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Correction détaillée : commentaire du récit de Jan et Mark

Nature du texte : théâtre – dialogue


Type : narratif : Jan et Mark racontent aux autres ce qu’il s’est passé avec Adam
Registres : tragique : le récit porte sur la façon dont Adam, victime de harcèlement, finit par mourir
lors d’un « jeu » dangereux

Tout d’abord, nous allons voir que ce passage est le récit d’une scène de harcèlement .
Dans cette scène de théâtre, on voit des adolescents racontant un événement à d’autres adolescents. Les
didascalies mentionnent plusieurs personnages : Jan, Mark, John Tate, Léa, Phil. On constate que ce sont des
jeunes grâce à la présence d’un vocabulaire très oral : « Ouais » l.6, ou à des tournures familières « la
tronche » l.33, « on rigole » l.43, « taré » l.8. De plus, Phil boit du « Coca » l.59. Nous sommes donc a priori
en présence d’un groupe d’adolescents. Il est également notable qu’il n’y a aucun adulte avec eux. Nous
pouvons par ailleurs relever que, bien qu’ils soient nombreux, la parole est monopolisée par Jan et Mark : ils
prononcent la quasi totalité des répliques. Mark, plus particulièrement, va développer une tirade assez longue
de la ligne 16 à la ligne 51. Cette répartition de la parole nous indique bien qu’ici, Jan et Mark viennent
apprendre quelque chose au reste de leur groupe, qui ne les coupe jamais. Ces jeunes forment a priori un
groupe dans la mesure où ils ont des références communes , comme en témoigne par exemple la phrase :
« Tu sais le puits là sur la colline ». La présence du verbe « savoir » et des articles définis «le », « la » nous
indiquent bien que le lieu mentionné est une référence connue de tous. Enfin, les lieux qui sont mentionnés
sont des espaces extérieurs : « la colline », « l’autoroute » : ces jeunes semblent un peu livrés à eux-mêmes et
s’occupent hors de chez eux.
Ce passage établit le récit d’une scène de harcèlement physique. Les actions décrites correspondent à des
scènes de grande violence physique : le passage s’ouvre avec la phrase « On lui a écrasé des cigarettes
dessus ». Dans cette phrase la tournure « écraser des choses dessus » révèle qu’Adam est réifié (il devient
une chose, un objet). L’énumération des parties du corps où les brûlures ont eu lieu impressionne : « Sur les
bras, les mains, la tête ». La cruauté des adolescents sur ce sévice prend encore de l’ampleur lorsque Jan
complète l’énumération l.5 « et sous la plante des pieds ». Les zones brûlées sont variées et pour certaines
peu accessibles, ce qui témoigne d’un véritable sadisme et d’une recherche dans la violence. La tournure
factitive « On lui a fait traverser l’autoroute » l.7 atteste encore des conduites à risque auxquelles ils ont
soumis Adam. On retrouve cette tournure factitive au sein d’une répétition « on peut lui faire faire, on peut
lui faire faire - » l.11 « N’importe quoi » l.12 : cette répétition montre bien à quel point le groupe est grisé
par le pouvoir absolu qu’il a sur Adam. Le groupe ne réfléchit plus, électrisé par la toute puissance qu’il a sur
un individu.
Jan et Mark montrent également qu’ils ont fait subir à Adam une forme de harcèlement moral. En effet,
on constate d’abord très clairement qu’Adam est séparé du reste du groupe : au pronom « il » s’oppose un
« tous ensemble » l.9-10. La victime est donc exclue de façon délibérée. La façon de désigner les parties du
corps d’Adam, avec un vocabulaire relâché « sa tronche » l.33 montre encore bien le peu de cas qu’ils font
de leur « camarade ». Par ailleurs, ils ont soumis Adam à des défis variés mettant sa vie en danger. Le
polyptote autour du verbe « faire » : « faire faire », l.11, « il l’a fait » l.22, « il le ferait » l.23, « il l’a fait »
l.25, « il le fait » l.30 montre bien à quel point cette forme de défi est au cœur des relations qu’ils
entretiennent avec Adam, qui devient un jouet entre leurs mains. Enfin, ce harcèlement moral peut être
attesté par l’inattention aux émotions de la victime qui « pleurait » l.5 et 6 ou avait « peur » l.35. Bien loin de
sensibiliser à la cruauté de ces sévices, cela semble au contraire amuser les bourreaux.

On comprend ensuite que dans ce harcèlement, Jan et Mark tentent d’atténuer leurs responsabilités et de
minimiser les événements.
Ils essaient tout d’abord de diluer leurs responsabilités individuelles. Pour ce faire, on peut relever que
les pronoms utilisés en sujet des verbes correspondant aux violences décrites plus haut sont ceux de la 3°
personne « On lui a fait traverser l’autoroute » l.7, « quelqu’un lui balance » l.32. A aucun moment la
responsabilité d’une de ces atteintes n’est mentionnée à la première personne : ni Jan ni Mark n’endosse
individuellement la responsabilité d’une de ces actions. C’est le groupe, une somme d’individus rendus
anonymes, qui agit. De plus, dans les lignes 12 à 17, on observe la volonté de Jan de s’extraire de l’action, et
c’est dans ce passage que nous retrouvons des pronoms de 1ère et 2ème personne « J’étais pas là », « t’étais
obligé de rentrer ». Mark et Jan se complètent et se corrigent, leurs phrases s’enchevêtrent. Mark a à coeur de
souligner l’implication réelle de son camarade en le rendant sujet du verbe d’action « faire » : « t’as fait tout
le ... » afin de se dédouaner lui-même.
Jan et Mark tentent aussi d’atténuer la gravité de leurs actes en faisant passer le harcèlement pour un
jeu. Ainsi, nous retrouvons à plusieurs reprises la mention du rire provoqué par la situation . Mark complète
la première phrase de Jan avec un complément circonstanciel de but « pour rire quoi » qui donne
l’impression d’un petit jeu sans conséquence. Par ailleurs, l’emploi de verbes issus du registre de langue
familier révèle la volonté de faire passer cette cruauté pour quelque chose d’anodin et d’habituel : « en
rigolant » l.4, « on est tous à se marrer » l.26, « marrant » l.39. Jan et Mark essaient également de prendre à
témoin leur auditoire du potentiel comique de la situation qu’ils relatent « tu riais forcément là » l.34. Ici,
l’emploi de la 2° personne et de l’adverbe « forcément » atteste bien de la volonté d’inclure ceux qui
écoutent et de leur montrer qu’il s’agit uniquement d’un jeu amusant.
De façon plus insidieuse, les deux bourreaux tentent de faire d’Adam, la victime, le complice de son
harcèlement. Ainsi, la répétition du verbe « rigoler » l. 4 « En rigolant, vraiment, il rigolait aussi » montre
que selon Mark, Adam agit avec le groupe, et qu’il est dans la même dynamique émotionnelle. Cette
tentative est toutefois immédiatement contredite par Jan, qui complète les propos de Mark en formant un
chiasme et une antithèse : à « il rigolait aussi » répond « Et aussi il pleurait », révélant bien la confusion
totale de ceux qui mènent le jeu et ignore complètement la détresse de celui qu’il harcèlent. Enfin, ils tentent
d’atténuer leur responsabilité en faisant d’Adam un « taré » l.8. Cette désignation péjorative insinue
qu’Adam agit non pas selon la folie du groupe, mais selon sa folie propre. Cette stratégie verbale vise donc à
déculpabiliser ceux qui sont réellement à l’origine du drame.

On comprend que, si Jan et Mark cherchent à tout prix à minimiser la situation et à se déculpabiliser,
c’est que leur « jeu » a complètement dégénéré dans l’horreur.
La situation est tellement grave qu’elle relève de l’indicible. A partir de la l. 15, Jan ne parle plus. On
constate d’ailleurs que sa phrase reste en suspens : « J’étais pas là quand - » : l’événement est tu. S’ensuit
une tirade de Mark, marquée par divers procédés traduisant sa réticence à nommer ce qui a eu lieu : il se
répète beaucoup « marche on a pensé », « marche sur la grille » l.23-24, utilise abondamment les points de
suspension et le procédé de l’aposiopèse : « Alors tous on… On... » l.40-41 « Dans… Dans le... Alors…
Alors... » l.46-49. Tous ces procédés traduisent clairement son émotion et son incapacité à nommer (et donc à
admettre) ce qu’il s’est passé. Ne pas dire ce qui a eu lieu c’est retarder le moment où cet événement les
placera face à leur responsabilité.
Les adolescents ont clairement franchi une limite dans les sévices infligés à leur victime. Cette notion
de limite est matériellement visible par « il a escaladé la barrière » l.22 : la référence à une barrière marque
symboliquement le franchissement d’une étape dans les dangers. Le décor ancre la scène dans un univers
glauque, Mark mentionnant tout d’abord un « puits ». Il utilise la figure de l’épanorthose pour corriger sa
désignation « Enfin le grand trou là, le trou avec la grille dessus ». Cette correction éloigne d’une désignation
plutôt neutre voire positive (un « puits » soit un endroit où tirer de l’eau) pour amener à une désignation
beaucoup plus inquiétante. Cela est confirmé plus bas avec l’hypothèse « il y a peut être des centaines de
mètres de noir en dessous ». Ce lieu devient donc un univers cauchemardesque, dans lequel ils envoient
Adam comme en témoignent les nombreux verbes d’action tels que escalader », « marcher ». Adam se met
en danger le récit passe soudain au présent de narration l.26 : « il marchait sur la grille et on est tous à se
marrer ». La violence de la scène saute aux yeux du lecteur, vive et insoutenable.
Cette scène relève du meurtre perpétré collectivement. Le principe de la gradation tragique peut être
observé : après les brûlures, c’est un épisode de lynchage qui est relaté, étape par étape : « Et là quelqu’un lui
balance une pierre. Pas sur lui mais vers lui »l.31-32, « Alors on balance tous des pierres ». On passe donc
d’une action individuelle et indéfinie « quelqu’un » à une action collective : « on », « tous », sans qu’aucune
raison à ce lynchage n’apparaisse. Le groupe se livre à une exécution, mêlant horreur de l’action et décalage
par le rire que suscite cette action. La gradation finale s’accompagne d’une polysyndète : « Et sa tête, ça nous
fait rire de plus en plus, et les pierres sont de plus en plus près. Et il y en aune qui lui touche la tête. Et le
choc sur sa tête » : ici, la prolifération de la conjonction de coordination « et » marque vraiment
l’emballement, la frénésie collective à mesure qu’ils atteignent leur cible. C’est à partir de cet endroit du récit
que les phrases se disloquent complètement. Mark n’arrivant pas à le dire, c’est John Tate qui achève
brutalement le récit en complétant la phrase de Mark : « Mort. Il est mort . » On pourra noter la différence de
caractère entre les deux personnages : John Tate parle sans émotion et se projette dans l’action en employant
une question : « Alors on fait quoi ? ». Les didascalies finales mentionnent le silence qui suit cette
révélation : le groupe est est totalement choqué mais également conscient qu’il porte la responsabilité
collective de la tragédie.

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