Vous êtes sur la page 1sur 4

Glaucome

Excavations physiologiques : quel bilan ?


Quel suivi ?

Emmanuelle Brasnu de Cenival - Paris, Garches


●●●●●●●● Introduction
Le glaucome est une neuropathie

●●●●●●●● Quel bilan
réaliser devant une
(entre 700 000 et 1 200 000). Ainsi,
une excavation sera d’autant plus
optique progressive se caractérisant excavation papillaire ? pathologique si elle est observée sur
par des modifications morphologiques un petit disque optique, tandis que


de la tête du nerf optique (TNO) et de ce sont les grandes papilles qui sont
la couche des fibres nerveuses réti- Examen de la tête du nerf habituellement le siège d’une
niennes (FNR), associées à des altéra- optique et de la couche grande excavation physiologique.
tions subséquentes du champ visuel (1). des fibres nerveuses rétiniennes L’interprétation du classique rapport
Or, la couche des FNR et la TNO étant « C/D » vertical pour « Cup » sur
des structures biologiques, il existe ▸▸▸▸ Examen biomicroscopique « Disc » est donc limitée si ce dernier
une grande variabilité anatomique de du fond d’œil est analysé de façon isolée, sans tenir
ces structures au sein de la population L’examen de la TNO et des FNR au fond compte du diamètre papillaire et des
normale (2). Il est donc parfois difficile d’œil est réalisé en vision binoculaire autres éléments anatomiques de la
de différencier une excavation physio- et de façon bilatérale et comparative. papille : ANR, hémorragies, etc. En
logique d’une neuropathie optique Un facteur de multiplication doit être effet, dans la plupart des papilles non
glaucomateuse débutante, voire avan- appliqué en fonction de la lentille dysmorphiques, l’ANR est physiologi-
cée. Même si l’examen clinique de la utilisée pour l’examen. quement plus large en inférieur qu’en
papille au fond d’œil reste l’examen supérieur, qu’en nasal puis, enfin, plus
de référence, plusieurs outils cliniques Plusieurs éléments essentiels doivent fin en temporal. C’est la règle mné-
et paracliniques sont aujourd’hui être analysés ou mesurés : la taille de motechnique « ISNT » des Anglo-
d’une aide certaine pour reconnaître la papille, l’aspect de l’anneau neuro- Saxons qui s’applique souvent aux
et suivre les excavations papillaires rétinien (ANR), l’excavation, la pré- grandes papilles physiologiques (6-7).
physiologiques. En outre, il est essen- sence d’hémorragies et la recherche La couleur de l’ANR est également
tiel d’associer à l’examen de la papille d’un déficit en fibres. essentielle, une papille pâle étant en
un interrogatoire et un examen cli- faveur d’une neuropathie optique non
nique complet à la recherche de fac- La taille de la papille optique est très glaucomateuse.
teurs de risque de glaucome ou variable d’un individu à l’autre, mais
d’autres anomalies pouvant faire également entre les deux yeux d’un Ainsi, plusieurs éléments de l’analyse
suspecter la présence d’une neuropa- même individu. Malgré cette variabi- de la papille peuvent nous orienter
thie optique glaucomateuse ou d’autre lité interindividuelle et liée à la tech- vers une excavation physiologique :
origine. nique de mesure, on peut considérer une excavation sur une grande papille,
une papille comme petite si le dia- la symétrie de l’excavation, une exca-
mètre vertical est inférieur ou égal à vation arrondie à grand axe horizontal
1,5 mm, et comme grande si son et, enfin, un ANR plus large en inférieur.
diamètre vertical est supérieur ou égal A contrario, la présence d’hémorragies
à 2,2 mm (2-5). Cet élément a son impor- ou un déficit en fibres sont en faveur
tance, car le nombre de fibres axonales d’un caractère pathologique.
est, en revanche, relativement fixe

N°236 - Tome 25 - juin 2020 - RéfleXions Ophtalmologiques 29


Excavations physiologiques : quel bilan ? Quel suivi ?

A1

B1 B2
A2

C1 C2

Figure 1 : Patient présentant une excavation physiologique.


(A) Rétinophotographies : (A1) œil droit, (A2) œil gauche.
(B) Champ visuel Humphrey (Zeiss®) : (B1) œil droit, (B2) œil gauche.
(C) OCT (Canon®) : (C1) analyse de la TNO des FNR péripapillaires, (C2) analyse du complexe maculaire cellulaire ganglionnaire.

Figure 2 : Autre patient présentant


une excavation physiologique.
(A) Œil droit.
(B) Œil gauche.

2A 2B

30 N°236 - Tome 25 - juin 2020 - RéfleXions Ophtalmologiques


Excavations physiologiques : quel bilan ? Quel suivi ?

▸▸▸▸ Les rétinophotographies


Contrairement à l’examen biomicros-
■ L’examen du champ visuel
En cas de doute sur la présence d’une
Les rétinographies sont donc essen-
tielles, surtout chez les sujets jeunes,
copique du fond d’œil, les rétinopho- neuropathie optique, glaucomateuse car elles permettent un suivi au long
tographies ne permettent pas une ou non, l’examen du champ visuel est cours, contrairement à l’OCT qui est
analyse stéréoscopique de la papille, indispensable. En effet, l’analyse de la l’objet de constantes améliorations
utile, entre autres, à l’évaluation de la fonction permet dans certains cas techniques ne garantissant pas tou-
pente de l’excavation ou pour repérer d’étayer le diagnostic devant un déficit jours un suivi très long. Cela ne dis-
le bord interne ou externe de l’ANR. fasciculaire isolé à l’OCT, par exemple. pense pas néanmoins de la réalisation
Elles ne peuvent donc le remplacer, Même si la périmétrie automatisée en d’une OCT régulièrement, surtout en
mais présentent un intérêt pour la blanc/blanc reste la technique de cas de doute sur une modification à
documentation des dossiers et pour référence, la périmétrie à doublage de l’examen du fond d’œil ou sur les
le suivi des patients. En effet, une fréquence (FDT- MATRIX™) ou la péri- rétinographies. Les autres examens,
excavation physiologique est par défi- métrie bleu-jaune peuvent également notamment les champs visuels, ne
nition stable dans le temps et toute être utilisées pour éliminer une doivent pas être renouvelés systéma-
modification de la largeur ou de la atteinte précoce (1, 10). tiquement en revanche, sauf en cas
vascularisation de l’ANR, comme l’ex- d’éléments nouveaux. Le rythme de


clusion d’un vaisseau circumlinéaire, suivi sera aussi dépendant du contexte,
doit être considérée comme patholo- Autres examens la réalisation des examens pouvant
gique. De plus, c’est un examen rapide complémentaires être espacée, voire arrêtée en l’ab-
et simple, qu’il est facile de déléguer sence d’évolutivité après quelque
et qui permet parfois de mettre en D’autres examens peuvent être utiles temps.
évidence certains éléments patholo- lorsque l’on s’interroge sur le caractère
giques qui n’auraient pas été identifiés pathologique d’une excavation papil-


●●●●●●●● Conclusion
au fond d’œil (perte en fibres localisée, laire. En effet, en cas de doute, devant
petite hémorragie en flammèche, etc.). la présence d’un déficit campimétrique
non expliqué ou verticalisé, par
▸▸▸▸ La tomographie en cohérence exemple, ou d’une asymétrie impor- Le diagnostic d’excavation physiolo-
optique (OCT) tante, d’une pâleur papillaire, d’une gique est essentiellement clinique, les
En 2020, l’OCT, qui permet une analyse baisse d’acuité visuelle inexpli- examens complémentaires étant néan-
quantitative et objective reproductible quée, etc., une imagerie cérébrale moins une aide précieuse au diagnos-
de la TNO, des FNR péripapillaires et peut être utile (imagerie par résonance tic, notamment l’OCT, qui devient
du complexe maculaire cellulaire gan- magnétique [IRM] de préférence). incontournable aujourd’hui. Le suivi
glionnaire (GCC) est une aide diagnos- L’électrorétinogramme (ERG) ou les des patients sera individualisé en
tique indispensable pour l’analyse des potentiels évoqués visuels (PEV) fonction des éléments cliniques et des
excavations papillaires. Les éléments peuvent aussi être une aide précieuse facteurs de risque initiaux, et pourra
à analyser en priorité devant une au diagnostic dans certains cas, mais, être allégé progressivement.
excavation sur une grande papille sont comme l’IRM, ne doivent pas être
les FNR et le GCC, l’analyse des para- systématiques devant une excavation
mètres de la TNO pouvant être faussée physiologique typique isolée.
sur les papilles de grande taille. Les
papilles de petite taille, en revanche,


●●●●●●●● Quel suivi ?
peuvent s’accompagner d’un amincis-
sement de la couche des FNR ou du
GCC avec de faux résultats positifs (8-9).
Dans tous les cas, les résultats de l’OCT Devant une excavation papillaire phy-
ne doivent jamais être interprétés siologique, le suivi est essentiel, car
seuls, et doivent toujours être corrélés l’absence de modification de l’excava-
à la clinique, voire à l’analyse fonction- tion est par définition un élément
nelle. diagnostique. Liens d’intérêts : aucun

N°236 - Tome 25 - juin 2020 - RéfleXions Ophtalmologiques 31


Excavations physiologiques : quel bilan ? Quel suivi ?

Points clés
• Devant une excavation papillaire, il est indispensable de réaliser un interrogatoire et un examen clinique ophtalmologique
complet à la recherche de facteurs de risque ou de signes évocateurs de glaucome.

• Devant une excavation papillaire, plusieurs éléments essentiels doivent être analysés ou mesurés : la taille de la papille,
l’aspect de l’ANR, l’excavation, la présence d’hémorragies, la recherche d’un déficit en fibres.

• Les rétinographies et l’OCT sont des outils très utiles au diagnostic et au suivi des excavations papillaires. Les autres
examens complémentaires, comme le champ visuel, les PEV, l’ERG ou l’imagerie cérébrale ne sont pas systématiques et
doivent être proposés en cas de doute sur une neuropathie optique glaucomateuse ou d’autre origine.

RÉFÉRENCES
1. European Glaucoma Society. Terminology and guidelines in glaucoma. 3rd. Italie: European Glaucoma Society; 4th Edition, 2014.
2. Jonas JB, Budde WM, Panda-Jonas S. Ophthalmoscopic evaluation of the optic nerve head. Surv Ophthalmol 1999;43:293-320.
3. Jonas JB, Gusek GC, Naumann GO. Optic disc, cup and neuroretinal rim size, configuration and correlations in normal eyes. Invest Ophthalmol Vis Sci 1988;29:1151-8.
4. Samarawickrama C, Hong T, Jonas JB et al. Measurement of normal optic nerve head parameters. Surv Ophthalmol 2012;57:317-36.
5. Jonas JB, Gusek GC, Guggenmoos-Holzmann I et al. Variability of the real dimensions of normal human optic discs. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol 1988;226:332-6.
6. Carpel EF, Engstrom PF. The normal cup-disk ratio. Am J Ophthalmol 1981;91:588-97.
7. Hoffmann EM, Zangwill LM, Crowston JG et al. Optic disk size and glaucoma. Surv Ophthalmol 2007;52:32-49.
8. Oddone F, Centofanti M, Tanga L et al. Influence of disc size on optic nerve head versus retinal nerve fiber layer assessment for diagnosing glaucoma. Ophthalmology
2011;118: 1340-7.
9. Sato S, Ukegawa K, Nitta E, Hirooka K. Influence of disc size on the diagnostic accuracy of cirrus spectral-domain optical coherence tomography in glaucoma. J
Ophthalmol 2018; 2018:5692404.
10. Mansberger SL, Sample PA, Zangwill L et al. Achromatic and short-wavelength automated perimetry in patients with glaucomatous large cups. Arch Ophthalmol
1999;117:1473-7.

32 N°236 - Tome 25 - juin 2020 - RéfleXions Ophtalmologiques

Vous aimerez peut-être aussi