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ANTHROPOLOGIE CULTURELLE
BENJAMIN RUBBERS
NOTES DE COURS
ANNÉE 2007-2008

 Introduction. Les origines de la notion de culture

Les catégories de l’esprit humain


 L’héritage de Durkheim : M. Douglas
 Le structuralisme de C. Lévi-Strauss
 La raison graphique : J. Goody
 Vers l’anthropologie cognitive

Une herméneutique de la culture


 L’héritage de F. Boas : C. Geertz et D. Schneider
 L’histoire entre structure et drame : M. Sahlins et V. Turner
 La globalisation culturelle

Culture, corps et pouvoir


 L’apprentissage par corps
 L’héritage de Gramsci : la colonisation
 Les usages politiques de la culture : l’ethnicité et le
multiculturalisme
 Mémoire et tradition
2

Qu'est-ce que l'anthropologie?

Le champ des sciences sociales

Objet : l’histoire de l’homme en société


Des sciences interprétatives Des sciences empiriques
>< sciences expérimentales >< sens commun
>> Unité logique des sciences sociales

La spécificité de l’anthropologie

> L’observation participante (en la distinguant de la sociologie et de l'hsitoire)


• Une approche holiste : prise en compte les différentes dimensions de
l’action
• Une ambition comparative : similitudes et différences à différents niveaux
• La culture : l’importance du point de vue des acteurs (on ne s'intéresse
pas uniquement au comportement des acteurs, mais bien au sens de leurs
actions : cela comprend les choses du point de vue des personnes, san
faire de jugement de valeur).

Introduction : la culture?1

• La culture au singulier : hiérarchie et universalité (être cultivé). Cela


renvoie à la notion de compétence : il y a différents degrés de culture.
• Les cultures au pluriel : égalité et particularité (être belge)
>> Quelle est l’origine de ces deux signifiés? Ces signifiés orientent la vision du
monde. Il ne faut pas non plus oublier l'importance de la sociogénèse (contexte
social).

1.Histoire sémantique des mots culture et civilisation

Culture (latin cultura)

• Une pièce de terre cultivée (XIIIe)


• Extension métonymique, càd par contagion (> action) : cultiver un champ
• Extension métaphorique (// action) : cultiver l’esprit (fin XVIIe) plus
substantif.
• Extension métonymique (> résultat) : être cultivé (XVIIIe)

Civilisation

• Adjectifs : civil, civilisé, civilité (adoucissement)


• Processus particulier : affinement des attitudes (moeurs) (XVIIIe) –

1
Bénéton, P., 1975, Histoire de mots : culture et civilisation , Paris, FNSP
Elias, N., 1973 (1939), La civilisation des mœurs , Paris, Calmann-Lévy
Dumont, L., 1991, L’idéologie allemande : France-Allemagne et retour , Paris, Gallimard.
3
développement de la politesse
• Processus (du mouvement) universel : la sortie de la barbarie (XVIIIe)
• Extension métonymique (de l'action au résultat) : la société civilisée

Culture et civilisation au XVIIIe

• Evolution similaire des deux mots en Europe au XVIIIe


• Les deux mots ont un sens similaire qui reflète l’universalisme et
l’ethnocentrisme des Lumières
• Affirmation d’un nouveau principe (progrès) et attention nouvelle pour
l’Homme (anthropocentrisme).

2. L’antithèse culture/civilisation
2.1. Une antithèse sociale

N.B. Ces deux mots vont avoir un sens contradictoire àpd XVIIIe.
• Principalement dû à l'influence des manières de cour françaises sur
l’aristocratie allemande du XVIIIe
• Exclusion de la bourgeoisie intellectuelle allemande des cours allemandes
(ils sont exclus des cercles de pouvoir, et cela va entraîner une sorte de
ressentiment. Par contraste avec l'aristocratie, les intellectuels vont
développer une nouvelle notion de civilisation).
• Cela a entraîné une critique des conventions empruntées et superficielles
de la société de cour.

La Kultur/civilisation

• Interne/externe :
 Le domaine du spirituel (veut exhalter les dons de la spiritualité,
amour, expression des sentiments, raison, par opposition à la
superficialité (comme l'honneur et la politesse pEx).
 L’authenticité
• Continuité/rupture :
 Une âme (Geist ) en continuité avec le passé
 Une éducation de soi (Bildung ) spirituelle
• Spécificité/universalité:
 L’individualité des cultures
 La supériorité de la germanité
La culture est la marque distinctive de la bourgeoisie intellectuelle allemande.

La culture en France

• La France continue de préférer ‘civilisation’ à ‘culture’. Le sens de ‘culture’


en France reste très proche de celui de ‘civilisation’ (se veut à la fois
universaliste et discriminant).
• Un vocable aristocratique : ‘la haute culture’ (Rénan)
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2.2. Une antithèse nationale

• Promotion de la langue allemande >< au français


• Exaltation de l’authenticité du volk >< modèle superficiel de la cour
française
• Accentuation de la spécificité germanique >< universalisme français
>> Ascension de la bourgeoisie : la kultur devient la marque de la nation
allemande (ils veulent exhalter l'authenticité du Volk contre la superficialité de la
Cour de France empruntée par l'aristocratie allemande).

Le modèle allemand

•Cette bourgeoisie intellectuelle va prédominer au XIXe (romantisme, etc...).


• La kultur, qui relève du génie du peuple, précède et appelle la nation
politique (devient la marque de distinction de la nation toute entière).
• La civilization évoque la France et, par extension, l’impérialisme
occidental (mais le terme “civilisation” perd sa connotation aristocratique).
>> Théorie ethnique de la nation : l’identité nationale est une essence
menacée

Le modèle français

• La culture = la civilisation
1. L’humanité est une
2. Les différences entre eux et nous sont de degré
3. Les autres doivent prendre exemple sur nous
• La culture française est identifiée à la culture universelle
>> Théorie élective de la nation : l’identité nationale est un choix

3. Deux traditions théoriques


3.1. Deux conceptions de la modernité

Les conflits à propos des mots continuent après WWI, avec une opposition plus
fondamentale.

Le progrès de la civilisation La disparition des cultures


Science (raison) Spiritualité (âme), Art
Bureaucratie (règle) Génie (talent)
Droits de l’homme (dignité) Droits des peuples (authenticité)
Civilisation Culture
Etc. Etc.
5

3.2. Deux conceptions scientifiques de la culture

• Tradition universaliste :
 Approche comparative (étude des faits de culture)
 La culture comme expression d’une compétence universelle
• Tradition particulariste (ou relativiste) :
 Approche compréhensive (compréhension des faits de culture par
l'intérieur)
 La culture expression d’une société particulière
6

L’héritage durkheimien

Les traits de l’approche durkheimienne

1. La centralité des institutions : les catégories mentales ont une origine


religieuse et sociale
2. Une conception dualiste : la distinction entre sacré et profane au cœur du
religieux
3. Une démarche comparative : détour par les sociétés dites ‘primitives’

Robert Hertz (1881-1915)

• Deux publications centrales (sans compter “L'année sociologique”) :


• La représentation collective de la mort (1907)
• La prééminence de la main droite (1909)

La problématique (elle est universelle, comme en Afrique, en Inde, ...)

Main Gauche Main droite


Impur Pur
Médiocrité Prestige
Rôle auxiliaire Rôle central
La plèbe Qui agit, prend et ordonne

Quelle est l'origine de cette inégalité entre la main droite et la main gauche?
(question de départ de Robert Hertz).

L’explication organique

La prééminence de la main droite résulte du développement plus important de


l’hémisphère cérébrale gauche, mais Hertz se demande si ce n'est pas l'inverse.

Deux problèmes :
• L’indétermination de la cause et de l’effet entre mains et hémisphères
cérébrales
• Le problème des grands singes ambidextres

> Les statistiques révèlent une asymétrie


2% gauchers
17% droitiers
81% indéterminés

Deux problèmes par rapport aux statistiques :


• L’absence de rééquilibrage (pour l'éducation -> renfonrcement du
phénomène)
• Les capacités de la main gauche

Ainsi, ce n'est pas pour des raisons claires que l'on renforce la main droite, mais
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c'est simplement la main gauche qui est mutilée : la main droite doit être vue ici
comme une institution sociale.

La démarche/l'hypothèse de R. Hertz

• L’asymétrie entre les deux mains relève d’une institution sociale


• La main gauche est l’objet d’une mutilation sociale ; la prépondérance de
la main droite est obligatoire.
• Etude comparée des représentations collectives :
−Droite : droiture, rectitude, droit, dextérité
−Gauche : le contraire

Le sacré et le profane

• Une opposition fondamentale domine la pensée des ‘primitifs’


−Le sacré : pur, force, bien, vie
−Le profane : impur, faiblesse, mal, mort
• Cette dualité imprègne le monde spirituel, l’organisation sociale, la division
des sexes, etc.
• Toute confusion des deux classes est néfaste > interdits

La droite et la gauche

Main Droite Gauche


Domaine Sacré Profane
Monde spirituel Êtres bienfaisants Êtres malfaisants
Organisation sociale Nous Eux
Nature Lumière, jour, orient, midi Ténèbres, nuit, couchant,
nord
Sexe Homme Femme

Pourquoi est-ce la droite qui est sacrée?

C’est la structure de l’organisme qui dirige vers la droite le cours bienfaisant des
grâces. Une asymétrie insignifiante a suffi à diriger, dans un sens ou dans un
autre, des représentations contraires.

2. Evans-Pritchard (1902-1973)

L’intuition de Durkheim

• Le temps n’est pas un phénomène objectif


• Le temps est une institution sociale
• La représentation du temps dérive des périodes de l’activité sociale
• Le temps est un phénomène extérieur à l'homme
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Durkheim (1994 [1912] : 14)
“Qu’on essaie, par exemple, de se représenter ce que serait la notion du temps,
abstraction faite des procédés par lesquels nous le divisions, le mesurons,
l’exprimons au moyen de signes objectifs, un temps qui ne serait pas une
succession d’années, de mois, de semaines, de jours, d’heures ! Ce serait
quelque chose d’à peu près impensable. Nous ne pouvons concevoir le temps
qu’à condition d’y distinguer des moments différents. Or quelle est l’origine de
cette différenciation ? (…) l’observation établit que ces points de repère
indispensables par rapport auxquels toutes choses sont classées
temporellement, sont empruntés à la vie sociale. Les divisions en jours,
semaines, mois, années, etc., correspondent à la périodicité des rites, des fêtes,
des cérémonies publiques. (…) ce qu’exprime la catégorie de temps, c’est un
temps commun au groupe, c’est le temps social, si l’on peut parler ainsi. Elle est
elle-même une véritable institution sociale.”

La cloche du bétail chez les Nuer (Soudan)

Points de repère quotidiens :


• La sortie du kraal
• La traite
• Le départ du troupeau
• Le nettoyage de l’étable
• Etc.
Ainsi, il y a une seule horloge : la cloche du bétail. De plus, il faut savoir que,
chez le Nuer, il n'existe pas de mot pour désigner le temps : celui-ci n'est pas
conçu comme chose.

Mary Douglas (1921-2007)

• Etudiante de Evans-Pritchard
• Prof. à University College
• Purity and danger (1966)

Exposé de 3 idées centrales

1.La souillure est une offense contre l’ordre

Critique du matérialisme médical.


• Les interdits traditionnels cachent une intention hygiénique. C’est prendre
un effet contingent pour la cause
• Les rites anciens ou primitifs n’ont rien en commun avec nos savoirs
scientifiques. C’est une rationalisation a posteriori.
-->La primauté du symbolique

On ne peut pas séparer les ‘primitifs’ des ‘modernes’


“Comme les Boschiman, nous évitons les souillures et nous justifions ce
comportement en invoquant certains dangers. Les Boschiman croient que, si un
homme s’assied du côté féminin, sa virilité en souffrira. Nous craignons les
micro-organismes pathogènes : souvent les prétextes hygiéniques que nous
avançons pour justifier notre crainte de la souillure relèvent de la plus haute
fantaisie.”
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Ordre et désordre
• La saleté, c’est quelque chose qui n’est pas à sa place (désordre)
• La saleté postule un ordre symbolique
• L’idée de saleté est relative
• Les rites de purification consiste à rétablir l’ordre (supprimer, éviter,
séparer, etc.)

2. La correspondance entre systèmes social et symbolique

De la saleté à la société
• La saleté est fonction de la rigidité du système symbolique
• La rigidité du système symbolique est fonction de celle du système social
 La fermeture externe du groupe
 La structure interne du groupe

Deux exemples
Le système des castes en Inde et la ‘colonite’ dans la médecine coloniale.
> Le corps comme symbole >> Analogie entre corps individuel et social

3. Le désordre est source de pouvoir et de danger

Danger et pouvoir
• Le désordre provient des marges ou des interstices
• La marge est source de danger car c’est un état indéfinissable
• La marge est source de pouvoir car elle est susceptible d’imposer un
nouvel ordre

Exemple : les étudiants de l’UNILU

Conclusion

• Les dangers de l’approche durkheimienne :


1. Durcir l’opposition sacré/profane
2. Perpétuer la dichotomie moderne/primitif
3. Réifier la société comme un système

• La fécondité de l’approche durkheimienne :


4. L’importance des institutions dans la compréhension de la réalité
5. Une véritable approche comparative des faits sociaux
6. Mise en évidence des liens récurrents entre structure sociale et
symbolique
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Le structuralisme de Claude Lévi-Strauss

1. Un cheminement intellectuel

Biographie

Naissance à Bruxelles en 1908 - Etudes à Paris - Mission universitaire au Brésil


(1935-1938) et missions de recherche ethnographique dans le Mato Grosso -
Réfugié à New York (1940-1948) - Thèse (Les structures élémentaires de la
parenté) défendue en 1958 - Professeur au Collège de France (1952-1982) -
Entrée à l’académie française en 1973 - Il est aujourd’hui centenaire mais ne
fréquente plus ni les médias ni les milieux académiques

Tristes tropiques (1955)

• Un récit de voyage autobiographique


• Descriptions ethnographiques : la vie sociale des Nambikwara
• Considérations philosophiques : dénonciation de l’impact culturel de
l’Occident
Il en conclut que le voyage est vain : les différences entre les hommes sont
superficielles

Cheminement intellectuel de l’auteur : de l’ethnographie (étude


concrète des sociétés) à l’anthropologie (théories plus abstraites). Il explique
qu’il a été sur le terrain, qu’il a vu et analysé des sociétés exotiques mais qu’en
fin de compte, cette expérience est assez décevante. Les différences entre les
hommes sont superficielles, on rencontre partout les mêmes hommes. Voyager
de par le monde et vivre parmi ces sociétés est une quête veine et vaniteuse. “je
hais les voyages et les explorateurs”, dira-t-il.

De l’ethnographie à l’anthropologie

• L’expérience sensible est superficielle : elle exprime des structures sous-


jacentes
• Recherche des invariants de l’esprit humain : propriétés cognitives de
l’homme
• La rencontre avec l’autre ne doit pas se dérouler sous les tropiques mais
dans le texte des descriptions ethnographiques

Il représente bien l’anthropologue de bureau. À ses yeux, l’expérience


sensible (la rencontre sur le terrain) est assez superficielle. Pour saisir la réalité,
il fait répudier cette expérience immédiate pour pouvoir atteindre des structures
sous-jacentes. Idée de modèles sous-jacents à la réalité et qui la détermine. Il
s’intéresse aux invariants de l’esprit humain.

Le séjour aux Etats-Unis

• Il est fasciné par la richesse des descriptions sur les sociétés indiennes
d’Amérique du Nord : retranscriptions et traductions de ce que les vieux
11
indiens se souvenaient de leur jeunesse. Il fallait développer une
démarche analytique particulière pour les aborder. L’approche qu’il va
développer pour analyser ces corpus, il va la trouver dans une discipline
sœur de l’anthropologie.
• Il découvre la linguistique structurale avec la rencontre de Jakobson.
• Application de cette méthode à la culture (mythes) et à la société
(parenté).
• Il va alors analyser la culture comme une langue.

2. Le structuralisme
2.1. La linguistique structurale2

A. L’arbitraire du signe

• Le signe est négatif : il n’a en lui-même aucun sens (e.g. table)


• Le sens du signe est relatif : il se base sur une convention
> signifiant (son) et signifié (objet)
• Le signe est oppositif : il s’inscrit dans un système de signes contrastifs
(e.g. sable)
> Langue (système de signes) et parole (performance linguistique)

B. La langue fonctionne avec des phonèmes

• Le phonème est l’unité minimale qui permet de distinguer le sens de deux


mots (paire contrastive)
 Zona et sauna > /z/ et /s/ sont des phonèmes en français
 Roi avec /rr/ roulé et roi avec /r/ non roulé ont le même sens > ils ne
sont pas des phonèmes
• La notion de phonème est relative à une langue :
 /z/ et /s/ ne sont pas des phonèmes en espagnol
 /r/ et /rr/ sont des phonèmes en espagnol (pero et perro)

C. Le langage fonctionne en combinant ces phonèmes selon des


règles de structure

• Le langage combine les paires contrastives que constituent les phonèmes


• Ces combinaisons sont construites selon des règles de structure
• Ces combinaisons permettent une communication qui fait sens pour les
acteurs

Vers une anthropologie structurale

La démarche va constituer à se réapproprier ces principes pour les


appliquer à l’analyse de la culture.

1. L’arbitraire du signe
> Les représentations culturelles tirent leur sens de leur contraste avec
d’autres éléments. Les rites, mythes et même les pratiques matrimoniales n’ont

2 Voir aussi Ferdinand de Saussure (1857-1913) et Roman Jakobson (1896-1982).


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aucun sens en elles-mêmes
2. Les phonèmes
> Les représentations culturelles sont structurées par des oppositions
binaires (chaud/froid; sec/humide, etc.) de la même façon que les phonèmes
(puisque les représentations culturelles des rites, des mythes, etc. s’expriment
par le langage, elles sont structurées de la même façon).
3. Les règles de structure
> La culture fonctionne en combinant des oppositions binaires selon
des règles de structure. Par exemple, si on prend un mythe, on aura une série
d’opposition et on va repérer des liens entre le froid, le sec, le jour et la
masculinité.

2.2. La cybernétique

De la cybernétique au cerveau

La cybernétique a marqué les débuts de l’informatique (e.g. armes


intelligentes). On en vint à considérer que les ordinateurs étaient capables de
penser et on formula l'hypothèse que le cerveau humain fonctionne comme un
ordinateur : le cerveau combine des unités binaires (0 1) de manière à formuler
des messages.

Linguistique et cybernétique

• Parallèle entre linguistique structurale et modèle cybernétique


• Le langage résulte de l’activité cérébrale > il est structuré de la même
façon que le cerveau
• Anthropologie structurale : culture > langue > cerveau
13

2.3. Anthropologie structurale

Analogie culture/langage

Durkheim considérait la société comme un corps avec des institutions politiques,


économiques, etc. qui sont liées entre elles et c’est ce lien qui permet à la
société de se reproduire.
Pour Lévi-Strauss, la culture fonctionne comme une langue dans le sens où
l’entendent les linguistes structuralistes.

1. La culture est un système de signes


2. Il est possible de reconstruire les structures non-conscientes qui
déterminent la culture : nous ne connaissons pas les structures, les
mécanismes ; ce ne sont pas des réalités observables, ce sont des
structures non-conscientes déterminant la culture. Il s’agit de
reconstructions opérées par l’anthropologue et qui renvoient à des
schémas inconscients de l’esprit humain (reflètent l’organisation du
cerveau humain).
3. Ces structures non-conscientes reflètent l’organisation du cerveau
humain : La culture est un phénomène mental ; un ensemble
d’informations qu’on partage à l’intérieur d’un groupe. Elle est organisée
en structures : la façon dont le cerveau emmagasine, organise et
communique ses informations. C’est la façon dont l’esprit humain classe
la réalité que doit rechercher l’anthropologue.
4. La culture est un système de communication basé sur le principe de
réciprocité : qui dit langage dit système de communication. La société est
un système de communication. Il n’y a pas de société sans
communication c'est-à-dire sans échange et sans réciprocité. Cette
réciprocité de l’échange est à la base de la construction de la société. Voir
échange des femmes.

 Il montre l’existence de structures sous jacentes dans différents


domaines, systèmes de communication : la parenté, les mythes, la
cuisine, l’art, la musique.
 Interprétation des mythes : il offre des grilles d’analyse.
 Il a permis de comprendre l’art pictural dans des sociétés très
différentes les unes des autres.

3. Le totémisme
3.1. L’illusion totémique

Le mot ‘totem’

• Introduction du mot par J. Long (1791)


• La notion de totémisme de va pas de soi. C’est un terme élaboré par des
anthropologues évolutionnistes au XVIIIe.
• Le mot désigne l’appartenance clanique chez les Ojibwa
> Makwa nindotem (‘l’ours est mon clan’)
• Différence entre ‘totem’ et esprit tutélaire des individus
14

Les traits du totémisme pour l’anthropologie du 19e siècle

Ce système de dénomination collective ne doit pas être confondu avec


la croyance que chaque individu peut entrer en communication avec un animal
qui deviendra son esprit tutélaire. L’anthropologie évolutionniste se passionna
pour ses revendications de lien. Trois traits semblaient caractériser le totémisme
selon les évolutionnistes :

1. Lien entre une espèce animale ou végétale et un clan exogame


2. Croyance selon laquelle les membres du clan sont issus de l’espèce en
question
3. Attitude de respect vis-à-vis de l’espèce (interdit alimentaire, culte,
protection, etc.)
>> ‘Découverte’ du totémisme en Amérique, en Afrique, en Océanie et en
Australie

Théories évolutionnistes du totémisme

• Mac Lennan (1870) : la première religion de l’humanité


• Frazer (1910) : ignorance de la paternité physiologique
• Durkheim (1912) : la première forme de religion (symbole du clan)
• Freud (1913) : meurtre du père et interdit de coucher avec la mère
>> Proximité des sociétés exotiques avec la nature : distinction hiérarchique
‘civilisés’ / ‘sauvages’. Le totémisme rapproche les sociétés primitives avec la
nature, le simple, les origines. C’est un modèle qui a été énormément critiqué.

Critique de Goldenweiser (1910)

1. Les sociétés ‘primitives’ ne sont pas partout organisées en clans


2. L’association à des espèces naturelles peut également concerner des
confréries et des individus
3. Le ‘totem’ n’est pas nécessairement un animal ou une plante : pluie,
maladie, orient, rire, etc.
4. L’exogamie existe en dehors du totémisme
5. La croyance selon laquelle les individus descendent du ‘totem’ ne se
retrouve pas partout
6. L’animal ou la plante qui font office de ‘totem’ ne font pas toujours l’objet
d’un interdit alimentaire
>> Le ‘totémisme’ est une catégorie fourre-tout
>> On a mis dans cette catégorie tout un ensemble de phénomènes qui n’ont
pas beaucoup de liens entre eux ; cela servait plutôt de prétexte pour réaffirmer
la distinction entre nous et eux.

3.2. La logique du totémisme

Les deux questions de Lévi-Strauss

• Lévi-Strauss reprend la critique de Goldenweiser


• Mais il reste deux questions :
15
1. Quels sont les liens logiques entre système naturel et système
social?
2. Pourquoi les règnes animal et végétal offrent une nomenclature
privilégiée pour dénoter le système social?
• Mise en ordre du phénomène par une méthode en trois points

A. Définir les oppositions

• Définir le phénomène comme une relation entre deux ou plusieurs termes


• Le totémisme recouvre des relations entre deux séries :
 Une série naturelle
 Une série culturelle
• Les deux séries comprennent deux catégories :
 Les individus ou personnes
 Les catégories ou groupes

B. Etudier les combinaisons

> Construire le tableau des permutations possibles entre ces termes :

1 2 3 4
Nature Catégorie Catégorie Individu Individu
Culture Groupe Personne Personne Groupe

On a affaire à 4 combinaisons équivalentes ; il constate que dans la


catégorie du totémisme, les auteurs y intégraient les 2 premières. L’illusion
totémique n’est pas seulement d’avoir associé les individus aux animaux et les
interdits alimentaires, etc. mais aussi d’avoir exclus tout un champ sémantique
entre la façon dont est conçue le champ naturel et le champ culturel.

C. Des structures aux cas concrets

> Prendre ce tableau pour objet général d’une analyse qui peut expliquer les cas
empiriques
• Le totémisme australien : catégorie naturelle et groupe culturel
• Le totémisme individuel des indiens d’Amérique du Nord : catégorie
naturelle et personne culturelle
• L’incarnation des espèces naturelles dans les enfants chez les Mota
(Banks) : individu naturel et personne culturelle
• La vénération des animaux en Afrique et en Polynésie : individu naturel et
groupe culturel

3.3. Des animaux bons à penser

Pourquoi le symbolisme végétal ou animal?

Réponse fonctionnaliste de B. Malinowski :


« Courte est la route qui conduit de la forêt vierge à l’estomac, puis à l’esprit
du sauvage : le monde s’offre à celui-ci comme un tableau confus où se
16
détachent seulement les espèces animales et végétales utiles, et, en premier
lieu, celles qui sont comestibles » (1948 : 27).

Critique de Malinowski par Lévi-Strauss

1. Les animaux totémiques n’ont pas tous la même importance dans la


culture indigène
2. Les totems ne sont pas toujours utiles du point de vue de la culture
indigène (orient, pou, mouche, étoile filante, etc.)
3. La théorie fonctionnaliste n’explique pas pourquoi on rencontre des totems
hétéroclites (rire, maladie, vomissement, etc.)
> La clé du totémisme n’est pas dans l’estomac, mais dans l’intellect : les
espèces sont choisies parce qu’elles sont « bonnes à penser »

L’approche structurale

• La question n’est pas « pourquoi ces oiseaux? » ou « pourquoi le


faucon? »
> Un élément isolé n’a aucun sens
• La question est « pourquoi le faucon et la corneille ?»
> C’est la relation qui fait sens
• Exemple des relations entre clans chez les Luapula (Afrique Centrale) : les
clans léopard et chèvre ont une relation à plaisanterie parce que l’un
mange l’autre ; champignon termitière : l’un pousse sur l’autre ; termitière
et serpent parce que l’un se cache dans l’autre.

Théorie structurale du totémisme

• Le totémisme pose une ressemblance entre deux systèmes (naturel et


culturel)
• Cette mise en relation résulte d’une double opération de l’esprit :
 Percevoir les écarts entre espèces dans l’ordre de la nature
 Utiliser ces écarts perçus pour rendre compte des écarts dans l’ordre
social
• Le totémisme est une expression parmi d’autres de la nature classificatrice
de l’homme, du besoin de mettre de l’ordre, de donner du sens dans
l’univers ; il n’est ni exceptionnel, ni surprenant.
• L’homme est un bricoleur : il classe les objets présents dans son
environnement ; une fois qu’il a ses objets, il est contraint (un objet de
bois ne peut pas servir à n’importe quoi). A partir de structures déjà
présentes il va donner du sens au monde qui l’entoure en effectuant des
expériences grâce aux matériaux dont il dispose. Les révolutions
industrielle ou néolithique présupposaient un ensemble de structures.

4. Conclusion

L’inversion de l’approche durkheimienne

• Le totem :
 Durkheim : le symbole de la société qui se vénère elle-même par ce
17
biais
 Lévi-Strauss : un signe dans un système qui renvoie aux structures
de l’esprit humain
• La culture :
 Durkheim : primat du social sur l’intellect
 Lévi-Strauss : les catégories de l’esprit forgent la réalité sociale

Critique du structuralisme

1. La théorie structurale et la cybernétique ne sont pas valables : nos


cerveaux ne fonctionnent pas comme des ordinateurs (conception trop
simpliste)
2. Sur le plan méthodologique, le passage des matériaux empiriques aux
structures inconscientes est souvent opaque et arbitraire, il n’est pas aussi
facile de découvrir des contrastes culturels que des phonèmes !
3. Les données utilisées sont déjà le fruit d’un travail d’interprétation par
l’ethnographe ; les documents ne reflètent pas une réalité objective
4. Les dimensions pratiques et affectives sont omises au profit de la seule
dimension cognitive

Contribution du structuralisme

1. Offrir une hypothèse alternative à l’évolutionnisme et au diffusionnisme


pour comprendre les similitudes entre sociétés distantes
2. Dépasser le cadre local et synchronique des analyses fonctionnalistes
3. Donner un sens aux discours apparemment insensés au-delà de leur
fonction
4. Formulation de différentes hypothèses pertinentes sur un plan thématique
et/ou régional (analyse structurale des systèmes de castes en inde et
théorie du bricolage religieux par A Marie)
5. Le modèle intellectuel de C. Lévi-Strauss
18

La raison graphique

Biographie de J. Goody

Naissance en 1919 - Etudes en littérature anglaise - Professeur à Cambridge -


Terrain au Ghana (Lowiili, LoDagaa, Royaume de Gonja) - Etudes comparatives
entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique.

1. La domestication de la pensée sauvage

Ils tendent à développer une perspective évolutionniste qui décrit le


passage de la mentalité prélogique à une mentalité logique. Ils tentent de
trouver un point de rupture unique dans l’histoire de l’humanité : la Grèce, la
Mésopotamie, etc... et débouchent sur un grand partage entre eux et nous ; les
primitifs dont l’avancée serait irrationnelle et nous, les modernes qui aurions
développé une pensée scientifique.

Le grand partage

• L’évolutionnisme des anthropologues :


 Magie > Science (Tylor)
 Mentalité prélogique > mentalité logique (Lévy-Bruhl)
 Irrationalité > rationalité (Wilson)
• Point de rupture unique :
 L’Europe au 16e siècle?

 La Grèce au 5e siècle av. J.C.?


 La Mésopotamie en 3000 av. J.C.?
• Grand partage entre eux, les primitifs, et nous, les civilisés

Retour sur Lévi-Strauss

• La pensée sauvage et non pensée des sauvages


• L’ordre est une propriété de toute pensée
• Mais comment expliquer le caractère récent de la science moderne?
• Il doit y avoir deux modes de pensée scientifiques distincts.

Il voit dans le classement, l’ordre une propriété de tout pensée ;


comme le langage. Il en vient à se poser la question de ce qui distingue
l’occident des autres sociétés, il bute sur la distinction entre la magie et la
science. Il constate que la science moderne ne remonte qu’à quelques siècles.
Il se pose la question de savoir comment il est possible que si les hommes ont
tous la même pensée, il faille attendre si longtemps pour voir apparaître la
science moderne. Pourquoi n’est-elle pas apparue avant ? Il doit y avoir deux
modes de pensée distincts, deux modes de pensée scientifiques. Il effectue la
distinction célèbre entre pensée sauvage et pensée domestiquée (voir point
suivant).
19

Une alternative historique

Pensée sauvage Pensée domestiquée


Pratique Conceptuelle
Bricoleur Ingénieur
Science concrète Science abstraite

> Le paradoxe de Lévi-Strauss


• Le refus de l’évolutionnisme : les deux modes de pensée, qui sont
équivalents, se retrouvent dans la société occidentale
• Une dichotomie évolutionniste : La pensée domestiquée explique le
développement de la science occidentale

Lévi-Strauss entend rejeter l’évolutionnisme de ses prédécesseurs en


affirmant que ces deux modes de pensée constituent une alternative historique,
il s’agit de deux moyens équivalents de connaître le monde ; dans la société
occidentale, nous mobilisons les deux à des moments différents. Néanmoins, il
reproduit la vieille dichotomie en postulant une double rupture, à la fois
temporelle et causale entre les deux modes de connaissance. Pour lui, la pensée
domestiquée est moderne et doit expliquer l’apparition de la science dans
l’occident. On retrouve donc cette vieille dichotomie.

La solution de J. Goody

1. Il faut partir des media de la pensée et non des contenus


2. Le medium du message a des effets sur le contenu transmis (l’idée qu’il a
derrière la tête est que même si un message ne peut être réduit au canal
de sa transmission, ce médium a néanmoins des effets importants sur les
effets transmis)
3. La parole écrite n’est pas une simple représentation de la parole orale,
contrairement à ce qu’on pensait généralement. L’écriture est un autre
mode de communication ; il en veut pour preuve que la langue écrite peut
subsister à travers les siècles même si la langue orale se modifie (ex. du
Latin)
4. L’écriture a des implications cognitives différentes de celles de l’oralité

La domestication de la pensée

• Abandon du grand partage civilisé/primitif


> Explication des écarts supposés entre types de pensée
• Abandon de la catégorie de ‘mentalité’
> Explication par les modes de communication
>> Etude des mécanismes internes de l’oralité et de l’écriture et des
conséquences de l’écriture

Les avantages de cette approche :


• On est en mesure de faire disparaître la vieille dichotomie entre pensée
primitive et pensée civilisée tout en expliquant les différences, les écarts
qui avaient été postulé entre ces deux pensées par Tylor, Lévy-Bruhl ou LS.
20
Il faut expliquer la façon dont ces écarts sont produits à travers l’écriture
et l’oralité.
• Il se situe au niveau des moyens de communication par lesquels les
individus entrent en relation. Procéder ainsi permet de cerner les
mécanismes internes de l’oralité et de l’écriture et de comprendre ce qui
se passe lorsqu’une société en vient à adopter l’écriture. On ne cherche
plus ce qui distingue les deux pensées.

2. Les implications de l’écriture


2.1. Implications cognitives

La formalisation

• Les possibilités de l’écriture :


 Séparer les sons
 Modifier l’ordre des sons
 Etablir de nouveaux liens entre sons
> Poésie, rhétorique, linguistique
> Calcul, logique, mathématique
>> L’écriture permet de jouer avec les éléments de la parole

L’écriture permet donc de formaliser le langage et donc d’une certaine


manière la pensée. Elle permet de séparer les sons, de modifier l’ordre et
d’établir de nouveaux liens entre ces sons. Il faut donc y associer l’essor de la
poésie, de la linguistique et de la rhétorique. Le même raisonnement peut être
tenu avec les nombres pour le calcul, la logique et les mathématiques.

L’abstraction

• L’abstraction des procédés logiques


 Formules mathématiques
 Figures de style
>> L’écriture entraîne une décontextualisation du savoir : une fois qu'on a
l’écrit, on peut abstraire le calcul et appliquer des techniques formelles de calcul
à des objets divers (il en va de même dans le langage pour les figures de style,
etc.). L’écriture libère des contraintes de l’énonciation verbale. L’écriture
constitue une mémoire externe. Notre connaissance peut se reposer sur
l’écriture. Elle a un aspect visuel et statique ; ce qui la différencie de
l’énonciation verbale. L’écrit permet une dépersonnalisation de la connaissance.
Il offre une vision plus claire des alternatives.

L’esprit critique

• Constitue une mémoire externe


• Organise la parole sur un plan visuel et statique
• Détache la parole de l’énonciateur
• Offre une vision plus claire des alternatives
>> L’écriture favorise l’esprit critique : dans la plupart des sociétés orales, il est
assez rare, voire exceptionnel, que les individus puissent énoncer des
classifications exhaustives des plantes, des étoiles, des animaux. Sans écriture,
21
ils ne peuvent énoncer une forme de classification systématique. C’est l’écriture
qui permet de lister ces éléments et de concevoir cette exhaustivité.

La systématisation

• Classification exhaustive des éléments


• Fixation des classes
• Interrogation sur la pertinence des classes
>> L’écriture permet d’établir un inventaire systématique :

L’écriture et la science

• Systématisation > sciences de l’observation


• Formalisation > Raisonnements logiques
• Abstraction > Généralisation du savoir
• Esprit critique > Développement de la science
>> Rôle central de l’écriture dans l’émergence des sciences
>> La systématisation que permet l’écriture est à la base des sciences de
l’observation comme l’anatomie, la botanique, etc. De la même façon, l’intérêt
pour les raisonnements logiques semblent naître de la formalisation que permet
l’écriture. Et de la même façon, la généralisation du savoir scientifique implique
des principes abstraits liés à l’apparition de l’écriture. Le développement de la
science implique une critique et une confrontation des diverses théories.

2.2. Les implications sociales

L’inspiration

• Communication avec les dieux par l’écrit


• Constitution d’un corps de spécialistes :
 Monopole de l’interprétation des écritures
 Monopole des rituels adressés aux dieux
>> Limitation de l’inspiration religieuse
• Distinction entre artiste créateur et artiste exécutant
>> L’inspiration vient à celui qui écrit

Une stratification sociale

• La division du travail entre lettrés et non-lettrés


• Le prestige du savoir écrit et la dépréciation du savoir pratique
• L’importance centrale de l’écriture à l’école

Une stratification au sein de la famille

• Le livre est le médiateur reconnu du vrai savoir


• Différenciation des rôles au sein de la famille
• Déclassement des ‘anciens’

L’écriture n’est jamais une cause suffisante, entièrement déterminante


mais elle participe de mouvements plus généraux dans lesquels elle peut avoir
22
un rôle non négligeable. Dans les société à tradition orale, c’est dieu qui
enseigne à l’homme ce qu’il ne sait pas par la parole alors que dans les sociétés
écrites, Dieu montre la vie à l’homme par des tables ou des livres (écritures
couchées sous l’instruction de Dieu). C’est soit la voix soit la main de dieu qui
est prépondérant.

Dès que les hommes adoptent l’écriture, ils partent du principe que
dieu la maitrise aussi ; d’où ils peuvent communiquer par ce moyen : talismans,
mots glissés dans le mur du temple de Jérusalem. Dans les religions libres
(l’Islam, le Catholicisme, l’Hindouisme, etc.), les prêtres ont le monopole de
l’interprétation de l’écriture et qui sont également les spécialistes des rituels.
L’apparition de l’écriture implique une stratification de la société entre les lettrés
(qui peuvent communiquer avec dieu) et les non lettrés (qui leur sont
dépendants). L’écriture annonce la mort de l’inspiration religieuse que permet la
religion orale : c’est la figure du prophète et du messie qui se sert de la parole.
On observe un mouvement similaire dans le domaine des arts, dans celui de la
musique par exemple ; on observe une différenciation entre ceux qui créent
l’œuvre et ceux qui l’exécutent alors que dans la tradition orale c’était la même
personne ; on considère que l’inspiration vient de celui qui écrit la musique et
non à celui qui l’exécute (qu’on déprécie).

L’opposition entre le savoir instruit par les livres et l’ignorance (n’étant


pas passé par l’école) divise la société de façon générale : au niveau du travail ;
les tâches bureaucratiques, d’administration nécessite la maîtrise de l’écriture.
Ce sont les savoirs associés à l’écriture qui vont jouir d’un statut particulier par
rapport aux savoirs liés à l’expérience. Institution scolaire : véhiculant surtout le
savoir écrit. Il faut souligner le savoir de l’écriture et de la lecture sur la réussite
scolaire ; c’est ce qui permet l’émancipation sociale. L’écriture est donc centrale
dans l’institution scolaire et implique une stratification au sein même de la
famille lorsque l’école dévient obligatoire ; à l’intérieur même de la famille, les
livres vont devenir le médiateur du savoir à la place des parents ; différenciation
des rôles entre ceux qui maitrisent l’écrit et ceux qui ne le maitrise pas. Les
anciens sont l’incarnation de la sagesse dans les sociétés orale : expérience de
vie et longue mémoire ; ils sont le savoir. Dans les sociétés du livre, les anciens
sont dépassés par le livre ; ils n’ont pas suivi l’évolution du savoir écrit.

2.3. Les implications organisationnelles

L’importance des listes

• Les premiers écrits sont des listes


• La liste n’est pas une représentation de la parole
• La liste repose sur une double séparation :
 Séparation des éléments du contexte
 Séparation des éléments entre eux
• Exemple du domaine agricole

Les listes en Mésopotamie

• La comptabilité et le marché
23
• La chronique et l’histoire
• Les recettes culinaires et médicales
• La classification et le savoir scientifique

La bureaucratie

• Codification juridique des comportements


• Centralisation des informations
• Homogénéisation des procédures
• Dépersonnalisation des rapports sociaux
>> Distinction du public et du privé

Dès le début de l’histoire écrite de l’humanité, les textes se présentent


d’une façon différente de celle de la parole : la liste. Elle repose sur une double
séparation : détachement des mots de leur contexte d’énonciation et séparation
des éléments entre eux (on distingue vaches, cochons, chaises, etc.). On admet
généralement que le premier système complet d’écriture s’est développé en
-3000 en Mésopotamie pour répondre à des besoins économiques et
administratifs en pleine expansion. Le surplus agricole permit par l’irrigation et
l’administration sont entreposés ce qui nécessite la tenue d’une comptabilité.
Ce ne sont pas les œuvres littéraires qui sont les plus courantes. Déjà, les listes
ont une série d’implication ; la liste des produits permet la quantification qui
permet l’essor d’un système d’équivalence entre les biens ; la liste permet
l’émergence de la comptabilité et du marché. Les listes des éléments (rois,
royaumes, guerres, etc.) peuvent être associées à l’émergence de la chronique,
puis de l’histoire. Les listes des ingrédients ont permis une formidable extension
du savoir culinaire et médicale. Les listes permettent de fixer l’état du savoir et
de l’améliorer mais aussi de se poser des questions de classification (limites de
la liste, ordre hiérarchique, etc.) ; la liste transforme notre façon de voir le
monde, elle permet la mise en place d’inventaires puis du savoir scientifique. Le
développement d’une administration bureaucratique dépend de l’écriture. Elle
permet de centraliser les informations, d’homogénéiser les procédures,
codifications juridiques ; objectivité des rapports entre les fonctionnaires et des
fonctionnaires avec les autres ; dépersonnalisation démocratique définie par
Weber. Les relations sont régies par des règles compilées dans des codes écrits.
Elle conduit à une séparation entre le public, l’officiel et l’écrit d’avec l’officieux,
le privé et la parole. Les rapports sont médiatisés par des écrits et sont régis par
des normes.

3. Le savoir dans les sociétés orales


3.1. Les modes d’accès au savoir chez les LoDagaa du Ghana

1. Le savoir transmis dans un cadre cérémonial (Bagre)


> Importance de la récitation
2. Le savoir pratique acquis au quotidien
> Importance de la parole des aînés
3. Le savoir des forces spirituelles
> Le rôle des génies de la brousse
24
3.2. La mémoire en contexte oral

• Le Bagre (sorte de poème sacré très long comprenant deux parties) des
Lodagaa du Ghana
 Bagre blanc : rituel
 Bagre noir : narratif
 Poème sacré de 12 000 vers
• Récitation et répétition lors d’une cérémonie initiatique
• Comment les Lodagaa mémorisent-ils le Bagre?

Un apprentissage par cœur?

Problèmes de cette hypothèse :


• Divergence entre les versions
• Absence de correction de la part des répétiteurs
• Absence de modèle original
Solution :
• Reconstruction créatrice du mythe en contexte oral
• Différence entre mémorisation mécanique et mémorisation régénérative

La mémorisation n’est pas mécaniste, section par section. Ils se


basent sur la structure narrative du mythe. Ils introduisent sans cesse de
nouveaux éléments dans le mythe qui lui sont parfois tout à fait extérieurs.

La créativité en contexte oral

• Les LoDagaa introduisent de nouveaux éléments dans le mythe


> Importance de la créativité en contexte oral
• Les LoDagaa nient l’innovation individuelle dans le mythe
> La créativité n’est pas reconnue en contexte oral
>> La reconnaissance des individus par l’écriture
>> Le mythe fait l’objet d’une constante reconstruction créatrice. Il existe des
différences entre mémorisation mécanique et mémorisation régénérative.
L’exigence de la copie exacte, du mot à mot est la conséquence de l’introduction
de l’écriture. On est loin du fonctionnaliste pour lequel ils seraient prisonniers de
catégories sous jacentes. S’il y a de la création dans les sociétés orales, cette
création n’est pas reconnue comme telle. Les productions individuelles tendent à
être rejetées dans l’anonymat.
25

3.3. Les tableaux des anthropologues

Régions Clans Couleurs Domaine Animaux Saisons Éléments


s de proie
Nord Grue, Jaune Force, Puma Hiver Vent, air
pélican, destructio
coq, bois n, guerre
jaune
Ouest Ours, Bleu Paix, Ours Printemps Eau
coyote, chasse
herbe de
printemps
Sud Tabac, Rouge Chaleur, Blaireau Été Feu
maïs, agriculture
blaireau ,
médecine
Est Daim, Blanc Soleil, Loup blanc Fin de Terre
antilope, magie, l'année
dindon religion

La simplification graphique

• Le tableau est une élaboration graphique de la vision du monde des


acteurs
• Le tableau correspond d’abord à l’exigence d’ordre de l’ethnographe
 Fixation
 Systématisation
 Réduction de l’ambiguïté
• Le tableau réduit la complexité de l’oral

4. Une voie médiane

Entre dualisme et relativisme

• Rejet du dualisme entre pensée primitive et pensée moderne


• Rejet du relativisme qui ramène la pensée à un cadre unique
>> Prendre la mesure des implications cognitives de l’écriture

Contre le déterminisme

• Rejet du déterminisme technologique simple


• Rejet de la confusion des facteurs
>> Identifier les possibilités permises par l’écriture dans leur contexte social

La démarche de J. Goody

• Etudier les modes de communication en présence (geste, oral, écrit)


26
> Prendre en compte les différents types d’écriture (dessin, liste, idéogramme,
alphabet, etc.)
• Etudier leurs implications cognitives et leurs articulations
• Inscrire ces mécanismes dans les processus sociaux et organisationnels
plus larges

Par conséquent, les modes de pensée d’une société à une autre


présentent de nombreuses ressemblances parce que l’écrit ne remplace
pratiquement jamais la parole ; la parole elle-même ne se substitue jamais
complètement du geste. Des différences peuvent se manifester dans les
activités cognitives des individus ; l’écriture ajoute une dimension particulière.
Les sociétés sans écriture ont une mathématique, une organisation
administrative, etc. Ils s’intéressent aux nouveaux développements qu’on connu
ces institutions sociales à partir de l’écriture. C’est une évidence qu’il y a une
activité intellectuelle dans les sociétés orales.

En mettant l’accent sur le rôle de l’écriture, il n’entend pas faire de


l’écriture la cause de toute chose. Il refuse, en même temps, de ne pas mettre
l’accent sur les circonstances et les événements. L’écriture n’est jamais une
cause suffisante, elle s’inscrit toujours dans un contexte plus général.
27

L’anthropologie cognitive

La sociologie de Durkheim

• Affirmation du caractère social des catégories mentales


• Critique de la naturalisation des productions culturelles
>> Expliquer le social par le social (construction sociale de la réalité) :
l’interprétation naturaliste est vue comme insuffisante ; il est nécessaire de la
mettre en relation avec le contexte social et l’histoire culturelle.

Le renversement structuraliste

• La diversité des phénomènes culturels sont l’expression de structures


sous-jacentes
• Ces structures reflètent l’organisation du langage et du cerveau
>> Expliquer le social par la langue et la psychologie
>> Ce modèle dualiste de notre cognition a été remis en cause durant les
années 70 par les études sur la modularité de l’esprit (Chomsky et Fodor).

Anthropologie cognitive

•Expliquer la culture par la psychologie


• Partir des expériences en sciences cognitives
>> Développer une science naturelle de la culture3

L’anthropologie cognitive s’inscrit dans le prolongement de


l’anthropologie structuraliste dans la mesure où elle cherche à expliquer la
culture par la psychologie ; capacité de la cognition humaine à élaborer des
manifestations culturelles. Rassemble psychologues, neurologues, linguistes,
philosophes et anthropologues. Ce champ de recherches procède par le biais
d’expériences en laboratoire (recherches assez récentes : depuis les années
90'). Ils adoptent une perspective matérialiste.

Les anthropologues cognitifs


1. Un programme naturaliste : Dan Sperber

Un point de vue matérialiste

• Interprétation anthropologique : traduire et replacer les représentations


dans leur contexte social
• Explication matérialiste : montrer comment les représentations sont
possibles dans le cerveau
• Une approche matérialiste n’est pas une approche réductionniste (on peut
reconnaitre une certaine autonomie à la culture)

3 Sperber, D., 1996, La contagion des idées. Théorie naturaliste de la culture, Paris, Odile
Jacob
Boyer, P., 2001, Et l’homme créa les dieux, Paris, Gallimard
Lahire, B., 2005, L’esprit sociologique, Paris, La découverte
28
La démarche matérialiste

1. Les phénomènes culturels consistent en mouvements du corps


2. Les phénomènes culturels impliquent des représentations
3. Il existe des représentations mentales (internes) et publiques (externes)

La question qui se pose est de savoir de quoi sont faites les choses
culturelles sur un plan matériel. Par exemple, l’acte de tuer un animal. Il faut
comprendre les représentations (publiques, mentales) des acteurs pour
interpréter ce phénomène.

Les représentations culturelles

• La communication implique un processus de transformation des


représentations (mentale, publique, mentale, etc.)
• Des représentations se répandent dans la population et perdurent de
génération en génération
>> Pourquoi certaines représentations sont contagieuses?
>> Communiquer des représentations mentales, c’est les transformer en
représentations culturelles (discours) et l’auditeur les transforment en
représentations mentales.

Epidémiologie des représentations

• Etude des enchaînements causaux entre représentations mentales et


publiques
• Prise en compte des facteurs cognitifs (internes) et écologiques (externes)
>> Les ‘choses’ culturelles sont des agencements écologiques de ‘choses’
psychologiques
>> Parallèle entre une épidémiologie médicale et culturelle à faire, mais
représentations culturelles ne sont pas pathologiques ! La démarche reste
matérialiste ; les choses culturelles sont conçues comme des agencements
écologiques de choses psychologiques (relevant de nos capacités cognitives).

Exemple du mythe

Trois objets matériels :


1. Récits : représentations publiques
2. Histoires : représentations mentales
3. Enchaînements causaux (récit, histoire, récit, etc.)
Explication épidémiologique :
1. Facteurs écologiques : écriture, école, rite, etc. (présence de l’écriture,
d’institutions qui répandent le savoir, succès du narrateur, etc.)
2. Facteurs psychologiques : organisation de la mémoire humaine (ce que la
mémoire retient plus facilement ou non)

2. Les modules du cerveau

L’architecture du cerveau
29
• Le cerveau n’est pas un seau vide dans lequel vient se déverser la culture
• Le cerveau est organisé en modules qui structurent les formes culturelles
• Ces modules génétiquement programmés fonctionnent par domaines
>> Analogie avec les programmes informatiques

L’apprentissage des concepts

• Comment les enfants apprennent-ils le concept ‘oiseau’?


1. Hypothèse de l’ostentation : on leur montre l’animal en disant le concept
‘oiseau’
2. Mais comment sait-il que le concept ‘oiseau’ s’applique à l’animal désigné?
3. Hypothèse du schéma inné : ils ont un schéma inné pour ANIMAL auquel ils
rapportent le concept ‘oiseau’
>> Nous aurions des schémas cognitifs innés dans lesquels nous classons les
concepts linguistiques

L’étude de Berlin et Kay (1969)

• Procédure :
1. l’informateur mentionne les couleurs de base dans sa langue
2. Il pointe sur une palette de couleurs le point focal et les frontières de
chaque catégorie
• Résultats :
3. Les informateurs pointent la même case focale pour chaque catégorie
4. Les informateurs rencontrent des difficultés pour définir les frontières des
catégories

Universalité des catégories de couleurs

• L’ensemble des langues se basent sur un répertoire de onze catégories de


couleurs
• Chaque langue emploie des mots différents
• Une langue peut compter moins que onze catégories
• Nous aurions donc des points de référence mentaux inconscients en
commun pour désigner les couleurs!

Un dispositif inférentiel

• Nous sommes disposés à aller au-delà de l’information disponible


• Ces inférences permettent d’élaborer des concepts à partir d’informations
fragmentaires
• Ces inférences obéissent à des principes déterminés : leurs résultats sont
prévisibles
> Ex. : il n’est pas nécessaire de dire que toutes les poules pondent des œufs ; il
y a un processus d’inférence à partir d’éléments fragmentaires ou insuffisants.

Un exemple

• « Les zygons sont les seuls prédateurs des hyènes »


• 1ère inférence : le zygon est un animal
• 2ème inférence : le zygon se comporte comme un animal
30
>> L’acquisition du savoir procède par inférence

Les schémas conceptuels

• Nous avons des schémas conceptuels pour différents domaines


• Concepts de base : animal, personne, couleur, artefact, objet naturel,
plante, etc.
• Concepts abstraits : norme, cause, substance, espèce, fonction, nombre,
etc.
• Les schémas conceptuels sont universels et stables

3. Les concepts surnaturels : Pascal Boyer

Pourquoi des dieux?

Pour expliquer la religion, on doit essayer de comprendre pourquoi


notre esprit adopte des concepts religieux.

• La religion comme phénomène culturel :


 Elle explique le monde
 Elle réconforte les hommes
 Elle organise la société
 Elle est une illusion naïve
• La religion comme phénomène naturel :
 Elle résulte de l’organisation de notre cerveau

Les êtres surnaturels en Afrique

1. Les esprits (Mayotte) : êtres invisibles qui boivent de l’eau de Cologne


2. Les ébéniers chez les Uduk (Soudan) : arbres qui se souviennent des
conversations La forêt chez les Mbuti (Congo) : être qui protège et nourrit
si on chante pour elle

Les concepts contre- intuitifs

1. Les concepts religieux incluent deux éléments :


 une catégorie ontologique (concept de base)
 Une mention qui contredit en partie l’information de la catégorie
ontologique
2. Exemples :
 Esprit : PERSONNE + invisible
 Ebénier : PLANTE + écoute les conversations
 Forêt : OBJET NATUREL + aime la musique
 Dieu : PERSONNE + Omniprésence

Construire un concept religieux

• 1ère condition : introduire une violation de nos attentes intuitives


• 2ème condition : maintien des inférences par défaut
31
>> la violation est partielle : exemple du fantôme

La distribution des concepts surnaturels

• Les concepts surnaturels sont faciles à mémoriser et à communiquer


> Réussite culturelle des concepts surnaturels dans les sociétés humaines
• Le catalogue des concepts surnaturels est limité
> Air de famille des concepts surnaturels dans les sociétés humaines

4. Les croyances : Dan Sperber

Les deux types de croyance

1. Les croyances intuitives sont des croyances de premier ordre


 Elles résultent de la de la perception et de la communication
 Elles ne dépendent pas d’une autre croyance
 Exemple : le charbon est noir
2. Les croyances réflexives sont des croyances de second ordre
 Elles résultent de la communication
 Elles dépendent d’une autre croyance
 Exemple : la terre tourne autour du soleil

Les croyances comprises à moitié

• Les croyances réflexives sont parfois comprises à moitié


> « Dieu est partout »
• Ces croyances sont tenues pour vraies car elles s’enchâssent dans une
autre croyance
> « Ce que dit maman est vrai »
• Ces mystères sont répandus car ils se prêtent à diverses interprétations
> « Les hommes naissent égaux »

• Susceptible de poser des problèmes d’intelligibilité : diverses


interprétations de tous les hommes sont égaux.
• Succès de ces croyances car richesse de ses conséquences ; on peut en
faire beaucoup de choses.

5. Conclusion

Un problème de méthode

• L’anthropologie cognitive se base sur des exemples fictifs et des


expériences de laboratoire
• Ces situations ignorent ce que les enfants ont déjà pu apprendre
• Ces situations placent les enfants dans une situation artificielle
• Ces situations amènent les chercheurs à postuler que les compétences des
enfants sont innées

Commencer par l’apprentissage?


32
Si on n’étudie pas l’apprentissage, comment peut-on déduire que des
choses ne s’apprennent pas par l’expérience?

• L’anthropologie cognitive n’étudie pas les modalités de l’apprentissage en


contexte naturel
• L’anthropologie cognitive ne « prouve » pas que les compétences sont
innées et non acquises
• La démarche pour découvrir ce qui relève de l’inné procède par exclusion
>> Priorité des études sur l’apprentissage?

Keil : on raconte des histoires à des enfants avec des namans qui sont
endormis et des esters qui doivent être réparés. Ils infèrent que les namans ont
parfois faim et que les esters sont faits de métal. Ils font une distinction
ontologique entre les êtres vivants et les artefacts. Mais ils peuvent très bien
avoir un bagage culturel qui leur permet de faire de telles inférences.

L’hypothèse de Linné est valable mais la réponse dépend de ce qu’on


sait par ailleurs de l’apprentissage. La démarche procède par exclusion ; ce qui
n’est pas acquis peut être considéré comme inné. Il importe alors de développer
alors l’étude des mécanismes sociaux de l’apprentissage avant d’émettre des
hypothèses sur les effets structurants de notre appareil cognitif.

L’enjeu du débat

• Notre compréhension de la cognition humaine


• L’apprentissage culturel
• Compréhension de l’évolution de l’homme et de la différence
homme/animal
• La sélection dans la culture
• Hypothèse d’acquisition : séparation biologie et culture ; l’homme s’est
détaché de son patrimoine génétique
• Il ne détermine plus les formes que peuvent prendre notre cognition
intellectuel

Autre hypothèse : il y aurait une sélection culturelle de ce qu’on appelle les


memes les plus aptes. Développe-t-elle des outils adéquats ?
33

L’anthropologie interprétative : Clifford Geertz

Retour sur le débat culture/civilisation

• L’héritage des philosophes (civilisation) => universaliste


> La culture comme expression de la raison universelle de l’homme
• L’héritage des romantiques (culture) => particulariste
> La culture comme expression du génie propre à chaque peuple
(compréhension des faits culturels de l'intérieur)

1. L’anthropologie culturelle américaine : de F. Boas à C. Geertz

Franz Boas (1858-1942)

Etudes en Allemagne - Ethnographies en Amérique du Nord - Migration aux USA


en 1887 - Formateur des 1ers anthropologues américains - Introducteur de la
tradition allemande en Amérique – Intéressé par la géographie, mais il se rend
compte que le seul déterminisme géographique ne suffit pas : il s'intéresse alors
à la culture

La culture chez Boas

1. La culture remplace la race


>< déterminisme biologique (racisme)
2. La culture est le produit d’une histoire contingente : amalgame de pratique
et de représentations tirant leur légitimité dans certains lieux et moments,
par opposition à l'échelle unilinéairede la culture, telle qu'elle était conçue
par les évolutionnistes.
>< évolution naturelle (évolutionnisme)
3. La culture exprime le ‘génie’ du peuple
>< universalité de la civilisation (humanisme)

Postérité de F. Boas

• La culture comme assemblage de morceaux disparates (diffusion)


> 1 génération : Kroeber, Lowie, Sapir, Radin, etc.
ère

• La culture comme unité psychologique (intégration)


>2 ème
génération : Benedict, Mead, Bunzel, Reichard, etc.
>> La 3ème génération : la culture comme système symbolique (Clifford Geertz,
chantre de l'anthropologie interprétative)

2. De la sociologie à la littérature : C. Geertz (1926-2006)

Biographie (première partie)

Né en 1926 - Etudes en anglais et en philosophie à Antioch - Anthropologie à


34
Harvard - Recherches en Indonésie - 1952-1954 : Modjokuto (Java)4 - 1957-1958 :
Bali - Travaux de la 1ère période : The religion of Java (1960), Peddlers and
princes (1963), Agricultural involution (1964), The social history of an Indonesian
Town (1965)

Les travaux de la première période (1952-1954)

• Contexte :
 Le rôle des USA dans la décolonisation
 Les programmes de ‘modernisation’
 Les camps de la guerre froide
• Le rôle des sciences sociales : fournir des recettes pour réussir le
‘décollage’ des pays du Sud
• Le cadre théorique : la sociologie de T. Parsons (très influent : a introduit
Weber aux USA) et de M. Weber
>> Intérêt de C. Geertz (et sa femme) pour le lien entre idées religieuses et
développement économique et politique des pays étudiés (influence de Parsons).

Le cas de Peddlers and Princes (1963)

• Modjokuto (Java): les marchands musulmans (islam orthodoxe)


 Ethique religieuse puritaine propice à l’épargne capitaliste (// Weber
avec l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme)
• Tabanan (Bali) : les princes
 Capacité à mobiliser la main d’œuvre en manipulant l’éthique
communautaire (les liens de loyauté)
>> Différents arrangements sociaux et culturels peuvent préparer la route du
développement
>> Le rôle de l’entrepreneur : mobiliser des moyens traditionnels pour de
nouvelles fins
>> Autre forme d'évolutionnisme : on pensait que les anciennes colonies allaient
suivre la voie occidentale en matière démocratique, politique, économique, etc...

Biographie (deuxième partie)

• Passage à Stanford et à Berkeley


• Université de Chicago (1960-1970)
• Institute for Advanced Study (1970-2000)
• Recherche au Maroc (Sefrou et son souk)
• Travaux théoriques de la deuxième période :
• The interpretation of cultures (1973) – le plus célèbre, Local knowledge
(1983), Works and lives (1988), After the fact (1995), Available light (2000)

Les travaux de la deuxième période (1957-1958)

• Désintérêt pour la sociologie de T. Parsons


• Intérêt pour la philosophie et les études littéraires
• Participation au tournant interprétatif en sciences sociales

4 Plus concret et discret, plus de prises sur la réalité sociale.


35
• L’homme produit des symboles qui véhiculent des significations (K. Burke)
• L’action humaine peut être conçue comme un texte à interpréter (P.
Ricoeur)
>> The interpretation of cultures (1973)

3. La description dense : vers une théorie interprétative de la


culture5

Le programme de T. Parsons (point de départ de la réflexion de


Geertz)

• L’action humaine comprend différents ingrédients : économie, société,


psychologie, etc.
• Chaque ingrédient doit être abstrait pour être étudié par des spécialistes :
économistes, sociologues, psychologues, etc.
>> L’anthropologie est l’étude de la culture : c'est un système “ordonné” de
symboles et de significations. Mais il définit la culture comme un système, tout
en insistant sur l'importance de maintenir le système avec l'extérieur/la culture
en elle-même (?).

La culture selon C. Geertz

« La conception de la culture que j’épouse, et dont j’essaie de démontrer l’utilité


ci-dessous, est essentiellement sémiotique. Croyant avec Max Weber que
l’homme est un animal suspendu dans des réseaux [webs] de signification qu’il a
lui-même tissé, je considère la culture comme étant ces réseaux, et l’analyse de
la culture non pas comme une science expérimentale à la recherche de lois,
mais comme une science interprétative en quête du sens » (1973 : 5).

L’objectif de l’ethnographie

• La sémiotique est l’étude de la signification des signes et des symboles


• L’action humaine est symbolique : elle signifie pour les acteurs
• L’anthropologue doit fournir une description dense des comportements
humains
> dégager les couches de sens qui structurent l’agir

L’exemple du clin d’oeil (G. Ryle) ou analogie du clin d'oeil

• Description superficielle (thin) : contraction de la paupière


• Description dense (thick) : tic, clin d’œil, parodie, etc.
>> L'ethnographie est une description dense des comportements culturels. Dans
ce cas-ci, il y a plusieurs descriptions possibles : cela peut être un tic, une
moquerie, un clin d'oeil complice à un ami, etc... La différence? C'est une affaire
de sens!

Le travail de l’ethnographe6

5 Texte qui montre bien sa conception de la culture et de l'anthropologie.


6 Il s'agit souvent d'un texte construit de A à Z, d'une fiction, ce qui permet de rendre
intelligible le vrai discours.
36

• Faire de l'éthnographie = Lire un texte (se manifeste de manière


temporaire dans un comportement symbolique) : interpréter les différents
niveaux de sens de l’action. Ainsi, ce n'est pas la signification profonde et
ultime, mais celle qu'elle prend dans le cours même de l'action.
> Inscrire la signification des symboles dans le flux de l’action (>< culturalisme)
• Ecrire : construire un discours pour rendre intelligible un autre discours
> Interpréter les interprétations des acteurs (>< positivisme)
>> C’est la densité des descriptions qui détermine la valeur des interprétations :
interprétation d'interprétation : les individus expliquent le pourquoi du symbole
sur leur agir.

Une approche symbolique

• La culture revêt un caractère public


> Les performances visibles de la culture sont plus importantes que les
structures internes du cerveau
• La capacité symbolique de culture est universelle et opère de manière
indépendante par rapport à notre patrimoine génétique. Mais il est
caduque de chercher les principes fondamentaux des cultures car c'est ce
qui les distingue qui est intéressant, selon Geertz.
> Les particularités de chaque culture sont plus importantes que les
ressemblances entre cultures
• La culture renvoie à un ethos
> La culture comme style mental (passion, comment les individus sentent) est
plus important que la culture comme vision du monde (esprit) => rechercher
des saveurs particulières.

4. Jeux profonds : le combat de coqs à Bali

Les hommes et les coqs

• Le coq (sabung) est le symbole masculin par excellence


• Les hommes choient leurs coqs de combat, alors qu'ils ont horreur de tout
comportement animal.
• Les Balinais méprisent l’animalité
>> Le combat de coq contre lieu d’expression des pulsions => contradiction,
puisqu'il y a aussi bien l'animalité que la virilité.

Les matchs

• Les combats ont lieu dans une enceinte de 20 m2


• Une dizaine de matchs se succèdent en fin d’après-midi
• Chaque match comprend deux rounds
• La mort est la seule issue possible du match

Les paris

• Les paris au centre entre les propriétaires et leurs alliés : sommes plus
importantes
37
• Les paris sur le côté entre spectateurs : sommes moins importantes
• Les paris sont payés immédiatement après le combat

Les ‘jeux profonds’

• L’importance des paris s’explique moins par l’argent que par l’honneur
 L’argent est surtout important dans les petits paris
 L’honneur est surtout important dans les grands paris
• L’enjeu est symbolique : infliger un affront ou être insulté
• Ce sont des displaces, selon J. Bentham : l'argent est dépensé en somme
très importantes, alors que les gens gagnent peu leur vie => c'est un
comportement irrationnel.

Hiérarchie et espace

1. Centre : les hommes importants qui prennent part aux grands combats
2. Ceux qui prennent part aux petits combats
3. Ceux qui parient sur les petits combats
4. Marge : les femmes, les enfants et les pauvres qui sont exclus des combats
et se consacrent à d'autres jeux de hasard.

Le jeu des loyautés

• Un district comprend des villages, les villages des factions, les factions
des sous-factions, etc.
• L’éthique sociale du pari : un homme doit toujours être loyal envers son
groupe. Il doit aider quelqu'un de sa faction, parier pour lui s'il a un coq,
etc...
• Au plus le statut des protagonistes est proche et élevé, au plus le match
est important

Un drame

• Le combat de coqs est sans conséquences


> Personne ne monte ni ne descend de l’échelle sociale
• Le combat de coqs est comme un drame romanesque ou théâtral
> Thèmes de la mort, la rivalité, la fierté, la perte, la chance, etc.
• Le combat de coqs est une expression artistique
> Il est une interprétation de la société et un moyen de faire fonctionner ses
émotions à plein. C'est une forme d'interprétation qui doit être réinterprétée par
l'ethnographe.

Le combat de coqs comme texte

• Le combat peut être lu comme un texte voulant dire quelque chose à


propos de quelque chose
 Il dit quelque chose sur les passions des Balinais
 Il dit que ces passions unissent les Balinais
• Le combat est à la fois expression et véhicule de la culture balinaise
• Analogie avec un match de football, par exemple.
38

Culture et histoire : Marshall Sahlins

1. Entre évolutionnisme et marxisme

La première période (1954-1968)

Né en 1930 à Chicago - Etudes à Michigan (L. White) - Thèse à Columbia (J.


Steward) - Etude de la stratification sociale à Fidji, en Mélanésie orientale -
membre d'un cercle néo-évolutionniste

Le néo-évolutionnisme américain

• Le projet d’une science matérialiste et évolutionniste des sociétés


• Accent sur l’adaptation des sociétés à leur environnement naturel
 L. White : modèle unilinéaire (de société simple à complexe)
 J. Steward : modèle multilinéaire (plusieurs évolutions divergentes
possibles)
> L’évolution culturelle s’inscrit dans la continuité de l’évolution naturelle
>> Dans la tradition de Lewis Morgan
>> Mécanisme d'évolution du plus simple au plus complexe

La synthèse de M. Sahlins

• Evolution spécifique : les sociétés s’adaptent aux conditions locales par


des inventions techniques (processus de complexification croissante)
• Ces inventions techniques se diffusent dans l’espace et entraînent des
modifications en chaîne (de régions en régions)
• Evolution générale : les évolutions locales donnent lieu à une évolution
générale
> En étudie d'abord les évolutions locales avant de se lancer dans des évolutions
plus importantes

L’évolution politique des sociétés du Pacifique


39

Quatre stades politiques

1. Les petites sociétés basées sur la parenté (Micronésie et Mélanésie), sans


chef
2. Les sociétés à big men (Fiji) : sorte d'entrepreuneus parvenant à s'attirer
les faveurs de dépendants (?) et à redistribuer les ressources.
3. Les chefferies combattantes (Polynésie orientale) : structures politiques
héritées de manière traditionnelle, mais leur position peut être contestée
=> pouvoir instable.
4. Les Etats (Hawaii, Tahiti, Tonga) : selon lui, n'apparaissent qu'avec le
colonialisme => permettent au chef de monopoliser le pouvoir et la
violence.
>> Un processus universel : sociétés égalitaires > sociétés hiérarchiques

Un déterminisme matérialiste

Les sociétés primitives Les sociétés modernes


Mode de production domestique Mode de production avancé
Réciprocité Redistribution
Parenté Classe
Organisation politique diffuse et Organisation politique centrale et
égalitaire hiérarchique

Simple > Évolution > Complexe

2. La conversion au culturalisme

La deuxième période (1968-2008)

Séjour à Paris entre 1967 et 1969 (c'est là qu'il se convertit) - Influence du débat
français entre marxisme et structuralisme - Quitte l’université de Michigan pour
l’université de Chicago, fief culturaliste, en 1974 - Critique de la sociobiologie
(Edward Wilson) et Au cœur des sociétés

Le symbolique au cœur des sociétés

• Les origines des débats marxisme/structuralisme en Europe et


évolutionnisme/culturalisme aux USA:
 Matérialisme : la culture comme ensemble de techniques qui
détermine l’adaptation des sociétés
 Idéalisme : la culture comme ensemble de représentations qui
modèle l’action
• ‘Dépassement’ de l’opposition en concevant l’économie comme un
système symbolique
• La culture comme ordre symbolique est déterminante dans l’ensemble des
sociétés humaines
40

L’ordre symbolique des sociétés

• Les sociétés tribales : la parenté


• Les chefferies et royautés : le politique
• Les sociétés occidentales : l’économie, la consommation des
marchandises, ...
>> Centralité des marchandises comme symboles dans la construction des
identités
>> Les identités collectives se développent autour de la consommation. Par
conséquet, les différentes classes et ethnies se définissent par leur
consommation.
>> La grande différence entre sociétés modernes et primitives réside dans leur
orientation symbolique et pas dans la technologie, etc...

3. Mythe et histoire

La validité des mythes

• Boas : le mythe comme document historique


> Croisement des données
• Lévi-Strauss : le mythe comme manifestation de la pensée sauvage (le
mythe est un essai cosmologique sur la condition humaine)
> Etude des catégories mythiques
>> Débat entre historiens (Vansina) et anthropologues (De Heusch) en Belgique
(60')
>> À partir de cette époque, on se rend compte que l'histoire des sociétés
africaines ne commence pas avec le colonialisme.

L’importance des mythes

• Malinowski : le mythe comme justification de l’ordre présent => “Charte


mythique des sociétés”
> Etude des rites qui actualisent, réalisent le mythe
• Sahlins : le mythe comme modèle pour comprendre les événements
nouveaux et agir face à ces situations
> Etudier la relation entre mythe et histoire
>> La notion de mythopraxis : les mythes sont des modèles d'intelligibilité
pour comprendre les événements nouveaux et l'histoire, et faire face à ces
événements nouveaux.

3.1. Le cas de la mort de Cook à Hawaii

Lono dans la cosmologie hawaïenne

• Lono est opposé à Ku


 Paix et fertilité >< Guerre et sacrifice
 Peuple >< Chefferie
41
• Lono est célébré lors du festival de Makahiki
 Apparition des Pléiades (saison des récoltes)
 Sortie de l’image de Lono (arrivée du dieu)
 Procession autour de l’île (sens des aiguilles d'une montre), 23 jours
 Retour au temple et combat avec le roi, associé à Cook
 Mort rituelle du dieu, départ et retour après un an

Le séjour de Cook (1778-1779)

Le capitaine Cook est arrivé au début du festival de Makahiki - Les


voiles du discovery et du Resolution ressemblaient aux bannières de Lono - Les
deux bateaux effectuèrent le tour de l’île (montre) - Les marins débarquèrent
près du temple de Lono - Cook fut convié à réaliser des rites dans le temple de
Lono - Le Grand Navigateur quitta l’île à la fin du festival, en promettant de
revenir l’année suivante…

Le dernier voyage de Cook

Le retour inattendu de Cook

Le mât du Resolution se brise en mer - Retour de Cook à Hawaii -


Incompréhension et hostilité des chefs hawaïens - Multiplication des vols contre
les Anglais (façon de prouver leur audace guerrière) - Prise en otage du chef
hawaïen (sorte de rituel politique britannique de l'époque) – Révolte de la foule
et mort du capitaine Cook - Epilogue : Cook reviendra-t-il l’année prochaine?
>> Directement après la mort de Cook, ils redeviennent très sympathiques avec
les anglais, traitent le corps avec tous les honneurs et demandent si Cook
reviendra l'année d'après.

Explication

• L’ensemble des dynasties hawaïennes furent fondées par des


envahisseurs
• L’arrivée de Lono était conçue comme un défi contre le roi
42
• Le défi au roi trouve une issue heureuse dans le festival Makahiki
• Cook était hors catégorie : ils ne savaient pas où le placer dans leur
schéma mythique
>> L’interprétation des chefs hawaïens fut que Lono était revenu pour
conquérir l’île => la seule issue possible était de le tuer

Histoire et structure

Une pensée dualiste de l’histoire

• La pensée occidentale conçoit l’histoire de manière dichotomique :


 Histoire et structure
 Stabilité et changement
 Statique et dynamique
• La culture opère une synthèse entre structure et histoire
 La structure symbolique affecte les changements (la façon dont les
individus vont aborder les changements en cours)
 Les changements affectent la structure symbolique : aider les
individus à réviser leurs catégories mentales.
• Le sens même de ce qui est événement ou non est culturel

Trois grands arguments :

I.Nos catégories culturelles déterminent nos expériences pratiques

• Notre vision du monde est guidée par des lunettes culturelles


> voir, c’est reconnaître (Lenclud)
• Notre description de la réalité mobilise des savoirs sémantiques
préexistants
> il n’y a pas de description vierge de théorie (Malinowski)
>> Dire ce que l'on sait d'un objet, ce n'est pas dire ce qu'il est vraiment, mais
dire comment il est. Nous sommes obligés de nous référer à une théorie
préétablie. Cf. Christophe Colomb qui débarque en Amérique, pensant arriver
aux Indes. Les prénotions ont déterminé sa perception.

II.Les expériences pratiques transforment nos catégories culturelles

• Le monde peut être “intraitable” dans nos catégories culturelles (cf. Le


retour de Cook)
• L’expérience des voyageurs, des ethnologues, ... participe au remodelage,
voire à la refonte intégrale, de nos attentes culturelles
>> Il y a une sorte d''interaction entre la théorie, nos modèles culturels et notre
perception de la réalité => une dialectique.

III.La synthèse de la culture entre stabilité et changement

• La structure symbolique se manifeste dans des événements (particulier,


mais elle existe par elle-même)
• L’événement dépend de la structure quant à son sens et ses conséquences
(un événement est une relation une structure symbolique ... ?
43
>> La culture organise la synthèse de la stabilité et du changement
>> Il ne devient événement que lorsqu'on décide d'en faire un événement. Cela
dépend donc de la façon dont on va lui donner du sens, en direct ou a posteriori.
>> La dualité stabilité/changement structure d'événement et fait partie de la
culture pour comprendre comment s'agencent les événements.
44

Le postmodernisme7

Introduction

La génération post-moderne

• L’héritage de C. Geertz
 Orientation vers la théorie littéraire
 Mode du post-structuralisme français
> Un relativisme scientifique radical
• Les combats politiques aux USA (60')
 Remise en cause de la ‘neutralité’ scientifique qui, selon eux, est
impossible
 Affirmation des identités culturelles et des différences culturelles,
identités de genre.
> Une anthropologie engagée
• La globalisation des années 1980
 Intensification des flux internationaux (émergence NTIC pEx, ...)
 Cosmopolitisme des campus américains
> Réflexion sur les conséquences culturelles de la globalisation
>> Il y a ici l'idée que cette neutralité, cette démocratie, créent la discrimination
: on ne peut éviter cela mais il faut appliquer la discrimination positive.

Les anthropologues post-modernes : James Clifford, George Markus,


Renato Rosaldo, Stephen Tyler

Trois propositions principales

1. Il n’y a pas de savoir neutre (point de vue politique)


> Il faut prendre parti pour les dominés
2. Le monde a changé (avec la globalisation)
> Il faut voir la culture comme un flux
3. Il n’y a pas de savoir objectif (savoir “vrai” sur le monde)
> Il faut révolutionner l’écriture ethnographique

1. Le savoir comme pouvoir


1.1. Le pouvoir-savoir8

L’orientalisme

7 Il ne faut pas perdre de vue que les Américains sont les héritiers du culturalisme et des
théories interprétatives de Clifford Geertz. Ces anthropologues ont participé aux
combats des 60' pour les droits (féminisme, contre la discrimination raciale, contre le
Vietnam).
8 Michel Foucault (1926-1984) pense à ce sujet que savoir et pouvoir entraînent un
rapport de constitution mutuelle – il n'y a pas l'un sans l'autre. Relation constitutive
entre psychiatri et création d'asiles – pour contrôler les fous, on crée des asiles et on
établit un champs de savoir là-dessus.
45
« C’est pourquoi, tout autant que l’Occident lui-même, l’Orient est une idée qui
a une histoire et une tradition de pensée, une imagerie et un vocabulaire qui lui
ont donné réalité et présence en Occident et pour l’Occident. Les deux entités
géographiques se soutiennent ainsi et, dans une certaine mesure, se reflètent
l’un l’autre».
(Said 1978: 17)
>> L'Occident est une idée, produit d'un discours occidental. Quant à lui, l'Orient
est produit de l'orientalisme.

Le miroir de l’Afrique

Europe Afrique
Civilisation Sauvagerie
Lumières Ténèbres
Culture Nature
Sauveur Victime
Courage Couardise
Ordre Désordre
Noblesse Vulgarité
Raison Superstition
Énergie apathie

Ces couples de contraires renvoient aux stéréotypes surtout négatifs dans


lesquels l'Occident se regarderait pour se donner une image positive.

L’africanisme

• L’Afrique offre un pôle négatif à l’image que l’Occident veut se donner


> Civilisation/sauvagerie
• Cette opposition morale appelle une intervention de l’Occident en Afrique
> Civilisation du ‘sauvage’
• Intégration du ‘sauvage’ dans la civilisation comme le récipiendaire d’un
don

Ainsi, la construction d'un savoir sur l'Afrique est indissociable de la


domination de l'Occident sur l'Afrique.

Anthropologie et impérialisme

• L’anthropologie reflète un contexte de domination


> La pacification coloniale
• L’anthropologie participe à cette domination
> Un savoir sur l’autre
• L’anthropologie vue ici comme entreprise de domestication
 Faire l'autre soi-même : s'approprier l'autre dans ses propres termes
 Le dominer, le discipliner, gérer son existence

Exemple de l’ethnologie classique


46

• Des ‘ethnies’ statiques et fixes (castes, chefferies)


> Des entités à manipuler
• Des tribus ‘primitives’ simples (conçues comme évoluant en-dehors de
l'Histoire)
> Un miroir de la civilisation
• Des sociétés en voie de disparition
> Des sociétés à sauver
>> Cette ethnographie classique répond à la demande du pouvoir colonial
d'augmenter son contrôle et son pouvoir sur une société territorialisée, fixe, le
long des routes (pEx, les populations nomades sont poussées à se sédentariser).
De plus, ces sociétés sont appréhendées dans un schéma évolutionniste : les
sociétés primitives, faibles,qui ne s'adaptent pas, vont être condamnées à
disparaître. Ces sociétés tombaient donc sous l'hégémonie et la spoliation du
colonialisme.

Commentaire (B. Rubbers)

• Cette approche réduit la complexité des situations


 Diversité des ethnographies
• Le texte, ethnographique, orientaliste ou africaniste, n’a pas un pouvoir
par lui-même : ce pouvoir est entre les mains des lecteurs
 Faible utilisation des ethnographies classiques par les autorités
coloniales, car peu applicables et trop précises => considérées
comme inutiles.

1.2. Une anthropologie engagée

Une impossible neutralité

• La neutralité scientifique reproduit les inégalités en faveur des dominants


(elle est impossible, mais aussi prétentieuse et naïve).
> Hommes, colonisateurs, hétérosexuels, etc.
• Les anthropologues doivent prendre parti pour les dominés (puisqu'on ne
peut pas être dans une position neutre).
> Femmes, colonisés, homosexuels, etc.
• L’anthropologie comme critique culturelle de l’Occident et de sa
domination.

Commentaire (B. Rubbers)

• Opposition manichéenne entre opprimés et oppresseurs (mais il n'est pas


si évident que cela d'identifier les opprimés)
• Occultation des rapports de force au sein des deux groupes
• Identification des dominés à des victimes de la manipulation de l’Occident
(recherche de la théorie du complot : où est la domination, la
manipulation?)

Le problème de la représentation
47
• Question : Qui peut parler au nom des dominés?
• Réponse : les dominés
 Les femmes pour les femmes
 Les indigènes pour les indigènes
 Les homosexuels pour les homosexuels
 etc.
• Critique :
 Occultation des rapports de force
 Image essentialiste des identités
 Différence entre “parler de” (étude, observation, pas de
revendication de pouvoir) et “parler pour” (pEx : représentation
politique)
• C'est une conception raciste! Par exemple, selon cette conception, seuls
les noirs peuvent parler en leur nom.

2. La culture comme flux

La culture en difficulté (James Clifford)

• La globalisation comme maelstrom, bouillon culturel


> L’hégémonie occidentale a dissous les frontières culturelles, a pénétré les
moindres recoins de la terre. Les sociétés “primitives” ne peuvent donc plus être
représentées comme closes, isolats, stables, locales, ... Par conséquent, il y a
une perte de l'objet principal de l'ethnographie (le local) mais une nécessité
d'analyse multisite apparaît.
> La fin des communautés stables et homogènes
• La culture comme flux de signes (perpétuel)
> Les frontières culturelles sont devenues incertaines
> La négociation constante des identités culturelles
>> La culture n'est plus un texte mais un système, un flux : les relations entre
les nations sont incertaines, car soumises à des négociations, des bricolages. Il
n'y a donc jamais de culture pure, mais bien hybride.

La globalisation culturelle : Arjun Appadurai, anthropologue post-


moderne récent

La question de la déterritorialisation

• Le monde contemporain se caractérise par la circulation


 Capitaux, techniques et marchandises
 Migrations et diasporas
 Moyens de communications (NTIC)
• Déterritorialisation des imaginaires individuels et collectifs
 Construction d'une identité individuelle cosmopolite
 Communautés imaginées transnationales, plus larges : se distinguer
d'une communauté plus large existant au-delà du local et des
frontières (pEx les punks)
 Multiplication des publics

Critique de l’homogénéisation (Appadurai)


48

Cette homogénéisation n'est pas totale, et ce pour 3 raisons :

• Indigénisation : les marchandises changent de sens au gré de leur


diffusion => si la signification est différente => appréciation et recodage
• Hybridité : les cultures résultent d’un processus de syncrétisation, de
bricolage : pas de culture pure (les pratiques observées ne renvoient pas à
une culture, à une tradition particulière)
• Les terroirs : la globalisation entraîne en réaction une affirmation des
identités locales

Les paysages globaux (-scapes)

• La globalisation n’est pas une occidentalisation:


 Flux entre cultures périphériques (rumba)
 Flux des périphéries vers le centre (arts martiaux)
• La globalisation implique des disjonctions entre économie, politique et
culture:
 Ethnoscapes, Médiascapes, Technoscapes, Financescapes,
Idéoscapes, etc.
>> Le caractère fluide, déterritorialisé et irrégulier des paysages socioculturels
dépassant à chaque fois les frontières.

Commentaire (B. Rubbers)

• Un problème de datation
> Les phénomènes transnationaux s’inscrivent dans la longue durée (ce n'est
pas évident de voir ce qu'il y a de vraiment nouveau aujourd'hui)
• La fluidité des significations culturelles
> Nombre de significations montrent une étonnante stabilité dans le temps
(christianisme, racisme)
• Un schéma évolutionniste de la globalisation
> Les phénomènes transnationaux sont réalisés par des hommes (// esprit
romantique allemand et opposition à l'hégémonie des Lumières)

3. La science comme invention culturelle9

Le projet post-moderne

• Introduire une conscience littéraire en ethnographie


• Réfléchir sur l’épistémologie de l’ethnographie
>> Analyse de l’ethnographie comme écriture, mais ces textes nous en
apprennent plus sur l'auteur que sur le sujet étudié.

L’ethnographie comme fiction

• L’ethnologue utilise les catégories de sa culture


> Le texte ethnographique nous en apprend plus sur l’auteur

9 Relativisme scientifique radical, par opposition aux Lumières : considère que ce projet d'une
science est produit de la culture occidentale.
49
• L’ethnologue impose un ordre à ses expériences
> Le texte ethnographique renvoie à un savoir-pouvoir
• L’ethnologue emploie des effets rhétoriques
> Le texte ethnographique joue sur une illusion réaliste

Une expérimentation littéraire

1. L'ethnographe ne doit plus apparaître comme une camera, une voix neutre
> expérience et réflexivité (joue un rôle, est auteur de la situation, parle
en “je”)
2. Première personne > dialogue et polyphonie
3. Pas adopter un style réaliste qui prétend à l'objectivité > désarticulation du
texte (veut briser l'illusion du réalisme)

Commentaire (B. Rubbers)

1. Ecueil du narcissisme dans l’anthropologie réflexive


2. Impossibilité d’échapper à la représentation des dialogues
3. Le style n’améliore pas l’appréhension des processus sociaux et culturels
>> L’idée qu’il n’y a pas de réalité en dehors du langage est difficile à tenir
jusqu’au bout. Les post-modernes eux-mêmes affirment que le monde a changé.

Conclusion

Contribution du post-modernisme (positive)

Ceux qui ont contribué au savoir anthropologique mettent l'accent sur :

1.La négociation des significations (flux)


2.La culture comme lieu de contestation (pouvoir)
3.Le temps (histoire) et l’espace (global)
4.Une sensibilité épistémologique
a) L’écriture
b) La réflexivité
c) Le pouvoir
>> Critique : l’excès de ces affirmations
>> La culture n'existe que dans le présent, dans l'action : elle n'est pas
“donnée” mais il faut la chercher.
50

P. Bourdieu : la culture faite corps

1. Biographie

P. Bourdieu (1930-2002)

• Milieu social modeste


• Scolarité brillante (ENS)
• Ethnologie (et ethnographie) rurale en Algérie
 Etudes sur la société kabyle
 Etudes sur la colonisation
 Théorie de l’habitus
• Sociologie en France (EHESS) après 60'
 Critique de l’école
 Les pratiques culturelles
 Epistémologie
• Chaire au Collège de France (1981) en sociologie
 Travaux théoriques
 Engagement politique
 Edition de livres et de revues
• Assistant de Raymond Aron
• Fonde le Centre de Sociologie Européenne en 68'

Ambition théorique

• Influences théoriques multiples:


 Auteurs classiques (Marx, Weber, Durkheim)
 Philosophes (Pascal, Merleau-Ponty, Wittgenstein)
 Auteurs contemporains (Goody, Goffman, Elias)
 Culturalisme américain (Boas)
 Lévi-Strauss
• Dépasser les oppositions classiques :
 Subjectivisme/objectivisme
 Micro/macro
 Liberté/déterminisme
• Dépasser le clivage entre sociologie et anthropologie
> Fonder une théorie générale de la pratique
>> Il veut réunir la sociologie et l'anthropologie dans un paradigme unique.

2. La théorie de l’habitus10
2.1. La critique du structuralisme

• Les structures sont intellectuellement déduites (à partir des pratiques


que l'ethnographe utilise sur le terrain) et indépendantes.
• Ces structures sont conçues comme indépendantes des acteurs
> L’ordre social et symbolique dégagé par l’anthropologue est une abstraction
(// Goody)

10 Première théorie dans “Esquisse d'une théorie de la pratique”


51
>> Problème de fixation abstraite des pratiques.

La réification11

• Les structures abstraites par l’anthropologue devient l’explication des


pratiques
> Ex : mythes, mariages, cuisine, etc.
• L’anthropologue attribue un pouvoir causal à des abstractions
> Ex : la société (la phrase “la société détermine les actions des individus” :
mais la société, c'est l'ensemble des individus!), l’inconscient, le capitalisme (on
lui attribue une sorte de force autonome alors que c'est dû aux individus), etc...
> Le problème de la réification

La règle et la pratique

• La règle n’est pas le modus operandi des pratiques


• Différence établie par Marx :
 Les choses de la logique : modèle construit pour rendre compte des
pratiques
 La logique des choses : le principe générateur des pratiques
• Exemples :
 La grammaire et parler (la pratique de parler renvoie à des modèles
abstraits)
 Les règles de politesse et saluer
 La théorie du vélo et rouler
> Il faut étudier la genèse sociale des règles, des structures et des classifications
>> Il faut se pencher sur la socialisation des individus et sur leurs
apprentissages.

2.2. L’habitus

« Les structures qui sont constitutives d’un type particulier d’environnement


(e.g. les conditions matérielles d’existence caractéristiques d’une condition de
classe) et qui peuvent être saisies empiriquement sous la forme de régularités
associées à un environnement socialement structuré produisent des habitus,
systèmes de dispositions durables, structures structurées prédisposées à
fonctionner comme structures structurantes, c’est-à-dire en tant que principe de
génération et de structuration de pratiques et de représentations qui peuvent
être objectivement ‘réglées’ et ‘régulières’ sans être en rien le produit de
l’obéissance à des règles » (ETP : 256)

Les caractéristiques de l’habitus

• Une nécessité faite vertu


• Il est adapté aux conditions d’existence (matérielles)
• Une structure structurée (principalement par nos expériences du passé)
> Il est incorporé au fil des expériences (manières de penser, de sentir, ... qui
vont déterminer de façon durable nos actions)

11 Processus intellectuel qui consiste à transformer la réalité en chose et ensuite à attribuer


une sorte de pouvoir à la réalité (problème dans l'énsemble de la sociologie).
52
• Un système de dispositions durables (hysteresis)
> Il est conservé au fil de l’existence : les dispositions sont acquises surtout par
la répétition, souvent tacite, et perdurent au cours de la trajectoire de l'individu,
même au moment où nos conditions de vie changent : nous restons en
décalages (inertie)
• Un système de dispositions systématiques
> Il est transposable d’un domaine de l’action à un autre : dans toutes ces
pratiques, on retrouver une même schème, une même substance.
• Une structure structurante
> Il détermine l’appréhension des nouvelles situations
>> L'habitus n'est pas qu'un conditionnement, c'est un principe générateur qui
peut inventer de nouvelles pratiques et appréhender de nouvelles situations
(comme la langue : on peut créer une infinité de phrase).

Un sens pratique (par opposition au sens théorique)

• L’action n’est pas le produit d’un calcul conscient et délibéré (cf. Théorie
déterministe)
> Ensemble de dispositions mises en œuvre sans réfléchir (en cela, c'est un sens
pratique. De plus, les acteurs ne planifient pas leurs actions ; ils sont plutôt
disposés à improviser)
• L’habitus fonctionne de manière pratique, irréfléchie, tacite
> Image du joueur de tennis
• La rationalité et la réflexivité relèvent d’une disposition théorique
particulière (écriture) (Bourdieu laisse peu de place à la rationalité et la
réflexivité).
 Elle est le produit de dispositions particulières
 Elle s’exerce dans des conditions particulières
 Elle est le propre de groupes sociaux particuliers
• Importance centrale de ce qui va sans dire

2.3. Le champ12

• Un espace structuré de positions


> Les professeurs, les journalistes , les politiciens (relève du champ politique)
• Un espace de luttes autour d’un intérêt
> La reconnaissance, le scoop (relève du champ journalistique), le pouvoir
• Un espace de consensus autour de l’intérêt du champ (illusio ) : le champ
est fondé sur un consensu implicite autour de l'intérêt du champ.
• L’intérêt du jeu comme sens du jeu
• “Ca vaut la peine de jouer” : l'accent est mis sur la dimension ludique de
l'action.

Les capitaux

• Le capital économique : les moyens


• Le capital culturel : les savoirs (ensemble des savoirs acquis)
• Le capital social : les relations (réseau de relations des individus)
• Le capital symbolique : la reconnaissance

12 Indissociable des notions d'habitus et de capital.


53
> La structuration multidimensionnelle de l’espace des positions sociales

La stratégie

• La stratégie est un ensemble de coups visibles


> L’habitus n’est pas observable
• Un lien entre l’habitus et le champ
> Adaptation relative des habitus
• L’exemple du champ scolaire
• C'est la forme sociale au travers de laquelle l'habitus se donne à voir dans
un espace de luttes.
• Par leur socialisation, les individus sont plus ou moins disposés à entrer ou
non dans un champ (cf. Champ scolaire pEx).

2.4. La violence symbolique

• Imposition des catégories dominantes (arbitraire culturel)


 Son exercice se fait par la transformation des rapports de force en
rapports de sens
• Naturalisation de la domination (méconnaissance)
 La domination fait partie de l’ordre des choses
• Acceptation de la domination par les dominés
 Auto-dévaluation des dominés parce que cette domination leur
apparaît comme naturelle, allant de soi.
>> Violence physique et violence symbolique (elle ne peut pas légitimer a
posteriori le rapport de force : elle tente de le voiler, de le faire méconnaître en
le faisant participer à l'ordre des choses. Les inégalités sont inscrites dans
l'habitus de l'individu : il est donc très difficile de les changer).

La domination masculine

• Elle se passe de justification


 Elle trouve son sens dans la différence biologique
• Elle s’exerce au travers de l’habitus
 Elle renvoie à une somatisation des rapports sociaux
>> Les femmes acceptent la domination masculine comme naturelle (parce
qu'exprimé et contenu dans leur habitus).

Le rôle de l’école

• La culture scolaire est une culture bourgeoisie


> Les enfants issus de milieux bourgeois sont favorisés à l’école
> L’école reproduit les inégalités sociales
• La violence symbolique du système scolaire
> L’école est une institution neutre
> La réussite scolaire résulte des dons individuels
• Acceptation de la domination par les dominés (les gens concernés voient
l'exclusion scolaire comme naturelle).
54
2.5. Un structuralisme constructiviste (ou constructivisme
structuraliste)13

Il veut dépasser les deux critiques objectiviste et subjectiviste de la société.

• Critique de l’objectivisme (renvoie au marxisme, au structuralisme, à


l'anthropologie cognitive).
> Les structures sont des constructions sociales
• Critique du subjectivisme (cf. Existentialisme de Sartre, interactionnisme
de Garfinkel, ...)
> Les pratiques sociales s’inscrivent dans des rapports de force
>> La dialectique de la pratique et de la structure

3. La critique de B. Lahire

Trois critiques générales

1. Une approche culturaliste : chaque personne est une “caricature”, une


photocopie de la culture, du pays, de l'ethnie... Par exemple, un Belge = le
produit, la photocopie de la culture belge).
2. Une approche domino-centrique :analyse les pratiques populaires à partir
des écarts des pratiques populaires par rapport aux pratiques bourgeoises
: il reconnaît qu'il y a une culture légitime).
3. Une approche critique : Bourdieu est le promoteur d'une sociologie critique
qui vise à dévoiler les formes de domination à l'oeuvre dans la société (//
Boltanski et Thévenot : il n'y a pas de rapport humain qui ne soit pas un
rapport de force, d'influence => on ne peut développer pleinement une
sociologie de la démocratie).
>> Développer la sociologie des dispositions

3.1. Unité ou pluralité du moi

• Caractère hétérogène des sociétés modernes


• Hétérogénéité des instances légitimatrices
> Hétérogénéité des échelles de légitimité
• Hétérogénéité des instances socialisatrices
> Hétérogénéité des dispositions
>> Les dispositions ne sont systématiques

Une sociologie de l’individu

• La variabilité des pratiques dans une catégorie sociale


• La variabilité des pratiques chez une même personne
• La variabilité des manières de pratiquer
> Il faut aussi tenir compte de la multiplicité des manières.

13 On peut inverser le titre, car cette notion reconnaît à la fois l'influence des structures sur
l'action et l'influence de l'action sur les structures (relation réciproque). Ainsi, les pratiques,
les idées, doivent être ramenées à l'espace des conditions sociales.
55

3.2. La question de la réflexivité

• Les pratiques irréfléchies et les pratiques réfléchies sont indissociables et


tacites
• Les habitudes de penser et de faire sont le produit de socialisations
spécifiques
• Le langage est toujours impliqué dans l’apprentissage des pratiques
• Les agents agiraient surtout dans l'urgence

Exemple de la danse (S. Faure)

• Incorporation pratique
 Imitation
 Reproduction des mouvements du professeur
 Répétition
 Essais et erreurs
• Modalités réflexives
 Observer et écouter le professeur
 Interpréter les corrections
 Analyser la logique des mouvements
> Appropriation corps et âme de la danse
56

Culture et identité : le racisme en post-colonie


Introduction

La non-pertinence biologique de la ‘race’

• La critique des anthropologues (ils remettent en cause l'unité et la stabilité


des corrélations entre races et cultures) :
 La ‘race’ ne constitue pas une catégorie stable et finie
 Absence de corrélation entre ‘race’ et culture
 Il est très difficile de “classer”, de distinguer les races ou cultures
par catégories (ou leurs apports, ...) : pEx les Turcs ou les Indiens.
• La critique des généticiens :
 L’humanité possède un même patrimoine génétique (99,8%)
 La variabilité dans une catégorie est plus importante que celle entre
catégories
 Absence de gène racial et insignifiance de la couleur de peau

La pertinence sociologique du racisme

• Importance du racisme dans l’histoire. L'influence des idées de“races” a


été considérable. Elles conservent encore aujourd'hui une certaine
pertinence au niveau des cultures, mais plus d'un point de vue biologique.
• Déni du racisme politique aujourd’hui
 Assimilation du racisme à la haine
 Légitimation de la discrimination raciale par la ‘culture’
 On tend à ne plus utiliser le mot “race”, mais bien celui de “culture”,
conçue comme identité naturelle => essentialiste)
• Persistance du racisme ordinaire (mais devient un racisme culturel) tout
simplement parce que nous continuons d'utiliser des catégories raciales et
attachons souvent des traits de caractères à ces races. Par exemple : les
africains ont le rythme dans la peau. Il faut dès lors entendre le racisme
comme quelque chose de latent et pas comme une position politique.
>> Comment expliquer la perpétuation du racisme sans la ‘race’?

Un paradigme dominant (réponse à la question)

• Le paradigme politique de l’identité :


 On tend à assimiler le racisme à une idéologie
 Le racisme répond à des intérêts politiques et économiques
• Les avantages du paradigme
 Dénaturalisation des cultures et des identités en insistant sur la
dimension politique (contexte de conflit). Il n'y a pas de culture pure,
mais plutôt des entrepreneurs qui constituent des cultures pour
défendre les droits de ces nations, ethnies.
 Prise en compte du contexte politique
• Les limites du paradigme
 Approche fonctionnaliste du racisme, nationalisme
 Approche réductrice du lien identité/culture, puisqu'elle tend à
réduire les identités à des intérêts politiques ou culturels. Mais il faut
que ces identités correspondent à des sentiments, à un vécu ; cela
57
doit signifier quelque chose.

La minorité blanche de Lubumbashi : les rapports entretenus


entre les immigrés et les congolais à Lubumbashi, dans le Katanga

• Multinationale
> Belges, Grecs et Italiens
• Post-coloniale
3 à 4 générations au Congo
30 000 en 1960; 1500 en 2004
• Close sur elle-même
>Mariage, école, cercles
• Puissante sur le plan économique (et par expansion sur le plan politique)
car ces ressortissants travaillent surtout dans le secteur privé au Katanga
et pas dans la diplomatie comme dans le cas de Kinshasa.

Question : après la chute du régime colonial, comment s’est reproduite


l’insularité de la minorité blanche à Lubumbashi?

1. Race, histoire et discours

L’approche (cf. post-modernisme de Saïd)

• Le rôle des images, des métaphores et des récits dans la construction des
identités raciales
• La dissémination des discours dans les medias : cinéma, photo, publicité,
etc.
• Il faut comprendre le rôle des discours racistes dans le processus de
domination coloniale
>> La ‘race’ est conçue comme discours

Une rupture entre les deux guerres

• Développement de la colonie (essor des infrastructures coloniales)


• Augmentation de la population européenne
• Double entreprise de Moralisation de la société blanche
• Double entreprise de Consolidation de la barrière raciale : à ce moment, on
a commencé à séparer les quartiers et les villes blancs à ceux des
indigènes.
>> Le contact avec les ‘indigènes’ comme source de contamination (susceptible
de mener à une dégénerescence). La race devient un ordre psychique, moral et
culturel au contact avec les colonisés (risque de souillure de la race blanche).

Le prestige du ‘Blanc’

• Censure des images négatives dans les médias. Le Bulamatari (= celui


qui brise les rocs) : image véhiculée en Belgique et au Congo, tandis que
toute image négative du blanc a été bannie des médias congolais.
58
• Sélection sociale des immigrants au Congo
• Condamnation du concubinage avec une ‘ménagère’ africaine
• Processus de racialisation des ‘métis’ : suscite des débats et au final on en
fait une catégorie intermédiaire.

Même le chien du ‘Blanc’…

Un style de vie néo-aristocratique

• Valeurs de noblesse
 Honneur
 Excentricité (style individuel)
 Courage
• Une vie mondaine
 La distinction
 Les relations
• Une cour de domestiques, un salaire élevé, etc... (un grand nombre de
privilèges)

2. Race, classe et distinction

Le thème historique est important, voire indispensable pour comprendre le


racisme.

L’approche

• Le racisme comme intérêt de classe


• Les inégalités économiques entre classes (contexte hiérarchique)
• La légitimité des classements culturels
>> La ‘race’ comme identité sociale et culturelle

Avant l’indépendance

• Mesures de discrimination :
 Exclusion de la propriété privée (pour les contraindre à travailler
pour les blancs)
 Fixation des prix et des salaires (accumulation capitaliste impossible)
 Promotion lente du personnel africain (mais en veillant à éviter toute
forme de compétition raciale)
 La ségrégation raciale implique une distribution inégale des
privilèges
• Inégalité économique coloniaux/colonisés

Après l’indépendance

• Abandon des mesures de discrimination


• Maintien des inégalités économiques
 Contrôle des postes stratégiques dans les grandes sociétés du
secteur public et privé
 Conquête des secteurs les plus lucratifs de la région (mines,
59
commerce, transports)
• Côté congolais : émergence d'une petite élite économique et politique,
alors que le reste est plus ou moins condamné à vivre dans les petits
commerces et l'agriculture.
• Ainsi, la minorité blanche en diminution est deveue plus riche, alors que le
peuple régressait.

La distinction dans le temps

• Appropriation par les Congolais des signes de prestige du ‘Blanc’


> Aspiration à la modernité
• Redéfinition des pratiques culturelles qui définissent l’identité blanche
> Exemple du Rotary club : il a perdu tout prestige lorsuqu'il a commencé à
accueillir des noirs. Cela peut s'exlpiquer par le fait que les individus défendent
leur rareté, leur singularité, en défendant la rareté de ce qu'ils consomment,
fréquentent, ... (cf. Bourdieu).
• Restructuration des rapports hiérarchiques au sein de la minorité blanche
> Exemple du diplôme universitaire

3. Race, interaction et réseau

Analyse en termes de classe n'est pas possible car elle passe à côté
des négociations entre blancs et noirs ; on ne met pas d'accent sur l'interaction.
De plus, il est à noter que, tant qu'on respecte une certaine endogamie sociale,
la couleur de peau reste un marqueur et continue de stigmatiser.

L’approche

• La sélection des traits culturels qui constituent une identité


• La négociation des traits identitaires en situation
• Le rôle des réseaux sociaux dans les interactions
>> La ‘race’ comme construction sociale situationnelle

Une catégorie situationnelle

• Les marqueurs physiques et les signifiés culturels de la ‘race’


• La ‘race’ en situation :
 Un stigmate difficile à cacher
 L’influence des traits secondaires (âge, sexe, etc.)
 L’influence du domaine de l’action (travail, rue, etc.)
• La permanence des stéréotypes raciaux tient à leur vérité pratique aux
yeux des acteurs

La ségrégation raciale

• Un réseau social clos sur lui-même


• Un espace de forte interconnaissance
 Les enfants depuis leur naissance
60
 Les immigrants depuis leur arrivée
>> La ségrégation comme état de fait
>> Exige une démarche active si un blanc veut nouer des relation avec les noirs.

Le maintien de l’insularité raciale

• Mécanismes de surveillance officiels durant la période coloniale


• Mécanismes tacites après l’indépendance
 Déprécier directement ou indirectement les Congolais
 Condamner la promiscuité avec les Congolais comme une proximité
dans la médiocrité : se marier avec une noire et être en couple
mettra le blanc au ban de la société. La fille aura l'air d'une pute!
 Bannir les expatriés qui se lient en public avec un ‘Noir’
• Ces dispositifs présentent un caractère situationnel
> Les amitiés belgo-congolaise en Belgique (tout à fait impossibles au Congo)

4. Race, culture et expérience

Cela permet d'identifier quand l'identité raciale devient pertinente et


comment elle se combine à d'autres catégories (âge, sexe,...). C'est perçu
comme une expérience vécue (le choix des expatriés) => // Bourdieu.

L’approche

• Le rôle des dispositions culturelles dans la construction de l’identité


• La reconnaissance de dispositions proches ou lointaines chez autrui
• Importance des sensibilités culturelles dans l’intolérance à l’autre
>> La ‘race’ comme habitus : leur manière de faire, vivre, etc... dans ce cadre
analytique, le racisme renvoie à quelque chose de beaucoup plus proche de
notre expérience corporelle.

Apprendre le racisme

La question est : « comment les individus apprennent à distinguer les catégories


raciales et les caractéristiques culturelles?
• Contexte : vie communautaire et clivage racial
• Apprentissage précoce des enfants
• Conversion des nouveaux immigrants
>> Formation d’un habitus racial

La pluralité de l’habitus (différent d'une approche trop


culturaliste)

• Il n’est pas transposable d’un lieu à un autre


• Il mobilise des habitudes réflexives
• Il varie en fonction des individus et des domaines de l’action
>> Possibilité de surmonter les préjugés raciaux
61

Les liens affectifs avec les Congolais

• Processus :
 Interconnaissance, réciprocité et solidarité
 Intermédiation de tiers
• Limites :
 Longueur des tests de confiance
 Maintien d’un schéma racial : les traits appréciés chez les Congolais
appartiennent à la catégorie des blancs.
>> Différence entre individu et catégorie

5. Race, hybridité et dialogue14

L’approche

• Le racisme ne s’impose pas de manière totale mais partielle (maginaire


racial différent en fonction des individus)
• Le racisme n’est pas le seul fait des dominants mais aussi des dominés
>> La race comme identité négociée

Imaginaire racial au Congo (PAS À VOIR)

• Les Congolais partagent la conception raciale du monde des expatriés


> Le prestige du ‘Blanc’
• Cette image du ‘Blanc’ montre l’influence de la ‘colonisation de la
conscience’
> Le mariage avec un ‘Blanc’
>> Importance de concevoir le racisme comme une relation à deux sens

Un processus dialectique (PAS À VOIR)

• Les Congolais confèrent aux ‘Blancs’ un piédestal et des privilèges


• L’insularité de la minorité blanche comme réaction de protection
• La ségrégation comme désir des expatriés de conserver un espace intime

Une conversation (PAS À VOIR)

• Les discours critiques sur le ‘Blanc’


 Pillage, exploitation et corruption
 Aliénation, manducation et spoliation
> Les attaques contre les ‘Blancs’
•Ambivalence de l’image du ‘Blanc’
 Etre bénéfique
 Etre maléfique
>> La relation raciale entre compréhension et malentendu

6. Conclusion
14 Approche qui prend en compte la vision des vaincus.
62

Des éclairages différents (on gagne à les considérer comme


complémentaires : on adopte une perspective multifocale de manière à enrichir
au maximum notre recherche pour offrir un miroir aussi riche que possible).

• Un relativisme théorique : chaque approche apporte un éclairage


spécifique
• Une perspective multifocale : caractère complémentaire des approches
• Un modèle kaléidoscopique : offrir un miroir nuancé pour réfléchir et agir

Avec ses avantages et ses limites, chaque approche nous permet de


mieux comprendre notre monde aujourd'hui.

« Bien loin que l'objet précède le point de vue, on dirait que c'est le point de
vue qui crée l'objet, et d'ailleurs rien ne nous dit d'avance que l'une de ces
manières de considérer le fait en question soit antérieure ou supérieure aux
autres.»
De Saussure, cours de linguistique générale.

Merci!!! (sic.)

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