Vous êtes sur la page 1sur 4

Pour en finir avec le SWOT !

Article publié dans la revue Praxis, N°2, novembre 2019, p. 18-21.

Eric Milliot

Quand nous parlons de stratégie avec des chefs d’entreprise, nous constatons que la matrice
SWOT est considérée comme un outil de référence, voire comme le principal outil du champ
disciplinaire. Cette matrice, qui associe directement le diagnostic interne (Strengths [forces],
Weaknesses [faiblesses]) et le diagnostic externe (Opportunities [opportunités], Threats
[menaces]), est présentée comme un outil fondamental pour définir la politique de
développement d’une entreprise. Dans les faits, nous observons que l’application de ce cadre
d’analyse peut engendrer des décisions regrettables. En effet, le SWOT est source de myopie
stratégique. Il ne permet pas de répondre, sur la seule base du potentiel d’action de l'entreprise
considérée, aux conditions évolutives de l'environnement externe d’un domaine d’activité
particulier.

Un outil source de myopie stratégique


Le SWOT a été développé par Albert Humphrey (2005) au sein du Stanford Research
Institute (SRI) au cours des années 1960. A l’origine, ce cadre d’analyse s’intitulait SOFT
(Satisfactory [sources de satisfaction], Opportunity [opportunité]; Fault [sources de panne],
Threat [menace]). Ce n’est qu’en 1964 que l’acronyme SWOT fût adopté. Au départ, cet outil
visait à identifier les raisons de l’échec de certains plans stratégiques. Il semblait alors
pertinent de mettre dos à dos deux diagnostics de nature très différente : le diagnostic externe
(axé sur l’environnement) et le diagnostic interne (axé sur l’entreprise). Si nous simplifions la
logique opérationnelle de l’outil, il s’agissait :
- de repérer les forces de l’entreprise étudiée pour saisir les opportunités et faire face
aux menaces d’un contexte d’affaires particulier ;
- de limiter les effets des faiblesses de l’entreprise face aux menaces environnementales
non maîtrisées.
La simplicité de ce cadre analytique est séduisante, mais cette simplicité occulte bien souvent
les profonds défis à relever dans un contexte fortement concurrentiel. En effet, les diagnostics
externe et interne sont bien complémentaires, mais ils ne peuvent généralement pas être
associés sans analyses intermédiaires. Leur juxtaposition engendre une myopie car les liens
qui les unissent sont majoritairement indirects. Donnons deux exemples.

1
- Si la corruption (menace pour certains, opportunité pour d’autres) est une
caractéristique de l’environnement dans lequel est plongée l’entreprise, comment peut-
on utiliser le seul diagnostic interne pour répondre précisément à cette situation ?
- Si les forces et les faiblesses de l’entreprise sont à prendre en considération pour
répondre aux pressions concurrentielles, comment peut-on mobiliser ces
caractéristiques pour positionner l’organisation sur un marché évolutif ?
Il faut, pour que la démarche d'ensemble ait un sens stratégique, insérer entre le diagnostic
externe (OT) et le diagnostic interne (SW) deux niveaux d’analyse intermédiaire :
l’identification du contexte concurrentiel et l’évaluation de l'intensité concurrentielle.
Reprenons ces deux niveaux d’analyse.

L’identification du contexte concurrentiel


A la suite du diagnostic externe, les dirigeants doivent se focaliser sur trois éléments méso-
environnementaux.
- Le premier concerne la nature des défis concurrentiels auxquels l’entreprise est
confrontée. Si nous reprenons les travaux du Boston Consulting Group (1980), il s’agit
de savoir si le secteur étudié permet de dégager des avantages concurrentiels potentiels
forts/faibles et si le nombre de plans mobilisables pour les développer sont
nombreux/limités. L’environnement concurrentiel ainsi identifié permet de
présélectionner les stratégies de marché adaptées. Par exemple, un environnement
caractérisé par la nécessité d’avoir d’importants volumes de production invitera à
développer une stratégie de domination par les coûts.
- Il convient ensuite de s’intéresser aux facteurs contraignants sectoriels (FCS, connus
sous l’appellation facteurs clés de succès1) que les acteurs doivent prendre en
considération pour espérer être pérennes sur un marché déterminé. L’analyse de ces
facteurs (maitrise des technologies clés, respect des normes techniques en vigueur,
adaptation aux valeurs culturelles locales…) permet bien souvent d’apprécier
l’évolution possible de l’environnement concurrentiel.
- Il s’agit, enfin, de s’intéresser aux forces environnementales externes qui peuvent
impacter le jeu concurrentiel du secteur dans lequel l’entreprise est impliquée. Ces
forces sont : le pouvoir de négociation des fournisseurs et des clients, les menaces que
représentent les produits substituables et les concurrents potentiels, et les logiques de

1
Nous ne retenons pas cette appellation car elle est source de confusion. En effet, il ne s’agit pas ici de
développer des facteurs potentiellement sources de succès ; il s’agit de maîtriser, sous peine d’échec, les
conditions de fonctionnement au sein d’un secteur.

2
discrimination qui émanent des systèmes politico-légaux et socio-culturels (adaptation
des travaux de Porter, 1980).

L’évaluation de l’intensité concurrentielle


Allant toujours plus en profondeur dans l’analyse, il faut ensuite mesurer la pression
concurrentielle que subit, sur un marché particulier et pour une activité stratégique
déterminée, l’entreprise. Concrètement, cette phase consiste à associer séquentiellement trois
outils stratégiques.
- Le premier concerne l’identification du degré de maturité du secteur d’activité
considéré. Comme pour le cycle de vie d’un produit, il s’agit de savoir si le secteur est
en phase de démarrage, de développement, de maturité ou de déclin.
- Ce degré de maturité va conditionner le positionnement stratégique des forces en
présence. Ce positionnement s’apprécie par le biais de cartes qui permettent de
mesurer précisément les différences stratégiques entre concurrents. Ces cartes sont
structurées en croisant deux à deux des variables clés (nombre de gammes de produits,
nombre de produits au sein d’une gamme, degré de maitrise technologique…). Elles
permettent de repérer les groupes d’acteurs, aux caractéristiques similaires, qui
développent sur un marché ciblé des plans d’actions identiques ou particulièrement
proches.
- Le degré de maturité va également impacter les barrières sectorielles à la mobilité. Ces
barrières, érigées par les entreprises déjà impliquées, peuvent décourager des
concurrents potentiels d’entrer sur le marché visé (niveau d’investissements
nécessaires, circuits de distribution verrouillés, forte réputation des entreprises déjà
présentes sur le marché…) ou dissuader les acteurs déjà engagés de sortir du secteur
considéré (respect de contrats non échus, évitement de licenciements, amortissement
d’équipements industriels coûteux mais à faible valeur vénale…).

Pour remplacer la matrice SWOT, nous proposons ainsi une démarche séquentielle
caractérisée par l’articulation en entonnoir de quatre phases. En ajoutant deux paliers, cette
démarche permet de comprendre comment le passage analytique se fait entre les macro-,
méso- et micro-environnements d’une entreprise. Comme la figure ci-après l’illustre, il y a
désormais toujours un niveau d’analyse commun entre deux phases.

3
Macro-environnement
Diagnostic
externe Méso-environnement

Méso-environnement
Contexte
concurrentiel

Méso-environnement
Intensité
concurrentielle Micro-environnement

Micro-environnement
Diagnostic
interne

Ce cadre d’analyse multi-niveaux permet d’identifier, de manière progressive et structurée, les


nombreux enjeux enchevêtrés qui caractérisent les contextes externe et interne d’une
entreprise. Il permet notamment d’apprécier méthodiquement les conditions d’intégration sur
un marché particulier. Après avoir été testée dans différents contextes, cette approche est
aujourd’hui adoptée par des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs en France et à
l’étranger. Elle permet, en articulant précisément les analyses à mener, de préparer de manière
ordonnée et rigoureuse les plans d’actions stratégiques d’une entreprise.

Références bibliographiques

Boston Consulting Group (BCG) (1980) in Rue L.W., Holland P.G. (1986), Strategic
Management: Concepts and Experiences, McGraw Hill, New York.
Humphrey A. (2005), « SWOT Analysis for Management Consulting », SRI International
Alumni Association, Newsletter, December 2005, p. 7-8.
Porter M. (1980), Competitive Strategy: Techniques for Analyzing Industries and
Competitors, Free Press, New York.

Vous aimerez peut-être aussi