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II

Prise en charge
d’un pied
3 Signes d’appel du pied

Même en l’absence de manifestations fonctionnelles, les occasions d’exami-


ner les pieds sont fréquentes, au cours de bilans systématiques.
Dès la naissance, le pédiatre examine les pieds du nouveau-né à la recherche
d’une malformation, parfois révélatrice d’un syndrome polymalformatif.
Au cours de la scolarité, le médecin scolaire recherche habituellement un
trouble statique du rachis et des membres inférieurs pour les dépister à un âge
encore raisonnable.
À l’armée, lors de la visite d’incorporation, le médecin militaire porte une
attention particulière à l’examen des pieds dont le bon état et le bon fonc-
tionnement demeurent des conditions indispensables pour subir de longues
marches sans complication.
À l’entrée dans la vie professionnelle, certains postes de travail (station
debout permanente, piétinement) nécessitent une bonne statique podale
appréciée par le médecin du travail.
La délivrance d’une licence pour pratiquer un sport au sein d’un groupe-
ment est soumise à l’obligation préalable d’une visite d’aptitude qui
comporte toujours un examen podologique attentif. Tous les sports sollicitent
les pieds de façon plus ou moins intensive, et il est préférable de corriger
préventivement une anomalie afin de réduire les risques traumatiques.
La découverte d’un trouble statique des membres inférieurs ou du rachis
doit être complétée d’un examen podologique dans un but étiologique.
Enfin, tout bilan médical classique comprend un examen systématique des
pieds avec au minimum la recherche des pouls et l’exploration du système
nerveux.
Excepté ces situations précises, une consultation de podologie se justifie
devant l’existence d’un signe d’appel. Malgré la richesse pathologique du
pied, les motifs de consultations sont en nombre restreint, classables en cinq
groupes : les troubles de la marche, les déformations, les troubles trophiques,
les lésions dermatologiques et les douleurs.

Troubles de la marche
Une fatigabilité anormale à la marche ou un périmètre de marche limité peut
révéler une atteinte débutante de l’état général (infection, tumeur, anémie,
etc.), une pathologie locale tel qu’un trouble statique ou générale comme une
neuropathie ou une artériopathie.
Une boiterie. Seul un examen complet clinique, radiologique et biologique
permet de trouver l’origine précise de l’affection en dehors de l’amputation.
Le steppage, le fauchage, la démarche spastique, pseudo ébrieuse, talonnante,
festinante, dandinante ou hystérique imposent d’emblée un examen neurolo-
gique et la recherche d’une séquelle de lésion ostéo-articulaire. La paralysie
oriente vers une neuropathie centrale ou périphérique.

Podologie
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46 II. Prise en charge d’un pied

Une usure anormale de la chaussure. Sa rapidité d’installation ou la gêne


qu’elle entraîne doit inquiéter. Il est recommandé de surveiller l’usure des
chaussures car même pour un sujet sain, une semelle trop usée, notamment
au talon (usure complète de bon-bout), équivaut à un trouble statique. En
effet, lors de la marche, l’attaque du pas s’effectuant par le bord postéro-
latéral du talon, cette partie a tendance à s’user rapidement. Elle provoque
alors un véritable varus du talon qui peut être responsable d’entorses
à répétition ou de « crampes » dans le mollet.
L’instabilité de la cheville. Elle se manifeste essentiellement par une impres-
sion de déséquilibre lors de la marche, des douleurs ou des entorses répétées.
Chez l’enfant, les troubles de rotation du membre inférieur (pieds en adduc-
tion ou en abduction) inquiètent souvent les parents.

Gène fonctionnelle
En dehors de la marche, les activités quotidiennes privées et/ou profession-
nelles pâtissent de toute atteinte à la mobilité de la cheville et du pied : raideur,
blocage, ankylose. La lésion d’une seule articulation suffit à provoquer une
impotence. Elle oriente plutôt vers des pathologies rhumatismales ou
traumatiques.
L’amyotrophie, l’hypotonie ou à l’inverse la spasticité et les rétractions
musculo-tendineuses, surtout des muscles extrinsèques, perturbent
également la bonne mobilité du pied. Il convient de rechercher une myopa-
thie, une neuropathie ou une maladie métabolique.
Enfin, les dysesthésies souvent d’origine neurologique ont des
répercussions propres au pied. L’hyperesthésie rend le chaussage inconfor-
table voire douloureux. L’hypoesthésie aggrave les hyperkératoses
mécaniques et favorise leur évolution vers des complications cutanées
(ulcère, bursopathie).

Déformations
La raison qui conduit à examiner un pied pour une déformation dépend de
l’âge du patient.
Chez le nourrisson, toute anomalie fait craindre pour son avenir fonctionnel
et justifie la consultation d’un spécialiste. Il faut distinguer la malposition de la
malformation (cf. chapitre 7, page 103).
Chez l’adulte, une déformation peut être un motif de consultation par
simple souci esthétique, surtout chez la femme jeune. Une enquête
étiologique se justifie pour ne pas passer à côté d’un diagnostic sérieux telle
qu’une tumeur ou un rhumatisme débutant. Se méfier d’une déformation
évidente, rapide, souvent indolore chez un diabétique atteint de neuropathie,
le pied de Charcot par ostéoarthropathie n’est plus exceptionnel.
Parfois, la déformation est responsable d’une gêne au chaussage. La chaus-
sure de série ne tolère aucune saillie inhabituelle, même minime. Le conflit se
traduit rapidement par une zone de frottement excessif et une gêne à la
marche. Une déformation importante peut interdire tout chaussage de série.
3. Signes d’appel du pied 47

Ce cas n’est pas rare chez la personne âgée porteuse de simple anomalie
statique longtemps comprimée dans une tige trop étroite.
La déformation peut aussi être responsable d’un trouble fonctionnel, donc
mécanique.

Troubles trophiques
Ils se traduisent cliniquement sur la peau, les ongles, les muscles ou les ensem-
bles ostéo-articulaires.
Le tégument peut présenter un ulcère plus ou moins profond (ou escarre ou
mal perforant), une hypertrophie plus ou moins localisée (infiltration cutanée,
œdème) ou un aspect divers : peau lisse, mince et luisante ; poil cassant ou
épais ; ongle sec, friable ou dystrophique ; trouble de la sudation (dysidrose,
anidrose, hyperidrose).
Les muscles peuvent être empâtés, infiltrés ou amincis (amyotrophie).
L’atteinte ostéo-articulaire peut se traduire sur une radiographie par une
déminéralisation des os, un pincement des articulations ou une lyse osseuse.
Ces lésions peuvent entraîner des fractures spontanées, des luxations notam-
ment métatarsophalangiennes ou une modification de l’aspect du pied (rac-
courcissement, effondrement de la voûte médiale).

Lésions dermatologiques
Les problèmes dermatologiques, hormis les troubles trophiques, sont très
fréquents et variés : verrue plantaire, onychocryptose, cor, durillon, infection
bactérienne, mycosique ou parasitaire, tumeur maligne ou bénigne, plaie,
hématome, ulcération, etc. Leur existence est facilement dépistée par le
patient. Un avis dermatologique doit être demandé, surtout en cas de sus-
picion de mélanome. En revanche, toute lésion d’origine mécanique doit être
prise en charge par un spécialiste du pied.

Douleur
C’est le motif de consultation le plus fréquent. Beaucoup d’affections du pied
se traduisent par des douleurs à un stade plus ou moins tardif. Les douleurs
aiguës et invalidantes et les douleurs persistantes sont les plus mal supportées
et amènent généralement à consulter. Inconsciemment, de nombreux
patients craignent que ces douleurs annoncent une pathologie qui va leur
interdire la marche et les condamner à la chaise roulante. Il faut rapidement
écarter cette éventualité et en informer le patient afin d’éviter toute
pérennisation.
Il faut se méfier de toute douleur du pied d’étiologie inconnue. En revanche,
il est logique de ne pas s’inquiéter devant une douleur compréhensible
comme celle qui survient au port de chaussures neuves pendant les premiers
jours.
Anesthésie et hypoesthésie. Chez les patients ayant une perte de sensibilité
superficielle et/ou profonde (neuropathie, insensibilité congénitale, etc.),
48 II. Prise en charge d’un pied

l’absence du signal d’alerte douloureux masque la gravité et l’apparition de


complication et aboutit parfois à l’amputation.

Interrogatoire podologique
La synthèse d’indices recueillis lors de l’interrogatoire guidé par le motif de
consultation oriente directement le diagnostic.
Quel que soit le signe d’appel, il faut préciser :
n l’âge de survenue des premiers symptômes ;
n la localisation (bilatéralité, symétrie) ;
n le mode de début ;
n les circonstances d’apparition (nouvelle paire de chaussures, traumatisme,
prise d’un médicament, acte médical) ;
n l’évolution des symptômes depuis leur apparition jusqu’au jour de la
consultation ;
n le retentissement fonctionnel : le pied étant utilisé dans la plupart des
activités de la vie quotidienne, préciser la gêne engendrée, le périmètre
de marche, la gêne lors du port de chaussures, de la conduite automobile, la
pratique d’un sport, l’activité professionnelle, etc. ;
n le contexte pathologique. La consultation podologique est un acte médical
à part entière : noter les antécédents héréditaires, les antécédents person-
nels médicaux et chirurgicaux qu’ils aient un rapport direct ou non avec les
pieds ou l’appareil locomoteur ; les antécédents veineux, neurologiques,
métaboliques, dermatologiques, rhumatologiques, les traitements en
cours, etc. ;
n les traitements essayés et leur effet : médicaments, infiltration,
mésothérapie, physiothérapie, médecine douce, kinésithérapie, etc. Il faut
préciser les interventions chirurgicales subies (date, technique, suites
opératoires, résultat) et les essais éventuels d’orthèses (type, tolérance,
durée, résultat) ;
n l’influence des chaussures : type de chaussures portées, pointure et largeur,
hauteur du dénivelé, cambrure, rapport avec la pathologie, usure,
déformation.
Dans le cas d’une douleur. Les éléments d’orientation sont encore plus
nombreux. Plus le réseau nerveux est dense plus la douleur peut être
localisée avec précision (peau, vaisseaux, tendon, ligament, os sous chondral,
périoste). Chaque douleur présente des caractères propres à l’innervation du
tissu lésé.
Caractéristiques de la douleur :
n ancienneté ;
n mode d’installation : brutal, progressif, par accès ;
n circonstance déclenchante : spontanée, traumatisme, port de chaussures,
etc. ;
n topographie : siège et irradiation, uni- ou bilatéralité et symétrie. Une
podalgie est souvent bien localisée grâce à un critère anatomique : talon
(talalgie), tarse (tarsalgie), plante du pied (plantalgie), métatarse
(métatarsalgie), orteil, sésamoïde, en précisant parfois dorsale ou plantaire ;
3. Signes d’appel du pied 49

n irradiations : ascendantes, distales ;


n facteur déclenchant ou qui la modifie : marche, port de chaussures,
orthèse, saut, position du pied, geste professionnel ou sportif, massage,
météo, médicament, etc. ;
n rythme : horaire mécanique (à l’effort, dérouillage matinal de moins de
5 min, dans la journée, sédation au repos), inflammatoire (dérouillage de
plus de 30 min, réveil nocturne, diminution au cours de la journée) ou mixte
(irrégularité) ;
n fréquence et durée des crises ;
n type : nociceptive mécanique ou inflammatoire, neuropathique (ques-
tionnaire DN4), mixte, psychogène, idiopathique ;
n vocabulaire descriptif : brûlure, étirement, écrasement, décharge électrique,
crampe, fourmillements, piqûre, impression de « marcher sur les os », de
froid, de chaud, paresthésie ;
n intensité : elle est difficile à évaluer de façon verbale. Elle peut être appréciée
par une échelle visuelle analogique (EVA, cotation de 0 à 10) et indirecte-
ment par le degré de la gêne fonctionnelle (marche avec ou sans canne,
boiterie) et le nombre de comprimés avalés pour lutter contre la douleur ;
n facteurs associés locaux (œdème, déformation articulaire, modification de
couleur ou de température des téguments), régionaux (attitude vicieuse,
paralysie, déficit sensitif) ou généraux (fièvre, asthénie, anorexie,
amaigrissement) ;
n retentissement familial, professionnel (arrêt de travail), social ;
n traitement actuel et différents traitements essayés avec leurs résultats ;
n bien préciser les rapports douleur-chaussure.

Remarques
Les éléments absents ont parfois autant d’importance que les éléments
positifs.
La localisation de la douleur est un bon critère d’orientation.
Le rythme de la douleur obéit rarement aux concepts classiques : douleur
mécanique réveillée ou augmentée par l’action et calmée par le repos ; dou-
leur inflammatoire soulagée par le mouvement qui échauffe et libère les
articulations lésées et qui s’exprime au repos, surtout dans la deuxième
moitié de la nuit, réveillant le malade. Au pied, une maladie inflammatoire
peut s’apaiser la nuit et s’exprimer le jour à la suite d’une charge imposée lors
de l’appui et par la contrainte des chaussures. Inversement, un trouble
mécanique peut entraîner une pseudo-inflammation des parties molles par
frottement, compression ou surcharge et continuer à se manifester au repos.
Bien sûr, une douleur insomniante oriente d’emblée vers une étiologie
organique, généralement infectieuse, rhumatismale ou tumorale.

Échelle de qualité de vie


Toute étude scientifique anglosaxone comporte une échelle de qualité de vie,
basée sur des questions relativement précises posées au patient. Elle vise
à fournir au praticien l’information la plus objective possible sur la gêne
50 II. Prise en charge d’un pied

ressentie par le patient et sur l’efficacité des thérapeutiques utilisées.


Malheureusement, il n’existe aucune échelle podologique validée en
France. Nous essayons au sein de la Société Française de Médecine et
Chirurgie du Pied, de mettre au point une telle échelle. En attendant, nous
proposons notre échelle personnelle (tableau 3.I).

Tableau 3.I
Échelle de qualité de vie en cas de pathologie du pied
Items/score 0 1 2 3
difficulté des aucune quelques quelques plus de
premiers pas secondes minutes 30 minutes
(dérouillage
matinal)
la marche sans gêne douleur boiterie marche
impossible
la station sans gêne piétinement limitée impossible au-
debout pénible delà de
30 minutes
les escaliers sans difficulté douleur en douleur en évités
montée descente
au repos aucun paresthésies douleurs insomnies
symptôme
aspect sans objet gêne pied nu gêne pied gêne
esthétique chaussé obsessionnelle
la conduite sans gêne gêne trajet limité en abandonnée
automobile ou intermittente durée
vélo
pratique d’une toute activité course ou saut limitée activité sans
activité possible perturbés déplacement
sportive
instabilité de inexistante entorses lors entorse à la entorses
cheville d’activité marche sur sol à répétition sur
sportive meuble tous types de
sol
soins de sans objet 1 à 2 fois par mensuels efficacité de
pédicurie an quelques jours
port d’orthèse sans indication efficacité sans effet sur la inefficace
plantaire transitoire douleur
chaussage standard aménagé thérapeutique orthopédique
de série
semelle sans objet fine et rigide fine et souple épaisse et
antalgique souple
SCORE (0 à 39) Inconfort si score supérieur à 15
3. Signes d’appel du pied 51

À retenir

La douleur est le principal signe fonctionnel d’une souffrance du pied. Dans


un grand nombre de pathologies, l’interrogatoire détaillé oriente d’emblée
vers le bon diagnostic.
Un cas peu fréquent doit toujours rester présent à l’esprit : la neuropathie
sensitive sans signe fonctionnel qui à elle seule justifie un examen
systématique des pieds de tout patient.
Un cas particulier propre au pied concerne tous les symptômes en rapport
avec un chaussage inadapté.

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