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Publications de l'École française

de Rome

« Nova construere sed amplius vetusta servare » : la réutilisation


chrétienne d'édifices antiques (en Italie)
Jan Vaes
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Vaes Jan. « Nova construere sed amplius vetusta servare » : la réutilisation chrétienne d'édifices antiques (en Italie). In:
Actes du XIe congrès international d'archéologie chrétienne. Lyon, Vienne, Grenoble, Genève, Aoste, 21-28 septembre
1986. Rome : École Française de Rome, 1989. pp. 299-319. (Publications de l'École française de Rome, 123-1-3);

https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1989_act_123_1_3460

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JAN VAES

«NOVA CONSTRUERE SED AMPLIUS VETUSTA SERVARE»


LA RÉUTILISATION CHRÉTIENNE D'ÉDIFICES
ANTIQUES (EN ITALIE)

Au cours du dernier siècle, l'archéologie a mis au jour un


patrimoine monumental énorme. Ceci a trop souvent provoqué une
fragmentation de la discipline et les résultats des fouilles et des recherches ont
fait l'objet trop souvent de recherches isolées. Ainsi, la réutilisation
chrétienne d'édifices antiques n'a pas été suffisamment examinée. Ceci
est dû, entre autres, au manque d'attention portée à la continuité
historique des sites et monuments. Cependant, depuis quelques décennies,
on constate de plus en plus que le phénomène n'est pas rare et ne peut
pas être qualifié de marginal. De temps à autre, un appel est lancé pour
investir cette «terre inconnue». Sous la direction du professeur
L. Reekmans j'ai réussi à réunir les données concernant 1400 églises
paléochrétiennes, paléobyzantines et du haut Moyen Age, érigées dans
ou sur des constructions antiques (près de 600 en Italie et environ 800
dans les autres régions de Yorbis christianus antiquus). En me limitant
aux seuls diocèses de l'Italie, j'ai d'abord établi un catalogue raisonné
détaillé : pour chaque cas, j'ai examiné comment l'édifice antique se
présentait avant d'être réutilisé, quelle était sa fonction, à quelle date il
fut construit et jusqu'à quand il a été utilisé en tant que tel. Ensuite, j'ai
essayé d'établir comment et quand il fut transformé, et pour quels
objectifs chrétiens. J'ai toujours accordé une attention particulière au
contexte topographique de chaque monument. A propos de chaque cas
envisagé, j'ai fait un dessin de reconstitution isométrique sur calque, en
indiquant en noir, l'édifice antique et, en rouge, les adaptations
chrétiennes. Maintes fois, j'ai dû me fonder sur mes propres mesures et
observations sur le terrain1.

1 II est évident que je dois traiter ici le phénomène sommairement, en me limitant à


quelques conclusions provisoires de mon étude, en épargnant au lecteur de longues
références bibliographiques et en réduisant le matériel d'illustration au minimum.
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*
* *

II est généralement admis que des habitations (insulae, villae,


domus) ont été réutilisées sur une grande échelle. Il suffit de se rappeler
l'église de Doura Europos et la nomenclature des édifices cultuels pré-
constantiniens (domus ecclesiae, dominicum, titulus, oikos ekklesias)
pour s'assurer que c'est cette catégorie de constructions antiques qui
fut prise en premier lieu en considération. Après la Paix de l'Eglise, on
transforme toujours des habitations du type insula et domus, mais ce
sont les villas rurales qui sont devenues les plus attrayantes. Parfois, il
s'agit de l'oratoire privé du propriétaire, mais le plus souvent il s'agit
de chapelles, églises, pievi et couvents, construits sur des latifundia
tombés en désuétude. En outre, il est surprenant de constater qu'un
grand nombre d'abbayes influentes ont été érigées en Italie dans et sur
des villas : pensons à Subiaco, au fameux Lucullianum de Naples, au
non moins notoire monasterium vivariense sive castellense de Cassiodo-
re. Ces exemples ont été suivis jusqu'au haut Moyen Age, par exemple à
Grottaferrata, San Vincenzo al Volturno, Farfa, Licenza, etc. Le fait
qu'à plusieurs reprises on ait utilisé des complexes et salles palatines
pour des fonctions ecclésiastiques prouve que les plus hautes autorités
ne renonçaient pas à ce système de construction2.
En général, quand les chrétiens réutilisent des basiliques publiques
ou privées, peu d'aménagements doivent être effectués3. A vrai dire, ces

Dans cette contribution, les dessins sont monochromes. Dans certains cas je présente
les deux phases de construction séparées, dans d'autres les dessins isométriques
montrent le plan des adaptations chrétiennes en hachures et celui du bâtiment antique en
noir.
Je ne peux que renvoyer le lecteur à un article, dans lequel j'ai présenté plus de
matériel, une vaste bibliographie, plus de nuances et à peu près 80 dessins de
reconstitution isométriques (en couleurs sur calque) : J. Vaes, Christliche Wiederverwendung antiker
Bauten : ein Forschungsbericht (L. Reekmans zum 60. Geburtstag gewidmet), in Ancient
Society, 15-17 (1984-1986), p. 305-443, article qui peut être commandé au Prof. H. Verdin,
Departement Klassieke Studies, Faculteit Letteren en Wijsbegeerte, Blijde Inkomststraat,
21, à 3000 Leuven (Belgique).
2 Par exemple, l'église de Santa Croce in Gerusalemme dans le Palatium Sessorianum,
le baptistère et l'oratoire récemment découvert dans le complexe du Latran, la chapelle
palatine de Saint-Césaire sur le Palatin, tous à Rome.
3 Par exemple à Bolsena, Fasano, Cosa, etc.
RÉUTILISATION CHRÉTIENNE DES ÉDIFICES ANTIQUES 301

constructions profanes répondaient de manière optimale aux exigences


liturgiques : une ou plusieurs nefs existaient déjà, ainsi que, dans bon
nombre de cas, une abside ou exèdre pouvant faire fonction de
«chœur».
Durant la période paléochrétienne et celle du haut Moyen-Age, un
grand nombre de constructions thermales ont également été
remployées.
C'est ainsi que l'église de Santa Pudenziana à Rome est installée
sur une salle thermale à trois nefs. Comme la nef centrale de cette salle
donnait des deux côtés sur une exèdre peu profonde, une nouvelle
abside ne fut pas prévue. Il fallut toutefois démolir une de ces exèdres afin
de rallonger les nefs, alors que les fenêtres de l'autre furent murées
(fin du IVe siècle).
L'église de Santa Maria della Rotonda à Albano montre que des
constructions à plan central étaient également transformées de façon
ingénieuse. Elle utilise une salle thermale circulaire des Castra Albana
inscrite dans un espace carré. Des thermes ont été réutilisés
pratiquement de la même façon à Catane (Santa Maria della Rotonda) et à
Cassino (probablement San Matteo).
Des citernes antiques, transformées en espaces cultuels chrétiens
constituent une catégorie «spectaculaire». Je ne cite, du catalogue que
j'ai établi, que la chapelle de San Michele sur Capri, l'oratoire
paléochrétien de Santa Restituta de Lacco Ameno (Ischia), les cryptes de San
Cleto à Ruvo di Puglia et de Santa Lucia à Marino, la chapelle de San
Cassiano à Todi, tous aménagés dans des citernes, et, pour terminer, la
piscina limaria sous la cathédrale d'Atri. Par le passé, on a déjà signalé
le rapport entre les baptistères et les constructions hydrauliques
antiques : des nymphées, thermes et peut-être même une horloge à eau
monumentale (la «Tour des Vents» à Athènes) ont été réutilisés comme
baptistères.
Dans un certain sens, il est étonnant que des édifices de spectacle,
odéons, stades, cirques et amphithéâtres, aient subi le même sort,
quand on considère le fait que beaucoup de ces édifices ont conservé
leur fonction durant la période du Bas-Empire et que les Pères de
l'Eglise ont stigmatisé les représentations qu'on y donnait comme
pompa diaboli. Cependant, bon nombre de ces constructions ont été
employées comme églises à ciel ouvert ou des chapelles et des oratoires,
voire des monastères y ont été érigés. Dans certains cas, leur origine
peut être expliquée par l'existence d'un culte de martyrs locaux. C'est
ainsi que le sanctuaire de Sant'Agnese in Agone fut érigé dans l'une des
302 JAN VAES

entrées du stadium Domitiani à Rome. D'autre part, il est possible que


les chrétiens aient consciemment choisi ces constructions, parce que,
dans l'Antiquité, elles étaient pourvues d'un sacellum ou d'un temple
consacré à Dionysos Vénus, ou Némésis. Les oratoires de Santa Maria
Grottapinta et de Santa Barbara furent ainsi implantés dans le théâtre
de Pompée à Rome et, d'après toute vraisemblance, c'est aussi ainsi que
la chapelle des Santi Siro e Libera fut construite sur les soubassements
du théâtre de Vérone. En Italie, à l'époque lombarde, beaucoup
d'amphithéâtres ont été transformés en forteresses. Certaines chapelles,
aménagées dans ces constructions, ont sans doute servi de chapelle de
garnison. En nous limitant aux seuls diocèses de l'Italie, des oratoires
ont été élevés dans l'amphithéâtre de Capoue, dans celui de Todi (S.
Nicola de Cryptis) ainsi qu'un monastère dans l'arène de Rimini (Santa
Maria in turre muro). Dans l'amphithéâtre d'Albano, une chapelle fut
établie dans le deuxième corridor de droite du vomitoire occidental
(XIe siècle). Dans les parois des corridors adjacents étaient taillées des
rangées de loculi qui donnaient à l'amphithéâtre l'aspect d'une
catacombe en surface. Un aménagement chrétien identique a été effectué
au Ve siècle dans l'amphithéâtre de Salone, et dans une des entrées de
l'arène de Carnuntum, ce qui prouve que des solutions - solutions-types
pour ainsi dire - semblables connaissent une grande diffusion dans le
temps et dans l'espace.
Même les constructions militaires n'échappaient pas à la «fureur»
chrétienne de construire. C'est ainsi que l'église de Santa Maria Antiqua
sur le Forum Romanum à Rome fut, selon toute vraisemblance,
aménagée dans un édifice faisant office de prétoire de la garde impériale (VIe
siècle). Toujours à Rome, sur le Champ de Mars, quelques pièces du
Catabulum (écuries des messageries impériales) (?) furent réaménagées
en baptistère de l'église paléochrétienne de San Marcello.
En fin de compte, aucune structure architecturale antique n'était
trop exiguë pour la nouvelle religion. L'ingéniosité, la créativité et
parfois même l'audace technique avec lesquelles les architectes de la
période paléochrétienne et du haut Moyen Age en ont tiré parti sont
remarquables. Ainsi des églises furent-elles fréquemment érigées contre les
remparts de la ville, soit parallèlement, soit perpendicularement de
telle façon que la nef se trouve d'un côté, l'abside de l'autre, de sorte que
ce qu'on appelle l'«arc triomphal» devait être taillé dans la muraille
antique. A Rome, un oratoire fut construit par-dessus une rue ou ruelle
antique en utilisant les édifices situés de part et d'autre : il s'agit de
l'oratoire dit du Monte della Giustizia à côté de X agger servien : on cons-
RÉUTILISATION CHRÉTIENNE DES ÉDIFICES ANTIQUES 303

truisit l'abside en travers, au-dessus de la rue. Le même principe fut


appliqué au début du Ve siècle à Ostie, où la basilique à deux nefs fut
érigée au-dessus d'une rue latérale du decumanus. A Pavie, durant le
haut Moyen Age, la chapelle de San Saturnino in Ponte Vecchio fut
construite sur le pont romain au-dessus du Ticino, tandis que les
chevaliers de Malte ont élevé à Acquasparta (Ombrie) l'église de San
Giovanni de Butris sur deux arcades d'un pont de la Via Flaminia. Il est vrai
que cette église date du XIVe siècle, mais il est probable qu'elle a
remplacé une église plus ancienne. On consacra à la Vierge un pont, dédié
à l'origine au persécuteur des chrétiens par excellence, Dioclétien, et
qui relie à Lanciano deux quartiers par-dessus un petit ravin. Sur ce
pont fut établie plus tard Santa Maria del Ponte.

La petite église de Santa Giustina in capite porticus à Ravenne,


illustre peut-être le mieux le fait que des propylées, des constructions
du type stoa et des portiques furent réaménagés à des fins liturgiques :
au VIe siècle, on construisit une abside entre les murs et les colonnes à
l'extrémité d'un porticus du Bas-Empire. Dans le même bâtiment se
dressa encore l'ecclesia Sancii Georgii de porticibus. La cathédrale
d'Ephèse, qui fut aménagée dans une stoa monumentale, prouve que ce
ne sont pas exclusivement des édifices cultuels plus petits qui ont été
implantés dans ce type de constructions.
Il faut remarquer que de nombreuses diaconies ont été installées
dans des magasins des services de l'Annona impériale (horrea). Les
constructions utilitaires conservèrent, ce faisant, la plupart du temps
leur fonction originelle, alors que le sacellum pour le genius loci fut
remplacé par un oratoire diaconal. Parmi les exemples connus, citons
les diaconies de Santa Maria in Cosmedin, probablement installée dans
la Statio Annonae, de Santa Maria in Via Lata et de San Teodoro.
Les chrétiens ont aussi réutilisé à grande échelle des constructions
funéraires comme lieux d'inhumation, mais surtout pour
l'aménagement de chapelles et d'églises. A la campagne, beaucoup d'hypogées
italo-étrusques, grecs, puniques et romains furent employés comme
cimetière chrétien ou pour en faire soit des chapelles, soit des cryptes.
La dernière catégorie de monuments incorporés par les chrétiens
dans leur patrimoine architectural est constituée par les temples et
leurs temenoi. Dans la plupart des cas, il y a un laps de temps
relativement long entre l'agonie du culte païen et la reprise chrétienne du
sanctuaire. Bien que l'on apprenne, par les sources littéraires, que des
pratiques d'exorcisation précédaient souvent la christianisation comme
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une sorte de désacralisation, une véritable motivation anti-païenne est


plutôt rare. Ces pratiques provoquaient très souvent des dévastations,
allant de la destruction de sculptures païennes jusqu'à la démolition de
l'élévation du temple, avec comme conséquence que, souvent, seules les
fondations ou les plate-formes de temples étaient réutilisées. Çà et là,
dans les monuments mêmes, on peut toujours retrouver des traces de
ces ravages intentionnels. Toutefois, elles manquent dans de nombreux
cas, ou bien il s'agit d'une destruction superficielle ou symbolique, en
tout cas qui n'est pas générale. Il suffisait de désacraliser le temple
pour pouvoir le remployer. En effet, tout comme les constructions
profanes, les anciens sanctuaires étaient très intéressants du point de vue
de l'architecture et du matériau. En outre, ils constituaient un
environnement familier pour la population partiellement ou récemment
christianisée. Nous avons l'impression que le clergé local tirait souvent parti
de cette situation4. C'est ainsi qu'on a essayé de sauvegarder l'aspect
extérieur familier des sanctuaires païens, leurs péristases, façades ou
pronaoi. A plusieurs reprises, une abside fut maçonnée contre les
colonnes du pronaos, mais de l'intérieur, de sorte qu'elle fût à peine
visible. Parfois, on se limitait à ôter les sculptures les plus offusquantes
comme celles du fronton, comme nous le montre d'une manière
manifeste l'aménagement de l'église de San Paolo Maggiore dans le temple
des Dioscures de Naples. Il ressort en effet de l'examen des différentes
reproductions et descriptions de la Renaissance que seules les
sculptures de Castor et Pollux furent supprimées du fronton, alors que les
autres continuaient à remplir leur rôle décoratif. Quand, au début du
Ve siècle, la cathédrale de Trieste (plus tard San Giusto) fut construite à
l'emplacement du capitole, le pronaos monumental du temple fut laissé
intact. Le décor familier continuait à dominer la ville. A ce propos, il
vaut la peine de mentionner que, dans certains cas, l'église était dédiée
à un saint ayant les mêmes attributs ou qualités que l'ancienne
divinité5.

4 C'est ainsi que pour le territoire anglo-saxon, Grégoire le Grand conseillait «de ne
pas détruire les temples, mais seulement les sculptures des faux dieux qui s'y trouvent. . .
car, quand ces édifices sont bien construits, on doit les faire passer de l'idolâtrie au culte
du Vrai Dieu, pour que les gens, qui ne verraient pas ainsi leurs temples dévastés, se
convertissent plus facilement et afin qu'après leur conversion au Vrai Dieu, ils se
réunissent dans les lieux qu'ils connaissent» (Grégoire, Epist., XI, 56 et 76).
5 Saint Georges succède de préférence à Mars, le Sauveur à Apollon, la Sainte Vierge
à Athéna ou Vénus; les Saints Corne et Damien, Pierre et Paul sont les successeurs élus
des dioscures, d'Auguste et Rome, etc.
RÉUTILISATION CHRÉTIENNE DES ÉDIFICES ANTIQUES 305

Les systèmes architecturaux conçus par les chrétiens pour


transformer d'anciens sanctuaires en églises à part entière témoignent non
seulement d'un haut niveau d'adaptabilité, mais aussi d'une vision
architecturale bien réfléchie, d'une qualité technique supérieure et
d'une ingéniosité expérimentale. Afin d'en convaincre davantage le
lecteur, je présente en esquisse une typologie de la transformation de ces
temples. La partie droite de la fig. 7 montre comment, à partir des
différents types de temple (simple temple italique rectangulaire; temple à
cella tripartite; temple à cella et alae; temple périptère), soit un système
à nef unique, soit un système tripartite (interne ou externe) était
obtenu. Nous ne nous arrêterons que sur quelques uns de ces types.
Dans le cas du type 20, des arcades furent ménagées à travers les
murs de la cella d'un temple périptère, afin de créer trois nefs : il ne
resta alors plus qu'à murer les inter columnia de la péristase6. Une
autre solution, dont je ne connais toutefois pas encore d'exemple en
Italie, réside dans la destruction des murs de la cella et dans la
réutilisation de leurs pierres, complétées d'autres matériaux, pour bâtir un
mur, mais cette fois autour de la péristase restée intacte : le temple fut,
pour ainsi dire, inversé et, ici aussi, trois nefs furent créées. La
cathédrale d'Aphrodisias en est un exemple éloquent (type 23). Une variante,
dont nous avons pu observer des cas en Italie, consiste à construire les
nefs latérales de l'église autour des murs d'une simple cella de temple
sans péristase (type 21 : Benevagienna, Palestrina [Sant'Agapito] et
peut-être Vittorito). Une variante du premier type était appliquée dans
des temples à cella tripartite, dont les capitoles forment l'ensemble le
plus important : on frayait des passages à travers les parois latérales du
compartiment central, de manière à obtenir, là aussi, trois nefs : les
cathédrales de Sora et d'Isernia en sont des exemples, découverts
récemment (types 22 et 24). Dans certains cas, seul l'espace central de
la cella était occupé, de sorte que les «alae» demeuraient inexploitées
(p. ex. à Segni) (type 13). Cette typologie rudimentaire n'exclut
nullement que d'autres possibilités encore aient été cherchées et trouvées;
juste un exemple : au VIe siècle, à Spolète, un petit temple prostyle
corinthien fut transformé en église (de nos jours Sant'Ansano) en
maçonnant une petite abside dans la paroi postérieure. Au XIe siècle, l'axe

6 Par exemple la cathédrale de Syracuse dans le temple d'Athéna (Ve siècle), l'église
dans le temple de la Concorde à Agrigente (VIe siècle) et l'église de San Lorenzo Vecchio
dans un temple à Pachino (VIe siècle?).
306 JAN VAES

de circulation fut complètement inversé. L'ancienne abside fut détruite


et remplacée par une entrée. Les murs de la cella furent prolongés
jusqu'aux escaliers du temple où une nouvelle abside fut construite. Étant
donné que le temple se dressait sur un podium élevé, cette nouvelle
partie de l'église devait également être construite sur des
soubassements de même niveau : le «niveau souterrain» se dégageant ainsi, fut
aménagé en crypte; à notre avis, même des éléments du précédent
escalier du temple servaient à l'origine de «gradus descensionis» et de
«gradus ascenstonis» (exemple analogue à Palestrina, Sant'Agapito).

* *

On n'échappe pas à la constatation que la réutilisation chrétienne


de constructions antiques in situ n'était pas un phénomène marginal.
En effet, les chrétiens ont procédé de façon systématique. Cette
conclusion est confortée par quelques chiffres : dans le Latium (Rome
non compris) seul, j'ai pu compter 75 cas; à Rome, intra muros, 53 cas7.
Dans cette optique, il est significatif que j'aie découvert plus d'un
exemple dans presque toutes les grandes et petites villes de l'Italie et
d'ailleurs et que dans bon nombre de celles-ci, les édifices antiques de
certains quartiers aient été systématiquement christianisés (p. ex.
l'acropole de Cumae, le centre de Naples, comme les monuments de l'acropole
d'Athènes, etc.).
Le phénomène n'est nullement lié à une région déterminée. Là où
peu d'exemples sont connus, il y a eu peu de fouilles ou de recherches.
La réutilisation d'édifices antiques se situe surtout dans un contexte
urbain; elle est moins fréquente à la campagne et dans les quartiers
suburbains. Le caractère constant du processus est également prouvé
par le fait que tel édifice antique était de préférence utilisé pour telle
fonction. Toutefois, ces relations ne sont jamais exclusives. Il ressort
ainsi de notre étude que les temples ont surtout été transformés en

7 Le catalogue que Léon III a établi en 806 sur les universas sanctorum sacras eccle-
sias huius aime Romae contient 117 édifices cultuels, dont au moins 31 étaient implantés
dans des constructions antiques. Voir le rapport du Prof. L. Reekmans. Pour quelques
régions et quelques villes, nous avons aussi pu préciser le pourcentage de ces églises par
rapport aux édifices cultuels construits ex novo, au moins approximativement (p. ex. en
Crète, à Ephèse, Trêves, Ostie-Porto, etc.), d'où il ressort que ce rapport varie de 25 à 75%
en fonction de la région et de la période en question.
RÉUTILISATION CHRÉTIENNE DES ÉDIFICES ANTIQUES 307

cathédrales et en églises paroissiales, les habitations plutôt en couvents,


les constructions hydrauliques le plus souvent en baptistères et en dia-
conies (fig. 10). Nous avons constaté le plus haut degré de spécificité
pour la réutilisation des vieux capitules : la position topographique
privilégiée de ceux-ci dans les cités antiques (à l'endroit le plus élevé ou
dans le centre de la cité) est probablement la raison majeure pour
laquelle ils ont été de préférence transformés en cathédrales. La fig. 9B
montre, par siècle (du IVe au XIIe siècle), les bâtiments antiques dans
lesquels des églises paroissiales ou des pievi ont été installés : en ville,
les temples ont été occupés plus souvent et plus tôt qu'à la campagne;
en zone rurale, relativement plus de villas ont été réutilisées; dans les
zones suburbaines, c'étaient surtout d'« autres» édifices (principalement
des mausolées) qui étaient transformés8.
Il ressort aussi de l'orientation donnée aux églises que le
phénomène ne se produit nullement de facon chaotique. Ainsi, notre analyse
montre que l'orientation originale a été conservée dans deux tiers des
cas de transformation de monuments tant profanes que païens. Il est,
toutefois, remarquable de constater que, si une modification est
nécessaire, elle sera plutôt de 90° pour les édifices profanes et de 180° pour
les bâtiments païens. Cependant, l'orientation des anciens capitules
(qui, rappelons-le, étaient souvent transformés en cathédrales) et de
beaucoup de temples dans les centres urbains, reste généralement
inchangée, nonobstant les prescriptions d'orientation en vigueur. Ceci
est sans doute dû au fait qu'on n'a pas voulu toucher à l'aspect familier
des temples (et certainement des temples importants et vénérés tels que
les capitules).
Pour finir, il faut se demander dans quelle mesure cette
architecture constitue un élément essentiel des architectures religieuses
paléochrétienne et du haut Moyen-Age. Evidemment, la question de l'impact

8 Pour le traitement final de toutes les données mesurables et quantifiables de mon


examen de 600 églises en Italie, j'ai utilisé mon Personal Computer. Les figures 8 à 10
constituent une petite partie des diagrammes graphiques multidimensionnels que j'ai pu
projeter sur la base de cette étude. Je remercie Leslie Liénard, ingénieur de General
Electric Information Service, Bruxelles, pour ses multiples conseils. Mes remerciements
s'adressent aussi à mon épouse Hedwig Vandemarck pour son appui pratique et moral
constant, ainsi qu'à son amie, Mme Linda Liénard-Mombaerts. Je remercie enfin tous les
professeurs et amis qui m'ont encouragé à Leuven et enfin les participants du XIe
Congrès de Lyon pour le chaleureux enthousiasme avec lequel ils ont accueilli ma cornu-
nication.
Fig. 1 - Transformations d'édifices thermaux et
de citernes antiques. A : Rome, Santa Pudenzia-
na; B: Albano, Santa Maria della Rotonda; C:
Ruvo di Puglia, soi-disant crypte de San Cleto;
D : Catane, Santa Maria della Rotonda.
Fig. 2 - A : Baptistère, installé dans le catabulum à Rome ; Β :
Cathédrale d'Atri, construite sur une piscina limaria ; à
gauche la cathédrale primitive à 5 nefs; à droite la seconde
cathédrale à trois nefs.
310 JAN VAES

Fig. 3 - A: transformation de l'odèon de Selge; B: Albano, chapelle dans l'amphithéâtre.


RÉUTILISATION CHRÉTIENNE DES ÉDIFICES ANTIQUES 311

Fig. 4 - Transformations d'édifices profanes. A : basilique, dite du decumanus à Ostie ; Β :


oratoire dit du Monte della Giustizia à Rome; C : église de San(ti Cosma e) Damiano à
Carsulae.
Fig. 5 - Transformations de temples.
A : Ascoli Piceno, San Gregorio
Magno; Β : Alba Fucens, église
Saint-Pier e dans le temple d'Apollon; C: Spolète,
Sant'Ansano.

JVaes84
RÉUTILISATION CHRÉTIENNE DES ÉDIFICES ANTIQUES 313
Fig. 6 - Transformations de
temples. A : Cathédrale de
Segni dans la cella du capitole;
Β : Deux types de
T~— ' CAPITOLIUM.TEMENOS.
PRONAOS CITERNE transformations de périptères (schémas);
E2E3 EGLISE PALEOCHRET. : FONDAT. CONSERV.
■eZ21 - .·
EGLISES POSTER.
RECONST. C : Cathédrale de Trieste sur le
pssa PLAN CAMPANILE capitole.
"MURS ANTIOUES REUTILISES
■ . DETRUITS
D'EDIFICES PROFANES) DE 0 A 11) FT PAÏENS(12 -28) .CHRETIENS- AJOUTES
TRANSFORMES
Fig. 7 - Typologie de transformation d'édifices profanes et païens.
□ EGLISES PAROISSIALES
OUI CATHEDRALES
β AUTRES
DE 0 A 29 TYPES DE TRANSFORMATION
CORRESPONDANT AUX
NUMEROS DE LA FlG. 7.

TYPOLOGIE/ FONCTION /CHRONOLOGIE

Fig. 8 - Diagramme multidimensionnel illustrant la relation typologie, fonction chrétienne


316 JAN VAES

ORIENTATION ANTIQUE
CHRETIENNE
DECLINAISON

Fig. 9A - Diagramme d'orientation basé sur 272 monuments dont les orientations
antiques et chrétiennes sont connues.
RÉUTILISATION CHRÉTIENNE DES ÉDIFICES ANTIQUES 317

EGLISES PAROISSIALES
CONSTRUITES DANS:
|H TEMPLES
|:a&3 DOMUS-INSUL :<UR8
EDIFICES THERMAUX -CITERNE
I
1

»SB AUTRES

Fig. 9B - Diagramme multidimensionnel, concernant la relation chronologie, fonction


antique, topographie.
318 JAN VAES

CATHEDRALES

MONASTERES

EGLISES PAROISSIALES

AUTRES

ITALIE
CHRONOLOGIE / FONCTION ANTIQUE /
FONCTION CHRETIENNE

Fig. 10 - Diagramme multidimensionnel concernant la relation chronologie, fonction


antique, fonction chrétienne.
RÉUTILISATION CHRÉTIENNE DES ÉDIFICES ANTIQUES 319

d'une telle architecture sur l'architecture ex novo s'impose également.


Est-il possible qu'en faisant des expériences dans des constructions
antiques, on soit arrivé, dans certains cas, à des innovations qui allaient
servir partiellement de modèle à l'évolution ultérieure? Cette question
exige une réponse urgente, du moins pour la protohistoire de
l'architecture paléochrétienne : la période des persécutions. Nous osons
même nous demander si le problème de l'origine de la basilique
chrétienne et des constructions chrétiennes à plan centré ne pourrait
trouver ici une partie de sa solution. Enfin peut-être une réponse pratique
qui dépasse les discussions purement théoriques9.
Il est reconnu que certains bâtiments, construits après la Paix de
l'Église, dans ou sur des édifices antiques, ont exercé une influence
considérable sur bon nombre d'autres églises, à une époque déterminée
ou dans une région déterminée. Il suffit de penser à l'église de Sainte-
Marie à Ephèse, aux prototypes classiques du IVe siècle à Rome (San
Clemente, Santa Pudenziana, Santa Croce in Gerusalemme) et aux
couvents les plus anciens d'Italie (Cassino, Subiaco, les fondations de Cas-
siodore en Calabre), tous érigés dans des constructions désertées.
Pour beaucoup de ces questions, nous espérons trouver une
réponse convaincante au moment où nous «achèverons» nos recherches.
Quoi qu'il en soit, il convient déjà de constater que l'architecture
religieuse paléochrétienne et du haut Moyen-Age peut se définir - en
paraphrasant une phrase de Cassiodore - comme «nova construere sed
amplius vetusta servare-». J'espère que cette phrase sera aussi applicable
à mon étude.
Jan Vaes

DISCUSSION

Prof. G. Cuscito (Trieste) :


«Ho apprezzato il ricco contributo dato dal Signor Vaes al problema della
continuità fra architettura romana ed edifici di culto cristiano : la sua indagine
attenta e allargata a una vasta area geografica ha infatti dimostrato la
frequenza dell'innesto di edifici di culto cristiano a preesistenti impianti del mondo
pagano, contribuendo così a liquidare un pregiudizio abbastanza radicato e dif-

9 Cf. Ν. Duval, dans la discussion (p. 564) qui suit le rapport Les édifices de culte, Atti
IXe Congresso internazionale di archeologia cristiana, Rome, 1978, p. 513-537.

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