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Rétine médicale

Les néovaisseaux du sujet jeune

William Beaumont et Oudy Semoun - Créteil

L
a survenue d’un néovaisseau myopie forte (-14,5 dioptries) et qui L’angiographie à la fluorescéine nous
choroïdien (NVC) est un évé- consulte en urgence pour une baisse montre au temps tardif une diffusion
nement potentiellement grave, d’acuité de l’œil gauche à 20/32. À du colorant en regard d’une rupture
aux séquelles parfois cécitantes, et l’examen du fond d’œil, nous retrou- de la membrane de Bruch (Figure 1b),
pouvant induire des implications vons un staphylome de type V associé avec une augmentation progressive de
majeures dans la vie des patients. à une dysversion papillaire (Figure 1a). l’intensité et de la taille de l’hyper-
Cela est d’autant plus vrai lorsque les Sur le bord de ce staphylome, nous fluorescence au cours de la séquence
néovaisseaux se développent chez notons de nombreuses ruptures de la angiographique. Une coupe SD-OCT
des sujets jeunes, en pleine activité membrane de Bruch qui témoignent passant par la lésion hyper-fluores-
professionnelle. de contraintes mécaniques au niveau cente (Figure 1d) retrouve du gris
de la jonction du staphylome et de la pré-épithélial à bords flous, avec un
La fréquence globale de la survenue rétine normale. épaississement rétinien en regard,
d’un NVC du sujet jeune n’est pas bien sans logettes intrarétiniennes.
établie. De nombreux facteurs étiolo-
giques ont été décrits. Ces néovais-
seaux apparaissent le plus souvent à
la suite d’une atteinte de l’épithélium
pigmentaire, qui entraîne la sécrétion
de facteurs pro-angiogéniques. La
plupart des NVC du sujet jeune sont
secondaires à une pathologie préexis-
tante, et sont pour la grande majorité
pré-épithéliaux (1). Cohen et al. ont
montré que 62 % des NVC du sujet
jeune sont associés à une myopie forte,
17 % sont idiopathiques, 12 % secon-
daires à une choroïdite multifocale et
5 % à des stries angioïdes, les 4 %
restants résultant de pathologies
variées (2).

Nous décrivons ici 4 cas de NVC du


sujet jeune, illustrant ces étiologies
variées.


●●●●●●●● La myopie forte
Figure 1 : a. Cliché infrarouge montrant les ruptures de membrane de Bruch (flèche noire) ;
Nous présentons ici le cas d’une jeune b. Angiographie à la fluorescéine montrant une diffusion localisée du colorant (flèche blanche) ;
patiente de 35 ans qui est atteinte de d : Coupe OCT passant par la lésion montrant du gris pré-épithélial (flèche).

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Les néovaisseaux du sujet jeune

Ces examens permettent de diagnos- •


●●●●●●●● Les néovaisseaux
idiopathiques du sujet
toire étant sans particularité, le dia-
tiquer un NVC de type 2, compliquant gnostic de néovaisseau idiopathique
une myopie forte. Ces NVC se situent jeune du sujet jeune a été retenu.
le plus souvent en regard d’une rupture Voici le cas d’une jeune femme de
de la membrane de Bruch (3,4). Dans le 23 ans qui s’est présentée en urgence Elle a bénéficié d’une injection d’anti-
cas spécifique du staphylome de pour baisse d’acuité visuelle brutale VEGF, avec une bonne réponse anato-
type 5, la complication néovasculaire (20/60) de l’œil droit associée à des mique et fonctionnelle à 1 mois
se situe le plus souvent au niveau de métamorphopsies. L’examen du fond (acuité visuelle à 20/25). Elle a cepen-
la jonction entre la rétine normale et d’œil droit retrouve une hémorragie dant présenté une récidive à 6 mois,
le staphylome inférieur (5,6). fovéolaire. L’angiographie à la fluores- nécessitant une nouvelle injection.
céine retrouve une diffusion tardive
Concernant le traitement, les recom- bien localisée, juxtafovéolaire Les néovaisseaux idiopathiques du
mandations actuelles sont de prévoir (Figure 2b), tandis que l’angiographie sujet jeune sont la deuxième cause de
une injection d’anti-VEGF, puis de au vert d’indocyanine montre un lacis NVC chez le sujet jeune, mais restent
suivre les patients selon un schéma néovasculaire dans la zone correspon- un diagnostic d’exclusion. Certains
pro re nata (PRN)(7). Les NVC du myope dante (Figure 2a). Ces éléments sont patients peuvent développer par la
fort sont en effet sensibles aux anti- en faveur de NVC de type 2, ce que suite une pathologie inflammatoire
VEGF et nécessitent, dans la plupart confirme l’OCT-angiographie, qui met chorio-rétinienne (choroïdite multifo-
des cas, moins d’injections intravi- en évidence ce néovaisseau au-dessus cale, par exemple) (8). Pour certains
tréennes que d’autres étiologies néo- du plan de l’épithélium pigmentaire auteurs, ces néovaisseaux idiopa-
vasculaires telles que la DMLA. Une (Figure 2d), avec du flux visible sur le thiques sont à considérer comme
absence de traitement est toujours B-scan correspondant (Figure 2c). secondaires à une maladie inflamma-
défavorable avec l’apparition d’une toire. D’autres pensent plutôt que c’est
tache de Fuchs, secondaire à la fibrose. La patiente ne présentant pas d’anté- le NVC qui pourrait déclencher une
cédents particuliers et le reste de maladie inflammatoire (9).
Cette patiente a pu bénéficier d’un l’examen ainsi que le bilan inflamma-
traitement par injection d’anti-VEGF
(2 injections), ce qui lui a permis de
récupérer une bonne acuité visuelle à
20/25 et une cicatrisation du néovais-
seau sans récidive à 1 an.

• La prévalence de NVC chez les


myopes forts varie entre 4 et 11 %,
selon les études, avec un risque de
bilatéralisation de 30 % à 8 ans.
• Il s’agit de la première cause de NVC
chez les sujets de moins de 50 ans.
• Première cause de cécité chez les
myopes forts avant l’arrivée des trai-
tements anti-VEGF.
• Bonne réponse thérapeutique, la
plupart du temps.

Figure 2 : a. ICGA temps précoce ; b. Angiofluo temps intermédiaire ;


c : B-scan montrant le flux intralésionnel ; d : OCT-A vue de face.

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Les néovaisseaux du sujet jeune

Le NVC idiopathique est en général


unilatéral et se déclare dans la 2e ou
3e décade. Il s’agit toujours d’un type 2.
Le pronostic est plutôt bon lorsque le
traitement par injection d’anti-VEGF
est instauré rapidement. Il est conseillé
de programmer une seule injection et
de suivre le patient selon un schéma
PRN, car ces NVC se stabilisent après
1,7 injections en moyenne (10).

• Il s’agit de la deuxième cause de


NVC chez le sujet jeune.
• Bon pronostic en cas de prise en
charge très précoce.
• Très bonne réponse thérapeutique.
• Il s’agit d’un diagnostic d’élimina-
tion, afin de ne pas méconnaître une Figure 3 : a. Angiofluo au temps tardif ; b. ICGA temps tardif ; c. Autofluorescence ; d. B-scan OCT-A ;
maladie inflammatoire rétino-choroï- e et f. OCT-A en face.
dienne.

choroïdite multifocale (12 % des NVC •


●●

●●
●●
● La choriorétinite
séreuse centrale

●●●●●●●● Les maladies
du sujet jeune) (2). Il existe un débat
pour savoir quel est l’élément causal (CRSC)
inflammatoires et quelle est la complication (9), la
chronologie n’étant pas toujours facile Un autre cas moins fréquent, mais tout
Une jeune patiente de 18 ans se pré- à mettre en évidence. Par exemple, aussi intéressant, est la complication
sente en urgence pour une baisse dans notre cas, il est impossible de néovasculaire d’une CRSC chronique.
d’acuité de l’œil droit (20/32) depuis savoir si le NVC est apparu avant le Elle est rare (2 % des cas de CRSC
quelques jours. Les examens per- MEWDS ou si le MEWDS a entraîné chronique (12)), mais il est important
mettent de diagnostiquer un syndrome l’apparition du NVC. Ce sujet reste de la détecter, car un traitement
des taches blanches évanescentes débattu, mais le traitement demeure adapté est primordial.
(MEWDS) caractérisé par de nom- consensuel, à savoir des injections
breuses taches hyper-autofluores- d’anti-VEGF afin de stabiliser le NVC Prenons le cas suivant d’un patient de
centes (Figure 3c). Ces taches (11)
. Un traitement systémique anti- 45 ans, suivi depuis des années pour
apparaissent hyper-fluorescentes aux inflammatoire est parfois indiqué dans une CRSC chronique. Nous pouvons
temps précoces de l’angiographie à la certaines choroïdites multifocales. constater au niveau de l’œil gauche un
fluorescéine, avec augmentation de la décollement sous-rétinien (DSR)
fluorescence aux temps tardifs associé à un « flat irregular pigment
(Figure 3a), associées à des taches • Une part non négligeable des NVC epithelium detachment » (FIPED
hypofluorescentes à l’ICG tardif est d’origine inflammatoire. (Figure 4b). L’OCT-angiographie per-
(Figure 3b). Une complication néovas- • La choroïdite multifocale est le plus met de mettre en évidence un NVC de
culaire de type 2, para-fovéolaire, est souvent en cause. type 1 au sein de ce FIPED (Figure 4c
mise en évidence par les angiogra- • La part néovasculaire doit être et d).
phies, ainsi que par l’OCT. traitée par injection d’anti-VEGF.
• Traiter, lorsque cela est nécessaire, La plupart des FIPED sont avasculaires,
Les choriocapillarites sont une des la maladie inflammatoire sous-jacente. et une néovascularisation de type 1 est
causes de néovascularisation secon- mise en évidence dans seulement
daire, dont la plus pourvoyeuse est la 18,9 % des cas (13) en angiographie. Une

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Les néovaisseaux du sujet jeune

• La CRSC chronique est une cause de


de NVC.
• Diagnostic difficile, même avec
l’imagerie multimodale.
• Meilleure sensibilité de l’OCT-A dans
la détection de ces NVC.
• Les NVC sont sous-épithéliaux.
• La présence d’un FIPED est associée
dans plus d’un tiers des cas à un NVC.


●●●●●●●● Conclusion
Les néovaisseaux du sujet jeune sont
Figure 4 : a. Cliché infrarouge ; b. Coupe SD-OCT montrant le FIPED ; d’origines diverses, la myopie forte
c. B-scan montrant le flux dans le FIPED ; d. OCT-A vue de face.
étant la pathologie la plus fréquem-
ment en cause. Il est important de faire
étude plus récente a montré la place cas à une complication néovasculaire, un bilan initial complet avec une ima-
intéressante de l’OCT-angiographie ouvrant la possibilité d’un traitement gerie multimodale afin de déterminer
pour détecter ces néovaisseaux, l’in- par injections d’anti-VEGF. Les carac- le contexte dans lequel est apparu ce
terprétation de l’angiographie clas- téristiques morphologiques du FIPED NVC. Le traitement de première inten-
sique étant plus délicate dans un sont importantes et peuvent nous tion repose sur les injections intra-
contexte d’hyperperméabilité choroï- orienter vers la présence d’une com- vitréennes d’anti-VEGF, avec une
dienne associée à l’atrophie de l’épi- plication néovasculaire. Ainsi, les injection initiale, puis un schéma
thélium pigmentaire. Dans cette étude, FIPED hyporéflectifs sont générale- thérapeutique en PRN afin d’injecter
la sensibilité de l’OCT-angiographie a ment avasculaires, alors que les FIPED « à la demande » et de pouvoir suivre
permis de mettre en évidence un lacis hyper-réflectifs sont avasculaires dans dans le temps le patient, initialement
néovasculaire dans 35,6 % des FIPED 44 % des cas (14). À noter que le traite- de façon mensuelle. Généralement, le
(contre 25 % pour l’imagerie multimo- ment d’un FIPED néovascularisé peut nombre d’injections est moins impor-
dale classique) (14). La présence d’un aider à la diminution du DSR, mais tant que pour les NVC de la DMLA.
FIPED est donc un signe d’alerte, n’intervient pas dans le traitement de
Liens d’intérêts : Les auteurs ne présentent pas
puisqu’il est associé dans un tiers des la CRSC à l’origine du NVC. de conflits d’intérêts en lien avec cet article.

RÉFÉRENCES
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