations sont parfaites on aura :
Yat, t-1 = Yt avec t = 0
D’où : Yt = Ct + Gt
Ainsi : Yt = cYt + Gt
Yt = (1/(1-c)) Gt
Et donc E(Yt) = E (Gt/(1-c)) = (E(Gt))/(1-c)
Le niveau de la production au moment t peut alors s’écrire :

Yt = (c/(1-c)) (E(Gt) + Gt + t

On cherche alors à établir l'écart entre les dépenses anticipées et réalisées.


Pour cela on peut écrire : Gt = (Gt/(1-c)) - c Gt/(1-c)
Cela permet de déterminer Yt :
Yt = (c/(1-c)) E(Gt) + (Gt/(1-c)) - c Gt/(1-c)
Et donc :

Yt = (c/(1-c)) (E(Gt) - Gt) + (Gt/(1-c)) + t


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Conformément au schéma keynésien traditionnel, le niveau de la production


dépend de la propension à consommer et du niveau des dépenses publiques.
Mais il dépend aussi de l'écart entre la dépense publique anticipée et réalisée.
Pour analyser l'efficacité de la politique économique, il faut maintenant
étudier les conséquences d'une variation des dépenses publiques sur la
production.
On part alors de l'équation suivante :
Yt = Gt/(1-c) + (c/(1-c))(E(Gt) - Gt) + t
On se trouve alors face à deux possibilités :
1) Les agents n’anticipent pas les mesures mises en œuvre par le
gouvernement. Dans ce cas E(Gt) = 0. On obtient donc :
Yt = ((1-c) /(1-c))Gt + t
Le multiplicateur est donc égale à 1 et fluctue de manière aléatoire autour
de l'unité.
2) les agents ont des anticipations rationnelles. Ils prévoient parfaitement la
mesure qui sera prise par le gouvernement. Dans ce cas E(Gt) = Gt et, en
conséquence : Yt = (1 /(1-c))Gt + t
Le multiplicateur sera alors à son maximum. Ainsi, l'hypothèse
d'anticipation rationnelle, loin de rendre la politique économique inefficace,
renforce au contraire son efficacité. La conséquence est alors la suivante : si
les individus considèrent que le vrai modèle de l'économie est le modèle
keynésien, la politique économique est efficace et les enchaînements
keynésiens vérifiés. Si les individus sont guidés par le modèle néoclassique,
la politique économique est inefficace. On constate alors que ce n'est pas
hypothèse d'anticipation rationnelle qui rend inefficace la politique
économique, c'est le modèle auquel croient les individus. L'hypothèse
d'anticipation rationnelle permet en fait de traiter un phénomène étudié en
sciences sociales : celui des croyances auto réalisatrices. Les conclusions
d'inefficacité des nouveaux classiques apparaissent sous un angle nouveau :
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elles étaient déjà contenues dans l'hypothèse de base de l'analyse à savoir


dans l’idée que les individus croient au schéma néoclassique.

B) La remise en cause du principe de l'équivalence ricardienne et de


l'hypothèse de flexibilité des prix.

Une même critique fondée sur le retournement de l'hypothèse


d'anticipation rationnelle peut bien entendu être appliquée au principe de
l'équivalence ricardienne de Barro. Prenons le cas d'une baisse des impôts.
Si les individus ont des croyances keynésiennes, ils prendront l'augmentation
des déficits budgétaires comme le signe d'un accroissement futur de l'activité
économique. Ils vont donc anticiper un impact expansionniste de la mesure.
Ils considéreront d'autre part que l'Etat pourra toujours souscrire de
nouveaux emprunts quand ceux de la période courante arriveront à échéance.
Ils anticiperont donc un report dans le temps de l'augmentation des impôts.
D'autre part, puisqu'ils sont rationnels et prévoient l'effet positif sur la
croissance de la politique économique, ils anticiperont l'augmentation des
impôts sur un revenu futur supérieur. Ceci les incitera à accroître leur
consommation. Ainsi ces agents keynésiens rationnels qui anticipent
l'accroissement futur du revenu adoptent, ici aussi, un comportement qui
renforce l'efficacité de la politiques économiques.
L'hypothèse d'anticipation rationnelle permettre ainsi de modéliser l'effet
économique des croyances des individus. Son introduction dans le débat sur
la nécessité de réguler l'activité économique ou de laisser agir le marché ne
conduit pas à supprimer les oppositions. Les arguments sont modifiés mais
les antagonismes demeurent. Le point décisif reste, comme auparavant, le
choix initial quant à la pertinence du modèle classique de marchés
autorégulé. L'hypothèse cruciale de la nouvelle macroéconomie classique est
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celle de l'équilibre permanent de marché. Cette hypothèse, à son tour,


présuppose une parfaite flexibilité des prix.
C'est ce que se sont attachés à montrer certains keynésiens en étudiant
des situations où les prix sont un imparfaitement flexibles. Stanley Fischer,
par exemple, a développé un modèle avec anticipations rationnelles dans
lequel les prix sont flexibles sur le marché des biens mais "visqueux " sur le
marché des facteurs, ce qui signifie que leur ajustement n'est pas immédiat.
Pour cela il fait simplement l'hypothèse que la moitié des entreprises
négocient les années paires et l'autre moitié les années impaires (entreprises
A). En début de période les entreprises du groupe A acceptent un niveau de
salaire en faisant l'anticipation d'un certain niveau de prix pour les années 0
et 1. Si les autorités monétaires augmentent brutalement la quantité de
monnaie offerte à partir de la fin de la période 0, cela conduira les entreprises
du groupe B, qui ont commencé à négocier, à anticiper une hausse des prix.
Elles seront donc prêtes à accepter des salaires supérieurs à ceux payés par
les entreprises du groupe A. En conséquence, on assiste à une baisse du
salaire réel des travailleurs des entreprises du groupe A. Conformément au
postulat néoclassique la baisse du salaire réel entraîne une augmentation de
la demande de travail et de la quantité de travail utilisées. Il y a alors
augmentation des quantités produites. Ainsi, non seulement les anticipations
rationnelles n'empêchent pas la politique économique d'être efficace mais,
en plus, elles renforcent cette efficacité puisque c'est parce que les
entrepreneurs anticipent l'accroissement de l'inflation et la baisse des salaires
réels que la production augmente en conséquence d'une stimulation
monétaire. Reste une question qui surgit ici et que nous retrouverons
ultérieurement : comment peut-on justifier l'existence des inerties salariales
dans un modèle qui respecte une logique classique ?
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En conclusion on peut souligner les points essentiels qu'il faut garder à


l'esprit en ce qui concerne la nouvelle macroéconomie classique et hypothèse
d'anticipation rationnelle. Cette hypothèse a permis d'affiner l'analyse des
conséquences des politiques économiques. Il n'y a plus comme dans les
modèles précédents une différence entre les informations et la capacité
d'analyse du mobilisateur (c'est-à-dire ici de l'Etat) et des individus. Ceux-ci
ne peuvent pas être pris en défaut par l'action de l'Etat et d'efficacité de
politiques économiques ne peut donc reposer sur des conséquences non
perçues de l'action publique. Ainsi les individus ne sont pas soumis à
l'illusion monétaire, ils s'interrogent sur le mode de financement dans le
temps des mesures entreprises et sur la capacité de l'Etat à mener une
politique de manière permanente. Cet approfondissement de l'analyse du
comportement individuel assemblé avec nouvelle macroéconomie classique
démontrée de manière définitive les inefficacités des politiques
économiques.
En fait on s'est rendu compte progressivement que l'hypothèse
d'anticipation rationnelle pouvait être intégrer à n'importe quel cadre
d'analyses et renforcer les conclusions tunisiennes et la défense des
politiques économiques. Les anticipations rationnelles apparaissent alors
comme un enrichissement de la macroéconomie. Il faut cependant garder à
l'esprit les limites de cet outil technique : les individus sont supposés disposer
d'une information parfaite et capables de la traiter. Mais, logiquement,
rassembler et traiter cette information a un coût et l’existence de ce coût peut
inciter des agents rationnels à ne pas rassembler toute l'information
disponible. Ces problèmes sont évacués de la théorie des anticipations
rationnelles.

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