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AUX MIGRANTS
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À QUOI SERT
LA SEXUALITÉ ?
OU L’ART DE SIMPLIFIER
LE SLOW MANAGEMENT
Les lois de
De la reconnaissance à la notoriété
la réputation
SCIENCES HUMAINES
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Ce hors-série fait le
tour des questions
économiques,
environnementales,
sociétales et
géopolitiques qui sont
aujourd’hui au cœur
des débats.
débats Il analyse
également tous
les « points chauds »
de la planète,
région par région.
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ISSN : 0996-6994 Février 2016 SCIENCES HUMAINES 3
Un encart National Geographic est posé sur une partie des N° 278
abonnés France.
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éditorial
reconnaissance et de notoriété est le produit œuvres, à réaliser des exploits de toute sorte, à
d’une époque narcissique. Qu’elle est un effet rechercher la gloire universelle. Il se
pervers des réseaux sociaux qui poussent manifeste aussi à une plus petite échelle, celle
chacun à s’exposer et se croire important. Mais de sa communauté, son quartier, sa famille,
c’est confondre la cause et l’effet : à l’ère son école, sa bande ou son réseau d’amis. Il
d’Internet, nous restons des animaux sociaux pousse à se dépasser, mais il agit aussi comme
animés par une soif inextinguible de un puissant gardien de l’ordre : car la peur de
reconnaissance. voir sa réputation entachée, son image ternie
freine aussi bien des envies et des
« Moi aussi j’aimerais être dans le journal ardeurs.
quand je serais grande. » Vanitas, vanitas ! Le souci de la renommée
Il y a bien longtemps que des philosophes ont a pour effet de fausser le jugement. Les
vu dans cette quête l’un des mobiles les plus sages de l’Antiquité l’avaient bien compris.
puissants de l’existence. Dès que l’humain fit La « vaine gloire » ne recherche pas la vérité
société, « chacun commença à regarder les mais les louanges, pas le bonheur mais la
autres et à vouloir être regardé soi-même », écrit course aux honneurs.
Jean-Jacques Rousseau. Adam Smith, qui pense « Moi aussi, je voudrais être dans le journal
que la soif de reconnaissance est « le désir le plus quand je serais grande ». n
ardent de l’âme humaine », en souligne aussi les Jean-François Dortier
(1) ifop, Observatoire européen de l’infidélité, « Enquête sur les perceptions et les
comportements des Européens en matière d’aventures extraconjugales »,
n° 111730, 26 février 2014. Chère lectrice
Le numérique, comme vous le soulignez, n’a pas fait la
preuve par neuf de son efficacité scolaire. Le sentiment de
retard vient du fait qu’aujourd’hui, comme le notait André
Le numérique, pas fantastique ? Tricot dans nos colonnes, « il y a plus d’ordinateurs à la
À propos de « 25 % des enseignants français… », Diane maison qu’à l’école, alors que l’école doit former les futurs
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Galbaud, n° 275, novembre 2015. citoyens d’une société où les ordinateurs seront partout ».
Mais il signalait aussi qu’il y a moins de téléviseurs dans
Je lis dans votre numéro 275 que « 25 % des les classes que dans les logements familiaux, sans que
enseignants français, seulement, déclarent utiliser personne s’en inquiète. Sciences Humaines a plus d’une
fréquemment les technologies de l’information et de fois publié à ce propos des auteurs qui soulignaient le
la communication ». Vous évoquez ensuite l’existence fait que le problème n’était pas technologique, mais
d’un « frein », d’un « obstacle » pour expliquer ce chiffre pédagogique. Je me permets de vous les signaler :
dont il est implicitement admis qu’il est trop bas. Ce « École numérique, de quoi parle-t-on ? », A. Tricot, n° 252,
n’est pas la première fois que votre magazine relate octobre 2013, « Contre le colonialisme numérique »,
semblable étude, menant à une analyse similaire (voir Roberto Casati (compte-rendu), n° 254, décembre 2013,
« Le numérique va-t-il bouleverser l’école ? », Martine « La révolution numérique aura-t-elle lieu ? », Emmanuel
Fournier, n° 216, juin 2010). Il serait légitime de rappeler Davidenkoff, n° 263, décembre 2014. Enfin, l’article que
que cette analyse, menée sur le ton de la complainte et vous nous rappelez, celui de Martine Fournier, s’achevait
du regret, part d’un postulat qui n’engage que celui qui par : « Gardons-nous de voir le numérique comme
l’endosse, à savoir que le numérique ferait progresser les fantastique. » N. J.
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psychologie
attention fragiles !
de pouvoir comparer différentes généra-
tions au même âge puisqu’il a été déve-
loppé dans les années 1930 par l’armée
américaine pour le dépistage des jeunes
recrues. Or, comme ce test continue à
Dans son dernier livre, le psychiatre David Gourion être très largement utilisé aujourd’hui, les
mêmes questions ont donc été posées à
s’inquiète de la faible prise en charge du mal-être des dizaines de milliers de jeunes, évalués
des jeunes. Comment prévenir la souffrance psychique à 20 ans. Très clairement, les scores de
dépression ont augmenté, ainsi que les
chez les 15-30 ans ? scores de la psychopathie, c’est-à-dire
l’absence d’empathie, l’impulsivité et un
rEncontrE AVEc nières années, les tentatives de suicide faible sens moral.
DAViD Gourion et l’isolement semblent en augmentation
chez les adolescents, la dépression tou- Quelles sont les raisons de ce
cherait 7 % des garçons et près de 17 % mal-être croissant selon vous ?
des filles dans cette tranche d’âge (1) . Notre environnement et nos habitudes de
Assiste-t-on donc à une progression du vie ont considérablement évolué au cours
mal-être chez les jeunes ? C’est ce qu’af- des dernières décennies. On estime
firme David Gourion, qui tire la sonnette par exemple aujourd’hui que seuls 30 à
d’alarme. 40 % des jeunes Occidentaux ont une
activité physique régulière et suffisante.
Vous affirmez que 25 % des jeunes Or, on sait que l’exercice physique a des
entre 15 et 30 ans seraient concernés effets très bénéfiques sur la régulation du
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par un trouble psychique. Est-ce que stress. Avec les aliments industrialisés, la
les jeunes d’aujourd’hui souffrent plus consommation de sucres rapides et de
que ceux d’hier ? graisses saturées a beaucoup augmenté,
D’un côté, certaines études suggèrent ce qui a un impact négatif sur la neuro-
DR
que l’autisme, les troubles bipolaires, genèse, c’est-à-dire la capacité qu’ont les
Psychiatre, ancien chef de les troubles anxieux et la dépression ont cellules du cerveau à se renouveler. On a
clinique à Sainte-Anne, il vient de beaucoup augmenté en l’espace de trente également beaucoup décalé nos rythmes
publier La Fragilité psychique des ans chez les jeunes. De l’autre, certains sociaux : les jeunes adultes se couchent de
pensent qu’il n’y en a pas plus, mais qu’on plus en plus tard, si bien que leur temps de
jeunes adultes. 15-30 ans :
les diagnostique trop facilement, sous sommeil moyen s’est réduit d’une à deux
prévenir, aider, accompagner,
l’influence de l’industrie pharmaceutique heures par nuit en l’espace de vingt ans.
Odile Jacob, 2015. qui chercherait à commercialiser le plus Enfin, la pression sociale s’est renforcée
de psychotropes possible. Sans entrer avec l’augmentation drastique du chômage
dans les querelles d’experts, je pense que chez les jeunes. À cela, il faut ajouter les
C
ertes, la plupart des jeunes se certains troubles sont en nette en aug- problèmes croissants de solitude dans les
portent bien ; un récent sondage mentation, principalement les addictions. grandes villes, aggravés par les cyberad-
d’OpinionWay indique que 69 % La consommation d’alcool et de cannabis dictions dans lesquels se réfugient beau-
des moins de 26 ans se disent optimistes est de plus en plus précoce et fréquente, coup de jeunes désociabilisés.
quant à leur avenir. Mais pour une part y compris chez les filles ; les pathologies
non négligeable d’entre eux existe un réel liées au stress, comme l’anxiété, la dépres- Dans votre livre, vous soutenez
mal de vivre. La consommation d’alcool et sion et les troubles du comportement ali- également que le cerveau des jeunes
de psychotropes s’est aggravée ces der- mentaire également. Dans mon livre, je cite est particulièrement vulnérable.
Pourtant, c’est aussi l’âge auquel notre souffrance ne reçoivent aucune aide. une phrase comme : « J’ai eu l’impression
esprit est le plus vif… comment y remédier ? que tu étais plus fatigué(e) ou triste que
Il est vrai qu’entre 15 et 30 ans, on a les Les problématiques de la souffrance psy- d’habitude… » Cette question permet d’ou-
plus hautes performances cognitives. chique restent encore aujourd’hui un peu vrir une première fenêtre de parole. Ensuite,
Mais dans le même temps, pendant cette taboues en France. Au fil des quarante on peut devenir plus précis, en demandant
période, le système neuronal est complè- dernières années, on a réussi à baisser par exemple : « Est-ce que tu arrives quand
tement réorganisé, justement pour gagner drastiquement le nombre de morts sur même à t’en sortir, à travailler, à faire les
en performance. 30 à 40 % des cellules les routes. Dans le même temps, le taux choses que tu aimes bien d’habitude, à
du cortex cérébral sont éliminées, ce qui de suicides a augmenté de 25 %. C’est t’amuser et à voir tes amis ? » Cette deu-
permet d’optimiser les réseaux neuronaux. aujourd’hui la première cause de mortalité xième question permet d’évaluer l’impact
Parfois, cette destruction neuronale se des 15-30 ans. Or, le budget consacré à la du mal-être. Une souffrance que l’on arrive
fait trop vite ou va trop loin, ce qui peut prévention du suicide en France ne repré- à gérer est de l’ordre d’une déprime pas-
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être le cas lorsqu’on est soumis à un sente que 1 % de celui dépensé pour lutter sagère, une souffrance dépressive avérée
stress intense, un traumatisme ou si l’on contre la mortalité routière. Il faut que l’on envahit tout et empêche de fonctionner
consomme des substances toxiques en se réveille ! En Australie, les psys vont à la normalement dans la vie. Si le mal-être
grande quantité, comme le cannabis. À ce rencontre des jeunes dans leurs lieux de vie, semble profond, il ne faut surtout pas hési-
moment-là, les performances cognitives par exemple des cafés dédiés, pour faire de ter à poser la question cruciale qui permet
peuvent chuter. Consommer du cannabis la prévention. L’idée, c’est de ne pas arriver de s’assurer qu’il n’y a pas de risque de
quotidiennement avant l’âge de 15 ans après la bataille, une fois que la souffrance passage à l’acte : « Est-ce que tu souffres
peut entraîner des dégâts irréversibles. psychique est déjà bien installée. L’inter- au point d’avoir envisagé de mourir ? »
Dans la mesure où 80 % des troubles psy- vention précoce porte ses fruits. Plus on Cette question va déterminer la dimen-
chiques se déclarent entre 15 et 25ans, si attend, plus les petits symptômes risquent sion d’urgence et d’intensité du mal-être.
l’on passe le cap de la trentaine sans avoir de devenir de grandes souffrances. Lorsque les jeunes ont réellement des pen-
déclenché de trouble, il y a relativement sées suicidaires, leur poser la question les
peu de risques d’en développer après. Vous dites qu’il suffit de trois soulage, car ils ont l’impression qu’enfin,
J’ai donc un message à faire passer aux questions simples pour détecter un quelqu’un comprend leur souffrance. Dans
jeunes : protégez votre cerveau, surtout risque de dépression. ce cas, il est important de leur renvoyer que
si vous êtes un peu sensibles sur le plan Les gens ont souvent l’impression qu’il ce type de questionnements récurrents
émotionnel et si des membres de votre est très compliqué de parler de la souf- n’est jamais anodin et de leur conseiller de
famille ont souffert de troubles psychiques. france psychique. Je propose d’aborder les consulter rapidement un spécialiste. n
choses très simplement par trois questions ProPos reCueiLLis Par MarC oLano
Vous déplorez le manque d’informations que tout un chacun peut poser à un ami, (1) consulter http://presse-inserm.fr/wp-content/
sur les troubles psychiques en France. un collègue ou son enfant qui va mal. On uploads/2015/03/Portraits-dadolescents-
D’après vous, 75 % des jeunes en peut ouvrir le dialogue simplement avec mars-2015-1.pdf
éDUcATioN
psychologie
com m U NicATioN
C onnaissez-vous le phub-
bing ? Ce terme, né de la
contraction des mots anglais
Quand ça se passe au sein d’un
couple, ça peut faire des étin-
celles. Imaginez : vous rentrez
sant du temps avec son parte-
naire. Puis les chercheurs ont
interrogé 145 adultes en couple
s’essouffle. n M.o.
phone (téléphone) et snub (sno- chez vous après une journée de pour connaître les incidences
ber), décrit une méchante habi- travail difficile et vous avez envie de tels comportements sur la vie James roberts et Meredith David,
« My life has become a major distraction
tude, devenue fréquente, qui de la partager avec votre parte- commune. Comme on pouvait
from my cell phone. Partner phubbing
consiste à regarder son télé- naire. Pendant que vous lui s’y attendre, le phubbing a ten- and relationship satisfaction among
phone portable pendant qu’une racontez vos soucis, vous le (la) dance à renforcer les tensions romantic partners », Computers in
autre personne vous parle. surprenez en train de sourire à au sein du couple, et ce plus Human Behavior, n° 54, janvier 2016.
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iNTer NATioNA l
L es attentats du 13 novembre
dernier à Paris sont les plus
meurtriers que la France ait
facteurs sont mis en exergue :
longue histoire de conflits
armés dans le pays, corruption
Afolabi Sotunde/Reuters
Depuis quinze ans, si l’on met qui a prêté allégeance à l’État l’échelle du globe. En 2014, le taux les plus élevés de réfugiés
à part les attentats du 11 sep- islamique en mars 2015, est le nombre de morts a augmenté et de déplacements internes. Il
tembre 2001, les actes com- groupe ayant fait le plus de de 84 % atteignant le plus haut existe donc une forte interdé-
mis dans les pays occidentaux victimes. Cette organisation niveau jamais enregistré, soit pendance entre la crise des
ne représentent que 0,5 % des agit principalement au Nigeria. 32 658 décès. Le terrorisme réfugiés actuelle, le terrorisme
victimes du terrorisme dans le Ce pays a connu la plus forte s’étend par ailleurs à de nou- et les conflits. Le terrorisme a
veaux pays. Une soixantaine également un coût écono-
comment définir le terrorisme ? d’États relèvent au moins une mique. L’IEP estime qu’il « est
victime et 11 ont enregistré de près de 53 milliards de dol-
scieNce poliTiQUe
Comprendre l’humain et la société
De l’art de convaincre
ses adversaires en politique
n ous n’utilisons pas les bons arguments pour
convaincre nos adversaires politiques. c’est en tout
NUMÉRO ANN VERSAIRE
cas la conclusion d’une étude menée par des Pour une meilleure
sociologues de l’université de Stanford. Les chercheurs
intelligence du monde
ont réalisé une série de six tests auprès de
1 322 sujets. ils ont demandé par exemple à
1990-2015
93 électeurs de gauche (libéraux) d’écrire un TABLEAU D’UNE ÉPOQUE
argumentaire pour convaincre les conservateurs
d’accorder une couverture maladie universelle. De leur
côté, 84 militants conservateurs devaient convaincre
les libéraux d’engager des dépenses militaires
supplémentaires. résultat : les sujets de l’étude
cherchent davantage à défendre leurs valeurs qu’à
mettre en contradiction celles de leur adversaire.
À peine un tiers des libéraux ont rédigé des arguments
pour démonter l’opinion des conservateurs et 14 % de
ces derniers ont opté pour cette démarche avec les
militants de gauche. or, les individus sont davantage
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géogr Aphie
A lim eNTATioN
Steak-frites ou caviar ?
L’ art culinaire à la française a
encore une longue vie devant
de l’élite, centrées sur un dis-
cours savant autour de l’aliment,
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lui. Une enquête menée par l’Inra et dont les préoccupations sont
auprès de cinq classes pari- davantage nutritionnelles que
siennes de CM2 et de 6e montre culinaires. Toutefois, les résultats
que les enfants issus de familles montrent que le modèle du
populaires françaises comme repas familial tend à perdurer
ceux de classes moyennes pri- quelle que soit l’origine sociale :
vilégient les plats typiquement « Le caractère commensal (c.-à-
français, reproduisant ainsi les d. de partage) des repas reste
modèles familiaux dans lesquels inchangé, tout comme leur
ils évoluent. À l’opposé, les rythme, calé sur des créneaux
Dreamstime
sociologie
Stokkete/Fotolia
tente de dresser le portrait 45 % des sondés confient avoir
des spectateurs des concerts découvert les concerts à l’âge
symphoniques. L’étude a été adulte, dont 12 % par le biais de
réalisée auprès du public de leurs enfants, ce que l’on appelle
13 orchestres et de la salle Pleyel une « socialisation secondaire
durant la saison 2013-2014 avec inversée ». « On peut embrasser 2008. L’AFC en conclut que « le l’âge ne se vérifie plus. Les
plus de 11 000 réponses. Elle a une carrière de spectateur à tout phénomène de vieillissement du seniors restent surtout fidèles
été commandée par l’Associa- âge », estime l’AFC. L’enquête public n’est pas aujourd’hui plus à leurs habitudes musicales
tion française des orchestres pointe qu’une diversité sociale affirmé que depuis le début des acquises dès l’enfance. n f.G.
(AFC) qui cherchait à casser plus grande que la moyenne années 1980 ». En février 2015,
l’image d’un loisir réservé à une nationale s’accompagne d’une le sociologue Stéphane Dorin
clientèle élitiste et fortunée. De moyenne d’âge plus élevée. À a présenté lors d’un colloque Xavier Zunigo et Loup Wolff, « Quand
fait, plus de la moitié des spec- l’inverse, un public rajeuni (moins international une étude des le public en cache un autre. Enquête
nationale sur les publics de l’orchestre »,
tateurs ont un statut de cadres de 59 ans) est davantage issu publics du classique mais son
AFC, 2015.
ou assimilés (chefs d’entreprise, des catégories sociales supé- interprétation diffère. Pour lui, la
Stéphane Dorin, « La musique
indépendant), 23 % exercent rieures. La moyenne d’âge des théorie du cycle de vie qui veut classique et ses publics à l’ère
une profession intermédiaire spectateurs est de 54 ans contre que les spectateurs s’orientent numérique », colloque international,
(professeurs des écoles, infir- 41 ans en 1981 et 51 ans en vers le concert en prenant de Paris, 4-6 février 2015.
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L’Europe face
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aux migrants
Des réfugiés et des migrants, venus d’Afrique, du Moyen-Orient
et d’Afghanistan, arrivent en Europe depuis quelques années.
Ces centaines de milliers de gens posent un redoutable défi aux pays européens.
Les États et les citoyens ont jusque-là réagi de façon très contrastée :
de la main tendue à la porte close.
Régis MeyRan
août : 88 000 en Grèce (des Syriens sur- Quelque 4 millions se sont d’abord réfu- elles mènent des raids dans le nord, pre-
tout), 52 000 en Hongrie (venant essen- giés au Liban, en Jordanie, en Turquie et nant temporairement la ville de Kunduz.
tiellement de Serbie), 13 000 en Italie en Irak. Parmi eux, plus de 300 000 ont Pour ajouter aux malheurs des Afghans,
(provenant d’Érythrée ou d’Afrique choisi l’Europe pour destination : d’abord Daesh a lancé une offensive en Afgha-
subsaharienne). Un bon tiers d’entre parce que leur premier lieu d’accueil les nistan contre les talibans. Pour toutes
eux viennent de Syrie, un pays soumis à rejette ou ne les intègre pas et les main- ces raisons, de nombreux Afghans choi-
de multiples conflits enchevêtrés les uns tient dans des camps, ensuite parce sissent la route de l’exil.
dans les autres, et dont plusieurs zones qu’ils espèrent trouver en Europe soins
sont contrôlées par Daesh. Suivent des de santé, aide alimentaire, accès au mar- l Réfugiés du Kosovo
ressortissants du Kosovo, de l’Afgha- ché du travail et à l’éducation. Depuis quelques années, de plus en plus
nistan, d’Érythrée ou du Nigeria… Ils de familles quittent le Kosovo pour la
sont arrivés aux frontières de l’espace l Réfugiés d’Érythrée Hongrie, l’Allemagne, l’Autriche ou la
Schengen : en Grèce et en Bulgarie puis, L’Érythrée est l’une des pires dictatures France. Le pays, indépendant depuis
visant l’Europe occidentale, ils sont du continent africain. Depuis l’indépen- 2008, garde une souveraineté limi-
passés en Croatie ou en Serbie, en Hon- dance du pays (1993), le pays est dirigé tée et se trouve partiellement dirigé,
grie, en Autriche. Leurs eldorados sont par Issayas Afeworki, ancien héros de en matière de police et de justice, par
l’Allemagne et la Suède, à cause de leur la guerre contre l’Éthiopie. Ce pays de l’Otan et l’Union européenne. Mais le
haut pourcentage de régularisation, et 5 millions d’habitants, très pauvre, qui clientélisme, la corruption, la faillite du
le Royaume-Uni, pour les possibilités bénéficie d’appuis financiers provenant système judiciaire et le crime organisé
de travail. Cette masse de migrants du Qatar, n’a ni constitution, ni presse contribuent grandement à déstabiliser
arrivant par route ou par mer, dans libre, ni opposition politique ; il est dirigé le pays, qui se vide de plus en plus de ses
des embarcations de fortune, rappelle par un parti unique, le Front populaire habitants. n
Dominik Butzmann/Laif/Rea
distingue donc deux périodes : la période
des années 1950 jusqu’à la fin des
années 1970 qu’elle nomme le « temps
des réfugiés », puisque c’est ainsi que les
requérants sont désignés avant même
Arrivée de réfugiés syriens et afghans sur l’île allemande Borkum en octobre 2015. d’obtenir le statut. L’activité de l’Ofpra
est alors fortement orientée vers l’aide
tante des accords donnés : ceux-ci sont tion ne peut être considérée comme un vise désormais à sélectionner les « vrais »
passés de plus de 90 % des demandes texte neutre qui serait applicable de façon réfugiés. Avec, en parallèle, l’évolution
à la fin des années 1970 à moins de objective si tant est que les institutions du profil des agents, aux profils moins
10 % au début des années 1990. D’où chargées de le faire soient indépendantes ». militants, plutôt d’origine française, plus
un certain nombre de critiques. Pour Pas plus aujourd’hui que dans le passé. diplômés, plus jeunes, qui ressemblent
certains, cela s’explique par un nouveau de plus en plus aux agents des autres
contexte historique : le temps est fini de Du réfugié au demandeur administrations. Ces agents ont ten-
la guerre froide où les menaces person- d’asile dance à naturaliser la catégorie de réfu-
nelles de persécution donnaient sens à La notion de réfugié a évolué au fil du gié en s’attachant à distinguer les « vrais »
la convention de Genève. Désormais, temps au gré des priorités politiques. des « faux ». D’où leur souffrance : s’ils se
les demandeurs d’asile fuient davantage En pleine guerre froide, la convention perçoivent comme des défenseurs du
des conflits ethniques et généralisés. de Genève met au cœur de sa défini- droit d’asile et si c’est bien le fait d’accor-
Mais d’autres remettent en question la tion la liberté politique, valorisée par les der le statut de réfugié qui donne sens
manière dont le statut serait aujourd’hui régimes occidentaux, au détriment des à leur métier, leur quotidien est surtout
subordonné aux politiques migratoires inégalités socioéconomiques, dénon- marqué par les refus qu’ils opposent. n
et au contexte de crise économique, cées par les États socialistes. C’est donc CatheRine halpeRn
contrairement aux années 1950-1970, la figure du dissident de l’Est qui devient
perçu alors comme un âge d’or. le modèle type du « bon réfugié » et qui Pour aller plus loin
• « Pour une histoire sociale de l’asile politique en
La sociologue Karen Akoka, maître de permet de discréditer les régimes com-
France » Karen Akoka et Alexis Spire, Pouvoirs,
conférences à l’université de Paris-X, munistes. Force est de constater que les n° 144, 2013/1.
renvoie dos à dos ces deux approches. Polonais, Russes ou Hongrois obtiennent • « L’archétype rêvé du réfugié »
Se basant notamment sur un travail de manière quasi automatique le statut Karen Akoka, Plein droit, n° 90, 2011/3.
PrOFIL
travail à l’hôpital Bichat, il fut saisi par l’état défavorisées : des employés de restaurant
PatriCk
de délabrement du camp de la porte de Saint- notamment, et beaucoup d’hommes seuls.
BOuffard
Médecin
Ouen, le plus grand de la capitale. Alors Ils venaient d’Espagne et étaient passés avant
engagé. qu’aucune association militante, humanitaire ni par la Libye où ils avaient été maltraités, puis par
politique n’était présente, il constate qu’une des camps situés en Tunisie. D’autres étaient
épidémie de gale était en train de se répandre passés par l’Italie et la Grèce avant d’aller dans
dans ce lieu dépourvu d’une quelconque norme les pays des Balkans, puis en Allemagne.
d’hygiène, affectant des enfants et des femmes Ils se regroupaient par zone géographique
enceintes. Il décide alors de soigner d’origine, voire par village, et aussi par
bénévolement les migrants et d’alerter les appartenance politique – car certains
pouvoirs publics. Il nous raconte son expérience. soutiennent Bachar el-Assad, d’autres non.
Campement de « Le camp de la porte de Saint-Ouen est devenu Bien entendu, la majeure partie d’entre eux
réfugiés syriens un point de ralliement connu dans les réseaux fuyaient la guerre. En attendant de voir leur
à la porte de de migrants, jusqu’en Turquie. Le nombre de demande de droit d’asile aboutir, l’État leur verse
Saint-Ouen en
octobre 2015. personnes a progressivement augmenté, il a en principe une petite allocation mensuelle, mais
comme beaucoup d’entre eux ne savent pas
faire valoir leurs droits, pratiquement ils ne
touchent rien, et sont à la rue. En outre, pendant
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combien de temps ?
« À terme, beaucoup de ces migrants risquent
de basculer dans la mendicité », nous confie-t-il,
amer. n R.M.
lequel joue sur le type d’emploi occupé. récent. Il s’agit là d’un renversement provenance d’un nombre précis de
Les immigrés, moins qualifiés, sont plus de situation historique, puisque la pôles (Afrique du Nord, Égypte…).
nombreux dans le travail en intérim, Chine était essentiellement, depuis le Aujourd’hui, pratiquement tous les
et dans les emplois plus exposés à la 17e siècle, un pays d’émigration, vers pays du monde participent de ce
conjoncture économique. On observe l’Asie ou l’Amérique du Nord – d’où système migratoire mondial.
toutefois une montée du niveau de qua- l’existence d’importantes diasporas Par exemple, les migrants venant des
lification au sein des dernières vagues chinoises dans de nombreux endroits pays de l’ex-Asie russe (Tadjikistan,
d’immigrés, mais les effets de concur- du monde. Mais, depuis le milieu des Kazakhstan, etc.) continuent à se
rence restent négligeables. N’oublions années 1990, avec l’ouverture diriger vers la Russie, mais de plus en
pas que l’immigration à vocation profes- économique du régime chinois au plus vers la Chine ou la Corée du Sud,
sionnelle ne représente qu’une fraction marché mondial et le développement ou encore l’Amérique du Nord. n
du taux net d’immigration, lui-même de son marché intérieur, de nouvelles pRopos ReCueillis paR R.M.
déjà très faible. À titre d’exemple, sur les
190 000 personnes entrées en 2013, envi-
ron 40 000 étaient des étudiants. minante quand on cherche à expliquer sons, le taux de chômage des immigrés
le déficit public en France. La population est plus de deux fois supérieur à celui
Le coût de l’immigration pour l’État est en moyenne plus jeune que la popu- des populations autochtones. C’est pour
est-il prohibitif, comme on l’entend lation autochtone, et essentiellement cela aussi que l’on trouve les immigrés
dire souvent (notamment en matière regroupée dans les catégories d’âge surreprésentés dans un certain nombre
d’allocations diverses) ? actives. Elle est moins qualifiée et ren- de branches de la protection sociale
Pour un économiste, il est clair que l’im- contre des difficultés d’intégration sur (aides au logement, prise en charge du
migration n’est pas une variable déter- le marché du travail. Pour toutes ces rai- chômage, aides à la famille, RSA, etc.).
Mais n’oublions pas qu’il existe d’autres être employés, ils ne font pas des car- (CSG, TVA, impôt sur le revenu, etc.),
branches de la protection sociale, rières complètes : donc le volume des on arrive globalement à l’équilibre : ils
comme celles ayant trait à la retraite dépenses liées à leurs retraites ou à leur ne coûtent rien, et ne rapportent pas
ou à la santé. Or, dans celles-ci, les santé au travail est plus faible. Quand d’argent à l’État. n
immigrés sont très nettement sous- on fait le calcul de ce que les immigrés pRopos ReCueillis paR R.M
représentés. Ils sont plus jeunes (donc coûtent à l’État dans les différentes
coûtent moins cher que les autres en branches et en tenant compte des diffé- (1) C’est-à-dire la différence entre le nombre de
matière de retraite) et, ayant du mal à rentes cotisations qu’ils peuvent verser personnes entrantes et sortantes du pays.
DOSSIER
Les lois de
la réputation
De la reconnaissance
à la notoriété
Dossier coorDonné par nicolas Journet
É
loges, critiques, opinions et épithètes,
récits et anecdotes : tout ce que l’on dit
de vous lorsque vous êtes absent
contient l’embryon d’une réputation. Si
elle se fixe et se partage dans un réseau
de collègues, de voisins ou de relations, ce sera cette
image qu’un inconnu, même sans vous rencontrer,
aura de vous. Aujourd’hui, cet objet difficile à
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M
Nicolas JourNet
ême si, en 1952, George Pourquoi ? Certains auteurs ont incri-
Brassens dénonçait encore miné la fragilité des communications
sa propre réputation, on tile des « dispositifs réputationnels » interpersonnelles. Mais d’autres, comme
croyait la notion mori- jamais inventés. Les acteurs du Web Robin Dunbar (4) et Diego Gambetta (5),
bonde, réduite au silence par la dispari- n’ont pas attendu : ils ont mis au point des ont défendu une explication différente :
tion des veillées paysannes et des salons instruments de mesure quantitative et le commérage, expliquent-ils, ne sert
bavards que décrivait Marcel Proust au qualitative de l’impact de n’importe pas tant à transmettre des informations
début de ce siècle. Les conditions de la quelle page. Créer et surveiller les répu- qu’à « se faire des amis ». Et on se fait des
vie urbaine, l’isolement et l’anonymat tations numériques est aujourd’hui une amis en tombant d’accord sur le compte
décrits en 1938 par le sociologue Louis industrie qui remet sur le devant de la d’un tiers : chacun ajuste son jugement
Wirth (1) semblaient avoir mis un terme à scène une notion qui semblait un peu à celui de l’interlocuteur, dans un sens
la vie des réputations personnelles fabri- blette. De la simple rumeur à la notation négatif ou positif, afin de lui plaire. D’où
quées par le bouche à oreille. Force est de des États, en passant par le classement résultent, suggère la philosophe Gloria
constater qu’il n’en est rien. D’abord des blogs, la e-reputation désigne, pour Origgi, les déformations dues à cet excès
parce que, comme le relève le psycho- les sociologues du Web, tous les juge- de politesse (6).
logue Nicholas Emler (2), des « commu- ments partagés sur un tiers, qu’ils soient Pour le sociologue, ces défauts peuvent
nautés d’individus qui se connaissent formalisés ou non, fondés sur l’expé- ne pas compter beaucoup. La réputation
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survivent au cœur même des grandes rience ou non. est ce qu’elle est : une croyance douteuse,
villes industrielles ». La réputation est une mais assurément partagée. Deux ques-
source d’information sans doute peu Une croyance dangereuse, tions l’intéressent en particulier : à quoi
fiable, mais très courante pour pallier le mais partagée sert-elle ? Par qui et comment est-elle
manque d’expérience. Tout le monde Pour le psychologue, la réputation pose fabriquée ?
consulte ses amis pour trouver le « bon » deux ou trois problèmes. D’abord, elle est La théorie des transactions considère que
médecin ou le « bon » dentiste. Et plus réductrice. L’acteur Niels Arestrup, bien la réputation sert d’abord à réduire l’incer-
encore, l’explosion de la consommation que très apprécié, a eu à s’en plaindre. titude sur un bien ou une personne. Pour
de masse a mis à notre disposition une En 1983, il administre une authentique la signature d’un contrat, ou un échange
profusion de produits et de marques, sur claque à sa partenaire de scène, Isabelle marchand, la réputation est le curseur
lesquels il nous faut bien nous faire un Adjani, et récolte une image de « parte- de la confiance. Aussi, vais-je m’efforcer
avis. Pourquoi ne pas en parler à ses col- naire violent ». On lui confie donc des rôles de produire des signes de crédibilité, par
lègues ? Enfin, derniers en date, les de goujat ou d’irascible, qui la consolident. exemple en respectant les échéances. Je
réseaux numériques, nous ouvrent la Vingt-cinq ans plus tard, elle est encore peux compter qu’une transaction bien
porte d’un univers où toute proposition là : « J’ai tout essayé, dit-il, m’expliquer, menée servira d’information pour les sui-
peut être vue, commentée et évaluée par me taire, mais rien à faire, ça me colle à vantes : c’est ce que recherchent vendeurs
des milliers d’inconnus. L’internaute, en la peau (3). » L’« étiquetage », consistant à et acheteurs sur les sites de vente en ligne
s’exposant, est ainsi à même de se faire réduire une entité quelconque à un seul en se notant mutuellement. Ce condensé
des relations, des admirateurs ou des de ses caractères, est un biais constant d’expériences donne de la réputation une
détracteurs qui porteront éventuelle- des réputations. Leur autre défaut est définition plutôt étroite, à savoir : ce qui
ment très loin son nom. Internet est le un manque de fiabilité, une tendance à permet de réduire le risque économique.
plus ouvert, le plus vaste et le plus versa- l’imprécision, parfois même à la gratuité. Mais d’autres besoins ou désirs peuvent
être concernés : aussi bien le désir de scientifique est mesurée en termes de pres- de corruption. L’aura d’une star rivalise
reconnaissance que la recherche d’un tige et d’impact », à l’aide d’outils sophisti- désormais avec la viralité de commen-
« capital social » font appel aux ressorts qués (p. 38). Le prestige est celui des lieux taires numériques. À l’assertion « George
de la notation mutuelle sur les réseaux où le nom est cité, l’impact est celui du Clooney aime Nespresso, ça ne doit pas
sociaux. nombre de fois qu’il l’est. être mauvais », on peut comparer « tous
« Être vu » est un autre ressort de répu- mes amis Facebook likent le dernier Fred
Étiqueter, labelliser, classer, tation. C’est celui de la célébrité, selon la Vargas, je vais voir ça ». Quant au « pot-
« médailler »… sociologue Nathalie Heinich. Il est mis en de-vin » corrupteur, on peut le comparer
En partie, donc, les réputations résultent œuvre, de manière systématique, dans aujourd’hui au « je te like si tu me likes ». n
des conduites des acteurs et des signaux l’espace du numérique : selon le page
qu’ils donnent. Mais ils n’en sont pas les ranking de Google, plus votre page a été
seuls producteurs. Il est clair que les répu- vue et relayée, plus elle sera en tête de (1) Louis Wirth, « Urbanism as way of life », American
tations sont aussi forgées par ceux qui les liste, surtout si ceux qui vous ont vu ont Journal of Sociology, vol. XLIV, n° 1, juillet 1938.
(2) Nicholas Emler, « La réputation comme instrument
diffusent. Pour G. Origgi, la question est été eux-mêmes beaucoup vus. C’est une
social », Communications, n° 93, 2013/2.
de comprendre pourquoi et comment forme hyperbolique du « ne prêter qu’aux (3) Sabrina Champenois, « Laissez-moi tranquille.
fonctionnent les « dispositifs » spéciale- riches » (appelé aussi « effet Matthieu »). Portrait de Niels Arestrup », Libération, 10 avril 2007.
ment dédiés à cette tâche. Elle en donne Les gagnants à ce jeu sont les plus vus. (4) Robin Dunbar, Grooming, Gossip and the
plusieurs exemples. Mais on peut se faire remarquer pour Evolution of Language, Harvard University Press, 1997.
(5) Diego Ganbetta, « Godfather’s gossip », European
Dans les milieux académiques, le princi- des raisons peu honorables : un défaut,
Journal of Sociology, vol. XXXV, n° 2, novembre 1994.
pal mécanisme est celui de la citation : en un mensonge ou un abus de langage… (6) Gloria Origgi, « Un certain regard. Pour une
science, écrit-elle, « survivent ceux dont le S’ouvre alors le chapitre des bad buzz, épistémologie de la réputation », Communications,
nom est le plus souvent cité. La réputation épée de Damoclès des marques com- n° 93, op. cit.
L’âge du
strip-tease numérique
Avec Internet, nous rendons visible aux autres ce qui jadis
restait intime ou insignifiant. Non sans risque pour son image,
notamment chez les novices du Web.
Serge TiSSeron
I
nternet a transformé la manière Docteur en psychologie, psychiatre et
dont nous nous présentons aux psychanalyste, auteur de nombreux ouvrages rumeurs… La crainte que personne ne
dont 3-6-9-12. Apprivoiser les écrans et
autres. Pour exister socialement, grandir, Érès, 2013.
s’intéresse à ce que l’on dit amène par-
chacun est amené à révéler non seu- fois à attaquer plus grand que soi dans
lement les détails de sa vie privée, tels l’espoir de susciter du buzz…
que ses activités de loisirs, ses achats, risque de l’outrance ; et le second est de
mais aussi des éléments de sa vie intime répéter à l’infini ce qui a permis un temps Menaces sur la e-reputation
tels que ses opinions, ses goûts, ses ami- de gagner en visibilité. Bref, si Internet n’a pas inventé les ragots,
tiés… Et il s’y ajoute tout ce que les autres Cette recherche de visibilité prend sur les il leur donne une dimension inconnue
disent et montrent de lui et qu’il ignore le réseaux sociaux la forme de la course aux jusqu’ici. Le fait que nous soyons privés
plus souvent. À tel point que l’identité « like ». Il ne s’agit plus d’échanger les der- d’indices visuels sur la manière dont nos
réelle se double désormais d’une identité niers potins à la mode, mais de vérifier interlocuteurs accueillent nos propos
numérique, et que la réputation dans que l’on est plus visible que les autres, à majore les angoisses d’envahissement,
l’espace des relations directes se double commencer par les camarades que l’on de morcellement, voire de persécution, et
d’une réputation en ligne. connaît. Le risque est de s’y caricaturer provoque des excès en retour. Les affron-
soi-même, notamment en se présentant tements verbaux y sont vite paroxys-
Du désir d’extimité plus agressif ou désespéré qu’en réalité… tiques (2) et les attaques personnelles sont
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aller sans l’autre. Internet est une médaille identités et les images que nous y ren- trouve peut être sujet à caution.
à deux faces ; la seule façon d’échapper controns sont des reflets de désirs. Mais 4. Internet seul à partir de 12 ans, avec
aux angoisses persécutrices est d’accepter à la différence de nos rêves, ces désirs ne prudence, en définissant avec l’enfant
que la manière dont je me montre n’est ni sont pas seulement les nôtres et du coup, des règles d’usage, en convenant
plus ni moins vraie que la manière dont comme dans la vraie vie, nous pouvons d’horaires prédéfinis, en mettant en
les autres me voient. Je suis à la fois char- entrer en contact avec de vrais gens place un contrôle parental… n S.T.
mant tel que me décrit une communauté, et communiquer réellement avec eux,
et exécrable tel que me décrit une autre. même si c’est bien différent de ce qui se
Notre identité mène sa vie propre sur passe dans la vraie vie. mations qui peuvent permettre à ceux
Internet, et il en est de même de l’identité Face à cette complexité, il est essen- qui les recueillent de nous manipuler,
des groupes et des entreprises. tiel d’aider les enfants à comprendre voire de limiter nos libertés (3). Les tech-
le monde numérique, à en déjouer les nologies numériques, parce qu’elles sont
Internet, pièges, et à savoir s’y mettre en scène en invisibles, sont facilement ignorées. La
un troisième monde respectant à la fois le droit à l’intimité de réalité est que nous sommes tous en open
C’est pour quoi je propose d’envisager chacun et son droit à l’image. C’est tout space sans le savoir… n
Internet comme un troisième monde. le sens de l’éducation aux écrans qui se
Le premier est celui du monde phy- développe (encadré ci-contre). Mais cela (1) Serge Tisseron, L’Intimité surexposée, Ramsay,
sique dans lequel nous communiquons ne doit pas nous faire perdre de vue ce 2001.
(2) On les appelle outre-Atlantique des flame wars, du
à visage découvert et avec une iden- qui est le plus problématique, à savoir
verbe anglais to flame qui signifie injurier, insulter.
tité désignée, en devant à tout moment l’omniscience même des réseaux : sur (3) Voir Dominique Cardon, À quoi rêvent les
tenir compte des réactions de nos divers Internet, des systèmes toujours plus algorithmes. Nos vies à l’heure des big data, Seuil,
interlocuteurs. Le second monde est puissants collectent sur nous des infor- 2015.
I
ls s’appellent Arctic Monkeys (groupe Sociologue, professeur associé à l’université d'ailleurs n’est qu’un effet secondaire
de rock), EnjoyPhoenix (maquillage de Marne-la-Vallée, membre du Centre de l’intense circulation des productions
d’études des mouvements sociaux, il a publié,
et cuisine), Natoo (vidéaste), Psy avec Fabien Granjon, Médiactivistes, nouv. éd.,
individuelles sur les plateformes commu-
(Gangnam Style), Norman (vidéaste), Presses de Sciences Po, 2013. nautaires du Web.
Squeezie et Cyprien (vidéastes). Nous ne Les trajectoires vers la célébrité numé-
les connaissons pas forcément mais, sur le rique empruntent des chemins variés,
Web, ce sont de véritables stars. Leurs ces internautes n’est pas de monter sur mais elles prennent toutes naissance
musiques, leurs vidéos, leurs tutoriels, scène ou de passer à la télé. La plupart dans l’écosystème réputationnel singu-
leurs sketchs recueillent chaque mois des créations numériques déposées sur lier qui s’est développé sur le Web (1). Les
plusieurs millions de vues. Si les grands les plateformes du Web sont amateurs qui affichent leurs ambitions
médias les ont longtemps ignorés et conti- animées par un désir de ne peuvent se voir reconnus que
nuent souvent de les mépriser, ces humo- réalisation de soi et de s’ils acceptent d’engager des
ristes, cuisinières, passionnés de mode ou reconnaissance qui interactions nombreuses
de produits de beauté ont acquis une doit d’abord se com- avec un large public. Les
incroyable popularité auprès des publics prend re com me plates-formes ont multi-
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de YouTube. De temps en temps, les une forme de socia- plié les outils destinés à
chaînes de télévision découvrent, en lisation des indivi- mesurer leur réputation.
mimant l’étonnement, la popularité sou- dus dans les univers Objets d’une attent ion
terraine et incroyablement fervente dont connectés. Ces acti- constante et quasi obses-
bénéficient ces stars du Web. Certaines v ités n’ont que très sionnelle, les compteurs
font des tournées, diffusent leurs produc- rarement la profession- dénombrent les « amis »,
tions et reçoivent de confortables revenus nalisation pour objectif. les commentaires, les vues,
de leur professionnalisation. Les succès Dans la cuisine, la brode-
de ces YouTubeurs accréditent l’idée que rie, la mode ou la photo,
Le YouTubeur Norman.
le Web est devenu un espace de visibilité la célébr ité
autonome offrant des trajectoires de
consécration différentes des mécanismes
habituels de révélation des talents.
duisent des classements qui permettent d’une grande attention au contenu, est YouTube et autres plates-formes permet
à chacun de se comparer aux autres. le principe d’une logique organisée de à une petite minorité d’humoristes de
Sur le Web, la réussite est inséparable renforcement mutuel de la réputation. perfectionner leur talent, d’accéder à des
d’un travail exigeant d’interaction avec Les plates-formes d’échanges de contenus ressources nécessaires à la professionna-
des semblables. Au moins autant qu’ils (textes, photos, musiques, vidéos, etc.) lisation de leur art et d’agréger par cercles
l’acquièrent par leur mérite, les créateurs sont le support de ce théâtre de signes concentriques de nouveaux publics. Sui-
amateurs fabriquent leur réputation. Ils dans lequel chacun cherche à attirer des vis par des millions de fans, ils témoignent
commencent par solliciter leurs commentaires élogieux et à élargir son du fait qu’il existe bel et bien sur le Web un
proches. C’est par le réseau réseau. espace qui identifie, reconnaît et consacre
social de proximité que les de nouveaux talents de manière tout à fait
commentaires et les relais Vers d’autres chemins de autonome, et souvent inespérée. n
s’accumulent. Mais la consé- reconnaissance
cration ne vient qu’après, Cette quête de réputation s’accompagne (1) Jean-Samuel Beuscart et Maxime Crépel,
« Les plates-formes d’autopublication artistique en
avec l’assentiment des autres d’une spécialisation. Les blogs de cuisine
ligne : quatre figures de l’engagement des amateurs
amateurs. S’organise alors généralistes deviennent des blogs de dans le Web 2.0 », in Wenceslas Lizé, Delphine
un jeu de signaux mutuels pâtisserie ou de sushi, les promoteurs Naudier et Séverine Sofio (dir.), Les Stratèges de la
dans lequel un contenu liké (voire de mode adoptent un style particulier notoriété. Intermédiaires et consécration dans les
commenté et partagé) par untel et deviennent très sélectifs, les humo- univers artistiques, Archives Contemporaines, 2014.
(2) Dominique Cardon, Guilhem Fouetillou et
appelle, presque automatique- ristes se distinguent par un code narratif
Camille Roth, « Topographie de la renommée en ligne.
ment, un jugement positif en particulier. Les communautés qui se Un modèle structurel des communautés thématiques
retour. Ce système d’ap- créent alors autour d’eux génèrent très du Web français et allemand », Réseaux, n° 188,
préciation mutuelle, qui rapidement des asymétries entre ceux 2014/6.
E
Directrice générale de MMC, conseil en crise
n 2014, Renault Belgique-Luxem- digitale et auteur de Very bad buzz. Méthode américaine avait déjà généré un bad buzz
bourg poste une vidéo promo- pour préserver sa réputation sur Internet, en déclarant : « Nous ne recrutons que
tionnelle sur Internet : une Eyrolles, 2015. de beaux vendeurs. Nous ne nous adres-
femme gare sa nouvelle Twingo sons qu’aux gens cool et beaux, et pas
sur un rond-point et, pour s’excuser, écrit aux autres. » Ces propos avaient laissé
un mot au rouge à lèvres sur un protège- lité, un bad buzz peut provoquer une crise des traces visibles encore sept ans plus
slip qu’elle glisse sous l’essuie-glace. Une médiatique capable de nuire à la dyna- tard sur Internet qui ont encore alourdi
voix off propose alors aux femmes de com- mique commerciale de l’entreprise, voire son « casier digital ». Ces déclarations
mander chez Renault des cartes d’excuses à son cours en Bourse. En 2011, il a suffi malheureuses ont fini par dégrader la
tout imprimées : « Désolée. Comme je suis qu’un forum sur Internet mette en cause réputation de A&F, et ont influé sur la
un vrai danger au volant, j’ai préféré laisser les méthodes de certification des produits désaffection des clients et la démission
ma voiture ici », ou bien « N’enlevez pas ma halal de Nestlé pour provoquer un bad de son directeur général en 2014.
voiture, svp ! J’ai des hauts talons ». Tollé sur buzz qui a contaminé les médias tradi-
les réseaux sociaux ! Des internautes tionnels. Le groupe suisse a dû renoncer à Les cinq tabous du Net
taxent Renault de sexisme et, très vite, de la commercialisation de sa gamme halal La crise digitale ne menace pas seule-
nombreux sites et blogs relaient leur en France. Certains bad buzz peuvent ment les grandes entreprises. Elle peut
colère. Le groupe automobile est alors conduire à des situations encore plus aussi toucher des PME, des hommes
confronté à ce que l’on appelle une « crise dramatiques, comme dans le cas de cet politiques ou des stars de la télé. Jean-
digitale », c’est-à-dire un déferlement de abattoir à Alès, dont les méthodes d'abat- Jacques Goldman en a fait la doulou-
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critiques sur le Net. En cherchant à créer le tage avaient été jugées choquantes par reuse expérience. Il était l’âme du collec-
buzz, Renault a généré un bad buzz qui lui des internautes, puis dénoncées dans les tif des Enfoirés depuis vingt ans. Quand
échappe rapidement. Avec le développe- médias. L’abattoir a dû fermer ses portes il annonce en mars 2015 son intention de
ment d’Internet et des réseaux sociaux, suite à cette crise. Mais le plus souvent, le passer le flambeau, nombre de médias
près d’un tiers des crises de ce genre est en bad buzz se traduit par des surcoûts pour ont fait le rapprochement avec la crise
effet relayé dans les médias internatio- l’entreprise : pour couper court à la polé- digitale qu’il venait de subir. Son seul
naux en moins d’une heure (1). mique, elle doit renoncer à une coûteuse crime ? Un clip qui mettait en scène le
campagne de communication, modifier conflit des générations. Ses détracteurs
Les effets désastreux un produit ou dédommager des clients… lui reprochaient de véhiculer des sté-
du bad buzz Ensuite, même si tous les bad buzz ne réotypes sur les jeunes en les présentant
Selon le mot de Warren Buffet en 1997, génèrent pas de crise grave, ils laissent comme paresseux et matérialistes.
il faut toute une vie pour construire des traces négatives sur la Toile. Huit Sur le Web, en effet, il est très risqué
une réputation, et cinq minutes pour la Français sur dix (3) effectuent des de relayer des clichés négatifs sur une
détruire. Compte tenu de la viralité du recherches sur le Web avant de faire un catégorie de personnes. Quand une
Web, cette déclaration résonne encore achat. Aucune entreprise ne peut se per- communauté s’estime offensée, elle
plus fortement aujourd’hui. La probabilité mettre d’avoir une e-réputation entachée peut désormais le faire savoir très faci-
d’être confronté à une crise digitale ne de scandale ou de critiques. En mai 2013, lement sur Internet. Plus d’un bad buzz
cesse d’augmenter : près de deux par jour la marque de mode Abercrombie & Fitch sur deux est lié à la transgression de l’un
depuis le début de l’année 2015 (2). Un tel annonce qu’elle supprime les grandes de ces cinq tabous : l’identité ethnique
nombre pourrait faire qu’en se multipliant, tailles. Cette mesure jugée discrimina- ou géographique, l'identité de genre,
les crises deviennent moins visibles, donc toire soulève une polémique sur la Toile. l'appartenance sociale, le respect du
moins graves et plus éphémères. En réa- Quelques années plus tôt, la marque consommateur et l’honnêteté (4). Le
haut et d’autres), la mouvance féministe tinente. Revenons sur le cas de Renault. message et manquent d’humour. S’il
s’est mobilisée et a été suivie par un La firme a effectivement retiré les vidéos réussit à mettre les rieurs, surtout des
public féminin très large, contraignant le controversées en quelques heures. « anciens », de son côté, il ne dissipe pas le
constructeur à retirer les spots. Mais elle ne s’est pas excusée avant le malaise des plus jeunes. Il aurait mieux
lendemain, et seulement du bout des valu plaider coupable, même partielle-
Peut-on éviter la crise lèvres, regrettant « les réactions critiques ment. Il aurait pu ainsi préserver sa rela-
digitale ? des internautes », et non son dérapage tion avec cette catégorie de public : les
Le stéréotype générationnel, lui aussi, est sexiste. Aggravant son cas, l’entreprise internautes pardonnent volontiers aux
assez risqué, comme on l'a vu pour les a eu recours à la censure en supprimant repentis à condition qu’ils semblent sin-
Enfoirés. Mais il est tout aussi hasardeux les commentaires négatifs de sa page cères. Peut-être le chanteur aurait-il été
de s’attaquer à des catégories sociales per- Facebook. Enfin, elle a demandé aux plus inspiré d’opter pour une démarche
çues comme fragiles, comme les SDF, les sites d’information qui avaient diffusé participative, très prisée sur le Web, en
ouvriers, les chômeurs, les artisans… En les vidéos de les supprimer « au nom du proposant par exemple aux jeunes de
déclarant au printemps 2015 que le statut copyright ». Au lieu d’apaiser la crise, les associer au processus de création du
d’autoentrepreneur était « un caillou dans cette réaction l’a renforcée, laissant des prochain clip. n
(sa) chaussure », Nicolas Sarkozy ne pou- traces encore visibles près de six mois
vait que s’attirer la colère de cette catégo- plus tard sur le Web. (1) Selon l’étude de juillet 2013 de Freshfields
rie sociale plutôt en situation de faiblesse. De même, la riposte de J.-J. Goldman n’a Bruckhaus Deringer LLP.
Les organisations professionnelles d'au- pas été totalement convaincante. Certes, (2) Étude de MMC sur les bad buzz du Web
francophone et anglophone depuis 2015.
toentrepreneurs ont riposté. Elles ont créé il était habile de choisir Le Petit Journal
(3) Étude 2014 de Solocal et du groupe M.
un logo et un hashtag « #jesuisuncaillou », de Canal + pour se défendre, sachant (4) Étude de MMC, « Bilan crise digitale »,
et lancé une pétition sur Internet. Face à que la crise digitale avait déjà gagné les sur trois trimestres 2015.
La notation financière
a-t-elle toujours raison ?
Depuis vingt-cinq ans, les grandes agences de notation font la réputation
économique des entreprises, des produits financiers et des États.
Mais leurs classements n’échappent ni aux erreurs ni aux opinions incertaines.
Pierre Pénet
L
a notation du crédit est une éva- Sociologue (université de Genève), ses travaux qui est dénoncée. En effet, les agences
portent sur les agences de notation et les
luation publiée par une agence incorporent à l’examen des données
programmes d’austérité. Il coordonne
reconnue qui consiste à classer actuellement à Genève un projet de recherche économiques d’un pays une opinion sur
les entités f inancières (les sur la dette souveraine intitulé « Diplomacies of sa stabilité politique et sur la volonté de
banques, les États) et les instruments de sovereign debt. Comparing international son gouvernement de rembourser ses
dette (un prêt, une obligation) en fonc- regimes of sovereign debt dispute since 1945 ». dettes. Or, de nombreux analystes ont
tion de leur degré de risque. Chaque dénoncé des biais idéologiques, accusant
notation contient une probabilité de récent dans la longue histoire de l’en- les agences de noter plus favorablement
défaut à court ou long terme exprimée au dettement public. Jusqu’au début du les États mettant en œuvre des politiques
moyen de caractères alphanumériques : 20e siècle, les États s’endettaient par l’in- publiques néolibérales. On pourrait leur
les échelles de notation utilisées par les termédiaire de grands emprunts levés objecter que les agences ne favorisent pas
principales agences procèdent par ordre auprès de leur population. Lorsque les le néolibéralisme en tant que tel, mais
croissant de risque de défaut, allant du États allaient sur les marchés, les grandes simplement des politiques publiques
plus bas (AAA) au plus haut (C ou D, selon banques internationales certifiaient ces produisant des effets mesurables à court
les agences). C’est en 1909 que John émissions de dette et servaient d’inter- terme. Inversement, les agences sont
Moody publie ses premiers classements. médiaire réputationnel entre pays et généralement sceptiques vis-à-vis des
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Après un développement rapide dans les investisseurs. Aujourd’hui, ce sont les politiques dont les conséquences sont
années 1920-1930, la notation perd de agences de notation qui font ce travail en difficilement mesurables, portent sur le
son importance entre 1944 et 1971, une donnant une mesure du risque. plus long terme ou dont les effets atten-
période marquée par des contrôles dus ne sont pas économiques. Les États
stricts des capitaux qui découragent les Quand la note déçoit ont d’ailleurs intériorisé cette préférence
investissements risqués et rendent les Moody’s, Fitch et S&P ont récemment car ils présentent et justifient désor-
transactions financières plus prévisibles. été critiquées pour avoir noté AAA des mais leurs choix budgétaires au moyen
Mais, dans les années 1990, la notation milliers d’obligations adossées à des d’objectifs quantifiés et vérifiables à
du crédit redevient un intermédiaire actifs immobiliers pour le moins fragiles. court terme.
réputationnel incontournable. La déré- Leur brutale dégradation à partir de 2007
gulation, la titrisation, le progrès techno- signale le début de la crise des subprimes. Intérêt et politique
logique et la globalisation des échanges Cet épisode a révélé de nombreuses s’emmêlent
marquent en effet le retour de l’instabilité défaillances dans les modèles mathé- Un autre enjeu concerne les conflits
financière, que la notation est censée matiques que les agences utilisent pour d’intérêts entre les agences et les
prévenir. En 2015, trois grandes agences, prédire les risques associés à des instru- emprunteurs. Dans le cas de la notation
Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s ments financiers complexes. Ce défaut de la dette privée, celle des entreprises
(S&P) notent des centaines de milliers de d’anticipation est aussi apparu dans la par exemple, ce sont très souvent les
produits financiers circulant dans plus notation souveraine, celle des États. Ces emprunteurs qui sollicitent et rému-
de cent pays et représentant 30 000 mil- mêmes agences n’ont pas su anticiper la nèrent les agences pour qu’elles attri-
liards de dette. crise de la dette grecque qui a débuté en buent une notation à leurs émissions de
La notation de la dette des États – dite octobre 2009. Cette fois, c’est l’opinion dette. Cela pose inévitablement un pro-
« souveraine » – est un développement des agences concernant le « risque pays » blème de conflit d’intérêts, alors même
La réputation scientifique,
une course infernale
L’enjeu du prestige scientifique est devenu tel qu’il a engendré un dispositif
général d’évaluation du travail des chercheurs qui se superpose à l’ancienne
pratique de la reconnaissance par les pairs.
Gloria oriGGi
S’
Philosophe et sociologue, chargée de
il y a un domaine qui se nour- recherche au CNRS, institut Jean-Nicod, elle a
fiques est aussi à la base du marché de
rit de réputation, c’est bien le récemment publié La Réputation. Qui dit quoi la science contemporain, car il assure la
milieu académique. Noto- de qui, Puf, 2015. survie des revues scientifiques à comité
riété, prestige, honneur et cré- de lecture, un business considérable géré
dit y règnent en maîtres : les chercheurs du contenu même de la recherche par un par un petit monopole de maisons d’édi-
et les universitaires non seulement sont cercle de collègues en vue de sa publica- tion internationales (Elsevier, Springer,
plus motivés par ces récompenses sym- tion. Le peer-review reste la porte fonda- Wiley, Taylor&Francis). Cette concentra-
boliques que par l’appât du gain, mais ils mentale d’accès à la reconnaissance. Il a tion autorise la production et la vente des
passent leur temps à concevoir des insti- une finalité précise : garantir la scienti- différents outils bibliométriques héber-
tutions dont le but est la création, le ficité et l’authenticité d’une publication. gés par des portails payants comme ISI
maintien et l’évaluation de leur propre Le deuxième niveau est celui de l’écono- Web of Knowledge (1). Le développement
crédibilité, mie de l’impact, qui gère le système des dans les années 1950 de la scientométrie,
citations, le vaste réseau interconnecté c’est-à-dire d’une méthode de quanti-
La mesure de l’impact d’articles scientifiques qui permet de fication de la production scientifique, a
Objet classique de la sociologie de la mesurer l’influence et l’autorité d’une permis la création d’une mesure objec-
connaissance, la réputation des scienti- publication à l’aune du nombre de fois tive de la réputation académique en
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fiques telle qu’analysée par Pierre Bour- qu’elle est citée dans d’autres publica- termes d’impact : un chercheur cumule
dieu en 1984 (Homo academicus) a été tions. Le réseau des citations scienti- de la réputation s’il a de l’impact, ce qui
profondément bouleversée depuis par
l’irruption massive de nouveaux ins- Cérémonie de remise des diplômes à
Huddersfield University (Yorkshire,
truments d’évaluation : décomptes de Grande-Bretagne) en novembre 2005.
citations, notations internationales,
agences d’évaluation de la recherche,
prix et médailles, etc. Ces dispositifs
ont eu des conséquences sur la manière
dont la réputation est construite dans la
recherche aujourd’hui. L’enchevêtrement
des différents outils, des normes et des
usages révèle un mélange des pratiques
anciennes de reconnaissance mutuelle
entre pairs avec des dynamiques nou-
velles, aux effets parfois imprévus.
Graham Rex/Shutterstock/Sipa
sion : la recherche est aujourd’hui un jeu et à la multiplication des agences natio- à une course aux publications « avec
en réseau et ce que les chercheurs pro- nales d’évaluation scientifique (l’Aeres comité de lecture », chapeautée par une
duisent n’a de valeur que dans la mesure en France, l’Anvur en Italie, l’Aneca en nouvelle culture du management de la
où il est utilisé et repris par d’autres. La Espagne). En Europe, ces entités agissent recherche qui évoque plus volontiers la
mesure de l’impact a introduit dans la en accord avec les normes et les objectifs planification centralisée soviétique que
recherche une dimension compétitive de qualité de la recherche et de l’en- le libre marché des idées. Le chercheur
et comptable, ce qui a encouragé les seignement supérieur énoncés dans la se retrouve plus que jamais esclave d’un
pratiques qui permettent de cumuler des déclaration de Bologne. Adoptée en 1999, système qu’il a contribué à créer, et vis-à-
points, comme l’autocitation. cette déclaration visait à l’harmonisation vis duquel il a beaucoup de mal à prendre
Enfin, le troisième niveau de ce nouveau de l’espace universitaire européen, et a ses distances. La science d’aujourd’hui,
jeu de la science est celui de l’économie de abouti en 2010 à la création de l’Espace en particulier les sciences sociales et
la grandeur indexée sur les distinctions, européen de l’enseignement supérieur humaines, aurait avantage à se pencher
les prix et les classements nationaux comprenant 47 États (2). sur l’analyse critique de ces nouveaux
et internationaux mis en place, à titre dispositifs réputationnels, ne serait-ce
d’incitations publiques à la recherche, Le chercheur aujourd’hui, que pour permettre aux chercheurs de
dans la gouvernance des institutions un personnage kafkaïen mieux en maîtriser les règles. n
scientifiques. Cette économie en rap- L’imposition par les gouvernements et
pelle d’autres du même type, comme on par les agences de financement de la
en trouve dans le sport de haut niveau et recherche de ces nouvelles formes de
les compétitions olympiques. Le prestige contrôle de qualité a introduit la culture (1) www.knowledge.reuters.com/
académique est, de manière croissante, bureaucratique de l’audit dans les insti- (2) www.equar.eu/
traité comme un enjeu national, comme tutions académiques. Elle a également (3) www.shanghairanking.com/
Amélie Nothomb,
histoire d’un succès total
Peut-on à la fois signer des best-sellers et obtenir la reconnaissance
des milieux littéraires ? Oui, mais au prix d’un judicieux travail de
positionnement, comme l’illustre le cas de la romancière Amélie Nothomb.
Émilie Saunier
A
Maîtresse de conférences à l’université de
mélie Nothomb fait partie de Franche Comté, auteure de « Produire la valeur
grand nombre) et une reconnaissance
ces auteurs actuels qui par- artistique dans une économie de la notoriété », symbolique (les faire bénéficier d’un
viennent à jouer simultané- Terrains & travaux, n° 26, 2015/1. crédit littéraire).
ment sur plusieurs tableaux, A. Nothomb se présente bien souvent
obtenant tout à la fois succès commer- comme une romancière désintéres-
cial, notoriété médiatique et reconnais- variés n’a donc rien d’évident, car elle sée. En entretien par exemple, elle
sance littéraire. Dès ses débuts en 1992, revient à obtenir une bonne réputation déclare vivre dans un appartement
la romancière belge a touché un large dans deux sphères fonctionnant avec du 20 e arrondissement de Paris qui
public. À partir de 1999, ses ventes des échelles de valeurs bien différentes : ne dépasse pas quarante mètres car-
oscillent entre 150 000 et 260 000 exem- celle du grand public (qui peut être très rés (3). Elle évoque aussi son « oubli »
plaires pour l’édition originale de cha- volatil) et celle du milieu littéraire (qui de renégocier ses droits d’auteur de
cun de ses romans. Leur publication procure une reconnaissance à long 1992 à 2001 avec sa maison d’édition,
annuelle fait l’objet d’importants relais terme sur des critères littéraires). malgré les gros succès qu’elle obtient
médiatiques (journaux, télévision, à partir de 1999 (Le Figaro économie,
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radio), facilités par une inscription dans u 9 août 2004). Cette posture désinté-
une maison d’édition (Albin Michel) qui ressée est encore soulignée par son
détient une forte capacité de promotion. « On travaille attachée de presse, qui déclare qu’« elle
Dans le même temps, elle accède à la
reconnaissance littéraire avec le Grand
tous les jours, c’est n’est pas mercantile pour deux sous. Pas
du tout. » (entretien du 7 avril 2008).
Prix de l’Académie française, le prix de une toile d’araignée Son discours rend compte d’un travail
Flore, le soutien de critiques, une pré- réputationnel intense et quotidien, qui
sence dans des dictionnaires de littéra- qu’on a tissée, s’effectue en équipe : « On travaille tous
ture, une entrée dans les programmes
universitaires, des traductions dans des
qui augmente de jour les jours, c’est une toile d’araignée qu’on
a tissée, qui augmente de jour en jour. »
m a i s o n s d ’é d i t i o n é t r a n g è r e s en jour. » (entretien du 7 avril 2008). L’attachée
prestigieuses. de presse explique qu’elle se charge
u des stratégies de lancement des livres
Une romancière et des relations avec les médias en
désintéressée En tant que produit d’un « étique- ayant pour objectif principal que les
Une telle situation peut étonner dans la tage » (1), la réputation est une donnée « textes apparaissent premiers ». Quant
mesure où elle contrevient à cette « règle qui échappe à l’individu. Elle peut néan- à A. Nothomb, son rôle dans la pro-
de l’art » qui, selon Pierre Bourdieu, moins faire l’objet d’une réorientation, motion consiste à réaliser les inter-
veut que « l’artiste ne peut triompher d’un travail réputationnel (2). Dans le views que l’attachée de presse organise
sur le terrain symbolique qu’en perdant cas d’A. Nothomb, il est marqué par pour elle. Cette division concertée des
sur le terrain économique (…), et inver- deux logiques : une mise en visibilité tâches éloigne la romancière des consi-
sement (…) ». La coexistence de profits (faire connaître les textes auprès du plus dérations proprement commerciales
de son activité et permet de soigner son A. Nothomb est entourée d’un public dans le même temps des marques esthé-
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image désintéressée. de fans qui entretiennent et renforcent tiques qui les protègent d’une disqua-
Le cas d’A. Nothomb rend compte d’une l’image véhiculée par l’écrivaine et sa lification littéraire trop nette et qui
concertation harmonieuse et d’une maison d’édition. peuvent susciter l’intérêt de pairs et
division des tâches entre l’artiste et son d’experts : par exemple, les multiples
éditeur qui permettent de gagner sur Un travail collectif références explicites et implicites à la
les tableaux de la visibilité, du succès Ce travail réputationnel se prolonge culture gréco-romaine et aux œuvres
et de la reconnaissance symbolique. jusque dans l’esthétique des textes de la classiques et une pratique fréquente
Ces profits sont favorisés par des res- romancière. Par leur structure narrative du pastiche autorisent des lectures
sources spécifiques situées en dehors simple (usage fréquent du dialogue, savantes nécessitant des connaissances
du champ professionnel. Notons par intrigue et personnages clairement préalables pour être interprétés. n
exemple l’aisance verbale et la culture définis, etc.), leur genre (ses œuvres sont
littéraire acquises par A. Nothomb au majoritairement présentées comme des
sein d’une famille cultivée et au cours romans, genre reconnu pour être l’un (1) Voir Howard S. Becker, Outsiders. Études de
sociologie de la déviance, Métailié, 1985.
de sa formation universitaire en phi- des plus populaires), leur style (parfois
(2) Voir Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse
lologie romane, propices à faciliter son près de l’oralité), et leur typographie et structure du champ littéraire, Seuil, 1992.
investissement auprès des médias et à (d’importants espaces blancs entre les (3) Voir Stephen Zafirau, « Reputation work in selling
susciter leur intérêt. Enfin, on observe paragraphes et dans les marges inté- film and television. Life in the Hollywood talent
une diversité des « entrepreneurs de la rieures et extérieures, de larges inter- industry », Qualitative Sociology, vol. XXXI, n° 2,
juin 2008.
réputation » (4) : l’éditeur, l’artiste et ses lignes, une police de caractères grande
(4) Voir Minna Bromberg et Gary A. Fine,
textes, ses pairs, les médias ou encore la et un nombre de pages limité, qui « Resurrecting the red. Pete Seeger and the purification
critique universitaire. D’autres acteurs renvoient à l’idée d’une lecture aisée, of difficult reputations », Social Forces, vol. LXXX, n° 4,
peuvent entrer en jeu. En particulier, confortable et rapide). Ils présentent 2002.
Athènes, avril 2014.
L’exposition de graffitis et
de street art « No respect ».
La bonne fortune
des graffeurs
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L
es œuvres de graffiti art dérivent Enseignant en science politique depuis le début des années 2000 : les
à La Sorbonne, auteur de « La consécration
d’une pratique culturelle ayant œuvres de certains des graffeurs les plus
du graffiti par le marché de l’art contemporain »,
connu son âge d’or à New York, in Wenceslas Lizé, Delphine Naudier, réputés s'arrachent à des dizaines de
du début des années 1970 au Séverine Sofio (dir.), Les Stratèges milliers d'euros. La consécration d’ar-
milieu des années 1980, avant de se déve- de la notoriété. Intermédiaires et consécration tistes aux pratiques entachées d’illégalité
lopper en Europe, puis dans la plupart dans les univers artistiques, Archives et associés à un univers socialement
contemporaines, 2014.
des pays développés. Les rames du métro distant du marché de l’art repose cepen-
de la « Grosse Pomme » constituent alors dant avant tout sur la collaboration de
le support d’expression privilégié des ciaires, les œuvres de graffiti art bénéfi- différents intermédiaires.
g raf feurs. Si ceu x qui perpétuent cient d’une entreprise de légitimation et Les premières tentatives de rapproche-
aujourd’hui la tradition new-yorkaise de commercialisat ion réussie. En ment du monde de l’art suivent de peu
dans les dépôts ferroviaires du monde témoigne le succès croissant des ventes l’apparition du graffiti comme pratique
entier s’exposent à des poursuites judi- aux enchères thématiques organisées culturelle. Dès 1972, Hugo Martinez – un
marché. En 1992, un administrateur de collectionneurs, cet entrepreneur engage effort, il a pris six mois de prison ferme,
l’agence hollandaise pour l’art contempo- des experts pour repérer des graffeurs 1 000 euros par mois ce n’est pas cher payé
rain organise l’exposition « Coming from susceptibles de produire des œuvres com- quand même ! » Du reste, la scénographie
the Subway » au musée de Groningen mercialisables, quitte à les orienter dans le des expositions précédant les enchères
et trouve des homologues en France : processus de création. Pierre Cornette de met en scène l’authenticité des artistes
le Fonds régional d’art contemporain Saint-Cyr, commissaire-priseur associé et des œuvres : à l’occasion de la vente
d’Île-de-France acquiert la même année de la maison de vente précitée et président « 1970-2010 : 40 ans d’art graffiti », dont
des œuvres de pionniers new-yorkais et du palais de Tokyo, insiste en effet sur le montant cumulé des ventes dépasse
l’exposition « Graffiti Art » au palais de la nécessité de « séparer le bon grain de le million d’euros, les murs de la galerie
Chaillot est inaugurée par Jack Lang. Si le l’ivraie » en distinguant de la masse des d’Artcurial sont ainsi recouverts d’un
succès critique n’est pas encore au rendez- « vandales » les véritables « artistes » qui ont carrelage imitant celui des couloirs du
vous (1), des graffeurs désireux d’accéder leur place sur le marché de l’art (3). Sou- métro. n
au statut d’artiste-plasticien bénéficient vent issus du milieu du graffiti, ces experts
(1) Vincent Dubois, La Politique culturelle, Belin,
désormais du soutien de jeunes galeristes en réfractent cependant les enjeux spéci-
1999.
ou de personnalités de la mode. Le main- fiques dans leur activité d’estimation des (2) David Maquis-art et Maurice Grinbaum, entretien
tien de débouchés commerciaux opère œuvres mises aux enchères. Ils jugent en « Les galeries d’art récupèrent le street art », Le Journal
alors comme condition de possibilité du effet la réussite de leur entreprise à l’aune des arts, n° 353, 23 septembre 2011.
réinvestissement de cette niche au milieu des prix atteints par des graffeurs parmi (3) Pierre Cornette de Saint-Cyr,
« 99 % des tagueurs sont des crétins ! », Le Point,
des années 2000. les plus reconnus de leurs pairs, mais
n° 1942, 2009.
Les records engrangés à Londres par jusqu’alors inexistants sur le marché : le (4) Voir le catalogue de présentation de l’exposition
l’artiste anglais Banksy – la vente d’un prix de la première toile commerciali- de la collection Gallizia au Grimaldi Forum de Monaco
morceau de mur recouvert d’un pochoir sée par Bando, pionnier du graffiti pari- de l’été 2011.
Le Grand
Pascal Sittler/Rea
Tasting à
Paris les 4 et
5 décembre
2015.
Grands vins,
une question d’étiquette ?
Classements régionaux et communaux, crus et médailles, notations et
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L
e monde du vin est un cas exem- Sociologue, maître de conférences à comprend que face à l’incertitude sur la
l’université Paris‑IV, il a publié Le Marché des
plaire pour l’étude des réputa- qualité d’une bouteille de vin achetée
réputations. Une sociologie du monde des
t ions et de leu rs log iques vins de Bordeaux, Féret, 2010. au hasard dans un rayonnage ou sur
sociales. Il suffit d’observer les Internet, et vu la diversité de l’offre, les
étiquettes des vins pour comprendre le consommateurs s’appuient souvent sur
poids et la complexité des réputations de négoce qui vinifie et/ou commercia- un repère simple, comme le prix du pro-
vinicoles. De nombreuses mentions se lise le vin, le nom d’un œnologue, d’un duit. Mais la profusion de ces dispositifs
superposent et cohabitent bon gré mal sommelier ou la mention d’un guide de réputation et la difficulté de se repérer
gré : les appellations de région ou de recommandant le vin, les médailles de dans cet univers foisonnant sont l’un des
commune, les classements spécifiques à concours régionaux et nationaux… Com- paradoxes du monde des vins.
chaque région (« premier cru » et « grand ment s’y retrouver dans cet enchevêtre- Les vins considérés comme « mythiques »,
cru » en Bourgogne ; les cinq classes de ment de qualifications ? les plus grands vins, le sont souvent en
« grands crus classés » dans le Médoc), les Tous ces signes censés aider le consom- raison de plusieurs facteurs : une réalité
noms de producteurs éventuellement mateur dans son choix sont plus souvent matérielle (terroir, méthodes de travail,
mis en scène à travers l’affichage d’une enclins à le noyer dans un océan de qualité intrinsèque des vins), mais aussi
dynastie familiale, le nom d’une maison références souvent mal connues. On une réalité symbolique, qui est tout ce
nie pas systématiquement la différence une vieille intuition des anthropologues tations », ou du moins les statuts sont-ils
biologique entre les sexes, mais étudie étudiant la circulation du prestige entre de plus en plus soumis aux dynamiques
l’organisation de cette différence, et son membres d’une même communauté. de réputation, sous l’influence grandis-
amplification sociale, la sociologie du vin Dans le domaine vinicole, le fait d’être sante des évaluations de plus en plus
ne nie pas les différences intrinsèques, associé à tel grand vin peut permettre de variées. Pour les vins, les classements
mais souligne le travail d’amplification se voir transférer une partie de sa réputa- officiels sont de plus en plus souvent
sociale de leurs écarts qualitatifs ! tion flatteuse, par exemple en l’indiquant révisables, comme le classement de
Le monde du vin est ainsi une place sur sa carte des vins (restaurateur), en le Saint-Émilion, révisable tous les dix ans,
de réputations, c’est-à-dire un univers prenant en photographie et en le met- dont les dernières éditions ont suscité
social où circulent des noms, des caté- tant en scène sur les réseaux sociaux de nombreux débats et recours en jus-
gories, des notes, des chiffres, des clas- (amateur), ou en soulignant sa proximité tice. À ces classements, il faut ajouter les
sements, hiérarchisant les hommes, les géographique avec le terroir dont ce vin notes de dégustation, mais aussi les sites,
entreprises et les produits. Les réputa- est issu (producteur). blogs et forums sur lesquels amateurs et
tions ne se limitent pas aux représenta- Enfin, comme dans de nombreux autres professionnels évaluent les vins… Nous
tions véhiculées par le bouche-à-oreille, univers, les réputations ne sont pas ina- n’avons pas encore vu tous les effets de
elles ne se réduisent pas à la « bonne » movibles. Il est fini le temps où les vins cette économie de l’évaluation participa-
ou « mauvaise » réputation qui circule pouvaient se contenter de leur classe- tive, où le règne de dispositifs comme le
dans un petit monde ou dans l’open ment officiel, par exemple dans le cas classement de 1855 ou le guide de Robert
space médiatique. Les réputations bien bordelais, d’une position flatteuse dans Parker va probablement laisser la place
comprises reposent sur un ensemble de le « classement de 1855 » qui distingue à une plus grande diversité de hiérar-
dispositifs accordant de la considération, certains domaines du Médoc et de Sau- chies, et à de nouvelles tentatives d’attirer
plus ou moins favorable, aux vignerons, ternes. Tout comme les établissements l’attention du consommateur. n
Réputation Risque
La réputation est une évaluation collective basée sur ce que le public pertinent de réputation
croit savoir d’une entité (individu, organisation, institution, territoire, marque). Les réputations étant en grande partie
Réputation n’est pas synonyme d’opinion : une réputation est un savoir faites et contrôlées par autrui, elles sont
partagé au-delà de la variété des opinions individuelles. Ce n’est pas non plus fragiles, provisoires et soumises à des
le reflet des qualités de la personne ou de la chose, mais le produit de la dynamiques difficilement prévisibles.
communauté qui la partage et la diffuse. La notion de « risque de réputation »,
de plus ou plus utilisée dans l’univers
managérial et gestionnaire, désigne
la vulnérabilité des réputations
des individus, mais aussi celles des
entreprises, des acteurs politiques,
des institutions. Le plus souvent, la
notion de risque de réputation permet
de justifier l’élaboration de stratégies
de plus en plus professionnalisées de
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Bad buzz
Message négatif concernant une
iStockphoto
(« like », étoiles, commentaires) se sont logiciels sophistiqués (par exemple, modique, mais les contre-mesures
généralisés, vendeurs et clients Klout.com). D’autres proposent des existent, et cette pratique a déjà donné
(par ex. sur e-Bay, Uber ou Air-bnb) font solutions pour « réparer » un bad lieu à des sanctions. Son symétrique
l’objet d’évaluations réciproques. buzz. Enfin, le management social inverse consiste à simuler ou acheter
consiste à entretenir autour de soi une des avis négatifs pour dénigrer un
communauté d’internautes émetteurs concurrent ou un adversaire.
d’opinions favorables.
Personal branding
Pure players – L’accès aux pages personnelles et aux
Bricks and clicks réseaux sociaux offre à tout internaute
Une réputation construite « tout en la possibilité de se construire une
ligne », positive ou négative, peut, à « image de marque » sur le marché des
l’occasion, être reprise par d’autres relations personnelles, du travail, de la
médias (presse, télévision, radio) et politique, de l’art ou du spectacle.
générer des effets « offline ». En matière Son outil favori est l’entretien d’un
de profits, certains acteurs nés sur le marqueur personnel perceptible au
Net les réalisent exclusivement en ligne premier abord (vêtement, gimmick,
(« pure players »), d’autres s’appuient sur musique, ton de voix ou d’écriture).
leur e-reputation pour vendre ou faire
Source : Gladys Engel Lang and Kurt Lang,
carrière dans des espaces extérieurs au
Dreamstime
À quoi sert
la sexualité ?
Même dans le monde animal, le sexe ne sert pas seulement à se reproduire…
Des études récentes offrent un autre regard sur les origines,
les raisons d’être et les effets de la sexualité sur les êtres vivants.
Jean-François Dortier
«À
quoi ser t la Sexualité et reproduction par parthénogenèse, sans avoir besoin
sexualité ? » La ne vont pas toujours de pair de mâles. Quant aux méduses ou puce-
quest ion est Contrairement à une opinion courante, rons, ils utilisent la double reproduction :
d’aut a nt plu s la sexualité n’est pas nécessaire à la repro- sexualité et asexuelle. Tout comme les
déroutante que duction. La vie est apparue sur Terre femelles phasmes qui utilisent la repro-
la réponse semble aller de soi : d’abord le il y a 4 milliards d’années, et pendant duction sexuelle selon la présence ou non
sexe fait du bien (1). La recherche du plai- 3 milliards d’années, la vie microbienne de mâles à proximité.
sir est une motivation fondamentale qui s’est propagée et diversifiée par simple Mais si les animaux peuvent se repro-
conduit les organismes vivants à se division cellulaire – une cellule se divise duire sans sexe, alors pourquoi la sexua-
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reproduire. en deux –, sans passer par la féconda- lité est-elle apparue ? Voilà en effet un
Une finalité : la reproduction. Un moyen : tion d’un partenaire. Le clonage repro- système de reproduction compliqué qui
la copulation. Un stimulant : le plaisir. ductif ne se limite pas à la reproduction oblige à partager ses gènes avec autrui.
Les choses sont bien faites, n’est-ce pas ? des bactéries. De nombreuses plantes, Si, comme l’a soutenu Richard Dawkins,
Voilà ce qui fait tourner le monde depuis des peupliers aux fraisiers, peuvent se les organismes ne sont que des machines
des millions d’années. Lors de la saison reproduire sans sexualité. C’est le cas à répliquer leurs gènes, le sexe est même
des amours, dès que les arbres sont en aussi d’environ 5 % des espèces animales : un mauvais choix. Car avec le sexe, la
fleurs, les oiseaux mâles se mettent à des espèces de lézard, de grenouilles, de réplication est très partielle, puisqu’elle
chanter pour attirer les femelles. Plus raies et même de requins se reproduisent oblige à un mélange avec un partenaire.
tard, dans le creux de l’été, la chenille Les femelles auraient donc intérêt à se
se transforme en un papillon qui ne reproduire sans mâles. Et on a vu que
pense plus qu’à une chose au cours des u certaines le font très bien.
quelques semaines qu’il lui reste à vivre : À vrai dire, l’existence de la reproduction
le sexe. L’histoire de l’évolution pourrait L’avantage sexuée est une énigme sur laquelle se
se résumer en une phrase : une force
d’attraction universelle pousse les orga-
de la sexualité penchent les théoriciens de l’évolution
depuis des décennies.
nismes les uns vers les autres ; ils s’at- est de produire
tirent, se désirent, vont s’entremêler pour Le sexe produit de la variété
une fin ultime : la reproduction… de la L’une des théories en vogue chez les
Sauf que les études récentes sur l’évolu-
tion de la sexualité prennent le contre-
biodiversité. théoriciens de l’évolution est qu’en
mélangeant les gènes, la sexualité pro-
pied de ces évidences (2). u duit de la variété.
Dreamstime
Couple de grillons arc-en-ciel du Nouveau-Mexique.
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La reproduction par clonage est en effet Henri Gouyon. Toutes ces hypothèses Premier cas de figure : mâle et femelle
plus simple mais comporte un risque : se ressemblent et convergent vers une ne se rencontrent pas. Chez les moules
une grande homogénéité génétique. explication : l’avantage du sexe est de ou les huîtres, fixées sur leur rocher,
Toute infection d’un parasite tueur produire de la biodiversité. le père ne voit jamais la mère de leurs
peut se répandre à une vitesse fou- enfants. Quand vient l’été et que les eaux
droyante et éliminer l’espèce entière. Le sexe, c’est compliqué se réchauffent, moules et huîtres libèrent
La reproduction sexuelle, bien que plus C’est la raison pour laquelle le sexe aurait leur semence dans l’eau ; grâce au cou-
compliquée, introduit de la diversité pris l’avantage sur l’autre forme de repro- rant, les gamètes mâles atteignent les
entre organismes apparentés et conduit duction. À partir de là, tout aurait pu gamètes femelles au gré des flots (3). À
à un mélange des gènes : il limite donc se faire simplement. Après tout, pour noter que les platanes, les peupliers ou
la propagation des parasites (chez les que deux organismes s’apparient, il suf- les sapins font la même chose en confiant
individus résistants). Une hypothèse fit d’un tube et d’un tuyau, ou même leur pollen au vent (provoquant au pas-
voisine est que le clonage produit des simplement deux orifices (comme les sage des allergies). Chez les plantes,
tares irréversibles qui se propagent oiseaux chanteurs qui n’ont pas de la fleur n’est rien d’autre qu’un organe
d’une génération à l’autre alors que le pénis mais un cloaque) et l’affaire peut sexuel végétal, entouré de beaux pétales
brassage génétique permet de neutrali- se conclure aisément. Mais la nature colorés et parfumés, destiné à attirer les
ser une mutation néfaste présente chez semble avoir choisi des voies beaucoup insectes pollinisateurs.
un seul des parents. plus tortueuses. Chez la plupart des animaux complexes,
Enfin et surtout, en produisant de la La rencontre entre un mâle et une le sexe suppose tout de même une entre-
diversité, la sexualité permet aux espèces femelle d’abord : avant de passer à l’acte, vue avec un partenaire. Pour organiser le
de s’adapter à des environnements chan- la rencontre représente déjà une aven- rendez-vous intime, mâle et femelle s’en-
geants. C’est la thèse que défend Pierre- ture compliquée. voient des signes. Les papillons diffusent
Les sextoys des coléoptères des épines et des protubérances sur le ment un « biais sensoriel ». Ce qui n’est
À la variété des pratiques s’ajoute aussi pénis des serpents, des singes et des chats, pas tout à fait inutile : il a été démontré
la variété des pénis. Ils sont d’une com-
plexité confondante, dotés parfois de
pics, de plaques, de protubérances et Du sexe et des nuages :
excroissances diverses, dont le biologiste comment penser l’évolution ?
allemand Menno Schilthuizen rapporte À la question « A quoi sert le sexe ? », pluie. C’est ainsi que se forment les
dans un livre passionnant – Comme
Pierre-Henri Gouyon, généticien rivières, les lacs et toute l’eau
les bêtes (à paraître en 2016) – quelques
spécialiste de l’évolution, répond : « Et indispensable à la vie sur Terre. Les
révélations étonnantes sur certains de
si je vous demande à quoi servent les nuages sont à la fois une
ces dispositifs complexes.
nuages (1) ? » Il souligne ainsi les conséquence (de phénomènes
Ainsi, le sexe mâle de la tipule (une
erreurs de perspective de l’approche météorologiques) et une cause (de
espèce de moustique) est équipé d’une
finaliste. En effet, les nuages n’ont pas l’existence de la vie sur la terre ferme).
sorte de « vibromasseur » qui vibre (en
émettant même un son !) une fois intro- été fabriqués pour provoquer la pluie Il en va de même pour la sexualité.
duit dans le sexe de sa partenaire ! On et arroser la Terre. C’est par la chaleur En terme évolutionniste, la bonne
a découvert de nombreux « gadgets du soleil que l’eau des mers s’évapore, question n’est pas « À quoi ça sert la
érotiques » semblable chez les coléop- formant des nuages qui, transportés sexualité ? », mais comment elle est
tères : le pénis de certaines mouches par le vent, arrivent sur les terres apparue, s’est développée et avec
par exemple est équipé d’une sorte de émergées. Puis le rafraîchissement de quelles conséquences. n J.-F.D.
« fouet » qui se trémousse à l’intérieur l’atmosphère occasionne parfois la (1) Mireille Bonierbale, Michel Bozon et Pierre-
du vagin. Les mammifères ne sont pas condensation en gouttes, entraînant la Henri Gouyon, À quoi sert le sexe ?, Belin, 2015.
L’effet Bateman :
les mâles plus obsédés
que les femelles
Selon le « principe de Bateman », du
nom du généticien Angus Bateman
(1919-1996), les mâles sont
naturellement plus volages que les
femelles. Tirant sa théorie de
l’observation de mouches drosophiles,
A. Bateman note que les mâles sont
capables de produire des
spermatozoïdes à profusion, alors que
les femelles disposent d’un petit stock
d’ovules et doivent, une fois fécondées,
payer le prix de la gestation (sauf chez
les hippocampes ou les crapauds
accoucheurs, chez qui c’est le mâle qui
porte les petits). Les mâles ont donc
intérêt à disséminer sans retenue leur
sperme (et donc à chercher à
Couple de paradisiers
s’accoupler) plus fréquemment que les
grand-émeraude de
femelles, qui doivent être plus
PBS. org
Nouvelle-Guinée et
« regardantes ». n J.-F.D. d’Indonésie.
Le slow
management
ou l’art de
simplifier le travail
Face à l’accélération des rythmes de travail,
à la montée des exigences, à la course à la croissance,
certains aspirent aujourd’hui à ralentir.
A
vant d’attaquer la rédaction de Achille Weinberg Le souci de se simplifier le travail appelle
cet article, j’ai commencé par une autre méthode d’écriture fondée
accumuler des documents : va commander le plan de l’article, les sur quelques principes : limiter la docu-
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quelques livres, des articles exemples, etc. Il arrive aussi que trop mentation (qui est de toute façon infla-
de revue, des textes téléchargés sur Inter- de lecture conduise à l’indigestion et au tionniste), limiter le temps d’écriture (en
net. Bien que le sujet soit très spécifique, désarroi : l’idée de départ a été pulvérisée fixant un délai strict) et limiter les exi-
on arrive assez vite à constituer une pile par de nouvelles pistes qui partent dans gences. Oublions l’espoir d’une synthèse
imposante, qui vient côtoyer d’autres tous les sens. C’est alors qu’arrive la pers- idéale, du fignolage et des effets de style :
piles, consacrées à d’autres sujets, qui se pective de la deadline qui vient rappeler le mieux est l’ennemi du bien.
sont formées sur et à côté de mon bureau. la fin de l’exploration. Il est temps d’en
Aussi, avant de plonger tête baissée dans finir et de remettre la copie. Il faut alors Qu’est-ce que
l’exploration du sujet, j’ai été saisi d’un se résoudre à reprendre son brouillon, le slow business ?
doute. Un article consacré à l’art de « sim- couper ici, élaguer là, cacher quelques « On est foutu, on pense trop », écrit Serge
plifier le travail » n’est-il pas l’occasion manques, peaufiner quelques formules. Marquis, le plus drôle des gourous de
d’expérimenter une autre façon de faire ? À ce stade, le regret de n’avoir pu tout lire la simplicité volontaire (1). Il parle avec
En règle générale, ma méthode de tra- et tout dire prend la forme d’une frustra- beaucoup d’humour du déclic qui l’a
vail est loin d’être économique. Ma tion, aussitôt associée à une petite voix conduit à faire le ménage dans son
conscience professionnelle alliée au intérieure de consolation : tous ces maté- bureau. « Armé de grands sacs-poubelles
goût immodéré de découverte me pousse riaux inexploités me serviront plus tard, noirs, je me suis attaqué à la première
à me plonger dans une montagne de la prochaine fois, je ferai mieux. pile. Avant de jeter le premier magazine,
documents et à noircir des pages de notes Face à cette débauche d’énergie, de j’ai lu le titre et ouvert une page : “Tiens,
avant de commencer la rédaction pro- temps et de moyen, pour un résultat comme c’est intéressant !” Et plutôt que de
prement dite. Au fil de cette exploration, rarement à la hauteur du rêve initial, jeter le magazine, je l’ai posé de côté. Puis
survient « l’inspiration », ce « moment n’y aurait-il pas un moyen de faire plus j’ai ouvert le second magazine : “Tiens,
eurêka » où apparaît l’idée directrice qui simple ? comme c’est intéressant !” et je l’ai reposé
sur le premier, etc. Au bout d’une heure, le tion. Ce mouvement comporte plusieurs prospérer sa société d’équipement sportif
sac-poubelle était vide et j’avais reconsti- variantes qui sont autant de déclinai- tout en passant le plus clair de son temps
tué une autre pile à côté de la première ! » Il sons de l’esprit « slow » : slow food, slow à pratiquer l’alpinisme et la randonnée.
lui a fallu admettre que pour faire le vide, city, slow education, slow sciences, slow Jason Fried, encore un adepte du slow
il était indispensable de renoncer : renon- health, etc. Le « slow business » (appelé management, dirige son entreprise en ne
cer à tout lire, ce qui demanderait des aussi « slow management ») est l’une des travaillant que 25 heures par semaine !
mois et des années (alors qu’entre-temps déclinaisons de ce mouvement. Leur secret ? Une gestion du temps fon-
d’autres livres, d’autres magazines, Comme c’est souvent le cas pour la nais- dée sur l’économie de moyen. Il ne s’agit
tout aussi intéressants et utiles seraient sance d’un mouvement, elle est racontée pas d’aller plus vite ou d’être plus perfor-
parus…). Il fallait donc admettre qu’il est par ses partisans à partir de principes mant mais d’adopter des règles simples.
tout simplement impossible d’accomplir généraux accompagnés de quelques La première est celle du « temps juste ».
tout ce que l’on rêve d’entreprendre. belles histoires édifiantes. Dans Slow Le tempo giusto consiste à ajuster son
La simplicité volontaire* dont se réclame Business (2), Pierre Moniz-Barreto met temps à son but réel et un niveau d’exi-
S. Marquis est un mouvement en faveur en scène quelques pionniers innova- gence donné. Qu’il s’agisse de préparer
d’un nouvel art de vivre fondé sur la teurs de génie dont Yvon Chouinard, cet son cours pour un enseignant, de ranger
réduction volontaire de sa consomma- entrepreneur canadien qui aurait fait son bureau, de répondre à ses mails, de
même époque un choix de vie fondé moins, c’est mieux, il cherche d’abord à tion bio et des circuits de distribution
sur la frugalité extrême, quasiment l’ascèse. évaluer le temps que doit lui prendre cha- courts (les amap), ces fermes renvoient
Aujourd’hui, des auteurs comme cune de ses activités (manger, lire, ranger, à une logique économique qui n’est pas
Pierre Rabhi, Paul Ariès, Serge Mongeau
compulser ses mails, entreprendre une guidée uniquement par des critères
s’inscrivent dans la continuité de ce
courant. tâche, consulter Internet…). L’idée est de marchands, mais aussi par ceux du lien
ne jamais agir sans savoir où l’on va. Se social : solidarité, fidélité, proximité des
fixer des limites, c’est avant tout accorder consommateurs et des producteurs. Le
concevoir une campagne marketing, de à chaque activité un temps et un objectif modèle est en plein essor et se présente
nettoyer sa voiture, de faire la cuisine, le précis. Cette démarche engage à refuser comme une alternative.
temps que l’on y consacre est extraordi- des activités tentantes mais non néces- Mais ce système peut-il s’appliquer à
nairement élastique. Or, le temps passé saires, comme elle enseigne à dire non d’autres secteurs économiques : le bâti-
sur une activité ne garantit pas nécessai- (aux autres et à soi). ment, la banque, l’habillement, la santé,
rement un meilleur résultat. Les recettes le tourisme ? C. Vitari y croit, à condition
de cuisine les plus simples sont parfois Ralentir : toutefois de changer les règles du jeu de
les meilleures. Appliqué à la lecture, le vers une slow economy ? l’économie. Cela conduirait par exemple
tempo giusto n’est pas de la lecture rapide Appliqué aux organisations, le slow à forger de nouveaux critères de gestion
ni de la lecture lente et attentive. Un bon management version minimaliste comptable des entreprises, de nouveaux
lecteur est celui qui sait adapter sa vitesse consiste à faire la chasse aux projets indices de croissance, d’accepter de par-
de lecture à son objectif : survoler une chronophages (3). Quel que soit le pro- tager le travail et repenser les équilibres
documentation pour chercher une infor- jet, il « prend toujours plus de temps, entre le coût du travail, le temps de tra-
mation sans s’y perdre, retenir des infor- coûte plus cher et rapporte moins que vail, les prix, le droit, etc.
mations principales en se concentrant prévu », nous explique ce dirigeant d’une Est-ce que cela marche vraiment ? Dans
La Martinière, 2015.
sous-estimer les
(2) Pierre Moniz-Barreto, Slow business. Ralentir au
obstacles (1). La fausse travail et en finir avec le temps toxique, Eyrolles, 2015.
appréciation des coûts (3) Michael Greer, Project Management Minimalist.
d’un projet n’est pas une Just enough PM to rock your projects !,
question d’amateurisme : 2e éd., Paperback, 2011.
iStock/Getty
l’appelant à voix haute, jouant sociales et politiques, lorsque sciences, a troqué son souci
Michaël Fœssel
de sa disparition. Elle essuiera nous voyons sombrer nos de consolation contre l’exi-
Seuil, 2015, 276 p., 21 €.
les larmes de son fils pour lui espérances collectives. Dans gence de connaissance lucide
permettre de voir plus loin, ou tous les cas, c’est la perte, plus et rationnelle. « Ni rire, ni pleu-
entreprendra une activité avec que la souffrance, qui génère le rer, ni haïr, prétendait Spinoza,
lui pour le remettre dans l’élan besoin de consolation : perte seulement connaître. » Nous y
de la vie. d’un être cher, perte d’un sommes encore, estime M.
Qu’est-ce donc que cette pra- amour, perte de la santé, perte Fœssel, qui considère qu’il est
tique, à la fois si délicate et si d’un idéal politique… Partout, temps d’amender un peu ce
puissante, de la consolation ? l’enjeu est le même : quelle rationalisme moderne.
Comment trouver les bons place faire au manque quand
mots, les bons gestes ? Cette
question sert de point de
départ à l’enquête de Michaël
nous devons continuer à vivre ?
Comment survivre à nos déso-
lations ?
C ar il est vrai que le malheur
rentre mal dans des cases
trop rationnelles. « La précision
Fœssel, professeur à l’École dans les définitions se paie
polytechnique. Figure montante
de la philosophie française,
spécialiste d’Emmanuel Kant et
L a philosophie a longtemps
porté haut son expertise sur
cette question. De Platon à
d’une insensibilité aux
nuances », argumente M. Fœs-
sel. Sinon d’une insensibilité
de Paul Ricœur, il tente de Augustin, les philosophes tout court. Or, qu’il s’agisse
redonner une noblesse considéraient que la connais- d ’u n d e u i l , d ’u n c h a g r i n
conceptuelle à cette notion sance philosophique avait le d’amour ou d’un échec profes-
ancienne, curieusement aban- pouvoir sinon de rendre heu- sionnel, toute perte confronte
Un tel geste exige une forme çonne l’expérience. Ainsi, notre époque, hantée par les
d’humilité, témoin d’émotion Sénèque invite Lucilius à figures du déclin et de la perte
partagée, en même temps considérer la vieillesse comme (des idéaux soixante-huitards,
qu’un brin d’autorité. Du tact. le « soir de la vie », Boèce com- des trente glorieuses, de l’État
Partant de l’idée que nous ne pare la vie à un « voyage ». Et à providence…). La consolation
savons plus bien faire, M. Fœs- la mère qui pleure son enfant, ne suffit pas à faire une poli-
sel plonge dans les textes de Sénèque propose une étrange tique, mais elle représente une
Sénèque, de Boèce, Cicéron comptabilité : « Mets-toi à p o s ture s ans é qui valent ,
ou Augustin pour en extraire compter ses qualités, non ses pense-t-il, pour relier les
DR
une « grammaire de la conso- années : tu verras qu’il a vécu humains entre eux et écarter
michaëL FœsseL lation ». Le temps y joue son assez longtemps. » Reste enfin les démons de la haine, du
Philosophe, professeur à rôle ; le consolateur ne doit le geste et le toucher, aux mépris et de la mélancolie
l’École polytechnique, il est venir ni trop tôt, ni trop tard. Le effets si puissants quand les réactionnaire.
rappel du souvenir – du défunt mots viennent à manquer. Ne pas nier nos pertes, mais y
l’auteur, entre autres, de La
par exemple – est un passage ajouter le supplément qui per-
S
Privation de l’intime (Seuil,
obligé, qui permet de donner i M. Fœssel se défend de mettra de rouvrir l’avenir : voilà
2008) et d’Après la fin du une place au manque. La pos- proposer un mode d’em- au fond le génie de la consola-
monde. Critique de la ture du corps, la tonalité de la ploi – « il n’y a pas de formule tion. Une image résume bien
raison apocalyptique (Seuil, voix comptent aussi : le conso- pour une consolation réus- cette idée : « consoler son
2013). lateur « parle à quelqu’un » bien sie » –, son livre offre de puis- café » signifie y ajouter de l’al-
davantage qu’il « parle de santes ressources à qui- cool. Ce geste, qui servait ini-
quelque chose ». Du point du conque risque un jour de se tialement à masquer l’amer-
le sujet à une part d’irrationnel vue rhétorique enfin, la conso- trouver dans la position du tume du café, finit par le
et d’ambivalence. L’endeuillé lation puise abondamment consolateur. C’est-à-dire nous transformer en un breuvage
se met souvent à s’adresser au dans les figures de style. Tout tous : le soignant, l’ami, la nouveau. Il n’est pas insensé
défunt comme s’il était vivant ; est bon pour stimuler l’imagi- mère, le fils, l’enseignant, le d’en espérer de la douceur,
l’éconduit passe par toute la naire du malheureux. La méta- témoin, le passant, le citoyen… voire un peu d’ivresse. n
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gamme des sentiments. La phore y est reine : elle refa- Il en profite pour interroger
perte incite à faire des ponts
entre des choses que la raison
sépare : entre les vivants et les eT aussi
morts, la présence et l’ab-
sence, le réel et l’imaginé,
l’a mour et l’indi f fé r e nc e , L’ idée que les morts sont vraiment morts, c’est-à-dire qu’ils
n’existent plus que dans nos mémoires, est à la fois récente et
minoritaire dans le monde. c’est ce que nous enseigne avec force
l’échec et la réussite, la fureur
et la mélancolie… Vinciane despret dans ce livre réjouissant, truffés d’exemples.
C’est dans ces brèches qu’agit elle-même frappée par des deuils familiaux, la philosophe est
la consolation. Par facilité, le allée à la rencontre de « ceux qui restent » pour comprendre les
mauvais consolateur a ten- liens qu’ils entretiennent avec défunts. Leurs récits font apparaître
dance à minimiser la perte (« ce un brouillage entre l’imaginaire et le réel, y compris chez les
n’est pas grave », « ce n’est athées les plus farouches. Les morts nous rancardent, nous
rien », « une de perdue, dix de influencent, nous amusent, nous embarrassent ou nous incitent à
retrouvées »). Le bon consola- faire des choses improbables. et nous le leur rendons bien. ils ont
au bonheur donc des « régimes d’existence » que l’on aurait tort d’enterrer un
teur, au contraire, commencera
des morTs
par reconnaître à l’autre un peu trop vite. cette enquête débouche sur une critique de la
récits de ceux qui
droit aux larmes. Son talent est vulgate psychologique, ultradominante, qui consiste à voir dans le
restent
d’aider l’autre à « voir autre- « travail de deuil » l’alpha et l’omega de notre rapport à la mort. Qui
Vinciane Despret
ment que selon sa douleur ». a dit qu’il fallait se débarrasser des fantômes pour aller mieux ? et
Les Empêcheurs de
Ce n’est jamais joué d’avance. penser en rond, 2015. s’il fallait plutôt entretenir leur flamme ? n H.l .
SOCIOLOGIE
A nth rOpOLOGIE
I l y a trente et un ans exactement La Production des grands (ce dont on ne peut faire l’expé-
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que Maurice Godelier, déjà hommes, qui en apportait la rience) et du symbolique (tout
rompu au terrain baruya, publiait démonstration crue : sans rites signe pourvu de sens). Il montre
un petit ouvrage qui fit date. d’initiation, pas de domination que l’art, la religion, le pouvoir
L’Idéel dans le matériel – une masculine chez les Baruyas, pas entretiennent des rapports
réflexion plutôt théorique – pre- de grands hommes, pas d’orga- nécessaires et singuliers avec
nait ses distances avec la ver- nisation politique ni écono- les activités de l’esprit. Et le réel
sion la plus simple du marxisme, mique… Après un parcours dans tout cela ? Justement, l’ar-
laquelle veut que le monde des dans le monde des normes ins- gument de M. Godelier est
idées ne soit que le reflet trom- tituées (le don, la parenté) et une d’affirmer qu’il n’existe pas de
peur des rapports matériels de longue incursion du côté des solution de continuité entre ces
production entre les hommes en structures mentales instituantes instances. Le réel, c’est le
L’ImaGIné, une période et un lieu donnés de (C l a u d e L év i - S t r a u s s), concret, l’expérience, mais c’est
L’ImaGInaIre & l’histoire. Sans contester l’im- M. Godelier a visiblement voulu aussi ce que l’imaginaire et le
Le symBoLIque portance de ce rapport, mettre un peu plus d’ordre dans symbolique permettent d’insti-
maurice Godelier
M. Godelier en inversait le sens : cette question du rapport entre tuer : au-delà du réel, il y a le
CNRS, 2015, 284 p.,
c’est avec leurs idées, expli- idéel et matériel. Cela donne surréel, qui comprend l’irréel. Et
19 €.
quait-il, et pas seulement leurs cette réflexion de presque c’est ainsi que les hommes pro-
mains que les hommes font exis- 300 pages, où l’auteur épluche duisent les rapports sociaux
ter les normes qui produisent les par le menu les propriétés dis- dont ils vivent. Une thèse pas
sociétés. Il avait publié, deux ans tinctives de l’imaginé (tout ce tout à fait nouvelle, mais qui est
plus tôt, son grand livre sur les que nous pouvons concevoir ici finement développée et
Baruyas de Nouvelle- Guinée, mentalement), de l’imaginaire exemplifiée. n n.J.
hIStOIr E
c e livre de Bertrand
Goujon est un heureux
la guerre, sans
généralisation abusive. cette
bien vécu. alors les nobles
cherchent des missions de
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phILOSOphIE
Souffrance ancestrale
L a douleur, cette vieille compagne, a elle
aussi une histoire : celle de sa
reconnaissance publique, changeante selon
par les cris du sujet. Longtemps en effet, le
témoignage du souffrant avait guidé l’homme
de l’art. mais avec le développement du
les époques. en effet, il a toujours été positivisme, des critères d’objectivité, des
nécessaire de « produire dans l’espace public mesures, le médecin devient « celui qui sait »,
des certitudes partagées quant à la réalité bien mieux que celui qui souffre. celui-ci
subjective de la douleur observée ». c’est avait bien la certitude, celui-là détenait la
donc, en même temps qu’un travail vérité. c’est ensuite peu à peu que la
d’historien, un projet de philosophie qu’a tendance s’inversera à nouveau, en
mené à bien Javier moscoso, chercheur au particulier avec ces souffrances étranges
HIstoIre conseil espagnol de la recherche. non conscientes : traumatismes, hystéries,
de La douLeur La douleur est une expérience intime. Pour névroses induisent un rapport corps/esprit
16e-20e siècle
qu’entre celui qui souffre et celui qui le voit immédiat, sans intervention de la volonté de
Javier moscoso
Les Prairies ordinaires, souffrir puisse s’établir un rapport, il faut que l’individu, conduisant à un renversement de
2015, 464 p., 38 €. les formes rhétoriques idoines soient la pratique médicale. Il fallait bien de
utilisées. ce qui n’est pas obligatoirement le nouveau s’en remettre au récit du patient,
cas puisque la convergence entre une plutôt qu’aux signes exprimés par son corps.
expérience subjective et sa mesure objective antoine de Baecque, quant à lui, parcourt
ne va jamais de soi. que l’on considère par cette même histoire de la douleur à partir
exemple l’ascétisme religieux du Haut d’exemples marquants. Le supplice du
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SCIEnCE pOLItIQU E
À l’heure où l’islam et les arabes sont sociétés arabes vues par leurs propres
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Nouveauté
phILOSOphIE
r ELIGIOn
L ors de la campagne présiden- viande halal est délicate. Com- substituer d’autres bonnes
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tielle de 2012, Marine Le Pen ment critiquer une pratique actions. Quant à l’exigence
avait déclenché une polémique d’abattage cruelle sans offenser d’égorger les animaux encore
en déclarant que « l’ensemble de ceux pour qui elle est une pres- valides, elle ne servait qu’à s’as-
la viande qui est distribuée en Île- cription religieuse ? La réponse surer de leur bonne santé. Les
de-France, à l’insu du consom- est dans ce livre. L’auteur, qui est contrôles mis en place dans les
mateur, est exclusivement de la une autorité en matière de théo- abattoirs modernes lui enlèvent
viande halal ». Le ministère de logie musulmane, présente une cette raison d’être. En somme,
l’Agriculture avait démenti le analyse détaillée de la place des selon Al-Hafiz B.A. Masri, ni le
« exclusivement », mais ne animaux dans l’islam. Sans sur- sacrifice ni l’égorgement ne s’im-
contesta pas que beaucoup de prise, il rappelle que le Prophète posent aujourd’hui aux prati-
Parisiens consommaient sans le ne s’opposait pas à la consom- quants. Soulignant que le Pro-
Les anImaux savoir de la viande provenant mation de viande. Mais sa lecture phète avait un grand souci du
en IsLam d’animaux n’ayant pas été étour- attentive du Coran et des hadiths bien-être des animaux, l’auteur en
al-Hafiz B.a. masri dis avant d’être égorgés. Si les révèle qu’il ne concevait pas le vient même à se demander si les
Droit des animaux, 2015,
propos de la candidate Front sacrifice des animaux comme musulmans ne gagneraient pas à
292 p., 9,90 €.
national étaient inexacts, ils une offrande à Dieu : c’était avant devenir végétariens, du moins
avaient le mérite d’apporter une tout un acte de charité. La viande dans nos sociétés d’abondance
information peu connue. Certains devait être offerte aux nécessi- où la viande n’est plus une néces-
lui reprochèrent de vouloir davan- teux avant de servir de repas au sité. Comme quoi, il se pourrait
tage vilipender les musulmans croyant. Or, dans les circons- au final qu’islam rime avec pro-
que défendre le bien-être animal. tances d’aujourd’hui, par charité, tection animale… n
Il est vrai que la question de la un bon musulman pourrait lui thomas lePeltier
éCOnO mIE
Un bilan du parcours
intellectuel de Freud
et de la diffusion
de ses théories
En librairie
IntEr nAtIOnA L
mais, selon le philosophe Julian Baggini, ces penser autrement que l’on pense ne prouvent
prétendues réfutations du libre arbitre sont l’absence de liberté. Être libre, c’est
bâties sur des confusions. en particulier, il fait simplement avoir les moyens d’exprimer ou
remarquer qu’absence de détermination ne d’évaluer ce que l’on est et ce que l’on pense.
rime pas avec liberté. en effet, comment une cette clarification du concept de liberté permet
décision aléatoire pourrait-elle être considérée à J. Baggini de montrer que la distinction très
comme libre ? agir librement, c’est faire ce que courante entre liberté métaphysique (celle qui
l’on veut, et non agir au hasard. quant aux s’exprime dans le libre arbitre) et liberté
expériences de B. Libet, elles indiquent juste politique n’est pas pertinente. même si nos
que la conscience d’une intention est actions ne sont que des intermédiaires dans
À signaler sous-tendue par une activité neuronale. mais une longue chaîne causale qui remonte à
tHe souL oF qu’y a-t-il d’étrange à cela ? ne serait-il pas l’origine de l’univers, elles peuvent, si elles ne
tHe marIonette
plus surprenant de découvrir que la conscience sont pas contrariées de notre point de vue,
a short enquiry into
human freedom n’est précédée d’aucune activité cérébrale ? contribuer à changer l’ordre des choses qui
John Gray qui plus est, ces expériences n’infirment pas nous est extérieur. en ce sens, être libre, c’est
Allen Lane, 2015.
l’impression que nos croyances et idées ont un pouvoir agir sur le monde pour qu’il soit plus
Free
pouvoir causal. Par exemple, c’est bien en accord avec ce que nous sommes et avec
Why science hasn’t
disproved free will, l’information qu’il y a une grève du métro qui ce que nous pensons. chemin faisant,
alfred r. mele m’incite à sortir mon vélo pour me rendre au J. Baggini nous laisse ainsi entrevoir une idée
Oxford University Press,
2014. travail. Bien sûr, les sceptiques peuvent de la liberté qui pourrait faire sens. n t.l.
La revue du mois
« raconter La maLadie »
Dix-huitième siècle
N° 47, 2015/1, 752 p., 45 €.
au 18e siècle, la médecine se transforme et se donne à voir dans
« L’Université des récits de plus en plus sophistiqués. L’occasion pour la revue
Dix-huitième siècle d’y consacrer un dossier intitulé « raconter la
désorientée » maladie » dans lequel elle se penche sur l’intrication de deux évolu-
Regards croisés tions : l’essor des questions de santé et leur mise en récit par les
sur l’économie acteurs de l’époque. Les sources écrites se multiplient, permettant
N° 16, 2015, 264 p., 16 €. une meilleure connaissance des préoccupations de l’époque, à
l’instar du docteur Tissot dont la correspondance avec ses patients
regroupe plus de 1 300 archives. Ces derniers lui décrivent leurs
symptômes, offrant à l’historien à la fois un aperçu des maux de
l’époque, mais aussi des préoccupations des patients qui prennent
rité ne prend pas le même sens pour tous. Les jeunes sans soutien
bancs des facultés. or, faire des études demeure un précieux
vivent la période avec angoisse, alors que les principales institutions
sésame contre le chômage. Comment faciliter l’accès du plus
qui régulaient auparavant l’entrée dans la vie adulte battent de l’aile
grand nombre à l’enseignement supérieur ? deux leviers
(mariage, service militaire…). avec l’allongement des études, le déve-
apparaissent au fil du numéro : mieux orienter les étudiants et
loppement du chômage (25 % des 25 ans) et le report de l’âge à
développer les aides financières (prêts bancaires, plate-forme
l’installation durable en couple, cette période de la vie semble à la fois
en ligne pour trouver des jobs adaptés à la vie estudiantine,
plus longue et moins structurée. Centrées sur les jeunes vulnérables
etc.). Le décrochage universitaire coûte cher : moins d’un tiers
(handicapés, dépressifs ou placés auprès des services de la protec-
des étudiants obtient sa licence dans les trois années
tion de la jeunesse…), les contributions du dossier relatent le vécu de
imparties. L’autonomisation des budgets des universités
ces « adulescents », leurs ressources, leurs difficultés et présente des
contraint à chercher de nouvelles sources de financement.
dispositifs originaux les guidant vers l’autonomie. Travail en groupe,
Peut-on augmenter les frais d’inscription sans développer les
ateliers pédagogiques…, autant d’initiatives qui permettent aux jeunes
inégalités entre étudiants ? Non, conclut sans équivoque le
vulnérables de se projeter plus sereinement dans l’avenir. n M.N.
chercheur Léonard moulin, en appuyant sa réflexion sur
l’expérience menée à l’université Paris-iX. Les revenus
modestes préfèrent alors s’orienter vers des établissements « Le PéroU : de L’intégration nationaLe
Et aussi …
moins onéreux et l’initiative n’améliore pas les résultats des à L’incLUsion sociaLe »
étudiants. d’autres moyens existent, notamment les parc Cahiers d’Amérique latine, n° 78, 2015, 199 p., 18 €.
(prêts à remboursement contingent aux revenus) qui « La mer et Les hommes.
préservent les finances des établissements, sans augmenter territoires, PratiqUes et identités »,
les inégalités entre étudiants. Bref, désorientée, l’université Revue internationale d’ethnographie, n° 5 (www.riethno.org).
française se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. n « qUestions de goût »
Maud Navarre
Critique, n° 821, 2015, 90 p., 11,50 €.
IVes rencontres de l’Observatoire
Rescapés, réfugiés, de Marguerite Yourcenar et des relles au cours de deux
de la jeunesse et des politiques
survivants (1944-1947) études archéologiques plus
de jeunesse, dans le prolonge- décennies qui constituent une
récentes. Cette exposition dé- période faste pour l’affiche en
Cette exposition, constituée de ment de la Cop 21, autour des
voile l’histoire personnelle de tant que moyen d’expression
près de 250 photographies is- impacts des mobilisations écolo-
l’empereur romain, personnage des engagements politiques.
sues majoritairement du fonds giques sur les pratiques éduca-
principal des Mémoires d’Ha- S’appuyant sur des collections
du mémorial de la Shoah, de tives. À l’heure où l’environnement
drien, tout en donnant accès à d’affiches exceptionnelles (BDIC
documents d’archives et de s’affirme comme une préoccupa-
l’intimité de l’écrivaine par le et International Institute of
films, fait état de la diversité des tion majeure des acteurs écono-
biais de sa démarche documen- Social History, Amsterdam) qui
situations dans le chaos général miques, politiques, et des ci-
taire et de ses écrits. donnent à voir une histoire des
toyens, l’Injep et l’Alliss proposent
engagements et des grandes
d’impliquer les acteurs éducatifs,
luttes de l’époque par le prisme
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121 ❑ Quels savoirs enseigner ? 194 ❑ Les animaux et nous. 260 ❑ Peut-on vivre sans croyances ?
122 ❑ Le changement personnel 195 ❑ Le corps sous contrôle 261 ❑ Devenir garçon, devenir fille
123 ❑ Criminalité 196 ❑ Nos péchés capitaux 262 ❑ 15 questions sur nos origines
124 ❑ Société du risque 197 ❑ Les rouages de la manipulation 263 ❑ Éduquer au 21e siècle
125 ❑ Organisations 198 ❑ Les neurones expliquent-ils tout ? 264 ❑ Les clés de la mémoire
126 ❑ Les premiers hommes 199 ❑ Psychologie de la crise . 265 ❑ L’art de négocier
127 ❑ Le monde des jeunes 200S ❑ Pensées pour demain 266 ❑ Les grandes questions de notre temps
128 ❑ Les représentations mentales 201 ❑ Les troubles de la mémoire 267 ❑ Inégalités
129 ❑ La fabrique de l’information 202 ❑ Pauvreté. Comment faire face ? 268 ❑ La motivation
130 ❑ La sexualité aujourd’hui 203 ❑ École. Guide de survie. 269 ❑ Vieillir, pour ou contre ?
132 ❑ Le souci du corps 204 ❑ Démocratie. Crise ou renouveau ? 270S ❑ La philosophie aujourd’hui
133 ❑ Les métamorphoses de l’état 205S ❑ Changer sa vie 271 ❑ La confiance Un lien fondamental
134 ❑ La littérature, une science humaine ? 206 ❑ Repenser le développement 272 ❑ Le sport, une philosophie ?
135 ❑ Manger, une pratique culturelle 207 ❑ La nouvelle science des rêves 273 ❑ Les pouvoirs de l’imaginaire
136 ❑ Les nouveaux visages des inégalités 208S ❑ L’enfant violent. De quoi parle-t-on vraiment ? 274 ❑ L’enfant et le langage
137 ❑ Les savoirs invisibles 209 ❑ L’art de convaincre. 275 ❑ Liberté Jusqu’où sommes-nous libres ?
138 ❑ Les troubles du moi 210 ❑ Le travail en quête de sens. 276 ❑ Aimer au 21e siècle
139 ❑ Les mondes professionnels 211S ❑ Le clash des idées : 1989 à 2009 Comment faire couple aujourd’hui ?
140 ❑ Les nouvelles frontières de la vie privée 212 ❑ De l’enfant sauvage à l’autisme. 277S ❑ 25 ans Numéro anniversaire
141 ❑ La force des passions 213 ❑ L’énigme de la soumission 278 ❑ Les lois de la réputation
142 ❑ L’éducation, un objet de recherches 214 ❑ L’ère du post-féminisme De la reconnaissance à la notoriété
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Première Guerre mondiale, Raphaëlle Branche, Floran Augagneur est philosophe des sciences et conseiller scientifique is).
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versité Paris I et spécialiste de la guerre d’indépenda de la fondation Nicolas Hulot. Jeanne Fagnani est directrice de recherche Antoine Prost est professeur émérite (université
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historienne, Pierre Grosser, professeur agrégé honoraire au CNRS et chercheure associée à l’Ires. Sorbonne).
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