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Communication

L’art du dire chinois sur l’art : cas des aphorismes métaphoriques


< Art of Chinese expressions on art: the case of metaphorical aphorisms >

Véronique ALEXANDRE JOURNEAU


Docteur en ‘Musique et musicologie’ et en ‘Asie orientale et sciences humaines’, en recherche d’un poste
sur un projet pluridisciplinaire : Musique - Poésie - Philosophie de l’art.

2ème Congrès du Réseau Asie / 2nd Congress of Réseau Asie-Asia Network


28-29-30 sept. 2005, Paris, France

Centre de Conférences Internationales, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Fondation Maison
des Sciences de l’Homme

Thématique / Theme : Arts et littératures / Literature and the Arts


Atelier 36 / Workshop 36 : Correspondances entre les arts et avec les lettres en Asie : le cas de la
métaphore entre musique, calligraphie-peinture et poésie-littérature / Correspondences between
arts and with letters in Asia: the case of metaphor between music, calligraphy-painting and poetry-
literature

© 2005 – Véronique ALEXANDRE JOURNEAU


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« L’art du dire chinois sur l’art : cas des aphorismes métaphoriques »

Résumé : Comment s’élabore la capacité de réception d’une oeuvre artistique ? C’est une lente
élaboration mutuelle, celui qui agit en tant que créateur-interprète, aussi bien que celui qui reçoit en
tant que spectateur-auditeur est souvent sollicité pour ‘dire’ ce qu’il a voulu exprimer, ce qu’il a
ressenti avec telle oeuvre, telle réalisation. En Chine, de brefs aphorismes sur l’art du pinceau, de
forme métaphorique et sous forme de distiques (deux vers de quatre caractères), émis par divers
calligraphes des dynasties Sui, Tang, et Cinq Dynasties (de la fin du VIème au Xème siècle), constituent
une appréciation sur l’art qui peut sembler réservée aux connaisseurs par leur concision, mais leur
décryptage montre (vastitude) qu’ils sont partagés entre les arts (musique, calligraphie, peinture) et
qu’ils font partie d’un patrimoine commun d’images mentales partagé par tous les Chinois, de façon
intemporelle, reflétant un certain ordre esthétique fondé sur l’observation des phénomèmes naturels.
Mots-clés : allégorie, cognitivisme, métonymie, montagne et eaux, perception, phénoménologie,
règne animal, règne minéral, règne végétal, symbolisme, synecdoque.

« Art of Chinese expressions on Art : the case of metaphorical aphorisms »

Abstract : How is worked out the capacity of reception of an artistic work ? It is a slow mutual
elaboration, because the one who acts as a performer as well as the one who receives as a spectator,
are often incited to ‘say’ what they intended to express on the one hand, to feel on the other hand,
through such work or such performance. In China, short aphorisms about the art of brush, in a
metaphorical form and structured in pairs of ‘four characters’ verses, and expressed by various
calligraphers of Sui, Tang, and Cinq Dynasties (from the end of VIth to the Xth centuries), constitute an
appreciation of art which seems to be reserved to connoisseurs because of their concision. However,
by deciphering them, we may see that they are shared between arts (music, calligraphy, painting) and
that they belong to a common patrimony of mental pictures shared among Chinese people in a
timeless manner, which reflects a certain aesthetic order based on the observation of natural
phenomenons.
Key-words : allegory, cognitivism, metonymy, mountain and water, perception, phenomenology,
animal reign, mineral reign, plant reign, symbolism, synecdoque.

中文对艺术的表达技巧  格言式的比喻手法

一幅艺术作品的产生并能够被(社会所)接纳需要一个漫长的酝酿过程。作为艺术家得说明其创作旨意,
即他想表现什么; 作为观众(或听众)则要说出对其作品的感受是什么。 在中国,不同时期的书法家, 如
隋、唐和五代(16 世纪末–10 世纪)时期,往往采用简短的格言,以比喻的手法和四字对偶句的形式对用
笔技巧加以描述,这种对艺术鉴赏极其精炼的表达手法似乎是写给行家看的。然而,经过对该领域的研
究,我们发现这种表达技巧不仅广泛用于描绘书法艺术,而且还用于描绘其他艺术: 如音乐和绘画,属
于一种传统文化现象,是中国人普遍认同和广泛使用的一种表达手法,反映了他们建立在观察大自然基
础上的某种审美观。

Atelier XXXVI : Correspondance entre les arts et avec les lettres en Asie :
le cas de la métaphore entre musique, calligraphie-peinture et poésie littérature
« L’art du dire chinois sur l’art : cas des aphorismes métaphoriques »
Véronique ALEXANDRE JOURNEAU
Introduction
La voie métaphorique, telle qu’illustrée par les traités chinois, permet de créer une image mentale
associée à la pensée du geste artistique, dans une correspondance non seulement entre les arts
comme nous le verrons dans un premier temps, mais aussi avec une certaine conception d’ordre
philosophique du monde qui sera évoquée dans la suite de cette présentation.
Au coeur de la spécificité culturelle chinoise se trouve cette faculté, mêlant images et mots, de
dessiner une représentation des idées grâce à la perception dans la nature de leurs principes, et
de partager cette représentation entre le créateur-interprète de l’œuvre et le spectateur-auditeur.
La puissance de la métaphore est reconnue par Umberto Eco comme stimulus de la pensée, en
amont comme en aval, ainsi ([5], pp. 160-161) : « C’est exactement ce que voulait dire Aristote
quand il assignait à la métaphore une fonction cognitive. Non seulement quand il l’associe à
l’énigme, séquence continue de métaphores, mais quand il affirme que faire des métaphore "est
un indice de dons naturels", car savoir trouver de belles métaphores signifie percevoir ou penser la
ressemblance des choses entre elles, le concept semblable (τό µοιον θεωρε⇑ν) [Poétique, 1459 a,
6-8]. [...] La connaissance métaphorique est une connaissance des dynamismes du réel ».

Citons ainsi s’abord deux exemples, directement associés au geste artistique, en musique (cithare
琴 qin ou 古琴 guqin cithare antique) et en calligraphie (笔 bi pinceau1), qui montrent à quel point
l’apport de la métaphore est fondamental pour l’élaboration d’une image mentale contribuant à la
réalisation et à la perception du geste :

- Le doigté-geste « 掩 yan » à la main gauche (explicité dans [9], pp. 64-65 ; source [6], p. 402) a
une explication purement technique extrêmement sobre :
« 譜作罨或作奄申名指先按十徽次以大指電九徽有聲謂之罨餘放此 L’annulaire appuie d’abord au 10ème
blason et tout de suite avec le pouce [frapper] au 9ème blason pour un son nommé yan comme un résidu de
cette pose » ;
et une métaphore, titrée « 空谷傳聲勢 Le creux des vallées répercute le son », éloquente :
« 長嘯一聲兮振動林麓隨聲響答兮在彼空谷喻名按而拇罨兮欲其音之相續 Un seul long souffle sonore ;
il ébranle la forêt qui en prolonge l’écho ; cette métaphore du creux des vallées nomme un appui d’où le
pouce est jeté2 ; tendre vers l’image de ce son se répercutant ». Elle donne une idée à la fois du geste
(mouvement-élan) et de l’effet (impression-sensation) attendu.

- La réalisation du point calligraphique ( ) est décrite dans un manuel d’apprentissage technique


([17], p. 7) ainsi :
« 藏鋒落笔 Pointe cachée abaisser le pinceau ; 轉鋒向上 tourner la pointe vers le haut ; 轉鋒向右 tourner
le pinceau vers la droite ; 行笔向下 faire aller le pinceau vers le bas ; 迴鋒收笔 ramener la pointe en arrêtant
le pinceau » ;
et la métaphore l’illustre dans une version courte (歐陽詢 Ouyang Xun, 556-641, [11], p. 98) :
« 如高峰坠石 Comme une pierre chutant d’une crête », qui est abrégée de celle de (衛鑠 Dame Wei,
272-349, [11], p. 22), cette dernière prolongeant par : « 磕磕然实如崩也 et ricochant avant de
s’effondrer ». Le mouvement de chute est très proche de celui indiqué précédemment pour le 琴
qin. Les deux métaphores sont très suggestives.

I – L’art du dire chinois sur l’art : des aphorismes d’appréciation esthétique


Des aphorismes (énoncé concis résumant une théorie, une série d’observations ou renfermant un
précepte) d’appréciation esthétique commentent le geste calligraphique dans la tradition chinoise,
contribuant à élaborer, perpétuer et renouveler ce patrimoine.
Ces aphorismes, dans la présentation de ZHU Guantian 朱关田 ([19], pp. 311-312) qui en regroupe
vingt-deux, font intervenir les trois règnes – minéral, végétal, animal – et montrent combien la
nature est un modèle et un miroir pour l’homme.
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le cas de la métaphore entre musique, calligraphie-peinture et poésie littérature
« L’art du dire chinois sur l’art : cas des aphorismes métaphoriques »
Véronique ALEXANDRE JOURNEAU
Leur sens profond est attesté par les nuances apportées à la formulation de l’idée : deux
aphorismes sont souvent proches, variante l’un de l’autre précisant l’interprétation. Leur structure
met en évidence le principe d’opposition-complémentarité et laisse entrevoir les interractions sous-
jacentes dans un cycle alternatif, une circularité de la vie.
y Règne minéral :
张旭 华峰巉怪, 占尽生意
Zhang Xu Au pic Hua, précipices monstrueux, y appréhender l’idée de la vie.

QIN Yonglong 秦永龙 ([13], p. 108) montre et commente le dernier caractère


de « 大道帖 Dadao jie Stèle de la grande voie » de Wang Xizhi 王羲之 ainsi :
« A la fin, pour le caractère "耶 ye ", le dernier coup de pinceau en un
mouvement d’épuisement de l’énergie verticalement tire vers le bas,
avec l’expression du sentiment d’un lac en hauteur. Comme la chute
d’eau d’un précipice ou d’une falaise, tombant du ciel, il a l’énergie d’une
chute de millions de mètres. Un tel type de trait occupe une place prépon-
dérante dans la composition, c’est une habitude qu’on croit habituelle aux
calligraphies simples découvertes de la dynastie Han. Mais Wang Xizhi,
encore proche de ce passé, par cet art unique, a créé une forme en l’appli-
quant dans ses calligraphies semi-cursives, par cet art de suivre avec verve
le sentiment, manifeste un procédé, déploie un espace d’une amplitude
extrême, qu’on peut qualifier de : "pinceau puissant de toute éternité,
souffle-énergie surpassant tous les autres"»
Figure 1
Le règne minéral est fascinant pour l’homme parce qu’il occupe l’espace et
donne une idée de l’éternité par sa durée de vie tellement plus longue que celle de l’homme.

y Règne végétal :
宋儋 春秋(暮春)花发, 夏柳低枝
Song Dan Printemps, automne, des fleurs s’ouvrent, été, les branches du saule retombent.

Le même Wang Xizhi 王羲之, maître incontesté et vénéré de la calligra-


phie chinoise depuis le IVè siècle de notre ère, excellait dans les trois
principaux styles, régulier, semi-cursif et cursif ; ses oeuvres si remar-
quables restent les modèles de tout calligraphe et furent abondamment
commentées. Les caractères représentés ici en style cursif ([16], p. 32)
sont « 年时 nian/shi année/moment » inscrivant les couches dans une
boucle suscitée par l’ année (avec cette notion de cycle, de l’émergence
au crépuscule d’une vie), dans un rythme de saisons ; l’idée de moment
est favorable à une interprétation de touches de floraison (printemps),
comme les verticalités de perches qui ont la flexibilité de branches de
saules évoquent, par leur entrelacement, cette nostalgie inhérente au
temps qui passe (automne), tout en captant l’éternité de l’instant du poète. Figure 2

Le règne végétal est ainsi celui du rythme, d’une cyclicité des choses qui est aussi spirale infinie,
et incite à la méditation sur le temps.

y Règne animal
陆曾 惊波鱼跃, 深水龙潜
Liu Ceng Dans l’onde triste, un poisson bondit, dans les eaux profondes un dragon tapi.
Là, bien qu’il s’agisse d’un aphorisme de calligraphe, ce sont les images typiques du jeu de la
cithare 琴 qin qui viennent immédiatement à l’esprit avec les deux métaphores (voir traduction des
métaphores poétiques dans [8], pp. 180 et 209, source [6], pp. 398 et 400) :

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le cas de la métaphore entre musique, calligraphie-peinture et poésie littérature
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« 游鱼擺尾 Un poisson nage en exhibant sa queue » et « 滄海龍吟 Chant du dragon dans l’océan », sont
évocatrices de jaillissement en extériorité d’un côté, de mélopée en intériorité de l’autre, c’est-à-
dire de cette opposition-complémentarité structurante de l’art, de la langue et de la philosophie
chinoise dont le symbole le plus connu est le couple 陰陽 yin-yang.

Figure 3 Figure 4

Cette signification particulière en musique n’exclut pas l’appli-


cation aux autres arts comme le suggère l’aphorisme car il est
aisé d’imaginer des caractères ou œuvres, comme cette Figure 5,
illustrant « jaillissement en extériorité » et « mélopée en intériorité »,
avec 張旭 Zhang Xu notamment (comparée [9], pp.215-216,
source [19], p. 114). Les derniers caractères de la 1ère colonne
(droite) sont tout en circonvolutions involutives alors que le
suivant (en haut de la 2ème colonne) est en jaillissement avec
éclaboussures. Zhang Xu fut aussi inspiré par la danse de
l’épée (cf. citations [9], p.273, source [2], p. 178).

Le règne animal, dans cette ainsité de ses représentants, est celui qui suscite une réflexion
phénoménologique chez l’homme, qui cherche à remonter des faits aux sens et du visible du
monde matériel à l’invisible du monde des idées.
L’apport du type de métaphore utilisé pour accompagner la recherche de la qualité et de la vérité
de l’expression artistique, est justement qu’il permet de dépasser le stade de la mimesis en
proposant de voir dans chaque détail un reflet du grand tout et donc de monter au niveau
supérieur. Réciproquement, c’est la démarche du créateur de descendre au niveau du détail pour
y placer les indices de sa pensée globale de l’oeuvre. Et sa rencontre avec son public résulte du
fait que ces indices sont repérables par son public.

II - L’appréciation artistique procède par métaphores poétiques relevant d’un imaginaire partagé,
entretenu comme un patrimoine.

La comparaison entre musique et calligraphie utilise aussi les mêmes images-guides pour la
réalisation artistique dans l’appréciation-perception de certaines oeuvres. Cela montre que des
effets visuels et des effets sonores sont comparables.
梁昇卿 惊波往来, 巨石前却
Liang Shengqing Surprise l’onde va et vient, devant l’énorme rocher elle renonce.
Le rocher (métonymie pour la solidité statique du caractère calligraphique) est un morceau de la
montagne (synecdoque), et l’onde (métonymie pour la fluidité dynamique de l’encre) est un
mouvement de l’eau (synecdoque). Ainsi, ‘rocher et onde’ sont ensemble une synecdoque du
couple symbole de l’opposition-complémentarité constitutive de la pensée chinoise : ‘montagne et
eaux’. La peinture de paysage a été nommée ‘montagne et eaux’ et le couple ‘statique-dynamique’
en est un principe de niveau ‘Un’ générique puisqu’il dépasse le cas particulier de la peinture de
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le cas de la métaphore entre musique, calligraphie-peinture et poésie littérature
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paysage et se retrouve dans les métaphores pour le jeu de la cithare 琴 qin (et plus généralement
avec la musique comme le montre Marie-Pierre Lassus dans sa contribution à ce même atelier du
congrès du Réseau-Asie).
利邕 华岳三峰, 黄河一曲
Li Yong Trois pics des montagnes chinoises, un air sur le fleuve jaune.
Cet énoncé métaphorique fait écho au précédent et à la double lecture picturale et musicale du
fait (a) du caractère calligraphique ‘山 shan montagne’ lui-même, fait de trois pics, et du thème
familier en peinture d’un pêcheur en barque jouant de la flûte après sa journée de travail, et (b) du
titre « 陽關三疊 Yangguan sandie Trois Airs sur la passe du soleil » qui est un air pour la cithare 琴
qin3 dont le lieu évoqué est une passe de montagne, un paysage mythique de la Chine au coeur
d’une chaîne de montagnes en aplomb du fleuve jaune, où se célèbrent séparations et
retrouvailles.
Observons les formes des caractères 山 shan Montagne et 水 shui Eaux dans les styles sigillaire,
régulier et cursif (Figures 6A, 6B et 6C puis figures 7A, 7B et 7C, [3], pp. 4 et 15) :

Figure 6A Figure 6B Figure 6C

Le caractère « 山 shan montagne » est donc fait de trois pics reliés entre eux par cet unique trait
horizontal, élément ‘eau’, qui évoque le 一 yi un séparateur du Ciel et de la terre, dans sa version
classique en caractère régulier ou classique (d’imprimerie), et qui évoque aussi , dans sa version
antique (sigillaire), les vallées profondes et l’enracinement, voire la bouche d’ombre, des
profondeurs, interprétation proche de l’aphorisme cité en second ci-dessus. Le style cursif apporte
la souplesse d’une oblique qui concilie (cf. ci-dessous) les deux composantes, chute verticale et
déroulement horizontal, de l’élément « eaux ». Dans tous les cas, la verticalité domine même si
une certaine souplesse, oblique et rondeur, est aussi présente dans le plus ancien.

Figure 7A Figure 7B Figure7C

Le caractère « 水 shui eau » est donc fait, dans le caractère régulier (classique), de multiples
obliques (cinq en tout en comptant le crochet central) autour d’un unique trait vertical central et trait
qui évoque un pic. Le caractère antique (sigillaire) relie ensemble la verticalité de trois pics et la
fluidité des lignes, en maintenant un pic, central, qui résiste à son assaut, comme le suggère
l’aphorisme cité en premier ci-dessus. Quant au caractère en style cursif, il crée des sinuosités
propres à cet élément fluide mais qui suggèrent aussi celle des sommets quand ils forment une
chaîne de montagnes. Ces deux caractères calligraphiés, qui prennent leur image dans la nature,
sont ainsi la source de la peinture traditionnelle de paysage.
La peinture traditionnelle chinoise multiplie les effets de hauteur ou d’étalement plat des
montagnes, de chutes en cascade ou de sinuosités plus horizontales des eaux. S’y ajoutent l’art
de créer des effets de distances et une perspective en trois plans souvent étudiée en peinture.
Cette dimension est présente grâce au travail de l’encre et du pinceau en calligraphie où le
graphisme n’est pas limité aux deux dimensions du support papier. Le style cursif, en particulier,
s’y prête sans doute davantage par les pentes des obliques avec effet d’encre dense-diluée, et par
les rebours et envols de la pointe du pinceau.

III – L’art du dire chinois sur l’art : de la métaphore au symbole.


Observons l’association de ce couple de pics rocheux et d’ondes du fleuve dans l’aphorisme
considéré pour ce qui est de l’appréciation artistique et dans 人鏡陽秋 Renjing yangqiu Annales
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Véronique ALEXANDRE JOURNEAU
pour servir de mémoire aux hommes [14] pour une appréciation symbolique, et par suite
philosophique.
Le parcours des trois cent cinquante illustrations associées aux anecdotes à visée édifiante et
moralisatrice qui s’y succèdent, laisse entrevoir un certain symbolisme des images dont une
hypothèse est présentée ci-après qui sera, comme d’autres (rocher et fleurs, lune, nuages,
animaux), à confirmer après une étude approfondie. Cette étude est en cours avec Nathalie
Monnet, qui a fait connaître ce manuel à l’occasion de l’exposition « Chine : l’Empire du trait » au
printemps 2004 à la Bibliothèque nationale, et le catalogue présente d’ailleurs une image où l’on
voit les trois pics un peu noyés dans le fleuve derrière un souverain qui accueille une femme à
l’allure souveraine ([12], p. 138).
L’hypothèse testée est celle d’un symbolisme associant ces trois pics verticaux plongés dans les
ondes transversales d’un fleuve, au souverain du royaume. En effet, cette image est présente
constamment en paravent ou tenture murale derrière le souverain avec des variantes de taille des
trois pics et de leur niveau d’émergence relativement aux ondes d’une part, et de l’amplitude des
vagues et de la présence ou non de brumes sur l’eau ou de quelques nuages autours des pics
d’autre part. Il semble que les choix de ces nuances pourraient être dictés par l’état du pouvoir au
moment considéré, fort ou faible, rigide ou souple, dans une position particulière du cycle ‘tradition
– modernité’, caractérisant un règne relativement à la dichotomie symbolique statique-permanence
et dynamique-renouvellement.
Lorsque le souverain paraît jeune, les pics sont petits et davantage enfoncés dans les eaux,
lorsque le souverain est autoritaire, les pics sont plutôt hautains et les eaux basses, lorsque le
souverain est en dépendance féminine, les pics sont entourés de nuages, etc. Cette hypothèse
dont nous pouvons voir plusieurs représentations dans le recueil sus-mentionné et en particulier
les figures 8 et 9 présentées en séance ([14], vol.1, f-r.10, cliché BnF, qui en l’occurrence, article,
simplement commenté en raison des droits de reproduction) est appuyée par le fait que cette
image des trois pics plongés dans le fleuve accompagne, sur un étendard-éventail, ses émissaires
en mission diplomatique ([14], vol.12, f-r.41, BnF.
La figure 8 représente un jeune souverain sur son trône, entourés de conseillers adultes, devant
un paravent où les trois pics sont encore jeunes (frêles et enfoncés dans les eaux aux flux denses),
symbole de fragilité et de fortes mouvances ;
La figure 9 présente les trois pics avec leur socle d’eaux sur un étendard porté par quatre
émissaires dans la campagne auprès d’un lettré : la proportion de pics relativement aux eaux est
déjà plus massive et le pic central est imposant, c’est une invitation ou une convocation.

Le thème ‘montagne-eaux’ est prégnant de façon symbolique dans le premier écrit littéraire chinois
(cf. quelques poèmes du 詩經 Shijing Livre des Odes, daté du XIè au VIIè siècle avant notre ère, en
annexe). Les trois pics évoquent les trois Augustes avec lesquels commence l’histoire
traditionnelle de la civilisation chinoise, dont le fleuve jaune est le berceau, temps mythiques,
réputés heureux et vertueux. Marcel Granet dit ([7], pp.19-20) :
« Une tradition iconographique qui remonte pour le moins aux seconds Han fait précéder les Cinq
Souverains par les Trois Augustes [Fuxi, Nügua, Shennong]. […] Les Augustes, de même que les
Trois premiers Souverains, sont nommés dans les œuvres les plus anciennes des traditions
orthodoxes et non orthodoxes. En faisant précéder l’histoire des dynasties royales par celle des
Souverains et des Augustes, les érudits chinois se sont proposé de brosser le tableau d’un âge
heureux où, sous des traits humains, régnait une vertu parfaite. […] Le thème des eaux soulevées
se rattache à un mythe de l’aménagement du monde… »

C’est ainsi que chaque caractère chinois et l’image qu’il constitue, mais aussi les couples de
caractères (puis leur agencement en poème ou en paysage), leurs aspects concrets dans le
monde matériel et leurs suggestions de principes dans le monde des idées, constituent une
représentation du monde et de son ordonnancement.

Et ces correspondances sont du même ordre dans les arts et dans les lettres. En effet, le principe
de métaphore s’applique aussi bien, comme nous l’avons démontré pour les arts pictural et
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musical chinois dans le 1er chapitre de notre thèse ([9]), au geste élémentaire (trait, point ou note,
équivalents du phonème) qu’à l’entité globale de niveau supérieur à laquelle il participe (caractère
ou motif musical, équivalents de mot) ou un ensemble (texte calligraphié, rouleau peint ou phrase
musicale équivalents de phrase), voire à la réalisation globale d’une œuvre.

En ce qui concerne le langage des mots, Paul Ricoeur dit ([15], pp. 77-80, en citant d’abord Emile
Benveniste [1], pp. 123-124) : « Le mot se trouve ainsi dans "une position fonctionnelle
intermédiaire qui tient à sa double nature. D’une part, il se décompose en unités phonématiques
qui sont de niveau inférieur ; de l’autre il entre à titre d’unité signifiante et avec d’autres unités
signifiantes dans une unité de niveau supérieur. […] Cette unité [de niveau supérieur] n’est pas un
mot plus long ou plus complexe : elle relève d’un autre ordre de notions, c’est une phrase. La
phrase se réalise en mots, mais les mots n‘en sont pas simplement les segments. Une phrase
constitue un tout, qui ne se réduit pas à la somme de ses parties ; le sens inhérent de ce tout est
réparti sur l’ensemble des constituants". […] La progression n’est donc pas linéaire d’une unité à
l’autre ; des propriétés nouvelles apparaissent, qui dérivent du rapport spécifique entre unités de
rangs différent ; alors que les unités de même rang ont entre elles des relations distributionnelles,
les éléments de niveau différent ont des relations intégratives ».

C’est ce rôle de la métaphore comme entité générique susceptible de s’appliquer à différents cas
particuliers qui nous intéresse ici, en tant que révélateur de niveaux supérieurs d’interprétation en
sus du mimétisme requis a priori. Il semble bien que les procédés métaphoriques du domaine
artistique couvrent simultanément les décompositions du genre en :

- métonymie avec la désignation d’un objet par le nom d’un autre objet dans un rapport d’analogie
directe de l’image au geste (comme la chute d’une pierre pour le point calligraphique) ;

- synecdoque avec la désignation d’un objet par le nom d’un autre objet avec lequel il forme un
ensemble (comme rocher avec montagne, et onde avec fleuve), dans un rapport d’analogie
indirecte ;

- allégorie (comme les trois Augustes et le berceau de la civilisation chinoise) ou au moins


symbolisme par l’idée abritée derrière l’image (comme l’autorité du souverain figurée par la
situation relative des pics et des eaux), voie de remontée depuis une application particulière à son
modèle générique, procédé consistant à vêtir l’idée d’une image.

Conclusion

Le corpus d’images mentales associées aux arts et en correspondance entre les arts, contribue
aussi par le potentiel symbolique de ces images à une approche philosophique, car elles reflètent
une interprétation de monde qui correspond à un patrimoine commun pour les Chinois.
La poésie chinoise est traditionnellement étudiée selon des figures de style typiquement
chinoises (cf. [9], pp.416-419, et les approches citées de François Cheng [4], François Jullien [10]
et Pauline Yu [18]), c’est-à-dire par : description 賦 fu, comparaison 比 bi et stimulations 興
xing. Mais l’approche effectuée dans cet article selon les critères occidentaux de classification est
rendue possible parce que la poésie est en Chine conjuguée avec l’art et, par le biais des images
visuelles et sonores associées relativement familières au peuple chinois dont seulement quelques-
unes ont été présentées ici, entretient un va-et-vient de correspondances entre les arts et avec
l’expression en mots, favorisant différents niveaux de lecture.

ANNEXE

Atelier XXXVI : Correspondance entre les arts et avec les lettres en Asie :
le cas de la métaphore entre musique, calligraphie-peinture et poésie littérature
« L’art du dire chinois sur l’art : cas des aphorismes métaphoriques »
Véronique ALEXANDRE JOURNEAU
Quelques poèmes du 詩經 Shijing Livre des Odes célébrant montagnes et eaux (fleuve)4

小雅 Petites odes du royaume


166. 天保 TIAN BAO (鹿鳴之什 Décade du cerf qui brame)
天保定爾、以莫不興。(tian bǎo dìng ěr, yǐ mò bú xing)
如山如阜、如岡如陵。(rú shan rú fù, rú gang rú líng)
如川之方至、以莫不增。(rú chuan zhi fang zhì, yǐ mò bú zeng)
Le Ciel protège et régule harmonieusement pour le bonheur de tous ;
Comme les montagnes et les collines, comme les crêtes et les tertres ;
Comme les fleuves se déversant de tous côtés, pour la croissance de tous ;

大雅 Grandes odes du royaume


258. 雲漢 YUN HAN (文王之什 Décade du roi Wen)
父母先祖、胡寧忍予。(fù mǔ xian zǔ, hú níng rěn yú)
旱既大甚、滌滌山川。(hàn jì dà shen, dí dí shan chuan)
Pères et mères, ancêtres défunts
pacificateurs des barbares, comment endurer
la sécheresse extrême, monts arides et fleuves taris.

259. 崧高 SONG GAO (文王之什 Décade du roi Wen)


崧高維嶽、駿極于天。(song gao wei yùe, jùn jí yú tian)
維嶽降神、生甫及申。(wei yùe jiàng shén, sheng Fú jí Shen)
Pic sacré en trois hautes montagnes,5
dont le faîte s’élève jusqu’au Ciel ;
Triple pic sacré d’où descendit l’Esprit
donnant naissance à Fu et Shen.6
300. 閟宮 BI GONG (魯頌 Chants sacrés de Lou, 周頌 Odes sacrificielles des ZHOU)
乃命魯公、俾侯于東。(nǎi mìng lǔ gong, bǐ hoù yú dong)
錫之山川、土田附庸。 (yáng zhi shan chuan tǔ tián fù yong)
Ensuite il le fit duc de Lou, accroissant le marquisat jusqu’à l’est ;
Monts et fleuves, terres et champs de Yang en supplément de charge.

Bibliographie
[1] BENVENISTE, Emile, Problèmes de linguistique générale, Paris : Gallimard, 1966.
[2] BILLETER, Jean-François, L’Art chinois de l’écriture, Genève : Skira, 1989, 319 pages.
[3] Changyongzi zitie 常用字字帖 Caractères courants calligraphiés dans les 5 styles, Shanghai
shuhua chubanshe 上海書畫出版社 (Editions de calligraphie et peinture de Shanghai), Shanghai
上海, 1979, 106 pages.
[4] CHENG, François, « Perspectives comparatistes : représentations cosmologiques et pratiques
signifiantes dans la tradition chinoise », Paris : Extrême Orient-Extrême Occident N°1, 1982,
pp.19-30.
[5] ECO, Umberto, Sémiotique et philosophie du langage, Paris : PUF, 1988, 285 pages.

Atelier XXXVI : Correspondance entre les arts et avec les lettres en Asie :
le cas de la métaphore entre musique, calligraphie-peinture et poésie littérature
« L’art du dire chinois sur l’art : cas des aphorismes métaphoriques »
Véronique ALEXANDRE JOURNEAU
[6] « Fengxuan xuanpin 風宣玄品 Mystère que nous dit le vent », Qinqu jicheng 琴曲集成 (Ouvrage
de référence sur la musique de qin), Zhonghua shuju chubanshe 中华书局出版社 (Editions du livre
chinois), Beijing 北京, 1963, 1406 pages.
[7] GRANET, Marcel, La civilisation chinoise, Paris : Albin Michel, L’Evolution de l’humanité, 1994,
580 pages.
[8] JOURNEAU ALEXANDRE, Véronique, La Cithare chinoise qin : Texte-Image-Musique, Thèse de
Doctorat ‘Musique et musicologie’, Paris IV Sorbonne, 2003, 888 pages.
[9] JOURNEAU ALEXANDRE, Véronique, La Pensée du geste dans les arts du lettré, Thèse de
Doctorat ‘Asie orientale et sciences humaines’, Paris VII Denis Diderot, 2005, 999 pages.
[10] JULLIEN, François, La Valeur allusive (des catégories originales de l’interprétation poétique
dans la tradition chinoise : contribution à une réflexion sur l’altérité interculturelle), Ecole française
d’Extrême-Orient, Paris, 1985, 312 pages.
[11] Lidai shufa lunwenxuan 历代书法论文选 Anthologie de traités calligraphiques des dynasties
passées, Shanghai shuhua chubanshe 上海书画出版社 (Editions de peinture et calligraphie de
Shanghai), Shanghai 上海, 1998 (3ème édition, 1ère édition en 1979), 1038 pages.
[12] MONNET, Nathalie, Chine, l’empire du trait, calligraphies et dessins du Vème au XIXème siècles,
Paris : Bibliothèque Nationale de France, catalogue de l’exposition (30 mars-28 juin 2004), 2004,
256 pages.
[13] QIN Yonglong 秦永龙, Zhongguo wenhua jinghua wenku, shufa jingpin 中国文化精华文库, 书法
精品 Anthologie de la quintessence de la culture chinoise, la fine fleur des oeuvres calligraphiques,
Shandong wenyi chubanshe 山东文艺出版社 (Editions artistiques et littéraires du Shandong), Jinan
济南, 1992, 376 pages.
[14] Renjing yangqiu 人鏡陽秋 (明) 王廷納撰, 王耕繪圖, 黃應祖鐫 Annales pour servir de miroir aux
hommes, rédigé par WANG Tingna (dynastie Ming), illustré par WANG Geng, gravé par HUANG
Yingzu (parution en 1600, date de la dernière préface, acheté en 1720 par la Bibliothèque royale
au séminaire des Missions étrangères à Pékin, actuellement chinois 3371, 3372 et 3373 à la BnF,
section des manuscrits orientaux), pagination multiple.
[15] RICOEUR, Paul, La Métaphore vive, Paris : Seuil, 1975, 414 pages.
[16] Wang Xizhi xingshu zitie 王羲之行书字帖 Modèles d’écriture semi-cursive de Wang Xizhi,
sélectionnés par LI Xiaofan 李小凡 et LIU Yajun 刘亚军, Beijing chubanshe 北京出版社 (Editions
pékinoises), 北京 Beijing, 1992, 43 pages.
[17] Yanti duobaota biaozhunxi zitie 颜体多宝塔标准习字帖 Modèles d’écriture standard de la
pagode aux nombreux joyaux de Yan [Zhenqing], 柳溥庆 Liu Puqing, 北京出版社 (Editions de
Pékin), 北京 Beijing, 1978, 29 pages.
[18] YU Pauline, The Reading of Imagery in the Chinese Poetic Tradition, Princeton University
Press, 1949 (nouvelle édition en 1987), 239 pages.
[19] ZHU Guantian 朱关田, Zhongguo shufa shi, Sui Tang Wudai 中国书法史隋唐五代 Histoire de la
calligraphie chinoise : Sui, Tang et Cinq dynasties, Jiangsu jiaoyu chubanshe 江苏教育出版社
(Editions éducatives du Jiangsu), 南京 Nanjing, 1999, 411 pages.

1
D’une manière générale, les textes chinois sont cités tels que donnés dans la source, c’est-à-dire soit en caractères
compliqués, soit en caractères simplifiés, soit, comme dans le cas du paragraphe suivant et la source [17], un mélange
des deux avec une option générale mais un caractère, ici pinceau, parfois simplifié. Il faut savoir que la simplification des
caractères résulte souvent de l’écriture abrégée du style cursif et n’est pas seulement un décision pédagogique du XXe
siècle, cette dernière s’étant bien sûr appuyée sur les simplifications pré-existantes.
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« L’art du dire chinois sur l’art : cas des aphorismes métaphoriques »
Véronique ALEXANDRE JOURNEAU
2
掩 yan est le nom d’un geste technique pour le jeu de la cithare qin : le pouce enfonce la corde mais du fait de son élan
en contrebalancement de l’appui sur l’annulaire, il percute la surface-table du qin qui prolonge la note en un écho boisé ;
un des sens de ce terme est « jeter » un filet, le terme « jeté » est retenu car il correspond à un mouvement similaire en
danse.
3
Les airs avec refrain sont souvent répété trois fois, chiffre symbolique, c’est le cas aussi de cet autre air célèbre pour la
cithare qin qu’est « 梅花三弄 Meihua sannong » qui débute aussi sous le titre « Un cours d’eau en montagne une nuit
de lune ».
4
Le texte chinois a été extrait de la compilation mise en ligne à l’adresse url <http://etext.lib.virginia.edu/chinese>, mais
la traduction en anglais ne reflète pas vraiment la profondeur de l’original (la traduction poétique est, dans son principe et
ses objectifs, très différente entre l’anglais et le français) et est de mon point de vue discutable dans ce qu’elle transmet.
5
Le caractère 維 a plusieurs sens dont celui de ‘relier-attacher’, celui de ‘seul’ et celui du groupe formé de trois étoiles
de la Grande Ourse. Ici les trois sont possibles car les hautes montagnes sont reliées entre elles pour former un seul pic
qui est la référence comme l’est la Grande Ourse dans la cosmogonie chinoise ; au point qu’en poussant l’interprétation
à l’extrême, ce triple pic sacré représente les trois étoiles d’où seraient descendus les esprits enfantant l’humanité.
6
Fu et Shen sont deux des trois Augustes (le troisième est une femme : Nügua) de la période légendaire de la
Chine (2953-2638 avant notre ère) : Fu (Fuxi) inventa la divination (les trigrammes) et est souvent représenté avec un
corps de dragon ou de serpent et une tête humaine, et il est de ceux des empereurs célestes qui purent monter le long
de l’arbre dressé qui relie le ciel et la terre ; Shen (Shennong) est le divin laboureur, et il inventa les instruments de
musique à cordes dont cithare 琴 qin. Nügua, non explicitement citée ici, peut-être parce qu’élément 陰 yin – élément
eau, inventa les instruments à vent.

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Véronique ALEXANDRE JOURNEAU

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