Vous êtes sur la page 1sur 64

À tous les parents

qui, par manque d’information,


ont pu croire à l’existence de la méthode globale
et à sa pérennité.
Et en souvenir des cohortes d’apprentis
qui ont accepté de me suivre
hors des ornières syllabiques…

Édition : Anne Marty


Corrections : Florence Richard
Conception de maquette : Sarbacane Design
Mise en page : Domino
Illustrations : Loïc Méhée

© Retz, 2006.
Sommaire
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Chapitre 1 :
Pour en finir avec la fameuse syllabe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Chapitre 2 :
Coup d’œil sur les méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Chapitre 3 :
Comment fonctionne une méthode mixte ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Chapitre 4 :
Que proposent donc les autres méthodes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

Chapitre 5 :
Où est le problème ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

Chapitre 6 :
Comment s’y prendre ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Chapitre 7 :
Quelques précautions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Chapitre 8 :
On appelait ça des « prérequis » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

Chapitre 9 :
Question d’équité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57

En guise de conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

3
Globale ou syllabique ?

Introduction

Allons, bon ! Ça recommence !


La méthode globale, traquée comme vulgaire hors-la-loi.
La méthode globale ? Quelle méthode globale ?
Celle qui consiste à n’apprendre à reconnaître les mots que par
cœur ? Celle qui, en fait, n’a été appliquée que par quelques adeptes,
il y a plus de vingt ans ?
S’il s’agit bien de cette méthode globale-là, les travaux
d’épuration devraient s’avérer rapides. Autant s’acharner, pour
ainsi dire, à reconduire vers nos frontières tous les Esquimaux de
l’Hexagone…
Mais, s’il est question d’interdire toute méthode qui, partant du
texte (du vrai !), recherche à construire du sens avant d’entrer dans
le code (un apprentissage nécessaire et une aide supplémentaire
pour la lecture et l’écriture), alors, moi, je dis : stop !
Stop ! Je refuse de me contenter d’alphabétiser.
Stop ! Je refuse de surcharger les mémoires de syllabes, de
graphèmes et d’autres mécanismes combinatoires hérités des
Instructions Officielles de 1923, qui clamaient sans vergogne :
« Il n’est besoin, dans les sections enfantines, d’autre livre que
du syllabaire… »
Tu parles ! Comme si l’école du troisième millénaire ne pouvait
fournir aux enfants que des stages de découverte de la lettre et du
code, remettant à plus tard la construction du sens et l’entrée dans
la littérature !
Tu parles ! Déchiffrer, c’est peut-être défricher, mais ce n’est pas
encore cultiver !
La construction du sens (sans laquelle les douze pour cent
d’illettrés, repérés par le Collège, resteront simples alphabétisés)
5
Introduction

s’effectue, non pas dans des phrases qui racontent que « Pilou fait
des guili-guili à Lalie » mais dans des albums authentiques où le mot
trouve sa place au cœur du bon sens.
Quel enseignant est aujourd’hui assez sot pour ignorer que la
découverte du principe alphabétique se pratique d’abord dans une
analyse de l’oral avant les repérages dans l’écrit ?
Qui oserait prétendre que les enfants ne parlent pas avant de lire
et n’écoutent pas les textes avant de les voir écrits ?
Qui peut encore affirmer que le mot « MAMAN » est uniquement
rempli de lettres, et non de sens et d’affectif ? MAMAN, bonheur
global, dont chaque lettre, jour après jour, copiée, lue et calligra-
phiée, vérifiera, plus tard, l’intérêt de mon alphabet.
Non, la lutte contre l’illettrisme ne doit pas s’engager sur le ter-
rain de la syllabe.
Relisons un peu les textes officiels avant de lancer les enfants
sur le chemin du non-sens : « […] le manuel ne peut, en aucun cas,
être le seul livre rencontré par les élèves […] »
Oui, continuons à apprendre à lire, comme on apprend à nager,
non pas à plat ventre sur un alphabet à marée basse, mais dans un
vrai bain de lecture, bien bleu, bien tiède. Le seul bain qui permette
d’entrer en contact avec le mot, de le comprendre et de le démonter
encore pour mieux le lire, le connaître et l’écrire.
Et pratiquons la vraie lecture, celle qui ne se contente pas
d’ânonner.
Celle, au contraire, qui nourrit dès les premiers instants, celle qui
conduit vers la lettre, la rigueur, bref, la culture découverte en silence
ou communiquée à haute voix, aux autres, pour le plaisir…
Il existe encore, heureusement, de vrais instituteurs qui savent
fort bien apprendre à lire et à écrire.
Il ne faudrait pas les obliger à alpha-bêtiser…

6
Globale ou syllabique ?

Pour en finir avec


la fameuse syllabe

Ba… be… bi… by… bo… bu…


Combien y a-t-il de syllabes dans le mot syllabe ? Deux ?
Trois ? Ça dépend…
Oui, ça dépend si on est en train d’écrire un texte sur
du papier ou si, par exemple, on est en train de lire de la
poésie. Je m’explique :
Je veux écrire le mot syllabe et je me rends compte
que la place va me manquer. Alors, par respect pour
mon lecteur (je veux dire, pour qu’il me comprenne bien),
je décide de couper le mot. Deux solutions se présen-
tent :
1. J’écris sylla- au bout de ma ligne et be au début
de la ligne suivante.
2. Je n’ai vraiment pas assez de place. Alors j’écris
syl- au bout de la ligne (car j’ai appris à séparer les syl-
labes entre deux consonnes). Il me reste donc labe à écrire
au début de la ligne suivante. Vu ?
Le mot syllabe possède donc, par convention, trois syl-
labes écrites, découpées de la façon suivante : syl-la-be (que
l’on ne prononce pas syl-la-beu mais syl-la-b’).

Imaginez maintenant que je sois en train de lire une


poésie qui dit :
Convenez, cher ami, que je suis incollable,
quand je dis que pa-pa possède deux syllabes.
Dans ce cas précis d’un distique composé de deux
alexandrins (deux vers de douze syllabes, chacun), le mot
syllabes, placé en fin de vers, ne laisse entendre, par
7
Chapitre 1

convention poétique, que ses deux premières syllabes,


puisque le « e » reste aussi muet que celui de incollabl’.

Considérons maintenant le distique suivant :


En plein milieu du vers, je dirai cette fois :
« Les syllabes du mot sont au nombre de trois ! »
Le mot syllabes, placé devant la consonne d, laisse
entendre son « e » au même titre que cette (devant f) et que
nombre (devant d).
On pourrait donc conclure que le mot syllabe passe de
deux à trois syllabes selon qu’il se trouve en fin de vers
ou au cœur du vers. Observons pourtant ce nouveau dis-
tique :
Pour la fluidité, pour ne plus ânonner,
Il est bon de jeter la syllabe au panier.
Dans ce dernier cas, on prononce « syllab’au panier », et
le « e » de syllabe, avalé par le « au », redevient muet.
Compris ?
Retenons donc, pour l’instant, que la syllabe n’a peut-
être pas pour vocation d’aider à apprendre à lire, mais, au
contraire, d’aider (ceux qui savent déjà lire), à mieux écrire
ou à mieux lire certains textes (poétiques par exemple).

Continuons à tordre le cou à la syllabe, en nous inter-


rogeant sur notre propre manière de lire.
Les adultes en situation de lecture reconnaissent
globalement la plupart des mots du texte, pour les avoir
rencontrés des centaines, voire des milliers de fois, à l’ex-
ception, bien sûr, de quelques mots rares, d’origine étran-
gère ou issus d’un lexique spécialisé. Pour lire ces mots une
8
Globale ou syllabique ?

première fois, ils mettent en œuvre des mécanismes vieux


comme l’école, qui consistent à associer les sons produits
par les lettres du mot, en les lisant de gauche à droite.
On appelle ça : déchiffrer. Mais on remarque que certains
lecteurs prennent les lettres une à une pour les faire « mar-
cher », alors que d’autres découpent du regard le mot en
fines tranches (des sortes de syllabes) pour « alléger » la
difficulté. On obtient alors ceci :
Premier cas : Admettons que le mot représentant la ville
de Karlsruhe soit inconnu d’une personne qui, pour le déchif-
frer, s’appuie sur le syllabage. Comment peut-elle deviner où
s’arrête la première syllabe, avant même de l’avoir lu ? Après
Ka, Kar, Karl ou encore Karls ? Tâche insurmontable,
puisque, dans le même temps, elle doit se demander où se
trouve la deuxième syllabe. Au fait, n’y en a-t-il que deux ?

Deuxième cas : Cette même personne se contente de


« faire marcher » les lettres, l’une après l’autre, de gauche
à droite. Elle oralise lentement : K, puis Ka, puis Kar, puis
Karl, puis Karls, et ainsi de suite jusqu’à l’obtention du
mot complet. Si, en outre, on lui apprend que le « u » se
prononce « ou », elle obtiendra une oralisation presque par-
faite, en tout cas beaucoup plus fidèle à la langue alle-
mande que celle des journalistes sportifs qui se contentent
souvent de « Karlchrou » !
En réalité, cette deuxième personne qui fait fi de la syl-
labe, est beaucoup plus proche des habitudes allemandes
qui ne voient pas deux syllabes, mais deux mots : Karl
9
Chapitre 1

(Charles) et Ruhe (repos), reliés par un « s » faisant office


de trait d’union. Karl-s-ruhe (le repos de Charles) se pro-
nonce donc « karl-s-rou-heu ».

On peut ainsi multiplier les exemples qui prouveront


qu’en lecture, la syllabe n’est pas le remède miracle. Devant
le mot banane, l’enfant doit s’y prendre à deux fois pour
préférer le découpage ba-na-ne au découpage ban-an-e.
Même chose pour canard (can-ar ou ca-nar ?)… Mais un
enfant habitué à produire du sens plutôt que du son ne s’y
laissera pas berner. Dès la troisième lettre, il aura oralisé
« bane » et, pour peu que la phrase s’intéresse à un dessert,
il se dira, sans aller jusqu’au bout du mot :
– Ah ! je suis bête, c’est le mot « banan’ ».
Pendant que l’habitué de la syllabe finira par pronon-
cer « ba-na-neu », sans peut-être faire le lien avec le fruit.

Pour mieux comprendre les choses, imaginons que le


mot, dans un contexte, soit une personne connue ou incon-
nue. Julien reconnaît sa maman, à la maison, dans le
jardin, du premier regard parce qu’elle lui est connue et qu’il
est normal qu’elle se trouve dans ces lieux. Alors il l’appelle :
– Maman !
Autrement dit, dans un contexte particulier, l’enfant a
une vision globale de sa maman. Il n’a pas besoin de la
déchiffrer. En revanche, s’il doit la reconnaître dans un
contexte inhabituel, dans une foule ou dans une piscine, il
lui faut la « déchiffrer » sommairement pour la reconnaître
à coup sûr. Il observe la silhouette, les cheveux, les vête-
ments avant de lui tendre les bras.
Imaginons maintenant qu’un autre enfant, Arnaud, ne
connaisse pas la maman de Julien. Ce dernier la décrit
pour faciliter l’identification :
– Tu verras, elle est grande, avec une robe rouge et des
cheveux blonds…
Ce qui fait, qu’après un bref « déchiffrage » en contexte
simple et évident (à la maison, dans le jardin), Arnaud
pourra s’écrier :
10
Globale ou syllabique ?

– Vous êtes donc la maman de Julien !


Mais une autre fois, dans un autre contexte, tous deux
reconnaîtront la maman sans la « déchiffrer » parce que
tous les deux la connaîtront déjà.
Il en est de même de notre reconnaissance en lecture.
Nous ne déchiffrons plus les mots que nous avons souvent
rencontrés, mais nous déchiffrons sommairement des mots
moins connus, pour les faire entrer dans le capital des mots
connus.
Alors, pourquoi lancer la querelle sur le terrain de la
syllabe ou de la reconnaissance globale, puisque pas un
seul enfant ne reconnaît d’emblée et globalement tous les
mots qu’il rencontre ?
Pourquoi obliger un enfant à déchiffrer toutes les syllabes
d’un mot quand les deux ou trois premières suffisent ?
Autant demander à Arnaud de reconnaître la maman de
Julien en examinant aussi ses ongles, ses dents et, pendant
qu’on y est, la semelle de ses chaussures. Regardez bien com-
ment s’allume l’œil d’un enfant, lorsqu’après avoir déchiffré
h-é-l-i-c-o, il s’écrie « hélicoptère ! », pendant qu’un autre habi-
tué de la syllabe se contente d’ânonner « hé-li-cop-tè-reu » !
Je reconnais volontiers pourtant qu’Arnaud ne pourra
pas dessiner un portrait fidèle de la maman de Julien s’il
ne s’en tient qu’à quelques détails : taille, couleur de robe,
cheveux… Ce portrait ne sera pas assez fouillé, donc pas
satisfaisant pour Julien qui ne reconnaîtra pas sa maman.
Le même problème apparaîtra si un enfant se contente
d’écrire hélic… à la place d’hélicoptère. De même que le
portrait de la maman n’est pas graphiquement correct, de
même la représentation du mot hélicoptère n’est pas ortho-
graphiquement satisfaisante.
J’ai un neveu qui, à quatre ans déjà, était capable de
reconnaître toutes les marques automobiles. Rien d’extra-
ordinaire, direz-vous ? Peut-être, mais, un jour, sur une
photo de famille prise à l’intérieur d’une cuisine, il distin-
gua, du premier coup d’œil, cachée derrière le rideau de la
fenêtre, une roue de voiture, une seule : un pneu et une
jante. Il me dit alors :
11
Chapitre 1

– Tiens, on aperçoit ta Mégane !


Stupéfiant ! Il était capable de construire le sens com-
plet, à partir d’un détail infime. Nul besoin de voir la car-
rosserie, ni même le fameux losange de la marque. Mais je
me garderais bien de lui demander de construire une
Mégane. Il me faudrait exiger les quatre roues, la carros-
serie, le volant et peut-être même la tête de delco…

Au cours de l’apprentissage de la lecture, nous rencon-


trons les mêmes problèmes. Les enfants reconnaissent
rapidement les mots que nous leur proposons, mais il leur
faut quelque temps avant de les écrire sans erreur.
Pourtant nous devons l’exiger !
Lorsque j’entrevois sur une pancarte : « Risque d’inonda-
tion », dès le premier mot, je comprends qu’il ne sera pas utile
de déchiffrer toutes les syllabes de l’écrit. Risque d’inond…
devrait m’apporter suffisamment d’indices pour m’inciter à
passer mon chemin. Mais si j’ai pour mission de fabriquer
ladite pancarte, je ne peux me permettre d’oublier une lettre,
car il y va de la sécurité de mes lecteurs.
Nous touchons ici du doigt
un point important qui a
offert à un certain ministre un
prétexte à fouetter quelques
enseignants de Cours prépa-
ratoire : certaines méthodes
mixtes, qu’il est désormais
question de mettre au pilori, n’insistent pas suffisamment
sur la rigueur orthographique. Elles entraînent, hélas,
dans leur disgrâce, toutes les autres bonnes méthodes
mixtes qui remplissaient parfaitement le contrat :
apprendre en même temps à lire et à écrire…
Loin pourtant de nous laisser aveugler par un catastro-
phisme d’époque, et de suivre les moutons de Panurge dans
la course à la syllabe, il nous faudra examiner soigneuse-
ment les méthodes d’apprentissage avant d’opérer un
regrettable retour à l’antique.

12
Globale ou syllabique ?

Coup d’œil sur les méthodes

Inutile de le répéter, la méthode purement globale


n’existe pas. La reconnaissance globale (appelée aussi
reconnaissance par la voie directe), c’est l’affaire des lec-
teurs experts : vous, moi.
Mais il existe un nombre important de manuels qui
offrent aux maîtres des démarches assurées, pour conduire
les enfants, à travers des textes intéressants, vers la décou-
verte de l’écrit, du mot et du code.
Comment Champollion aurait-il pu œuvrer une partie
de sa vie pour découvrir le code des hiéroglyphes, s’il n’avait
été poussé par le désir d’y donner du sens ? Comment
aurait-il pu parvenir à ses fins, s’il n’avait eu en mains la
fameuse pierre de Rosette qui lui offrait des indices de sens
dans une autre langue ?
À l’opposé d’attitudes serviles devant le non-sens de
l’alphabet, ce sont ces approches « champolionesques » qu’il
faut développer chez les enfants. Ils doivent être conduits
par le plaisir et le désir d’accorder du sens à l’écrit. Et ces
manuels qui leur offrent des textes intéressants doivent
être conservés, à la seule condition qu’ils leur permettent
de se constituer un capital de mots, à partir desquels ils
pourront découvrir le code, à la lettre près. Vous appelez ça
méthode globale, vous ?
Certes non ! Il s’agit de méthodes mixtes ou encore de
méthodes analytiques à point de départ global. Car pour
analyser, il faut partir d’un tout (la phrase et le mot) et non
de l’élément (la lettre). Dans ces manuels, mis au point
sous la direction de vrais spécialistes, les enfants analy-
sent le code écrit de façon progressive et précise. Ils avan-
cent donc à coup sûr vers la lecture experte. Comment ?
13
Chapitre 2

J’ai du mal à imaginer qu’Anthony Carlisle et William


Nicholson se soient retrouvés un matin en se disant :
– Tiens, nous allons fabriquer de l’eau ! Vite, un peu d’hy-
drogène, d’oxygène, un soupçon de catalyseur, et c’est parti !
Difficile à imaginer, parce que, pour agir ainsi, il leur
aurait fallu d’avance posséder la recette. Non, ils sont par-
tis de l’eau, toute bête, toute plate. Ils l’ont analysée pour
en extraire des particules gazeuses, et ont tenté ensuite de
recomposer le tout. Autrement dit, ils en ont fait l’analyse
puis la synthèse…
Aujourd’hui, les profs de chimie partent de cette expé-
rimentation pour montrer aux élèves que ça marche, mais
ils ne les laissent pas croire à une découverte. En somme,
ils ne font que vérifier. Et c’est bien suffisant, parce que
l’électrolyse de l’eau n’est pas un problème vital chez l’en-
fant ou l’adolescent.

En revanche, il faut bien admettre que la lecture condi-


tionne la réussite scolaire, en même temps que la forma-
tion de l’individu. Dans une vie, la fréquentation de l’écrit
est quotidienne, et l’entrée dans l’aventure doit être négo-
ciée avec finesse. Car il s’agit, non seulement d’apprendre
à lire, mais aussi, et surtout, d’inciter les enfants à vouloir
continuer à lire après l’apprentissage.
Dans cette optique, il me paraît exagéré de faire fi des
travaux de nombreux chercheurs, parfois jetés à la vindicte
populaire, qui ont tous placé en amont de l’apprentissage
la notion de plaisir et la construction du sens par l’enfant.
De même, il me paraît incohérent de renier les Propos
d’Alain qui affirmait :
L’enfant ne retient bien que ce qu’il a découvert et
expérimenté…
On voit mal alors comment un enfant éprouverait du
plaisir à découvrir que B et A font BA, quand on se
contente de lui donner la solution !

De plus, les jeunes enfants adorent les histoires. Elles


ont bercé leurs premières soirées et symbolisent le plaisir
14
Globale ou syllabique ?

de lire et d’entendre. C’est pourquoi il me semble dange-


reux de rompre avec cette tradition, pendant toute la durée
de l’apprentissage, pour ne les laisser fréquenter que des
syllabaires dénués de charme. Car, il faut bien s’en persua-
der, les méthodes alphabétiques ou syllabiques ne sont que
des catalogues de lettres et de sons, sans intérêt affectif ou
culturel, qui ne peuvent donc susciter le moindre désir de
se lancer dans la lecture.

Constatons, au contraire, qu’un enfant qui entre au


Cours préparatoire n’est pas vierge de culture de l’écrit. De
plus, il sait que le livre procure un bien-être irremplaçable.
Il reconnaît son prénom et une bonne quinzaine d’autres
mots fréquents : maman, papa, maison, rue, soleil… Mais
il n’est pas toujours capable de justifier cette reconnais-
sance. Souvent il identifie son prénom par la silhouette du
mot, mais pas toujours par les lettres. C’est comme ça : les
jeunes enfants ont une vision globale des mots, et il leur
faudra quelque temps pour acquérir les compétences à les
analyser.

15
Globale ou syllabique ?

Comment fonctionne
une méthode mixte?

Au départ, un texte. De préférence un vrai texte de lit-


térature de jeunesse ou quelque chose de similaire qui offre
du plaisir. On évite, bien entendu les textes prétextes,
fabriqués pour multiplier les chances de rencontre avec la
lettre à apprendre. Quelque chose comme :
Le rat de Rémi ronge des radis roses…
Inintéressant ! Même si on a l’intention de voir la lettre
« r ». Mais on préfère de vraies histoires bien illustrées : un
album ou quelque chose de ressemblant…

Avec l’aide du maître et des illustrations, les enfants


cherchent le sens de l’écrit. Cette activité conduit vers l’iso-
lement d’une ou deux phrases sur lesquelles un deuxième
type de travail peut s’opérer. Mais, entendons-nous bien :
si la première activité s’appelle lecture, puisqu’elle
consiste à construire du sens, celles qui suivent ne sont
qu’exercices à propos de lecture. Nous devons le savoir, et
les enfants aussi !

Il s’agit donc maintenant d’opérer un travail d’écoute


sur la phrase et le mot. Car, quoi qu’en disent les farouches
partisans de l’alphabet, le code s’apprend à partir de l’oral.
Historiquement, la tradition orale a précédé l’écriture. De
la même façon, l’enfant parle avant de lire, et a donc déve-
loppé des compétences d’écoute de la langue. C’est cela que
l’on doit utiliser pour lui apprendre à lire. Les lettres ne
sont pas chargées de produire de l’oral, c’est l’oral qui est
codifié sur la page sous forme de lettres.
17
Chapitre 3

Prenons une phrase du texte de départ :


Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la
mangea.
Le premier travail s’effectue à l’oral. Il vérifie que l’en-
fant est capable d’isoler les douze mots d’un énoncé que
l’écrit sépare conventionnellement par des espaces. À cet
âge, en effet, l’enfant, qui n’a aucune expérience gramma-
ticale, isolera vraisemblablement les mots loup et chèvre
grâce à leur dimension affective, mais montrera plus d’hé-
sitation pour le reste de la phrase où jeta n’est pas repéré
comme verbe, et les articles ou pronoms (le, la) ne produi-
sent pas suffisamment de sens pour être oralisés séparé-
ment. On obtiendra d’abord des découpages hésitants
(leloup- surla- etla), avant de parvenir à la perception pré-
cise des douze mots. On voit ici toute l’importance de l’ana-
lyse de l’oral, sans laquelle l’observation ultérieure de
l’écrit se montrerait inutile.

Les enfants ont entendu, écouté et segmenté l’énoncé


oral. Maintenant, ils peuvent faire la relation avec la
phrase écrite. Les exercices s’enchaînent :
– Où commence la phrase ? Où finit-elle ? Deux ques-
tions qui mettent en évidence la majuscule et le point.
– Le maître relit la phrase. Quel est le premier mot ?
Quel est le dernier ? Cette deuxième activité permet de
faire une relation importante entre l’oral et l’écrit : l’écrit
est organisé de gauche à droite. Ce qui est dit avant est
écrit à gauche, ce qui est dit après est écrit à droite.
– Les enfants répètent la phrase pour bien s’imprégner
de tous les mots. Une analyse plus fine peut alors commen-
cer. Montrez-moi les mots : petite, jeta, et, chèvre, etc. Pour
répondre à ces questions, une seule aide possible : l’oral.
L’enfant répète la phrase en désignant chaque mot, et
s’arrête finalement sur celui qu’il recherche. La répétition
de ces exercices fait que, petit à petit, chacun mémorise la
silhouette de tous les mots de la phrase. Chaque enfant
avance donc vers la reconnaissance globale des douze mots
rencontrés. Vous avez dit « globale » ? Pas si sûr !
18
Globale ou syllabique ?

Il est temps maintenant de vérifier que les enfants ne


se contentent pas d’une reconnaissance approximative des
mots, qui les lancerait dans des simulacres de lecture que
les parents déplorent souvent dès les premiers jours.
Montrons donc des faux jumeaux pour inciter à fouiller un
peu plus le code :
– Entoure le mot loup à chaque fois que tu le vois.
L’exercice écrit qui apparaît souvent dans les manuels de
lecture, donne alors de fausses silhouettes du mot, au
milieu desquelles se cache le véritable loup : plou poul loup
luop loop loup, etc. On fait la même chose avec la plupart
des mots complexes de la phrase, pour obtenir une discri-
mination plus fine dans la reconnaissance. N’avez-vous
pas l’impression que le sens du mot « globale » a légèrement
évolué ? Attendez encore un peu…
– On demande maintenant aux enfants de reconstruire
la phrase au moyen d’étiquettes fournies par le maître (ces
fameuses étiquettes que l’on range dans une boîte d’allu-
mettes et qui s’envolent au premier éternuement). Ils s’ins-
pirent d’abord du modèle toujours présent au tableau. Puis
on cache le modèle pour faire appel à la mémoire visuelle.
Attendez, ce n’est pas tout !
– Au moyen des mêmes étiquettes, on propose aux
élèves de dire la même histoire en utilisant moins de mots.
On obtient alors après exigence des majuscules de départ :

Le loup mangea la petite chèvre.


Le loup se jeta sur la chèvre.
Et alors le loup mangea la chèvre.

Toutes les possibilités de permutations, donc de cons-


truction de sens, sont ainsi étudiées, conduisant l’enfant
vers une production écrite précoce. Vous en voulez encore ?
– Sur des feuilles d’exercices, le maître a écrit :
_l_rs l_ l_ _ p s_ j_t_ s_r l_ p_t_t_ ch_vr_
_t l_ m_ng_ _
Les enfants reconnaissent la fameuse phrase privée de
ses voyelles. Ils ont pour tâche d’y ajouter les lettres man-
19
Chapitre 3

quantes. Sommes-nous encore dans des pratiques globales,


ou avons-nous déjà avancé dans l’analyse du code ?
Pour clore cette première étude, il est encore possible
de demander aux enfants d’écrire eux-mêmes des his-
toires. Vous pensez que j’exagère ? Qu’ils en sont inca-
pables ? Détrompez-vous. Avec les mots qu’ils savent déjà
écrire (papa, maman, les prénoms des enfants de la classe),
ils peuvent produire :
Alors Vincent se jeta sur la petite maman.
Papa mangea la petite chèvre, etc.
Pour l’orthographe, il suffit de se reporter aux modèles.
Le soir venu, les écoliers infatigables, chers à Maurice
Fombeure, s’en retourneront « à galoche-que-veux-tu »
exhiber, devant leurs parents incrédules, leur facilité à lire
de nouvelles phrases, composées par le maître ou par leurs
camarades qui se voient, du même coup, publiés pour la
première fois :
Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea.
Le loup la mangea.
La chèvre mangea le loup ?, etc.
C’est de la lecture, mais personne ne s’extasie. Au
contraire, à la fin d’une prestation parfaite, la famille
s’exclame :
« Tu la sais par cœur ! Tu fais semblant de lire ! »
Parce qu’on est toujours persuadé que lire, c’est seule-
ment dé-chif-frer. La preuve : à la première erreur, on
essaye de vérifier :
« Mais non ! ce n’est pas se jette et la mange. Qu’est-ce
que tu vois là ? Un a ? Bon alors, un t et un a, ça fait quoi ?
Eh, oui, ça fait jeta !»

Il faudrait expliquer aux parents que les choses ont


changé. Qu’aujourd’hui on apprend à lire comme on apprend
à nager. Autrefois, sur la berge du bassin, un maître-nageur
montrait les mouvements de la brasse à l’apprenti qui se
tenait à plat ventre sur un tabouret. Un peu plus tard, on
immergeait le novice en prenant la précaution de le relier
au maître, au moyen d’une perche. Quand on ôtait la perche,
20
Globale ou syllabique ?

après quelques tasses et de belles émotions, ça finissait par


marcher. Normal ! Tous les mammifères nagent !
Mais, aujourd’hui, avec la multiplication des piscines,
les enfants n’attendent pas de croiser le regard d’un expert
pour découvrir le plaisir de barboter, de flotter et même
d’avancer. Ils se jettent à l’eau, à l’envie. Plus tard, ils se
perfectionnent sous les conseils de spécialistes.

Il en va de même pour la lecture. Désormais, les enfants


n’attendent pas d’entrer à l’école pour découvrir le livre. Ils
s’y plongent dès la plus tendre enfance : albums, bandes
dessinées, contes, poèmes… Ils veulent apprendre à lire en
lisant, comme ils apprennent à nager en se baignant. Il
faut leur expliquer tout ça, aux parents, et il faut leur dire
clairement que la pédagogie est en marche, comme tout le
reste, et que s’ils ne reconnaissent pas, dans les pratiques
actuelles, l’école de leur enfance, il en sera ainsi pour tous
les parents du monde, tant que l’école existera. Mais ça
n’empêche pas de s’informer…

21
Globale ou syllabique ?

Que proposent donc


les autres méthodes?

Pour simplifier, on peut dire qu’elles agissent un peu


comme d’antiques maîtres-nageurs, en ce sens qu’elles lais-
sent peu de place à la découverte et à l’expérimentation.
Une méthode qui prend appui sur les Instructions
Officielles de 1923, cite celles-ci :
« Au CP, l’enfant prend possession de l’instrument sans
lequel il ne pourrait acquérir aucune autre connaissance : il
apprend à lire. Les autres exercices auxquels on le soumet n’ont
d’autre but que d’entretenir les bonnes habitudes physiques,
intellectuelles et morales qu’il a contractées à l’école mater-
nelle. Mais l’enseignement essentiel, à cet âge, c’est la lecture ;
le Cours préparatoire est, avant tout, un cours de lecture [… ]»
Il s’agit de la méthode Boscher (médaille de bronze à
l’exposition internationale de Bruxelles en 1958 !), une
méthode syllabique qu’il est actuellement question d’offi-
cialiser ou d’imiter. Quel est son secret ?
Premier jour : i – u
Deuxième jour : o – a
Troisième jour : e – é – è – ê
Quatrième jour : p pi pu po pa pe pé pè pê
Enfin, l’enfant peut lire des mots, à plat ventre sur un
tabouret, car on les lui a pré-
découpés : pa pa. pi pe. é pi.
pi e. que l’on lit, bien entendu,
« pi-peu » et « pi-eu ». Qu’est-ce
qu’une « pipeu », au fait ?
On attend la page 8 pour
lire, enfin, des phrases, sans
23
Chapitre 4

majuscule, s’il vous plaît : « to to a é té tê tu. pa pa a


ta pé to to ». Une belle leçon de morale !…
Toutes les consonnes vont s’associer aux voyelles, à tour
de rôle, pour contribuer à fabriquer de belles syllabes qui
serviront à « lire » des mots prédécoupés. On découpe même
les articles : u ne !
Il faut attendre la page 58 pour voir apparaître les pre-
mières majuscules (hors contexte), et la page 59 pour le
premier vrai texte, non découpé en syllabes : La Petite
Poule rouge. En fait, on se baigne en fin d’année. Normal,
c’est déjà l’été.

Qu’on se rassure, (ou plutôt, que l’on s’inquiète) toutes


les méthodes qui refusent la mixité entre la reconnais-
sance globale et l’analyse du code agissent de la même
façon : elles imposent les lettres, page après page, et ne
tiennent aucun compte des découvertes des enfants. C’est
comme si, pour bien apprendre à lire, il était nécessaire
d’oublier tous les apprentissages de l’école maternelle et
tous les bons moments passés en compagnie de belles his-
toires. C’est comme s’il fallait tourner le dos à la belle lit-
térature pour apprendre à l’aimer plus tard, beaucoup plus
tard, peut-être jamais…

D’autres manuels qui se réclament d’une démarche


reposant sur l’écrit, pour conduire vers la découverte
« active » du code, se rangent dans la catégorie des parti-
sans de la méthode mixte. Ils fournissent donc aux enfants
des textes supports qu’il faut lire, comprendre et analyser.
La progression est simple :
– mémorisation d’une trentaine de mots (reconnus glo-
balement) ;
– analyses progressives répondant à une liste de fré-
quence des sons de la langue française (a, r, l, é, ss, i, è,
t…) ;
– combinaisons entre les sons découverts et leur
transcription graphique, pour fabriquer de nouveaux
mots ;
24
Globale ou syllabique ?

– lecture de textes de plus en plus étoffés, et le tour est


joué, les enfants savent lire… ou presque.
Je dis bien, presque, en songeant que, savoir lire, c’est
bien construire du sens dans l’écrit et non pas seulement
déchiffrer.
Or, comment un enfant peut-il construire du sens dans
des textes qui ne lui résistent pas ? Comment acccorder de
l’intérêt à ce qui n’en affiche pas ?
En effet, les textes fabriqués pour les enfants dans une
perspective d’apprentissage cachent si difficilement leur
intention d’exposer les sons à apprendre, qu’ils en devien-
nent pauvres :
– le jour du « CH », ils annoncent : « Le pêcheur met son
chapeau pour pêcher des poissons-chats. »
– le jour du « L », ils proposent : « Pilou fait des guili-
guili à Lalie. »
Désolant dans le domaine de la littérature de jeunesse !
Car les enfants qui ne fréquentent que ces seuls livres (il
y en a) s’y laisseraient tromper…

De plus, la progression établie une fois pour toutes par


les décideurs du manuel ne permet aucune fantaisie. Les
enfants doivent comprendre la page 24 avant la page 25.
Tant pis pour ceux qui ne sont pas encore prêts (ils doivent
obéir au forçage), tant pis aussi pour ceux qui découvrent
des sons nouveaux bien avant la date (ils devront attendre).
Et si lire, c’est construire du sens autour de l’idée de
plaisir, ces manuels ne sont sans doute pas à la hauteur de
nos attentes.
Si apprendre, c’est échanger avec les autres des décou-
vertes remarquables, la répétition de sons identiques dans
les textes ne favorise pas l’enthousiasme du partage. De
telles méthodes, qui n’obéissent pourtant pas au modèle
alphabétique ou syllabique, se montrent donc incompé-
tentes en ce qui concerne le désir de lire après l’apprentis-
sage. Elles ne participent donc pas activement à la lutte
contre l’illettrisme.

25
Globale ou syllabique ?

Où est le problème?

Quand le service militaire existait encore, les fameux


tests d’incorporation détectaient, chaque année, neuf à dix
pour cent de mâles illettrés. Aujourd’hui, les casernes ont
fermé leurs portes au tout venant, mais les mêmes tests
repèrent le même pourcentage d’illettrés, tous sexes réunis
cette fois.
Lorsque les évaluations de sixième s’en chargent,
elles obtiennent à peu près les mêmes résultats. Rien n’a
donc changé, sauf qu’en sixième, on compte bien plus
d’individus (garçons et filles confondus) que dans les
casernes de la glorieuse époque ! Et quand on sait que,
jusqu’à la fin des années cinquante, l’entrée en sixième
se faisait après un examen de passage, on comprend
mieux pourquoi les statistiques actuelles ont légèrement
modifié les chiffres…

Mais, entendons-nous bien : illettré ne signifie pas


analphabète. Ce qui veut dire que les élèves considérés
connaissent le code, s’en servent, mais lisent mal. C’est-
à-dire qu’ils prélèvent difficilement une information,
qu’ils construisent péniblement le sens d’un texte, bref,
qu’ils n’interagissent pas correctement dans leur rela-
tion avec l’écrit. Mais ce n’est peut-être pas une raison
pour décider de les abreuver de syllabes et de déchif-
frage. Autant remettre les petites roues stabilisatrices à
un cycliste qui sait faire du vélo, mais manque de puis-
sance de pédalage !
La comparaison vous étonne ? Gardons-la. J’ai souvent
utilisé, devant mes étudiants, cette métaphore cycliste,
parce qu’elle leur parle bien :
27
Chapitre 5

« Imaginez un grand-père pédalant sur une route de


campagne. Vous savez, un de ces vieux pépés prudents qui
avancent sur leurs vélos grinçants, couine… couine…, la
casquette bien vissée sur la tête. Il progresse lentement,
mais sûrement, car il a trouvé le juste coup de pédale :
couine… couine… juste assez vite pour maintenir l’équi-
libre, couine… couine…, pas trop vite pour ne pas laisser
s’envoler la casquette. »
Pour un enfant, la lecture, c’est un peu comme une de
ces sorties à bicyclette. S’il ne déchiffre pas assez vite, il
perd l’équilibre de la phrase, car il ne se souvient plus de
ce qu’il vient de lire et il doit sans cesse recommencer. Fina-
lement, le vélo retombe avant qu’il ait pu progresser. S’il
déchiffre trop vite, il garde l’équilibre, mais il ne voit plus
le paysage, et le vent apparent emporte la casquette et le
sens. Question de rythme, finalement. C’est ce qui se passe
chez nos lecteurs jugés incompétents. Ils se laissent
encombrer par le code, les lettres, les syllabes, et se regar-
dent pédaler, en oubliant de fixer l’horizon. Ils le font, parce
qu’on leur a trop souvent appris à le faire.

Dans beaucoup de classes, en effet, le seul moyen d’éva-


luer la lecture d’un enfant reste le passage par l’oral :
« Lis la phrase à voix haute. Merci, tu sais lire… »
28
Globale ou syllabique ?

Est-ce bien sûr ? Essayez donc de lire, à voix haute, un


texte nouveau et demandez-vous, en fin de parcours, si
vous avez compris quelque chose, et concluez que vous ne
savez pas lire !

Dans d’autres classes, on favorise plutôt la lecture


silencieuse. Bonne idée : chacun lit à son rythme, mais le
maître n’y trouve pas son compte, car il a bien envie de
vérifier que chacun a compris ce que l’on doit comprendre.
Alors il distribue des questionnaires. Vous savez, ces
fameuses pages qu’il faut remplir pour montrer que l’on a
repéré ce qu’il était obligatoire de repérer :
– le nom de la ville où se déroule l’histoire ;
– le nombre de personnages ;
– la couleur de la robe de l’héroïne ;
– le sens du mot « claustrophobe » ;
– les métaphores qui nourrissent le texte…
Une autre série de questions pour dire :
– ce que l’on pense de l’attitude du méchant ;
– ce que l’on aurait fait à la place du héros ;
– comment s’appelle une tragédie qui finit bien, etc.
Pas une seule question pour demander :
– pourquoi as-tu souri à cet endroit ?
– est-ce que ça t’a apporté du plaisir, de l’émotion ?…
Comme si le plaisir de lire pouvait se mesurer à
l’échelle du déplaisir éprouvé tout au long d’une fasti-
dieuse activité de remplissage de papier.
Car les enfants nous voient venir. Proposons-leur une
belle histoire, dans un bon livre bien illustré qui sent le bon
papier et l’encre d’imprimerie bien fraîche : ils se jettent
dessus. Silence, on lit !
Imposons-leur, en revanche, un bout de texte, imprimé
sur une fiche cartonnée, au dos de laquelle ils devinent
un questionnaire aussi rébarbatif qu’une feuille de décla-
ration de revenus : ils flairent le piège !… Ils parent au
plus pressé, ils lisent d’abord les questions, puis, survo-
lent le texte pour récolter le plus rapidement possible les
informations exigées, ils écrivent, écrivent encore et
29
Chapitre 5

poussent l’ultime soupir de soulagement. Fini ! Ils peu-


vent enfin oublier le texte… Quel texte, au fait ? L’ont-ils
vraiment lu ? L’ont-ils apprécié ? Autant dire que l’acti-
vité de questionnement écrit autour d’un texte littéraire
est le meilleur moyen d’empêcher de lire. Dommage pour
la littérature !

Dans d’autres classes encore, le maître, au risque de


passer pour fantaisiste, met au rebut tous les fichiers-
pièges, et propose une lecture longue : Les Pauvres Gens
(Victor Hugo). En alexandrins, s’il vous plaît !
Chacun possède un exemplaire du petit recueil
(Classique Hachette) à couverture souple. Ça sent bon le
vieux papier jauni, ça fait déjà un peu couleur locale avec
les vieux rideaux du logis du pêcheur. Les élèves lancent
déjà des idées :
– On pourrait le jouer comme une pièce de théâtre…
– Oui, mais c’est un peu long. On aura du mal à l’ap-
prendre par cœur…
– Alors on n’a qu’à le lire, et l’enregistrer sur cassette…
– Oui, avec une musique derrière, pour les correspon-
dants !
Le marché est conclu. Chacun se lance dans la lecture
du texte. Chacun, à son rythme, tantôt en classe, tantôt à
la maison, pour définir les rôles. Au bout d’une séance ou
deux, l’affaire avance :
– Il faut, un pêcheur, sa femme et une voisine.
– Dis-donc, c’est une histoire triste…
– Il faut aussi un récitant…
– Un récitant ? Tu parles ! Il en faut plusieurs, c’est la
partie la plus longue !
– Moi, j’ai déjà trouvé des musiques pour mettre der-
rière : j’ai La symphonie du nouveau monde, de Dvorak et
La Moldau, de Smetana.
– C’est de Smetana, ça ? C’est pas de Marc Lavoine ?
Et on se met au travail. Un travail excitant qui prend
la place des « leçons de lecture ». En quelques semaines, le
projet est bouclé : répartition des rôles, lectures à haute
30
Globale ou syllabique ?

voix devant les micros, rajout de la bande-son… Sans


oublier les heures de discussions et de débats :
– Moi, je trouve que tu n’y mets pas assez de drame…
– Quand tu dis : nous avions quatre enfants, cela va
faire sept, tu devrais te montrer plus gêné.
– Oui, parce qu’à ce moment-là, le pêcheur sait qu’ils
n’ont pas assez d’argent pour élever sept enfants.
– Et toi, quand tu dis : Ô Dieu, le vent rugit comme un
soufflet de forge… tu devrais faire encore plus peur…
De temps en temps, le maître intervient pour expliquer
un mot difficile, mais surtout, il écoute, oriente les débats.
Et il se réjouit : plus les enfants confrontent leurs avis, plus
ils affinent leur compréhension du texte. Et, plus ils per-
31
Chapitre 5

fectionnent leurs lectures à voix haute, plus ils affirment


leur compréhension fine de l’œuvre. Pas besoin de les ques-
tionner, inutile de leur faire remplir des fiches, il suffit de
les écouter pour se persuader qu’ils comprennent ce qu’ils
lisent.
Car la lecture à voix haute, celle que l’on prépare, celle
qui se veut interprétative, c’est la vraie lecture ! Vous
connaissez des acteurs qui ne savent pas lire, vous ? Non,
les bons interprètes démontrent leurs compétences de
lecteurs. Et si leur interprétation n’est pas celle que cha-
cun aurait imaginée, c’est peut-être parce qu’un texte écrit
ne suggère pas qu’une interprétation officielle…

Le problème est là : l’école s’est montrée si souvent scru-


puleuse à l’égard de la lecture, qu’elle a fini par vérifier que
ses élèves ne lisent pas bien, au regard d’évaluations qui
consistent à faire pratiquer l’autopsie de textes morts, ou à
faire oraliser, à froid, des textes nouveaux, inconnus des
enfants, donc insonorisables. Dans les deux cas, elle se
trompe. La vérification ne devrait pas se faire sous les yeux
seuls du maître, mais en présence d’un public.
Considérez un élève de CM qui s’en va lire une histoire
devant des enfants de maternelle : il prépare son texte et
s’arrange pour bien le comprendre afin de pouvoir
répondre aux questions qui ne manqueront pas de fuser.
Lorsqu’il revient de sa prestation, il est en mesure de dire :
– je n’ai pas lu assez fort ;
– ils ne m’ont pas bien écouté ;
– j’ai encore bafouillé, buté sur des mots ;
– je croyais avoir compris cette phrase-là, mais il faut
que je la relise ;
– je crois que j’ai bien lu parce qu’ils m’ont écouté jus-
qu’au bout…
Il a raison. Car le public des « petits » est un public dif-
ficile. Essayez vous-même : si votre lecture est expressive,
ils se suspendent à vos lèvres. Si vous vous empêtrez dans
votre texte, ils vous tournent le dos, sans autre forme de
procès.
32
Globale ou syllabique ?

En fait, ce qui manque à notre enseignement, c’est


l’idée de projet. La plupart du temps, les enfants ne savent
pas ce qu’ils sont en train de faire, ni pourquoi ils le font.
C’est pourquoi ils considèrent tous nos questionnaires de
lecture, même les meilleurs, comme des outils fabriqués
pour les embêter. Comment les en dissuader ?
Pendant les années quatre-vingt, des théoriciens bien
intentionnés ont prétendu qu’on pouvait apprendre à lire
ou à mieux lire dans des écrits de toutes sortes. Ils avaient
raison, parce que les enfants fréquentent quotidiennement
les écrits sociaux, depuis leur plus tendre enfance (publi-
cités, enseignes de magasins, panneaux de rues, etc.). On
a vu alors les enfants de CP se colleter avec des annuaires
téléphoniques, des brochures de la SNCF, des prospectus
publicitaires, des emballages de produits alimentaires, des
articles de journaux, des programmes télé… venus rempla-
cer les textes trop artificiels des manuels de lecture.
Mais les enseignants se sont un peu trop vite emballés.
Ils ont eu tort ! Parce que, s’il est nécessaire de prendre en
compte les éléments de ce gigantesque bain de lecture pour
que l’enfant puisse les identifier et donc les comprendre un
jour (plus tard), il est utile, en revanche, de sélectionner les
écrits au moment de l’apprentissage.

Oui, il est nécessaire de réduire le champ de l’explora-


tion de l’écrit lorsqu’on veut fournir aux enfants des sup-
ports destinés à faire découvrir le code. Et les meilleurs
supports se trouvent, à coup sûr, dans la large palette de
la littérature de jeunesse que les enfants isolent spontané-
ment du fatras des mille écrits sociaux, car elle est la seule
à leur procurer du plaisir. L’erreur était, non pas de mon-
trer la diversité de l’écrit, mais de vouloir l’utiliser préma-
turément pour apprendre.
J’avoue l’avoir fait, j’avoue avoir placardé un jour sur
mon tableau un autocollant représentant un superbe ara
rouge, jaune et bleu qui caquetait : « Quand c’est trop, c’est
Tropico ! » Je l’ai fait, parce que j’étais sûr de mon coup. Ce
slogan passait dix fois par jour à la télé, ils le connaissaient
33
Chapitre 5

tous, et, grâce à lui, mes élèves mémorisaient trois mots :


quand, c’est, trop. Ils découvraient, en outre, le « P » qu’on
n’entend pas (dans trop) et celui qui marche bien (au
milieu de Tropico). Mais j’assure qu’en dehors de cela, ils
ont découvert le code dans des œuvres sélectionnées chez
Folio Benjamin (Éditions Gallimard) ou chez Renard poche
(Éditions L’École des loisirs), de petits livres qu’ils n’ont
pas manqué de fréquenter par la suite, à cause du plaisir
qu’ils procurent encore après l’apprentissage. En revan-
che, je n’ai jamais rencontré d’enfant qui éprouvait le
besoin de se délecter de la lecture d’un annuaire télépho-
nique, ni pendant, ni après l’apprentissage…

Le problème de notre école ne réside pas dans la


recherche effectuée autour de l’acte de lire (les chercheurs
ont fait avancer les choses de manière remarquable), mais
dans le phénomène de mode qui en découle à chaque fois.
Les réactions des enseignants deviennent alors exces-
sives : ou bien ils se lancent à corps perdu dans des
méthodes nouvelles, ou bien ils refusent catégoriquement
d’avancer, contribuant ainsi à activer le mouvement d’un
balancier qui oscille frénétiquement en oubliant de s’inter-
roger sur les raisons de sa mobilité.
Si l’on considère, en outre, que chaque nouveau ministre
de l’Éducation croit inventer la lecture au moment où il la
découvre, on comprend mieux les inquiétudes des ensei-
gnants.
En trente-sept années de carrière, j’ai fait la connais-
sance (par déclarations interposées) d’une bonne douzaine
de ministres. Chacun a cru nécessaire d’y aller de sa
réforme, jouant à chaque fois sur une originalité qui vous
laisse pantois :
– Lire, écrire, compter.
– Compter, lire, écrire.
– Écrire, lire, compter…
J’exagère à peine et j’oublie trois autres combinaisons
possibles, qu’en pédagogue averti, je vous laisse le soin de
découvrir.
34
Globale ou syllabique ?

Mais les textes officiels régissant l’apprentissage de la


lecture ne sont parvenus qu’à simuler une sorte de tango :
trois pas en avant, deux pas en arrière… Voyez plutôt :
1923 : Nous ne préconisons aucune méthode… la meil-
leure sera celle qui donnera les résultats les plus rapides
et les plus solides…
1958 : Nous ne jetons l’interdit sur aucune méthode.
Chaque maître adoptera donc la méthode qui correspondra
le mieux à sa propre nature, et l’Inspecteur n’interviendra
que si le maître s’est trompé dans son choix, ou si la
méthode choisie est maladroitement appliquée.
1972 : Les enfants sont trop différents les uns des autres
pour qu’une même méthode soit la meilleure pour tous.
1977 : Plusieurs méthodes d’apprentissage peuvent
être utilisées dont l’efficacité semble tenir surtout aux
conditions dans lesquelles elles sont pratiquées, et à la
façon dont elles font droit à un certain nombre d’exigences.
1985 : Quelle que soit la méthode utilisée, l’objectif est
de conduire chacun, dès l’école et pour toute la vie, à vou-
loir lire, à savoir lire, à aimer lire.
1995 : Il n’y a pas de méthode imposée, etc.
2002 : Un manuel pour les instituteurs débutants. Mais
on y ajoutera la littérature et des textes divers…

Vous ne trouvez pas qu’il va être grand temps de se


mettre d’accord ? Vous ne pensez pas qu’il serait préférable
de considérer que la pédagogie de la lecture avance, non
pas au gré des modes ou des alternances politiques, mais
parce qu’elle tient compte des changements qui s’opèrent
chez les enfants ? On ne peut pas proposer aux jeunes
élèves du troisième millénaire, qui fréquentent quotidien-
nement l’écrit, le papier (et même l’écran !), des méthodes
destinées, en d’autres temps, à alphabétiser dans l’urgence
(et entre deux guerres) des citoyens qui n’avaient avec le
livre que des rapports épisodiques ou inexistants.

J’ai, dans ma bibliothèque, des syllabaires, de superbes


manuels obsolètes que je considère désormais comme des
35
Chapitre 5

traces de l’histoire de la lecture. J’en ai même un qui parut


sous le règne de Louis XIV (ROTI-COCHON ou MÉTHODE
TRÈS FACILE pour bien apprendre les « enfans » à lire) et
qui m’a tout l’air de mettre en place une méthode carré-
ment globale (réédité par Fata Morgana en 2005) !

Ce ne sont que des documents. Ils ont été efficaces en


leur temps, mais il est hors de question que je les exhume
dans des intentions d’apprentissage novateur !

Continuons donc à œuvrer en suivant une trajectoire


de progrès, et en considérant que les résultats de recher-
ches viennent s’ajouter à l’existant, sans autre intention
que de l’améliorer.

36
Globale ou syllabique ?

Comment s’y prendre?

Revenons à notre bonne méthode mixte à point de


départ global, que nous avons quittée au moment où des
parents semblaient rejeter ce type de lecture basé sur la
reconnaissance directe, en prétendant que, reconnaître,
c’est faire semblant de lire. Poursuivons donc, contre vents
et marées, ces apprentissages fondés sur l’analyse de la
phrase et la découverte de mots.
Au bout de trois ou quatre semaines, à raison d’une
dizaine de mots par semaine, on peut admettre que les
élèves se sont constitué un capital d’une quarantaine de
mots reconnaissables du premier coup d’œil.
Il s’agit de quelques mots aussi brefs que fréquents :
le, la, les, un, une, des, dans, sur, pour, avec, mais, est,
il, elle, était, avait, etc.
auxquels s’ajoutent des mots rencontrés dans les lec-
tures :
petit, loup, chien, maison, lapin,
manger, forêt, pêcheur, montagne,
champignon…
capital complété par des mots
connus de longue date :
maman, papa, soleil, rue, porte
et quelques prénoms d’enfants.
Nos pratiques quotidiennes, qui
consistent non seulement à faire
reconnaître ces mots mais aussi à
les faire copier, écrire, compléter et distinguer de leurs faux
jumeaux, ne laissent pas les enfants insensibles. Au bout
de quelques semaines, ils osent formuler des observations
qui témoignent d’un début d’analyse :
37
Chapitre 6

– Dans papa, maman, montagne, la, dans, lapin, mai-


son et champignon, je vois la même lettre ! C’est la lettre
A.
Ce à quoi nous ne manquons pas de répliquer :
– D’accord, mais est-ce que tu entends la même chose ?
L’affaire est bien engagée. Car, du même coup, les enfants
découvrent que la lettre A peut se voir et laisser entendre
« a », ou encore se voir et laisser entendre tout autre chose :
« an » dans maman, dans ou champignon et « ai » dans mai-
son. Plus tard, ils découvriront qu’elle sert aussi à faire « au »,
« eau », « aon ». Vous avez toujours envie de prononcer le mot
« globale » ? Moi, non. Je dis qu’à partir de ce moment, les
enfants s’engagent sur le chemin de l’analyse. Ils vont ainsi
repérer, progressivement, au cœur de leur capital de mots,
les trente-six « sons » différents de notre belle langue et les
quelques cent trente façons de les traduire à l’écrit.
En effet, un autre jour, ils remarqueront :
– Dans forêt, pêcheur, rue, manger et porte, on voit la
même lettre. C’est la lettre R.
Vous répliquez avec la même habileté :
– Oui, mais est-ce qu’on entend la même chose ?
Les enfants découvrent ainsi que la lettre R produit le
son « rrr », mais que dans manger, elle ne produit apparem-
ment rien ! Et je vous garantis qu’à partir de ce jour, il n’est
plus question de parler de méthode globale, car, animés
d’une frénésie de découverte, les enfants vont se mettre à
analyser tous les mots de leur capital d’apprentissage.

Car ils aiment jouer avec les mots, comme ils joueraient
avec des assemblages de cubes. Ils les démontent, les décor-
tiquent, non pas pour les lire (ils les reconnaissent et les
comprennent déjà), mais pour voir comment ils sont fabri-
qués. Et la boule de neige grossit chaque jour, pour prendre
rapidement des proportions gigantesques. Imaginez un peu :
– Premier jour : découverte du A, qui ne sert qu’à véri-
fier sa présence dans des mots déjà connus.
– Deuxième jour : découverte de la lettre R, dont on
vérifie la présence (sonore ou pas) dans le capital acquis,
38
Globale ou syllabique ?

mais qui, associée au A, contribue à fabriquer des mots


nouveaux : ara, ra(t), rar(e), ar(t)…
– Troisième jour : découverte du L, que l’on retrouve dans
les mots déjà connus, mais qui, en association avec A et R,
nous permet de fabriquer : râl(e), Arl(es), lar(d), l’ar(t), Lara…
– Quatrième jour : découverte du P (dans pour, loup,
lapin, pêcheur, champignon, papa et porte), qui, en compa-
gnie de A, R et L, composera des mots nouveaux : Alpes,
plat, râpe, palpe, pape, lape, etc. N’en jetez plus !
Le capital de mots est passé de quarante à cinquante-
trois. Et nous n’en sommes qu’au quatrième jour de la
phase d’analyse/synthèse. Tiens, vous ne parlez plus de
méthode globale… Vous avez raison, parce que, mainte-
nant, nos enfants savent déchiffrer.

Pourtant, cette phase délicate de la découverte du


déchiffrage ne devrait pas leur laisser croire que lire, c’est
uniquement déchiffrer. En effet, si le premier contact avec
un mot nouveau oblige à le déconstruire pour sonoriser la
plupart de ses lettres, lors d’une deuxième rencontre, les
enfants vous diront :
– Ce mot-là, je n’ai plus besoin d’essayer de faire mar-
cher ses lettres parce que je le reconnais.
Vous ne disiez plus « globale » ? Moi, si ! Je recommence
à en parler parce que j’ai bien envie d’aider encore mes
enfants en leur disant :
– Pour lire vite et bien, vous avez maintenant deux
solutions : ou bien vous reconnaissez le mot parce que vous
l’avez déjà rencontré (facile !), ou bien vous ne l’avez jamais
vu et, dans ce cas seulement, vous le déchiffrez (cette fois-
ci, mais pas la prochaine fois, puisque vous finirez bien par
le reconnaître!).
Et j’ajoute une troisième aide :
– Tu fais marcher ta tête. Parce que la construction du
sens ne se fait pas par la bouche, mais par le cerveau !
Vous avez dit globale ? Oui, moi aussi, mais méthode glo-
bale qui marche, parce qu’elle a permis à l’enfant de décou-
vrir seul la magie du code, de s’en servir pour résoudre ses
39
Chapitre 6

problèmes momentanés de déchiffrage, avant de se persua-


der qu’avec un peu de pratique, la meilleure façon de lire,
c’est celle de l’adulte qui finalement déchiffre rarement.

Pourtant, il faut bien reconnaître qu’à partir du


moment où les enfants découvrent cette magie du code qui
permet de lire mais aussi de fabriquer des mots nouveaux
(donc d’écrire), les choses vont très vite, trop vite. La boule
de neige grossit si rapidement (en progression géométrique
pour ainsi dire), que les jeunes apprentis finissent par
apprendre à lire bien plus vite que nous ne le voudrions.
En effet, il ne leur faudrait pas plus d’un mois ou deux
pour repérer les cent trente combinaisons possibles entre
les lettres. Certains même, qui font souvent marcher leur
intelligence, n’ont pas besoin de connaître toutes les combi-
naisons pour percevoir le sens d’une phrase ou d’un texte.
Ils font des paris sur les parties inconnues des mots, et ils
les gagnent ! On dit qu’ils savent formuler des hypothèses
de sens, et qu’ils les vérifient rapidement, en anticipant sur
la suite de la phrase. Là, je dis : bravo ! Mais j’ajoute : dan-
ger ! Il faut savoir ralentir cette course à la lecture.
Danger, parce que cette illusion d’expertise en lecture
laisserait croire que l’apprentissage est achevé, et qu’il
leur suffit désormais de lire et de lire encore pour devenir
des lecteurs compétents. Erreur ! Une telle conception
ferait oublier que pour bien connaître les choses, il est
nécessaire de savoir les démonter et les re-monter !

Vous avez certainement pu lire sur


Internet ce type de texte étrange qui
commence par :
Sleon une édtue de l’Uvinertisé de
Cmabrigde, l’odrre des ltteers dans un
mot n’a pas d’ipmrotncae…
Si vous le déchiffrez scrupuleusement,
il n’a aucun sens. Si vous le lisez à toute
vitesse, vous le comprenez parfaitement, mais vous êtes
incapables de le réécrire en respectant son « orthographe ».
40
Globale ou syllabique ?

Rappelez-vous aussi la maman de Julien, qu’Arnaud


était capable de reconnaître sans pourtant pouvoir la des-
siner. Si nos jeunes lecteurs se laissent emporter par la soif
de lire et de reconnaître, ils se retrouveront bientôt dans la
même situation qu’Arnaud : habiles à reconnaître les mots,
sans les examiner jusqu’au bout, mais incapables de les
écrire sans erreur. Faut-il pour autant conclure que notre
méthode d’apprentissage de la lecture soit inefficace ?
Certes non, puisqu’elle permet de lire de manière intel-
ligente et bientôt fluide. Incomplète pourtant parce qu’elle
oublie d’inviter les enfants à s’attarder sur les particulari-
tés orthographiques des mots.
C’est pourquoi, loin de considérer que l’apprentissage
se borne à déclencher la lecture rapide, notre méthode à
point de départ global doit, tout au long de l’année, inviter
les enfants à observer scrupuleusement les différentes
combinaisons de lettres qui forment des mots d’apparence
semblable. Quelques exemples :
– tante et tente laissent entendre les mêmes sons, mal-
gré des écritures différentes ;
– je vais manger et j’ai mangé sont facilement lisibles
par des enfants qui ne remarquent pas toujours les termi-
naisons é et er ;
– escargot, ennemi, libellule, baleine, plaine, poulet, bête
et fière laissent entendre le son « ê », mais il ne s’écrit pas
toujours de la même façon ;
– souris, cirque, danse, carrosse, récréation, dix, maçon,
descendre possèdent le son « ss », qui apparaît sous des
formes diverses.

Nous ne devons donc considérer l’apprentissage achevé


qu’à partir du moment où les enfants ont une conscience
claire des sons entendus et de la multiplicité de leurs trans-
criptions graphiques. Et cela risque de durer quelque
temps, car, vous le savez bien, cet apprentissage que l’on
apparente à la maîtrise de l’orthographe se poursuit jusqu’à
la fin de la scolarité obligatoire. Mais pendant toute l’année
de Cours préparatoire, les séances d’apprentissage systé-
41
Chapitre 6

matique de sons considérés comme difficiles (à écrire, mais


pas à lire) vont se succéder, contribuant ainsi à rapprocher,
par certains aspects, notre méthode mixte de méthodes syl-
labiques qui, elles, ne font pratiquement que cela.
Nous ferons donc alterner les séances de lecture propre-
ment dite, pendant lesquelles les enfants perfectionnent
leur fluidité de lecture, et les séances d’observation de l’écrit,
pendant lesquelles les mêmes enfants engrangeront les dif-
férentes transcriptions des trente-six sons de notre langue.
Mais la différence fondamentale est que nos enfants sont
prévenus : à certains moments, on fait de la lecture intelli-
gente, à d’autres moments, on prépare la rigueur orthogra-
phique. Pendant que les méthodes syllabiques réunissent
tout cela sous l’appellation fausse de « lecture », oubliant du
même coup de préparer les apprentis à une lecture fluide
qui ne se nourrit pas de syllabes, mais se contente d’une vir-
tuosité dans la prise d’indices pour fabriquer du sens.

On notera, en outre, que nos enfants écrivent des


phrases, dès les premiers jours, et que, tout en apprenant
à lire, ils collectionnent les outils qui permettent de conser-
ver ce plaisir d’écrire, en orthographiant de mieux en
mieux. Et on se désolera devant les manuels d’apprentis-
sage syllabique, qui obligent à attendre plusieurs séances
avant de pouvoir écrire les mots papa, épi et pie, en se gar-
dant bien d’exiger des phrases !
Ici devrait s’arrêter la querelle qui oppose partisans de
la méthode mixte dite (à tort) globale et défenseurs de la
méthode syllabique, car, si les premiers utilisent quelques
outils des seconds, les autres refusent de fournir précoce-
ment un bain de lecture profitable.

En effet, dans une méthode mixte, dès la découverte


par les enfants du système qui régit l’assemblage des
lettres et des sons dans les mots, il est nécessaire de les
entraîner à un déchiffrage efficace. Alors apparaissent
dans nos séances de « lecture » des exercices que l’on appa-
rente, à tort, à une pratique syllabique. Oui, j’avoue avoir
42
Globale ou syllabique ?

fait lire à mes élèves des tableaux de syllabes dénués de


sens. Oui, je les ai entraînés à lire :
ba be bi bo bu bou bé bè bê ban ben boi bon
tra tre tri tro tru trou tré trè trê tran tren troi tron,
etc.
Mais il ne s’agissait que d’exercices de musculation que
je ne présentais pas comme des exercices de lecture. Car
l’exercice ponctuel ne remplace pas l’activité de lecture, de
même qu’un footballeur qui fait des séries d’abdominaux
ne peut prétendre pratiquer au même moment l’activité de
football. Alors mes élèves jouaient avec les syllabes, pour
apprendre à combiner rapidement les lettres, et, après ils
lisaient de vrais textes pour vérifier que l’exercice d’entraî-
nement avait contribué à améliorer leurs performances.
Et si je leur ai dicté des syllabes et des mots, ils com-
prenaient également qu’il ne s’agissait plus de lecture,
mais d’une véritable préparation à l’écriture.

C’est ici que se situe la différence fondamentale entre


la méthode mixte intelligemment mise en œuvre et la
méthode syllabique rigoureusement pratiquée. La pre-
mière engage les enfants sur le terrain de la découverte
avant de mettre en place des stratégies de perfectionne-
ment en lecture et en écriture. La seconde impose la lettre,
la syllabe, bref, l’exercice de musculation avant de faire
ressentir le plaisir des activités de lecture et d’écriture.
Avec de telles pratiques, les enfants finissent par considé-
rer qu’apprendre à lire relève d’une performance exigée
par le maître et les adultes en général. Alors ils appren-
nent, ils déchiffrent et lorsqu’ils considèrent avoir acquis
cette compétence, ils ne lisent pas. Pour eux, lire, signifie
oraliser devant l’adulte, pour exhiber un savoir. Pour les
autres (pour les nôtres), lire, c’est continuer à prendre du
plaisir tout en améliorant les performances (donc en amé-
liorant le plaisir).
Les uns n’éprouvent plus le besoin de lire après l’ap-
prentissage.
Les autres ne pourront plus s’en passer…
43
Globale ou syllabique ?

Quelques précautions

Il a souvent été question de plaisir dans ces pages.


Comment considérer, en effet, un apprentissage qui igno-
rerait cette dimension ? Vous connaissez des enfants qui se
délectent d’ennui ? Vous pouvez imaginer une classe où le
maître seul se régale ? Moi, pas.
Au contraire, qu’on le nomme désir, motivation, inté-
rêt, envie, ou besoin d’imiter, c’est bien de plaisir qu’il
s’agit ; un plaisir où tout apprentissage prend sa source,
un plaisir que nous savons désormais faire naître, un
plaisir de lire que les enfants savent aussi identifier.
Ils voient les adultes l’éprouver. Ils les entendent s’es-
claffer devant des pages amusantes, s’étonner devant
une information inattendue. Ils les voient aussi partager
ce plaisir :
– Écoute un peu ce que je lis…
– Regarde comme c’est bien écrit…
Certains enfants savent aussi goûter cette joie de
l’enfermement momentané et délibéré, dans une histoire
entrouverte dès la première page d’un livre. Ce sont les
enfants qui bénéficient de l’immense privilège de la lecture
à voix haute de parents attentifs. Ils ont cette chance que
ne soupçonnent peut-être pas des parents moins dispo-
nibles ou, eux-mêmes, moins rompus à la lecture. Quelle
chance ?
La petite histoire quasi quotidienne offre aux jeunes
enfants des avantages incomparables :
– éveil de l’imaginaire ;
– identification au héros ;
– appréhension d’émotions passagères, puisque étouf-
fées dès la dernière ligne ;
45
Chapitre 7

– fréquentation des notions clairement identifiables de


bien et de mal ;
– relation affective intense avec le lecteur.
Et surtout, si l’on considère les apprentissages à venir :
– imprégnation du langage de l’évocation, fort éloigné
du langage du quotidien, par sa forme, son style, ses locu-
tions traditionnelles et ses passés simples (pas si simples
que ça) ;
– familiarisation avec l’écrit, et ce pouvoir magique qui
sait faire sortir de la page un bonheur intense.
Bref, ainsi rencontrée, la lecture représente une aven-
ture bien tentante, et les enfants montrent une grande
impatience de s’y lancer. Mais tous ne bénéficient pas,
hélas, de l’avantage de cette rencontre précoce avec l’écrit.

C’est pourquoi l’école maternelle, soucieuse d’égaliser


les chances, pratique quotidiennement cette activité au
cours de laquelle l’enseignant prête sa voix au plaisir de
l’écoute. C’est cette même raison qui pousse certains
maîtres de Cours préparatoire à offrir à leurs élèves ce
même cadeau, pour entretenir chez eux le désir de lire
seuls, au cours cette année de transition. Mais c’est aussi
pourquoi il semble incohérent de vouloir assurer un
apprentissage du code, à travers de mauvais manuels qui,
par leur conception, renient tout l’intérêt de la littérature.

De même, il est souhaitable de balayer, dans l’appren-


tissage de la lecture, toute idée d’urgence, de nécessité et
de difficulté. Beaucoup d’enfants redoutent, en effet, l’en-
trée en Cours préparatoire, parce qu’elle leur est présen-
tée comme une cassure brutale dans leur scolarité. Ils
notent une inquiétude dans l’attitude de leurs parents. Les
maîtres, par mimétisme, précipitent les choses. Les compa-
raisons entre les vitesses d’apprentissage vont bon train :
– Dans l’école de mon neveu, on sait déjà lire à Noël !
– Ah, il pratique une méthode globale ?
– Ça manque de rigueur, il n’a pas assez de travail à la
maison !
46
Globale ou syllabique ?

Même le ministre, considérant l’inquiétude de ses élec-


teurs éventuels, finit par renier les écrits de ses équipes de
chercheurs, qu’il avait paraphés en d’autres temps. Au
cœur de ce tumulte, l’enfant s’arrange comme il peut, pour
satisfaire ses parents. Mais ces derniers, oubliant les
exploits accomplis par leur progéniture, ne prennent plus
le temps de s’émerveiller. Et pourtant…
Rendez-vous compte des performances quotidiennes
réalisées par un enfant de Cours préparatoire :
– Il analyse sa langue.
– Il donne du sens à des centaines de petits signes noirs
couchés sur du papier blanc.
– Il mémorise chaque jour des mots nouveaux prélevés
dans le fatras de l’écrit.
– Il comprend peu à peu l’organisation de ce fatras.
– Il lit de plus en plus de phrases nouvelles.
– Il écrit ses propres histoires.
Il est fier de lui, l’enfant, car il accède enfin à l’inacces-
sible : l’outil réservé aux grands. D’abord, il s’émerveille.
Puis il finit par découvrir, souvent avec une grande décep-
tion, que ses miracles quotidiens ne surprennent plus per-
sonne :
– Bon, voyons cette page de lecture (soupir d’adulte) !…
– Tu vois, tu hésites encore !
Quand il n’entend pas :
– Tu as vu ton orthographe, c’est une horreur !
– Presse-toi, j’ai autre chose à faire.
Il est même des enfants qui travaillent seuls, loin de
toute reconnaissance…
Ils en souffrent car, dans leur carrière, il n’en a pas tou-
jours été ainsi. Souvenez-vous :
– Nous avons applaudi l’arrivée (prévisible et involon-
taire) de la première dent.
– Nous nous sommes émerveillés devant les premières
foulées trébuchantes du bambin de douze mois.
– Nous avons poussé des cris de joie à l’apparition des
premiers balbutiements qui annonçaient l’apparition du
langage.
47
Chapitre 7

Comment sommes-nous parvenus à nous habituer peu


à peu à chaque nouveau prodige, pour finir par considérer
comme banale la découverte de l’écrit, qui matérialise
pourtant, dans l’histoire du monde, la fin de la préhistoire ?

Heureusement, il est des parents qui savent applaudir


ces découvertes quotidiennes. Il est aussi des maîtres qui
ont pour préoccupation première de dédramatiser les
moments de lecture :
– Cherchons ensemble le sens de ce texte.
– Bravo ! c’est fort ce que tu viens de nous faire découvrir !
– Rassurez-vous, je vous lirai la suite de l’histoire…
Avec eux, l’activité de lecture au Cours préparatoire est
plus une affaire de groupe qu’un moment d’évaluation
individuelle. On échange, on discute, on compare. Chacun
aide chacun, y compris le maître qui apporte, bien entendu,
la garantie de son savoir, et ne fait pas une affaire d’État
lorsque apparaît l’hésitation ou l’erreur. Bien au contraire,
il sait utiliser ces errances pour rebondir sur des décou-
vertes nouvelles.
Ce sont les mêmes maîtres qui accompagnent leurs
élèves dans la rue pour leur montrer l’écrit de la vie (l’écrit
social). L’écrit qui pose rarement des problèmes de sens.
Logique : avez-vous déjà vu des enfants se planter devant
la vitrine d’une boulangerie pour annoncer :
– C’est peut-être écrit boucherie ?…
En avez-vous déjà vu triturer l’emballage d’un pot de
yaourt pour se demander où figure le mot saucisson ? Moi,
jamais. Mais j’ai vu des enfants hésiter devant une cabine
téléphonique pour chercher à identifier le mot cabine,
avant de s’écrier, radieux :
– Je suis bête, c’est marqué téléphone !
Oui, le sens de l’écrit fait partie de l’environnement de
l’enfant, et la rue est son premier manuel de lecture.
Beaucoup d’enseignants le savent, quelques décideurs
l’ignorent encore, et conseillent d’oublier tout cela pour
n’observer qu’un alphabet muet !
Étonnant, non ?
48
Globale ou syllabique ?

On appelait ça
des «prérequis »

Avant de se prononcer sur les causes des « échecs »


constatés en classe de sixième, mieux vaudrait s’assurer,
en marge de toute querelle de méthode, que nos enfants
soient bien armés pour affronter ces apprentissages déli-
cats. Plutôt que de parler prématurément de dyslexie (ou
de méthode infectieuse qui serait accusée de la provoquer),
il est préférable de s’interroger sur la précision des
constats effectués avant l’entrée au Cours préparatoire.
Car les carences que l’on pourrait détecter, et dont la remé-
diation relève souvent des compétences des orthopho-
nistes, expliqueraient les difficultés ressenties au moment
de l’entrée dans la lecture.
Après y avoir longtemps réfléchi, j’ai fini par placer au
milieu (j’allais dire au cœur) du « bagage » nécessaire à
l’apprentissage de la lecture, le bien-être affectif.
Comment imaginer, en effet, qu’un enfant miné par des
souffrances affectives puisse avoir envie de franchir le pas
qui le conduirait vers l’autonomie ? En lecture, plus
qu’ailleurs, il identifie l’acquisition de l’expertise comme
une possibilité de rupture avec l’adulte, dans la mesure où
elle finirait par le priver de son aide, donc de sa présence.
C’est pourquoi certains enfants montrent peu d’enthou-
siasme à se lancer dans l’aventure. Pour les aider, mieux
qu’un changement de méthode, un entretien avec les
parents d’abord, puis avec le psychologue (scolaire ou
privé), constitue une étape indispensable. Essayer de com-
prendre ces enfants, les aider et les rassurer, pour leur
donner envie de grandir, avant l’entrée dans l’apprentis-
49
Chapitre 8

sage, s’avère plus efficace que toute réflexion sur le choix


du manuel ou de la méthode.

D’autres enfants, qui n’ont pas profité des lectures de


leurs aînés, n’ont pas une idée précise du plaisir qu’elles pro-
curent ni de la langue qu’elles pratiquent. Ils affichent alors
une incompétence à sentir l’élan de la phrase littéraire, donc
à formuler des hypothèses précises sur les sens des textes
qu’on leur soumet. À ceux-là, une cure de belles histoires
s’impose (contes, romans, albums…) afin de les familiariser
avec les temps du passé, peu utilisés dans le langage du quo-
tidien. Ils finiront bien, comme tous les autres, par goûter le
plaisir de cette langue particulière qui manie avec virtuosité
les partit, arriva, descendirent et autres se lamentèrent.
Mieux encore, en leur demandant de reformuler oralement
l’histoire, c’est-à-dire de retrouver la langue particulière de
ces écrits, on les familiarisera avec la construction du conte
qui commence toujours par il était une fois, pour aligner
ensuite des vivait, régnait, avant le fatidique soudain il se
produisit, déclencheur d’un alors ils décidèrent qui conduit
inévitablement vers un c’est ainsi que, rendant prévisible le
vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. Privés de ces
moments de connivence avec la narration, les enfants ne
peuvent évidemment pas se sentir à l’aise au milieu d’une
littérature qui leur est pourtant réservée.

Les autres manques étaient jadis répertoriés dans un


inventaire de compétences regroupées sous le terme de
prérequis. Il s’agit en réalité d’apprentissages désormais
effectués en maternelle, mais dont l’inachèvement devrait
conduire à des prolongements au Cours préparatoire.
Parmi ces prérequis, on considère, en priorité, la curio-
sité nécessaire à la recherche de sens, cette curiosité qui se
développe au cours des activités favorisant les rencontres
avec l’écrit, et qui ne peut évidemment pas se satisfaire d’un
simple alphabet ou de syllabes inertes. Au contraire, il
s’agit de mettre les enfants en contact avec l’écrit vrai, celui
des journaux, de la publicité, des programmes de télévision,
50
Globale ou syllabique ?

des menus de la cantine, des livres, des comptines ou de la


poésie, afin de développer, chez eux, aisance et perspicacité.
On leur demande, non pas de les lire (ils ne savent pas),
mais de les reconnaître, par leur forme, leur typographie,
leur longueur ou encore leur mise en page. Ils deviennent
ainsi capables de distinguer un poème d’une recette de cui-
sine, un extrait de roman d’une page de dictionnaire, un
article de journal d’une notice explicative. Il leur est égale-
ment possible de trier les écrits et de découvrir leurs fonc-
tions respectives, pour mieux les comprendre plus tard, afin
d’analyser finement leur fabrication. Toutes ces prédisposi-
tions à lire, à vouloir lire, se travaillent, non seulement à
l’école, mais aussi à la maison, à condition que l’on veuille
bien considérer que l’enfant qui ne sait pas encore lire, dis-
pose malgré tout du droit de rencontrer l’écrit, en présence
de parents attentifs.

Un deuxième prérequis indispensable concerne l’écoute


de la langue. Il faut savoir, en effet, que, si tous les enfants
découvrent le langage, et reproduisent par imitation les
sons entendus, certains, en revanche, pour des raisons qui
tiennent à l’attention ou à leur physiologie, n’acquièrent
pas la même précision dans la distinction des sons proches
(ch-j, p-b, f-v…) et, de ce fait, se montrent incapables d’ana-
lyser les mots de façon satisfaisante :
– pour certains, le mot train devient crin ;
– pour d’autres achète est prononcé ajète.
Bien entendu, au moment de la découverte du code qui
transcrit, au moyen de lettres, les sons entendus, ils se
heurtent à des difficultés insurmontables. Pour eux, des
exercices de recherche de rimes et des jeux d’écoute appro-
priés se montreront d’un intérêt non négligeable, sans pour
autant pénaliser le reste de la classe, qui n’y verra peut-
être que le plaisir d’assembler les mots dans un objectif de
création poétique. Ces activités d’écoute, déjà pratiquées
en maternelle, doivent bien sûr être poursuivies au Cours
préparatoire et même renforcées pour les enfants présen-
tant des difficultés importantes.
51
Chapitre 8

On a déjà remarqué que l’écoute de textes littéraires


prépare l’entrée dans la lecture, par le fait même qu’elle
laisse découvrir des structures particulières du langage.
Mais il s’avère que ces découvertes se montrent insuffi-
santes lorsque l’enfant ne possède pas les tournures les
plus élémentaires de notre langue de tous les jours. Il faut
bien admettre, en réalité, que mieux on parle, plus on a de
chances de mieux lire, puisqu’on ne peut se laisser sur-
prendre ni par le vocabulaire, ni par le style. C’est pour-
quoi la maîtrise du langage reste une priorité de l’école
maternelle, afin de donner leur chance aux enfants qui,
dans leur famille, n’auraient pas bénéficié d’un bain de
langue efficace.

Une autre compétence concerne l’habileté à discerner


les différences dans l’écriture de mots que nous consi-
dérions, plus haut, comme de faux jumeaux. Certes, ce
manque de précision peut être dû à des soucis d’ordre
ophtalmologique. Devant cet obstacle, l’école se montre
démunie, mais un dépistage précoce aidera certainement
à résoudre le problème. Il peut aussi s’agir, tout simple-
ment, d’un manque de curiosité ou de rigueur, qui
empêche l’enfant d’exercer son habileté à discriminer fine-
ment les détails. Ainsi, il confondra lion et loin, frotte et
forte ou encore signe et singe. Ces difficultés, mal dépis-
tées, engendrent des imprécisions dans la lecture et dans
l’écriture, provoquant souvent la formulation d’un dia-
gnostic implacable : dyslexie ! Un mal qui répand la ter-
reur, et que les instances supérieures utilisent de façon
perfide pour condamner la méthode globale. Tu parles !
Comme si des causes apparues en amont de l’apprentis-
sage pouvaient soudainement être prises pour des effets
de ce même apprentissage ! Plutôt que de baisser les bras
devant de tels soucis, nous nous contenterons de chercher
des remèdes, et des exercices répétés de discrimination
fine, entre dessins apparemment semblables, puis entre
des mots quasiment identiques, qui développent chez la
plupart des sujets une habileté qu’ils ne se soupçonnaient
52
Globale ou syllabique ?

même pas. Les soucis s’estompent peu à peu, et le spectre


de la dyslexie en reste pour ses frais.

Un autre prérequis, qui reste souvent insoupçonné, a


pourtant un rapport étroit avec notre système d’écriture.
On le sait, comme beaucoup de langues de la planète, le
français s’écrit de gauche à droite, et de haut en bas. C’est
clair, il suffit de l’admettre une fois pour toutes… sauf si
on est enfant. Car si nous avons fini par accepter et prati-
quer, à coup sûr, ce « code de la route de l’écriture », c’est
bien grâce à des expériences répétées, dont les premières
ont certainement pu être parasitées par des hésitations et
des erreurs. Ne nous arrive-t-il pas encore aujourd’hui de
nous égarer dans nos lectures, pour sauter une ligne ou
encore lire deux fois la même ligne, avant de nous rendre
compte de l’absurdité du sens ainsi perçu ?
Tenant compte de ces hésitations, il nous faut nous
montrer indulgents devant les égarements de l’enfant qui
lit et écrit, tantôt de la gauche vers la droite, tantôt de la
droite vers la gauche. Non, cet enfant n’est pas incompé-
tent, il manque seulement d’expérience ! Car s’il est
presque simple de faire avancer le crayon (ou le regard) de
la gauche vers la droite, il s’avère plus pratique, une fois
atteint le bout de la ligne, de laisser descendre le regard
(ou le crayon) pour lui imposer, cette fois, une trajectoire
orientée de la droite vers la gauche. L’enfant progresse
ainsi sur un cheminement « en lacets », d’une manière que
nous qualifions d’anarchique, par rapport à nos habitudes.
Et, si une ligne sur deux est écrite « en miroir », nous détec-
tons ces mots comme des signes d’une perception erronée
du code, donc comme des traces d’une nouvelle dyslexie
grandissante !
Mais il n’en est rien. Lorsque nous apprenons à
conduire, il nous arrive aussi de confondre la pédale de
frein avec celle de l’embrayage. Et c’est bien plus dange-
reux ! Pourtant nous ne nous dirigeons pas pour autant
vers le premier cabinet spécialisé dans la correction de la
latéralisation. Nous nous contentons de persévérer, pour
53
Chapitre 8

que la force de l’habitude parvienne à nous extraire du


stade de débutant. Pour l’enfant, la remédiation est iden-
tique : après un renforcement de la perception de la gauche
et de la droite, représentées sur le cahier et sur la table par
un signe vert à gauche, un signe rouge à droite, il nous suf-
fit d’attendre pour voir naître une expertise issue de la
répétition des exercices de lecture et de copie. Les activi-
tés de psychomotricité d’abord, d’éducation physique
ensuite contribueront également à une meilleure percep-
tion du schéma corporel.

Le dernier prérequis concerne lui aussi l’écriture sur


papier. Les enfants à qui on fournit très tôt les outils d’écri-
ture appropriés (craies, crayons, feutres) s’habituent rapi-
dement à les faire fonctionner. Il suffit peu à peu de
rectifier la position de leurs doigts (pince du pouce et de
l’index, appui de l’outil sur la première phalange du
majeur) pour obtenir une tenue adéquate. Très rapide-
ment, ces enfants affichent le désir de dessiner, puis
« d’écrire ». Ils imitent d’abord les lettres qui ne sont en réa-
lité que des dessins particuliers, puis se lancent hardiment
dans la production de « textes ». Ce sont d’abord des graffi-
tis censés traduire la pensée du moment, mais devant les-
quels il est juste de s’émerveiller, sous peine d’étouffer le
désir d’écrire. On peut donc parler de prérequis qui corres-
pondent en fait à une envie d’écrire qui accompagne le
désir d’apprendre à lire. Peu importent les fautes d’ortho-
graphe (qu’on préfèrera nommer « erreurs »), peu importe
la norme, l’essentiel est de produire, seul ou avec l’aide de
l’adulte à qui l’enfant dicte « son texte ». Cette dictée à
l’adulte est certainement le meilleur moment d’écriture
avant ou pendant l’apprentissage de la lecture. Car c’est en
voyant courir sur le papier le crayon de l’adulte, que l’en-
fant mesure la distance entre la langue parlée et la langue
écrite. C’est également en voyant l’adulte hésiter devant
l’écriture d’un mot, qu’il ressent la nécessité de la vigilance
orthographique. Et c’est en participant à la recherche de la
meilleure formule, que l’enfant construit ses passerelles
54
Globale ou syllabique ?

entre la langue parlée et la langue écrite. Oui, on écrit


avant de savoir écrire, de même qu’on lit avant de savoir
lire.
Mais, dans le pire des cas, la moindre des choses est que
l’enfant écrive pendant l’apprentissage de la lecture.

55
Globale ou syllabique ?

Question d’équité

Tout bien réfléchi, et après avoir fréquenté de nom-


breuses cohortes d’écoliers de Cours préparatoire, j’ai fini
par comprendre que l’échec (on devrait plutôt dire le peu
d’habileté) en lecture tient plus aux différences entre les
apprentis qu’à la méthode employée.
Les enfants issus de milieux socioculturels favorisés
apprennent à lire, c’est sûr. Ce sont ceux qui bénéficient, à
la maison, de la compagnie du livre, et cela depuis leur pre-
mière enfance. Car, autour d’eux, ils ont vu et entendu lire,
et se sont vite familiarisés avec le langage du livre, celui
« qui ne parle pas comme tout le monde ». Ce sont des
enfants qui, avant l’entrée à l’école, se sont nourris d’une
culture que l’école considère comme indispensable. Ce sont
donc des enfants qui ont envie d’apprendre à lire, et ne se
montrent pas surpris par les premiers apprentissages. Ils
les avaient prévus !
Ce sont également des enfants que l’on conduit fré-
quemment dans les bibliothèques, ludothèques et autres
médiathèques. Ils sont souvent abonnés à des publications
qui leur sont destinées et qui satisfont leur soif de lire.
Enfin, ils ont des parents qui maîtrisent la langue. Ils sont
donc armés pour construire l’apprentissage de la lecture,
celui que l’on considère comme essentiel, puisqu’il accom-
pagne tous les autres pendant toute la scolarité : on lit pour
s’informer, on lit pour comprendre, on lit pour apprendre
et retenir. Et, par-dessus tout cela, on écrit !

D’autres enfants, nés dans des milieux moins favo-


risés, ne possèdent pas, à leur entrée à l’école, la même
culture, les mêmes acquis langagiers, la même soif de lire.
57
Chapitre 9

Ils se montrent désemparés devant l’écrit, incapables


d’accorder du sens aux extraits de conte dont ils ignorent
le langage décalé. Ils maîtrisent mal les tournures com-
plexes de la langue, et ont depuis longtemps fermé les
paupières devant l’écrit de la rue. La télévision est leur
seule ouverture sur le monde, une fenêtre qui parle, qui
explicite ses images et empêche par là-même toute
construction active de sens. Ils entrent donc à l’école avec
la certitude qu’il leur faudra apprendre à lire l’indéchif-
frable.
Les maîtres de ces enfants vivent le même désarroi.
Car ils sentent bien que quelque chose ne va pas. Alors ils
se battent contre cette fameuse inéquité.
Comment, en quelques semaines, combler ces manques
hérités de quelques années de disette culturelle ?
Comment lancer dans l’écrit des enfants qui n’y perçoi-
vent que des activités rébarbatives ?
Comment mettre en place une méthode (quelle qu’elle
soit) qui, de toute façon, conduira vers la découverte des
sons et des lettres d’une langue qu’ils maîtrisent mal ?
Comment faire écouter des sons qui sont souvent mal
restitués à l’oral parce que mal entendus ?
La bataille semble perdue d’avance. Alors on se rue sur
les méthodes les plus simples, les plus mécaniques, celles
qui conduiront vers le déchiffrage de textes indigents, pour
rassurer, pour faire croire que l’objectif sera atteint.

Mais il faut bien, un jour, se résoudre à vérifier cette


compétence prétendument acquise. Alors, on évalue. On
ressort les batteries d’exercices :
– lecture à voix haute, ânonnée devant le maître ;
– séries de questions d’abord simples, puis de plus en
plus compliquées ;
– passage à l’écrit où les erreurs prennent l’allure de
fautes.
À l’école primaire, ce manque d’habileté des enfants, est
compensé par l’indulgence du maître qui sait, lui, d’où
vient le mal :
58
Globale ou syllabique ?

– il installe des tutorats qui permettent aux meilleurs


de venir en aide aux plus démunis ;
– il diversifie les exercices pour favoriser la réussite de
chacun ;
– il met en place des groupes de niveau, de besoins, pour
permettre à chacun d’atteindre « son excellence ».
Mais le couperet finit par tomber. L’entrée en sixième
s’annonce avec ses évaluations implacables : illettrisme
détecté…
Alors, on s’affole, on accuse, parce qu’à l’origine de toute
carence scolaire, il y a sûrement des responsables. On finit
par trouver le mal qui répand la terreur :

LA MÉTHODE GLOBALE

Le ministre crie haro sur la méthode.


Quelques orthophonistes (qui voudraient sans doute
moins travailler ?) se « plaignent » de devoir accueillir trop
de patients contaminés par « la méthode ».
Des médecins convaincus rejoignent les rangs de la
grande croisade. Méthode globale égale dyslexie, c’est sûr !
Et les enseignants courbent l’échine, en se retranchant
derrière les écrits des chercheurs qui ont participé à l’éla-
boration des textes officiels, approuvés (et lus) par les pré-
cédents ministres. Ils les relisent, et ils trouvent la réponse
à leurs inquiétudes :
La méthode globale n’existe pas !
Mais ça n’arrange pas les choses, parce qu’un pestiféré
qui se sent en bonne santé, reste, aux yeux du peuple, un
pestiféré !

Il doit pourtant bien y avoir d’autres solutions. Si un


enfant n’est pas mûr pour apprendre à lire, ce n’est pas la
méthode qui y changera quelque chose. Les solutions sont
à chercher précisément du côté de cette maturation incom-
plète. Logique : si vous avez des difficultés à partager une
poire pas mûre, il ne faut pas remplacer le couteau. Il est
préférable de changer l’ensoleillement du poirier.
59
Chapitre 9

Je garderais volontiers cette image pour dire que, si un


enfant de six ans n’est pas suffisamment armé pour entrer
dans l’apprentissage de la lecture, il vaut mieux pour-
suivre son « mûrissement » plutôt que de le lancer dans une
entreprise vouée à l’échec. Car, dans ce domaine, l’allonge-
ment du travail et la répétition des activités ne donnent
rien. Un enfant dispose de quelques semaines, quelques
mois, à la rigueur, pour apprendre à lire, mais, si le moment
est mal choisi, on ne peut plus rien y faire. Il s’affole, il se
force, il fait semblant, puis il perd tout, y compris le plai-
sir qu’on lui avait promis.

Devant ces carences dans la préparation de l’enfant,


l’institution, aidée par le ministère, a certainement de
belles cartes à jouer. Pas question de supprimer les
méthodes qui ont fait leurs preuves. Bien au contraire.
Mais, s’il s’agit de faire mûrir les enfants qui sont restés
dans l’ombre de la littérature, de nouveaux moyens s’im-
posent. Dès la maternelle, puis dans toutes les autres
classes, jusqu’à obtention de résultats palpables, il faut
venir en aide aux enseignants pour renforcer la maîtrise
des langages de tous les jours et du récit :
– interventions de conteurs qualifiés ;
– invitations d’auteurs qui présentent leurs œuvres et
le travail d’écriture ;
– mise en place d’ateliers de langage pour améliorer la
langue ;
– lectures présentées par des experts dans les biblio-
thèques ;
– constitution d’ateliers de lecture pour perfectionner
les acquisitions qui restent encore fragiles.
En fait, au lieu de faire croire aux parents (sous couvert
d’élections prochaines) qu’un changement de méthode
représente la solution miracle, il serait plus efficace de recon-
naître que tout se joue avant six ans, et que des décisions
moins radicales peuvent venir en aide aux futurs électeurs
et à leur progéniture, dans des domaines où, par manque de
temps ou de qualification, ils se montrent encore inefficaces.
60
Globale ou syllabique ?

En guise de conclusion

« Les enfants sont trop différents les uns des autres


pour qu’une même méthode soit la meilleure pour tous. »
Ainsi parlaient les instructions ministérielles de 1972.
Elles avaient raison.
Dans mes premières années d’enseignement, j’ai en-
tendu dire qu’une bonne sœur d’une école concurrente se
servait de castagnettes pour rythmer ses séances de lec-
ture « hispano-syllabique » ! Il paraît même que ça mar-
chait.
De son côté, Célestin Freinet, entre les deux guerres,
utilisait les écrits de ses élèves pour assurer l’apprentis-
sage de la lecture, en même temps que l’envie d’écrire.
Il y en a qui suivent pas à pas la méthode Boscher pour
fabriquer des syllabes, avant de lire « pour de vrai ».
J’en connais aussi qui préfèrent laisser les enfants lire
et parler, avant de les lancer dans la découverte des mys-
tères du code.
Certains utilisent un manuel, pendant que d’autres
s’évertuent à exploiter la belle littérature pour construire
leur propre méthode. Et ça marche. J’ai essayé. D’ailleurs,
je n’ai fait que ça !
En fait, tout marche !

Car les enfants ne réclament pas l’uniformité. Ils sont


trop différents. Certains préfèrent continuer à lire (pour
apprendre) dans de beaux albums où le sens est subtil.
D’autres ont besoin de repères plus sécurisants, d’un
manuel intelligent qui utilise aussi de beaux écrits extraits
d’œuvres réelles, pour proposer une progression d’appren-
tisssage des sons, bien dosée, bien pensée.
61
En guise de conclusion

Quelques-uns qui ont encore des difficultés à donner du


sens à l’écrit se contentent d’une méthode syllabique, de
lettres qui font « beu-a-ba » avant d’oser se lancer dans la
lecture.
C’est comme ça. Les enfants ne sont pas construits sur
le même modèle. Tant mieux. Et les enseignants sont bien
assez grands, et la plupart du temps suffisamment bien
formés, pour détecter la méthode qui conviendra le mieux
à tout le monde : aux enfants et à leur maître. Simple
question de plaisir à partager. Il y a des gens qui n’osent
pas conduire une Formule 1, il y en a d’autres qui ne se
contentent plus d’une mobylette…

Imaginez un peu, ce qu’on voudrait nous contraindre


à faire :
– tous les CP de France appliquant au même moment
la même méthode ;
– tous chantant en chœur le même cathéchisme « Beu-
a-ba, beu-i-bi » ;
– tous partageant donc la même inculture !

62
Globale ou syllabique ?

Tous logés à la même « j’enseigne ».


Tous au même niveau : le rez-de-chaussée !
Or les textes officiels ne jettent l’interdit sur aucune
méthode. Il s’agit simplement pour nous d’enseigner la
lecture, la compréhension fine, et d’installer le plaisir de
lire et d’écrire de façon durable.
Quand on lit précisément ces document produits par
des équipes de chercheurs, on ne peut qu’approuver les
objectifs proposés. J’ai bien dit : « quand on lit précisé-
ment », ce qui laisse peut-être imaginer que notre ministre
de l’Éducation n’en aurait pratiqué finalement qu’une
lecture trop… comment dire… trop globale ?
Si c’est le cas, je veux bien admettre que la méthode
globale soit, finalement, et définitivement interdite… aux
ministres !…

63
Chez
le même
éditeur

Sommaire
Introduction : Pourquoi ce livre ? .
............................. .3
Chapitre 1 : L’enseignement de la
lecture au-delà
des polémiques . . . . . . . . . . . . . . . .
............
............6
◗ Les nouvelles directives de 2006
...........................6
◗ Continuités et ruptures dans
l’enseignement de la lecture . . . .
12
Chapitre 2 : Apprendre à lire et à écrire
des mots . . . . . . . . . . . 19
◗ Identifier un mot écrit . . . . . .
.................... . . . . . . . . . 19
◗ Mémoriser des mots entiers :
le grand malentendu . . . . . . . . . . 25
◗ Un second malentendu : lecture
et devinette . . . . . . . . . . . . . . . 29
◗ Planifier l’étude du code : quels
compromis ? . . . . . . . . . . . . . . . 33
◗ Au-delà des méthodes, la complex
ité et la richesse
des pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
Chapitre 3 : Apprendre à comprendre
et à rédiger
des textes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
....
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
◗ Première direction : entraîner
la compréhension
« oralement pour les textes longs et
complexes » . . . . . . . . . . . 49
◗ Deuxième direction : entraîne
r la compréhension
« sur l’écrit pour des textes courts
» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
◗ Apprendre à produire des textes
écrits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
Chapitre 4 : Aider l’enfant à la maison
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
◗ Les devoirs à la maison . . . .
...................... . . . . . . . 68
◗ Comment aider l’enfant à relire
? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
◗ Comment aider l’enfant à mémoris
er l’orthographe
de quelques mots ? . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
◗ Un enfant qui apprend mal ou
qui n’apprend
pas ne le fait pas exprès . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
« Toutes les questions [sur la
lecture abordées dans notre
ouvrage] obligent à reconsidérer
la dichotomie syllabique / globale qui, de toute évidence, occulte
la diversité des réponses apportées au quotidien par les milliers
d’enseignants chargés d’apprendre à lire aux enfants. Et ce n’est
sûrement pas rendre justice à la variété, à la complexité et à la
finesse de leurs pratiques que chercher à les opposer en noir
et blanc : le tableau que nous dressons est un dégradé de
nuances de gris. »
Roland Goigoux et Sylvie Cèbe

N° de projet : 10135919
Dépôt légal : octobre 2006
Achevé d’imprimer en France sur les presses
de l’imprimerie France Quercy, 46090 Mercues

Vous aimerez peut-être aussi