Vous êtes sur la page 1sur 22

1

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


LES EFFETS POETIQUES DES MATERIAUX
ENSAT-Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE
SOMMAIRE

INTRODUCTION

1- LA QUESTION DE LA POESIE EN ARCHITECTURE

- La syntaxe et le langage

2- LA POETISATION DE LA MISE EN ŒUVRE DES MATERIAUX

- La maquette étudiante « excavation »


- La mise en œuvre de la banalité, exemples d’emploi d’architectes ( Herzog et de Meuron, RCR, Siza…),

3- LA MEMOIRE DES MATERIAUX

- L’expérience, le souvenir
- L’action du temps

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


INTRODUCTION

« L’architecture, c’est avec des matériaux bruts, établir des rapports émouvants.
L’architecture est au-delà des choses utilitaires
L’architecture est chose de plastique. » Le Corbusier, Vers une architecture.

Ce que nous percevons, en général, des édifices ce n’ est pas seulement leur fonction, constitutive de leur sens, mais aussi leur
forme.
Comme en poésie un mot se perçoit pour ses qualités diverses, à savoir sa matérialité sonore, son registre, les images qu’il
convoque…etc., et pas seulement pour la chose qu’il désigne.
L’architecture, comme nous le laisse entendre Le Corbusier, c’est lorsque la construction, faite de matériaux, entretient des
rapports sensibles avec l’individu.
Ces matériaux signifiants, pourtant aspect d’une réalité quelconque, pourraient donc nous évoquer des sentiments d’ordre
poétiques.
Mais comment les effets poétiques des matériaux se manifestent-t-ils en architecture ?
En premier lieu, nous allons nous intéresser à l’analogie syntaxique qui existe entre poésie et architecture.
Ensuite, nous verrons la poétisation par la mise en œuvre des matériaux dans des travaux étudiant et des exemples d’emploi de
matériaux par des architectes tels que Herzog et De Meuron, Alvaro Siza et RCR.
Pour finir nous nous intéresserons à la mémoire des matériaux, sous l’angle de l’expérience et du temps qui passe.

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


La question de la poésie en architecture

Syntaxe
Cette forme d’expression nous renvoie à une utilisation
harmonieuse des sons et des rythmes du langage et à
une richesse d’images. L’usage du mot syntaxe en architecture, comme
Par analogie, la poésie se manifeste en architecture ensemble de règles formelles et constructives, nous
lorsqu’ il y a maîtrise des règles constructives et des renvoie à la métaphore de la structuration d’un édifice.
formes du langage architectural et la fabrication Cependant cette utilisation analogique pose un
d’images. problème linguistique. Nous tenterons d’en expliquer
Le Corbusier dans sa leçon de Rome, nous parle de notre compréhension sous l’angle architectural.
ces effets d’ordre sensibles que l’architecture produit
par la maîtrise du langage architectural : « Syntaxe : Partie de la grammaire traditionnelle qui
étudie les relations entre les mots constituant une
« Mais les murs s’élèvent sur le ciel dans un ordre tel proposition ou une phrase, leurs combinaisons, et les
que je suis ému. Je sens vos intentions. Vous étiez règles qui président à ces relations, à ces
doux, brutal, charmant ou digne. Vos pierres me le combinaisons. » 2
disent. Vous m’attachez à cette place et mes yeux
regardent. Mes yeux regardent quelque chose qui La syntaxe est la propriété la plus apparente des
énonce une pensée. Une pensée qui s’éclaire sans langues. L’agencement précis des mots et les marques
mots ni sons, mais uniquement par des prismes qui ont d’accord sont utilisés pour donner du sens.
entre eux des rapports. Ces prismes sont tels que la La poésie joue avec la syntaxe pour créer des effets,
lumière les détaille clairement. Ces rapports n’ont trait à mais cette dernière n’a pas la fonction de versification.
rien de nécessairement pratique ou descriptif. Ils sont Le rôle de la mécanique syntaxique doit être compris
une création mathématique de votre esprit. Ils sont le comme constructeur de sens.
langage de l’architecture. Avec des matériaux inertes,
sur un programme plus ou moins utilitaire que vous Dans le langage architectural, la syntaxe comme règles
débordez, vous avez établi des rapports qui m’ont ému. de l’art de bâtir nous désigne la destination d’un
C’est l’architecture. »1 matériau dans un dispositif constructif.
Martin Steinmann souligne à propos des édifices que :
4

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


« La forme est le résultat d’un faire qui avec ses
matériaux et ses différentes manières de les mettre en
œuvre constitue un langage. »3

La poésie se manifeste lorsque l’on dépasse le


domaine utilitaire, de la clarté de sens et de la
correction de la syntaxe, pour ne percevoir que la forme
et le contenu du poème.
Par analogie, il y a poésie en architecture lorsque l’on
dépasse la vérité constructive pour ne percevoir que
l’objet architectural.
De même, elle se perçoit lorsque l’on oublie les
questions de l’usage, de la forme, des règles
constructives au profit de sensations face à l’objet
architectural.
Ses sensations peuvent être la conséquence de la
présence des matériaux, leur agencement, leur bruit,
leur manière d’accrocher la lumière…etc.

Sources bibliographiques :

1 Le Corbusier, Vers une architecture, Flammarion, Paris 1995, p123

2 site Internet www.atilf.atilf.fr

3 Martin Steinmann, Forme Forte, 1972-2002, p115

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


La poétisation de la mise en œuvre des matériaux

La poétisation de la mise en œuvre ne vient pas que


d’un travail bien fait. Ce n’est pas seulement la
résultante du respect des règles de l’art de bâtir.
Elle nous vient plutôt de raisons techniques et
esthétiques.
Les rapports qu’entretiennent matière et matériau que
révèlent la mise en œuvre convoquent une part
d’intuition et de hasard. Alvaro Siza nous livre à propos
des matériaux :

« [...] La difficulté qu’il y a à disposer tels ou tels


matériaux, m’oblige à concéder quelque chose de ce
que j’idéalise et de cela pourtant s’ouvre devant moi
des voies insoupçonnées. Je dois les parcourir, choisir
et peut-être découvrir. » 1 Superposer

En effet, le choix de la mise en œuvre d’un matériau


peut être influencé par la présence du matériau lui-
même soit ses propriétés plastiques. La modification
d’une mise en œuvre peut révéler une qualité
esthétique particulière d’un matériau.
C’est la dialectique entre le matériau et sa mise en
œuvre qui nous amène à une notion de poétisation.

Découper

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


Maquette étudiante excavation

Dans l’intensif numéro 1, nous avons fabriqué une boîte


à couture exprimant notre compréhension du sujet du
séminaire qui était « salon de haute couture urbaine ».

La production de la maquette s’est faite avec comme


contraintes des règles de construction simples
exprimées par des verbes d’action comme :
superposer, découper, accumuler, creuser, se
répercutant à l’intérieur comme à l’extérieur de la boîte.
La frontière entre l’extérieur et l’intérieur de l’objet se
joue dans le partage de cette limite.
En quelque sorte, je me suis imposée une syntaxe
comme point de départ à l’utilisation des matériaux.

C’est le choix des matériaux : de la mousse blanche


polyester ( de protection des produits hi-fi en général),
du carton ondulé, du carton plume blanc, dans leur
mise en oeuvre qui vient renverser la simplicité des Accumuler
règles initiales.
En effet, l’objet évoque des lieux possibles à l’échelle
par exemple d’une ville. Il y a un lien étroit entre
géométrie et matière.

Creuser
7

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


Cette maquette paraît avoir subit des mouvements
tectoniques. Des forces comme internes à la boîte
semblent avoir produit une faille. Alors que ce
bâillement n’est du qu’à un mauvais collage de la
jointure de l’objet. J’appellerai cet effet apparition.

L’accumulation des matériaux crée des efforts entre


eux rappelant que chaque nouvelle tectonique vient
déformer la précédente comme les mouvements que
subissent l’écorce terrestre.

Cette maquette illustre comment, lors de sa fabrication,


on peut se laisser surprendre par la potentialité
plastique de matériaux.
Elle exprime également le saisissement d’apparitions,
telle que la faille, lors de la conception.
Ces opérations de conception en maquette me
semblent intéressantes car elles peuvent s’appliquer au
projet. Elles nous montrent comment des apparitions
peuvent modifier notre conception. On envisage
aisément que dans un projet ces effets, produits d’une
conscience ou non, puissent engendrer la modification
de la mise en œuvre d’un matériau.
Finalement, on constate que le domaine plastique
interfère avec le domaine technique.

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


Mise en œuvre du banal

Il s’agit de découvrir ce que nous ne connaissons pas


d’un matériau banal, son autre facette.
Plus un matériau est standardisé dans ses aspects
formels, techniques et est associé à l’art de bâtir
industriel plus il permettra un renversement, une
transfiguration du banal.
En effet, les choses sont connues suivant un usage
défini avec des significations correspondantes.
Ainsi une mise en œuvre particulière révèle une beauté
nouvelle.

Ce rapport sensible aux matériaux se retrouve chez de


nombreux architectes. Nous allons nous intéresser à
quelques uns d’entre eux qui illustrent leur rapport
différent au matériau banal.

RCR: Pavillon d’accès à la zone volcanique de la Garrotxa, Olot , Gérone.

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


Herzog & de Meuron font partie de ces architectes dont
le travail consiste le plus souvent en un détournement
du matériau.
Leur recherche porte sur les effets inhérents aux
matériaux, aux effets propres à caractériser un
bâtiment.
Le but étant de débarrasser le matériau de ses
significations en le faisant exister juste pour sa forme.
A ce propos les architectes disent :
« Nous poussons à bout le matériau que nous utilisons
pour le libérer de toute autre tâche que d’exister. » 2
Cette opération de renversement de l’utilisation
habituelle d’un matériau ne fait plus appel à la
signification des choses mais à leur perception sans
convention.

L’atelier de photographie à Weil exprime ce Herzog & de Meuron, Atelier, Weil, 1981-82
détournement de l’utilisation habituelle d’un matériau,
ici le carton bituminé.
Les choses que nous côtoyons sont connues suivant
un usage défini avec des significations
correspondantes.
Le carton bituminé, matériau banal ou pauvre au
départ, est utilisé généralement pour des hangars.
Dans cet édifice, en plus de répondre à une fonction
constructive, il y a une intention esthétique d’utiliser le
matériau pour ses qualités sensibles.
La façade n’a pas de valeur symbolique , elle ne
représente pas.
Elle a pour fonction de présenter les matériaux et leur
manière de les mettre en œuvre.
10

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


L’architecture d’ Alvaro Siza est marquée par une sensibilité à
la matière créant des espaces profondément poétiques.
Le trait de ses esquisses obéit au découpage entre les
matériaux. Comme le dit Siza :

« Je ne sais jamais quels matériaux choisir. Les idées me


viennent, immatérielles, lignes sur un papier blanc. Quand,
mal assuré, je veux les fixer, elles m’échappent. Lointaines,
elles m’attendent. » 3

Le pavillon du Portugal, de l’exposition 98, à Lisbonne est un


des représentants du travail sur le matériau de Siza.
Le geste très fortement poétique de l’architecte est d’être venu
tendre un voile de béton entre deux séries de portiques
formant des masses.
Alvaro Siza, Pavillon du Portugal, Lisbonne, 1998
Cette poétique est renforcée par la formidable mise en œuvre
de matériaux simples, du commun, comme la pierre blanche
de Lisbonne, le béton, la céramique.
La dalle de béton incurvée comme la voile pendante d’un
bateau est en réalité supportée par des tubes avec tendeurs
d’acier sur 56 mètres de long et 20 mètres de large.
L’édifice peut-être compris comme la métaphore d’un bateau
attendant sur le quai avant d’être appareillé.

11

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


C’est certainement dans sa posture rhétorique du
renversement de l’utilisation du béton qu’Alvaro Siza nous
amène à une poétique.
En effet, le béton est employé couramment pour le gros
œuvre d’un édifice.
La symbolique de ce matériau est la lourdeur, la pesanteur, ici
en plus de la prouesse technique de cet ouvrage cet acte
nous renvoie à des effets de drapé, de flottement.
Cette opération de substitution d’un matériau lourd pour
exprimer la légèreté renverse la syntaxe constructive
traditionnelle que nous connaissons.

La présence de cet édifice est identifiée par un voile de béton


et des masses de pierres.
Ce mode d’expression architectural ne nous montre pas la
vérité de la construction de cet édifice au programme
complexe, mais une lecture simplifiée du cheminement des
forces.
La réalité de la mise en œuvre ne se résume pas à la mise en
tension d’une voile entre deux volumes pleins.
De la sorte, nous avons une compréhension quasi immédiate
de ce pavillon. Alvaro Siza, Pavillon du Portugal, Lisbonne, 1998

12

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


L’architecture de RCR se caractérise par une abstraction de
la mise en œuvre des matériaux qu’ils soient traditionnels ou
banals, naturels ou artificiels.
Ils définissent leur architecture :

« Entre l’abstraction et la nature »4

La syntaxe formelle et constructive de leur architecture est en


interaction avec le contexte. Leurs édifices s’imposent dans
l’espace comme des sculptures, révélant les potentialités d’un
site.
Leurs recherches portent dialectiquement sur la matérialité
des choses et sur leur immatérialité dans la « nature ».
En ce sens, ils ont développé une esthétique de la banalité se
révélant certaines fois entre le minimal art et le land art.

Pour illustrer leur travail, nous pourrions parler de la Casa M-


Lidia, à Montagut près de Gérone.
Ici, les architectes emploient un matériau industriel tel que la
grille métallisée, dont l’usage est généralement pour les
entrepôts et les pièces de ferronnerie.
Le calepinage de la maille métallique donne une ténuité à la
boîte de verre.
Le fait de dimensionner cette maille comme on pourrait le faire
avec un matériau traditionnel, par exemple, avec un bardage
bois, renforce l’idée d’une sophistication du banal.

.
RCR, Casa M-LIDIA, Montagut, Gérone.

13

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


La grille nous renvoie à l’image d’un rideau avec les effets de
double peau avec derrière la présence du verre.
Ce qui renforce le caractère perméable de la maille c’est la
présence du végétal qui reprend ses droits à travers elle.
C’est cette mise en œuvre du banal qui nous fait prendre
conscience de la potentialité esthétique d’un matériau

Sources bibliographiques :

1 Siza, Des mots de rien du tout, Université St Etienne 2002, p73

2 Entretiens avec Herzog & de Meuron, El Croquis, 1993, p6

3 Siza, Des mots de rien du tout, Université St Etienne 2002, p73

4 RCR, Between abstraction and nature, William J.R. Curtis 2004

14

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


La mémoire des matériaux

« Si un espace vous revient en mémoire lorsque vous


Fossilisation des expériences par les matériaux projetez, vous devriez vous demander en quoi cet espace
vous a touché ; quelle en était la nature ? quelle en était
l’odeur ?comment y sonnait votre voix ? comment y entrait la
lumière ?etc. »2
La poésie c’est aussi la fabrication d’images mentales.
La perception que nous avons d’un édifice porte sur les Les images, comme signification des formes, rassemblent en
signes. un tout ces expériences sensibles. Cette démarche poétique
Ces signes ne sont pas univoques car il y a la dimension de ne fixe pas les choses à une perception à priori mais à une
l’expérience. multitude de sensibilités.

La signification des choses est marquée par notre expérience En ce sens, nous pourrions parler, de manière métaphorique,
personnelle, nos souvenirs. A ce propos Martin Steinmann d’un phénomène de fossilisation des expériences par les
nous pose la question de savoir « [..] de quelle manière matériaux, le fait que nous développions des sensibilités
l’architecture est signifiante pour nous et de quelle manière le différentes face à des matériaux en fonction de nos souvenirs.
souvenir d’architecture joue un rôle à cet égard. » 1 Il y aurait un effet de piégeage du souvenir par le matériau
comme dans un processus de fossilisation.
Ceux sont nos expériences et les images auxquelles elles
L’architecte Peter Zumthor travaille sur le registre de la nous renvoient qui conditionnent notre perception.
signification des formes, ce que Martin Steinmann appelle Comme la sédimentation permet la fabrication de fossiles,
« les images ». Il raconte rechercher dans sa tête des images c’est l’accumulation d’expériences qui créent les souvenirs de
et essayer d’en comprendre les propriétés. moments particuliers.
Comme le précise Martin Steinmann, l’architecte a pour
habitude de dire à ses élèves, de l’Academia di architettura de
Menrisio, de travailler avec leurs expériences :

15

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


A cet égard, nous pourrions prendre l’exemple de l’entrepôt
Ricola d’Herzog & de Meuron, à Laufen, et l’atelier de
Zumthor pour parler de ce phénomène.

Ces constructions évoquent pour Martin Steinmann les


granges et pour moi, elles me rappellent les séchoirs à tabac
lors de ballades lorsque j’étais enfant.
Cela m’évoque l’odeur du foin.
Je marche sur un sol irrégulier, des brindilles craquent.
Et je revoie encore la poussière comme en suspension sous
forme de raies lumineuses se frayant un chemin entre les
fentes du bardage bois.

Martin Steinmann cite à ce propos une phrase d’Aldo Rossi :


« Lorsque nous nous penchons sur les choses, nous nous
penchons sur la mémoire ». Herzog & de Meuron, Entrepôt Ricola, Laufen, 1986-87
C’est à travers notre mémoire, notre expérience que nous
percevons les choses, en l’occurrence les matériaux.

Peter Zumthor : Atelier, Haldenstein Gr, 1985

16

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


Je voudrais aussi vous parler de ce qu’évoque la pierre pour
moi. C’est également un souvenir qui remonte à l’enfance.
Ceux sont des jeux à l’intérieur de la gariotte qui se trouvait
chez mes grands parents qui ont conditionné, je crois, mon
rapport à la pierre.
Une gariotte, appellation lotoise, est une cabane de vigne ou
de berger construite en pierres sèches, sans mortier ni autre
liant ( XVI au XIX °siècle ).

C’est donc dans ce lieu magique, au milieu des chênes, que


nous passions nos après-midi d’été. Sur la banquette,
solidaire du mur de la cabane, nous profitions de la fraîcheur à
l’intérieur de l’édifice.
Je me rappelle, encore, avoir observé la voûte de pierres
calcaires. En son sommet, résultat des années et du gel, ce
que maintenant j’appellerais la clef, avait disparue laissant
apparaître le ciel.
Avec mes cousins et cousines, nous nous inventions des
histoires à propos du rond de lumière que créait l’absence de
cette clef. Tantôt au sol ou sur les pierres de la cabane nous
suivions son parcours.
Gariotte de Lalbenque, Lot.

La pierre calcaire, plus qu’un matériau auquel je suis


familiarisée depuis mon enfance, est la représentante de
souvenirs qui, j’en suis convaincue sans pouvoir l’expliquer
vraiment, conditionnent mon devenir d’architecte.

17

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


L’action du temps

Certains matériaux n’acquièrent leur état stabilisé


qu’avec l’action du temps.
Ici, il ne s’agit pas de faire une liste exhaustive des tous
les matériaux qui « vieillissent » avec le temps.
J’aimerais plutôt vous parler des matériaux qui me
touchent plus particulièrement, que j’ai pu appréhender
lors de voyages d’étude et de projets.

Nous pourrions regarder l’exemple du bois, qui


possède pour moi de grandes potentialités esthétiques
et constructives, pour parler du facteur temps.
On constate que c’est le rayonnement solaire qui lui
donne sa teinte grise définitive. Ce phénomène varie en
fonction des essences de bois cependant la teinte
dorée du bois fraîchement coupé est de l’ordre de
l’éphémère.
C’est encore le temps qui conditionne la mise en œuvre
du bois car il faut le protéger de son ennemie l’eau qui
à long terme le détruit.
Il y a une notion d’acceptation, de prise de conscience
de la présence de cette coloration grise du bois qui
n’est pas immédiate.
La Fabrica, des frères Tognola, architectes tessinois
est une illustration des transformations que subit le
bois. En effet, la façade de bardage exposée a déjà
pris une teinte grise alors que la façade intérieure
protégée par une avancée de toit ne s’est pas modifiée.
Frères Tognola : Fabrica, Maggia, Suisse italienne, 2000
18

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


Ensuite, nous pourrions nous pencher sur l’emploi de l’acier
Corten, tôle d’acier oxydé.
En plus de ses qualités structurelles notamment de sa
résistance au franchissement , l’acier Corten possède une
grande richesse de teintes et de variations de textures.
Le début de l’oxydation de la tôle est provoquée
artificiellement mais ensuite la rouille continue sa formation
sur une certaine épaisseur. Le choix est, alors, soit de
protéger ce dépôt par du vernis ou de le laisser disparaître
laissant entrevoir la tôle non oxydée.
L’acier oxydé est beaucoup employé par les architectes RCR,
notamment dans le pavillon d’accès à la zone volcanique de la
Garrotxa, d’Olot.
L’épaisseur et le pliage de la tôle se révèlent constitutifs de
l’édifice.
Ce qui est troublant dans l’utilisation de ce matériau c’est
l’évidence de sa présence dans ce contexte. Pourtant nous
n’ignorons pas toute l’artificialité de sa fabrication.

RCR: Pavillon d’accès à la zone volcanique de la Garrotxa, Olot , Gérone.

19

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


Maintenant, nous allons nous intéresser au béton et, plus
particulièrement aux usages qu’en font Herzog & de Meuron.
Le béton, matériau dont la trace de sa fabrication ( trou de
banche, coffrage bois) est souvent utilisée pour ses effets
plastiques en plus de ses qualités structurelles.

Dans le centre de distribution Ricola de Mulhouse, les


architectes ont délibérément fait couler l’eau de pluie sur les
façades latérales de béton banché.
C’est un choix conscient de mise en œuvre qui vise un objectif
esthétique, comme l’appelle Martin Steinmann, de « la
salissure »3 de la paroi béton.
Ce mode opératoire transcende la peur des hommes installée
vis-à-vis de l’action destructrice de l’eau sur le béton.
On sait tous les efforts de protection que les architectes,
ingénieurs ont déployés pour échapper à l’action de l’eau sur
le béton.

Cette anticipation du vieillissement, notamment des mousses


qui apparaissent avec l’humidité, de la glace qui se forme en
hiver nous montre une acceptation du caractère éphémère et
artificiel d’un bâtiment qui subit les actions, les forces de la
nature au cours du temps.

Sources bibliographiques :

1 Martin Steinmann, Forme Forte, 1972-2002, p261

2 Martin Steinmann, Forme Forte, 1972-2002, p168

3 Martin Steinmann, Forme Forte, 1972-2002, p122


Herzog & De Meuron: Centre de distribution Ricola, Brunstatt, 1992-1993

20

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


CONCLUSION

Nous avons vu ensemble que la question de la poésie en architecture n’est pas chose facile. En premier lieu, nous pouvons dire
qu’il y a manifestation d’effets poétiques d’un objet architectural lorsque l’on oublie l’ensemble des règles qui ont permis son
édification au profit des sensations.
Ces sensations peuvent être la conséquence d’une mise en œuvre particulière d’un matériau, ce que nous avons appelé
poétisation de la mise en œuvre des matériaux. Certaines fois, nous avons observé le détournement de l’utilisation de matériaux
créant en quelque sorte une mise en œuvre de la banalité.
Le matériau nous renvoie également à nos propres expériences par le phénomène de fossilisation. Ce que nous voyons, à travers
lui, est conditionné par nos souvenirs que nous regardons de nouveau avec notre regard d’architecte.
Tantôt d’un caractère pérenne tantôt d’un caractère éphémère, le matériau subit le temps qui passe et en est le témoin sur les
édifices.

Cependant, cette démarche de regarder un bâtiment par ses matériaux nous renvoie à une perception de paroi. Le danger est de
ne percevoir que les effets de surfaces des matériaux. Par analogie, comme dans un poème, on peut être tenté de ne faire
attention qu’à l’harmonie des sons et de ne plus regarder le sens.
En effet, l’enveloppe dans ces rapports pleins-vides nous questionne sur la spatialité des espaces intérieurs des édifices. Les effets
plastiques peuvent nous éloigner de la question de l’usage.

21

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE


BIBLIOGRAPHIE

 Alvaro SiZA, Des mots de rien du tout, Université St Etienne 2002

 El Croquis, Entretiens avec Herzog & de Meuron, El croquis editorial 1993

 Le Corbusier, Vers une architecture, Flammarion, Paris 1995

 Martin Steinmann, Forme Forte, Birkhâuser 1972-2002

 RCR, Between abstraction and nature, Edition Gustavo Gili 2004

sites internets:

 www.atilf.atilf.fr

 www.quercy-tourisme.com/galerie

22

ENSAT -Mémoire AMC 2005-2006 Audrey LAVERNHE

Vous aimerez peut-être aussi