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Prise en charge d’une plaie du pied

diabétique à risque à la phase précoce


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diabetique-risque-phase-precoce

Définition d’un pied diabétique à risque (PDR)


Les patients diabétiques ont une morphologie de pied identique à celle de la population générale
jusqu’à ce qu’ils aient des complications liées au diabète qu’on peut résumer en 3 catégories :
- la plus fréquente est la neuropathie sensitive périphérique ;
- 2 sont complémentaires : l’artériopathie et les « déformations du pied » (griffes d’orteils, pieds
trop creux, trop plats, hallux valgus, hallux rigidus, hallux en barquette, quintus varus, etc.). Une
classification du risque a été adoptée par les consensus internationaux avec 4 grades de 0 à 3
(tableau).

Les idées reçues


Chez le diabétique, de nombreuses causes de retard de cicatrisation et d’infection sont décrites
classiquement : hyperglycémie chronique, dysimmunité, susceptibilité aux infections,
microangiopathie, dénutrition, absence d’hygiène, « neutropathie » des polynucléaires, etc. — tous
problèmes où le thérapeute a souvent peu d’impact et qui sont surestimés pour expliquer la
chronicité des plaies.

Physiopathologie des plaies du PDR


La physiopathologie des plaies du PDR repose essentiellement sur une composante mécanique qui
est trop souvent occultée. Ce sont des plaies dites « de pression », composante à laquelle il faut
ajouter la dimension dynamique de tout pied qui est « fait pour marcher ». Elles surviennent au

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niveau des pieds sur des zones à risque facilement identifiables par le spécialiste : protrusion
osseuse d’hallux valgus, sommet d’une griffe d’orteil, pieds très creux, styloïde du 5e métatarsien,
ou toute autre zone d’hyperpression associée à un traumatisme chronique lié à la marche avec un
chaussage inadapté. Le rapport avec le diabète est très indirect car c’est la neuropathie diabétique
qui peut être responsable de toutes ces déformations.
La plaie devient progressivement profonde sans aucune douleur, ou survient au sein d’une
hyperkératose mécanique de pression lors de la marche.
Sur un PDR, il y a toujours une plaie initiale à l’origine de l’infection, souvent longue à se manifester,
avant de se décompenser brutalement.
L’absence de décharge de la plaie favorise son infection au niveau des parties molles, situation qui
ne commence à inquiéter le patient qu’avec l’apparition de signes locaux, loco-régionaux ou
généraux d’infection et parfois de douleurs liées à l’infection.

Causes essentielles de non-cicatrisation d’un PDR


Trois grandes causes de retard de cicatrisation sont à rechercher en premier car elles permettront
d’occulter les autres dans l’immense majorité des cas :
• L’absence de décharge. Les plaies du PDR ont une origine traumatique, externe, unique et évitable
en théorie : chaussures inadaptées, ongles « agressifs », hyperkératose, corps étrangers, marche
pieds nus, brûlures, etc. La création de la plaie, son entretien et son aggravation étant mécaniques,
il est logique que le traitement urgent soit principalement mécanique.
• L’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) est en réalité la vraie cause de retard
de cicatrisation (beaucoup plus que le diabète). Sa fréquence en cas de plaie du PDR est de l’ordre
de 50 %. Elle réalise une athérothrombose avec une histologie strictement identique à celle de
l’AOMI classique, mais touchant essentiellement les artères distales : poplitées, tibiales
antérieures, postérieures et fibulaires, tout en respectant souvent les artères du pied. La
microangiopathie souvent évoquée n’est probablement pas en cause dans le retard de cicatrisation
et la médiacalcose ne signifie pas « obstruction » mais « rigidification » de la paroi artérielle.
C’est la raison pour laquelle tout patient ayant une plaie du PDR doit avoir en semi-urgence une
exploration vasculaire par écho-Doppler artériel (EDA) décrivant précisément toutes les artères
sous-gonales et du pied. Cet examen est chronophage comparativement à un EDA classique mais,
non réalisé dans ces conditions, c’est une perte de chance du patient d’être revascularisé, alors
qu’actuellement la pratique des angioplasties sous-gonales est devenue courante, avec assez peu
de complications iatrogènes.
• L’ostéite. Toute plaie du PDR prise en charge avec retard ou incomplètement aboutira par
contiguïté à une atteinte osseuse sous-jacente. Le mécanisme est toujours une plaie de départ qui
finit par s’infecter au niveau des parties molles, surtout en l’absence de décharge de la plaie ; l’os
qui est « noyé » un certain temps dans cette infection des tissus mous finit par s’infecter par
contiguïté (voie hématogène rarissime). Cela signifie que l’infection urgente à traiter est la dermo-

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hypodermite pour éviter l’ostéite, ce qui implique aussi de mettre la plaie en décharge.
Le diagnostic d’ostéite est difficile et repose sur un faisceau d’arguments : une notion d’ancienneté
de la plaie avec des signes infectieux des parties molles qui ont pu être « refroidis » par un
traitement antibiotique, associé à une exposition osseuse à l’exploration par un stylet métallique et
des signes radiologiques évocateurs mais retardés par rapport à la clinique (rupture corticale,
géodes, lyse osseuse ou articulaire). La radiographie standard (à renouveler si nécessaire tous les
15 jours) suffit le plus souvent. Le scanner osseux et l’IRM sont à réserver aux centres spécialisés
car difficiles à interpréter et dépendant toujours du contexte clinique.

À la phase précoce de la plaie, l’ostéite n’est pas encore en cause. C’est parce que les patients sont
vus tard ou que le traitement n’a pas été effectué que l’os finit par être atteint.

Bilan d’une plaie du PDR datant de plus de 4 semaines


La plaie est rarement vue au stade très précoce (ou bien le patient sous-estime son ancienneté) en
raison de l’indolence liée à la neuropathie, présente dans 90 % des plaies du PDR. Cela nécessite
une prise en charge rapide, la plaie du PDR étant à considérer comme un phénomène aigu.

• Il est nécessaire de repérer rapidement les facteurs de risque de gravité potentielle :


– une ancienneté supérieure à 1 mois ;
– des antécédents de plaie chronique du PDR ;
– des antécédents d’amputation ;
– une neuropathie rendant indolore les plaies ;
– une AOMI ;
– la présence d’un contact osseux à l’exploration de la plaie ;
– une insuffisance rénale ou une greffe d’organe.

• Examen :
La plaie est mesurée systématiquement : longueur, largeur et surtout profondeur, avec recherche
d’un contact osseux rugueux à l’aide d’un stylet métallique boutonné stérile.
Les pouls sont recherchés car perçus avec certitude (surtout le tibial postérieur), cela diminue la
probabilité d’une AOMI sévère. La neuropathie est souvent évidente mais peut être évaluée par le
test au monofilament nylon de 10 g ou par un diapason ou le VibraTip™.
La cause mécanique de la plaie doit être identifiée pour être éradiquée immédiatement :
chaussures, ongle incarné, appui sur une plaie plantaire ou pulpaire, etc.

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L’hyperglycémie n’entraîne pas l’infection mais aggrave l’infection de la plaie préexistante.
Il faut repérer les signes d’infection clinique : rougeur, chaleur, écoulement purulent, fièvre, toujours
synonyme de gravité même à 38 °C.

Infection
L’infection du pied chez le diabétique est habituellement la conséquence d’une plaie chronique.
Celle-ci étant souvent indolore, ne bénéficie pas souvent d’un traitement médical optimal
(notamment la mise en décharge stricte en urgence), ce qui transforme un phénomène aigu au
départ en plaie chronique qui devient à haut risque d’infection des parties molles.

Le diagnostic positif de l’infection est clinique et non bactériologique. Une exploration avec
mesure de la profondeur de toutes les plaies doit être faite à la recherche d’un contact osseux,
d’une tunnellisation, d’un écoulement purulent ou d’une collection.
Il existe deux types d’infection des parties molles compliquant le pied diabétique : la
dermohypodermite bactérienne et la nécrose secondaire si le pied est ischémique. L’ostéite ne
survient que dans un second temps au sein de l’infection des parties molles.
La chaleur locale, la rougeur, l’œdème et la douleur, un écoulement purulent sont les signes
habituels d’infection, associée à une fièvre qui est un signe majeur, même à 38 °C. La fluctuence
signe la présence d’une collection purulente, la crépitation celle de la présence de gaz et d’une
gangrène infectieuse.
La nécrose signe la plaie ischémique infectée, à l’exception de la dermohypodermite bactérienne
nécrosante (DHBN) ou de la fasciite nécrosante (FN) qui surviennent souvent sur un pied non
ischémique. La part de l’infection et de l’ischémie étant très difficile à évaluer, un bilan vasculaire
précis est nécessaire pour éviter des indications d’amputation majeure trop hâtives, devant toute
DHBN ou FN.

Ischémie
Tous les stades de gravité existent et le pronostic de cicatrisation et d’aggravation dépend
beaucoup de l’ischémie.
Le tableau typique de la plaie ischémique est celui d’une ulcération traumatique plutôt sur la face
dorsale des orteils ou latérale du pied, qui s’aggrave en raison du terrain ischémique, douloureuse,
sauf en cas de neuropathie associée.
La nécrose, association d’infection des parties molles et d’ischémie, inaugure l’AOMI dans 50 % des
cas. Le mécanisme est lié à une plaie du pied ischémique même minime (taille des ongles,
frottement de la chaussure, fissure talonnière, mycose interdigitale, etc.) prise en charge
tardivement (indolence liée à la neuropathie) qui finit par s’infecter puis nécroser en raison du
milieu ischémique associé.
On distingue la nécrose sèche (avec une plaie qui évolue vers la momification), de la nécrose

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humide où la zone de nécrose est entourée d’un halo inflammatoire qui témoigne habituellement
d’une infection sous-jacente non maîtrisée. Celle-ci peut diffuser aux téguments voisins, réalisant
des abcès des parties molles et une hypodermite infectieuse, et aux tendons extenseurs avec un
risque de panaris et phlegmon des gaines mettant en danger la vitalité du membre.
En pratique, le plus simple est d’avoir un écho-Doppler artériel des membres décrivant précisément
les flux artériels mais aussi les sténoses et les occlusions de toutes les artères, notamment les
artères tibiales antérieures et postérieures et fibulaires.
L’index de pression systolique est peu fiable en raison de la médiacalcose et la TcPO2 ou la
pression du gros orteil, bien que très utiles, ne sont pas accessibles couramment.

La décharge
Alors que c’est le traitement essentiel à mettre en œuvre en urgence pour toutes les plaies du PDR
dès leur survenue, elle est très difficile à faire pratiquer par le patient qui n’a aucun symptôme
lorsqu’il marche sur sa plaie.
Pour les plaies de l’avant-pied plantaire, les demi-chaussures type Barouk sont prescrites (figure 1)
mais difficiles à utiliser ; pour les plaies du talon, les chaussures Teraheel (figure 2) ; pour les plaies
dorsales d’orteil, une chaussure Podalux (figure 3). Les bottes en résine non amovibles sont à
réserver aux centres spécialisés mais sont très efficaces en l’absence d’AOMI.

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Figure 1. Chaussure de décharge de l’avant-pied.

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Figure 2. Chaussure de décharge du talon.

Figure 3. Chaussure de décharge des orteils.

Quand a-t-on besoin d’un chirurgien ?


Le chirurgien est souvent nécessaire quand la prise en charge médicale n’est pas optimale. Les
urgences chirurgicales sont :
– la dermohypodermite nécrosante et la fasciite nécrosante nécessitant un débridement
chirurgical, sans amputation obligatoire si la prise en charge est rapide ;
– la nécrose humide douloureuse ;
– l’ischémie critique nécessitant une revascularisation.
L’ostéite n’est pas une urgence médicale ou chirurgicale.
Aucune amputation n’est une urgence chirurgicale, ce qui laisse le temps de consulter une équipe
multidisciplinaire spécialisée.

Le traitement local
Au moment de réfléchir au type de pansement, un bilan précis doit avoir été réalisé : décharge ?
AOMI ? ostéite ?

• Un pansement au sucrose octasulfate a fait la preuve de son efficacité dans une étude contrôlée
de qualité sur la cicatrisation des plaies neuro-ischémiques du pied diabétique. C’est un pansement
inhibiteur des métalloprotéases, mais qui n’a pas de rôle dans la détersion (qui doit être faite de
façon mécanique si nécessaire).
• Le padding (figure 4) : fabriqué artisanalement avec un cylindre de 2 compresses ou une petite
bande nylex de 5 cm non déroulée, posés juste en arrière de la plaie dans le pansement, le padding
est un excellent moyen de décharge des plaies pulpaires des orteils.

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Figure 4. Padding de décharge de la plaie de la pulpe du 2e orteil.

Conclusion
Les vraies causes de complexité de la prise en charge précoce des plaies du PDR sont le
retard de consultation, de diagnostic et de prise en charge optimale d’emblée, souvent liés à
la mauvaise observance qui fait le lit de la future infection du PDR.
L’absence de décharge, l’AOMI mal évaluée et l’atteinte osseuse sont les trois causes
essentielles de non-cicatrisation des PDR.
Les infections du PDR surviennent à la suite d’une plaie négligée et aboutissent à une
infection des parties molles puis secondairement de l’os.
Le rôle de l’hyperglycémie est probablement négligeable dans le retard de cicatrisation mais
elle aggrave l’infection locale.
La neuropathie est le fléau essentiel qui touche le pied diabétique car elle entraîne une
sous-estimation des plaies qui finissent par s’aggraver parfois de façon historique.

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L’avis d’un centre de référence du pied diabétique dans les 48 heures est recommandé par la
HAS depuis 2007 devant toute plaie du PDR. La multidisciplinarité est nécessaire à la prise
en charge de cette pathologie où le patient est peu demandeur de prise en charge
spécialisée. Les dimensions mécaniques, infectiologiques, osseuses, vasculaires et
métaboliques sont à appréhender dans le même temps avec des thérapeutiques multiples
pouvant être médicale ou chirurgicale.
La vision uniquement dermatologique et infectieuse qui sous-estime les dimensions
mécaniques, vasculaires et osseuses est un facteur d’échec de la prise en charge.
Le traitement d’une infection du PDR est multiple et à réaliser d’emblée de façon
concomitante : antibiothérapie adaptée, mise en décharge stricte, équilibre glycémique,
débridement local, revascularisation si nécessaire.
Le traitement d’un mal perforant plantaire neuropathique sans ischémie est simple et
efficace s’il est réalisé correctement : décharge par chaussure de décharge et pansement
gras ou UrgoStart® permettent une cicatrisation en 6 semaines maximum.
Le traitement de la plaie neuro-ischémique repose d’abord sur la décharge et la
revascularisation.
L’ensemble nécessite une prise en charge multidisciplinaire qui est efficace si elle est mise
en route rapidement mais très difficile à offrir aux patients en dehors des centres de
référence.
À la phase précoce, la véritable cause de non-cicatrisation est l’absence de prescription de
la décharge de la plaie ou sa mauvaise observance, notamment sur les PDR neuropathiques
bien vascularisés.

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