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UNIYERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN

CENTRE DE DROIT DES OBLIGATIONS


CENTRE JEAN RENAULD

LA RESPONSABILITE DES

DIRIGEANTS DE PERSONNES MORALES

YvEs DE CoRDT ET DENIS PHILIPPE (ed.)

H.-D. BosLY
V. CALLEWAERT
A. COURET
Y. DE CORDT
M.A. DELVAUX
G. GATHEM

D. PHILIPPE

B<E
Busines5 and Econom1cs

2007
D/0147/2007/50

ISBN 978 28 7403 1670

© la Charte - Business & Economics


rue Guimard 19, 1040 Bruxelles
Tél.: 02/512 29 49
Fax: 02/512 26 93
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écrite et préalable de l 'éditeur.

107541
AVANT -PROPOS

Avant-propos

L' organè incame la personne morale. C' est en vertu de la théorie de l' organe
que Ia personne morale est responsable des actes et des faits juridiques
accomplis par ses organes et que les personnes agissant en qualité d'organes
n'assument, en principe, pas de responsabilité personnelle pour les
engagements pris dans l'exercice de leurs fonctions. S'il respecte la
spécialité légale et la spécialité statutaire de la personne morale,__[Qr:g_i!!!~
peut être absorbé dans Ie groupement, avec lequel il fait corps et <lont il
constitue une « excroissance ».

Dans Ie domaine des sociétés commerciales, la raison d'être de cette


immunité de principe est de tempérer la naturelle aversion au risque des ad-
ministrateurs et des gérants afin de les encourager, dans un contexte
économique concurrentie! en constante mutation, à prendre des décisions
rapides et audacieuses, <lont les enjeux sont importants pour la création de
richesses dans l'intérêt général mais dont les effets bénéfiques ne sont a
priori pas certains. En cela, l'immunité fonctionnelle que peut conférer la
théorie de-l'organe fait écho à la responsabilité limitée des associés de
certaines formes de société.

Dans un contexte économique et social ou la tentation est grande de percer Ie


« v_gj_le _social » pour atteindre les personnes physiques qu'il protège, la
question fondamentale est de savoir quelle est la portée exacte de la théorie
de l' organe, ce qui implique de s' interroger sur l' étendue de cette
construction juridique, d' examiner sa ratio leg is, et, en définitive, de traiter
de la problématique de la responsabilité des dirigeants.

La responsabilité des dirigeants de personnes morales connaît une évolution


constante, affectée de nombreuses vicissitudes, comme l'ont récemment
montré la jurisprudence de la Cour de cassation et certaines dispositions
cavalières de la loi-programme du 20 juillet 2006. Il est incontestable que les
risques de mises en cause de cette responsabilité personnelle se multiplient
depuis que Ie législateur et Ie juge manifestent conjointement le souci
d'accroître la protection des créanciers contractuels et extracontractuels,
volontaires et involontaires, de la société.

Eu égard au caractère interdisciplinaire de cette matière, le Centre de droit des


obligations et Ie Centre Jean Renauld de l'Université catholique de Louvain
ont judicieusement uni leurs farces pour analyser, au cours d'une après-midi
d' études, les évolutions législatives et judiciaires récentes dans ce domaine.
Le présent ouvrage reprend les rapports présentés lors de ce colloque.

V
AVANT -PROPOS

La contribution de Marie Amélie Delvaux et Yves De Cordt est consacrée à


la responsabilité des dirigeants dans Ie cadre du Code des sociétés, en ce
compris les modifications introduites par la loi du 2 août 2002 et les
évolutions suscitées par les principes de corporate governance. Ce rapport
évoque également la nouvelle responsabilité fiscale des dirigeants ainsi que
des aspects de droit financier. Le Code des sociétés semble instaurer un ré-
gime cohérent de responsabilité des dirigeants qui pourrait constituer la seule
base de leurs engagements en cette qualité, sous réserve des spécificités du
droit financier. Néanmoins, Ie législateur intervient pour conférer à certains
créanciers « sensibles » un droit d' action privilégié et les créanciers
ordinaires sont tentés de mettre en cause la responsabilité des dirigeants sur la
base du droit commun de la responsabilité civile.

Dans leur rapport relatif à la responsabilité des dirigeants sur la base de


l'article 1382 du Code civil, Denis Philippe et Grégoire Gathem traitent,
notamment, de la délicate question de la coexistence de la responsabilité
personnelle de l'organe et celle de la société ainsi que du cumul des
responsabilités contractuelle et aquilienne.

Sur ces différents points, il a semblé opportun de confronter Ie droit belge à


l'évolution du droit français, qui a été retracée par Alain Couret, professeur à
l'Université de Paris I. Lajurisprudence française n'a-t-elle pas instauré une
solution d'équilibre en ne sanctionnant, dans le chef des dirigeants, que la
faute « détachable » de leurs fonctions, celle qu'ils commettent par excès ou
abus de pouvoirs?

Le thème de la responsabilité étant intimement lié à cel ui de l' assurance, Ie


rapport de Vincent Callewaert a trait à la couverture de la responsabilité des
administrateurs et des dirigeants. On peut, notamment, se demander si la
combativité des demandeurs en responsabilité et la sévérité des juges ne
s'expliquent pas, au premier chef, par la volonté de trouver, à tout prix, un
débiteur solvable en la personne de tel ou tel dirigeant adéquatement
assuré ...

Enfin, nul ne contestera que l'inflation pénale est perceptible dans tous les
domaines du droit. Le législateur donne parfois l'impression de rechercher,
coûte que coûte, un responsable pour assouvir une sorte de libido
castigandi... La responsabilité pénale des personnes morales et ses
conséquences sur leurs dirigeants ont donc retenu la meilleure attention
d'Henri Bosly, spécialiste du droit pénal des affaires.

Yves De Cordt et Denis Philippe

VI
T ABLE DES MA TIER ES

TABLE DES MATIERES

Chapitre I. La responsabilité des dirigeants en droit des sociétés


et en droit financier 1

Par Yves De Cordt et Marie Amélie Delvaux

Introduction 3

Titre 1. La responsabilité des dirigeants dans Ie cadre du Code des


Sociétés 8

Section 1. Identification des personnes responsables 8

§ 1. Les administrateurs et les gérants en droit ou


en fait 8
§ 2. La personne morale administrateur ou gérant et
son représentant permanent 15
§ 3. Les délégués à la gestion joumalière 17
§ 4. La fin de la mission de gestion et de la
responsabilité 19

Section 2. La responsabilité pour faute de gestion 20

Section 3. La responsabilité pour violation du Code des


sociétés ou des statuts 26

Section 4. Laresponsabilité pour faute grave et caractérisée


ayant contribué à la faillite 30
§ 1. Une faute grave et caractérisée 33
§ 2. La faillite et I' insuffisance d' actif 36
§ 3. La contribution de la faute grave et caractérisée
à la faillite 36
§ 4. La faveur concédée à l'ONSS 37

Section 5. Les responsabilités encourues à l' occasion


d' opérations spécifiques 40
§ 1. Les augmentations de capita] 40
§ 2. La préparation et Ia réalisation d' opérations de
restructuration 43
§ 3. Le défaut de convocation de l'assemblée
générale en cas de pertes prononcées 44

VII
T ABLE DES MATIERES

§ 4. Le dépöt tardif des comptes annuels 49


§ 5. L'absence de paiement du précompte
professionnel ou de la TVA 50
§ 6. Les procédures relatives aux conflits d'intérêts 57

Section 6. Questions de procédure 60


§ 1. Les titulaires de l' action en responsabilité 60
A. La société 60
B. Les actionnaires minoritaires 65
C. Les tiers 70
§ 2. La juridiction compétente 73
§ 3. Les délais de prescription 74

Titre 2. La responsabilité des dirigeants en droit financier 78

Section 1. L'interdiction de commettre des abus d'informations


privilégiées 80

Section 2. L'obligation d'établir la liste des initiés 82

Section 3. La notification des transactions 83

Chapitre II. A quelles conditions Ie dirigeant peut-il engager sa


responsabilité aquilienne personnelle à l'égard des tiers? Les
pièges de l'article 1382 du Code civil 87

Par Denis Philippe et Grégoire Gathem

Introduction 89

Titre 1. L' organe 90

Section 1. Notion 90
§ 1. Définition 90
§ 2. Qui sont les organes? 90

Section 2. Evolution et régime de la théorie de I' organe 91


Sous-section 1. Apport du droit administratif 91
§ 1. Genèse 91
§ 2. Régime 92
Sous-section 2. Emergence et régime de la théorie
de 1' organe en droit des sociétés 93

VIII
TABLE DES MATIERES

§ l . Emergence 93
§ 2. Régime 93

Section 3. Evolution de la jurisprudence de la Cour de


Cassation 95
Sous-section l. Arrêt du 29 juin 1989 95
Sous-section 2. Arrêt du 7 novembre 1997 96
Sous-section 3. Arrêt du 16 février 2001 97
Sous-section 4. Arrêt du 20 juin 2005 98

Section 4. Bref aperçu de droit comparé 100


Sous-section 1. Le droit français 100
Sous-section 2. Droit allemand et droit anglais 101

Section 5. Comparaison entre l'organe et les concepts juridiques


voisins: agent d'exécution, préposé et mandataire 102
Sous-section 1. Relations entre l'agent d'exécution
et l' organe l 02
Sous-section 2. Relations entre Ie mandataire et
l'organe 102
Sous-section 3. Relations entre Ie préposé et
1' organe 104

Section 6. Approche de la faute susceptible d' engager la


responsabilité del 'organe: la jurisprudence 105
Sous-section 1. Impéritie et gravité de la faute 105
Sous-section 2. Défaut de versement des somrnes
retenues sur les rémunérations au titre de précompte
professionnel 106
Sous-section 3. Poursuite des activités d'une société 106

Section 7. Distinction entre la simple faute de gestion et la


faute quasi-délictuelle 107

Section 8. Responsabilité et infraction pénale 108

Section 9. Le concours de responsabilités entre la personne


physique, organe et la société se justifie-t-il? 108

Section 10. Opportunité d'un régime juridique distinct entre


responsabilité contractuelle et responsabilité quasi-
délictuelle des dirigeants 110

IX
T ABLE DES MATIERES

Section 11. Comment appréhender la faute qui serait de nature


à engager la responsabilité quasi-délictuelle de
l' organe? 111

Titre 2. L'immunité jurisprudentielle du dirigeant en cas de concours


de responsabilités 114

Section 1. Position du problème 114

Section 2. L'émergence d'une immunité en faveur de l'organe 116


Sous-section 1. Le défendeur est la partie
contractante (la personne morale) 116
Sous-section 2. Le défendeur est l' agent
d' exécution 117
Sous-section 3. Le défendeur est l' organe 118
Sous-section 4. L'arrêt du 20 juin 2005 120

Section 3. Le domaine d'application de l'immunité de


l'organe 121
Sous-section 1. L'existence d'un contrat
valablement formé au moment du fait
dommageable 122
§ 1. Absence de (preuve d'un) contrat 122
§ 2. Le contrat n'existe plus 122
§ 3. Le contrat n' existe pas encore: la «culpa in
contrahendo» 123
Sous-section 2. Le fait reproché n'est pas
accompli pour l' exécution du contrat 128
Sous-section 3. Le demandeur en responsabilité
n' est pas un cocontractant de la personne morale 130
Sous-section 4. L'immunité n'est pas invoquée -
La condition procédurale 132

Section 4. Les conditions relatives à la faute et au dommage 133


Sous-section 1. La jurisprudence de la Cour de
cassation; une formule ambivalente 133
§ 1. La question des obligations mixtes 133
§ 2. Commentaires 136
Sous-section 2. La qualification de la faute -
La faute alléguée ne doit pas être un manquement
contractuel 138
§ 1. La faute de gestion - Le dirigeant en tant que
«gestionnaire» 138

X
TABLE DES MATIERES

§ 2. La faute d'exécution - Le dirigeant en tant qu'


«exécutant» 139
Sous-section 3. La qualification du dommage - Le
dommage ne doit pas résulter d'un manquement
contractuel 141

Section 5. Restriction à l'immunité du dirigeant en cas


d'infraction pénale 145

~t::LUUJJ u. r\.}-'1'.l.l\..,CllJ.Vll -

déficitaires 148
Sous-section 1. L'action est introduite par le
curateur 148
Sous-section 2. Le comportement est constitutif
d'infraction pénale 150
Sous-section 3. La faute constitue une culpa in
contrahendo 150
Sous-section 4. Responsabilités particulières
prévues par le Code des sociétés 151
Sous-section 5. L'action est introduite par un
créancier extra-contractuel 151

Conclusion 152

Chapitre 111. La responsabilité des dirigeants en droit français 153

Par Alain Couret

Introduction 155

Titre 1. Les conditions de fond de la responsabilité civile: l' articulation


de la responsabilité individuelle et de la responsabilité de la personne
morale 158

Section 1. L' effacement de la responsabilité individuelle


derrière la responsabilité de la personne morale 158

Section 2. Les conditions d'une restauration de la


responsabilité individuelle 160
§ 1. U ne restauration marginale: la faute séparable 160
§ 2. Une restauration limitée: la responsabilité
spécifique des dirigeants frappés par une
procédure collective 163

XI
TABLE DES MATIERES

§ 3. Une restauration hypothétique: le mécanisme


de l' action récursoire 165

Titre 2. Le régime procédural de la responsabilité civile: la


multiplication des obstacles 167

Section 1. La recevabilité de l' action en responsabilité 167


§ 1. L' absence de caractère «social» de la demande 167
§ 2. La prohibition des cumuls d'actions en
responsabilité 169
§ 3. L'écoulement de la prescription 170

Section 2. L' administration de la preuve 172


Conclusion 174

Chapitre IV. L'assurance de la responsabilité civile des dirigeants


de sociétés 17 5

Par Vincent Callewaert

Titre 1. Contexte général 179

Section 1. Une assurance de la responsabilité spécifique 179

Section 2. L' état du marché 180

Section 3. La réglementation applicable 182

Titre 2. Les autres mécanismes de protection des dirigeants 183

Section 1. Les clauses limitatives ou exonératoires de


responsabilité 183

Section 2. Les clauses de garantie 185

Section 3. La décharge 187

Section 4. La désolidarisation 189

Section 5. La démission 190

Section 6. La prescription 190

XII
TABLE DES MATIERES

Titre 3. La conclusion du contrat et l'identification des risques 192

Section 1. Le preneur d' assurance 192

Section 2. La validité de la souscription du contrat par la


société 193
Sous-section 1. La validité du contrat au regard du
droit des assurances 193
Sous-section 2. La validité du contrat au regard du
droit des sociétés 195

Section 3. L'identification du risque à la conclusion du contrat 197

Section 4. La modification du risque en cours de contrat 199


Sous-section 1. Le controle du risque à l 'échéance 199
Sous-section 2. Le règlement de certaines
modifications spécifiques 200
§ 1. Acquisition de nouvelles filiales 201
§ 2. Fusion ou changement de controle 202
§ 3. Placement de valeurs mobilières 203

Titre 4. Le périmètre de la garantie 204

Section 1. Les assurés et les tiers 204


Sous-section 1. Les assurés 204
§ 1. Les dirigeants de droit 204
§ 2. Les dirigeants de fait 205
§ 3. Les employés 206
§ 4. Les autres personnes assurées 206
Sous-section 2. Les tiers 207

Section 2. Les risques couverts 208


Sous-section 1. La responsabilité civile des
dirigeants 209
Sous-section 2. La défense civile et pénale des
dirigeants 211
Sous-section 3. Le remboursement de la société
assurée 213
Sous-section 4. Les extensions de garantie
facultatives 214

Section 3. Les exclusions et les déchéances 214


Sous-section 1. Précisions terminologiques 215

XIII

j
TABLE DES MATIERES

Sous-section 2. La légalité de la qualification


retenue 218
Sous-section 3. Les clauses de déchéance et
d'exclusion habituelles 219
§ 1. Les déchéances 219
§ 2. Les exclusions 221

Section 4. L' étendue de la garantie dans I' es pace 223

Section 5. L'étendue de la garantie dans le temps 223


Sous-section 1. L' antériorité ou la reprise du passé 224
Sous-section 2. La postériorité 225

Titre 5. Questions liées au règlement du sinistre 228

Section 1. La définition du sinistre 228

Section 2. Les obligations de l'assuré en cas de sinistre 229

Section 3. L' action directe du tiers lésé 231

Section 4. Les obligations de l'assureur en cas de sinistre 234

Chapitre V. La responsabilité pénale des dirigeants d'entreprise et


la responsabilité pénale des personnes morales 237

Par Henri-D. Bosly

lntroduction 239

Titre 1. La responsabilité des dirigeants d'entreprise 240

Section 1. La problématique 240

Section 2. L'imputabilité légale 241

Section 3. L'imputabilité conventionnelle 244

Section 4. L' imputabilité judiciaire 244

Titre 2. La responsabilité pénale des personnes morales 246

lntroduction 246

XIV
TABLE DES MATIERES

Section 1. Les principes directeurs de la loi du 4 mai 1999 247


§ 1. Généralités 247
§ 2. Les conditions d'engagement de la
responsabilité pénale 247
§ 3. Le champ d'application 248
§ 4. L' élément moral 248
§ 5. Le concours de responsabilités entre la personne
morale et la personne physique 249
§ 6. Les peines 250
A. L'amende: peine principale (article 7bis du
Code pénal) 250
B. Les peines accessoires 251
§ 7. Les dispositions relatives au droit de la
procédure pénale 252
A. La désignation d'un mandataire ad hoc 252
B. La représentation par avocat 252
C. La compétence territoriale 252
D. Mesures provisoires pouvant être prises par
Ie juge d'instruction 253
E. Les nouvelles causes d' extinction de l' action
publique 253
F. Le casier judiciaire des personnes morales 254

Section 2. L' application de cette nouvelle loi 254


§ 1. Coup d' oeil sur la pratique judiciaire 254
§ 2. Une difficulté récurrente: le critère fondant
la responsabilité altemative 255

Conclusions 256

XV
CHAPITREI
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN
DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINAN-
CIER

YvEs DE CoRDT
Professeur à l'U.C.L.
Président du Centre Jean Renauld

MARIE ÁMÉLIE DELVAUX


Maître de conférences aux F.U.N.D.P.
Avocate au barreau de Namur
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

INTRODUCTION

1. La présente contribution a pour objet de traiter de la responsabilité des


dirigeants de sociétés commerciales, telle que définie par Ie droit des sociétés
et par Ie droit financier. Les sociétés à responsabilité limitée et, singulière-
ment, les sociétés anonymes serviront de références.

Dans Ie cadre restreint de cette contribution, nous n'aborderons ni les qualifi-


cations requises pour être dirigeant (1), ni les procédures de nomination des
dirigeants. Nous renvoyons aux autres contributions de eet ouvrage en ce qui
conceme la responsabilité civile des dirigeants sur la base des articles 1382 et
1383 du Code civil, la problématique des assurances (2) et des clauses limita-
tives et dérogatoires de la responsabilité (3) et les liens entre les responsabili-
tés civile et pénale du dirigeant. Malgré son importance essentielle pour une
gestion efficiente des sociétés commerciales et un controle optima! de cette
gestion, nous n'évoquerons qu'incidemment les recommandations contenues
dans Ie Code beige de gouvemance d'entreprise (Code Lippens) du 9 décem-
bre 2004.
Après avoir exprimé, en guise d'introduction, quelques considérations limi-
naires, nous analyserons, dans un titre 1, les différentes hypothèses de res-

(1) Voyez, notamment, la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au controle des établisse-
ments de crédit (M.B., 19 avril 1993, errat. 2 juin et 9 juillet 1993), telle que modifiée par la loi
du 19 novembre 2004 (M.B., 28 déc. 2004), et notamment ses articles 18 et 19), et la loi-
programme pour la promotion de l'entreprise indépendante du 10 février 1998 (M.B., 21 fé-
vrier 1998). Voyez également, les articles 4.5 et 4.8 à 4.10 du Code Lippens (décembre 2004-
www.corporategovernancecommission.be). Même s'il ne s'agit que de «soft law», applicable
uniquement aux sociétés belges cotées, ce Code définit des lignes de conduite en matière de
compétence et de formation des dirigeants d'entreprises qui peuvent utilement servir de sour-
ces d'inspiration.
(2) Yoyez, notamment, sur cette question P. VAN OMMESLAGHE, «L'assurance de la res-
ponsabilité civile des administrateurs de sociétés et d'associations en Belgique et la loi du 25
juin 1992 sur Ie contrat d'assurance terrestre», R.D.C., 1994, pp. 275-305; P. VAN OMMES-
LAGHE, «L'assurance de la responsabilité des administrateurs et commissaires de sociétés
anonymes en Belgique», Les assurances de l'entreprise, vol. 1, Coli. Fac. de droit de l'U.L.B.,
Bruxelles, Bruylant, 1988, pp. 57 à 92; D. DE MASENEIRE, «L' assurance de la responsabili-
té civile de l'entreprise», in Guide juridique de l'entreprise, Livre 126, Diegem, Kluwer, pp.
46-49; D. VAN GERVEN, «Les clauses limitatives de responsabilité, les garanties d'indemni-
sation et l'assurance responsabilité civile des mandataires sociaux», Rev. prat. soc., 1998, pp.
133-162 et spéc. 152-162.
(3) Sur cette question, voyez notamment B. FERON et J. Fr. GOFFIN, «La protection des
administrateurs de sociétés contre la mise en cause de leur responsabilité civile», J.T., 1996,
pp. 384 ets. et D. VAN GERVEN, «Les clauses limitatives de responsabilité, les garanties
d'indemnisation et l'assurance responsabilité civile des mandataires sociaux», Rev. prat. soc.,
1998, pp. 147 ets.

3
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL V AUX

ponsabilité prévues par le Code des sociétés (4). Nous évoquerons ensuite,
dans un titre 2, les cas de responsabilité relevant du droit financier.

2. Aux termes de l'article 61 du Code des sociétés (ei-après désigné par


l' abréviation «CS» ), «les sociétés agissent par leurs organes dont les pou-
voirs sant déterminés par le présent code, l'objet social et les clauses statu-
taires. Les membres de ces organes ne contracten! aucune responsabilité per-
sonnelle relative aux engagements de la société».

L' organe constitue le «support nécessaire de l 'activité de la personne mora-


le, (. .. ) de l 'expression de sa volonté - activement et passivement - et de ses
moyens d' action» (5). L' organe «incarne» la société sans Ie recours au méca-

(4) Sur la doctrine relative à la responsabilité des administrateurs et des gérants, voyez M.A.
DELVAUX, «Les responsabilités des fondateurs, associés, administrateurs et gérants des SA,
SPRL et SCRL», in Guide juridique del' entreprise, Titre II, Livre 24bis.2, Volume 2, Diegem,
Kluwer, 2006; J. MALHERBE, Y. DE CORDT, Ph. LAMBRECHTet Ph. MALHERBE, Droit
des sociétés - Précis, 2ème édition, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 614 ets.; Ch. RESTEAU,
Traité des sociétés anonymes, tome II, 3ème éd., Bruxelles, Swinnen, 1982, n° 968 ets.; s. 0.
RALET, Responsabilités des dirigeants de sociétés, Bruxelles, Larcier, 1996; J. Fr. GOFFIN,
Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2ème édition, Bruxelles, Larcier, 2004. H. OLIVIER
et K. DEBOECK, Vademecum des SPRL, gérants et associés, Bruxelles, Creadif, 5ème éd.,
1997; P. NICAISE et K. DEBOECK, Vademecum des sociétés coopératives, Bruxelles, Crea-
dif, 2°éd., 1995; P. VAN OMMESLAGHE, «Développements récents de la responsabilité en
matière économique», in L' évolution récente du droit commercial et économique, Bruxelles,
Ed. Jeune Barreau, 1978, pp. 9 ets.; J. RONSE et S. LIEVENS, «L'administrateur des socié-
tés, la responsabilité des administrateurs et gérants après la faillite, I' extension de la faillite au
maître del' affaire», Les sociétés commerciales, Bruxelles, Ed. Jeune Barreau, 1985, n° 1; J.-L.
FAGNART, «Laresponsabilité des administrateurs de la société anonyme», in J.-L. FAGNART,
X. DIEUX et C. DALCQ, La responsabilité des Associés, Organes et Préposés des Sociétés,
Bruxelles, Ed. Jeune Barreau, 1991, pp. 1 ets.; 0. CAPRASSE, «La responsabilité civile
professionnelle des administrateurs», Act. dr., 1997, pp. 481 ets.; V. SIMONART, «La quasi-
immunité des organes de droit privé», note sous Cass., 7 novembre 1997, R.C.J.B., 1999, pp.
732 et s.; G. HORSMANS, «La transparence organique et fonctionnelle et la responsabilité
des organes», in Liber amicorum Walter Van Gerven, Deurne, Kluwer, 2000, pp, 553 ets.;
P. KILESTE et C. STAUDT, «La responsabilité de I' administrateur et du réviseur d' entre prise
dans les sociétés anonymes», in Dernières évolutions en droit des sociétés, Bruxelles, Editions
du Jeune Barreau, 2003, pp. 3 ets.; E. HUPIN et B. DOCQUIR, «Responsabilité des dirigeants
d'entreprise: Nouvelles lois, nouveaux risques?», Rev. prat.soc., 2003, pp. 337 ets.; X. DIEUX,
«La responsabilité civile des administrateurs ou gérants d'une personne morale à l'égard des
tiers: une révolution de velours», in Mélanges John Kirkpatrick, Bruxelles, Bruylant, 2004,
pp. 225 ets.; V. SIMONART, «La théorie de I'organe», in Liber amicorum Michel Coipel,
Bruxelles, Kluwer, 2004, pp. 713 ets.; P. VAN OMMESLAGHE, «La théorie de I'organe:
évolutions récentes», in Liber amicorum Michel Coipel, Bruxelles, Kluwer, 2004, pp. 765
ets.; P. DE WOLF, «Variations sur la responsabilité des administrateurs. Variations sur Ie
thème du mandat», DAOR, 2005, liv. 74, pp. 95 ets.
(5) P. VAN OMMESLAGHE, «La théorie de l'organe: évolutions récentes», op.cit., p. 765.

4
l
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

nisme de la représentation (6). L' acte del' organe est donc l' acte de la société:
il est matériellement accompli par l' organe; il est juridiquement posé par la
société (7).

C' est en vertu de la théorie de l 'organe que la société est responsable des
actes et faits juridiques accomplis par ses organes. S'il est vrai que, sous
réserve de l' application de la théorie de l' apparence (8), les administrateurs
ou gérants n'engagent, en principe, la responsabilité de la société que dans la
mes ure ou ils agissent dans l' exercice de leurs fonctions et dans les limites de
leurs attributions (9), on constate que, dans Ie souci de protéger les tiers de
bonne foi, Ie Code des sociétés met à charge de la société des actes dont elle
aurait pu refuser d'assumer la responsabilité: les restrictions statutaires aux
pouvoirs du conseil d' administration et la répartition éventuelle des tàches
entre les administrateurs ne sont pas opposables aux tiers, fussent-elles pu-
bliées, et la société est liée par les actes accomplis par ses organes qui excè-
dent l' objet social, sauf si elle démontre que Ie tiers avait connaissance de ce
dépassement d'objet social ou ne pouvait l'ignorer, sans que la publication
des statuts soit décisive à eet égard (articles 552 et 526, articles 257 et 258 et
article 407 CS) (10). Dans ces hypothèses, les administrateurs seront respon-
sables pour infractions au Code ou aux statuts (voir infra).

Il résulte de la théorie de l' organe que la personne agissant en cette qualité


n'engage, en principe, pas sa responsabilité personnelle pour les obligations
- contractuelles ou extracontractuelles - créées dans l' exercice de ses fonc-
tions. Si l' organe respecte la spécialité légale et la spécialité statutaire de la
société, sa personnalité est, en principe, «absorbée» dans celle du groupe-
ment ( 11 ): l' organe est ainsi une partie intégrante - une excroissance - de la
(6) Sur cette théorie, voyez T. TILQUlN et V. SIMONART, Traité des sociétés, tome 1, Diegem,
Kluwer éditions juridiques, 1996, n° 995- 1018, pp. 749 et s.; M. COIPEL, «Dispositions com-
munes à toutes les sociétés commerciales», in Répertoire notarial, tome XII, livre II, Bruxelles,
Larcier, 1982, n° 280 et s., pp. 184 et s.; V. SIMONART, «La quasi-immunité des organes de
droit privé», op. cit., pp. 752 ets.; V. SIMON ART, «La théorie del' organe», op. cit., pp. 713 ets.
(7) G. HORSMANS, «La transparence organique et fonctionnelle et la responsabilité des or-
ganes», op.cit., p. 558. ·
(8) Cass., 20juin 1988, R.C.J.B., 1991, p. 45, note R. KRUITHOF.
(9) Bruxelles, 30 mars 1983, Rev. prat. soc., 1984, p. 31; Liège, 25 juin 1981, Rev. prat. soc.,
1982, p. 86, obs.
(10) B. TILLEMAN, Bestuur van vennootschappen - statuut, interne werking en vertegenwoor-
diging, Jan Ronse Instituut, Kalmthout, Biblo, 1996, p. 509.
( 11) Cette idée d' «absorption» se retrouve dans les conclusions de M. Ie procureur général
MESDACH DE TER KIELE sous Cass., 1er décembre 1881, Pas., 1, p. 417 - citées par
V. SIMONART, «La quasi-immunité des organes de droit privé», op.cit., p. 753, note 87 mais
aussi chez J. CARBONNIER, Droit civil - Introduction, les Personnes, J 3ème édition, Paris,
P.U.F., 1980, n° 84, p. 390, qui l'emprunte à H. et L. MAZEAUD, Traité théorique et pratique
de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, Tome Il, 2ème édition, Paris, Sirey, 1934,
p. 792.

5
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

personne morale avec laquelle il fait corps et forme un tout indissoluble. «At-
tendu que l 'être mora! ne peut agir qu 'à l 'intervention de personnes physi-
ques, ses organes; que ceux-ci n 'agissent en cette qualité et dès lors nes' iden-
tifient avec !'être mora! que s'ils restent dans les limites de leurs attribu-
tions» (12). Aussi longtemps que les organes agissent en poursuivant le but
fixé par la loi et les statuts et dans le cadre de leurs fonctions, les actes qu'ils
po sent, les faits qu' ils accomplissent et les fautes qu' ils commettent sont ceux
de la société et ils engagent directement la responsabilité de celle-ci sur la
base du contrat ou des articles 1382 et 1383 du Code civil.

La raison d'être de cette immunité de principe est de tempérer la naturelle


aversion au risque des administrateurs et des gérants afin de les encourager,
dans un contexte économique concurrentie! en constante mutation, à prendre,
sans requérir - au moindre doute - l'accord réconfortant de l'assemblée gé-
nérale, des décisions rapides et audacieuses, dont les enjeux sont importants
pour la création de richesses dans l'intérêt général mais dont les effets béné-
fiques ne sont apriori pas certains.

La question fondamentale est de savoir quelle est la portée exacte de cette


théorie de l'organe, ce qui implique de s'interroger - comme l'ont fait la
doctrine et la jurisprudence - sur I'étendue de cette construction juridique et
sur sa ratio legis. Si !'on en assume toutes les conséquences logiques, ne
devrait-on pas avoir l'intuition qu'à l'égard des tiers, seule la société engage
sa responsabilité pour les fautes généralement quelconques commises par ses
organes? Cependant la jurisprudence et la doctrine sont - à de rares excep-
tions près - réticentes à aller au bout de cette logique.

L' immunité «fonctionnelle » que pourrait conférer la théorie de l' organe est -
en tout état de cause - compensée ou tempérée, dans certaines hypothèses
légales d'interprétation stricte, par une responsabilité individuelle ou solidai-
re - parfois renforcée - des administrateurs et gérants.

3. Un mot sur les circonstances de la mise en cause de la responsabilité


des dirigeants.

(]2)Cass.,31 mai 1957,Pas.,I,p.1158.

6
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

On réduit sou vent, à tort, la mise en cause de la responsabilité des dirigeants


à l' hypothèse ou le curateur de la société faillie cherche par tous les moyens à
trouver des liquidités permettant de désintéresser les nombreux créanciers. Il
est vrai que l' action pour faute de gestion est une arme que le curateur manie
avec une redoutable efficacité, d'autant plus qu'il s'agit d'un spécialiste ayant
accès à tous les documents de la société faillie.

Il ne faut toutefois pas négliger les cas dans lesquels la responsabilité des
dirigeants peut être invoquée durant la vie active et rentable de la société. La
meilleure information des actionnaires et associés ( 13) peut les inciter à réa-
gir plus souvent que ce n'était Ie cas dans Ie passé, ou la responsabilité des
administrateurs ou des gérants relevait davantage du mythe. Aujourd'hui en-
core, les dirigeants étant une émouvation de la majorité à l' assemblée généra-
le, le risque que la société exerce une action sociale à leur encontre demeure
très limité (14). Cela étant précisé, les tiers - de plus en plus combatifs -
(fournisseurs, travailleurs, sous-traitants, ... ) peuvent chercher à engager la
responsabilité des dirigeants en cours de vie sociétaire et ils se révèlent de
plus en plus combatifs ...

Eu égard au grand nombre de sociétés commerciales et à l'ampleur des mis-


sions des dirigeants d' entreprises, on peut s' étonner que la jurisprudence re-
lative à leur responsabilité soit peu abondante. Quelle que soit la cause de
cette rareté (passivité stratégique, réalisme ou complaisance des demandeurs
potentiels ... ), l'existence de règles relatives à la responsabilité des dirigeants
offre un double intérêt: elles constituent la base potentielle d'actions enjusti-
ce qui sont toujours susceptibles de se multiplier et elles tracent une ligne de
conduite à respecter par les dirigeants dans la mesure ou la crainte d'une
procédure à leur encontre les incite à être plus attentifs et plus scrupuleux
dans l' exercice de leur man dat.

(13) Voyez notamment les articles 96,274,412 et 540 du Code des sociétés. A noter toutefois
que Ie Code des sociétés restreint Ie droit des actionnaires d'obtenir des réponses à leurs ques-
tions dans la mesure ou il permet désormais aux dirigeants de refuser de répondre si leur
réponse est de nature à porter gravement préjudice à la société, aux actionnaires ou au person-
nel de la société.
(14) L' action sociale dépend d'une décision del' assemblée générale qui est contrölée par ceux
qui cherchent à obtenir la décharge ... L'introduction d'une action sociale peut cependant être
envisagée par un actionnaire minoritaire (voir infra) ou lorsque prend fin la connivence entre
les dirigeants et Ie groupe d'actionnaires majoritaires, ce qui peut être Ie cas lorsqu'un renver-
sement de majorité s'opère suite à une offre publique d'acquisition ou à une cession de contro-
le ne se réalisant pas sous une forme contractuelle.

7
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL VAUX

TITRE 1
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS DANS LE CADRE DU
CODE DES SOCIETES

4. Le présent titre est consacré à !'analyse des dispositions du Code des


sociétés qui régissent la responsabilité des dirigeants. Après avoir défini les
personnes responsables (section 1), nous distinguerons la responsabilité pour
faute de gestion (section 2), la responsabilité pour infraction au Code et aux
statuts (section 3), la responsabilité pour faute grave et caractérisée ayant con-
tribué à la faillite (section 4) et quelques cas de responsabilité particuliers
(section 5), avant de traiter de diverses questions de procédure (section 6).

SECTION 1
foENTIFICATION DES PERSONNES RESPONSABLES

§ 1. Les administrateurs et les gérants en droit ou en fait

5. Les organes collégiaux tels que Ie conseil d' administration d'une SA,
dont les membres ne constituent pas individuellement un organe, ne possè-
dent pas la personnalité juridique alors que les organes individuels - gérant
d'une SPRL ou administrateur-délégué d'une SA- en jouissent. Aussi bien,
lorsque la doctrine et la jurisprudence traitent - indifféremment - de la res-
ponsabilité des organes ou de la responsabilité des administrateurs ou des
gérants, elles visent en réalité, selon les cas, la responsabilité de l' organe
individuel ou celle des membres des organes collégiaux.

6. La responsabilité, qui est attachée à la fonction, concerne tout adminis-


trateur ou tout gérant, quels que soient son mode de désignation et les pou-
voirs réels dont il dispose au sein de la société.

Ni, à l'évidence, l'indifférence (15), ni }'absence, ni l'incompétence, voire


même Ie motif philanthropique pour lequel il aurait accepté sa mission ou la
( 15) «Les administrateurs ne peuvent échapper à leur responsabilité en disant qu 'ils nes' oc-
cupaient pas de la politique de la société. En effet, les administrateurs doivent exercer eux-
mêmes leur mandat et ne peuvent jamais se faire remplacer de manière permanente par un
mandataire comme celafut ie cas en l'espèce. { .. .} C'est déjà en soi unefaute grave de prêter
son nom et, sans s'occuper effectivement de l'administration de la société, d'en confier totale-
ment la gestion de fait à un mandataire» (Comm. Termonde (3ème ch.), 6 décembre 1999,
J.D.S.C., 2001, n° 315, p. 194; T.R. V., 2000, p. 40 et note; voyez également Gand (7ème ch.),
8 février 2001, J.D.S.C., 2003, n° 508, p. 211 et note M.A. DELVAUX, «De !'administrateur
responsable et de l'importance du lien de causalité» ).

8
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

gratuité de son mandat ne pourraient limiter la responsabilité d'un adminis-


trateur ou d'un gérant (16). Ainsi, il a été jugé que l'obligation d'établir des
comptes annuels est une obligation qui incombe aux administrateurs et qu'ils
ne peuvent se dégager de leur responsabilité pour l' établissement de comptes
annuels inexacts en invoquant qu'ils n'ont pas collaboré activement à l'éla-
boration de ces comptes et que ceux-ci ont été rédigés par !'expert comptable
de l' entreprise et vérifiés et approuvés par Ie réviseur (17).

Les administrateurs soumis aux pressions exercées par les actionnaires, sans
rapport avec l'intérêt de la société, invoquent parfois le manque d'indépen-
dance pour esquiver leurs responsabilités. Il en va ainsi des administrateurs
désignés par les pouvoirs publics dans les sociétés que ceux-ci contrölent et
auxquelles ils portent un intérêt particulier ou des cadres d'une entreprise
chargés d' occuper un siège au conseil d' administration d' une filiale. Ni pour
ces cadres d' entreprise, ni pour les administrateurs pub lies n' existent des rè-
gles dérogatoires au dtoit commun (18). Leur responsabilité pourra être en-
gagée, en fonction des circonstances. C'est au pouvoir judiciaire qu'il appar-
tiendra d' apprécier celles-ci.

7. Eu égard à leur spécificité, certains administrateurs mériteraient un sort


particulier.

La réglementation des conflits d'intérêts au sein des sociétés cotées a été


refondue par la loi du 2 août 2002 ( 19), tout en préservant Ie pouvoir de
(16) 0. RALET, op. cit., p. 97 et J. Fr. GOFFIN, op. cit., p. 312. Voyez notamment Liège, 1
décembre 1969, Rev. prat. soc., 1971, p. 280; Anvers, 29 septembre 1981, Rev. prat. soc.,
1981, p. 89, n° 6180, note P.C.; voyez aussi sur ce point J.-L. FAGNART, «La responsabilité
civile. Examen de jurisprudence (1968 à 1975)», J. T., 1976, p. 591.
(17) Comm. Hasselt (4ème ch.), 25 juin 2002, J.D.S.C., 2004, n° 580, p. 234, et note M.A.
DELVAUX, «C'est pas (que) moi, c'est (aussi) lui! Les fautes concurrentes, la responsabilité
solidaire ou in solidum, l'intervention d'un garant: autant de voies utiles au fautif pour limiter
sa part de responsabilité et la facture finale?», T.R. V., 2003, p. 81 et note J. VANROYE.
(18) La situation des administrateurs publics a spécialement requis l' attention de la doctrine.
Celle-ci est généralement d'avis qu'il faut veiller à sauvegarder Ie sens des responsabilités de
tous les administrateurs, quels que soient les actionnaires qu'ils représentent; Ie conseil d'ad-
ministration forme un collège et toute différenciation fondamentale entre ses membres irait à
l'encontre des principes élémentaires d'une saine gestion sociétaire. L'écueil à éviter est la
création artificielle d'une caste d'intouchables, la mise en place d'une République des féoda-
lités ... (M.-L. STEINGERS, «Le statut légal des administrateurs publics», J. T., 1980, p. 576).
( 19) K. GEENS et M. WYCKAERT, «La nouvelle réglementation relative aux con flits d' inté-
rêts au sein d'un groupe de sociétés: vers Ie développement d'un droit beige de groupe de
sociétés?», in Corporate governance ~ Loi du 2 août 2002, Colloque Vanham & Vanham, 24
octobre 2002; M. CALUWAERTS, «Conflits d'intérêts et droit des groupes», in Dernières
évolutions en droit des sociétés, Bruxelles, Ed. Jeune barreau, 2003, pp. 161 ets.; D. SZA-
.. ./...

9
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

décision du conseil d'administration. L'article 524 comporte une réglementa-


tion qui s'applique à toute décision ou opération d'une société cotée qui vise
les relations entre les sociétés du groupe auquel la société cotée appartient (à
l'exception des relations entre la société cotée et ses filiales). Il vise donc
moins les conflits d'intérêts purs et simples que les relations intra-groupe,
qu'il encadre dans une optique de défense des intérêts des actionnaires mino-
ritaires de la société cotée belge.

Si l'article 524 soumet toujours les décisions ou opérations qui tombent dans
son champ d'application à l'appréciation d'administrateurs «indépendants»,
mais cette indépendance ne s' apprécie plus uniquement au re gard de l' opéra-
tion envisagée mais de manière plus objective et fonctionnelle, au regard des
critères énoncés par la disposition légale. Les administrateurs indépendants
doivent au moins répondre à des critères fonctionnels, personnels et finan-
ciers et, en tout état de cause, «n 'entretenir aucune relation avec une société
qui est de nature à mettre en cause leur indépendance» (article 524, § 4, al. 2,
4°). L'article 524 s'inscrit dès lors nettement dans les techniques actuelles de
corporate governance et, même si la loi ne prévoit pas directement la dési-
gnation obligatoire d'administrateurs indépendants au sein des sociétés co-
tées, cette disposition aura pour effet que la plupart des sociétés belges cotées
désigneront, in tempore non suspecto, trois administrateurs indépendants au
sein de leur conseil d'administration (20).

Le recours à des administrateurs indépendants, auxquels le législateur a attri-


bué, dans un contexte de promotion de l' actionnariat salarié (21 ), Ie röle de
«gardiens des intérêts de l'entreprise, y compris des travailleurs et des autres
stakeholders» (22), a introduit, dans la structure moniste belge, un «dualisme
fonctionnel» (23), qui distingue, au sein d'un même organe, la fonction de
_gestion de celle de surveillance. L'intervention des administrateurs indépen-
dänis permet de fournir un avis préalable objectif au conseil d'administra-

.. ./ ...
FRAN, «Les conflits d'intérêts au sein des groupes de sociétés et la notion d'administrateur
indépendant», in A. PUTTEMANS (coord.), Actualités en droit des sociétés, Bruxelles, Bruy-
lant, 2006, pp. et s.
(20) La désignation d'administrateurs indépendants avait été recommandée par la Bourse de
Bruxelles et par la Fédération des Entreprises de Belgique. Par ailleurs, la Commission bancai-
re et financière a encouragé la mise en ceuvre de pratiques de rapportage concernant les usages
et les règles de corporate governance.
(21) J. MALHERBE et Y. DE CORDT, «La participation des travailleurs au capita! et aux
bénéfices des sociétés. Aspects de droit des sociétés», in La participation des travailleurs au
capita/ et aux bénéfices des sociétés - Commentaires de la loi du 22 mai 2001, Bruxelles,
Bruylant, 2001, pp. 205 ets.
(22) Doe. pari., Ch. Repr., sess. 2000-2001, n° 50 1211/001, p. 24.
(23) V. MAGNIER, Rapprochement des droits dans l'Union européenne et viabilité d'un droit
commun des sociétés, Paris, L.G.D.J., 1999, n° 715.

10
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

tion, qui reste libre d'agir comme bon lui semble. Cependant, on peut raison-
nablement s' attendre à ce que, éclairés par un avis rendu par des administra-
teurs indépendants, assistés d'un expert indépendant, les administrateurs ne
marquent pas leur accord avec des opérations qui entraîneront manifestement
un appauvrissement de la société ou seront fortement contraires à ses intérêts.
Le «dualisme Jonctionnel» est consacré, de manière institutionnelle, par le
Code Lippens, qui formule de nombreuses recommandations à eet égard. Il
pröne une séparation nette des responsabilités entre, d'une part, la responsa-
bilité de la conduite du conseil d'administration et, d'autre part, la responsa-
bilité exécutive de la conduite des activités de la société, la même personne
ne pouvant exercer à la fois la présidence du conseil d'administration et la
fonction de Chief Executive Office r. Le Code Lippens requiert que Ie conseil
d'administration comporte au mains autant d'administrateurs non-exécutifs
qu' exécutifs (24) - un administrateur étant « non-exécutif» lorsqu' il ne se char-
ge d' aucune responsabilité exécutive dans la société- et que trois administra-
teurs non-exécutifs au moins doivent être indépendants (règle 2.2). Selon le
Code Lippens, aucun administrateur individuel ou groupe d'administrateurs
ne peut dominer la prise de décisions dans le conseil d'administration. Dans
les prises de décisions, l'indépendance de jugement est requise de tous les
administrateurs, quels qu'ils soient. Le Code Lippens reconnaît que, tout en
faisant partie du même organe collégial, les administrateurs exécutifs et les
administrateurs non-exécutifs ont un röle spécifique et complémentaire àjouer
dans Ie conseil d'administration.

Au sens du Code Lippens, l'indépendance doit exister vis-à-vis de la société


elle-même, de ses actionnaires de controle et de leur management et vis-à-vis
du management de la société. Elle implique que l' administrateur ne peut pas
entretenir avec ces parties de relations d'affaires, de relations familiales ou
autres, qui révèleraient un conflit d'intérêts ou qui, de toute autre manière,
pourraient influencer son avis indépendant (règle 2.3). L'annexe A explicite
ces critères d'indépendance, qui sont inspirés du document de consultation
relatif au projet de recommandation de la Commission européenne (25). Ces
critères d'indépendance coïncident en partie avec les critères légaux de l'arti-
cle 524 mais diffèrent néanmoins sur plusieurs points.

Malgré sa valeur de compromis, le système hybride du «dualisme fonction-


nel» expose les administrateurs indépendants aux risques de mise en cause de
leur responsabilité. Le problème se pose également, au demeurant, pour les
administrateurs «non-exécutifs». En effet, les articles 527 et 528 du Code ne

(24) Nihil.
(25) Recommandation de la Commission du 15 février 2005 concemant Ie röle des administra-
teurs non-exécutifs et des membres du conseil de surveillance des sociétés cotées du conseil
d'administration oude surveillance (2005/162/CE). J.O., 25.02.2005, L.52.

11
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

font apriori aucune distinction entre les membres du conseil d'administra-


tion et il appartiendra au juge de prendre en considération la nature de la
fonction des uns et des autres au moment d'apprécier l'existence d'une faute
de gestion dans leur chef ou d'admettre un renversement de présomption en
cas d'infraction au Code des sociétés ou aux statuts (26). Certains plaident
dès lors, à juste titre, pour que la responsabilité des administrateurs indépen-
dants, qui se limitent à superviser et à influencer, soit strictement circonscrite
en fonction de leurs missions spécifiques (27). La jurisprudence en matière
de responsabilité des dirigeants devrait être réceptive au dualisme «fonction-
nel» - instauré par le Code Lippens - qui implique une «asymétrie de fait»
entre les administrateurs exécutifs et les administrateurs non-exécutifs, inhé-
rente à la nature de leurs missions respectives. La prise en considération par
la jurisprudence de cette distinction sera plus aisée si le Code Lippens est
adopté comme code de référence par le législateur.

8. Ceux qui exercent en fait la fonction d'administrateur ou de gérant,


sans avoir été désignés par l' organe compétent de la société, s' exposent à la
même responsabilité que leurs homologues de droit (28).

Il est difficile de définir quand commencent l'immixtion dans la gestion et


l' exercice en fait des pouvoirs réservés aux administrateurs ou aux gérants.
Selon P. Van Ommeslaghe et X. Dieux, une personne peut être qualifiée de
mandataire de fait lorsque «sans avoir été régulièrement investie des pou-
voirs nécessaires à cette fin, (elle s'est) effectivement comportée comme un
administrateur, en prenant, seule ou avec d'autres, des décisions ressortis-
sant à l'administration de la société au sens de l'article 54 des lois coordon-
nées (devenu 522 du Code des sociétés), que seul l'organe d'administration
aurait pu prendre. Il faut en outre que, par leur répétition ou en raison de
toutes autres circonstances spécifïques à constater par le juge, ces décisions
impliquent l 'existence dans le chef de la personne en cause de la véritable
maîtrise des affaires sociales, en fait» (29). On peut ajouter que cette maîtrise
doit être exercée en totale indépendance (30).
(26) X. DIEUX, ««Corporate Governance»: W. Kent v. Lenötre», in Mélanges Philippe Gé-
rard, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 209.
(27) E. WYMEERSCH, "European Company Law and Corporate Governance: Quo vadis? -
Closing remarks", Rabel Zeitschriftfür ausländisches und internationales Privatrecht, 2005/
4, p. 793.
(28) Cass., 2 décembre 1963, Rev. prat. soc., 1965, p. 13; An vers, 28/04/1997, T. Not., 1997, p.
521.
(29) P. VAN OMMESLAGHE et X. DIEUX, «Les sociétés commerciales - examen de juris-
prudence (1979-1990)», R.C.J.B., 1993, p. 793, n° 130.
(30) 0. POELMANS, «L'affaire des 'Forges de Clabecq' et Ie droit de la faillite», note sous
Bruxelles (8ème ch.), 1er mars 1997, D.A.O.R., n° 43, p. 78, qui se réfère à un arrêt de la Cour
.. ./...
12
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

Selon un arrêt de la Cour d'appel de Liège, ne sant pas des «administrateurs


de fait» les membres d'un «comité de direction et de surveillance» (31) qui
ne prennent pas d' initiati ve, ne signent pas de documents, ne jouissent d' aucune
délégation de pouvoir et dont les interventions extérieures se placent unique-
ment dans Ie cadre de bons offices (32). Par ailleurs, Ie simple fait pour un
associé de déposer Ie bilan de la société alors que celle-ci n'a plus de gérant
ne suffit pas à permettre de Ie considérer comme dirigeant de fait (33). En
revanche, est bien un dirigeant de fait, celui qui a seul les contacts avec la
clientèle, établit et signe les devis et contrats, fixe les prix, dirige et surveille
Ie personnel, a la signature de tous les comptes et peut opérer tout transfert de
fonds, se fait verser, outre un appointement fixe, une commission et ce, sans
être couvert par une décision préalable de la gérante, un vote de l' assemblée
générale ou une convention, s'attribue des frais de transport auxquels il n'a
pas droit et est seul compétent pour prendre les décisions importantes de la
vie sociale (34 ).

La qualification d' administrateur ou gérant de fait suppose que l' immixtion


dans la gestion intervienne sans aucun fondement légal ou contractuel. Cer-
tains contrats impliquent, en effet, une telle immixtion: «la notion même de
contrat de franchise suppose une nécessaire ingérence du franchiseur dans
les affaires du franchisé puisque le franchiseur doit mettre à la disposition du
franchisé un savoir-faire, une assistance, des conseils de gestion ou de pro- \.-
duction que les seules farces du franchisé ne lui permettent pas d'obtenir»

.. ./ ...
d'appel de Bruxelles du 14 septembre 1988 (R.D.C., 1989, p. 171 et note; T.R. V., 1989, p. 55 et
note J. LIEVENS) en ces termes: «la Cour rappelle d'abord que la qualité d'administrateur
de fait apparaît lorsque quelqu 'un, en foute indépendance et liberté, réellement et de manière
positive, a pris en main l'administration de la société par lafixation de la politique commer-
ciale et de l'organisation du personnel, la conclusion de contrats, l'achat de matériel, la par-
ticipation à l 'administration technique et administrative et le fait de contracter des emprunts.
Les abstentions et les négligences pas plus que les suggestions, les conseils et la surveillance
légale (par exemple comme fournisseur de crédit ou comme caution) ne suffisent pour carac-
tériser une administration de fait». 0. POELMANS signale que Ie délégué d'une organisation
syndicale organisant la poursuite des activités dans Ie cadre d'une occupation d'usine n'agit
pas en qualité d'indépendant puisqu'il reste dans les liens de subordination l'unissant à son
syndicat; il ne peut donc être considéré comme administrateur de fait ni tenu responsable des
désordres de la gestion (Comm. Liège, 17 mai 1983, Jur. Liège, 1983, p. 449 et note P. FRAN-
ÇOIS).
(3 1) Le comité dont il était ici question n' était pas - encore - un «comité de direction» au sens
de I' article 524bis CS, qui a légalisé, moyennant le respect de certaines conditions, cette prati-
que ancienne qui consistait à créer des comités en marge de la loi.
(32) Liège, ler décembre 1969, Rev. prat. soc., 1971, pp. 280 ets. et spéc. p. 289.
(33) Liège (7ème ch.), 17 décembre 1996, J.D.S. C., 2000, n° 204, p. 250; J.L.M.B., 1998, p. 583.
Cette décision a réformé Comm. Namur, 20 novembre 1995, Rev. prat. soc., 1996, p. 349 et
note M. DE WOLF.
(34) Comm. Bruxelles (4èmc ch.), 30 mars 1981, J. T., 1981, p. 524.

13
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX

(35). Le franchiseur ne peut dès lors être qualifié d'administrateur ou gérant


de fait du franchisé que lorsqu'il prend «des initiatives dépassant le cadre
contractuel de la franchise, en po sant des actes que n 'auraient pu pose r que
les administrateurs, par exemple en signant des documents, en assistant aux
réunions du conseil d'administration, en donnant directement des instruc-
tions au personnel, en imposant des prix à la revente, etc ... aliénant ainsi la
nécessaire indépendance que doit pouvoir conserver la société franchisée»
(36).

Les personnes appelées à conseiller ou à surveiller une société - telles que les
banquiers ou les fournisseurs exclusifs - doivent donc se garder de franchir la
frontière qui sépare l'avis ou l'observation de la prise de décision. Il a été
jugé que le banquier qui exerce un controle étroit sur la gestion en payant les
factures du crédité sur la base de pièces justificatives remises par le crédité et
en exigeant que certaines décisions impliquant une utilisation des crédits oc-
troyés soient soumises à son accord préalable ne peut être qualifié d'adminis-
trateur de fait (37).

9. L'article 524bis CS dispose, en ce qui concerne les SA, que les statuts
peuvent autoriser le conseil d'administration à déléguer ses pouvoirs de ges-
tion à un comité de direction composé de plusieurs personnes, administra-
teurs ou non. Cette délégation ne peut toutefois porter sur «la politique géné-
rale de la société ou sur !'ensemble des actes réservés au conseil d'adminis-
tration en vertu d'autres dispositions de la loi». Le conseil d'administration
assume une obligation de surveillance du comité de direction. La loi du 2 août
2002 a complété les articles 527 et 528 du Code des sociétés afin d'élargir
aux membres du comité de direction la responsabilité pour faute de gestion et
pour violation du Code ou des statuts sociaux. Dans !'attente d'une jurispru-
dence spécifique à leur égard, les hypothèses susceptibles d'engager la res-

(35) D. MATRAY, «Introduction générale», in Le contrat de franchise, CDVA Liège, 29 sep-


tembre 2000, Bruylant, 2001, p. 8.
(36) Mons (lère ch.), 13 janvier 2003, J.D.S.C., 2004, n° 588, p. 264 et obs. M.A. DELVAUX,
DAOR, 2002, liv. 64, p. 377. Le premier juge avait considéré Ie franchiseur comme administra-
teur de fait de son franchisé et avait été condamné dans Ie cadre de 1' action en comblement de
passif.
(37) Comm. Bruxelles, 3 avril 2001, J.D.S.C., 2004, n° 587, p. 261 et note M.A. DELVAUX
«L'action en comblement de passif: qui peut l'introduire? contre qui?». Ce jugement cite
0. RALET, op.cit., pp. 69 et 70, n° 46; J. Fr. GOFFIN, op.cit., pp. 86 à 89, n° 50. De même,
la désignation par un banquier d'un expert indépendant chargé de surveiller les travaux ne Ie
transforme pas en administrateur de fait. Les banques ne sortent pas de leur róle de bailleur de
fonds en imposant aux crédités des mesures de contróle technique adaptées à la mesure du
crédit et destinées à assurer une surveillance normale de celui-ci (Comm. Bruxelles, 3 avril
1984, Rev. prat. soc., 1984, p. 184).

14
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

ponsabilité des dirigeants peuvent, selon nous, être étendus mutatis mutandis
aux membres du comité de direction.

§ 2. La personne morale administrateur ou gérant et son représentant per-


manent

10. L' article 61, § 2 du Code des sociétés prévoit expressément qué la per-
sonne morale administrateur d'une société (38) doit désigner un représentant
permanent, personne physique chargée de l'exécution de cette mission, qui
encourt les mêmes responsabilités (civile et pénale) que si elle exerçait cette
mission en nom et pour compte propre, sans préjudice de la responsabilité
solidaire de la personne morale représentée (39). Les tiers peuvent ainsi ré-
clamer la réparation de l'intégralité du dommage soit à la personne morale
administrateur, soit à la personne physique exerçant la mission de gestion
(40).

L'objectif poursuivi par le législateur a été d'éviter qu'une personne physi-


que puisse éluder sa responsabilité de dirigeant en faisant nommer à sa place,
au poste d'administrateur, une société qu'elle contröle et derrière laquelle
elle se dissimule (41 ).

A première vue, l'intérêt d'administrer une société par le biais d'une person-
ne morale afin de masquer sa responsabilité personnelle semble avoir disparu
avec l'entrée en vigueur du nouveau régime. Toutefois, cette affirmation doit
être nuancée en l' absence de sancti ons spécifiques du non respect de l' obli-
gation de désignation. Il est, en pratique, tout à fait possible que certaines
sociétés négligent de désigner un représentant permanent, ce qui engage leur
responsabilité pour violation de la loi mais pourrait éviter à la personne phy-

(38) Qu'il s'agisse de ]'administrateur de SA, du gérant de SPRL oude SCRL, ou du membre
du comité de direction d'une SA. Par contre, la personne morale déléguée à la gestion jour-
nalière ne doit pas désigner un représentant permanent (Doe. Pari., Chambre, sess. ordin.,
2001-2002, n° 1211/14, pp. 241 et 244).
(39) Sur Ie statut, le róle et la responsabilité du représentant permanent, voyez 0. CAPRASSE,
«Personne morale administrateur et comité de direction» publié dans DAOR, 2002/64, pp. 328
ets. et C. EYBEN, «Le représentant permanent: une fonction qui mérite réflexion», Rev. prat.
soc., 2003, pp. 131 ets.
(40) Si Ie représentant est un employé de la société, il ne peut voir sa responsabilité personnel-
le engagée qu'en cas de faute volontaire, de faute grave oude faute légère habituelle. Dans
cette hypothèse, la personne morale demeure responsable tant en sa qualité d'administrateur,
d'une part, que d'cmployeur sur pied de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil, d'autre part.
Les travaux préparatoires indiquent que la loi nouvelle ne porte pas atteinte aux règles de
responsabilité appliquées dans le droit du travail et ils citent précisément l'article 18 de la loi
du 3 juillet 1978 (Doe. Pari., Chambre, sess. ordin., 2001-2002, n° 1211/1, pp. 11 et 12).
(41) Doe. Pari., Chambre, sess. ordin., 2001/2001, n° 1211/001, pp. 9, Il et 12.

15
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL V AUX

sique exerçant le mandat d'administrateur de voir sa responsabilité person-


nelle engagée. En effet, l' article 61, § 2, n' étend la responsabilité qu' au re-
présentant permanent. Si la personne physique exerçant le mandat de gestion
au nom de la société administrateur n'a pas été formellement désignée repré-
sentant permanent, on pourrait soutenir que la responsabilité renforcée ne
peut lui être appliquée. En ce sens, le régime antérieur à l' entrée en vigueur
de la loi du 2 août 2002 conserverait un intérêt certain pour la personne phy-
sique administrateur qui souhaiterait limiter sa responsabilité. Cette position
indulgente à l' égard du représentant permanent «de fait», qui n' a pas été dé-
signé «officiellement», paraît toutefois critiquable: en représentant la person-
ne morale sans avoir été expressément désignée comme représentant perma-
nent, la personne physique participe à la violation de la loi, ce qui est suscep-
tible d'engager sa responsabilité. En outre, on pourrait considérer qu'elle est
un «représentant permanent de fait», qui engage sa responsabilité comme si
elle avait été officiellement désignée, de la même manière que !'administra-
teur de fait engage sa responsabilité dans les mêmes conditions que !'admi-
nistrateur de droit.

Sur le plan pénal, l' article 61, § 2 du Code des sociétés déroge au régime de
«cumulldécumul» des responsabilités pénales de la société commerciale et de
la personne physique, instauré par le nouvel article 5, al. 2 du Code pénal
(42). En effet, cette disposition implique que le représentant permanent de la
personne morale administrateur encourt les mêmes responsabilités sur le plan
pénal que s'il exerçait lui-même la mission de gestion en nom et pour compte
propre. Il peut donc être poursuivi pénalement (i) pour une infraction commi-
se involontairement alors même qu'il n'a pas commis la faute la plus grave et
(ii) pour une infraction commise sciemment et volontairement sans que le
juge ait le choix de ne condamner qu'une des deux personnes, la société ad-
ministrateur ou son représentant permanent. Le texte légal invite à considérer
le représentant permanent comme l' auteur direct del' infraction, indépendam-
ment de la société administrateur qui l' a désigné. Ce nouveau régime aggrave
substantiellement la responsabilité de la personne physique agissant dans le
cadre d'une société commerciale puisque l'application de l'article 5, al. 2 du
Code pénal lui permettait auparavant, dans de nombreuses hypothèses,
d'échapper à toute responsabilité pénale. Ce nouveau régime aggrave égale-
ment la responsabilité pénale de la société administrateur car il semble diffi-
(42) L' article 5, al. 1er du Code pénal dis pose que toute personne morale est pénalement res-
ponsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la
défense de ses intérêts, oude celles dont les faits concrets démontrent qu'elles ont été commi-
ses pour son compte. Aux termes de l'alinéa 2, «Lorsque la responsabilité de la personne
morale est engagée exclusivement en raison de l'intervention d'une personne physique identi-
fiée, seule la personne qui a commis lafaute la plus grave peut être condamnée. Si la personne
physique identifiée a commis la faute sciemment et volontairement, elle peut être condamnée
en même temp,1· que la personne morale responsable».

16
l
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCJETES ET EN DROIT FINANCIER

cile d' admettre que l' on puisse faire, au profit de la société, une application
simultanée des articles 61, § 2 du Code des sociétés et 5, al. 2 du Code pénal.
En ce qui concerne cette influence de l'article 61, § 2 sur la responsabilité
pénale, nous renvoyons au rapport d'H. Bosly.

§ 3. Les délégués à la gestion journalière

11. La gestionjournalière d'une SA ou d'une SCRL est fréquemment con-


fiée à un administrateur, qui prend le nom d' administrateur délégué et est
alors soumis, pour l' ensemble des actes accomplis dans l' exercice de ses fonc-
tions, aux responsabilités qui pèsent sur les administrateurs. Mais la loi per-
met, dans les SA (article 525, al. 1 CS), et n'interdit pas, dans les SCRL (43),
que cette gestion journalière soit déléguée à quelqu'un qui n' a pas la qualité
d'administrateur, par exemple, à un directeur.

Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 22 jan vier 1981 (44 ), qui a renver-
sé la position traditionnelle (45), la gestion journalière peut être, en tant que

(43) Une grande liberté contractuelle est reconnue par la loi pour organiser Ja gestion journa-
lière de Ja coopérative; à titre supplétif, c' est-à-dire à défaut de stipulation particulière dans les
statuts, J'article 378 du Code des sociétés (article 146, 3° des L.C.S) précise qu'elle est admi-
nistrée par un administrateur.
(44) Cass., 22janv. 1981, Pas., 1981, I, p. 543, J.T., 1981, p. 342, J.C.B., 1981, p. 343, obs.,
J.D.S. C., 1999, n° 29, p. 88, R. C.J.B., 1981, p. 500, note S.J. NUDELHOLE, «Délégation à la
gestion journalière de la société anonyme et contrat d'emploi». «Attendu que de la seule cir-
constance que Ie directeur d'une société qui n 'est pas administrateur de celle-ci, n 'exerce pas
d'autres fonctions que celle de délégué à la gestion journalière, il ne peut être déduit que Ie
contrat qui le !ie à la société n 'est pas un contrat d' emploi» (nous soulignons). Voyez, dans Ie
même sens, J. CLESSE et M. JAMOULLE, op. cit., n° 3, p. 568. M. JAMOULLE, op. cit.,
n° 153, p. 205.
(45) Doctrine et jurisprudence considéraient que !' exercice de la gestion journalière était ex-
clusif d'un état de subordination et, partant, d'un contrat de travail, et qu'il ne pouvait se
concevoir que comme mandataire (Voyez, en ce sens, Cass., 8 oct. 1979, J.T.T., 1980, p. 59;
M. JAMOULLE, Le contrat de travail, Fac. Dr. Lg., 1982, t. I, n° 153, p. 205; J. CLESSE et
M. JAMOULLE, «Le contrat de travail. Examen dejurisprudence 1978 à 1981», R.C.J.B.,
1983, n° 4, p. 569). En conséquence, on estimait que, si la gestion journalière était déléguée à
un non-administrateur, celui-ci et Ja société étaient liés par deux contrats: un mandat pour
l' exercice de la gestion journalière et un contrat d' emploi pour les fonctions de directeur (Voyez,
sur ce point, N. BEAUFILS, «Contrat de travail, mandat social», I.T.T., 1981, p. 213; Trib.
trav. Bruxelles, 6 novembre 1987, J.T.T., 1988, p. 103). Pour que ces deux conventions -
compatibles - puissent être cumulées en fait, Ie directeur-gérant journalier devait accomplir
comme employé des täches techniques ou administratives distinctes de celles qui lui incom-
baient comme délégué à la gestion journalière. Dans l'exercice de ses fonctions d'employé, il
devait se trouver dans un lien de subordination vis-à-vis de la société (C. trav. Liège, 9 février
1972, Rev. prat. soc., 1973, p. 217; voyez aussi C. tra v. Liège, 4 mars 1982, J. T.T., 1983, p. 9;
Mons, 8 février 1988, Pas., 1988, II, p. 125; Bruxelles, 21 juin 1988, J.T.T., 1989, p. 308;
.. .! ...

17
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

telle, l'objet d'un contrat d'emploi. Ainsi, le directeur qui n'est pas en même
temps administrateur et qui exerce la gestion journalière dans le cadre d'un
contrat d'emploi peut invoquer, à son profit, les limitations de responsabilité
prévues au bénéfice des employés (article 18 de la loi du 3 juillet 1978). Un
pas supplémentaire a été franchi par un arrêt du 28 mai 1984 (46): si, dans son
premier arrêt, la Cour de cassation considérait que la fonction d' administra-
teur délégué ne pouvait s'exercer dans Ie cadre d'un contrat d'emploi, à peine
de violer les dispositions légales relatives à la révocabilité des administra-
teurs (47), elle admet, dans I' arrêt de 1984, qu'un administrateur puisse être
chargé de la gestionjournalière dans Ie cadre d'un contrat d'emploi.

La loi sur les sociétés n' a pas prévu, pour les SPRL, de délégué à la gestion
journalière. Dans cette forme sociétaire, le principe est la gestion individuel-
le: chaque gérant peut poser tous les actes d'administration et de disposition
liés à l' accomplissement de l' objet social, sauf ceux que la loi réserve à l' as-
semblée générale (article 257, al. 1 CS); les gérants disposent dès lors de
pouvoirs concurrents, que ce soit au niveau de la gestion interne de la société
oude sa représentation externe (48). On peut donc douter apriori de l'oppor-
tunité de recourir à cette notion de délégation journalière dans le cadre des
SPRL.
.. ./...
J. CLESSE, «Examen de jurisprudence. Contra! de travail», R. C.J.B., 1988, p. 241 ). Si la res-
ponsabilité du directeur-gérantjournalier était mise en cause, il fallait vérifier en quelle qualité
Ie comportement incriminé avait été accompli pour appliquer, Ie cas échéant, les règles corres-
pondantes. En qualité de délégué à la gestion journalière, il répondait de sa foute légère tant sur
Ie plan contractuel que sur Ie plan délictuel ou quasi délictuel. Il avait en outre la qualité
d'organe, ce qui permettait aux tiers, Ie cas échéant, d'invoquer la responsabilité directe et
personnelle de la société, !'acte accompli étant censé être celui de la société. En qualité de
directeur, les limitations de responsabilité prévues par l' article 18 de la loi du 3 juillet 1978
pouvaient être invoquées: la société et les tiers n'obtenaient satisfoction qu'en démontrant
l'existence d'un dol ou d'une foute lourde ou Ie caractère habituel d'une faute légère.
(46) Cass., 28 mai 1984, Pas. 1984, I, p. 1172, Arr. Cass., 1983-1984, p. 1252, Bull. 1984, p.
1172,R. W., 1984-1985, p. 333,J.D.S.C., 1999, n° 30, p. 90 et obs. P. KILESTE etC. BERTSCH.
Dans Ie même sens, voyez Cass. (3èmc eb.), 30 mai 1988, Rev. dr. soc., 1988, p. 293: «/'admi-
nistrateur est lié par un contrat de tra va il lorsqu 'il assure la gestionjoumalière sous l' autori-
té d'un organe, d'un autre administrateur ou d'un préposé de la société».
(47) Pour les SA, voyez l'article 518, §3 CS stipulant que les administrateurs sont toujours
révocables par l'assemblée générale. Pour les SPRL, l'article 256, al. 2 prévoit que les pou-
voirs des gérants sont révocables en tout ou en partie pour motifs graves. Aucune disposition
similaire n'existe pour les SCRL.
(48) M. COIPEL, Les sociétés privées à re.1po11sabilité limitée, op. cit., n° 280, pp. 244-245.
Dans la pratique cependant, les statuts organisent parfois une gestion collégiale, par Ie biais
d'un conseil de gérance ou d'un collège de gestion, quine peut comporter que des gérants (et
non un directeur de la société par exemple). La clause statutaire relative à ce mode de gestion
est inopposable aux tiers, quand bien même elle aurait fait l'objet d'une publication aux An-
nexes du Moniteur beige (article 257, al. 2, CS). Quant à la représentation externe de la SPRL,
.../. ..

18
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

§ 4. La fin de la mission de gestion et de la responsabilité

12. Désigné par les statuts ou nommé par l' assemblée générale, le diri-
geant qui est en désaccord avec Ie conseil d'administration et veut éviter de
participer à des décisions susceptibles d' engager sa responsabilité peut dé-
missionner à tout moment. Sa démission ne peut toutefois interve'nir «à con-
tretemps», c' est-à-dire à un moment ou elle porterait préjudice à la société
(49). Dans certains cas, l' administrateur qui souhaiterait démissionner doit
donc poursuivre sa missionjusqu'à ce qu'il soit remplacé. La démission peut,
au demeurant, être fautive si elle constitue une fuite et un abandon de pouvoir
aux mains d'administrateurs dont Ie démissionnaire désapprouve les métho-
des (50). L' assemblée générale doit prendre acte de la démission intervenue,
qui doit être publiée au Moniteur belge (article 74, 2°a CS), et veiller si né-
cessaire au remplacement du démissionnaire (51 ).
L'assemblée générale qui n'accepte plus la manière de gérer de !'administra-
teur ou du gérant peut également décider de Ie révoquer.
Enfin, le mandat de gestion prend fin au termefixé, si Ie dirigeant n'est pas
reconduit dans ses fonctions.

Jusqu'à quel moment la responsabilité du dirigeant peut-elle être engagée?


- '.A. l' égard de la société, la démission, acte unilatéral et non formaliste, la
révocation et l' échéance du terme du mandat ont un effet immédiat. Elles
libèrent Ie dirigeant de toute responsabilité pour les conséquences préjudicia-
bles d'un acte fautif ou d'une omission fautive future du conseil d'adminis-
tration. Le dirigeant demeure évidemment tenu à l 'égard de sa mandante de
la gestion antérieure à la fin de sa mission, même si Ie dommage ne se produit
qu'ultérieurement (52), mais il ne peut vair sa responsabilité engagée pour
les actes ou omissions fautifs postérieurs à la fin de sa mission .
.. ./. ..
les statuts peuvent également prévoir des modalités particulières dérogatoires au principe légal
de la signature reconnue à chaque gérant (ex.: nécessité de la signature de trois gérants) et cette
clause statutaire est opposable aux tiers si elle a été publiée aux Annexes du Moniteur beige
(article 257, al. 3 CS).
(49) Par exemple, lorsque sa démission entraîne une réduction du nombre de membres du
conseil d'administration en deçà du minimum légal ou statutaire.
(50) Liège, 8 mai 2003, DAOR, 2003, liv. 65, p. 70, qui ajoute que !'administrateur sur Ie
départ doitjustifier sa décision auprès de l'assemblée générale et dénoncer les faits précis qui
motivent sa décision.
(51) Comme y encourage M. Coipel, il serait opportun que, dans Ie silence du Code, les statuts
prévoient expressément les modalités selon lesquelles s'opère la démission. Ainsi, il peut être
utile de prévoir un délai dans lequel l' assemblée générale doit se réunir et pourvoir au rempla-
cement du démissionnaire; à défaut, celui-ci se trouve totalement dépendant de la société, qui
peut tarder à désigner un nouveau gestionnaire, avec la lourde responsabilité que cela implique
(M. COIPEL, «Les sociétés privées à responsabilité limitée», Rép. Not., Tome XII, Livre IV, et
Larcier, 1997, n° 296, p. 261 ).
.../ ...

19
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL V AUX

-A l'égard des tiers, démission et révocation ne produisent leurs effets qu'à


compter de la publication aux annexes du Moniteur belge (article 76, al. 2
CS), à moins que les tiers en aient eu connaissance avant cette publication. La
Cour d'appel de Bruxelles a ainsi jugé que Ie gérant «ne peut, au seul motif
qu 'il a donné sa démission, se désintéresser du sort de la société jusqu 'à son
remplacement. Jusqu 'à ce remplacement, il conserve, en principe, la possibi-
lité et l 'obligation de faire l 'aveu de la faillite si les conditions lui paraissent
réunies» (53).

En ce qui concerne l 'échéance du terme, il con vient de poser quelques dis-


tinctions. La durée du mandat des dirigeants déjà choisis et inscrits dans l' ac-
te constitutif de la société est opposable aux tiers par le biais de la publication
de. eet acte constitutif. De même, si la durée du mandat est précisée dans
l'acte de nomination des dirigeants qui est publié aux annexes du Moniteur
belge, elle est opposable aux tiers. Dans ces deux hypothèses, la fin du man-
dat est opposable de plein droit aux tiers sans formalité ou publication com-
plémentaire, la nomination à durée déterminée ayant déjà fait l'objet d'une
publication. Cependant, l'article 69, 9° du Code des sociétés n'impose pas
que la durée du mandat soit publiée en même temps que le nom des dirigeants
et l'indication de leurs pouvoirs. Si cette durée n'a pas été publiée d'initiati-
ve, et même si l'article 74, 2°, a ne l'exige pas expressément (54), il est indis-
pensable de publier l'arrivée du terme et la fin corrélative du mandat pour la
rendre opposable aux tiers. Généralement, la publication de l' arrivée du ter-
me du mandat se fait concurremment avec la publication de la nomination ou
la prolongation de mandat.

Pour assurer une plus grande sécurité juridique, il est conseillé de procéder à
la publication systématique de toute cessation de fonctions d'un dirigeant,
quelle qu' en soit sa cause.

SECTION 2
LA RESPONSABILITÉ POUR FAUTE DE GESTION

13. Aux termes de l' article 527 du Code des sociétés, «les administra-
teurs, les membres du comité de direction et les délégués à la gestion journa-

.. ./...
(52) Dans l'hypothèse ou Ie dirigeant aurait poursuivi sa mission de gestion après sa démission
ou sa révocation, on note que sa faute engagerait sa responsabilité comme administrateur de fait.
(53) Bruxelles, 24 février 2000, J.D.S.C., 2002, n° 408, p. 191 et obs. M.A. DELVAUX, Juris-
tenkrant 2000 (reflet D. BLOMMAERT), liv. 20, p. 4; Rev. prat. soc. 2000, 258, note W.
DERIJCKE.
(54) La «cessation des fonctions» qui doit être publiée selon cette disposition vise uniquement
les hypothèses de démission et de révocation, et non celle de l'arrivée du terme fixé (P. HAI-
NAUT-HAMENDE et G. RAUCQ, Les sociétés anonymes, T. I, Bruxelles, Larcier, 2005, p.
471, n° 370).

20
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

lière sont responsables, conformément au droit commun, de l 'exécution du


mandat qu 'ils ont reçu et des fautes commises dans leur gestion» (55). Les
administrateurs et les gérants assument, à l'égard de la société, l'obligation
de la gérer comme des professionnels actifs, loyaux et compétents qui analy-
sent attentivement les situations et osent prendre les décisions et les risques
que comporte toute activité économique. Les administrateurs ou gérants ne
peuvent invoquer la théorie de 1' organe pour s' exonérer de leur responsabili-
té à l' égard de la société gérée.

La faute de gestion consiste en un mauvais exercice du mandat d'administra-


teur (56). En effet, «lefait d'invoquer unefaute de gestion à charge des admi-
nistrateurs revient en définitive à considérer qu 'ils n 'ont pas correctement
rempli leur mandat et qu 'ils n 'ont pas géré la société au mieux de ses inté-
rêts» (57).

L'intérêt social (58) joue donc un róle dans l' appréciation de la faute. Pour
rappel, selon une première conception, l'intérêt social s'identifie à l'intérêt
commun des associés évoqué à l'article 19 CS. Pour ceux qui veulent mettre
l' accent sur le long terme et la continuité, l'intérêt social correspond à tout Ie
moins à l'intérêt des actionnaires actuels etfuturs. Enfin, la société commer-
ciale étant, par excellence, la structure juridique de l'entreprise, une troisiè-
me tendance considère que l'intérêt social recouvre également les intérêts
extern es à la société, c' est-à-dire ceux de ses partenaires ( « stakeholders » ),
qui collaborent avec la société, parmi lesquels les travailleurs, les créanciers,
voire la région économique. Dans le domaine de la responsabilité des admi-
nistrateurs et de l'évaluation de leurs comportements, la conception large de
l'intérêt social n'est pas le critère idéal d'appréciation. Le débat doit dès lors
être centré sur la poursuite de l'intérêt propre de la société commerciale, qui
consiste à assurer sa stabilité, sa continuité et son développement. Cela ne
signifie évidemment pas qu' une société puisse évoluer dans 1' ignorance tota-
le des effets de ses activités sur les tiers: elle doit agir sans abuser de ses
droits et dans le respect de ses obligations légales ou contractuelles. Cette
conception doit toutefois être nuancée en ce qui concerne les__groupes de so-
ciétés. La défense des intérêts du groupe peut amener les dirigeants d'une

(55) Article 262 pour les SPRL et article 408, al. 1 pour les SCRL.
(56) J.-L. FAGNART, «La responsabilité des administrateurs de la société anonyme», in J.-L.
FAGNART, X. DIEUX et Chr. DALCQ, La responsabilité des associés, organes et préposés
des sociétés, 1991, Bruxelles, Ed. Jeune Barreau, p. 1.
(57) 0. RALET, Responsabilités des dirigeants de société, Bruxelles, Larcier, 1996, p. 90; E.
HUPIN et B. DOCQUIR, «Responsabilité des dirigeants d'entreprise: Nouvelles lois, nou-
veaux risques?», op. cit, p. 337.
(58) A. FRANÇOIS, Het vennootschapsbelang in het Belgische vennootschapsrecht, Antwer-
pen, Intersentia Rechtswetenschappen, 1999; Y. DE CORDT, L'égalité entre actionnaires,
Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. et s.

21
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

société membre d'un groupe à sacrifier les intérêts de celle-ci ou à adapter


des décisions qui ne paraissent pas répondre à ses intérêts immédiats. En
effet, une partie de la jurisprudence et de la doctrine estime que, dans Ie cas
particulier des sociétés faisant partie d'un groupe, les intérêts légitimes du
groupe peuvent entrer en considération. Il faut toutefois, lors de l'apprécia-
tion de l'intérêt du groupe, que soient vérifiés: (i) l'existence effective d'un
groupe structuré en vue d'une politique économique commune, avec des avan-
tages pour les sociétés membres du groupe; (ii) !'absence de volonté de sacri-
fier purement et simplement un membre; (iii) l'équilibre entre les sacrifices
imposés à une société membre et les avantages qu'elle peut retirer de son
appartenance au groupe (59).

Le critère pour apprécier la faute, acte positif ou abstention, est cel ui de !'-ad-
ministrateur normalement diligent et compétent. La faute de gestion consiste
«dans tout manquement à l 'obligation que les administrateurs ont de gérer,
suivant le mandat qu 'ils ont reçu de la société, les intérêts de cette dernière
en bon père de familie, c 'est-à-dire en apportant à cette gestion tous les soins,
toute la diligence avec lesquels un chef de familie est censé administrer le
patrimoine familial. Elle peut être constituée par un fait positif, par une omis-
sion ou par une négligence» (60).

(59) Voyez Bruxelles, 16 juin 1981, Rev. prat. soc., 1981, p. 145 et Comm. Liège, 13 octobre
1981, Rev. prat. soc., 1982, p. 45. Voyez également G. KEUTGEN, «Les groupes en regard du
droit des sociétés», in Les groupes de sociétés, Faculté de droit de Liège, C.V.D.A., 1973, pp.
120 ets.; P. VAN OMMESLAGHE, «Rapport général», in Les droits et devoirs des sociétés
mères envers leursfiliales, Anvers, Kluwer, 1986, p. 77 ets.; M. MARECHAL, «Sur l'abus de
majorité dans les groupes de sociétés», note sous Bruxelles, 9 octobre 1984, Rev. prat. soc.,
1986, pp. 57 ets.; L. CORNELIS, «De aansprakelijkheid van bestuurders van vennootschap-
pen in groepverband», in Aspect des groupes d'entreprises, Anvers, Kluwer, 1989, p. 161; P.
VAN OMMESLAGHE et X. DIEUX, «Les sociétés commerciales, Examen de jurisprudence
(1979 à 1990)», R.C.J.B., 1992, p. 631; V. SIMONART, «Le contra! de management. Aspects
de droit des obligations et de droit des sociétés», R.D.C., 1991, p. 1058; E. WYMEERSCH,
«L'article 60 et Ie droit beige des groupes de sociétés», Hommage à Jacques Heenen, Bruxel-
les, Bruylant, 1994, p. 651, n° 23; A. FRANCOIS, «Het wankele evenwicht tussen vennoots-
chap en groepsbelang», T.R. V., 1994, p. 221; N. THIRION, «Délocalisation d'une division de
l'entreprise et l'intérêt social», Rev. prat. soc., 1996, p. 84, n° 31. Une filiale dont !'activité
reste économiquement viable ne pourrait pas se voir imposer d'arrêter ses activités en vue de
favoriser Ie développement d'une autre société du groupe, même si cette décision peut paraître
économiquement justifiée au niveau de!' ensemble du groupe vu les économies d' échelle et les
perspectives commerciales (voyez 0. RALET, op.cit., p. 92). Voyez également, en droit fran-
çais, l' arrêt fondateur de la jurisprudence française Cass. Cri m., 4 février 1985, Rozenblum,
Rev. soc., 1985, p. 648, note B. BOULOC et Q. ORBAN, «La «communauté d'intérêts», un
outil de régulation du fonctionnement du groupe de sociétés», R. T.D. Com., 2000, pp. 1 et s.
(60) Etude sur la question de l'action sociale et de l'action individuelle des actionnaires dans
les sociétés anonymes, Centre d'étude des sociétés anonymes, 1937, Bruxelles, p. 24, citée par
P. DE WOLF, «Variations sur la responsabilité des administrateurs. Variations sur Ie thème du
mandat», op.cit., p. 97.

22
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

La faute la plus légère de l' administrateur ou du gérant (culpa levissima in


abstracto) suffit à engager sa responsabilité. Mais la faute doit être appréciée
en tenant compte des faits ou circonstances qui auraient dû être connus des
administrateurs au moment ou ils ont décidé ou agi, et non en tenant compte
d 'hypothétiques événements postérieurs ( 61 ). Le tribunal écartera donc l' ap-
préciation aposteriori, fondée sur l' évolution du cours des événements (62).
Le juge dispose d'un pouvoir d'appréciation substantie! pour stigmatiser un
comportement ou une abstention. Il est largement admis que les dirigeants
sociaux disposent d'une «marge de mam:euvre» dans la prise de décision et
dans la gestion de la société. Dans les limites de cette marge, ils ont Ie choix
entre plusieurs décisions qui, bien que n' étant pas les meilleures, ne peuvent
être considérées comme déraisonnables. Une simple erreur d' appréciation ou
de jugement ne constitue donc pas nécessairement une faute (63). Certains
auteurs évoquent, dans ce con tex te, l' «appréciation marginale» du juge (64)
- version plus subjective et abstraite que la business judgment rule anglo-
saxonne -, même si l' application correcte des principes généraux d' apprécia-
tion de la faute est suffisante en soi pour circonscrire le röle du juge (65). Le
juge appréciera dès lors les décisions et actions des administrateurs sans pou-
voir - tout comme !'expert qu'il aurait éventuellement désigné - substituer
son opinion personnelle sur ce qui aurait été judicieux ou raisonnable de faire
ou décider (66).

L' obligation de bien gérer n' entraîne pas la responsabilité pour toute erreur
d' appréciation, d' opinion ou de décision. Ainsi, même en cas de non-respect
d'une norme légale autre que le Code des sociétés, il faut, pour conclure à
l'existence d'une faute de gestion, avoir égard au contenu et à la portée de la
norme violée, aux circonstances juridiques et économiques dans lesquelles
elle n'a pas été respectée et aux motivations profondes des administrateurs.
Si la norme dont la société est le destinataire n' a pas été respectée, non pour
favoriser les administrateurs et les gérants, mais dans l'intérêt de la société
elle-même, parce que celle-ci se trouvait dans une sorte d' état de nécessité ou
pour lui procurer un avantage économique, et si la norme laissait, par son
caractère technique, flou, ambigu ou imprécis, une marge d' appréciation im-

(61) J. RONSE et S. LIEVENS, op.cit., t. II, n° 10, p. 193.


(62) L' omission d'une précaution dont l 'expérience seule a démontré l 'importance ne peut être
considérée comme fautive (Mons, 6 février 1979, Rev. prat. soc., p. 75 obs. P. COPPENS).
(63) Mons, 20 mai 1985, Rev. prat. soc., 1985, p. 268.
(64) J. RONSE, «Marginale toetsing in het privaatrecht», T.P.R., 1977, p. 207.
(65) Voyez 0. RALET, Responsabilité des dirigeants de sociétés, 1996, Bruxelles, Larcier,
p.78 et I. CORBISIER, «Quelques réflexions en filigrane des développements récents qu'a
connus Ie droit de la responsabilité des administrateurs d'une personne morale», Rev. prat.
soc., 1994,p.67.
(66) Sur ce point, voyez 0. RALET, op.cit., pp. 77 à 81; J. Fr. GOFFIN. op.cit., pp. 103 à 108;
J. RONSE et S. LIEVENS, op.cit., n° 11, p. 194.

23
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX

portante à son destinataire, l'existence d'une faute de gestion dans Ie chef des
administrateurs n' est pas évidente. Dans ce cas de figure, ce n' est parfois
qu' aposteriori que I' acte s' avère illégal et que les sancti ons infligées ? I' en-
treprise ont pour effet de «confisquer» les avantages que eet acte était censé
lui procurer. L'attitude de la société et de ses actionnaires - plus ou moins
pressants et convaincants - peut également être prise en considération.

Le droit positifpeut être perméable aux règles issues de l'autorégulation. Les


recommandations en matière de corporate governance, dont l'objet est d'op-
timaliser la gestion des sociétés commerciales en se fondant sur les principes
d'intégrité, de transparence, d'indépendance et de responsabilité, peuvent être
des sources du droit, notamment en tant qu'usages reconnus comme sources
formelles de droit en matière économique ou que «standards» de comporte-
ment pour des dirigeants normalement prudents et diligents. Le juge peut
alors s'y référer, dans le cadre de son appréciation marginale de la légitimité
des décisions et de la responsabilité des administrateurs, plutót que de pren-
dre Ie risque de déterminer lui-même les bonnes pratiques. Les cours et tribu-
naux ont déjà reconnu et consacré des normes de soft law (règles profession-
nelles, contrats type ou nés de la pratique) en se fondant sur les notions de
bonne foi, de «manque de prudence» oude «conduite raisonnable et équita-
ble» (67). On pourrait également concevoir que certaines recommandations
soient intégrées dans les statuts et deviennent ainsi obligatoires (67bis).

14. On cite traditionnellement les exemples suivants de faute de gestion


(68):

- l' octroi de crédit à des personnes notoirement insolvables ainsi que l' oc-
troi de crédit ou de délais de paiement sans garantie suffisante, spéciale-
ment s'il s' agit de crédit accordé à un administrateur, gérant, commissaire
ou cadre de la société concemée;

(67) X. DIEUX, ««Corporate governance». De la loi du 2 août 2002 au «Code Lippens»»,


J. T., 2005, pp. 58 et s.
(67bis) Voir infra la section 3 consacrée à la responsabilité pour violation du Code et des
statuts.
(68) Sur des exemples de faute de gestion, voyez de façon générale, Ch. RESTEAU, op. cit., t.
II, n° 959 à 961, pp. 199 à 204; J.-M. DE BACKER et 0. RALET, op. cit., n° 56, pp. 65 et 66;
Cl. PARMENTIER, op.cit., n° 2, p. 743; C. del MARMOL, Droit commercial terrestre, cahier
n° 8, La société anonyme, Libr. Univ. F. Gothier, 1979, p. 102; voyez aussi, pour d'autres
exemples tirés de lajurisprudence, notamment Comm. Leuven, 9 janvier 1990, T.R. V., 1990, p.
459; Comm. Charleroi (réf.), 11 juillet 1989, J.L.M.B., 1989, p. 959; Bruxelles, Ier février
1982, J.D.S.C., 2000, n° 198, p. 236 et note M. CALUWAERTS, Rev. prat. soc., 1982 et note;
Bruxelles, 16 juin 1981, J.D.S. C., 1999, n° 49, p. 138, Rev. prat. soc., 1981, p. 145; Comm.
Bruxelles, 27 juin 1973, Rev. prat. soc., 1974, p. 164.

24
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

- la conclusion d'un contrat avec un entrepreneur non enregistré;


- le défaut de poursuite d'un débiteur avec une diligence suffisante;
- le défaut de surveillance d'un délégué à la gestion joumalière ou d'un
comptable (69);
- la conclusion d'opérations à des conditions désavantageuses pour la so-
ciété sans motif ou la réalisation de dépenses exorbitantes ou inconsidé-
rées;
- la non-exécution, en temps utile, de formalités nécessaires, telles Ie renou-
vellement d'une inscription hypothécaire ou d'une police d'assurance, Ie
renouvellement d'un bail commercial, ... ;
- le défaut de prendre les mesures utiles pour assurer, dans les délais, l' exé-
cution d'un contrat de foumitures ou, à tout le moins, pour limiter les
conséquences de son inexécution;
- la conclusion d' opérations hasardeuses (70) ou d' opérations en devises
étrangères purement spéculatives excédant l' objet social et sans tenir comp-
te de la volonté du conseil d' administration et des actionnaires (71 );
- la déclaration de faillite sans disposer du pouvoir de Ie faire, avec infor-
mation des clients et des fournisseurs par télécopie et le fait de ne plus
accomplir de prestations liées à la gestion (72);
- le défaut de comptabilisation de la créance de la société à l'égard d'un
administrateur sur son compte courant et le non respect corrélatif des obli-
gations à l'égard des contributions (73);
- la rédaction de factures comportant des mentions inexactes quant au nom
et à l' adres se des personnes concernées, ce qui s' identifie à une infraction
à la législation TVA dont !'administrateur d'une société commerciale est
responsable à l'égard de la société (74).

15. Chaque administrateur ou gérant ne répond que de sa faute personnel-


le: la société doit démontrer la faute spécifique de celui oude ceux qu'elle
assigne. Aussi bien, les administrateurs ou gérants ne seront-ils tenus ensem-
ble de la totalité du dommage invoqué par la société que s'ils ont ensemble
commis la faute qui a causé le dommage global.

(69) Voyez notamment Bruxelles, 1 février 1982, J.D.S.C., 2000, n° 198, p. 236 et note M.
CALUWAERTS, Rev. prat. soc., 1982, p. 219 et note.
(70) Civ. Liège, 25 février 1966, Jur. Liège, 1965-1966, p. 243.
(71) Comm. Courtrai (5ème ch.), 19 février 2003, J.D.S.C., 2004, n° 576, p. 218; T.R. V., 2003,
p. 417 et note J. VANANROYE.
(72) Comm. Courtrai (5ème ch.), 19 février 2003, op. cit.
(73) Gand, 25 juin 1999, JDSC, 2002, n° 402, p. 164 et obs. M.A. DELVAUX.
(74) Gand, 24 octobre 2000, J.D.S.C., 2002, n° 403, p. 168 et note M.A. DELVAUX, «La
déduction fiscale comme charge professionnelle de l'indemnisation versée par un dirigeant à
la victime de sa faute - société ou tiers - dans Ie cadre de sa responsabilité civile: bref aperçu»,
F.J.F., 2001, p. 108 et Fisc. Act., 2000 (re11et DESTERBECK F.), liv. 38, p. 7.

25
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL V AUX

Si un administrateur est en désaccord avec une décision du conseil d'admi-


nistration, il doit faire acter son opinion dissidente dans le procès-verbal et
demander, lors de l'assemblée générale, que ce point soit mentionné à !'occa-
sion du vote sur la décharge.

Confrontés aux critiques et aux pressions croissantes des actionnaires et sou-


mis à leurs analyses minutieuses, les administrateurs prennent de plus en plus
souvent la précaution de recourir à des consultants externes pour conforter
certaines décisions quant à l' opportunité de choix stratégiques ou quant à
l'évaluation des prix de transactions.

16. La faute de gestion étant une faute contractuelle, l' action fondée sur
celle-ci est réservée exclusivement à la société, ce qui suppose soit une déci-
sion de l'assemblée générale (action sociale), soit une·action minoritaire, soit
une initiative du curateur, sous sa «casquette» de représentant de la société,
ou du liquidateur. Les tiers ne peuvent donc introduire ce type d'action, sauf
s'ils l'intentent en lieu et place de la société qui reste en défaut d'agir (action
oblique) (75). Apropos de la question de savoir si la faute de gestion peut
simultanément constituer une faute quasi délictuelle, nous renvoyons à la con-
tribution de Messieurs Philippe et Gathem.

SECTION 3
LA RESPONSABILITÉ POUR VIOLATION DU CODE DES SOCIÉTÉS OU DES STATUTS

17. L'article 528 du Code des sociétés stipule que «les administrateurs
sant solidairement responsables, soit envers la société, soit envers les tiers,
de tous dommages et intérêts résultant d'infractions aux dispositions du pré-
sent code ou des statuts sociaux» (76). «Quand les administrateurs font sor-
tir la société des bornes qui limitent son existence, ils ne peuvent plus invo-
quer le bénéfice de l'irresponsabilité personnelle, ils ont eux-mêmes répudié
le fondement de cette immunité» (77).

(75) Article 1166 du Code ei vil. A condition toutefois que l'assemblée générale n'ait pas préa-
lablement donné décharge. Si toutefois cette décharge avait été donnée pour nuire aux créan-
ciers, ceux-ci auraient alors Ie droit de faire déclarer nulle la délibération ainsi intervenue et
d'intenter l'action (action paulienne, article 1167 du Code civil). Quant à l'intérêt réduit de
l'action oblique que pourraient exercer les tiers ayant une créance envers la personne morale
contre les administrateurs et gérants, voyez V. SIMONART, «La quasi-immunité des organes
de droit privé», op.cit., pp. 749 et 771.
(76) Article 263, al. 1 pour les SPRL et article 408, al. 2 pour les SCRL.
(77) J. GUILLERY, Commentaire législatif, Il, n° 51, p. 124.

26
l
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

A l'égard de la société et des tiers, les administrateurs et les gérants doivent,


d'une part, veiller au respect des dispositions contenues dans Ie Code des
socÎétés :_ en ce compris les dispositions relevant du droit comptable (78) -
et, d' autre part, s' assurer du respect des dispositions statutaires, qui consti-
tuent la «charte» de la société. Les administrateurs ont précisément été nom-
més pour agir conformément au cadre légal et au régime spécifique mis en
place par les actionnaires et poursuivre la réalisation de l'objet social qui est
la raison d' être de la société. L' institution sociétaire doit exister et fonction-
ner selon Ie prescrit légal et les administrateurs assument à eet égard une
obligation solidaire de résultat. Il faut se montrer intransigeant à eet égard.
On ne se situe plus seulement au niveau du mandat contractuel confié aux
dirigeants, mais plus largement au niveau du respect des 'règles du jeu' socié-
taire.

L'introduction dans Ie Code d'obligations comptables a eu un impact non


négligeable sur la responsabilité des administrateurs et gérants pour violation
de la loi. Sont, en effet, englobées dans Ie Code des dispositions comptables
auxquelles ne renvoyait pas l' article 77 des lois coordonnées sur les sociétés
commerciales. La responsabilité des dirigeants peut également être engagée
pour la violation des dispositions du Code civil et de toute autre législation
désormais intégrée dans Ie nouveau Code.

On imagine dès lors Ie champ important qui s'ouvre à la mise en cause de la


responsabilité civile des dirigeants et commissaires de sociétés pour violation
du présent Code (79); curieusement, l'ampleur de cette aggravation de la
responsabilité civile a été largement ignorée dans !'exposé des motifs, seule
une vision partielle, et même minime, du changement opéré y étant présentée
(80).

(78) A eet égard, la commission européenne propose d'instaurer une responsabilité collective
des membres des organes d'administration, de gestion et de surveillance pour les états finan-
ciers ainsi que pour les informations non financières clefs, et de promouvoir la transparence
des relations intragroupes et des transactions avec des parties liées (proposition de directive du
parlement et du conseil du 27 octobre 2004 modifiant la directive 78/660/CEE du conseil
concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés et la directive 83/349/CEE du
conseil concernant les comptes consolidés).
(79) Par exemple, l'article 110 du Code consacre l'obligation pour toute société mère d'établir
des comptes consolidés ainsi qu'un rapport de gestion sur ces comptes consolidés lorsqu'elle
controle une ou des filiale(s). Si auparavant aucune conséquence n'était attachée par les L.C.S.
à la violation de cette exigence introduite par arrêté royal (article 7 de l' A.R. du 6 mars 1990
(I) relatif aux comptes consolidés des entreprises, M.B., 27 mars 1990, p. 5675), la situation est
bien différente désormais puisque la responsabilité civile des dirigeants défaillants pourra être
engagée.
(80) Exposé ~es motifs, Doe. par!., Ch., 1998-1999, n° 1838/1, pp. 49, 50, 72 et 101.

27
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

18. Dès que la violation du Code ou des statuts est établie, la faute existe
mais la société (ou le curateur la représentant après la faillite) doit encore
établir le dommage qu'elle invoque et le lien de causalité entre la faute et le
dommage, qui est souvent difficile à démontrer (81). Le Code instaure une
présomption d'imputabilité: la violation de la loi ou des statuts est présumée
être le fait de tous les administrateurs, solidairement (82).

Cette disposition est sévère dans la mesure ou elle instaure un renversement


de la charge de la preuve. Pour s'exonérer de toute responsabilité, !'adminis-
trateur doit établir trois éléments cumulatifs (articles 263, al. 2, 408, al. 3 et
528, al. 2 CS):

- il n'a pas participé à l'infraction (absence à la réunion du conseil, ... );


- il n'a pas commis de faute (son absence n'était pas fautive: maladie, ... ) (83);
- il a dénoncé l' infraction à l' assemblée générale la plus proche.

Si la décharge est valablement votée (84 ), elle peut mettre fin à la responsabi-
lité encourue par les administrateurs ou les gérants à l' égard de la société,
sauf le cas de l'intentement d'une action minoritaire. La décharge est cepen-
dant dépourvue d'effet à l'égard des tiers (voir infra).

19. On peut citer comme exemples de violations du Code ou des statuts


qui engagent la responsabilité des dirigeants:

(81) Voyez Civ. Huy (3ème ch.), 18 novembre 2004 (J.D.S. C., 2005, n° 663, p. 168 et obs. M.A.
DELVAUX): Ie tribunal considère que la faute commise par ]'administrateur qui n'a pas assuré
la mise en concordance des statuts de la SCRL gérée aux nouvelles exigences en matière de
capita! fixe minimum imposées par la loi du 20 juillet 1991 ne présente pas de lien causa] avec
Ie dommage dont Ie curateur postule réparation puisque la décision de liquider la société a été
prise dans Ie délai reconnu par la loi pour adapter les statuts.
(82) Rappelons ici la notion de faute commune, à savoir l'hypothèse dans laquelle plusieurs
personnes commettent une faute ensemble, en contribuant à produire un fait dommageable,
celles-ci étant alors condamnées solidairement à réparer la totalité du dommage causé. Le
Code des sociétés présume que la violation du Code ou des statuts est une faute commune des
dirigeants. Les deux arrêts fondateurs de cette notion sont les suivants: Cass., 25 juin 1955,
Rev. prat. soc., 1956, p. 189 et concl. du Procureur général Hayoit de Terrnicourt et Cass., 15
février 1974, R.C.J.B., 1975, p. 229 et note J.-L. FAGNART, R. W., 1973-1974 et conclusions
de Mr Ie Premier avocat général Dumon.
(83) Mons, 20 mai 1985, J.D.S.C., 2000, p. 232 et note M. CALUWAERTS, Rev. prat. soc,
1985, p. 261: «Attendu qu 'aucun administrateur ne peut tirer argument de son absence à des
réunions, alors qu'en raison de ses fonctions il aurait dû y assister, et encore mains de son
incompétence, qui aurait dû lui dicter de ne pas accepter une telle fonction».
(84) La décharge peut être invalidée lorsque Ie bilan contenait une lacune ou une tromperie
dissimulant la situation réelle de la société ou lorsque les actes accomplis en-dehors des statuts
ou en contravention avec Ie Code n'ont pas été spécialement indiqués dans la convocation
(voyez infra et les articles 284, al. 2, 411, al. 2 et 554, al. CS).

28
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

- l'absence ou le retard dans la publication des actes et décisions soumis à


publication, tels les nominations d'administrateur ou les comptes annuels
(85);
- Ie refus de convoquer l'assemblée générale quand un cinquième des ac-
tionnaires ou associés en fait la demande (85bis);
- la violation des règles de comptabilité, qui ne se limitent plus à celles
édictées par la loi du 17 juillet 1975 relative à la comptabilité et aux comp-
tes annuels des entreprises ou ses arrêtés d'exécution;
- la participation par un administrateur à une délibération dans laquelle il a
un intérêt opposé à celui de la société (86);
- Ie fonctionnement irrégulier des organes de la société, caractérisé, par exem-
ple, par Ie défaut de réunion du conseil d'administration ou !'absence de
convocation de l' assemblée générale, ou encore par la violation des res-
trictions statutaires aux pouvoirs de gestion du conseil d'administration
ou par l'utilisation des fonds ou du crédit de la société à des fins étrangè-
res à l' objet social;
- la non-adaptation des statuts aux nouvelles exigences légales en matière
de capital minimum (87);
- la décision de se faire verser une rémunération en violation des statuts
(88);
- la liquidation de la société sans décision préalable de l'assemblée généra-
le (89);
- la mise en gage du fonds de commerce pour une <lette personnelle du gé-
rant (90).

(85) Gand (23ème ch.), 17 octobre 2001, J.D.S.C., 2004, n° 579, p. 230; DAOR, 2002, liv. 63, p.
300; R.D.C., 2002, p. 703.
(85bis) En ce qui concerne les SARL et les SA, les articles 268 et 532 du Code prévient cette
obligation. Quant aux sociétés Coopératives, les statuts peuvent prévoir une telle obligation en
adaptant la proportion applicable.
(86) Articles 259 et 523 du Code des sociétés; voyez infra.
(87) Sur cette question, voyez M.A. DELVAUX, «Les sociétés coopératives qui n'ont pas
adapté leur capita! aux nouvelles exigences de la loi du 20 juillet 1991: quelles protections
pour les tiers?», R.D.C., 1998, p. 588 ets.; voyez également Comm. Charleroi, 10 septembre
1997 et Liège (7ème ch.), 18 novembre 1997 dans J.D.S.C., 1999, pp. 226 à 230, aux n° 89 et
90. Voyez par exemple Civ. Gand (3ème ch.), 25 février 2003, J.D.S.C., 2004, n° 577, p. 225 et
obs. M.A. DELVAUX, Courr. Fisc., 2003 (reflet), p. 370, note X; Comm. Bruxelles (5ème ch.),
22 octobre 2002, J.D.S.C., 2004, n° 578, p. 227 et obs. M.A. DELVAUX, D.A.O.R., 2002, liv.
63, p. 293.
(88) Gand (23èmc ch.), 17 octobre 2001, J.D.S. C., 2004, n° 579, p. 230; DAOR, 2002, liv. 63, p.
300; R.D. C., 2002, p. 703.
(89) Gand (23èmc ch.), 17 octobre 2001, op.cit.
(90) Gand (7èmc ch.), 8 février 2001, J.D.S.C., 2003, n° 508, p. 211 et note M.A. DELVAUX,
«De !'administrateur responsable et de l'importance du lien de causalité».

29
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL V AUX

Pourrait également engager la responsabilité des administrateurs et des gé-


rants le non respect del' article 95 du Code des sociétés qui leur impose d' éta-
blir un rapport de gestion. Or, l' article 96, qui en définit Ie contenu (91 ), a été
complété par la loi du 13 janvier 2006: Ie rapport de gestion doit ainsi com-
porter « un exposé fidèle sur l 'évolution des affaires, les résultats et la situa-
tion de la société, ainsi qu 'une description des principaux risques et incerti-
tudes auxquels elle est confrontée». Cette analyse équilibrée et complète doit
être en rapport avec Ie volume et la complexité des affaires de la société et,
dans la mesure nécessaire à la compréhension, elle doit comporter des indica-
teurs clés de performance de nature financière et non financière ayant trait à
l'activité spécifique de la société, notamment des informations relatives aux
questions d' environnement et de personnel. En outre, quant à l 'utilisation des
instruments financiers par la société, Ie rapport doit, lorsque cela est pertinent
pour l' évaluation de sa situation financière, exposer les objectifs de la société
en matière de gestion des risques financiers et décrire les risques qu' elle court
quant au prix, au crédit, aux liquidités et à la trésorerie.

N' a pas été reconnue comme une violation du Code ou des statuts engageant
la responsabilité des dirigeants la non-exécution partielle de mesures de reca-
pitalisation projetées et proposées par des réviseurs (92).

SECTION 4
LA RESPONSABILITÉ POUR FAUTE GRAVE ET CARACTÉRISÉE AVANT CONTRIBUÉ À LA
FAILLITE (93)

20. La responsabilité des administrateurs ou des gérants peut être recher-


chée pour faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite de la société.
(91) Le rapport doit foumir des données sur les événements importants survenus après la cló-
ture de l'exercice ainsi que des «indications sur les circonstances susceptibles d'avoir une
influence notable sur Ie développement de la société, pour autant qu 'el/es ne sont pas de
nature à porter gravement préjudice à la société». Il doit également comporter des indications
relatives aux activités en matière de recherche et de développement et à l'existence de succur-
sales de la société. Lorsque Ie bilan révèle une perte reportée ou que Ie compte de résultats fait
apparaître pendant deux exercices successifs une perte de l' exercice, une justification de l' ap-
plication des règles comptables de continuité doit figurer dans Ie rapport.
(92) Comm. Charleroi, 4 octobre 1996, J.D.S.C., 2000, n° 185, p. 193; R.D.C., 1999, p. 283.
(93) Nous n'examinons pas, dans Ie cadre de cette section, la problématique de l'extension de
la faillite au maître del' affaire. Sur cette question, voyez P. COPPENS, «La faillite personnel-
le du maître de la société», Rev. prat. soc, 1967, p. 195 ets.; P. COPPENS, «L'extension de
faillite au maître de la société» in ldées nouvelles dans le droit de la faillite, IVè joumées
d'études juridiques Jean Dabin, p. 185 ets.; Y. DUMON et F. MAUSSJON, «Propos sur la
notion d'extension de faillite et sur les mesures analogues en droit beige et en droit comparé»,
J.C.B., 1974, p. 180; P.A. FORIERS, F. MAUSSION et L. SIMONT, «L'abus de pouvoirs ou
de fonctions en droit commercial beige», l'abus de pouvoirs ou de fonctions, Travaux de
.. ./...

30
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

En cas de foillite de la société et d'insuffisance de l'actif et s'il est établi


qu'une foute grave et caractérisée dans leur chef a contribué à la foillite, tout
administrateur ou gérant - actuel ou ancien - ainsi que toute autre personne
qui a effectivement détenu le pouvoir de gérer la société, peuvent être décla-
rés personnellement obligés, avec ou sans solidarité, de tout ou partie des
dettes sociales à concurrence de l'insuffisance d'actif (articles 265, al. 1, arti-
cle 409, al. 1 et 530 CS).

Ce fondement de responsabilité, instauré par le législateur pour «marquer la


responsabilité personnelle des dirigeants maladroits ou aventureux» (94 ),
permet de condamner les dirigeants à couvrir les dettes de la société, en tout
ou en partie, avec ou sans solidarité (95), à concurrence de l'insuffisance
d'actif. Cette aggravation de la responsabilité permet aux tiers de retenir des
foutes quine s'identifient pas nécessairement à une violation de la loi ou des
statuts, mais à une foute de gestion qu'ils ne peuvent reprocher aux dirigeants
en cours de vie sociétaire (95bis).

Cette SOllrce de responsabilité ne s' applique pas si la société en foillite est une
SPRL ou une SCRL qui a réalisé, au cours des trois derniers exercices qui
précèdent la foillite, un chiffre d'affaires moyen inférieur à 620.000 € hors
T.V.A., et si le total du bilan, au terme du dernier exercice, n'a pas dépassé

.. ./ ...
l'association Henri Capitant, Journées grecques, t. XXVIII, 1977, pp. 166 et 167; H. BRAECK-
MANS, «Toerekening van het vennootschapsfaillissement aan de achterman of de uitbreiding
van het faillissement tot de meester van de zaak», R. W., 1978-1979, col. 850; du même auteur:
«Toerekening van het faillissement aan de achterman meer dan zes maanden na de faillietver-
klaring van de vennootschap, R. W., 1980-81, col. 1798-1799; P.-A. FORIERS, «Observations
sur Ie contrat de prête-nom et la théorie des extensions de faillite», J. T., 1980, p. 417 ets.; F.
T'KINT, «L'extension de faillite», R.C.J.B., 1981, p. 49; M. CLAES, «De l'extension de la
faillite d'une société à son dirigeant», Rev. b. compt., 1981, afl. 4, pp. 14-17; P. COLLE, «Is de
uitbreiding van het vennootschapsfaillissement tot de meester van de zaak juridisch verant-
woord?», R. W., 1982-1983, col. 1697; J. RONSE et J. LIEVENS, La responsabilité des admi-
nistrateurs et gérants après lafaillite - l'extension de lafaillite au maître de /'affaire, Les
sociétés commerciales, Jeune Barreau, 1985, p. 185 ets.; K. BYTTEBIER, «Enige beschouwin-
gen over de zin en onzin van de beperkte aansprakelijkheid», D.A. O.R., 1994, n° 30, p. 66.
(94) P. COPPENS et F. t'KINT, «Les faillites, les concordats et les privilèges, Examen de
jurisprudence ( 1984-1990)», R. C.J.B., 1991, p. 492. Dans Ie même sens, voyez M. COIPEL,
Les sociétés privées à responsabilité limitée, 2ème éd., Larcier, 1997, n° 317-1 et les références
citées et J.-Fr. GOFFIN, op.cit., n° 132, et les références citées.
(95) Le juge dispose d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire pour condamner solidaire-
ment ou non les administrateurs, en tenant compte par exemple de la répartition des tàches
entre dirigeants oude l'incidence de leurs fautes respectives sur la faillite (Comm. Charleroi,
16 décembre 1998, J.D.S. C., 2002, n° 413, p. 209, R.D. C., 2000, p. 642).
(95bis) Nous renvoyons à la contribution de D. PHILIPPE et G. GATHEUR quant aux subtili-
tés de la responsabilité des dirigeants à l'égard des tiers sur la base du droit commun.

31
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL V AUX

370.000 € (96). Le chiffre d'affaires visé par cette disposition est celui réali-
sé par la société «au cours des trois exercices ayant précédé lafaillite». C'est
aux administrateurs ou gérants qu'il appartient d'établir que la société qu'ils
gèrent entre dans les conditions fixées (97), et non au demandeur d' établir Ie
contraire (98). Malgré quelques égarements de la jurisprudence (99), il nous
paraît certain que les dirigeants d'une société déclarée en faillite dans les trois
premières années de son existence ne peuvent bénéficier de cette faveur car
ils ne peuvent établir qu'au cours des trois exercices précédant la faillite, le
chiffre d' affaires moyen était inférieur à 620.000 €. D' éventuelles tentatives
d'estimer le chiffre d'affaires et le total du bilan de telles sociétés par projec-
tions ou par de savants calculs seraient périlleuses, fantaisistes et contraires
au prescrit légal (100).

Pour que l'action en reponsabilité pour faute grave et caractérisée ayant con-
tribué à la faillite («action en comblement de passif») soit intentée avec suc-
cès contre les dirigeants des sociétés concernées, trois éléments doivent être
réunis.
(96) Articles 265, al. 2 et 409, al. 2 CS. Sur la critique de cette limitation, voyez notamment J.-
M. DE BACKER et 0. RALET, op.cit., n° 99, pp. 126 et 127; M. WYCKAERT, «De aanspra-
kelijkheid van bestuurders of zaakvoerders bij faillissement van hun vennootschap», note sous
Comm. Liège, 07/12/1988, T.R. V., 1989, p. 441 et spéc. 445; M. COIPEL, Les sociétés privées
à responsabilité limitée, op.cit., p. 270; Cl. PARMENTIER, «La responsabilité des dirigeants
d'entreprises en cas de faillite», R.D.C., 1986, n° 57, p. 779; 0. RALET, op. cit, p. 180; J. Fr.
GOFFIN, op.cit., pp. 223-224; F. t'KINT, «Les responsabilités en cas de faillite et de dissolu-
tion volontaire», D.A.O.R., n° 34, 1995, p. 18, n° 28; Fr. t'KINT, «La responsabilité des diri-
geants de SA et de SPRL», R.R.D., 1980, p. 103; M.A. DELVAUX, obs. sous Comm. Bruxel-
les, 14 févr. 1989, J.D.S. C., 1999, n° 97, p. 241; voyez aussi, sur cette disposition, les apprécia-
tions de P. COPPENS et F. 't KINT, op. cit., n° 81, pp. 523-524.
(97) Comm. Charleroi, 7 janvier 1997, J.D.S.C., 1999, n° 98, p. 243, R.D.C., 1997, p. 643;
dans cette espèce, les chiffres de la comptabilité de la SPRL n'ont pas été jugés probants en
raison de leur caractère fragmentaire et irrégulier.
(98) Voyez cependant Comm. Hasselt (4èmc ch.), 9 avril 2002 (J.D.S. C., 2004, n° 589, p. 271 et
obs. M.A. DELVAUX, R. W., 2003-2004, p. 33), qui semble exiger, à tort selon nous, que la
curatelle établisse que la société a réalisé un chiffre d' affaires suffisant pour que son adminis-
trateur soit responsable.
(99) Voyez par exemple Comm. Bruxelles (5ème ch.), 14 février 1989, J.D.S.C., 1999, n° 97, p.
241 et note M.A. DELVAUX. Sur cette question, voyez notamment M. COIPEL, Les sociétés
privées à responsabilité limitée, Rép. Not., Tome XII, Livre IV, et Larcier, 2ème éd., 1997, n°
317-1, p. 270; Cl. PARMENTIER, «La responsabilité des dirigeants d'entreprises en cas de
faillite», R.D.C., 1986, n° 57, p. 779; Fr. t'KINT, «Les responsabilités en cas de faillite et de
dissolution volontaire», D.A.O.R., n° 34, 1995, p. 18, n° 28.
( 100) Au rayon des arrêts se distinguant par un excès d' indulgence, on peut encore épingler un
arrêt du 15 juin 2005 de la 7ème chambre de la Cour d'appel de Liège, qui a méconnu l'article
2 dt1 Code civil en faisant une application rétroactive de l'exception visée à l'article 409 al. 2
CS. La Cour invoquait que, dans la mesure ou la loi du 13 avril 1995 atténuait une règle de
responsabilité antérieure, il serait conforme à l'équité qu'elle fût appliquée même aux situa-
tions juridiques instantanées antérieures mais non encore liquidées au moment de son entrée
en vigueur (J.D.S.C., 2005, n° 669, p. 193 et obs. M.A. DELVAUX).

32
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

§ 1. Une faute grave et caractérisée

21. Il s'agit d'une faute impardonnable qu'un dirigeant raisonnablement


prudent et diligent n'aurait pas commise, heurtant les normes essentielles de
la vie en société, non identifiable au dol bien qu'en étant voisine. La faute
doit en outre être caractérisée, à savoir «nettement marquée» (101), ce qui
signifie que l' acte doit pouvoir être perçu comme gravement fautif pour tout
homme raisonnable (102): l' auteur était conscient ou devait l' être qu' elle con-
tribuerait à la faillite de la société. On considère que la faute grave est tou-
jours caractérisée mais qu'une faute caractérisée n' est pas nécessairement
grave (103).

On cite comme exemples:

l'attribution injustifiée d'avances à une autre société déjà en liquidation


(104);
- le montage d'une opération de reprise d'une autre société afin de reporter
artificiellement la faillite de cette demière (105);
- la facturation partielle des foumitures de services apportées à une société
tierce actionnaire à 50 % de la société gérée, afin de ne pas compromettre
la santé financière de cette société tierce et en sacrifiant la société gérée et
ses créanciers (106);
- la tenue d'une comptabilité fausse et la poursuite d'une exploitation pen-
dant deux ans alors que Ie capital était perdu (107);
- des prélèvements massifs effectués par un administrateur dans les avoirs
sociaux et atteignant le double du capital social (108);

(101) Comm. Liège (3ème ch.), 5 avril 2000, J.D.S.C., 2002, n° 415, p. 218 et note M.A. DEL-
VAUX, «Les actions en responsabilité des dirigeants que Ie curateur peut engager au nom de la
masse: tableau synoptique», J.L.M.B., 2001, p. 395.
(102) Comm. Charleroi, 16 décembre 1998, J.D.S.C., 2002, n° 413, p. 209, R.D.C., 2000, p.
642.
(103) I. VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, 1998, pp. 543 et s. et réf.
citées; Act. Dr., «L' entreprise en difficulté», 1997 .3., pp. 525 et s. et les réf. citées; Comm.
Liège (3ème ch.), 5 avril 2000, J.D.S.C., 2002, n° 415, p. 218 et note M.A. DELVAUX, «Les
actions en responsabilité des dirigeants que le curateur peut engager au nom de la masse:
tableau synoptique», J.L.M.B., 2001, p. 395.
(104) Gand, 21 décembre 2000, J.D.S.C., 2002, n° 411, p. 200, R.D.C., 2001, p. 739.
(105) Comm. Termonde (3ème ch.), 6 décembre 1999, J.D.S.C., 2001, n° 323, p. 215, T.R. V.,
2000, p. 40 et note, R.D.C., 2000, p. 659.
(106) Comm. Charleroi, 16 décembre 1998, J.D.S.C., 2002, n° 413, p. 209, R.D.C., 2000, p.
642; il apparaît en l' espèce que la société était gérée essentiellement pour servir d' outil finan-
cier à la société tierce.
(107) Comm. Bruxelles, 8 décembre 1981, B.R.H., 1982, p. 393.
(108) Comm. Bruxelles, 10 septembre 1985, R.D.C., 1987, p. 523.

33
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

- des prélèvements substantiels en compte courant alors que la société con-


naît des difficultés de trésorerie (109);
- la tolérance de prélèvements à des fins privées effectuées par un adminis-
trateur (110);
- la poursuite irréfléchie d'une activité déficitaire (impliquant une augmen-
tation du passif et une diminution de l'actif), ayant finalement conduit à
une faillite ou les actifs étaient insuffisants pour désintéresser les créan-
ciers (111);
- la poursuite d'une activité gravement déficitaire sans aucune chance de
redressement (112 );
- !'absence de réunion de l'assemblée générale ordinaire durant deux an-
nées, l' acceptation que le nombre d' administrateurs prévu par la loi n' ait
plus été atteint depuis plusieurs années et l' oubli de veiller à la tenue régu-
lière des comptes (113);
- l' absence d' adaptation du capital social aux nouvelles exigences légales
relatives au capital minimum (114);
- l'acceptation d'une traite pour le compte de la société, en sachant que les
marchandises livrées - non conformes à la commande - ont été renvoyées
à l'expéditeur (ll5);
- la tenue d'une comptabilité fragmentaire (116);
- l'absence de comptabilité privant la société de la vision nécessaire à son
fonctionnement et étant à la source d'un non respect des engagements
envers les fournisseurs et les créanciers institutionnels (117);

(109) Liège (7ème ch.), 3 décembre 1998, J.D.S.C., 2001, n° 322, p. 211, Rev. prat. soc., 1999,
p. 148 et note W. DERIJCKE.
(110) Liège, 4 avril 2000, J.D.S.C., 2002, n° 410, p. 196.
(111) P. COPPENS et F. t'KINT, «Les faillites, les concordats et les privilèges, Examen de
jurisprudence ( 1984-1990)», R.C.J.B., 1991, p. 488. Voyez par exemple Bruxelles, 31/10/1991,
J.L.M.B., 1992, p. 201 et observations Cl. PARMENTIER; Mons, 20 mai 1985, Rev. prat. soc.,
1985, p. 261.
(112) Mons, 20 mai 1985, J.D.S.C., 2000, n° 197, p. 232, obs. M. CALUWAERTS, Rev. prat.
soc., 1985, p. 261.
(113) Liège, 8 mai 2003, DAOR, 2003, liv. 65, p. 70. Une convocation par les services d'en-
quêtes commerciales avait été nécessaire pour qu'une assemblée générale extraordinaire se
tienne et que les comptes relatifs à trois exercices successifs soient hàtivement établis.
(114) Comm. Liège (3ème ch.), 24 octobre 2001, J.D.S.C., 2002, n° 414, p. 213; Comm. Hasselt
(4èmc ch.), 9 avril 2002, J.D.S.C., 2004, n° 589, p. 27let obs. M.A. DELVAUX, R.W., 2003-
2004, p. 33.
(115) Comm. Anvers, 29 juin 1984, Rev. prat. soc., 1985, p. 309.
(116) Comm. Charleroi, 7 janv. 1997, J.D.S.C., 1999, n° 98, p. 243, R.D.C., 1997, p. 643.
(117) Comm. Liège, 26juin 2000, J.D.S.C., 2002, n° 416, p. 224 et note M.A. DELVAUX, «La
faute grave et caractérisée du dirigeant ayant contribué à la faillite de la société, la responsabi-
lité du dommage causé aux tiers et l'interdictionjudiciaire d'exercer une activité commerciale
oude diriger à l'avenir une société: aux mêmes (grands) maux les mêmes (grands) remèdes?»,
R.R.D., 2000, p. 346.

34
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DRO!T FINANCIER

- le fait - dûment établi - de se désintéresser de l' évolution des affaires


(118);
- une politique aventureuse, impardonnable et incontestable (119).

La jurisprudence a toujours considéré que le non-paiement des charges socia--


les et fiscales ne constitue pas une faute grave et caractérisée lorsqu' il est la
simple conséquence de l'évolution défavorable des affaires (120). Cette ca-
rence devient par contre gravement fautive lorsqu' elle constitue un mode de
financement délibéré (121 ).

La loi du 4 septembre 2002 modifiant la loi du 8 août 1997 sur les faillites, le
Code judiciaire et le Code des sociétés a ajouté un alinéa aux articles 265,
409 et 530 du Code des sociétés pour instaurer une présomption irréfragable
(122) de faute grave et caractérisée. «Est réputéefaute grave et caractérisée
toute fraude fiscale grave et organisée au sens de l 'article 3, § 2, de la loi du
11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier
aux fins de blanchiment de capitaux». Cette présomption facilite évidem-
ment la täche du demandeur à l' action en comblement de passif. Le dirigeant
concemé peut cependant démontrer que sa faute n'a en aucune façon contri-
bué à la faillite.

Nous reviendrons ei-après sur la présomption similaire instaurée par la loi-


programme du 20 juillet 2006 à propos du non paiement des cotisations so-
ciales.

(118) Liège, 4 avril 2000, J.D.S.C., 2002, n° 410, p. 196 (quod non in casu: Ie simple fait
d' attendre la fin de l' exercice social s' étendant en l' espèce sur 18 mois pour demander Ie détail
des comptes et les résultats concrets de la société gérée n'a pas été considéré comme faute
grave dans un contexte ou la société bénéficie des services d'un comptable sérieux et ou rien
ne permet de craindre que Ie coadministrateur qui gère activement la société ne commet des
erreurs de gestion ou des malversations).
(119) Liège (7ème ch.), 1er février 2000, J.D.S.C., 2002, n° 412, p. 207, Rev. prat. soc., 2000, p.
179, DAOR, 2001, p. 163 (quod non in casu).
(120) Voyez !'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 24 octobre 2003 (FJ.F., n° 2005/125, p.
407, J.D.S.C., 2005, n° 665, p. 176, note de M.A. DELVAUX, «Ou !'on apprend que l'état de
nécessité permet aux dirigeants de méconnaître en toute impunité les obligations sociales et
fiscales pesant sur la société gérée» ), se référant à 1' état de nécessité pour rejeter la responsa-
bilité des dirigeants. Cet arrêt considère que la seule constatation comptable de l'importance
du passif fiscal et social de la faillite ne permet pas !'engagement de la responsabilité des
administrateurs pour faute grave et caractérisée; Ie fait de croire à tort dans les chances de
redressement de l'entreprise gérée est une faute de gestion quine présente toutefois pas à lui
seul le caractère de gravité requis par l'article 530 du Code de sociétés.
(121) Liège (7èmc ch.), 13 janvier 2004, J.D.S.C., 2005, n° 667, p. 183 et obs. M.A. DEL-
VAUX.
(122) Voyez la justification de !'amendement et la précision du caractère irréfragable de la
présomption: Doe. Pari., Chambre, sess. ordin. 2000-2001, n° 1132/007, p. 5.

35
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

§ 2. Lafaillite et l'insuffisance d'actif

22. Ce type d'action en responsabilité ne peut être intenté qu'en cas de


faillite de la société et à condition que l'actif soit insuffisant pour couvrir
!'ensemble des dettes sociales. Si l'action était autrefois réservée au curateur,
selon la jurisprudence et la doctrine constantes, la loi du 4 septembre 2002
précitée a toutefois supprimé ce monopole par l'ajout d'un alinéa aux articles
265, 409 et 530 du Code des sociétés (voir infra).

§ 3. La contribution de la faute grave et caractérisée à la Jaillite

23. Cette faute ne doit pas être !'origine exclusive de la faillite mais il
suffit qu'elle y ait contribué (123), peu importe que d'autres facteurs en soient
également la cause (124 ).

Le demandeur est dispensé de prouver Ie lien causal entre la faute et l'insuf-


fisance d' actif dont Ie dirigeant fautif est présumé responsable ( 125). Le juge
peut toutefois tempérer la condamnation.

Le juge est donc amené à exercer un important pouvoir d'appréciation, tant


au niveau de l'établissement et de la qualification de la faute grave (126)

(123) Il a été jugé que l'omission d'appliquer la procédure dite de «sonnette d'alarme» en cas
de perte grave de l'actif net (voyez infra) est une faute qui a retardé la survenance de la faillite
sans toutefois y contribuer et que l'embellissement du bilan constitue une faute qui n'est pas
directement une cause de la faillite et ne contribue pas davantage à celle-ci (Gand, 21 décem-
bre 2000, J.D.S.C., 2002, n° 411, p. 200, R.D.C., 2001, p. 739). Il a également été jugé que dès
lors que le projet économique sur lequel reposait la société s' est rapidement révélé catastrophi-
que, mais n'était pas en lui-même utopique ou aventureux, que l'insuffisance des moyens
prévus n'est pas démontrée, mais qu'il semble bien que les difficultés de la société résultent,
en réalité, de choix malheureux eu égard à la conjoncture défavorable dans Ie secteur d'activi-
tés concemé et que la décision des administrateurs de poursuivre les activités ne peut en soi
leur être reprochée, les manquements de ces administrateurs aux obligations comptables et aux
dispositions légales, bien que graves, n'ont cependant pas contribué en eux-mêmes à la faillite
(Liège, 8 mai 2003, DAOR, 2003, liv. 65, p. 70).
(124) Gand, 31 mars 1994, R.D.C., 1994, p. 976; voyez A. BENOIT-MOURY, «Dix ans de
jurisprudence en matière de sociétés», Act. Dr., 1991, p. 110.
(125) Comm. Liège (3èmc ch.), 5 avril 2000, J.D.S.C., 2002, n° 415, p. 218 et note M.A. DEL-
VAUX, «Les actions en responsabilité des dirigeants que Ie curateur peut engager au nom de la
masse: tableau synoptique», J.L.M.B., 2001, p. 395.
(126) Voyez, par exemple, la décision du Tribunal de commerce de Termonde (2ème ch.) du 5
septembre 1997 (J.D.S.C., 1999, n° 99, p. 244 et obs. M.A. DELVAUX, T.G.R., 1998, p. 75):
Ie tribunal reconnaît qu'une faute a été commise (calcul erroné du prix de revient entraînant de
mauvais résultats du chiffre d'affaires) mais qu'elle n'est pas grave au point d'engager la
responsabilité du dirigeant sur pied de l'article 63ter des L.C.S. (devenu l'article 265 du Code
des sociétés).

36
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROJT FINANCIER

qu'au niveau de son imputabilité distincte à chacun des administrateurs, en


fonction du röle joué et des obligations particulières pesant sur lui (127). En
outre, selon quels critères Ie juge va-t-il décider de l'ampleur de la condam-
nation des dirigeants? La doctrine et la jurisprudence majoritaires estiment
que Ie juge doit statueren équité, et non à proportion du dommage~causé par
la faute grave et caractérisée (128). Le dirigeant peut donc être amené à sup-
porter une condamnation qui excède les conséquences objectives de sa faute
ou qui est réduite au regard de celles-ci.

§ 4. La,Javeur concédée à l'ONSS

24. Les articles 265, 409 et 530 du Code des sociétés ont récemment été
complétés par les articles 56 à 58 de la loi-programme du 20 juillet 2006
(129).

Sous un chapitre intitulé «Re_sponsabilité personnelle et solidaire des gérants


et administrateurs de sociétés en cas de faillite», la loi-programme ajoute un
second paragraphe à ces dispositions en vue de prévoir expressément la pos-
sibilité de mettre en cause la responsabilité personnelle et solidaire des diri-
geants (administrateurs ou gérants, anciens administrateurs ou gérants et «tou-
-tes les autres personnes qui ont effectivement détenu le pouvoir de gérer la
société») à l'égard de l'ONSS et du curateur pour tout ou partie des cotisa-
tions sociales, des majorations, des intérêts de retard et de l'indemnité forfai-
taire visée à l'article 54 de l'arrêté royal du 28 novembre 1969 (130), dus au
moment du prononcé de la faillite ( 131 ). Cette responsabilité est encourue
s'il est établi qu'une «faute grave» - et pas nécessairement caractérisée -
qu' ils ont commise était à la base de la faillite, ou, si au cours de la période de
cinq ans qui précède le prononcé de la faillite, ils se sont trouvés dans la
situation décrite à l' article 38, § 3octies, 8°, de la loi du 29 juin 1981 établis-
sant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés. Cet
article 38, § 3octies, 8° dispose que, pour pouvoir bénéficier de diverses dis-
penses ou réduction, l'employeur personne morale ne peut «compter parmi

(127) Voyez, notamment, Comm. Termonde (3ème ch.), 31 décembre 1997, J.D.S.C., 1999, n°
96, p. 240 (sommaire), T.G.R., 1998, p. 77.
(128) Mons, 22 mars 1993, Rev. prat. soc., 1993, p. 328; J. RONSE, «La responsabilité facul-
tative des administrateurs et gérants en cas de faillite avec insuffisance d'actif», Rev. prat. soc.,
1979, p. 303; 0. RALET, op.cit., p. 186; J. Fr. GOFFIN, op.cit., pp. 245-246.
( 129) Loi program me du 20 juillet 2006, M.B., 28 juillet 2006, 2ème édition, p. 36.921, articles
56, 57 et 58.
( 130) Arrêté royal pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 révisant 1' arrêté-loi du 28 décem-
bre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs
( 131) Cette nouvelle responsabilité est entrée en vigueur Ie 1er septembre 2006, pour les failli-
tes déclarées à partir de cette date.

37
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

les administrateurs, les gérants ou les personnes ayant le pouvoir d' engager
la société, des personnes qui ont été impliquées dans au mains deuxfaillites,
liquidations ou opérations similaires entraînant des dettes à l'égard d'un
organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale».

Le législateur présume désormais de manière irréfragable que constitue une


«faute grave» Ie fait que la société est «dirigée» par un gérant ou un «respon-
sable» qui a été «impliqué», quelle que soit la période concemée, dans au
moins deux faillites, liquidations ou «opérations similaires» ayant entraîné
des dettes à l'égard d'un organisme percepteur des cotisations sociales. Il est
prévu que Ie Roi puisse, après avis du comité de gestion de l'Office national
de Sécurité sociale, déterminer les faits, données ou circonstances suscepti-
bles d'être considérés comme faute grave.

L'Office national de Sécurité sociale ou le curateur intentent cette action en


responsabilité personnelle et solidaire des dirigeants devant Ie tribunal du
commerce qui connaît de la faillite de la société.

25. Ces dispositions alambiquées - à la terminologie peu adéquate- susci-


tent un certain nombre de commentaires et de questions (132).

- La solidarité est-elle de droit ou facultative?

- La notion de faute «grave à la base de lafaillite» correspond-elle à celle de


faute « grave et caractérisée ayant contribué à la faillite »?

- On constate de regrettables redondances, voire des contradictions, entre les


différentes présomptions désormais prévues par ces dispositions, qui créent
une forme de «casier judiciaire des dirigeants de sociétés».

- Les dirigeants devront se méfier des mauvaises fréquentations et éviter de


cotoyer, au sein des organes, des collègues qui ont été impliqués dans des
opérations ayant suscité des dettes sociales. L'admission au sein d'un conseil
d'administration pourrait être subordonnée à la production d'une sorte de
«certificat de bonnes ma:urs économiques et sociales» délivré par l'ONSS ...

- Le régime de faveur uniquement réservé aux «petites» SPRL et SCRL - et


(. non aux SA - a été écarté par la loi.

(132) Voyez E. HUPIN, «La responsabilité des dirigeants d'entreprise en difficulté - Sauver
l'entreprise ou se sauver de l'entreprise», in La responsabilité des administrateurs et diri-
geants d'entreprise, Colloque Vanham & Vanham du 24 novembre 2006, pp. 29 ets.

38
LA RESPONSABILITE DES DJRJGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

eela a amené le législateur à commettre, s'agissant de la disposition applica-


ble aux SA, une erreur révélatrice de sa précipitation et de son manque de
réflexion. En effet, le second paragraphe initialement ajouté à l'article 530
es par l'article 58 de la loi-programme contenait un 3ème alinéa figurant
également aux articles 56 et 57 de cette loi mais n'ayant de sens qu'au sein
des articles 265 et 409, applicables aux SPRL et aux SeRL: «le § 1er, alinéa
2, n 'est pas d' application vis-à-vis de !'Office et du curateur précité en ce qui
concerne les dettes visées ci-dessus.». Or, si, dans les dispositions applica-
bles aux SPRL et aux SeRL, ce deuxième alinéa du § 1er concerne bien
l' indulgence accordée aux «petites» sociétés, le deuxième alinéa de l' article
530, § 1er reconnaît un droit d'action aux créanciers lésés .... Au pied de la
lettre, le nouveau§ 2 del' article 530 stipulait donc, en son 3ème alinéa, l'inap-
plication «vis-à-vis de !'Office et du curateur» de l'alinéa 2 du§ 1er recon-
naissant la recevabilité de l'action en comblement de passif intentée tant par
les curateurs que par des créanciers lésés. A cause de cette erreur de manipu-
lation, de type «copier - collen>, la disposition légale devenait alors contra-
dictoire, voire incompréhensible, puisque la raison d' être du nouveau tex te
était précisément de reconnaître un droit d' agir de l'ONSS, en qualité de
«créancier lésé» (133). eette erreur a heureusement été corrigée par l' article
88 de la loi du 27 décembre 2006 portant des dispositions diverses, qui a
abrogé l'alinéa 3 de l'article 530, § 2 es.

26. Nous ne pouvons traiter, dans le cadre de ce rapport, des liens existant
entre la responsabilité pour faute grave et caractérisée ayant contribué à la
faillite et l'interdiction judiciaire d'exercer une activité commerciale ou de
diriger à l'avenir une société (arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934) (134).

( 133) On trouve un autre exemple de coquille due à une erreur de manipulation à!' alinéa 4 du
§ 2 des articles 409 et 530 CS: «est considérée comme faute grave, toute fórme de fraude
fiscale grave et organisée au sens de l'article 3, § 2, de la loi du 11 jan vier 1993 relative à la
prévention de l 'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du
financement du terrorisme, ainsi que Ie fait que la société est dirigée par un gérant ou un
responsable qui a été impliqué dans au mains deuxfaillites, liquidations ou opérations simi-
laires entraînant des dettes à 1'égard d'un organisme percepteur des cotisations sociales .... »
(c'est nous qui soulignons).
(134) Sur !'ensemble de cette question, on renvoie à G.-A. DAL, «Les interdictions profes-
sionnelles ou «l' interdiction judiciaire faite à ~rtains c o ~ e t faillis d' exercer certaines
fonctions, professions ou activités»», J. T., 2001,Jip. 769 ets. et à A. MASSET, La responsabi-
lité pénale dans l'entreprise, Guide juridique äe l'entreprise, Livre 119.4, Bruxelles, KI uwer,
2006, n° 150 à 185 et Livre 20 du Droit des sociétés commerciales, Bruxelles, Kluwer, 2006,
aux mêmes numéros.

39
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELY AUX

SECTION 5
LES RESPONSABILITÉS ENCOURUES À L'OCCASION o'oPÉRATIONS SPÉCIFIQUES

27. Dans le cadre de cette section, nous analyseronts certaines dispositions


qui instituent une responsabilité particulière des administrateurs ou gérants à
!'occasion d'opérations déterminées:

les augmentations de capital;


les restructurations de la société;
le défaut de convocation de l'assemblée générale en cas de pertes pronon-
cées;
le retard dans la présentation des comptes annuels;
!'absence de paiement du précompte professionnel oude la TVA (135).

Ces divers cas de responsabilité concement le dirigeant de droit comme de


fait, actuel ou passé. En principe (136), la responsabilité est engagée tant à
l'égard de la société qu'à l'égard des tiers. Certaines dispositions font peser
sur les administrateurs, en cours de vie sociale, une responsabilité analogue à
celle qu'assument les fondateurs lors de la constitution. D'autres renforcent
la responsabilité qui résulterait normalement d'une violation du Code des
sociétés en présumant le lien de causalité ou en alourdissant la responsabilité
individuelle.

Nous réserverons enfin une attention particulière aux procédures afférentes


aux conflits d'intérêts.

§ 1. Les augmentations de capita[

28. Les administrateurs ou les gérants sont soumis substantiellement aux


mêmes responsabilités que celles qui pèsent sur les fondateurs en cas de cons-
titution d'une société (articles 314, 424 et 610 CS).

(135) Il faut encore mentionner trois cas de responsabilité particulière dont nous ne traiterons
pas: (i) l'indication insuffisante des mentions permettant d'identifier la société oude la qualité
en vertu de laquelle les dirigeants agissent (articles 62 et 78 à 80 CS), (ii) la surévaluation
manifeste de biens vendus à une société par un fondateur, un administrateur ou un associé et
(iii) !'absence de dépöt du bilan et des autres pièces nécessaires lors de !'aveu de la cessation
des paiements et/ou constat d'erreurs imposant des redressements significatifs (articles 10 et
54 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites).
(136) Certains textes ne prévoient expressément la responsabilité qu'à l'égard des associés
(par exemple, la responsabilité en cas de fusion oude scission n'est prévue qu'à l'égard des
associés de la société dissoute, !'être mora! ayant disparu) ou des tiers (par exemple, !'absence
de convocation en cas de perte de l'actifnet). Toutefois, comme la faute du dirigeant s'identi-
fie à une violation du Code, et à condition de prouver un intérêt à agir et un dommage en lien
causa! avec la faute, l' action en responsabilité peut dans chaque cas être introduite par la socié-
té comme par les tiers.
40
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROJT DES SOCIETES ET EN DROJT FINANCIER

Ils sont do}!c_ solidairement tenus dans cinq hypothèses. Nous nous attarde-
rons sur deux d'entre elles et nous nous bornerons à citer (i) la responsabilité
pour la libération effective des actions et des parts, dans la mesure prescrite
par la loi, (ii) la responsabilité pour la libération effective de la partie du
capita! non valablement souscrite, dont les administrateurs et gérants sont
réputés souscripteurs, et (iii) l' obligation de réparer le préjudice qui serait
une suite immédiate (et directe) (137), soit de la surévaluation manifeste des
apports en nature, soit de !'absence (ou de la fausseté) (138) des mentions
apportées dans l'acte d'augmentation de capita!.

29. Les administrateurs et gérants assument une responsabilité pour la par-


tie du capita! qui n'aurait pas été valablement souscrite. Tel est le cas lorsque
la souscription émane d'un incapable (mineur, interdit, prodigue, faible d'es-
prit) ou d'une personne dont Ie consentement fut vicié (erreur, dol, violence),
lorsque la souscription est soumise à une condition (l'octroi d'un mandat
d'administrateur ou d'avantages particuliers, ... ) ou lorsque la SA ou la SPRL
ont souscrit leurs propres parts ou actions (139).

30. Une responsabilité pour la différence éventuelle entre Ie capita! mini-


mum requis et Ie montant des souscriptions est égalemen( mise à charge des
administrateurs et gérants. Il y va d'une hypothèse qui ne vise que des cas
exceptionnels et est due au réaménagement complet opéré par Ie Code des
sociétés.

En effet, autrefois, les articles 35, 123, alinéa 2 et 147ter, alinéa 2 des lois
coordonnées sur les sociétés commerciales réglaient à la fois les responsabi-
lités dans Ie cadre de la constitution d'une société et dans le cadre d'une
augmentation de capita!. Or désormais, Ie Code distingue les responsabilités
lors de la constitution et lors d'une augmentation de capital, en reprenant
textuellement cette source de responsabilité pour les dirigeants aux articles
314, 1°, 424, 1° et 610, 1°. On peut théoriquement imaginer trois cas dans
lesquels leur responsabilité pourrait être engagée:

( 137) Si les dirigeants sont responsables du préjudice qui est une suite immédiate et directe de
la surévaluation manifeste des apports en nature ou des irrégularités des énonciations impo-
sées par la loi dans l'acte d'augmentation de capita! dans les SA et les SCRL, ils Ie sont pour
les suites préjudiciables immédiates en SPRL, Ie terme 'direct' étant absent de I' article 314, 4 °
es.
(138) L'élément engageant la responsabilité des administrateurs consiste tant6t en I'absence
ou la fausseté des énonciations de I'acte constitutif (SPRL et SA), tantöt uniquement en l'ab-
sence de ces énonciations, la fausseté n'étant pas mentionnée à I'article 424, 3° (SCRL).
(139) Violation de I'article 304 (SPRL) oude I'article 585 (SA) du Code des sociétés. En ce
qui concerne la SCRL, aucune responsabilité des dirigeants n'est prévue dans telle hypothèse.

41
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

- une société constituée avec un capital inférieur au minimum légal requis, ce


qui est un cas d' école vu l'intervention nécessaire d'un notaire, procède à une
augmentation de capital mais elle demeure en-dessous du capita! minimum;
- Ie législateur augmente le capital minimum requis et la société procède à
une augmentation de capital sans aller jusqu'au nouveau minimum requis
(140);
- la société procède à une réduction de capital jusqu' à descendre sous Ie mini-
mal légal et procède ensuite à une augmentation ("coup de l'accordéon")
sans atteindre ce capital minimum.

31. Qu'en est-il de la souscription faite au nom d'un tiers en vertu d'un
mandat qui s'avère ultérieurement non valable (ex.: le mandat a été révoqué
au moment de la souscription ou un mandat authentique - et non sous seing
privé - était requis pour l 'apport d 'un immeuble) oude l 'engagement pris par
un porte-fort qui n'est pas ultérieurement ratifié? Pour répondre à cette ques-
tion, il convient de distinguer selon la forme sociétaire.

Pour les SPRL, l'article 315 du Code des sociétés prévoit expressément que
les gérants sont responsables des engagements dans l'hypothèse - théorique
eu égard à la vigilance du notaire - ou le nom des mandants n' a pas été donné
dans l'acte ou lorsque Ie mandat produit n'est pas valable. La souscription est
donc valable mais c'est le mandataire qui en est tenu et, pour renforcer la
protection des tiers, le législateur prévoit la responsabilité complémentaire et
solidaire des gérants. S'il y a eu porte-fort, on applique, à défaut de disposi-
tions spécifiques dans Ie Code des sociétés, l'article 1120 du Code civil: celui
qui s' est porté fort n' est pas personnellement tenu de la souscription mais
sera tenu de réparer Ie dommage causé par !'absence de ratification. Il n'y a
donc pas de souscription valable et les gérants sont solidairement responsa-
bles, sur la base de l' article 314, 1° du Code des sociétés, car une partie du
capita! n'est pas valablement souscrite.

En ce qui concerne les SA, l'article 611 du Code des sociétés dispose que
celui qui a pris un engagement pour un tiers, que ce soit comme mandataire
ou en se portant fort, est personnellement obligé s'il n'y a pas mandat valable
ou si l' engagement n' est pas ratifié dans les deux mois de la stipulation ( 141 ).
Dans ces deux cas, il y a donc une souscription valable et c' est celui qui a pris
l' engagement pour le tiers qui en est tenu, ce qui déroge à l' article 1120 du

(140) Sur cette question, voyez M.A. DELVAUX, «Les sociétés coopératives qui n'ont pas
adapté leur capita! aux nouvelles exigences de la loi du 20 juillet 1991: que lies protections
pour les tiers?», R.D.C., 1998, p. 588, et spécialement p. 592.
(141) Le délai réduit à 15 jours si l'identité du bénéficiaire n'est pas indiquée.

42
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

Code civil. Mais la protection des tiers n'est pas ici renforcée par une respon-
sabilité complémentaire et solidaire des administrateurs. Ce régime diffère
également de celui des SPRL sur deux autres points. D'une part, dans Ie cadre
du mandat, seule l'hypothèse de !'absence de validité du mandat est visée et
non celle de l'omission d'indiquer dans l' acte l'identité du mandant. On peut
en déduire que, contrairement au régime applicable dans les SPRL, celui qui
a pris un engagement pour un tiers comme mandataire n' est pas personnelle-
ment obligé si, par impossible, Ie nom du mandant n'est pas indiqué dans
l'acte. D'autre part, un régime dérogatoire au droit commun est expressé-
ment prévu par l'article 611 dans l'hypothèse d'un engagement avec porte-
fort: un délai est prévu pour la ratification par celui pour lequel Ie stipulant
s' est engagé et, à dé faut de ratification en temps utile, cel ui qui s' est porté
fort est lui-même tenu. En application de l'article 1120 du Code civil, seuls
des dommages et intérêts seraient dus par celui qui s'est porté fort et, en
!'absence de souscription valable, les administrateurs seraient responsables,
sur la base de l'article 610, 1° CS, dans la mesure ou une partie de l'augmen-
tation du capita! ne serait pas valablement souscrite.

Dans les SCRL, aucune disposition n'est consacrée à cette question de la


stipulation par Ie biais d'un tiers. Si Ie mandat n'est pas valable ou si !'enga-
gement n'est pas ratifié, il n'y a pas de souscription valable et la responsabi-
lité solidaire des dirigeants est corrélativement engagée sur la base del' arti-
cle 424, 1° CS. Une difficulté subsiste quant au porte-fort: dans quel délai les
dirigeants sont responsables si l' engagement n' est pas ratifié, à dé faut de pré-
cision légale?

On déplore cette divergence de régimes suivant la forme sociétaire, divergen-


ce qui ne peut qu' embrouiller les esprits et à laquelle Ie Code des sociétés
aurait pu utilement mettre fin.

§ 2. La, préparation et la réalisation d'opérations de restructuration

32. Les administrateurs ou gérants des sociétés impliquées dans ces opéra-
tions sont soumis au régime de responsabilité de droit commun. Les droits
d'action de la société absorbée sont transmis à la société absorbante.

Parallèlement à ce régime de droit commun, le Code des sociétés comprend


un régime spécifique de responsabilité des organes de contróle et de gestion
des sociétés scindées ou absorbées, quelle que soit leur forme juridique (arti-
cle 687 CS). Chaque actionnaire ou associé de la société scindée ou absorbée
dispose d'une action en responsabilité contre les administrateurs ou gérants
de cette société pour obtenir réparation du préjudice qu' il aurait subi par suite

43
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

d'une faute commise lors de la préparation (142) et de la réalisation de la


fusion ou de la scission. Cette action est accordée aux actionnaires de la so-
ciété absorbée ou scindée individuellement dans la mesure ou la disparition
de la société absorbée ou scindée rend impossible l'exercice d'une action
minoritaire (143). La décharge accordée par l'assemblée générale de la socié-
té absorbante aux administrateurs et gérants de la société absorbée est sans
incidence sur le droit d'action des actionnaires de la société absorbée (144).
De lourdes amendes pénales sont, en outre, prévues à charge des dirigeants
n' ayant pas respecté les formalités requises par la loi pour la préparation des
opérations de fusions et scissions (article 773 CS).

§ 3. Le défaut de convocation de l'assemblée générale en cas de pertes pro-


noncées

33. Les administrateurs des SA et des SCRL ainsi que les gérants des SPRL
sont tenus de réunir une assemblée générale si l'actif net de la société gérée
est réduit à un montant inférieur à la moitié du capital social (145). La disso-
lution pourra, en cette occurrence, être décidée par les trois quarts des voix
émises à l'assemblée. Une nouvelle réunion est nécessaire si l'actif net est
réduit à un montant inférieur au quart du capita! social; dans cette hypothèse,
une majorité du quart des voix émises est suffisante pour dissoudre la société
(articles 332,431 et 633 CS) (146).

Ces assemblées doivent se tenir dans un délai bref: deux mois à <later du
moment ou la perte a été constatée ou aurait dû l'être en vertu des obligations

(142) La loi impose aux administrateurs ou gérants de la société absorbée ou scindée l'établis-
sement de rapports décrivant la situation patrimoniale des sociétés concernées, énonçant la
justification économique etjuridique de l'opportunité de la fusion, ses conditions, modalités et
conséquences, l' explication des termes de l' échange des actions et parts, ...
(143) Voyez P. VAN OMMESLAGHE, «Les fusions et scissions des sociétés», Le droit des
affaires en évolution, Bruxelles, Bruylant, 1992, pp. 111 et 138: G.-A. DAL et M. VAN DEN
ABBELE, «Les fusions et scissions de sociétés commerciales», Rev. prat. soc., 1993, p. 253;
G. HORSMANS, «Les nullités et les sanctions», Le nouveau droit des fusions et des scissions,
Université catholique de Louvain, 22 octobre 1993, p. 27.
( 144) Les actionnaires de la société absorbante sont appelés à se prononcer sur cette décharge
à !'issue de l'approbation des comptes annuels de la société absorbée, relatifs à la période
comprise entre la date de clöture du dernier exercice social et la date de prise d'effet de la
fusion (article 704 du Code des sociétés).
(145) Pour déterminer si les seuils définis sont franchis, l'actif net doit être calculé sur la base
d'une comptabilité qui est établie correctement et qui reflète fidèlement la situation de la so-
ciété (Comm. Charleroi, 29 janvier 1997, R.D. C., 1999, p. 39 et note C. SANTVLIET).
( 146) Si l' actif net est réduit à montant inférieur au capita! minimum - libéré ou non selon les
cas - exigé par Ie Code, tout intéressé peut demander la dissolution de la société au tribunal de
commerce (articles 333, 432 et 634 CS).

44
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROJT FINANCIER

légales ou statutaires (147). Elles doivent délibérer, le cas échéant, dans les
formes prescrites pour la modification des statuts (intervention d'un notaire
et conditions spéciales de présence et de majorité).

L'assemblée délibère sur la dissolution ou sur des propositions altematives,


formulées par l' organe de gestion et annoncées dans l' ordre du jour. L' organe
de gestion doit justifier ses propositions dans un rapport spécial tenu à la
disposition des associés au siège de la société quinze jours avant l' assemblée
générale. S'il propose la poursuite des activités, il doit y exposer les mesures
qu'il compte adapter en vue de redresser la situation financière de la société.
Le Code des sociétés ne prévoit aucune condition de forme ou de fond pour
ce rapport ( 148).

Lorsque l' assemblée générale a valablement délibéré et qu' elle a décidé la


continuation des affaires sociales, la responsabilité du conseil d' administra-
tion est mise hors de cause (149). Par contre, lorsque l'assemblée prend une
décision alors que les rapports n'ont pas été rédigés et présentés conformé-
ment aux exigences légales, sa décision est nulle (articles 332, al. 5, 431, al. 5
et 633, al. 3 CS) (150).
(147) Les dispositions légales concernées renvoient respectivement aux articles 269, 38let
535 CS, qui règlent les modalités selon lesquelles les documents et pièces doivent être mis à la
disposition de certaines personnes avant la réunion d'une assemblée générale. Le Code distin-
gue ceux qui reçoivent automatiquement les documents (les actionnaires/associés, les admi-
nistrateurs/gérants et les commissaires) et ceux qui les reçoivent 'à la demande' (notamment
les obligataires). Voyez F. HELLEMANS, «Assemblée générale et augmentation de capita!
sous Ie nouveau Code des sociétés», in Le Code des sociétés et son arrêté d'exécution, Faculté
de droit de Liège, 7 mars 2001.
(148) Voyez Mons 17 novembre 1997, R.D.C., 1999, p. 31 etnote C. VAN SANTVLIETdans
une espèce ou Ie rapport a été rédigé à la suite de !'analyse faite par une fiduciaire réputée et
énumère entre au tres les orientations préconisées par cette dernière en vue d' aboutir au redres-
sement de la société. Voyez également Liège (ime ch.), 19 octobre 2004, R.D.C., 2006, p. 426
et note M. COIPEL, «La responsabilité quasi-délictuelle des gérants d'une SPRL en raison de
la poursuite déraisonnable d'une activité irrémédiablement condamnée»: «nous pensons ( ... )
qu 'il con vient de privilégier Ie contenu à la forme, l 'essentie! étant que ie conseil d' adminis-
trationfasse des propositions de redres se ment consistantes à l 'assemblée générale des action-
naires». En l'espèce, la Cour retient la responsabilité des dirigeants après avoir constaté !'ab-
sence d'analyse minutieuse des causes des pertes enregistrées et de propositions consistantes
et sérieuses.
( 149) Voyez Liège (7ème ch.), 3 décembre 1998, J.D.S.C. 2001 (abrégé), p. 211; J.D.S.C. 2001
(abrégé), p. 219, note M.A. DELVAUX; Rev. prat. soc. 1999, p. 148, note W. DERIJCKE. La
Cour précise qu'en cas d'aggravation ultérieure de la situation de la société, les administra-
teurs doivent supporter l' aggravation du passif net de la société entre Ie moment ou l' activité
aurait dû être arrêtée et celui ou elle l'a effectivement été.
(150) Selon M. COIPEL (in «La responsabilité quasi-délictuelle ... »,op.cit.), Ie demandeur en
responsabilité doit solliciter l'annulation de la décision prise en !'absence du rapport spécial
légalement requis afin que la juridiction saisie constate que la perte grave de capita! n' a pas été
.. ./ ...

45
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

34. Si l'assemblée n'a pas été convoquée dans Ie respect de l'exigence


légale, le dommage subi par les tiers (151) est, sauf preuve contraire (152),
présumé résulter de cette absence de convocation, ce qui dispense de la preu-
ve du lien causal. Le dommage consiste pour les créanciers en la diminution
des chances de recouvrement de leurs créance, résultant soit de l'accroisse-
ment du passif après le moment auquel l'assemblée générale aurait dû se
réunir pour décider de la dissolution (153), soit de la conclusion de contrats
qui n'aurait pas été possible si la société avait été dissoute (154).

Il ne s'agit pas d'établir fictivement qu'une assemblée générale régulière-


ment convoquée aurait décidé la dissolution de la société, aurait pris des me-
sures adéquates ou aurait décidé de poursuivre l' activité sans le moindre chan-
gement. Le Code présume le lien nécessaire de cause à effet entre l' absence
de convocation et le dommage subi par les tiers, qui doivent au préalable être
prouvés par celui qui se prévaut de ladite présomption. Cette disposition est
essentielle au niveau de l'appréciation de l'existence d'un dommage subi par

.. ./ ...
valablement soumise à l'assemblée et que, partant, il n'y a pas eu - au sens strict- convocation
de l'assemblée pour délibérer de l'avenir de la société, ce qui permet l'application de la pré-
somption de lien causal entre !'absence de convocation et Ie préjudice subi par les tiers.
(151) Les associés eux-mêmes ne bénéficient pas de pareille présomption et devront, confor-
mément au droit commun, apporter la preuve du lien de causalité (0. RALET, op. cit, p. 160;
J. Fr. GOFFIN, op.cit., pp. 213 à 215).
(152) Par exemple, Ie tribunal de commerce d'Ypres a considéré que cette présomption de
causalité est renversée lorsque Ie créancier, nonobstant la connaissance qu'il aurait dû avoir de
la situation financière dramatique de la société par l' examen des comptes annuels de l' exercice
1994, a choisi de continuer de foumir, même après Ie défaut de paiement d'une facture échue.
Cela indique, selon Ie tribunal, qu'il a assumé Ie risque du crédit ainsi fourni à la société
(Comm. Ypres, 21 octobre 2002, R. W. 2003-04, p. 431; T.R. V. 2004, p. 730 et note).
(153) L'accroissement du passif peut être calculée avec précision en établissant la différence
entre Ie passif existant à la date à laquelle l'assemblée aurait dû être convoquée et Ie passif
définitivement cliché, soit Ie jour ou 1' action est intentée, soit Ie jour ou la société est dissoute.
Sur cette question, voyez X. FOSSOUL, «Modifications apportées au régime juridique de la
SA par Ie projet 210/390», Ann. Fac. Dr. Lg., 1983, p. 376 et les références citées; J. RONSE
et J. LIEVENS, Les sociétés commerciales, Éd. Jeune Barreau, 1985, pp. 203-204. Voyez
également Comm. Charleroi, 7 janvier 1997, R.D.C., 1997, p. 643, qui, après avoir considéré
que!' «aggravation du passif» est susceptible d'être compensée par une augmentation d'actif,
préfère se référer à l' évolution de I' actif net «c 'est-à-dire en réalité à l' évolution de la valeur
comptable de la société».
(154) Gand (23ème ch.), 17 octobre 2001, J.D.S.C., 2004, n° 590, p. 274 et note M.A. DEL-
VAUX, «La perte de substance du capita! social et la sonnette d'alarme: quelques considéra-
tions critiques relatives à !'arrêt de la Cour d'appel de Gand du 17 octobre 2001», DAOR,
2002, liv. 63, p. 300; R.D.C., 2002, p. 703. Voyez également Gand, 13 janvier 1995 (J.D.S.C.
1999 (sommaire), p. 235 et note et R.D. C., 1997, p. 179 et note), qui précise que le créancier
désireux d'obtenir la condamnation de !'administrateur d'une société virtuellement en faillite
l'ayant incité à lui livrer des marchandises doit prouver que la procédure aurait dû être appli-
quée avant la date de la commande.

46
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

les tiers en lien causa! avec la faute commise, et corrélativement, au niveau


de l'importance du dommage réparable. Gràce à la présomption légale de
causalité en faveur des tiers, Ie dommage réparable s'identifie à l'accroisse-
ment de la perte (aggravation du passif et/ou réduction de l'actif) entre Ie
dernier jour utile pour convoquer l' assemblée générale dans Ie respect des
formalités légales et Ie moment ou Ie passif social a été définitivement cliché,
c'est-à-dire soit Ie jour ou l'action est intentée, soit Ie jour ou la société est
effectivement dissoute. Cette preuve est plus aisée à apporter. Le juge peut
ordonner une expertise ou une réouverture des débats afin que les parties
déposent toute pièce permettant de déterminer que! était Ie dernier jour utile
pour convoquer une assemblée et quelle est l' importance de l' accroissement
du passif depuis ce jour.

Il n'existe pas de présomption de lien causa! entre !'absence de convocation


et Ie dommage subi par la société, qui doit donc prouver positivement ce lien.
On note qu'il n'y a pas davantage de présomption de lien causa! entre !'ab-
sence de convocation et la faillite, qui doit donc être prouvé par Ie curateur ou
le créancier isolé souhaitant introduire une action en comblement de passif
(155). Lorsque Ie curateur agit en responsabilité contre les dirigeants, tant au
nom de la société que des tiers, Ie régime Ie plus favorable de charge de la
preuve (à savoir le renversement de la charge de la preuve quant au lien de
causalité) doit être appliqué.

La doctrine considère, àjuste titre selon nous, que l'obligation de convoquer


l'assemblée générale n'existe qu'une seule fois dans chacune des hypothèses
envisagées par la loi, à savoir (i) quand l'actif net est réduit à un montant
inférieur à la moitié du capita! social et (ii) quand l'actif net est réduit à un
montant inférieur au quart du capita! social ( 156).

( 155) Voyez en ce sens Anvers (5ème ch.), 20 décembre 2001 (J.D.S.C., 2004, n° 591, p. 279 et
note M.A. DELVAUX, «Le défaut de convocation de l'assemblée générale lorsque les pertes
atteignent un certain pourcentage de I' actif net de la faute grave et caractérisée ayant contribué
à la faillite de la société: convergences et divergences de ces deux fondements de responsabi-
lité des dirigeants», R. W., 2002-2003, p. 708).
( 156) Voyez contra: Gand (23ème ch.), 17 octobre 2001 (J.D.S.C.. 2004, n° 590, p. 274 et note
M.A. DELVAUX, «La perte de substance du capita! social et la sonnette d'alarme: quelques
considérations critiques relatives à !'arrêt de la Cour d'appel de Gand du 17 octobre 2001»,
DAOR, 2002, liv. 63, p. 300; R.D.C., 2002, p. 703); selon eet arrêt les dirigeants doivent réunir
une assemblée générale spéciale chaque année lorsqu'ils constatent, au moment de !'examen
des comptes annuels, que l'actif net est inférieur à la moitié ou au quart du capita! social.
Voyez également X. FOSSOUL, «Observations sur l'article 103 des lois coordonnées sur les
sociétés commerciales», in Liher amicorum Commission Droit et Vie des Affaires, 40ème Anni-
versaire ( 1957-1997), Bruxelles, Bruylant. 1998. pp. 565 ets. et les références citées.

47
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

35. Comment !'administrateur peut-il se dégager de sa responsabilité?


Il est inutile de tenter de prouver que, même si elle avait été réunie, l' assem-
blée générale aurait pris la décision de poursuivre l'activité ou aurait adopté
d' au tres mesures adéquates (157). Un raisonnement aposteriori basé sur des
conjectures de votes et de majorités potentielles n' est pas pertinent. Ainsi, un
administrateur également actionnaire minoritaire ne pourrait affirmer qu'il
n' avait pas le pouvoir de décider quoi que ce soit au sein de l' assemblée et
qu'il était donc inutile de la réunir. Il aurait pu à tout le mains s'exprimer,
attirer l'attention des autres associés sur tel ou tel élément et, le cas échéant,
plaider pour la dissolution ou telle mesure de redressement de la société. ln-
versement, un administrateur par ailleurs actionnaire largement majoritaire
ne peut prétendre qu'une réunion est inutile puisqu'il décide seul.

Il est également vain d'invoquer la circonstance que les mêmes personnes


composent l'assemblée générale et le conseil d'administration et que le con-
seil s'est réuni régulièrement pour faire le point sur l'évolution de la société
et sur les mesures à prendre (158). Quelle que soit la composition des orga-
nes, des règles spécifiques doivent être respectées, notamment pour la convo-
cation de l'assemblée et l'information des associés, afortiori dans le cadre de
la procédure de « sonnette d 'alarme » ( ordre du jour mentionnant la dissolu-
tion éventuelle de la société, une modification des statuts ou d'autres mesures
adéquates; rédaction et communication de rapports de l' organe de gestion;
délibérations strictes de l'assemblée; présence éventuelle d'un notaire ... ). Ces
formalités permettent d' attirer l' attention sur la gravité de la situation et de
faire le point sur l'avenir de la société en pleine connaissance de cause, ce qui
n'est possible qu'au sein d'une assemblée générale dûment convoquée. En
outre, une série de mesures échappent à la compétence du conseil d'adminis-

(157) La jurisprudence rejette ce type de défense car elle considère que Je Code des sociétés
impose un formalisme qui doit être respecté à la lettre en ce qu'il constitue Ja seule voie utile
pour se poser réellement et concrètement Ja question de la poursuite des activités de la société,
dans J' intérêt des tiers. Voyez en ce sens Comm. Charleroi, 11 novembre 1995 et 19 juin 1996,
R.R.D., 1997,p.55etnoteP.-EGHISLAIN;J.L.M.B., 1997,p.664;1.D.S.C., 1999,n° 101,p.
247 et note M.A. DELVAUX; Gand (12èmc ch.), 15 mars 2000, J.D.S.C., 2003, n° 512, p. 223
et note M.A. DELVAUX, «Quelques observations relatives à Ja responsabilité des dirigeants
pour défaut de convocation d'une assemblée générale en cas de perte prononcée du capita!
social», T.G.R., 2001, p. 500 et note C. VAN SANTVLIET; J. RONSE et J. LIEVENS (Les
sociétés commerciales, Éd. Jeune Barreau, 1985, p. 204). Contra: P. FRANÇOIS, «Questions
relatives à la dissolution des sociétés», Rev. not. beige, 1985, p. 787 ets.
(158) Ace propos, on rappelle que, dans les SA, les SPRL et les SC, Jes associés peuvent à
l 'unanimité prendre par écrit toutes les décisions qui relèvent du pouvoir de l' assemblée géné-
rale, à J'exception de celles qui doivent être passées par acte authentique (articles 268, 382 et
536 CS). Les mesures de redressement pourraient donc être décidées sous cette forme. On
rappelle toutefois que, parmi les mesures de redressement à envisager, l'augmentation ou la
réduction du capita! social nécessitent une modification statutaire et, partant, un acte authenti-
que.

48
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DRO!T DES SOCIETES ET EN DRO!T FINANCIER

tration: il ne peut modifier les statuts de la société (augmentation de capita! -


hormis l'hypothèse du capita! autorisé-, réduction de capital, restructuration
et dissolution de la société, ... ), révoquer un dirigeant, ou nommer un ou
plusieurs dirigeants complémentaires, ....

Il n' est pas davantage utile de prétendre qu 'une assemblée générale ordinaire
s' est prononcée dans Ie délai requis sur les comptes annuels, ce qui exclurait
la nécessité d'une nouvelle assemblée spéciale (159).

Au surplus, ni la démission, ni l'incompétence avouée ne permettent de ren-


verser la présomption légale (160). Les dirigeants pourront uniquement se
libérer de leur responsabilité en établissant rigoureusement l' absence de lien
de causalité entre leur faute et Ie dommage et en démontrant sans équivoque
que Ie dommage aurait également été subi si l' assemblée avait été réunie au
moment légalement requis. Ils pourront, notamment, prouver que la perte
subie trouve son origine dans des opérations bien antérieures, ou des événe-
ments postérieurs selon le cas - à l'époque ou l'assemblée générale aurait dû
être convoquée ou qu' elle est inhérente à l' arrêt des activités (161 ).

§ 4. Le dépot tardif des comptes annuels

36. Il incombe aux dirigeants d'établir annuellement les comptes annuels


de la société qu'ils gèrent, et l'assemblée générale ordinaire doit délibérer sur
ceux-ci (articles 282 et 284, 411 et 552 et 554 CS) (162). Cependant, ces
comptes sont souvent présentés avec retard. Pour sanctionner cette carence la
loi prévoit qu'en cas de présentation tardive (plus de six mais après la clóture
de l'exercice) ou d'absence totale de présentation (163) des comptes annuels
à l'assemblée générale, Ie dommage subi par les tiers est présumé résulter de

(159) Gand (]2èmc ch.), 15 mars 2000, J.D.S.C., 2003, n° 512, p. 223 et note M.A. DELVAUX,
«Quelques observations relatives à la responsabilité des dirigeants pour défaut de convocation
d'une assemblée générale en cas de perte prononcée du capita! social», T.G.R., 2001, p. 500 et
note C. VAN SANTVLIET.
(160) Liège, 8 mai 2003, DAOR, 2003, liv. 65, p. 70.
(161) J.-Fr. GOFFIN, op. cit., p. 214. lis pourront aussi remplir les conditions d'exonération
prévues aux articles 263, al. 2, 408, al. 3 ou 528, al. 2 CS (voir supra).
(162) Pour les SCRL, Ie Code n'exige pas expressis verbis la réunion annuelle d'une assem-
blée générale. Mais, dans la mesure ou il mentionne expressément que l'assemblée générale
doit discuter les comptes annuels, cette exigence d'annualité s'impose d'elle-même. Pour une
étude détaillée des modalités et implications juridiques de la décharge, voyez A. GOEMINNE,
«Kwijting van bestuurders en zaakvoerders», R. W., 1995-96, II, pp. 1001 ets.
( 163) Cette hypothèse, non visée par Ie tex te légal mais qui entre afèJrtiori dans celle de la
présentation tardive, est fréquente dans les sociétés «en sommeil».

49
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX

ce retard (article 92 CS) (164). Toutefois, les dirigeants peuvent échapper à


cette responsabilité en apportant la preuve que, en cas de dommage subi par
un tiers, il n'y a aucun lien de causalité entre leur présentation tardive des
comptes annuels et le préjudice du tiers concerné.

Une fois approuvés, les comptes annuels doivent être déposés par les soins
des dirigeants à la Banque nationale de Belgique (article 98 CS). A nouveau,
pour sanctionner cette carence, la loi prévoit qu'en cas de dépöt tardif (plus
de trente jours après leur approbation et/ou plus de sept mais après la date
de cloture de l'exercice) ou d'absence totale de dépöt (165) des comptes, le
dommage subi par les tiers est présumé résulter de ce retard, cette présomp-
tion étant susceptible d' être renversée dans les mêmes conditions (166).

§ 5. L'absence de paiement du précompte professionnel ou de la TVA

37. L'administration fiscale a maintes fois tenté de mettre en cause la res-


ponsabilité des administrateurs, sur la base du droit commun, afin de les con-
traindre à payer le précompte professionnel que n' avait pas acquitté la société
<lont ils constituent l' organe. La jurisprudence a admis, à plusieurs reprises,
que Ie défaut de versement des sommes retenues sur les rémunérations au
titre de précompte professionnel constituait une faute aquilienne engageant la
responsabilité des administrateurs en tant que violation d'une obligation lé-
gale déterminée (167). D' au tres décisions récentes privilégient- fort heureu-
sement selon nous - la thèse selon laquelle l' obligation de versement du pré-
compte professionnel incombe uniquement à la société et, l' absence de paye-
ment dudit précompte ne constitue pas - automatiquement - une faute per-

( 164) A noter que des sancti ons financières sant également mises à charge de la société qui
publie tardivement ses comptes annuels (article 101 CS).
( 165) Cette hypothèse, non visée par Ie tex te légal mais qui entre a fortiori dans celle du dépöt
tardif, est fréquente dans les sociétés «dormantes» ou «moribondes».
( 166) Parmi les causes de dissolution judiciaire d'une société commerciale, figure Ie fait de ne
pas avoir déposés ses comptes annuels durant trois exercices consécutifs. Tout intéressé com-
me Ie Ministèrc public peut demander cette dissolution au tribunal de commerce, au plus tot
sept mais après la date de clöture du dernier exercice comptable. La société peut éviter cette
sanction en régularisant sa situation en cours de procédure (article 182 CS).
(167) Anvers, 6 avril 1999, T.R.V., 2000, p. 33 et note; Anvers, 13 décembre 1999, T.R.V.,
2000, p. 32 et note. Par un jugement du 1er octobre 2002, Ie tribunal de première instance
d' Anvers a retenu la responsabilité des administrateurs en considérant que Ie non-respect d'une
norme de droit essentielle connue de chaque dirigeant, telle que l'obligation de retenir et de
verser Ie précompte professionnel au Trésor, représentait, dans leur chef, un manquement à
une norme de comportement prudent et diligent (Civ. Anvers, 1er octobre 2002, Fiscologue,
2002, n° 863, p. 4).

50
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCTETES ET EN DROIT FINANCIER

sonnelle dans Ie chef de chaque administrateur ( 168). Le non-payement de


précomptes ou d'impöts échus ne pourrait constituer une faute aquilienne des
administrateurs que s'il procède d'un comportement frauduleux de leur part
(169).

38. Sous un chapitre intitulé «Responsabilité des dirigeants», les articles


14 et 15 de la loi-programme du 20 juillet 2006 amis en selle deux «cavaliers
Jiscaux», lancés au galop dès le 28 juillet 2006: l'article 442quater du CIR 92
et l' article 93undecies C du Code TVA ( 170).

Selon Ie gouvernement, la ratio legis de ces dispositions est la lutte contre la


fraude fiscale (carrousels à la TVA, criminalité organisée ... ) s'agissant de
sommes perçues ou retenues par l'entreprise mais qui, dans !'attente d'être
versées au Trésor, ne constituent pas des moyens financiers de l'entreprise.
Le législateur a également souhaité rétablir l' égalité concurrentielle entre les
entreprises qui honorent leurs dettes fiscales dans les délais et celles qui n'y
veillent pas ( 171).

Ces dispositions prévoient la responsabilité «solidaire» des dirigeants de so-


ciété ( 172) chargés de la gestion journalière lorsque la société ne paie pas Ie
précompte professionnel retenu sur les rémunérations de ses salariés (173)
(ainsi que les intérêts ( 174)) ou la TVA (17 5) (ainsi que les intérêts et frais

(168) Civ. Turnhout, 14 juin 2002, F.J.F., 2002, p. 244; Comm. Malines, 14 novembre 2002,
T.R. V., 2002, p. 643; Civ. Anvers, 24 février 2003, T.F.R., 2003, p. 924; Civ. Hasselt, 23 avril
2003, T.F.R., 2003, p. 926, note S. DE GEYTER.
( 169) Dans Ie même sens, D. DESCHRIJVER, «Standpunt. In hoeverre zijn vennootschaps-
bestuurders persoonlijk aansprakelijk voor de door de vennootschap onbetaald gebleven be-
drijfsvoorheffing», T.R. V., 2001, pp. 554 ets.
( 170) Voyez, pour de plus longs développements Th. LITANNIE, «La responsabilité fiscale
des dirigeants d'entreprises», in La responsabilité des administrateurs et dirigeants d'entre-
prise, Colloque Vanham & Vanham du 24 novembre 2006, pp. 43 et s.
(171) Nihil.
( 172) Sont aussi concernées les personnes morales visées à l' article 17, § 3, de la loi du 27 juin
1921 sur les associations sans but lucratif, les associations internationales sans but lucratif et
les fondations, à savoir les «grandes» ASBL.
( 173) Voyez les articles 273 et 412, al. 2 du CIR.
(174) On peut déduire cette extension aux intérêts du§ 4 de l'article 442quater selon lequel
«la responsabilité solidaire des dirigeants de la société oude la personne morale ne peut être
engagée que pour le paiement, en principal et intérêts. des dettes de précompte professionnel»
(nous soulignons). Sauf à déceler dans ce § 4 une incohérence avec le silence du § 1er, qui
n'évoque pas Ie paiement des intérêts ....
(175) Voyez les articles 17 et 22 du Code de TVA. Eu égard à la ratio legis de ces dispositions,
on pourrait soutenir qu'il n'y a pas responsabilité en cas de factures impayées émises par la
société car, en ce cas, l' obligation de paiement de la TVA est antérieure à sa perception effec-
tive.

51
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

accessoires (176)) et à condition que ce manquement soit «imputable à une


faute au sens de l'article 1382 du Code civil, qu'ils ont commise dans la
gestion de la société oude la personne morale».

Cette responsabilité, qui pèse en première ligne sur les délégués à la gestion
journalière, peut être étendue aux autres dirigeants de droit oude fait, à l'ex-
clusion des mandataires de justice, si une faute ayant contribué au manque-
ment est établie dans leur chef. Il n'est donc pas exclu que des actionnaires
majoritaires de certaines sociétés puissent être inquiétés. Mais seules les per-
sonnes informées du non-paiement des dettes fiscales sont susceptibles d' être
poursuivies.

La solidarité existe non seulement entre Ie délégué à la gestion journalière


unique et la société mais aussi entre les dirigeants chargés de la gestion jour-
nalière. Cette solidarité implique qu' aucune proportionnalité entre, d' une part,
Ie manquement et, d'autre part, !'engagement ou Ie róle exact de tel ou tel
administrateur n'est prise en considération.

Il convient de relever que la question du dommage est, en l'occurrence, es-


quivée. La responsabilité solidaire des dirigeants porte sur Ie paiement d'une
<lette fiscale sans que Ie fisc doive apporter la preuve que Ie dommage subi
par l'Etat s'identifie à l'impöt impayé. Il y va d'une sorte d' «objectivation du
dommage».

Pourraient être considérées comme fautes - au sens del' article 1382 du Code
civil - commises dans la gestion: la poursuite nuisible, inconsidérée ou dérai-
sonnable d'une activité déficitaire; la fraude en vue d'éluder l'impöt; Ie choix
délibéré de la rétention des sommes dues comme mode de financement et Ie
défaut d'aveu de faillite dans Ie délai légal (177).

De manière assez inquiétante, Ie texte instaure une présomption simple de


faute au sens de l'article 1382 du Code civil en cas de «non-paiement répété»

( 176) Article 93undecies C, § 1er, Ja notion de «frais accessoires» recouvre principalement les
amendes administratives, qui ont, selon lajurisprudence, un caractère pénal (voyez Cass., 25
mai 1999, Pas., 1999, I, n° 307; J. KIRKPATRICK et S. NUDELHOLE, «Le contr6Je judiciai-
re des amendes fiscales et Ie principe de proportionnalité», note sous Cass., 24 janvier 2002,
R.C.J.B., pp. 594 ets.; D. GARABEDIAN, «Le pouvoir d'appréciation du juge à l'égard des
amendes administratives fiscales et de la cotisation spéciale sur «commissions secrètes», in
Liber Amicorum Jacques Malherbe, 2006, pp. 491 ets.; V. SEPULCHRE, «Le contr6le juri-
dictionnel des amendes fiscales», R.G.C.F., 2003/2, pp. 5 ets.). Sur les conséquences de cette
qualification quant à la compatibilité de l'article 93undecies C du Code TVA avec notre ordre
juridique, voyez Th. LITANNIE, op.cit., pp. 63 ets.
(177) Circulaire n° AAF/2006-0604 (AAF 14/2006) du 24 août 2006.

52
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

par la société du précompte professionnel ou de la TVA. Par inobservation


répétée de l'obligation de paiement, les nouvelles dispositions légales enten-
dent:

- le défaut de paiement d'au moins deux ou trois dettes «échues» au cours


d'une période d'un an, selon qu'il s'agit- respectivement- d'un redevable
trimestriel ou mensuel du précompte professionnel;
- le défaut de paiement d' au moins deux ou trois dettes «exigibles» au cours
d'une période d'un an, selon qu'il s'agit d'un assujetti tenu au dépót de
déclarations trimestrielles ou mensuelles à la TVA.

Cela implique que tout dirigeant dont la société accuse trois à six mois de
retard à l' égard du fisc risquera, même si elle n' est pas déclarée en faillite, de
voir sa responsabilité personnelle mise en cause et reconnue à concurrence
des dettes impayées en principal et en intérêts. Or, il est fréquent que de peti-
tes sociétés rencontrant des problèmes de trésorerie suspendent leurs paie-
ments à l'ONSS ou au fisc pendant quelques mois afin de «temporiser», de se
donner un peu d'air et de relancer ainsi leurs activités. On peut craindre que,
dépourvues de cette flexibilité eu égard à la prudence des dirigeants, davanta-
ge de sociétés introduiront une demande en concordat ou feront aveu de faillite.
D'autant plus qu'un autre argument les y incitera ...

39. En effet, la présomption de faute est écartée lorsque le non-paiement


provient de difficultés financières qui ont donné lieu à l' ouverture d'une pro-
cédure de concordat judiciaire (178), de faillite ou de dissolution judiciaire.
Le texte ne pose aucune limite temporelle à la vigueur de cette exception; il
n'apporte aucune précision quant au moment ou doivent s'ouvrir ces procé-
dures - qui ne doivent pas être introduites à la légère - pour que la présomp-
tion de faute - d'interprétation nécessairement restrictive - soit inopérante.
On peut en déduire que, même introduite aposteriori par rapport à la mise en
cause de la responsabilité solidaire, l'une ou l'autre des procédures visées
obligera l' administration à prouver la faute du dirigeant, en établissant, le cas
échéant, que cette procédure a été introduite tardivement.

Il a été jugé à plusieurs reprises que la responsabilité des dirigeants qui ont
violé leurs obligations légales doit être rejetée lorsque la société se trouve
dans une situation catastrophique, au motif qu'ils se trouveraient ainsi placés
dans une sorte d' «état de nécessité» (179) ne leur laissant pas d'autres choix

( 178) Nihil.
(179) Cette notion originaire du droit pénal n'est pas totalement étrangère au droit civil, qui
l' utilise tant en matière de responsabilité aquilienne que contractuelle, mais elle est très rare-
.. ./...

53

j
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

que de violer la loi (180). Ces illustrations prennent généralement place dans
Ie cadre de la responsabilité des dirigeants à l' égard des tiers, et notamment à
l'égard des créanciers «institutionnels» pour violations des obligations fisca-
les et/ou sociales. Il convient de souligner que les cas dans lesquels eet «état
de nécessité» a permis d'exonérer la responsabilité des dirigeants demeurent
particuliers (181) et exceptionnels (182). Les décisions concernées doivent
donc être traitées avec prudence.

Sur Ie plan pénal, l'article 71 du Code pénal crée une cause de justification en
stipulant qu'il n'y a pas d'infraction lorsque Ie prévenu a été contraint par une
force à laquelle il n' a pu résister. L'état de nécessité est admis par lajurispru-
dence moyennant des conditions cumulatives assez strictes (183):

la valeur du bien sacrifié doit être inférieure ou à tout Ie moins équivalente


à celle du bien que l'on prétend sauvegarder;
Ie droit ou l'intérêt à sauvegarder doit être en <langer actuel, certain et
sérieux (184);

.. ./...
ment invoquée devant les juridictions civiles. Voyez L. CORNELIS et P. VAN OMMESLA-
GHE, «Les faits justificatifs dans Ie droit beige de la responsabilité aquilienne», in Memoriam
Jean Limpens, Anvers, Kluwer rechtswetenschappen, 1987, pp. 265 ets.; P. WERY, «L'état de
nécessité et l'élision de la foute aquilienne et de la faute contractuelle», R.R.D., 1987, pp. 105
ets.
(180) Voyez par exemple Liège, Il mai 2001, J.T., 2002, p. 194; Liège, 24 octobre 2003,
J.D.S.C., 2005, n° 665, p. 174 et note M.A. DELVAUX, «Ou /'on apprend que l'étatde néces-
sité permet aux dirigeants de méconnaître en foute impunité les obligations sociales et fiscales
pesant sur la société gérée», F.J.F., n° 2005/125, p. 407; Liège (7èmc ch.), 13 janvier 2004,
J.D.S.C., 2005, n° 667, p. 183.
(181) Dans !'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 24 octobre 2003 précité, il s'agissait d'ad-
ministrateurs provisoires, apparaissant comme les «sauveteurs» de la société. La position de la
Cour aurait sans doute été différente en présence des administrateurs «en poste» des sociétés
concernées. En outre, les faits reprochés s' étaient produits «pendant un laps de temps très
réduit au cours d'une période de vacances».
(182) Toutes les juridictions ne sont, en effet, pas aussi indulgentes. Voyez Anvers (5èmc ch.),
30 janvier 2003 J.D.S.C., 2005, n° 666, p. 180 et obs. M.A. DELVAUX: la responsabilité des
administrateurs en défaut de veiller à ce que la société remplisse ses obligations fiscales, et
plus particulièrement Ie versement du précompte professionnel, a été reconnue expressément
car la Cour a estimé qu'il n'existait aucune preuve de ce que cette carence aurait été due à des
problèmes insurmontables de liquidité dans Ie chef de la société.
( 183) Voyez notamment Cass., 10 janvier 1995, Arr. Cass. 1995, p. 30, Bull. 1995, p. 30, Pas.
1995, I, p. 30, Dr. cire. 1995, p. 239; Cass. (ch. réun.), 5 avril 1996, Arr. Cass. 1996, p. 247,
Bull. 1996, p. 283, J. T. 1996 (abrégé), p. 411, Pas. 1996, I, p. 283, R. Cass. 1996, p. 257, Rev.
dr. pén. 1996, p. 634; Cass., 28 avril 1999, Arr. Cass. 1999, p. 581, Bull. 1999, p. 598; Bruxel-
les ( 12ème ch.), 11 janvier 2001, J. T. 2002, p. 266; Civ. Louvain (5ème ch.), 8 jan vier 2003, R. W.
2003-04, p. 748 et note A. TERMONIA.
(184) Corr. Anvers 3 mai 1991, J.T. 1993, p. 296 et note. Il ne suffit certainement pas d'évo-
quer un péril imaginaire, possible ou lointain.

54
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

- il doit être impossible d' éviter Ie mal autrement que par l' infraction (ca-
ractère irrésistible );
- l' agent n' ait pas volontairement créé par son fait la situation qui Ie met en
état de nécessité et Ie péril dont il se prévaut (185) (caractère extérieur à
l'agent).

Les jurisprudences se référant à l'état de nécessité pour rejeter la responsabi-


lité des dirigeants soulignent généralement l' existence d'un danger imminent
et grave et l'impossibilité d'agir autrement (186). Qu'implique le respect, en
matière civile, des deux autres conditions imposées par lajurisprudence péna-
le? D'une part, Ie juge doit mettre en balance l'intérêt de la société comme
acteur économique et social et l'intérêt des tiers (fisc, ONSS, tiers contrac-
tuels, ... ) au respect de la loi ou du contrat conclu. D'autre part, il doit vérifier
si ce ne sont pas les carences ou les fautes de gestion antérieures des dirigeants
qui ont conduit la société dans la situation délicate dans laquelle elle se trouve.

40. Alors que dans la première ébauche de la loi, l'administration fiscale


pouvait de manière expéditive, requérir d'un huissier qu'il réclame à !'admi-
nistrateur concemé le paiement des dettes, la procédure finalement adoptée
est «progressive».

L'action judiciaire n'est recevable qu'à l'expiration d'un délai d'un mois à
dater d'un avertissement adressé par Ie receveur, sous la forme de lettres re-
commandées, aux dirigeants responsables. Le receveur les invitera à s' expli-
quer. Ils pourront soit proposer des mesures nécessaires pour remédier au
manquement, Ie cas échéant par la mise au point d'un plan d'apurement as-
sorti de mesures conservatoires, soit démontrer que ce manquement n' est pas
imputable à une faute qu'il a commise. Le ou les dirigeants concemés pour-
ront, à cette fin, invoquer les aléas économiques oujuridiques qui affectent la
trésorerie de la société (récupération de créances infructueuses, litiges, perte
de contrats ... ), les événements qui les concement personnellement (accident,
maladie ... ).

(185) Voyez Cass. (2ème ch.), 13 novembre 2001, Pas. 2001, p. 1848, et concl. DE SWAEF;
Cass. (2ème ch.), 24 mars 1999, Arr. Cass. 1999, p. 429, Bull. 1999, p. 441, R. W. 2001-02, p.
841, Dr. cire. 1999, p. 279.
(186) Voyez, notamment, dans !'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 24 octobre 2003 précité
les motifs suivants: «le péril imminent constitué par une cessation brutale des activités débou-
chant sur une fermeture d'entreprise sans espoir; ( ... ) le risque de fermeture était réel; ( ... )
attendu qu 'il ne peut donc être question dans leur chef d'un choix délibéré mais cl'une néces-
sité; (. .. ) qu'en l'e,pèce, il n'y avait pas possibilité d'écarter d'une autre manière le péril
imminent constitué par une cessation brutale des activités débouchallt sur unefermeture d'en-
treprise sans espoir; ( ... ) en remplissant leur mission compte tenu des données particulière-
ment contraignantes qui s'imposaient à eux» (nous soulignons)».

55
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

Cette disposition ne fait, toutefois, pas obstacle à ce que le fonctionnaire chargé


du recouvrement puisse requérir, dans le délai d'un mois, des mesures con-
servatoires - saisies sur comptes bancaires ou au tres - à l' égard du patrimoine
du ou des dirigeants de Ia société ou de la personne morale qui ont fait l' objet
de l' avertissement.

Si les explications données ou les mesures proposées ne sont pas satisfaisan-


tes, l' action judiciaire visant à leur condamnation au paiement des sommes
dues pourra être introduite <levant Ie tribunal de commerce ou <levant le tribu-
nal de première instance, selon que I'on considère qu'il s'agit d'une «contes-
tation pour raison d'une société de commerce entre administrateurs ou gé-
rants et tiers» (article 574-1 ° du Code judiciaire) ou d'une contestation affé-
rente à une loi d' impöt (loi du 23 mars 1999 relative à l' organisation judiciai-
re en matière fiscale). Cette seconde branche del' altemative a notre préféren-
ce.

41. Ces dispositions sont à rapprocher de celles ayant modifié Ie régime de


l'action en comblement de passif.

Il est assurément pemicieux que des super-privilèges soient ainsi octroyés à


certains créanciers favorisés par des dispositions obscures, alambiquées, voi-
re contradictoires, camouflées dans une loi-programme au mépris de la cor-
recte information des dirigeants. Il est regrettable que soit ainsi levé Ie voile
social et soit remise en cause la séparation entre l'activité économique et Ie
patrimoine des dirigeants et associés que permet d'instaurer Ie principe de la
responsabilité limitée.

On peut craindre que ce climat de méfiance incite les personnes susceptibles


d' exercer la fonction d' administrateur à préférer Ie statut de consultants indé-
pendants et extérieurs pour aider les entreprises (] 86bis).

L' administrateur prudent sera bien inspiré de chercher à savoir si les paie-
ments fiscaux et sociaux ont été correctement effectués et de faire acter dans
Ie procès-verbal l'éventuelle réponse positive de la direction. En cas de ré-
ponse négative, il pourra exiger une nouvelle convocation du conseil afin de
couvrir les risques.

( l 86bis) Même en cette qualité, ils devront faire preuve de prudence pour ne pas être considé-
rés comme des administrateurs de fait.

56
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

§ 6. Les procédures relatives aux con/Uts d'intérêts (187)

42. La notion de «devoir fiduciaire», consacrée par Ie droit anglo-saxon,


fixe les limites du pouvoir des administrateurs de gérer les affaires de la so-
ciété et, a contrario, détermine l'étendue du controle que les autres interve-
nants peuvent exercer sur cette gestion ( «Business judgment rule » ou «mar-
ginale toetsing»).

Les hypothèses de conflits d' intérêts ont expressément retenu l' attention du
législateur, qui a prévu des procédures spécifiques pour les régler dans Ie
cadre des SPRL et des SA (articles 259 et 523 CS). Dans le cadre de cette
contribution, nous ne pouvons qu'en esquisser les principes.

43. Le champ d'application des dispositions légales est large: la seule exis-
tence dans le chef de !'administrateur d'un intérêt opposé de nature patrimo-
niale, direct ou indirect, à une opération ou une décision soumise à l' appro-
bation du conseil d'administration suffit à créer une situation de conflit d'in-
térêts ( 188). Toutefois, il ne faut pas avoir une compréhension trop extensive

( 187) Sur cette question, voyez Ie livre 23 du Guide juridique del 'entreprise, Diegem, KI uwer,
n° 340 à 500; E. WYMEERSCH, De belangenconflktenregeling in de vennootschappen, An-
vers-Apeldoorn, Maklu, 1996;.G. KEUTGEN et A.-P. ANDRE-DUMONT, «La société et son
fonctionnement», Droit des sociétés, les lois des 7 et 13 avril 1995, Centre Jean Renauld,
Bruxelles - Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 1995, p. 253. L. SIMONT, «Conflits d'in-
térêts: les implications des nouveaux articles 60 et 60bis», Rev. prat. soc., 1996, p. 369; H. DE
WULF, «De nieuwe regeling voor intra-groepsbeslissingen: het herschreven art. 524 W.Venn.»,
T.R. V., 2002, p. 584; Camp. M. WYCKAERT, «De nieuwe belangenconflictregeling: op naar
een Belgisch groepsrecht?», Nieuw vennootschapsrecht 2002: Wet Corporate Govemance,
Jan Ronse Instituut, Kalmthout, Biblo, 2003, pp. 169 et s.; M. CALUWAERTS, «Cont1its
d'intérêts et droit des groupes», in Demières évolutions en droit des sociétés, Bruxelles, Ed.
Jeune barreau, 2003, pp. 161 ets.; D. SZAFRAN, «Les conflits d'intérêts au sein des groupes
de sociétés et la notion d' administrateur indépendant», in A. PUTTEMANS (coord.), Actuali-
tés en droit des sociétés, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 33 ets.; Ph. HAMER et C. DE POT-
TER «Les conflits d'intérêts», in Y. DE CORDT (dir.), Evolution et perspectives du droit des
sociétés -Anno 2006, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 223 et s.
(188) Lorsque Ie gérant unique d'une SPRL fait acquérir par celle-ci les actions qu'il détient
dans une autre société, il y a conflit d'intérêts (Bruxelles, 9ème ch., 28 février 2002, J.D.S.C.,
2004, n° 568, p. 189; J.L.M.B., 2003129, p. 1256). Lorsque les actionnaires minoritaires d'une
société démontrent que leur administrateur délégué est impliqué à concurrence de pratique-
ment 100 % dans d'autres sociétés avec lesquelles leur société fait des affaires, ce qui permet
à ces au tres sociétés d' en retirer un avantage financier, on peut craindre que les intérêts de la
société ne soient mis en péril (Anvers, 5ème ch., 8 mai 2000, J.D.S. C., 2002, n° 405, p. 178 et
note M.A. DELVAUX, «Quelques réflexions en matière d'action en désignation d'un expert
vérificateur et d'action sociale minoritaire», DAOR, 2001, liv. 57, p. 56). Sur !'ensemble de
cette question, on épingle l'intéressante synthèse réalisée par M. COIPEL, «Les sociétés pri-
vées à responsabilité limitée», op. cit., pp. 247 à 256.

57
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL VAUX

de cette notion et les limites suivantes ont été soulignées par la doctrine et la
jurisprudence:
- l'intérêt de !'administrateur n' est pas pris en considération lorsqu'il est seu-
lement marginal oude moindre importance (189);
- la procédure ne s' applique qu' à propos d' opérations impliquant dans Ie chef
de la société la création de droits et obligations, ce qui n' est pas Ie cas lorsque
Ie conseil doit donner un simple avis dans Ie cadre d'une OPA ou quand il doit
agréer une cession d'actions (190);
- Ie respect de la procédure ne s'impose qu'à propos d'opérations pour les-
quelles Ie conseil dispose d'un véritable pouvoir de décision, ce qui n'est pas
Ie cas lorsque la décision ultime appartient à l' assemblée et que Ie conseil
n'intervient que dans une phase préparatoire;
- les articles 259 et 523 du Code des sociétés ne s'appliquent pas aux déci-
sions du conseil qui veillent à l'exécution d'une opération antérieurement
décidée par lui ou à la mise en a:uvre de mesures adoptées préalablement par
l'assemblée générale (191).

Des exceptions sont expressément prévues par les articles 259 et 523 du Code.
La procédure légale ne s' applique pas lorsque (i) les opérations ou décisions
concemées interviennent entre deux sociétés, dont l'une détient directement
ou indirectement au minimum 95 % des voix attachées à l' ensemble des titres
émis par cette société, (ii) les 95 % de voix attachées à !'ensemble des titres
émis par les deux sociétés contractantes sont détenus par une troisième socié-
té et (iii) les décisions à adapter ou les opérations à accomplir par Ie conseil
d' administration relèvent des opérations habituelles et sont conclues dans des
conditions et sous les garanties normales du marché pour des opérations de
même nature.

44. L' administrateur ou Ie gérant en situation de conflit d'intérêts doit en


informer tous les autres administrateurs ou gérants avant la délibération du
conseil d'administration ou du collège de gestion (192). En vue de la publica-
tion dans Ie rapport de gestion, ou, à défaut de rapport, dans une pièce qui doit

(189) J.-M. GOLLIER et P. MALHERBE, Les sociétés commerciales: lois des 7 et 13 avril
1995, Bruxelles, Larcier, 1996; X. DIEUX, «Observations sur Ie régime des conflits d' intérêts
au sein du conseil d'administration de la SA», Séminaire Vanham & Vanham, 17 mai 1995, p.
6.
(190) J.-M. van der HAEGEN et J.-M. GOLLIER, Les sociétés commerciales (loi du 18juillet
1991), J. T., 1992, p. 209.
( 191) K. GEENS, «Fonctionnement des organes sociaux», Le nouveau droit des sociétés (SA
et SPRL), 1992, p. 125.
( 192) Si des commissaires ont été nommés par la société, ils devront également être informés
de l'existence de ce conflit d'intérêts et des raisons de celui-ci, mais cette information pourra
intervenir postérieurement à la réunion du conseil.

58
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

être déposée en même temps que les comptes annuels, Ie conseil d'adminis-
tration décrit, dans son procès-verbal, la nature de la décision oude l'opéra-
tion et donne une justification de la décision qui a été prise ainsi que des
conséquences patrimoniales pour la société. Le rapport de gestion contiendra
l' entièreté de ce procès-verbal. Le rapport des éventuels commissaires doit
comporter une description séparée des conséquences patrimoniales qui résul-
tent pour la société de cette décision du conseil d'administration. Dans les
sociétés ayant fait ou faisant publiquement appel à l' épargne, l' administra-
teur concemé ne peut assister aux délibérations du conseil d'administration,
ni prendre part au vote (193).

45. La société peut agir en nullité des décisions prises ou des opérations
accomplies en violation des règles prévues si les tiers contractants avaient ou
devaient avoir connaissance de cette violation (articles 259, § 2 et 523, § 2
CS).

Quant aux responsabilités, diverses situations doivent être distinguées sui-


vant que les formalités particulières exigées par la loi ont ou non été respec-
tées par les administrateurs (articles 529 et 264 CS).

- Si la procédure n 'a pas été respectée, il y a lieu de retenir la responsabilité


des administrateurs et gérants pour violation du Code des sociétés (articles
263 et 528 CS). Les administrateurs pourront cependant être exonérés de eet-
te responsabilité s 'ils ne sont pas fautifs et ont dénoncé les infractions à l' as-
semblée générale la plus proche.

- Même si la procédure a été respectée, les administrateurs sont personnelle-


ment et solidairement responsables pour le dommage subi par les tiers ou par
la société du fait des décisions ou des opérations du conseil d' administration
pour lesquelles existait un conflit d'intérêts, si les décisions ou opérations
leur ont procuré, ou ont procuré à certains d'entre eux, un avantage financier
abusif au détriment de la société.

L'interprétation littérale de l'article 529 conduit à ce que, si le conseil d'ad-


ministration respecte intégralement la procédure prévue par l' article 523 mais
( 193) L' article 524ter CS envisage la problématique du con flit d' intérêts qui peut apparaître au
sein du comité de direction lorsqu'un de ses membres a un intérêt opposé à une décision ou
une opération relevant de sa compétence. La société peut cependant prévoir dans ses statuts
une procédure en vertu de laquelle Ie membre du comité de direction placé dans un conflit
d'intérêts informe directement Ie conseil d'administration, qui approuve alors seul la décision
ou l'opération, en suivant si nécessaire la procédure de conflit d'intérêts en son sein. Sur cette
question, voyez E. POTTIER et T. L'HOMME, «La loi 'corporate governance' du 2 août 2002
modifiant Ie Code des sociétés», R.D.C., 2005, pp. 333-334.

59
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL VAUX

qu'un administrateur a obtenu un avantage abusif au détriment de la société,


tous les administrateurs sont personnellement et solidairement responsables
du préjudice subi tant par la société que par les tiers, sans pouvoir s' exonérer
de leur responsabilité. Ainsi, l' administrateur ayant voté contre la décision
serait également responsable et, de manière générale, les administrateurs ayant
respecté la procédure seraient plus sévèrement traités que ceux qui ne l' ont
pas respectée. Afin d'éviter cette conséquence absurde, une partie de la doc-
trine considère, sur la base de la référence aux articles 263 et 528 dans les
articles 264 et 529, que !'administrateur peut s'exonérer de sa responsabilité
dans les conditions prévues aux articles 263, al. 2 et 528, al. 2 (194). Cette
solution nous paraît devoir être approuvée (195).

Nous n'abordons pas ici l'article 524 du Code des sociétés applicable, au sein
des sociétés cotées, aux décisions et opérations intra-groupes (voir supra à
propos des administrateurs indépendants). L'article 529 prévoit, à propos de
cette hypothèse particulière de conflits d'intérêts, un régime de sanctions si-
milaire à celui afférent aux oppositions d'intérêts entre un administrateur et
sa société.

SECTJON 6
QUESTIONS DE PROCÉDURE

§ 1. Les titulaires de l'action en responsabilité

46. Nous avons déjà traité incidemment de cette question dans les sections
précédentes mais nous apportons ici quelques précisions complémentaires.
Nous allons examiner l'action introduite par la société ou ses actionnaires
minoritaires avant d'analyser celle introduite par les tiers.

A. LA SOCIETE

47. Hors l'hypothèse de l'action minoritaire (voir infra), c' est l'assemblée
générale - compétente pour accorder la décharge - qui est seule compétente
pour décider d'introduire une action en responsabilité contre les administra-

( 194) H. LAGA, «Belangenconflicten, aantal bestuurders en schriftelijke besluitvorming in de


N.V.», De nieuwe vennootschapswetten van 7 en 13 april 1995, Jan Ronse Instituut, Kalmt-
hout, Biblo, 1996, p. 199, n° 45.
( 195) Elle semble d' ailleurs être implicite dans les travaux préparatoires: voyez G. KEUTGEN
et A.-P. ANDRE-DUMONT, «La société et son fonctionnement», op.cit., pp. 263-264.

60
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

teurs et gérants ( 196). Cette décision, qui doit intervenir avant l' introduction
de la demande en justice ( 197), est exigée même dans les sociétés familiales
(198).

Cette exigence ne met pas en doute le man dat ad !item du conseil de la société
(article 440 du Code judiciaire) mais impose, pour que l'action soit receva-
ble, de vérifier que l'organe compétent a expressément décidé qu'une action
sera introduite. Il s'agit donc d'une question de recevabilité et, plus précisé-
ment, de pouvoir d'introduire une procédure judiciaire au nom de la société
(199). En effet, les articles 289, 415 et 561 précisent que la demande ne peut
être introduite qu' après la décision de l' assemblée générale. En l' absence
d'une telle décision, la société (via ses représentants légaux, les administra-
teurs ou gérants) ne dispose pas de la qualité nécessaire, au sens de l'article
17 du Code judiciaire, pour introduire l' action sociale. En restreignant leur
pouvoir de représentation, ces articles du Code des sociétés constituent dès
lors une limitation légale du pouvoir de représentation du conseil d'adminis-
tration et des gérants, qui «est non seulement opposable aux tiers mais peut
également être invoquée par ceux-ci à l'encontre de la société» (200).

Dans la mesure ou la qualité du demandeur doit être appréciée au moment ou


il introduit l' action, la ratification ultérieure de la demande par l' assemblée
ou les curateurs ne peut faire obstacle à l'irrecevabilité de la demande. Par
contre, il va de soi que Ie curateur peut introduire l 'actio mandati sans délibé-

( 196) Cass. ( 1ère ch.), 25 septembre 2003, DAOR, 2004, liv. 67, p. 44 et note, T.R. V., 2004, p. 35
et note J. VANANROYE, R.D. C., 2005, p. 382 et note S. GILCART, «Action sociale contre un
administrateur de société anonyme: décision préalable de l'assemblée générale». Lorsqu'elle
n'a pas fait l'objet d'une décision de l'assemblée générale, l'action sociale dirigée contre !'ad-
ministrateur d'une société au nom de la société peut être rejetée à la demande de eet adminis-
trateur, même si elle a été portée <levant Ie tribunal à l'intervention d'un organe compétent;
Anvers, Ier mars 1999, R.D.C., 2000, p. 615; Comm. Hasselt, 8 mars 2000, T.R.V., 2000, p.
184, J.D.S.C., 2001, n° 314, p. 191 et note M.A. DELVAUX; Comm. Hasselt, 27 mars 2000,
T.R. V., 2000, p. 186 et note B. VAN BRUYSTEGEM, J.D.S.C., 2002, n° 378, p. 87 et note J.F.
GOFFIN et E. VIATOUR; voyez également J. RONSE, J.M. NELISSEN GRADE, K. VAN
HULLE, J. LIEVENS, H. LAGA, «Vennootschappen (1978-1985)», T.PR., 1986, n° 259, p.
1280; voyez également J. RONSE et al., «Vennootschappen», T.PR., 1978, n° 203, p. 824.
(197) Voyez notamment Comm. Hasselt (lère ch.), 8 mars 2000, J.D.S.C., 2001, n° 314, p. 191
et obs. M.A. DELVAUX et T.R. V., 2000, p. 184.
(198) Comm. Hasselt, 3ème ch., 27 mars 2000, T.R.V., 2000, p. 186, note B. VAN BRUYS-
TEGEM, «Over de bekrachtiging van een actio mandati», pp. 188 ets.
(199) An vers, 1er mars 1999, T.R. V., 2000, p. 181 et D.A. O.R., 2000, n° 54, p. 126.
(200) S. GILCART, «Action sociale contre un administrateur de société anonyme: décision
préalable de l'assemblée générale», note sous Cass. (lère ch.), 25 septembre 2003, R.D.C.,
2005, p. 386. L'auteur rappelle que les limites statutaires aux pouvoirs des organes ayant qua-
lité pour représenter la société n'ont par contre qu'une portée interne et ne peuvent être oppo-
sées aux tiers ou invoquées par eux.

61
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

ration préalable de l'assemblée générale puisqu'il remplace tous les organes


de la société faillie (201).
48. Chaque année, l' assemblée générale ordinaire, après avoir entendu le
rapport de gestion, le rapport des commissaires et discuté le bilan, doit se
prononcer par un vote spécial sur la décharge des administrateurs ou des gé-
rants (202). Cette décharge libère les administrateurs ou gérants de la respon-
sabilité qu'ils auraient pu encourir envers la société - et non les tiers - pour
les actes accomplis au cours de l'exercice écoulé, qu'il s'agisse de fautes
simples de gestion oude violations du Code des sociétés ou des statuts (203).
Seul subsiste alors le risque d'une action sociale minoritaire exercée par des
actionnaires n'ayant pas voté la décharge ou dont la décharge accordée a été
ultérieurement invalidée.

Encore faut-il, pour que la décharge produise un tel effet que, d'une part, le
bilan ne contienne ni lacune ni tromperie dissimulant la situation réelle de la
société et que, d'autre part, les actes accomplis en contradiction avec les sta-
tuts ou avec le Code aient été spécialement indiqués dans la convocation (ar-
ticles 284, al. 2,411, al. 2 et 554, al. 2 CS) (204): les actionnaires doivent en
effet pouvoir apprécier la gestion en connaissance de cause (205). La déchar-
ge peut être acceptée même en cas d'inexactitudes oude dissimulations dans
le bilan si l' assemblée générale a été informée, par une voie différente, de la
situation réelle de la société (206). De manière générale, les omissions et

(201) J. RONSE, J.M. NELISSEN-GRADE, K. VAN RULLE, J. LIEVENS et H. LAGA, op.


cit., n° 262, p. 1281.
(202) Nihil.
(203) Sauf stipulation expresse contraire, la décharge ne couvre pas les fautes aquiliennes des
dirigeants. La prudence invite donc à indiquer expressément que la décharge couvre toutes les
fautes des dirigeants, que! que soit leur fondement, et donc y compris la responsabilité fondée
sur les articles 1382 et 1383 du Code civil.
(204) Le Code des sociétés a introduit une nouveauté en la matière, sans que les travaux prépa-
ratoires ne l'aient souligné clairement: les textes indiquent désormais expres.sis verbis que
doivent être mentionnés dans la convocation les actes faits «en contravention du présent code»,
qui n'étaient pas visés par Ie passé (Doe. pari., Ch., 1998-1999, n° 1838/1, pp. 76, 101 et 130).
(205) Voyez notamment sur ce point, Cass., 12 févr. 1981, J.D.S. C., 2000, n° 160, p. 137 et n°
199, p. 239, Rev. prat. soc., 1981, p. 116, Pas., 1981, I, p. 639. Ainsi, il a été jugé que ne peut
invoquer Ie quitus qui lui a été donné à la fin de son mandat !' ancien administrateur qui est
poursuivi par la société pour une <lette impayée en compte courant - laquelle est née après une
correction de la comptabilité rendue nécessaire après que quelques irrégularités aient été révé-
lées - dans la mes ure ou la décharge a été donnée à un moment ou l 'assemblée générale n' était
pas au courant de la situation comptable exacte (Gand, 12ème ch. Bis, 9 octobre 2002, T.R. V.
2004 (abrégé), p. 58 et note).
(206) Gand, 25,juin 1999, JDSC, 2002, n° 402, p. 164 et obs. M.A. DELVAUX.

62
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROJT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

indications fausses qui n'ont pas eu pour effet d'induire l'assemblée générale
en erreur restent sans incidence sur la validité de la décharge (207).

On peut se demander dans quelle mesure il est acceptable qu' une assemblée
générale accorde la décharge aux dirigeants lorsque ceux-ci ont violé une
disposition du Code des sociétés (208). Le quitus est un acte juridique unila-
téral, dont l'une des conditions de validité est la licéité de leur cause (209).
Qu' en est-il lorsque les dirigeants violent une disposition d' ordre public et
que l' assemblée générale leur donne la décharge? Peut-on affirmer que ce
quitus est nul, au vu de l'illicéité de sa cause (article 1131 du Code civil)
(209bis)? Nous laissons la question à la réflexion du lecteur.

La décharge valablement votée peut-elle être opposée au curateur, qui repré-


sente à la fois la masse des créanciers (210) et la société faillie elle-même
(211)? Les implications du vote de la décharge devront être distinguées sui-
vant la qualité en vertu de laquelle agit Ie curateur: la décharge est opposable
au curateur lorsqu'il agit sur pied del' actio mandati mais non lorsqu'il intro-
duit une action au nom de la masse des créanciers, sur pied de la violation du
Code ou des statuts ou sur pied des articles 1382-1383 du Code civil (212).

Un actionnaire peut-il valablement s'engager à donner décharge? Cette ques-


tion peut se poser dans Ie cadre de la reprise des actions d'une société (l'ac-

(207) Voyez à ce sujet Cass., 12 février 1981, J.D.S. C., 2000, n° 160, p. 137 et n° 199, p. 239;
Rev. prat. soc., 1981, p. 116; Pas., 1981, p. 639; Comm. Bruxelles, 15 mars 1988, Rev. prat.
soc., 1988,p. 234.
(208) Une question similaire se pose dans l'hypothèse de la violation des statuts sociaux mais elle
semble moins préoccupante car, les statuts étant Ie fruit du commun accord des associés, ceux-ci
peuvent de commun accord les modi fier et donc a fortiori couvrir une violation ponctuelle.
(209) Le Code civil n'a élaboré de manière détaillée que Ie régime juridique des contrats et
reste muet quant aux actes juridiques unilatéraux. La doctrine considère cependant que les
dispositions relatives aux contrats peuvent s' appliquer, mutatis mutandis, aux actes juridiques
unilatéraux. On renvoie dès lors aux articles ll08 et s. du Code civil relativement à leurs
conditions de validité.
(209bis) Peut-on considérer que Ie quitus est nul à défaut d'objet, ce dernier étant illicite (arti-
cle 1126 du Code civil)?
(210) Atout Ie moins ceux qui, suite à la faillite, ont fait leur déclaration de créance auprès de
la curatelle dans le délai requis. Les autres créanciers, non représentés par Ie curateur, conser-
vent en principe leur droit individuel d'action. Ce droit est toutefois paralysé aussi longtemps
que la faillite n' est pas clöturée, et, lorsque Ie failli est une société, disparaît inexorablement à
la clöture.
(211) Sur cette double qualité, voyez P. COPPENS et F. t'KINT, «Les faillites, les concordats
et les privilèges, Examen de jurisprudence ( 1984-1990)», R.C.J.B., 1991, pp. 318 ets. et spéc.
n° 14à 16.
(212) Voyez la note de M. WYCKAERT, «De aansprakelijkheid van bestuurders of zaakvoer-
ders bij faillissement van hun vennootschap», publiée sous Gand (] 2èmc ch.), 1er mars 1989,
T.R. V., 1989, p. 434, et principalement les pages 446-447.

63

_ _j
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

quéreur s' engage à réunir une assemblée générale ayant pour objet de donner
décharge aux dirigeants qui vont être remplacés) ou lors de la démission d'un
administrateur, (qui souhaite généralement obtenir la décharge pour l 'exerci-
ce en cours, voire pour l' exercice antérieur si la démission survient en début
d'exercice et si les comptes annuels de l'exercice précédent n'ont pas encore
été approuvés). Dans la pratique, !'engagement à donner décharge est donné
soit par la société, par le biais de son conseil d'administration (213), soit par
les actionnaires majoritaires. La validité de pareil engagement est controver-
sée. Certains auteurs considèrent que la décharge ne peut être octroyée alors
même que les comptes annuels de l'exercice en cours ne sont pas connus
(214). D'autres acceptent de tels engagements (215) et soutiennent que l'ac-
tionnaire qui ne les respecterait pas serait tenu à des dommages et intérêts
en vers l' administrateur. On peut conseiller au dirigeant qui souhaite être cou-
vert de demander la tenue d'une assemblée générale spéciale afin qu'il expo-
se sa gestion et en demande l'approbation par une forme de quitus spécial. La
décharge stricto sensu n'est certes pas obtenue au moment de la réunion de
ladite assemblée (216) mais la société ne pourrait ultérieurement engager la
responsabilité de ce dirigeant pour des faits sur lesquels, étant parfaitement
informée par le dirigeant, elle a marqué son accord (217).

49. La décision d'intenter !'actio mandati à I'encontre des membres du


comité de direction d'une SA appartient au conseil d'administration (218).
Le Code ne prévoit pas expressément la possibilité de décharger les membres
du comité de direction. Rien n'empêche toutefois que la décharge soit accor-
dée, expressément ou tacitement, par le con se il d' administration, avec le con-
flit d'intérêts que cela comporte dans Ie chef des administrateurs membres du
comité de direction. La décharge donnée au conseil d' administration par l' as-

(213) Le conseil d'administration ne peut cependant que s'engager à proposer de bonne foi la
décharge à l' assemblée générale, puisque in fine, seule cette dernière peut valablement déchar-
ger les administrateurs.
(214) Voyez D. VAN GERVEN, «Les clauses limitatives de responsabilité, les garanties d'in-
demnisation et l' assurance responsabilité civile des mandataires sociaux», Rev. prat. soc., 1998,
p. 143.
(215) A condition bien sûr qu' ils ne soient pas entachés d' erreur oude dol. Voyez J. Fr. GOF-
FIN, op. cit., p. 326
(216) Elle sera obtenue définitivement lors de l'assemblée générale annuelle ultérieure.
(217) Voyez Bruxelles (9èmc ch.), 12 avril 2002, J. T., 2002, p. 668; Rev. prat. soc., 2003, p. 276
et note. La Cour rappelle que c'est l'assemblée générale de la société anonyme qui, outre une
éventuelle action minoritaire, dispose du pouvoir souverain d'intenter ou non !'actio mandati.
Cette disposition ne fait pas obstacle au pouvoir <lont dispose l'assemblée générale de donner
en tout temps quitus à un administrateur du chef de sa responsabilité à l' égard de la société, ou
éventuellement de transiger avec lui à ce sujet. La décharge n'est pas valable lorsqu'il n'était
pas possible aux actionnaires de se rendre un compte exact de la situation de la société.
(218) Doe. Pari., Ch., 2002-2003, n° 1211/1001, p. 13.

64
7

LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

semblée générale emporte, selon nous, celle du comité de direction, même si


ce dernier n'a aucun compte à lui rendre. Aux termes de l'article 524bis, al. 1
CS, c'est le conseil d'administration qui est chargé de surveiller le comité de
direction. On peut considérer que l'assemblée générale qui vote la décharge
du conseil reconnaît implicitement qu'il s'est correctement acquitté de toutes
les tàches qui lui incombent, en ce compris la surveillance du comité de di-
rection.

B. LES ACTIONNAIRES MINORITAIRES

50. Les actionnaires minoritaires des SA, SPRL et SCRL ont également la
possibilité d'introduire une action mettant en cause la gestion des administra-
teurs ou gérants (articles 290 et 291, 416 et 417 et 562 à 567 CS) (219). Si les
représentants légaux de la société exercent l' action sociale et que I' action
minoritaire est également intentée, les instances sont jointes pour connexité.
Cette action est réservée aux actionnaires qui n' ont pas voté la décharge ainsi
qu'à ceux qui l'ont votée dans l'hypothèse ou elle aurait été invalidée (220).
Par conséquent, même si les administrateurs ou gérants ont reçu quitus lors
de la présentation de leur rapport de gestion à l' assemblée générale, les asso-
ciés ne l'ayant pas voté peuvent intenter une action en responsabilité, y com-
pris dans l'hypothèse ou aucune irrégularité ou omission entachant les don-
nées reprises au bilan ne pourrait être démontrée.

L'action minoritaire est introduite:

au nom propre des actionnaires agissant, et non au nom de la société;


dans l' intérêt de la société, et non dans I' intérêt personnel des actionnaires
agissant (221), ce qui n'exclut pas qu'ils obtiennent également un avanta-
ge, tel que la valorisation de leurs actions (222);
(219) Cette possibilité ouvre des perspectives intéressantcs aux actionnaires minoritaires, à
qui seul l'article 1382 du Code civil permettait, avant la réforme de 1991, d'introduire, à titre ,
individuel, une action en responsabilité contre les administrateurs pour faute de gestion; les ·
minoritaires devaient, pour triompher dans leur action, apporter la preuve de l'existence d'un
préjudice personnel, différent du préjudice subi par la société.
(220) A eet égard, il convient que les actionnaires votant contre la décharge ou s'abstenant Ie
fassent constater expressément dans Ie procès-verbal del' assemblée générale, pour éviter tou-
te discussion ultérieure sur la recevabilité de leur action.
(221) Yoyez G. HORSMANS, qui insiste sur Ie fait que l'action minoritaire doit faire référen-
ce et s'appuyer sur l'intérêt social dans toutes ses composantes (in «Le conseil d'administra-
tion: pouvoirs et responsabilité», Le nouveau droit belge des sociétés, 1992, p.30).
(222) Il a été jugé que la question de savoir si l'intérêt de la société est effectivement en cause
ne relève pas de I' examen de l' admissibilité de la demande mais relève du fond de 1'affaire.
Voyez en ce sens Anvers (5èmc ch.), 8 mai 2000, J.D.S.C., 2002, n° 405, p. 178 et note M.A.
DELVAUX, «Quelques rétlexions en matière d'action en désignation d'un expert vérificateur
et d'action sociale minoritaire», D.A.0.R., 2001, liv. 57, p. 56.

65
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX

- pour le compte de la société, dont le préjudice fonde l' action et qui en


recevra les fruits.

L'action minoritaire n'est ouverte qu'aux actionnaires dont la participation


dépasse certains seuils, ce qui nécessitera fréquemment que les actionnaires
rninoritaires se fédèrent. S'agissant d'une SA., le ou les actionnaires doivent
posséder au jour de l 'assemblée générale qui s 'est prononcée sur la déchar-
ge des administrateurs des titres auxquels sant attachés au mains 1 % des
voix attachées à l 'ensemble des titres existant à ce jour ou possédant à ce
même jour des titres représentant une fraction de capital égale à 1.250.000 €
au mains. Dans la SPRL et la SCRL, le seuil de participation est logiquement
relevé: sont titulaires de l'action sociale, le ou les associé(s) détenant au jour
de l' assemblée générale des parts auxquelles sont attachées au moins 10 %
des voix attachées à l'ensemble des parts existant à ce jour. S'ajoute, dans les
SCRL uniquement, le même droit d'agir pour le(s) associé(s) possédant des
titres représentant une fraction de capital égale à 1.250.000 € au moins. Il
s'agit d'une nouveauté introduite par le Code des sociétés (223).

Ces conditions de recevabilité doivent être réunies, dans le chef du deman-


deur, au jour du vote par l' assemblée générale de la décharge. Cela implique
qu'une telle action ne peut être introduite tant que l'assemblée générale ne
s'est pas prononcée sur la décharge. Par ailleurs, si une cession de parts inter-
vient antérieurement à ce vote, l'associé cédant n'est pas recevable à intro-
duire une semblable demande.

Certaines mesures visent à prévenir les actions abusives. Les demandeurs


minoritaires déboutés de leur action doivent supporter les dépens et le juge
peut les condamner, en outre, à des dommages et intérêts. Mais inversement,
à supposer que la demande soit accueillie, le juge a le pouvoir de condamner
la société à concurrence des sommes avancées par les demandeurs et non
comprises dans les dépens de la société (224).

(223) Ace sujet, voyez M.A. DELVAUX et M. COIPEL, «Le Code des sociétés», J. T., 2000,
pp. 549-550.
(224) Sont clairement visés les honoraires de l' avocat qui a introduit l' action en responsabilité
à la demande des minoritaires. Ce régime de récupération des honoraires d'avocat s'explique
par Ie fait que Ie demandeur a agi dans Ie cadre d'une gestion d'affaires. Jusqu'il y a peu, il
dérogeait au principe selon lequel la partie qui triomphe dans son action doit néanmoins sup-
porter les honoraires de son conseil. La Cour de cassation a toutefois opéré un revirement sur
ce point par un arrêt du 2 septembre 2004 très largement commenté (Cass. (lère ch.), 2 sep-
tembre 2004, Bull. ass., 2005, p. 356, note H. DE RODE et J. GEORGE; J.L.M.B., 2004, p.
1320, note D. PHILIPPE; J.T., 2004, p. 614, note B. DE CONINCK; Journ. proc., 2004, liv.
486, p. 29; NJW2004, p. 953, note RDC; R.G.A.R. 2005, n° 13946, note V. CALLEWAERTet
B. DE CONINCK; R. W, 2004-05, p. 535, note B. WILMS et K. CHRISTIAENS; Rev. not. b.,
.. ./...

66
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

Dans les SA uniquement, la loi prévoit que les demandeurs désigneront, à


l'unanimité, un mandataire spécial chargé d'introduire l'action (article 566
CS). Dans les SPRL et les SCRL, le législateur a amis de prévoir une telle
désignation (225).

Certaines règles de procédure sont prévues pour préserver l'action minoritai-


re. Le fait qu'en cours d'instance, un ou plusieurs associés cessent de repré-
senter le groupe d'associés minoritaires - parce qu'ils ne possèdent plus de
titres ou renoncent à participer à l'action - est sans effet sur la poursuite de
l'instance ou sur l'exercice des voies de recours. Toute transaction conclue
avant l' intentement de l' action peut être annulée à la demande des porteurs de
titres réunissant les conditions prévues si elle n'a point été faite à leur avanta-
ge commun. Après l'intentement de l'action, la société ne peut transiger avec
les défendeurs sans le consentement unanime de ceux qui demeurent deman-
deurs de l' action.

Nous ne connaissons que de très rares cas d'application d'une action minori-
taire dans la pratique. La simple existence de ce type d'action est néanmoins
susceptible de présenter un intérêt puisqu' elle sert parfois de moyen de pres-
sion à l'égard des administrateurs et gérants (226). L'activisme croissant des
actionnaires minoritaires, au premier rang desquels figurent les investisseurs
institutionnels, laisse présager une augmentation de ce type d'actions en res-
ponsabilité.

51. A peine d' être privée de toute efficacité, l' action minoritaire est assor-
tie de certaines garanties assurant l'accès des demandeurs aux informations.

Les articles 168 et 169 du Code des sociétés confèrent aux actionnaires mino-
ritaires Ie droit de saisir le tribunal de commerce pour solliciter la désignation
.. ./ ...
2004, p. 471, note D. STERCKX; T. Not., 2004, p. 711, note C. DE BUSSCHERE), et récem-
ment confirmé, en matière quasi-délictuelle, par !'arrêt du 16 novembre 2006 (J.T., 2007, p.
14, obs. B. DE CONINCK). Sur !'ensemble de cette question, on renvoie à G. MARY, «La
répétibilité des frais et honoraires d'avocat», J. T., 2007, pp. 2 ets.
(225) Pour les SPRL, la loi du 13 avril 1995 a reformulé l 'article l 32bis L.C.S. et a supprimé
Ie renvoi à l' article 66ter, par inadvertance se Ion M. COIPEL (in Les sociétés privées à respon-
sabilité limitée, op. cit., p. 270). Les coopératives, dont les dispositions à eet égard renvoyaient
aux dispositions applicables aux SPRL dans les lois coordonnées sur les sociétés commercia-
les (article 158, 8°), ont suivi Ie sort, et donc Ie régime, de ces dernières. Cette divergence entre
les SA, d'une part, et les SPRL et SCRL, d'autre part, a malheureusement subsisté dans Ie
Code des sociétés.
(226) On constate notamment que la société DEMINOR privilégie généralement, avec un
certain succès, la négociation directe et amiable avec les dirigeants et les majoritaires plutöt
que la voie judiciaire contentieuse.

67
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

d'un expert vérificateur s'il existe des indices d'atteinte grave oude risque
d' atteinte grave aux intérêts de la société (227). L' objectif est de permettre à
l'actionnaire de rassembler les éléments de preuve relatifs à des comporte-
ments litigieux en vue d'une éventuelle action en responsabilité contre les
administrateurs. «Ce n 'est pas seulement des violations directes de la loi ou
des statuts, mais également, dans un sens plus large, des comportements,
omissions ou négligences qui peuvent nuire aux intérêts de la société, qui
justifient la désignation d'un expert judiciaire» (228).

Que ce soit dans une SA, une SPRL ou une SCRL, il faut que les associés
(229) possèdent au moins 1 % des voix attachées à !'ensemble des titres exis-
tant ou des titres représentant une fraction du capita! égale à 1.250.000 €
(230). Cette condition doit être vérifiée au jour de l 'introduction de l 'action
en justice, les actionnaires individuels pouvant se grouper pour atteindre ce
seuil. Les conditions d'admissibilité d'une telle action en désignation d'un
expert sont similaires, mais non identiques, à celles d'une action minoritaire:
le moment ou est apprécié le capita! nécessaire et les seuils sont, en effet,

(227) Sur la portée de eet intérêt comme condition de nomination d'un expert vérificateur,
voyez Comm. Charleroi (4e ch.), 24 décembre 1999, D.A.O.R., 2000, n° 55, p. 285.
(228) Comm. Liège (2ème ch.) 21 janvier 2005, Rev. prat. soc., 2004, p. 195. Voyez, pour divers
exemples, Comm. Hasselt (réf.), 8 avril 1994, R.D.C., 1997, p. 251; Comm. Bruges (réf.), 24
août 1996, D.A.O.R., 1996, p. 99; Comm. Courtrai (réf.), 22janvier 1996, DAOR, 1996, p. 91;
Bruxelles, 15 octobre 1997, R. W, 1998-1999, 1222; Comm. Courtrai (réf.), 27 mai 1999, T.R. V.,
1999, p. 326; Bruxelles (9e ch.), 19 juin 2001, J.L.M.B., 2002, p. 1356; Comm. Tongres (réf.),
16 octobre 2001, R. W, 2002-2003, 390.
(229) L'utilisation par Ie texte légal de l'expression «un ou plusieurs associés ... » indique que
les associés individuels peuvent se grouper pour atteindre ce seuil. (H. LAGA, N.V. en B. V.B.A.
na de wet van 18.07.1991, p. 244, n° 57; H. BRAECKMANS, Het gewijzigde vennoots-
chapsrecht 1991, p. 368, n° 88 avec renvoi à la p. 347, n° 46). Les associés ne doivent pas
nécessairement être créanciers: il leur suffit de démontrer un intérêt à être renseignés sur des
opérations suspectes susceptibles de porter atteinte à l'intérêt de la société (Bruxelles (9èmc
ch.), 19 juin 2001, J.L.M.B., 2002, p. 1356). La procédure ne peut être étendue à des tiers
«étrangers à la société», comme des tiers qui ont contracté avec la société (Comm. Termonde,
15 février 1996, R.D.C., 1997, p. 185, R. W, 1996-97, p. 404). L'épouse d'un associé ne peut
demander la désignation d'un expert si elle ne dispose pas de droits sociaux (Gand (12e ch.),
21 janvier 1998, T.R. V., 1998, p. 525, note B. Waûters).
(230) Il a été jugé que l'actionnaire majoritaire qui est, en même temps, Ie gérant statutaire ne
dispose pas de l'intérêt suffisant pour intenter l'action en désignation d'experts vérificateurs
(Comm. Courtrai ()re ch.), 7 décembre 1995, D.A.O.R., 1996, n° 40, p. 85). Il en irait autre-
ment dans l'hypothèse de deux actionnaires possédant chacun 50 % des voix. Par ailleurs,
l'actionnaire minoritaire qui réunit les conditions peut intenter l'action, même s'il dispose
d'autres possibilités de controle légalement prévues. Il n'est pas obligé, avant d'intenter l'ac-
tion en désignation d'experts, de recourir à d'autres moyens, comme par exemple l'exercice
du droit de poser des questions à l'assemblée générale (Comm. Courtrai (!re ch.), 7 décembre
1995, D.A.O.R., 1996, n° 40, p. 85; Comm. Termonde, 15 février 1996, R.D.C., 1997, p. 185,
R. W, 1996-97, p. 404.).

68
LA RESPONSABILITE DES DTRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

différents. En pratique, ces divergences signifient que des actionnaires mino-


ritaires qui auraient pu, suite à leur demande de désignation d'un expert et au
dépöt de son rapport, trouver les bases suffisantes à l'introduction d'une ac-
tion en responsabilité pourront être empêchés d'introduire une action minori-
taire. Cette situation se rencontrera, notamment, lorsque les minoritaires ont
atteint le seuil pour introduire la demande en désignation d'un expert après
l'assemblée générale au cours de laquelle la décharge a été votée mais qu'ils
ne l' atteignaient pas à ce jour. Elle pourrait même être plus fréquente dans les
SPRL ou les SCRL puisque les seuils de participation y sont de 10 % des voix
et non 1 %. On peut toutefois imaginer qu'à la lecture du rapport de l'expert,
de nouveaux associés soient convaincus de la nécessité d'introduire une ac-
tion minoritaire et se joignent au groupe origine! pour permettre d'atteindre
les seuils de participation requis.

Les actions en désignation d'un expert vérificateur peuvent notamment être


exercées lorsque les minoritaires - préoccupés par des accointances entre
certains dirigeants et des sociétés avec lesquelles leur société fait des affaires
- craignent que les intérêts de leur société soient en péril (231 ). Les deman-
deurs en désignation d'un expert vérificateur doivent apporter un commence-
ment de preuve (232): les atteintes graves ou les risques d'atteintes graves
aux intérêts de la société doivent être clairement identifiés et, en l' absence
d'indices précis, concrets ou détaillés, la demande doit être rejetée. Le de-
mandeur ne peut donc se contenter de déplorer l' évolution défavorable de la
situation financière de la société; il doit dénoncer des fautes ou autres com-
portements précis et concrets nuisibles aux intérêts de la société (233).

Tel est le cas lorsqu'un associé, qui possède 33 % des parts de la société, ne
reçoit pas d'information précise sur la composition du chiffre d' affaires, s'in-
quiète de l'importance des avances consenties par les autres associés à la
société, redoute une surévaluation des stocks et craint que la société occupe
son siège d'exploitation à titre précaire (234). Les intérêts de la société peu-

(231) Pour une illustration, voyez An vers (5ème ch.), 8 mai 2000, J.D.S. C., 2002, n° 405, p. 178
et note M.A. DELVAUX, «Quelques réflexions en matière d'action en désignation d'un expert
vérificateur et d'action sociale minoritaire», DAOR, 2001, liv. 57, p. 56)
(232) Peuvent, entre autres, être considérés comme des commencements de preuve suscitant
de sérieuses présomptions que des irrégularités oot été commises dans la gestion de la société:
Ie défaut de convocation aux assemblées générales, l'exécution de travaux par la société sans
facturation correspondante, Ie paiement d'indemnités à des administrateurs dont Ie mandat est
gratuit ou Ie fait de privilégier d'autres personnes morales appartenant à un groupe d'action-
naires (Comm. Tongres (réf.), 11 mai 1990, T.R. V., 1991, p. 97, obs.).
(233) Comm. Liège (2ème ch.), 21 janvier 2005, op. cit.
(234) Comm. Bruxelles, 3 septembre 1992, R.D.C., 1994, p. 166; D.A.O.R., 1992, n° 25, p. 93,
note J. Billiet.

69
YVES DE CORDTET MARIE AMELIE DELVAUX

vent être gravement atteints si la société a subi un dommage en raison de


fautes commises dans le passé et que rien n' est entrepris pour Ie réparer (235).

La désignation d'un expert vérificateur peut également se justifier lorsque


!'administrateur délégué controle d'autres sociétés-actionnaires, que les rè-
gles en matière de conflits d'intérêts ne sont pas respectées et que les action-
naires ne reçoivent aucune réponse à leurs questions (236).

La menace doit concemer les intérêts de la société et non les intérêts particu-
liers d'un associé individuel» (237). Une expertise ne peut être accordée pour
la seule raison de l'animosité qui est apparue ou qui risque d'apparaître entre
les associés (238). En outre, cette procédure n'a pas été conçue pour permet-
tre à un associé, désireux de connaître la valeur de ses parts aux fins d' en
obtenir, en cas de cession, Ie meilleur prix, de provoquer, à charge de la socié-
té elle-même, une expertise sur sa valeur intrinsèque (239).

Les missions confiées par le Tribunal à l'expert désigné peuvent être très
variées: vérification des documents comptables et adrninistratifs et des comptes
de la société; recherche et description de situations de conflit d'intérêts et
vérification du respect des règles applicables à de tels conflits; examen des
contrats en cours et des relations entre la société concemée et telles sociétés
semblant liées et vérification de l'utilité de ces contrats pour la société et du
respect par ces contrats des conditions du marché; réponse aux questions que
les minoritaires sont susceptibles de poser à la lumière des découvertes de
!'expert.

C. LES TIERS (240)

52. L' action en responsabilité peut être introduite soit par un tiers, soit par
Ie curateur désigné dans le cadre de la faillite.

Les tiers, qui peuvent agir en cas d'infraction au Code ou aux statuts,_J,Q!lt
tantöt des créanciers «contractuels», à savoir des personnes qui ont contracté
avec la société et restent impàyées (fournisseurs, travailleurs, sous-traitants,
clients, banquiers), tantöt des créanciers qu'on peut qualifier

(235) Comm. Hasselt (prés. réf.), 24 avril 1998, T.R. V., 2000, p. 461.
(236) Anvers (5e ch.), 8 mai 2000, D.A.O.R., n° 57, 2001, p. 56.
(237) Bruxelles (9ème ch.), 16juin 2000, R.P.S., 2000, p. 381, note.
(238) Comm. Hasselt (prés. réf.), 24 avril 1998, T.R. V., 2000, p. 461.
(239) Bruxelles (9e ch.), 16 juin 2000, R.P.S., 2000, p. 381, R.D. C., 2001, p. 737.
(240) Pour rappel, nous ne traitons pas ici du droit d'action des tiers sur la base de l'article
1382 du Code civil. Nous renvoyons à eet égard au rapport de D. Philippe et G. Gathem.

70
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

d' «institutionnels»; à savoir des personnes morales de droit public auxquel-


les la société commerciale est tenue de verser des fonds en vertu de la loi (en
matière d'ONSS (241), de TVA, d'ISOC, ... ).

Le curateur intervient en sa qualité de représentant de la masse des créan-


ciers, chargé de réaliser l'actif du failliet de répartir les deniers qui provien-
nent de la réalisation de eet actif entre les créanciers. Il dispos~ d'un monopo-
le d'action pour rechercher la réparation d'un dommage qui constitue une
partie du préjudice collectif subi par la masse faillie: les dommages causés
par la faute d'un dirigeant ayant contribué à aggraver Ie passif de la faillite ou
à en diminuer l' actif sont communs à l' ensemble des créanciers. En raison du
dommage causé à la masse des biens et des droits qui forment le gage com-
mun des créanciers, cette faute est la cause d'un préjudice collectifpour ceux-
ci et lèse des droits qui leur sont, par nature, communs (242).

Le fait que la société soit en faillite n'exclut cependant pas la recevabilité de


l'action introduite parun_créancier isolé contre !'administrateur ou le gérant,
lorsque sa demande conceme la réparation d'un dommage individuel distinct
qu clmp.mage commun de tous les créanciers résultant de la diminution de
leur gage, ou lorsque son action se fonde sur une faute autre que celle qui a
causé le préjudice collectif (243). Ainsi, il a été jugé par la Cour d'appel
d' Anvers dans un arrêt du 3 octobre 2002 relatif à une action en responsabili-
té introduite par l'Etat belge et fondée sur ]'absence de versement du pré-
compte professionnel que «En tant que créancier individuel, l'appelant pou-
vait non seulement faire la déclaration de ses créances dans le cadre de la
faillite, mais aussi intenter, pendant lafaillite, une action contre l'intimé, en
sa qualité de gérant de la sociétéfaillie, en vue d'être indemnisé du dommage
individuel subi, s'agissant d'un dommage qui existait déjà avant le moment
de lafaillite et qui était indépendant des dommages éventuellement causés au
patrimoine de la société. L'appelant souhaite être indemnisé d'un dommage
particulier qu 'il a lui-même subiet non d'un dommage qui aurait eu un effet
sur tous les créanciers parce que, s'agissant d'un dommage que le gérant
aurait fait subir au patrimoine de la société, il aurait diminué leur gage com-
mun (244 ). Ce n 'est que pour ce type de dommage, qui n 'est pas cel ui pour

(24l)Voyez supra à propos du privilège dont jouit l'ONSS dans Ie cadre des actions en com-
blement de passif.
(242) Cass. 12 février 1981, Arr. Cass. 1980-81, 662; Bull. 1981, 639, concl. M. DECLERCQ;
J.D.S.C. 2000, 137, note J. GOFFIN et E. VIATOUR; J.D.S.C. 2000, 239, note M. CA-
LUWAERTS;J.T. 1981, 270; Pas. 1981, I, 639, concl. M. DECLERCQ;R.C.J.B. 1983, 5, note
J. HEENEN; Rev. prat. soc. 1981, 116, note P. COPPENS.
(243) 0. RALET, op. cit., pp. 173 à 175; J. Fr. GOFFIN, op. cit., pp. 223 ets.
(244) En l' occurrence, Ie patrimoine social est même plus important que ce qu' il aurait dû être
au vu de l' absence de versement par Ie gérant de la SPRLU du précompte professionnel.

71
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX

lequel l 'appelant demande à être indemnisé en l 'espèce, que le curateur dé-


tient un droit d'action exclusif en sa qualité de «représentant forcé» de la
masse des créanciers.» (245).

53. Jusqu' en 2002, la jurisprudence et la doctrine considéraient que l' ac-


tion en comblement de passif était réservée en exclusivité au curateur, en sa
qualité de représentant de la masse des créanciers, et qu'une initiative indivi-
duelle d'un créancier n'était pas envisageable (246). Cette consécration d'un
véritable monopole du curateur a été remise en cause par la loi du 4 septem-
bre 2002 modifiant la loi du 8 août 1997 sur les faillites, le Code judiciaire et
le Code des sociétés, qui a ajouté un alinéa aux articles 265, 409 et 530 du
Code des sociétés. «L'action est recevable de la part tant des curateurs que
des créanciers lésés. Le créancier lésé qui intente une action en informe le
curateur. Dans ce dernier cas, le montant alloué par le juge est limité au
préjudice subi par les créanciers agissants et leur revient exclusivement, in-
dépendamment de l'action éventuelle des curateurs dans l'intérêt de la mas-
se».

Cette modification provient d'un amendement déposé par le Gouvernement


(247), qui est parti du constat que lorsqu'une société fait faillite, ses diri-
geants peuvent encourir deux types de sanctions: l'une consiste en l'interdic-
tion professionnelle fondée sur l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 et
l'autre prend la forme d'une responsabilité aggravée avec prise en charge de

(245) An vers, 3 octobre 2002, J.D.S. C., 2004, n° 582, p. 245 et NJW, 2003, p. 522 et note S. DE
RAEDT.
(246) Civ. Liège, 12 février 1982, J.C.B., p. 625, et note Y. DUMON; Comm. Bruxelles, 22
octobre 1982, Rev. prat. soc., 1982, p. 244 et J. C.B., 1982, p. 574; Comm. Bruxelles, 14 février
1983, Rev. prat. soc., 1983, p. 326, R.D.C., 1983, p. 602 et obs.); Comm. Bruxelles, 17 mai
1983, R.D.C., 1984, p. 55; Anvers, 13 février 1989, Pas., 1989, II, p. 205; Bruxelles, 7 décem-
bre 1995, R.D.C., 1997, p. 106; Bruxelles, 18 février 1997, Pas., 1996, II, p. 40; Bruxelles
(8èrne ch.), ler mars 1997, J.D.S.C., 1999, n° 100, p. 246 et note M.A. DELVAUX, D.A.O.R., n°
43, p. 58 et note 0. POELMANS et D. BLOMMAERT;Cl. PARMENTIER, «La responsabilité
des dirigeants d'entreprises en cas de faillite», R.D.C., 1986, n° 57, p. 778; 0. POELMANS,
«L'affaire des 'Forges de Clabecq' et Ie droit de la faillite», note sous Bruxelles (8ème ch.), 1cr
mars 1997, D.A.O.R., n° 43, pp. 75 et 77-78; 0. RALET, op.cit., p. 182; P. VAN OMMESLA-
GHE et X. DIEUX, «Les sociétés commerciales - examen de jurisprudence (1979-1990)»,
R.C.J.B., 1993, p. 795; I. VEROUGSTRAETE, «L'action en comblement de passif», in Les
créanciers et Ie droit de la faillite, C.D.V.A., 1983, p. 441 et Manuel du curateur de faillite,
Bruxelles, Swinnen, édition 1987, n° 835; L. DABIN et A. BENOIT-MOURY, Chronique de
droit à l'usage du notariat, vol. 6, 23 octobre 1986, p. 149. Cl. PARMENTIER, op. cit., n° 52,
p. 778; J. RONSE, «La responsabilité facultative des administrateurs et gérants en cas de
faillite avec insuffisance d'actif», Rev. prat. soc., 1979, p. 295.
(247) Amendement n° 36 du Gouvernement, présenté et détaillé dans Doe. Pari., Chambre,
sess. ordin. 2000-2001, n° 1132/007, pp. 3 à 5 et 1132/013, pp. 128 à 134.

72
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

tout ou partie du passif dans la mesure fixée par le juge. Or, la pratique avait
démontré que la responsabilité aggravée des dirigeants en cas de faute grave
et caractérisée n'était appliquée que dans un nombre très peu élevé d'hypo-
thèses, notamment parce que les curateurs - détenteurs du monopole d' action
aux yeux de la jurisprudence - ont toujours semblé frileux à introduire une
telle procédure - complexe, souvent très longue et au résultat aléatoire - alors
nfêrhe que le tribunal les presse fréquemment de clóturer les faillites dans les
meilleurs délais. L' objectif clairement affirmé de la modification introduite;
était donc d'encourager les actions en responsabilité pour faute grave et ca-:
ractérisée ayant contribué à la faillite, en permettant à tous les préjudiciés!
d'intenter une telle action contre les dirigeants fautifs. /
1

Le créancier agissant individuellement (248) obtient à son profit exclusif l' in-
demnisation du préjudice qu'il a subi. Selon les auteurs du texte, ce résultat
exclusif ne semble pas heurter le principe d'égalité. D'une part, ce principe
reste souvent lettre morte dans la pratique des faillites eu égard au nombre
impressionnant de privilèges instaurés par la loi. D'autre part, la volonté du
législateur étant d'inciter le créancier individuel à agir, il fallait bien faire en
sorte qu' il y trouve avantage.

§ 2. Lajuridiction compétente

54. En vertu de l'article 574, 1° du Code judiciaire, le tribunal de commer-


ce est compétent pour connaître des contestations, pour raison d'une société
de commerce, entre (i) sociétés et administrateurs ou gérants, (ii) entre admi-
nistrateurs et gérants, (iii) entre administrateurs ou gérants et tiers et (iv) en-
tre administrateurs ou gérants et associés.

Tout type de contestation, quels que soient son objet et l'identité du deman-
deur, est ainsi visé. Ce n'était pas le cas dans Ie régime ancien: les litiges
entre sociétés et dirigeants et les litiges entre tiers et dirigeants relevaient, en
effet, de la compétence ordinaire du tribunal de première instance (249).
Nous rappel ons que l' action judiciaire visant à la condamnation des dirigeants
au paiement des dettes fiscales de la société pourrait être introduite <levant le
tribunal de première instance, si l' on considère qu'il s' agit d'une contestation
afférente à une loi d'impót (loi du 23 mars 1999 relative à l'organisation
judiciaire en matière fiscale).

(248) Il doit informer préalablement Ie curateur, qui pourra ainsi intervenir volontairement à la
procédure ou intenter une procédure parallèle au nom de la masse des créanciers.
(249) Sur cette question, voyez M.A. DELVAUX, «La loi du 7 mai 1999 et la compétence des
juridictions consulaires pour connaître des actions liées au droit des sociétés commerciales
visées par les lois coordonnées sur les sociétés commerciales», R.D.C., 2000, pp. 212 ets.

73
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

§ 3. Les délais de prescription

55. L'article 198, § Ier du Code des sociétés prévoit que «sont prescrites
par cinq ans ( ... ) toutes actions contre les gérants, administrateurs, commis-
saires, liquidateurs (250), pour faits de leurs fonctions, à partir de ces faits ou,
s'ils ont été celés par dol (251), à partir de la découverte de ces faits». Cette
prescription s' applique à toute action introduite contre les administrateurs ou
les gérants, quel que soit son fondement juridique (252).

La responsabilité peut être fondée indifféremment sur un fait positif ou sur


une abstention fautive. En effet, il ne convient pas de s'arrêter au sens littéral
du mot «faits» utilisé par le législateur, qui englobe tant l' action que l' omis-
sion. Voici quelques illustrations d'omissions fautives:

- responsabilité d'un administrateur en raison de la non-validité d'une sous-


cription lors d'une augmentation du capital (253);
- responsabilité des dirigeants pour faute de gestion s' identifiant au fait d' avoir
omis, durant plusieurs années, d'inscrire dans les comptes annuels une provi-
sion pour le risque de condamnation au paiement de redevances échues (254 );
- responsabilité des dirigeants qui ont omis, durant plusieurs années, de «tirer
la sonnette d'alarme» selon le prescrit de l'article 332 du Code des sociétés
(255).

C'est la question du défaut d'adaptation du capital des SA, SPRL (256) ou


SCRL (257) dans le délai requis qui est le champ d'application de prédilec-
tion de la responsabilité pour omission fautive. Après l'expiration du délai

(250) Ainsi que contre les membres du conseil de direction et les membres du conseil de
surveillance d' une société européenne, depuis l' entrée en vigueur de l' arrêté royal du 1er sep-
tembre 2004 portant exécution du règlement (CE) n° 2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001
relatif au statut de la Société européenne.
(251) Sans qu'il ne soit nécessaire de distinguer selon que les défendeurs ont ou non pris part
au dol (Cass., 26 janvier 1922, Pas., 1922, I, p. 143).
(252) Si la faute commise constitue une infraction pénale, l'article 26 du titre préliminaire du
Code d'instruction criminelle implique que l'action civile ne peut être prescrite avant l'action
publique.
(253) Cass. 29 mai 1980 (Ost / SA Le Patrimoine), Arr. Cass., 1979-80, p. 1201, note; J.C.B.,
1980, p. 563, noteA. STRANART; Bull., 1980, p. 1190, note; J.T., 1980, p. 653; Pas., 1980, I,
p. 1190, note; R. W., 1980-81, p. 2017; Rev. prat. soc., 1981, p. 21, note J. NELISSEN.
(254) Bruxelles (9èmc ch.), 21 novembre 2002, J.D.S.C., 2004, n° 575, p. 211 et note M.A.
DELVAUX, «Le point de départ du délai de prescription quinquennal des actions en responsa-
bilité des dirigeants: analyse de deux applications pratiques», J.L.M.B., 2003, p. 1271.
(255) Ibidem.
(256) Voyez par exemple Liège, 14 mars 2002, J.L.M.B., 2003, p. 1260.
(257) Voyez parexemple Comm. Hasselt, 26 novembre 2002, J.D.C.S., 2004, n° 574, p. 208 et
obs. M.A. DELVAUX; NjW, 2003, p. 567 et note H. DE WULF.

74
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

transitoire prévu pour permettre aux dirigeants d'assurer la conformité de la


société aux nouvelles exigences légales en matière de capita!, les dirigeants
négligents sant responsables de leur léthargie et de ses conséquences préjudi-
ciables pour la société et/ou les tiers. Cette faute est continue et persiste aussi
longtemps que Ie capita! de la société n'a pas été augmenté.

56. Etablir Ie point de départ de cette prescription quinquennale peut par-


fois poser des difficultés. Le délai prend normalement cours à la date des faits
et non pas au moment ou les faits produisent des conséquences dommagea-
bles (258). La prise de cours du délai peut cependant être retardée dans deux
hypothèses:

- lorsqu'il est établi que les faits sur lesquels repose la demande ont été celés
par dol, que la dissimulation soit ou non imputable au dirigeant concemé
(259); la prise de cours du délai quinquennal est alors postposée à la date de
la découverte de ces faits;
- lorsqu' on constate que Ie dommage résulte d'un ensemble de faits fautifs
successifs et indivisibles ou du maintien d'une situation fautive; dans ce cas,
Ie délai ne prend cours qu'au jour de l'accomplissement du dernier fait indi-
visible (260) ou au jour de la cessation de la situation illégalement mainte-
nue.

L'indivisibilité doit être appréciée avec une certaine rigueur. Ainsi, la cour
d'appel de Bruxelles a précisé, à juste titre, que l'obligation d'établir des
comptes fiables est annuelle et que l'omission corrélative constitue une faute
spécifique, susceptible de se répéter chaque année. Puisqu'il ne s'agit pas
d'un ensemble de fautes successives et indivisibles, Ie délai de prescription
prend cours séparément, pour chaque faute, à la date à laquelle elle a été
commise, à savoir le jour de la présentation des comptes annuels à l'assem-
blée générale (261).

L' appréciation de la prise de cours du délai de prescription est plus complexe


quant à l' obligation de réunir une assemblée générale en cas de perte grave de
l'actif (vair supra). Le Code impose aux dirigeants de réunir une assemblée
générale dans les deux mais du constat de cette perte. On pourrait considérer

(258) La prise de cours du délai diffère donc du régime de droit commun instauré par l' article
2262bis du Code civil.
(259) Bruxelles, 28 septembre 1966, J.T., 1967, p. 97 et note STIJCKMANS.
(260) Bruxelles, 19 mars 1968, Pas., II, p. 180; J. VAN RYN et P. VAN OMMESLAGHE,
«Les sociétés commerciales - examen de jurisprudence ( 1972-1978)», R. C.J.B., 1981, p. 392,
n° 67.
(261) Bruxelles (9èrnc ch.), 21 novembre 2002, op. cit.

75
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX

que le défaut de convocation est une faute qui se répète à chaque instant
(«faute continue»), et non une faute instantanée se réalisant en un instant
précis, au terme du délai de deux mois. Selon cette interprétation, le dirigeant
serait, à chaque instant, fautif de ne pas réunir l'assemblée. Un argument
décisif vient toutefois contredire cette interprétation: pourquoi le législateur
aurait-il fixé divers seuils (moitié et quart du capital social) si cette obligation
était continue (26lbis)? La doctrine considère, à juste titre selon nous, que
l'obligation de convoquer l'assemblée générale n'existe qu'une seule fois
dans chacune des hypothèses envisagées par la loi, à savoir une fois quand
l' actif net est réduit à un montant inférieur à la moitié du capital social et une
seconde fois, si nécessaire, quand eet actif net tombe sous le seuil du quart du
capital social (262). La faute se concrétise non pas le jour ou la perte est
constatée, mais bien Ie dernier jour utile pour convoquer une assemblée gé-
nérale dans le respect des formalités légales prescrites (263).

57. La loi du 2 août 2002 n'a malheureusement pas étendu aux membres
du comité de direction des SA le délai de prescription quinquennal de la res-
ponsabilité. Cet oubli a des conséquences importantes puisqu' au sein de ce
comité, une distinction s' opère entre les mem bres ayant la qualité d' adminis-
trateur et ceux quine l' ont pas. A défaut d' être administrateur, le membre du
comité reste soumis au droit commun de la prescription. L'article 2262bis,
al. 1 du Code ei vil dispose que toutes les actions personnelles sont prescrites
par dix ans. Par dérogation, l'alinéa second stipule que «les actions en répa-
ration d'un dommage fondé sur une responsabilité extra-contractuelle» se
prescrivent par cinq ans (264 ). Ceci signifie que, selon que l' action introduite
contre un membre du comité de direction a un fondement contractuel ou ex-
tra-contractuel, elle sera soumise à une prescription décennale ou quinquen-
nale. La prise de cours du délai est également distincte: le délai de dix ans
court à compter du jour ou la faute est commise tandis que le délai de cinq ans
ne comme nee à courir qu' à partir du jour qui suit cel ui ou la personne lésée a
eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l'identité de la

(261bis) D'autre part, les dirigeants qui réunissent une assemblée générale plus de deux mois
après leur constat de la perte grave du capita! voient leur responsabilité engagée pour violation
du prescrit légal, ce qui semble confirmer que l'obligation n'est pas continue.
(262) X. FOSSOUL, «Observations sur l'article 103 des lois coordonnées sur les sociétés
commerciales», in Liber amicorum Commission Droit et Vie des Affaires, 40èmc Anniversaire
( 1957-1997), Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 565 et s. et les références citées.
(263) Le Code précise, notamment, que Ie dirigeant dispose d'un délai de deux mais à compter
du constat pour réunir une assemblée générale. D'autre part, la convocation doit être envoyée
par lettre recommandée quinze jours avant l'assemblée (articles 268, al. 3, 383 et 533, al. 3
CS).
(264) L' alinéa 3 ajoute que, dans tous les cas, l' action se prescrit par vingt ans à partir du jour
qui suit celui ou s'est produit Ie fait qui a provoqué Ie dommage.

76
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

personne responsable (conditions cumulatives), sans égard pour la date de la


faute ou la date de découverte de celle-ci en cas de dissimulation (265). Nom-
breuses sont donc les causes susceptibles de retarder la prise de cours de la
prescription quinquennale: songeons à l'hypothèse ou le dommage ne se fait
ressentir que bien après la commission de la faute, même non celée. En outre,
comment comprendre les term es « identité de la personne responsable » (266)?
Lorsque la responsabilité est solidaire en vertu de la loi (hypothèse de la res-
ponsabilité pour violation du Code ou des statuts), il suffit de déterminer que
les membres du comité de direction sont responsables, sans devoir préciser
lequel d' entre eux a commis spécifiquement la faute reprochée.

(265) Sauf à atteindre la limite ultime de vingt ans instaurée par l' alinéa 3 de l' article 2262bis
du Code civil.
(266) Nous imaginons qu'il s'agit de la personne que la victime croit responsable de son dom-
mage car s'il fallait attendre la certitude judiciaire de la responsabilité, la mise en reuvre de
cette disposition serail délicate ...

77
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX

TITRE 2
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FINANCIER

58. Il nous a paru utile de consacrer un titre spécifique à une évolution


récente de la responsabilité des dirigeants de sociétés cotées (267), auxquel-
les s'applique le droit financier: l'interdiction de commettre des abus d'infor-
mations privilégiées (section 1) ainsi que l' obligation d' établir des listes d'ini-
tiés et celle de déclarer ou notifier des transactions (sections 2 et 3) (268).

Nous n'aborderons ici ni la répression des délits d'initié dans son ensemble,
ni la matière des OPA, qui connaîtra bientöt une évolution importante suite à
la transposition en droit belge de la directive 2004/25/CE du Parlement et du
Conseil du 21 avril 2004 (269).

59. Désireuse de renforcer la lutte contre les «abus de marché», l'Union


européenne y a consacré une directive spécifique (270) afin d'assurer l'inté-

(267) Aux termes de l'article 4 CS, les sociétés cotées sant «les sociétés dont les titres sont
admis aux négociations sur un marché réglementé au sens de l'article 2, 3°, de la loi du 2 août
2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers».
(268) Ph. MALHERBE, «L'obligation d'établir des listes d'initiés et de déclarer ou notifier
des transactions», in Actes du colloque de droit financier - Nouvelles règles en matière de
prospectus et d'abus de marché, Centre Jean Renauld, 30 novembre 2006.
(269) JO, L 142 du 30 avril 2004, pp. 12 ets. Pour des commentaires avisés, notamment sur les
implications potentielles de cette directive en droit beige, voyez J.-M. NELISSEN-GRADE,
«De dertiende richtlijn betreffende het openbaar overnamebod», T.R. V., 2006, pp. 104 ets.; J.
FRANTZEN, «La directive du Parlement européen et du Conseil concernant les offres publi-
ques d'acquisition», Dr. Banc. Fin., 2004, pp. 145 ets.; A. MAURAU, «La treizième directive
relative aux offres publiques d'acquisition», R.D.C., 2004/8, pp. 842 ets.; J-J. DAIGRE, «Le
projet de treizième directive relative aux offres publiques: une directive subsidiaire et pourtant
nécessaire», Dr. Banc. Fin., 2002, pp. 339 ets.; D. MUFFAT-JEANTET, «OPA: l'adoption
d'une directive européenne», Revue du Marché commun et de l'Union européenne, 2004, pp.
455 ets.; P. CALLENS, «De dertiende Richtlijn en haar impact op de Belgische overnamewetge-
ving», T. Fin. R., 2006-1, pp. 1266 ets.
(270) Directive 2003/6/CE du parlement européen et du conseil du 28 janvier 2003 sur les
opérations d' initiés et les manipulations de marché (abus de marché) (J. 0. L 96/ 16 du 12 avril
2003). À propos de cette directive, voyez PH. LAMBRECHT, «Les opérations d'initiés dans la
proposition de directive sur les abus de marché», in M. TISON, C. VAN ACKER, J. CERFON-
TAINE (éd.), Financiële regulering: op zoek naar nieuwe evenwichten, vol. II, Série Instituut
Financieel Recht, 4, An vers, Intersentia, 2004; J. VAN LANCKER et K. VERDOODT, «Nieuwe
regels inzake marktmanipulatie en misbruik van voorkennis», T.R. V., 2003, pp. 36 ets. Voyez
également les directives d'exécution: la directive 2003/124/CE de la Commission du 22 dé-
cembre 2003 portant modalités d'application de la directive 2003/6/CE du Parlement euro-
péen et du Conseil en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilé-
giées et la définition des manipulations de marché (I.O. L 339/70 du 24 décembre 2003) et la
directive 2004/72/CE de la Commission du 29 avril 2004 portant modalités d'application de la
.. ./ ...

78
7

LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROJT DES SOCIETES ET EN DROJT FINANCIER

grité des marchés financiers communautaires et de renforcer la confiance des


investisseurs en ces marchés. Suite à la transposition de cette directive, la loi
du 2 août 2002 (ei-après «la Loi») crée un régime administratifnouveau, dont
la Commission bancaire, financière et des assurances (ei-après «CBFA») est
l' autorité compétente, afin de prévenir et de réprimer les abus de marché, tout
en maintenant un régime pénal pour certaines infractions concernant les mar-
chés financiers (articles 25 et suivants). Quant aux obligations préventives
analysées, le dispositif a été complété par un arrêté royal du 5 mars 2006
relatif aux abus de marché (271).

Les manquements aux obligations examinées sont passibles de sanctions ad-


ministratives, voire, en cas de dol aggravé, de sanctions pénales. Outre le
pouvoir d' enjoindre certains comportements sous peine d' astreinte, la CBFA
dispose, en vertu de l'article 36, § 2 de la Loi, du pouvoir d'infliger «au
contrevenant une amende administrative qui ne peut être inférieure à 2.500
€ ni supérieure, pour le même fait ou pour le même ensemble de faits, à
2.500.000 €. Lorsque l'infraction a procuré un avantage patrimonia! au con-
trevenant, ce maximum est porté au double du montant de eet avantage et, en
cas de récidive, au triple de ce montant». Les recours contre ces sanctions
administratives sont portés directement <levant la Cour d'appel de Bruxelles
(272). Par ailleurs, ceux qui font obstacle aux inspections et expertises de la
CBFA ou lui fournissent sciemment des informations inexactes ou incomplè-
tes sont punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 50
à 10.000 € ou d'une de ces peines seulement (article 41 de la Loi) .

.. ./ ...
directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les pratiques de
marché admises, la définition de !'information privilégiée pour les instruments dérivés sur
produits de base, l'établissement de listes d'initiés, la déclaration des opérations effectuées par
les personnes exerçant des responsabilités dirigeantes et la notification des opérations suspec-
tes (1.0. L 162/70 du 30 avril 2004).
(271) M.B., 10 mars 2006.
(272) Pour une critique de cette création d'un droit quasi pénal dépourvu des garanties ordinai-
res, notamment de double degré de juridiction, voyez Ph. MALHERBE, «Les compétences
directes de la Cour d'appel: concurrence, finance, énergie, télécommunications, ... », Le trihu-
nal de commerce: procédures particulières et recherche d' efficacité, Bruxelles, Jeune Barreau,
2006, pp. 243 et s.

79
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX

SECTION 1
L'INTERDICTION DE COMMETTRE DES ABUS D'INFORMATIONS PRIVILÉGIÉES

60. L' «abus d'information privilégiée» constitue Ie pendant administratif


du délit d'initié (273). Pour l'essentiel, la loi interdit à toute personne qui
dispose d'une information privilégiée:
- d' acquérir ou de céder, ou de ten ter d' acquérir ou de céder, pour son compte
propre ou pour Ie compte d'autrui, directement ou indirectement, les instru-
ments financiers sur lesquels porte !'information( ... ) (274);
- de communiquer une telle information à une autre personne, si ce n' est dans
le cadre normal de l'exercice de son travail, de sa profession oude ses fonc-
tions;
- de recommander à un tiers d'acquérir oude céder, oude faire acquérir ou
céder par une autre personne, sur la base de !'information privilégiée, les
instruments financiers sur lesquels porte l 'information.

Quant à la majorité des instruments financiers, tels que définis à l'article 2,


§ 1er, 1° de la Loi, constitue une information privilégiée «toute information
qui n 'a pas été rendue publique (275), qui a un caractère précis (276) et qui
(273) P.A. FORIERS et C. TUBEUF «La transposition de la Directive Abus de Marché en
matière de délit d'initié: Arrêtés royaux du 24 août 2005 et du 5 mars 2006», in Le nouveau
droit des marchés financiers, Séminaire Vanham & Vanham, 28 septembre 2006; B. FERON
et P. PAULUS DU CHATELET, «Les délits de marché», in Ch. JASSOGNE et G. BLOCK
(dir.), Traité pratique de droit commercial, Tome 5 Droit bancaire et financier, Bruxelles,
Kluwer, 2003, pp. 243 ets.; B. FERON, «Les délits boursiers en droit beige et en droit compa-
ré», Les délits financiers, Cahiers AEDBF - 12, Bruxelles, Bruylant, 2001, pp. 41 ets.;
Ph. LAMBRECHT, «Le point à propos du délit d'initié», Rev. dr. U.L.B., 1997, pp. 85 ets.;
K. GEENS et B. SERVAES, «Misbruik van voorkennis na de wet van 6 april 1995: weinig
nieuws onder de zon», L'entreprise face au droit pénal, Anvers, Kluwer-Bruxelles, Bruylant,
1995, pp. 85 ets.; D. DEVOS, «Les opérations d'initiés en droit positif beige», Rev. Banq.,
1991, pp. 458 et s.; Ph. LAMBRECHT, «La réforme financière de 1990, Livre V, du délit
d'initié», J.T., 1991, pp. 671 ets.
(27 4) Dans sa version initiale, l' article 25 reprenait la condition d' «utilisation» qu' on retrouve
pour Ie délit pénal: il interdisait à la personne disposant d'une information privilégiée «d'utili-
ser cette information en acquérant ou en cédant ... ». La Loi-programme du 22 décembre 2003
a supprimé la condition d'utilisation pour Ie manquement administratif. Dans sa version ac-
tuelle, Ie manquement administratif est donc établi dès que la personne initiée acquiert ou
cède, ou tente d'acquérir oude céder, les titres concernés.
(275) On peut déduire de la jurisprudence beige et étrangère que !'information a été rendue
publique lorsque la société a publié son rapport annuel, a tenu une conférence de presse pour
annoncer ses résultats, ... Par ailleurs, rendre publique ne signifie pas que !'information doit
nécessairement être publiée. Par contre, reste privilégiée !'information qui est portée à la con-
naissance d'un nombre limité de personnes par rapport à !'ensemble des partenaires du marché
boursier, qui est publiée dans un périodique au tirage limité et à l'audience restreinte ou qui est
divulguée lors d'un séminaire réservé à quelques intéressés. Si !'information est rendue publi-
que sans être diffusée dans Ie public, il peut y avoir opération d'initié, !'information n'étant
.../. ..

80
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROJT DES SOCIETES ET EN DROJT FINANCIER

concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instru-


ments financiers ou un ou plusieurs instruments financiers (277), et qui, si
elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible le
cours (278) des instruments financiers concernés ou celui d'instruments fi-
nanciers connexes» (article 2, § 1er, 14°).

La principale différence entre le délit d'initié et l'abus d'information privilé-


giée réside dans les personnes visées. Alors que l'abus d'information privilé-
giée est interdit à toute personne qui en dispose, le délit d'initié est interdit (i)
à certaines personnes qui disposent, pour une raison particulière, d'une infor-

.. ./...
pas connue de !'ensemble des investisseurs potentiels. Si !'information a été diffusée dans Ie
public sans avoir été assimilée par celui-ci, les auteurs, s' inspirant de l' expérience américaine,
considèrent qu'il est recommandé d'attendre un Japs de temps raisonnable de l'ordre de 24
heures. Voyez D. DEVOS, «Les opérations d'initiés en droit positif beige», op. cit.. banq.,
1991, p. 459; K. GEENS et B. SERVAES, «Misbruik van voorkennis na de wet van 6 april
1995: weinig nieuws onder de zon», op.cit., pp. 103-104; Corr. Charleroi, 27 septembre 1995,
R.P.S., 1996, p. 152; Corr. Gand, 27 septembre 1995, R.P.S., 1996, p. 155.
(276) Selon la loi, une information est réputée «à caractère précis» si «ellefait mention d'un
ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu 'il existera ou
d'un événement qui s 'est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu 'il se produira, et
si elle est suffisamment précise pour que l'on puisse en tirer une conclusion quant à l'effet
possible de eet ensemble de circonstances ou de eet événement sur le cours des instrument~
financiers concernés ou sur celui d'instruments financiers dérivés qui leur sant liés» (art. 2,
14°, al. 4). Une simple rumeur ne saurait être considérée comme une information privilégiée.
Tout est une question d' appréciation en fait. Il a ainsi été jugé, en France ou en Belgique, que
revêtaient un caractère suffisamment précis les informations suivantes: la connaissance de
l'existence de pertes même si elles n'étaient pas exactement chiffrées; la connaissance des
difficultés financières de la société qui devaient la conduire très prochainement à déposer son
bilan; la connaissance de pourparlers confidentiels suffisamment engagés pour avoir des chan-
ces raisonnables d'aboutir; la connaissance des résultats positifs de la société, même si la
période de versement d'un dividende exceptionnel est ignoré.
(277) L'information privilégiée peut concerner aussi bien des informations internes à l'émet-
teur (augmentation de dividendes, fusions, changement d'administrateur délégué oude politi-
que d'investissement, ... ) qu'externes à celui-ci (OPA lancée par un tiers, crise politique grave
et inattendue, ordre de bourse relatif à l'acquisition ou la cession de titres, modification nota-
bie des taux des crédits bancaires, mauvaises prestations d'ensemble d'un secteur économi-
que, découverte d'une nouvelle technologie, .... ).
(278) La loi du 2 août 2002 précise qu'une information est considérée comme susceptible
d'influencer de façon sensible Ie cours d'instruments financiers «lorsqu'un investisseur rai-
sonnable serait susceptible d'utiliser cette information en tant que faisant partie des fonde-
ments de ses décisions d'investissement» (art. 2, 14°, al. 5). Pour apprécier si la diffusion de
!'information aurait pu influencer Ie cours du titre, Ie juge doit se replacer au moment de la
commis si on del' acte interdit et examiner si, à ce moment, un «investisseur raisonnable» aurait
pu se douter que !'information, une fois diffusée, pourrait influencer Ie cours du titre. Voyez K.
GEENS et B. SERVAES, «Misbruik van voorkennis nade wet van 6 april 1995: weinig nieuws
onder de zon», op. cit., p. 105. Voyez également Cass., 16 mai 2006, T.R. V., 2006, p. 484, note
M. WAUTERS; Gand, 3 novembre 2005, T.R. V., 2005, p. 400.

81
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX

mation dont ils connaissent ou ne peuvent raisonnablement ignorer le carac-


tère privilégié (279) et (ii) à toute autre personne qui, en connaissance de
cause, dispose d'une information <lont elle sait ou ne peut raisonnablement
ignorer qu'elle est privilégiée et qu'elle provient directement ou indirecte-
ment d'une personne qui détenait !'information en raison d'un lien particulier
avec une société ou un instrument financier, ou en raison de ses activités
criminelles (article 40 de la Loi).

SECTION 2
L'oBLIGATION o'ÉTABLIR LA LISTE DES INITIÉS

61. Les émetteurs de titres cotés doivent établir et communiquer sur de-
mande à la CBFA «une liste de toutes les personnes travaillant pour eux, que
ce soit dans le cadre d'un contrat de travail ou non, et ayant de manière
régulière ou occasionnelle accès à des informations privilégiées concernant
directement ou indirectement l 'émetteur» (article 25bis, § 1er de la Loi).

L'obligation d'établir ces listes est étendue aux «personnes qui agissent au
nom de ces émetteurs ou pour le compte de ceux-ci». L' émetteur peut donc se
contenter de mentionner Ie tiers et se reposer sur celui-ci pour l'établissement
d'une liste détaillée.

Le champ d' application territoria! est déterminé en fonction de la localisation


du marché. Sont seuls concernés les «émetteurs dont les instruments finan-
ciers sont admis, à leur demande ou avec leur accord, aux négociations sur
un marché réglementé beige oufont l'objet d'une demande d'admission aux
négociations sur un tel marché» (280).

Ces listes comprennent (i) l'identité des personnes ayant accès aux informa-
tions privilégiées, (ii) Ie motif pour lequel elles sont inscrites sur la liste, (iii)
(279) Ces raisons particulières sont, notamment, les suivantes: être membre d'un organe d'ad-
ministration, de gestion oude surveillance de l'émetteur ou d'une société ayant des hens étroits
avec l'émetteur; détenir une participation dans Ie capita] de l'émetteur; avoir accès à !'infor-
mation du fait du travail, de la profession ou des fonctions ...
(280) Cependant, Ie Roi peut modifier ces deux paramètres. Il peut, sur avis de la CBFA,
étendre l'application de l'obligation, en tout ou en partie, (i) «aux émetteurs dont les instru-
mentsfinanciers sont admis oufont l'objet d'une demande d'admission aux négociations sur
tout autre marché ou système de négociation alternatif visé à /'article 15 et désigné par Ie Roi
conformément à l 'article 25, § 3, 1 °» et (ii) «aux émetteurs de droit beige dont les instrumentc1·
financiers sont admis ou font l'objet d'une demande d'admission aux négociations sur un
marché réglementé étranger ou sur tout autre marché ou système de négociation alternatif
organisé à l'étranger et désigné par le Roi conformément à l'article 25, § 3, 2°, lorsque ces
émetteurs ne sont pas soumis à des obligations équivalentes dans l 'Etat ou est situé le marc hé
ou système de négociation concemé».

82
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOC!ETES ET EN DROIT FINANCIER

et la date à laquelle elles ont obtenu accès aux informations privilégiées et


(iv) les dates de création et d'actualisation de la liste (article 9 de l'arrêté
royal du 5 mars 2006).

Les listes - conservées pendant au moins cinq ans après leur établissement ou
leur actualisation (article 11 de l'arrêté royal du 5 mars 2006) - doivent être
actualisées «sans délai» (i) en cas de changement du motif d'inscription, (ii)
lorsqu'une nouvelle personne doit être ajoutée et (iii) en mentionnant si et
quand une personne inscrite cesse d'avoir accès à des informations privilé-
giées (article 10 de l'arrêté royal du 5 mars 2006).

Les responsables de la constitution des listes sont tenus de prendre les mesu-
res nécessaires afin que l' attention des personnes qui y figurent et ont accès
aux informations privilégiées soit spécialement attirée sur les obligations lé-
gales et réglementaires qui leur incombent et sur les sanctions prévues en cas
d'utilisation illicite oude diffusion indue de ces informations (article 12 de
l'arrêté royal du 5 mars 2006).

SECTION 3
LA NOTIFICATION DES TRANSACTIONS

62. La liste d'initiés est complétée par une liste d' opérations effectuées par
une catégorie de ceux-ci. Les personnes exerçant des responsabilités diri-
geantes au sein d'un émetteur doivent notifier «à la Commission bancaire,
financière et des assurances les opérations ejfectuées pour leur compte pro-
pre et portant sur des actions dudit émetteur ou sur des instruments dérivés
ou d'autres instruments financiers liés à celles-ci» (article 25bis, § 2, de la
Loi). La CBFA semble admettre que les donations ne constituent pas des
opérations au sens de la directive (281 ).

Les personnes concemées sont (i) les membres des organes (administration,
gestion ou surveillance) d'un émetteur d'instruments financiers et (ii) les res-
ponsables de haut niveau qui, sans être membres des organes, disposent «d'un
accès régulier à des informations privilégiées concernant directement ou in-
directement l 'émetteur et du pouvoir de prendre des décisions de gestion con-
cernant l 'évolution future et la stratégie d 'entreprise de eet émetteur» (article
2, 22° de la Loi) (282).

(281) P.A. FORIERS, op.cit., p. 35.


(282) Quant aux «membres des organes», il s'agit de ceux qui revêtent cette qualité au sein de
la société dont les titres sont cotés et non au sein d'une personne liée. Les membres des orga-
nes des personnes liées peuvent néanmoins entrer dans la seconde catégorie visée par la défi-
nition (en ce sens, P.A. FORIERS, op.cit., pp. 29-31).

83
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX

Cette obligation s'étend aux «personnes ayant un Zien étroit» avec les diri-
geants, à savoir:

- Ie conjoint ou tout autre partenaire considéré «par la loi» comme équiva-


lent;
- les enfants légalement à charge;
- tout autre parent qui partage Ie même «domicile» depuis au mains un an;
- toute personne morale, fiducie, trust ou partnership dont les responsabili-
tés dirigeantes sont exercées par une des personnes précitées, en ce com-
pris Ie dirigeant lui-même, «ou qui est directement ou indirectement con-
trolée par cette personne, ou qui a été constituée au bénéfice de cette
personne, ou dont les intérêts économiques sant substantiellement équi-
valents à ceux de cette personne» (article 2, 23° de la Loi).

Sont concernés les dirigeants de sociétés belges cotées sur un marché régle-
menté beige ou étranger (283) ainsi que les dirigeants de sociétés étrangères
<levant déposer à la CBFA les informations concernant leurs actions (284 ). Le
Roi peut procéder à une extension aux autres marchés belges et, Ie cas échéant,
aux marchés étrangers à défaut d' obligations locales équivalentes.

La notification doit, en principe, intervenir dans les cinqjours ouvrables. Elle


peut toutefois être reportée aussi longtemps que Ie montant total des opéra-
tions effectuées durant l'année civile en cours ne dépasse pas Ie seuil de
5.000 € (article 13 de l'arrêté royal précité) (285). En cas de dépassement du
seuil, toutes les opérations effectuées sont notifiées dans les cinqjours ouvra-
bles suivant l'exécution de la dernière opération. Si Ie montant total des opé-
rations est resté en dessous du seuil durant une année civile entière, les opéra-
tions concernées sont notifiées avant Ie 31 janvier de l' année suivante.

Conformément à l'article 14 de l'arrêté royal du 5 mars 2006, la notification


contient:

- Ie nom du dirigeant ou, Ie cas échéant, de la personne liée;


- Ie motif de l' obligation de notification;
- Ie nom de l' émetteur concerné;

(283) Eu égard à la lecture combinée de l'article 10 de la directive 2003/6/CE et de l'article 6,


§ 1er, de la directive 2004/72/CE et conformément à l 'avis du conseil d'Etat.
(284) En vertu de l'article 10 de la directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil
du 4 novembre 2003 concernant Ie prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs
mobilières ou en vue de I' admission de valeurs mobilières à la négociation.
(285) Le montant total des opérations s'obtient en additionnant les opérations pour compte
propre du «dirigeant» et les opérations pour compte propre des personnes étroitement liées.

84
7
1

LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER

- la description de !'instrument financier;


- la nature, la date, le lieu, Ie prix et Ie montant de l' opération.

La CBFA, qui exige les pièces justificatives, publie individuellement les opé-
rations sur son site, ce qui peut constituer une atteinte à la vie privée, singu-
lièrement lorsque Ie dirigeant est une personne physique.

63. L'effectivité du système repose partiellement sur une forme de dénon-


ciation. Les intermédiaires financiers qualifiés doivent, en effet, «notifier»
sans délai à la CBFA les opérations qui, sur la base d'un examen au cas par
cas, peuvent raisonnablement être suspectées de constituer une infraction (ar-
ticle 25bis, § 4 de la loi et article 16 de l'arrêté royal).

La notification - qui peut être effectuée par lettre, courrier électronique, télé-
copie ou téléphone (286) - contient notamment:

- une description des opérations (ex.: type d'ordre et mode de négociation


utilisé);
- les raisons de soupçonner qu' elles peuvent constituer un abus de marché;
- les moyens d'identification des personnes pour le compte desquelles les
opérations ont été réalisées et des autres personnes impliquées;
- la qualité en vertu de laquelle agit la personne soumise à l' obligation de
notification.

La dénonciation est secrète: les personnes qui procèdent à la notification n'en


informent personne, a fortiori pas les personnes pour Ie compte desquelles
les opérations ont été effectuées ou les parties liées à ces personnes. En outre,
cette notification de bonne foi, opérée conformément aux dispositions léga-
les, ne constitue pas une violation du secret professionnel et elle n'entraîne
dès lors aucune responsabilité.

(286) Sous réserve d'une confirmation écrite lorsque Ja CBFA Ie demande.

85
CHAPITREII
A QUELLES CONDITIONS LE DIRIGEANT
PEUT-IL ENGAGER SA RESPONSABILITE
AQUILIENNE PERSONNELLE A L'EGARD
DES TIERS? LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382
DU CODE CIVIL

DENIS PHILIPPE
Professeur à l'UCL
Avocat au Barreau de Bruxelles et de Luxembourg

GRÉGOIRE GATHEM
Assistant au Centre de Droit des Obligations de l'UCL
Avocat au Barreau de Bruxelles
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

INTRODUCTION

1. Un dirigeant d'une société ne devrait, à première vue, être tenu d'une


quelconque responsabilité que dans les limites strictes prévues par la loi telle
qu'exposée par le professeur Decordt et madame Delvaux,

Et pourtant, la plupart des pays reconnaissent, dans certaines hypothèses, que


les dirigeants peuvent engager leur responsabilité quasi-délictuelle person-
nelle dans l' exercice de leurs fonctions (1 ).

L' on distinguera, dans le cadre de la présente contribution, deux hypothèses;


en premier lieu, l' organe d'une société s' identifiant à la société, celui-ci peut-
il encore voir sa responsabilité personnelle mise en cause; n'est-elle pas ab-
sorbée par la société elle-même? (Titre 1).

En deuxième lieu, qu'en est-il lorsque la société, par son organe, a commis
une faute lors de l'exécution d'un engagement contractuel souscrit par la so-
ciété; le créancier de la société peut-il mettre en cause la responsabilité quasi-
délictuelle de l' organe en pareille hypothèse? Si oui, à quelles conditions?
(Titre 2),

En d'autres termes, un même thème, par exemple la responsabilité du diri-


geant en cas de poursuite d'activités déficitaires, pourra être abordée dans
chacun des titres précités: dans le titre premier sous l'angle de l'existence et
l' appréciation de la faute de l' organe et dans le titre deux, sous l' angle de
l'immunité éventuelle de responsabilité en cas de concours de responsabilité
contractuelle et de la responsabilité quasi-délictuelle.

(1) Voy., infra, sur les autres pays ainsi que P. VAN OMMESLAGHE, Le régime des sociétés
par actions et leur administration en droit comparé, n° 332.

89

J
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

TITRE 1
L'ORGANE

SECTION 1
NonoN

§ 1. Définition

2. Dans Ie sens commun, l' organe est «la partie du corps vivant envisa-
gée par rapport à safonction» (2).

Les personnes morales, dépourvues de cerveau oude jambes, doivent se mou-


voir dans la sphère juridique par l'intermédiaire de personnes physiques, qui
en deviennent les organes.

En droit, l' organe se définit comme « le support nécessaire de l 'activité de la


personne morale ... del' expression de sa volonté - activement et passivement
- et de ses moyens d'action» (3).

Pour assurer la sécurité juridique, ces organes ne pourront agir que moyen-
nant Ie respect de certaines règles. C' est la raison pour laquelle la composi-
tion, les pouvoirs des organes sont institués par la loi.

Ces organes ne devraient pas, si l'on s'en tient à la définition de l'organe,


assumer une responsabilité distincte de la personne qu' ils incarnent. L' on ver-
ra cependant que cette sorte de dédoublement de la personnalité juridique a
embarrassé les juristes qui n' ont pas toujours pu cerner ce qui était Ie fait de la
personne physique, le fait de la personne morale ou le fait des deux personnes.

§ 2. Qui sont les organes?

3. Le gérant, !'associé actif ou le conseil d'administration sont, dans les


sociétés ou ils sont respectivement mentionnés, les organes par excellence.

(2) Dictionnaire Littré, 1960; voy. aussi la même définition dans Ie Littré en ligne.
(3) P. VAN OMMESLAGHE, «La théorie de l'organe évolutions récentes», Mélanges Coipel,
2004 p. 765; Voy. not. Y. DE CORDT, «Chronique d'une valse-hésitation: la responsabilité
aquilienne des organes de société», R.P.S., 2005 n° 6938, note sous Cass., 20 juin 2005;
G. HORSMANS, «La transparence organique et fonctionnelle et la responsabilité des orga-
nes», Mélanges Van Gerven, Kluwer, 2000, pp. 557 e.s.; V. SIMONART, «La quasi-immunité
des organes de droit privé», note sous Cass., 7 novembre 1997, R.C.J.B., 1999, pp. 732 e.s. B.
TILLEMAN, Bestuur van vennootschappen, 2005, p. 534.

90
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

Les membres du comité de direction dans les sociétés anonymes peuvent être
considérés comme des organes, Les représentants permanents des personnes
morales administrateurs sant également des organes de ces personnes mora-
les (3), L'administrateur provisoire est lui aussi un organe.

Les personnes chargées de la gestion journalière, comme !'administrateur


délégué, sant également des organes. Par contre, les membres qui agissent
sur la base d'une délégation, ne sant pas des organes (4).

Le gérant ou administrateur de fait est souvent assimilé à !'administrateur ou


gérant de droit, à tout le mains en ce qui concerne la responsabilité (5).

SECTION 2
EvoLUTION ET RÉGIME DE LA THÉORIE DE L'ORGANE

Sous-section 1
Apport du droit administratif

§ 1. Genèse

4. C' est dans les philosophes allemands et dans l' école du droit naturel
que les auteurs, publicistes, ont pu trouver une analyse conceptuelle de la
notion d'organe (6).

Sur le plan juridique, ce sant les publicistes qui ont, les premiers, développé
cette théorie (7). Elle apparaît déjà sous la plume du premier avocat général
Mesdach de ter Kiele en 1881 (8).

C' est en 1921 que la Cour de cassation fit, pour la première fois, référence à
la notion d'organe (9). Lajurisprudence s'est ensuite attachée, dans de nom-

(4) Ibidem,
(5) T. TILQUIN et V. SIMONART, Traité des sociétés, tome I, 1996, p. 751, n° 1014 infine, p.
768; Cass., 11 décembre 1961, Pas., 1962, I, p. 445.
(6) Léon MICHOUD, La théorie de la personnalité mora/e L.G.D.J. (l'ouvrage a fait l'objet
de plusieurs éditions). R.O. DALCQ, «Traité de la responsabilité civile», Novelles, V, 1968,
Tome 1, n° 1349.
(7) Voy. L. MICHOUD, La théorie de la personnalité morale, L.G.D.J., (l'ouvrage a fait l'ob-
jet de plusieurs éditions); R.O. DALCQ, Traité, Tome 1, n° 1349.
(8) Conclusions sous Cass., Ier décembre 1881, Pas., 1881, 415.
(9) Cass., 12 juillet 1921, Pas., I, p. 311. Voy. les arrêts subséquents: Cass., 16 octobre 1922,
Pas., 1923, I, p. 14; 13 décembre 1923, Pas., 1924, I, p. 82.

91
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

breuses décisions, à déterminer qui, dans Ie corps administratif, devait être


considéré comme organe (10).

Le législateur est intervenu par une loi du 10 février 2003 pour apporter une
plus grande sécurité dans la définition de l' organe ( 11 ). Désormais, les mem-
bres du personnel au service d'une personne publique, dont la situation est
réglée statutairement, bénéficieront d'une immunité de responsabilité civile
équivalente à celle que connaissent les travailleurs liés par un contrat de tra-
vail. Le bénéfice de cette loi ne visera pas les représentants indépendants de
l'autorité tels que les mandataires politiques et les membres du pouvoir judi-
ciaire.

§ 2. Régime

S. En droit administratif, la personne morale est tenue même dans l'hy-


pothèse ou l'organe commet une faute lourde (12).

Lorsque l' organe commet une faute quasi-délictuelle, la victime dispose d'un
recours contre la personne de droit public et contre l' organe personne physi-
que (13); ceux-ci sont responsables in solidum (14). La personne morale de
droit public dispose alors d'un recours contre la personne physique qui a com-
mis la faute.

Ce régime a été critiqué dans la mesure ou la théorie même de l' organe lais-
serait supposer que seule la personne morale et non la personne physique, qui
lui permet de s' ex primer sur Ie plan juridique, devrait être responsable (15).

(10) R.O. DALCQ, Traité, Tome !, n° 1361.


(11) Ace sujet, voy. B. DUBUISSON, «La loi du 10 février 2003 relative à la responsabilité
des personnes publiques et de leurs agents», J.T., 2003, p. 507; B. DE CONINCK, «Responsa-
bilité des personnes publiques, La théorie de l'organe aux oubliettes!», Journ. Jur. 2003, liv.
20, p. 11.
( 12) R.O. DALCQ, Traité, Tome 1, n° 1383 et la jurisprudence citée.
(13) R.O. DALCQ, Traité, Tome 1, n° 1413.
(14) R.O. DALCQ, Traité, Tome 1, n° 1419. Voy. C. GOOSSENS, «La responsabilité des
organes des personnes morales et, spécialement, des organes des personnes morales de droit
public», note sous Cass., 3 octobre 1955, R. C.J.B., 1958, p. 43.
( 15) J. WINDEY, «Incidence du concordat et de la faillite sur la responsabilité des administra-
teurs et fondateurs», R.D. C., 2001, p. 313. L' auteur cite un arrêt de la Cour de cassation du 11
mai 1981 (R. W, 1982-1983, p. 381) qui a rejeté un pourvoi contre un arrêt qui avait retenu la
seule responsabilité de l'Etat et non celle du fonctionnaire dont la qualité d'organe n'était pas
contestée.

92
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVJL

Sous-section 2
Emergence et régime de la théorie de l'organe en droit des sociétés

§ 1. Emergence

6. C' est en 1946 que, pour la première fois, la Cour de cassation beige a
fait application de la théorie de l'organe en droit des sociétés, La Cour suprê-
me a décidé que:

«Si l'organe de la personne morale s'absorbe en elle au point de n'en pou-


voir être détaché, les personnes physiques, dont le groupement constitue l 'être
collectif, rest ent pa,faitement distinctes. En même temps qu 'agit la personne
morale, il y a toujours une ou plusieurs personnes physiques qui agissent. En
même temps que commet une faute la personne morale, il y a toujours une ou
plusieurs personnes physiques qui commettent une faute; l 'article 1382 les
contraint à en répondre personnellement.».

Le Code des sociétés énonce par ailleurs, en son article 61, que:

«Les sociétés agissent par leurs organes dont les pouvoirs sant déterminés
par le présent code, l 'objet social et les claus es statutaires. Les membres de
ces organes ne contractent aucune responsabilité personnelle relative aux
engagements de la société.».

§ 2. Régime

7. Principe. En cas de faute extracontractuelle de l' organe, la personne


morale voit sa responsabilité directement engagée. Ceci s' applique non seu-
lement à la responsabilité basée sur les articles 1382 et suivants du Code civil
mais aussi à la responsabilité basée sur les troubles de voisinage et la respon-
sabilité objective.

8. Quelles sont les limites de cette responsabilité?

La capacité d' agir de la personne morale est limitée par sa spécialité légale et
statutaire (16). Ainsi, une société à but de lucre doit agir dans eet objectif.

(16) B, TILLEMAN, «Bestuur van vennootschappen», Statuut, interne werking en ver-


tegenwoordiging, Séries Recht en Onderneming, n° 13, Bruges, die Keure 2005, p, 533,

93
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM

L' on sait cependant que cette capacité est appréciée de manière large ( 17). De
même, si la personne morale doit agir dans Ie cadre de l' objet social, les
limites ainsi fixées doivent faire l' objet d'une interprétation raisonnable (18).

Pour que la responsabilité de la personne morale soit engagée, l' organe doit
avoir agi dans Ie cadre de ses fonctions (19). La Cour de cassation a énoncé:
«Un être mora!, notamment une société anonyme, ne peut agir qu 'à l'inter-
vention de personnes physiques, ses organes; mais ceux-ci ne s 'identifient
avec l 'être mora! que s 'ils restent dans les limites de leurs attributions» (20).

Par ailleurs, il ne doit pas avoir commis d' abus de fonctions. «La société
n 'existe que pour un objet que circonscrivent et à des conditions qu 'imposent
la loi et les statuts, quand les administrateurs font sortir la société des homes
qui limitent son existence, ils ne peuvent plus invoquer Ie bénéfice de l'irres-
ponsabilité personnelle, ils ont eux-mêmes répudié Ie fondement de cette im-
munité » (21 ).

9. L' organe, auteur de la faute, est-il personnellement responsable à cóté


de la société?

Comme en droit administratif, l' organe est traditionnellement tenu pour per-
sonnellement responsable en cas de faute extracontractuelle. La responsabili-

(17) P. VAN OMMESLAGHE op.cit., in Mélanges M. CO/PEL, 2005 p. 773; V. SIMON ART,
op. cit., R. C.J.B., 1999, p. 755. Ainsi une société ne peut constituer une sûreté pour les engage-
ments personnels d'un administrateur. K. BYTTEBIER, Wettelijke specialiteit van vennoots-
chappen, De NV in de praktijk, 2001, Inl. 8-4.
(18) Voy. not.Gand 1er février 2001, T.R. V., 2002, p. 325. Les sociétés anonymes, les sociétés
en commandite par actions et les sociétés privées à responsabilité limitée sont soumises à un
régime plus favorable aux tiers puisqu' elles sont liées par les actes accomplis par leurs organes
même en cas d' excès de pouvoir sauf si les tiers connaissaient eet excès de pouvoir.
(19) «Lafaute de l'organe d'une société engage son mandant lorsqu 'il s 'agit de la mauvaise
exécution d'un acte que l' organe avait Ie pouvoir ou le devoir d'accomplir ou plus simplement
lorsqu 'il s'agit d'un acte rentrant dans la sphère des attributions de l'or[Jane». R.O. DALCQ,
n° 1427. La Cour de cassation a énoncé que la responsabilité de l'organe est mise en cause
lorsque Ie fait générateur consiste en «la mauvaise exécution d'un acte qu 'en raison de ses
fonctions propres, eet organe avait Ie pouvoir d'accomplir». Cass., 15 janvier 1946, Pas.,
1946, I, p. 25 (il s'agissait de la responsabilité de l'Etat); P. VAN OMMESLAGHE, op.
cit.,Mélanges M. Coipel, 2005 p. 777; V. SIMONART, op.cit., R.C.J.B., 1999 p. 755.
(20) Cass., 31 mai 1957, Pas., 1957, p. 1176 et les conclusions conformes du Procureur géné-
ral Hayoit de Termicourt.
(21) Rapport de M. Pirmez à la Commission, GUILLERY, Commentaires législatifç, II, n° 51,
p. 124.

94
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

té de l' organe et de la personne morale seront engagées in solidum (22), un


recours pouvant être exercé par la personne morale contre l 'organe sur le pied
de l'article 1251, 3° du Code civil, qui prévoit la subrogation pour ceux qui
sont tenus avec d'autres ou pour d'autres ou sur la base contractuelle, le cas
échéant.

Il est également responsable en cas de faute contractuelle, lorsque la «défini-


tion de la miss ion conférée à l 'organe implique que le bénéfice en soit étendu
à des tiers qui pourront alors se prévaloir de la mauvaise exécution de la
mission» (23).

SECTION 3
EvoLUTION DE LA JURISPRUDENCE DE LA CouR DE CASSATION

Sous-section 1
Arrêt du 29 juin 1989 (24)

10. Cet arrêt portait sur les faits suivants,


Une A.S.B.L. organisait un festival de musique; alors que le budget élaboré
par les administrateurs s' élevait à 1.195.000 FB, 4.044.233 FB ont été dépen-
sés alors que les recettes de l'événement s'élevaient à 589.655 FB et que
l'avance de subsides se chiffrait à 400,000 FB. Ace manque de prévoyance
s'ajoutaient la désertion des fonctions statutaires et l'abandon de la personne
morale. Ainsi, les formalités préalables à la mise en liquidation des subsides
n' ont pas été accomplies, malgré invitations et rappels à le faire.

Pour retenir la responsabilité personnelle des administrateurs, la cour d' appel


avait mis en exergue leur imprévoyance, leur inertie coupable, leur indiffé-
rence en vers les devoirs de leurs fonctions, leur mépris envers les intérêts des
tiers.

La Cour de cassation a rejeté Ie pourvoi introduit contre eet arrêt et a énoncé


que:
«L'administrateur d'une association sans hut lucratif qui a engagé celle-ci
envers un tiers est personnellement responsable du dommage qu 'il a causé à

(22) R.O. DALCQ, op. cit., n° 1427; en matière d'accident du travail, l'employeur bénéficie
d'une immunité de responsabilité (art. 46 de la loi de 1971; cette immunité s'étend également
à !'administrateur. Voy. B. DUBUISSON, CUP, Les immunités civiles ou Ie déclin de la res-
ponsabilité individuelle, coupables mais pas m,ponsables, 2004, pp. 73 e.s.
(23) P. VAN OMMESLAGHE, op.cit., p. 780.
(24) R.P S., n° 6514.

95
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

ce tiers par unefaute constituant un manquement à l'obligation de prudence


et de diligence qui s'impose à tous».

Dans les faits, la faute a eu lieu dans l'exécution du contrat entre l' ASBL et
ses cocontractants dans Ie cadre de l'organisation du festival.

La possibilité d'engager la responsabilité quasi-délictuelle de l'organe a été


approuvée par MM. Van Ryn et Dieux. Les auteurs retiennent que les diri-
geants mettent en cause leur responsabilité lorsqu'ils agissent avec déloyauté
ou impéritie trompant ainsi la confiance légitime de la personne lésée. (25).

Sous-SECTION 2
ÁRRÊT DU 7 NOVEMBRE 1997

ll. Un gérant d'une SPRL active en courtage en assurances avait garanti à


un dient qu'il était assuré contre les risques d'émeute.
Or, cette information était fausse, Ie gérant n' ayant pas trans mis l' acceptation
par Ie dient de la proposition d'assurances à la compagnie d'assurances.

La cour d'appel avait considéré que la responsabilité quasi-délictuelle du gé-


rant était engagée.

Cet arrêt fut cassé par !'arrêt précité. En effet, la Cour applique Ie régime des
agents d'exécution aux organes (25bis). Rappelons qu'il faut établir, dans ce
régime, non seulement la violation d'une norme qui s'impose à tous mais
aussi la preuve que le dommage est autre que celui qui découle de la mauvai-
se exécution du contrat conformément aux règles du concours de responsabi-
lité (voy., infra, Titre 2).

La responsabilité quasi-délictuelle ne pouvait être retenue dans la mesure ou


la victime ne rapportait pas la preuve de cette seconde condition d'applica-
tion.

12. Cet arrêt sera commenté dans le titre second de la présente étude, puis-
qu'il applique à l'organe les règles d'immunité de responsabilité de !'agent
d'exécution en cas de concours de responsabilités (voy., infra, Titre 2).

(25) R.P. S., n° 6511, 1989, spéc. p. 101, et des mêmes auteurs, «La responsabilité des adminis-
trateurs ou gérants d'une personne morale à l'égard des tiers», J.T., 1988, p. 401.
(25bis) Voy arrêt du 7 décembre 1973 et les réf. citées infra en note infrapaginale 79.

96
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

Cette assimilation de l'agent d'exécution à l' organe a été pertinemment criti-


quée par Madame Simonart dans sa note précitée. Nous y reviendrons ulté-
rieurement.

Ceci étant, l' on peut, dès à présent, écrire que la règle énoncée dans eet arrêt
est toujours reconnue et appliquée aujourd'hui.

Sous-section 3
Arrêt du 16 février 2001

13. Cette décision s'engage résolument vers une immunité renforcée de


l' organe (26).

L'arrêt portait sur les faits suivants. Une S.P.R.L. avait donné à bail commer-
cial le rez-de-chaussée d'un immeuble. Les gérants n'avaient pas signalé, à la
conclusion du bail, que l' on procéderait peu après au ravalement de la façade
de l' immeuble.

Le cocontractant victime de cette dissimulation postulait la condamnation de


la S.P.R.L. et de ses gérants.

Le tribunal de première instance de Bruges, statuant en degré d' appel, avait


retenu la seule responsabilité de la S.P.R.L., écartant celle des gérants.

Le pourvoi critique cette décision, dans la mesure ou les organes restent res-
ponsables de leurs fautes personnelles même s'ils oot commis celles-ci en
tant qu'organes.

Ce moyen est rejeté par la Cour suprême en les termes suivants:

«Attendu que, lorsqu'un organe d'une société ou un mandataire agissant dans


le cadre de son mandat commet unefaute ne constituant pas un délit au cours
de négociations donnant lieu à la conclusion d'un contrat, cettefaute engage
non pas la responsabilité del' administrateur ou du mandataire mais celle de
la société ou du mandant;
Attendu que le jugement attaqué constate que les premier et deuxième défen-
deurs ont agi en leur qualité d'organe de la s.p.r.l. Desender Interieur Desi-
gn, à tout le mains en qualité de mandataires chargés de conclure le bail
commercial avec la demanderesse et que, bien qu 'ils aient eu connaissance
de la restauration envisagée, ils ont dissimulé ce fait;

(26) Pas., I, n° 94, p. 301; R.D. C., 2002, p. 698 et note C. GEYS.

97
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM

Que, dès lors, c 'est à bon droit que Ze jugement attaqué décide que la faute
commise par les premier et deuxième défendeurs au cours des négociations
ayant abouti à la conclusion du contrat a été commise pour Ze compte de la
s.p. r. l. et qu 'ils ne peuvent en être tenus personnellement responsables».

14. Cet arrêt, au demeurant fort critiqué (27), s'engage dans la direction de
l'immunité de l'organe.

Il soumet Ie mandataire et l' organe au même régime; ce qui est fort discuta-
ble.

Cet arrêt a été suivi notamment par une décision du tribunal de commerce
d'Hasselt qui a considéré que, en cas de faute dans la négociation d'un con-
trat de crédit, faute consistant en la communication d'informations financiè-
res fautives, seule la société et non les administrateurs étaient tenus. (28)

Sous-section 4
Arrêt du 20 juin 2005 (28bis)

15. Celui-ci constitue un retour à une solution plus classique. Il s'agissait,


ici aussi, d'une hypothèse de responsabilité précontractuelle mais, contraire-
ment à l'arrêt de 2001, celui de 2005 retient la responsabilité personnelle des
organes à cóté de celle de la société.

(27) Voy. P.A. FORIERS, «Immunité des agents d'exécution - Représentation et responsabili-
té des administrateurs: quelques développements récents» in Groupes de contrats et ensem-
bles contractuels, Chaire Francqui, 2004-05, n° 9-6, p. 11; D. VAN GERVEN, Kroniek Ven-
nootschapsrecht 2004 - 2005; T.R. V., 2005, n°s 70 ets.; P. DE WOLF, «Variations sur la res-
ponsabilité des administrateurs», DAOR, 2005, p. 95; J. VANANROYE, Enkele evoluties in-
zake bestuurs aansprakelijkheid, in Vennootschaps- en Financieel Recht (2004-2005), p. 77;
P. VAN OMMESLAGHE, op. cit, p. 765; V. SIMONART, «La théorie de l'organe», Mélanges
M. Coipel (2004 ), p. 713; X. DIEUX, «La responsabilité civile des administrateurs ou gérants
d'une personne morale à l'égard des tiers», Mélanges J. Kirkpatrick (2004), p. 225; H. DE
WULF, «Het Hof van cassatie en de extra-contractuele aansprakelijkheid van vennootschaps-
bestuurders», Mélanges C. De Wulf (2003), p. 541; P. KILESSE et C. STAUDT, «La responsa-
bilité de !'administrateur et du réviseur d'entreprises dans les sociétés anonymes», Dernières
évolutions en droit des sociétés (2003), p. 3.
(28) Comm. Hasselt, 25 juin 2002 et note J. VANANROYE.
(28bis) D.A.O.R., 2005/86, p. 340, note G. GATHEM, J.T., 2006, p. 435 note L. BIHAIN,
J.L.M.B., 2005, p. 1199, R.A.B.G., 2005, p. 1549, note I. BLOCKX et E. JANSSENS, R.G.A.R.,
2006, note C. DALCQ, Rev. not. b., 2006, p. 665, note X. DIEUX, R.D.C., 2006, p. 418, note
A. COIBION, R.G.D.C., 2005, p. 473, R.PS., 2006 p. 183, note Y. DECORDT.

98
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

La S,A,R.L. de droit luxembourgeois Comptigest cède une branche d'activi-


tés portant sur la domiciliation de sociétés et son suivi administratif, L' acqué-
reur se rend compte, peu après l'acquisition, que Ie propriétaire de l'immeu-
ble luxembourgeois ou Comptigest exerçait son activité n' acceptait plus aucune
domiciliation; les gérants de Comptigest en avaient été informés mais ne
l'avaient pas signalé au cessionnaire de la branche d'activités.

Ceux-ci citent les gérants sur la base de la culpa in contrahendo et s'abstien-


nent de citer la société.

Le premier juge tout comme la cour d'appel retiennent la responsabilité per-


sonnelle des gérants. La cour d'appel retient la coexistence de la responsabi-
lité personnelle de l' organe et de la société.

Le pourvoi faisait grief à l' arrêt attaqué d' avoir retenu la responsabilité per-
sonnelle del' organe alors que seule celle de la société pouvait être engagée.

Le premier avocat général Leclercq conclut à la cassation de l' arrêt, se réfé-


rant à l' arrêt du 16 février 2001. Il considère:
«Le mandataire qui a agi conformément aux instructions prévues dans le
mandat n 'engage, en principe, que la responsabilité du mandant ou de la
société. Ce n'est que lorsque l'organe agit en dehors de sesfonctions qu'il
engage sa responsabilité aquilienne. La situation du mandataire est donc
plus favorable que celle de l 'agent d' exécution, ce dernier engageant sa res-
ponsabilité même en restant dans les limites de ses fonctions pourvu que tant
lafaute que le dommage causé soient distincts de ceux résultant d'une mau-
vaise exécution du contrat. L' organe s 'identifie à la personne morale tand is
que ['agent d' exécution est un tiers que la personne morale se substitue pour
exécuter son contra!. L'organe ne deviendrait agent d'exécution que dans la
mesure ou il est employé ou sous-traitant de la société. Rien ne justifie des
dérogations à la théorie de l'organe selon que le dirigeant ait commis une
faute à l 'occasion ou non de l 'exécution d 'un contrat conclu par la personne
morale. Il résulte de la théorie de l'organe que les personnes agissant en tant
qu 'organes n 'eng agent, en principe, pas leur responsabilité personnelle pour
les engagements pris dans l 'exécution de leurs fonctions pour la personne
morale, même si celle-ci n 'exécute pas ses engagements.
Les organes d'une société commerciale sant responsables envers la société et
envers les tiers de tous dommages et intérêts résultant d'infractions aux dis-
positions de la législation sur les sociétés commerciales et aux statuts so-
ciaux. Les organes sant responsables des fautes de gestion uniquement en-
vers leur mandant.
Ce n 'est, en principe, que lorsque les organes ne respectent pas la législation
sur les sociétés commerciales et les limites des statuts, qu 'ils engagent leur
responsabilité civile envers les tiers qui en sant victimes. ».
99
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM

16. Revenant sur la jurisprudence du 16 février 2001, l' arrêt du 20 juin


2005 retient, quant à lui, la coexistence de responsabilité. L' arrêt énonce que
«si lafaute commise par l'organe d'une société au cours de négociations
préalables à la conclusion du contrat engage la responsabilité directe de
cette personne morale, cette responsabilité n 'exclut pas, en règle, la respon-
sabilité personnelle de l 'organe mais coexiste avec celle-ci».

Le pourvoi présupposait que les mêmes règles trouveraient application tant à


l'organe qu'au mandataire.

S'agissant du régime du mandataire, la Cour suprême dispose: Que, dans la


mesure ou il soutient que les demandeurs auraient «à tout ie mains» agi en
tant que mandataires de la société, ie moyen manque en fait». En d' autres
termes, l'arrêt estime qu'un organe ne peut pas être purement et simplement
assimilé à un mandataire.

L' on ne peut que constater le caractère tortueux de l' évolution jurispruden-


tielle dans une matière, il est vrai, fort complexe.

L'on peut résumer cette jurisprudence comme suit: en !'absence de contrat


entre le tiers et la société, !'administrateur sera tenu in solidum avec la per-
sonne morale en cas de faute aquilienne ayant causé dommage à un tiers. Sa
responsabilité coexiste en principe avec celle de la société. En présence d'un
contrat entre le tiers et la société, l'on appliquera la théorie du concours de
responsabilités: le dirigeant sera responsable en cas de violation d'une norme
s'imposant à tous et en présence d'un dommage qui est autre que contractuel
(voy; infra, Titre 2).

SECTION 4
BREF APERÇU DE DROIT COMPARÉ

Sous-section 1
Le droit français

17. Celui-ci faisant l'objet d'un exposé dans Ie cadre du présent colloque,
il ne nous semble pas opportun de nous y attarder. Mentionnons simplement
que Ie droit français limite la responsabilité des organes aux «fautes détacha-
bles ou séparables de leur mission au service de la société» (29).

(29) Article 1.225-251 du Code de commerce. Voy. l' exposé du professeur COURET, pp. 149
e.s.; voy. Y. DE CORDT, note précitée, n° 16.

100
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

Une faute grave peut donc constituer un acte non détachable (30), La gravité
de la faute n'a donc pas été retenue.

Sous-section 2
Droit allemand et droit anglais

18. Le droit allemand retient aussi la possibilité de mettre en ceuvre la res-


ponsabilité quasi-délictuelle des dirigeants, de manière tout aussi assez rare
(31).

Ainsi, si Ie dirigeant d'une société revend à un tiers un véhicule qu'il ne pou-


vait revendre en raison d'une clause de réserve de propriété (32). Il s'agit
d'une infraction au § 823, I, du BGB qui sanctionne la violation au droit de
propriété des biens que l'auteur du délit se devait de protéger.

Les hypothèses dans lesquelles la responsabilité quasi-délictuelle des diri-


geants est mise en cause en droit anglais, sont assez limitées. Dans !'affaire
Williams v. Natura! Life Health Foods Limited (33), la cour d'appel avait
retenu la responsabilité du dirigeant d'une société de franchise qui avait don-
né des informations erronées sur Ie réseau de franchise et sur les produits
diététiques dont il assurait la distribution. La House of Lords a rejeté la res-
ponsabilité. La Cour suprême a considéré, chaque juge se ralliant à la motiva-
tion de Lord Steyn, que Ie dirigeant ne peut être tenu personnellement pour
des informations erronées données au nom de la société que si Ie dirigeant
assume la responsabilité personnelle de eet avis.

Les hypothèses de responsabilité personnelle des dirigeants portent générale-


ment sur une fraude commised par les dirigeants (33bis).
(30) Y. DE CORDT, loc. cit.
(31) Voy. H. GUMMERT, «Zivilrechtliche Haftung des Vorstands», p. 6/5.4., AG Handbuch,
Praxis und Vorstand in der Praxis, Verlag Dashöfer.
(32) 8.G.H., 5 décembre 1989, N.l. W, 1990, p. 976; voy., pour une hypothèse similaire, B.G.H.,
12 mars 1996, N.l. W, 1996, p. 1535; la responsabilité n' a pas été retenue dans l' arrêt du
B.G.H., 13 avril 1994, N.J.W, 1994, p. 1801. Dans les trois cas, il s'agit de sociétés privées à
responsabilité limitée (GmBH).
(33) Voy. Williams v. Natura/ Life Health Foods Ltd [1997] 1 BCLC 131; MAYSON, FRENCH
& RYAN, On Company Law, 19ed, 2002-2003, pp. 501 e.s.
(33bis) House of Lords, Standard Chartered Bank v. Pakistan National Shipping Corp., 2)
[2003] 1 All ER 173; pour un rejet de la responsabilité personnelle, voy. Court of Appeal in
Trustor AB v Smallbone [2002] BCC 795. Voy. aussi Court of Appeal in Adams v Cape Indus-
tries Plc [ 1991] 1 All ER 929; Voy. Pour une comparaison entre Ie droit allemande et Ie droit
anglais, HOLGER FLEISCHER Geschäftsführerhaftung gegenüber auBenstehenden Dritten
im englischen Gesellschaftsrecht - Vergleichende Betrachtungen zu einer aktuellen Grundat-
zentscheidung des House of Lords, Zeitschrift fûr Unternehemens- und Gesellschaftsrecht,
Janvier 2000, Vol. 29, n° 1, pp. 152 à 165; voy. Aussi pour un aperçu comparatif portent sur Ie
droit allement et Ie droit américain, l'article précité de H. DE WULF.

101
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

SECTION 5
CoMPARAISON ENTRE L' ORGANE ET LES CONCEPTS JURIDIQUES VOISINS: AGENT D'EXÉ·
CUTION, PRÉPOSÉ ET MANDATAIRE

Sous-section 1
Relations entre l'agent d'exécution et l'organe
19. «Il faut comprendre par «agent d' exécution» toute personne à qui le
cocontractant s'est substitué dans l'exécution de tout ou partie des obliga-
tions contractuelles assumées par à l 'égard de son propre créancier» (34 ). Il
s'agira souvent de prestations matérielles.

L' organe identifie la personne morale; l' agent d' exécution se substitue au
contractant principal dans l'exécution d'un contrat. La personne morale vit à
travers ses organes qui peuvent prendre les décisions; l'agent d'exécution
doit, moyennant paiement, exécuter des prestations contractuellement défi-
mes.

Nous souscrivons à la thèse de Madame Simonart qui estime que l'organe


mérite un régime particulier, différent de cel ui de l' agent d' exécution.

Sous-section 2
Relations entre Ie mandataire et l 'organe

20. Le mandataire accomplit un acte juridique au nom et pour le compte


du mandant. Comme la société est responsable des engagements régulière-
ment souscrits par ses organes, le mandataire est, aux termes de l' article 1998
du Code civil, tenu des engagements souscrits par Ie mandataire.

L' on considère sou vent que le mandataire est un organe (35).

L' organe comme le mandataire posent des actes juridiques en faveur, l 'un, de
la personne morale, l' autre, du mandant.

(34) B. DUBUISSON, «Responsabilités, Traité théorique et pratique», Responsabilité con-


tractuelle et responsabilité extracontractuelle, Volume I, partie préliminaire, n° 49, 2003, Dos-
sier 3, p. 36; Voy., sur la problématique, P.A. FORIERS, «Actualités en matière de représenta-
tion», Actualités du droit des obligations, Bruylant, 2005, pp. 1 et s.; V. SIMONART, note
citée, R.C.J.B., 1999, p. 747.
(35) Par exemple, dans la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de
l'exécution de leur travail, on ne distingue que trois catégories de personnes: l'employeur (la
personne morale), les mandataires (les administrateurs, par exemple) et les préposés.

102
LES PIEGES DE L' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

L' organe représente toujours une personne morale tandis que Ie mandant re-
présente soit une personne morale, soit une personne physique.

L' organe dispose des pouvoirs délimités par la spécialité de l' organe mais
larges dans la mesure ou il constitue la bouche et la main de la personne
morale; dans les limites de cette spécialité et des prérogatives des autres orga-
nes, l' organe prend lui-même les décisions de la personne morale tandis que
Ie mandataire agit sur les instructions d'un mandat (36); certes, que Ie manda-
taire peut certes disposer d'un mandat général mais, souvent, il ne se verra
confier que l' accomplissement d'un acte juridique relativement spécifique.

Le pouvoir de l' organe d' engager la société est strictement réglementé par la
loi, qui vise à protéger les tiers (37). Le cocontractant du mandataire doit
demander l'acte de mandat pour vérifier si Ie mandataire pouvait valable-
ment représenter Ie mandant.

Le mandataire engage, en règle, sa responsabilité personnelle lorsqu' il excè-


de ses pouvoirs (38). Il en est de même de l' organe sous réserve des règles
légales qui protègent les tiers (39).

Nous crayons que l' organe étant plus étroitement lié à la société que Ie man-
dataire au mandant, l'approche dans l'appréciaton de la faute doit être dis-
tincte.

Quid des quasi-délits? «Il est généralement admis que le mandataire reste
personnellement responsable envers les tiers des dé lits et quasi-délits qu 'il
peut commettre à leur préjudice dans l 'accomplissement de sa mission» (40).

End' autres termes, de manière générale, il n'y aura pas cumul de responsabi-
lité sauf dans quelques hypothèses, notamment l'hypothèses du dol dans la
formation du contrat. Relevons ainsi un arrêt de la Cour de cassation du 22
avril 1985 qui rend Ie mandant responsable d'une culpa in contrahendo com-
mise par Ie mandataire, par la voie du mécanisme de la représentation (41).

(36) Il est intéressant de rapprocher, à eet égard, Ie mandat de la fiducie ou du trust, dans la
mesure ou les étendues du pouvoir du trustee sont beaucoup plus larges. Voy. J. HERBOTS et
D. PHILIPPE (eds.) Le trust et la fiducie, Bruylant, 1997 (Ie sujet est abordé dans les différen-
tes parti es de l 'ouvrage ).
(37) T. TILQUIN et V. SIMON ART, Traité des sociétés, tome I, 1996, p. 751, n° 988.
(38) B. TILLEMAN, op. cit., n° 386.
(39) Voy., pour la société anonyme, l'article 522 du Code des sociétés.
(40) Ibidem, p. 37. P. WERY, Le mandat, Rép. Not., t. IX, Livre VII, Larcier, 2000, p. 231,
n° 190; B. TILLEMAN, Le mandat, Story Scientia, p. 3.
(41) P. -A. FORIERS, op.cit., p. 7.

103
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM

21. Quid du mandataire substitué?


Le mandataire peut se faire représenter par un mandataire substitué qui agit
directement pour le compte du mandant. Le mandant dispose d'une action
directe contre le mandataire substitué selon les termes de l'article 1994, ali-
néa deux, du Code civil (42).

Alors que la substitution est prévue par le Code civil en matière de mandat,
!'administrateur ne pourra déléguer ses prérogatives que dans des conditions
strictes et limitées (42bis ).

22. Quid du mandat apparent?


La théorie de l' apparence pourrait trouver application dans certaines hypo-
thèses en droit des sociétés comme elle s'applique en droit civil (43).

Rappelons la règle énoncée dans l'arrêt de la Cour de cassation du 25 juin


2004: «une personne peut être engagée sur le fondement du mandat apparent
si l 'apparence lui est imputable, c 'est-à-dire si elle a, librement, par son com-
portement, même non fautif, contribué à créer ou à laisser subsister cette
apparence» (44).
Mais celle-ci a moins de raisons de s'appliquer car Ie nom des administra-
teurs est publié et le pouvoir de représentation des organes est réglementé par
la loi.

Ceci étant, la société pourrait, dans certaines hypothèses, être tenue des fau-
tes quasi-délictuelles commises par l' organe qui agit en de hors de l' exercice
de ses fonctions, en se basant sur la théorie de l'apparence (45).

Le mandat est contractuel, l' organe constitue un mécanisme institutionnel.


Ceci explique nombre des règles différentes étudiées et la nécessité d' appli-
quer à l'organe et au mandataire des régimes de responsabilité distincts.

Sous-section 3
Relations entre Ie préposé et l'organe

23. Le préposé est lié au commettant par un lien de subordination et ac-


complit les prestations que lui indique Ie commettant, sous son autorité.

(42) P. WERY, op.cit., pp. 186 e.s.


(42bis) B. TILLEMAN, Bestuur van vennootschappen, 2005, n° 792, 930.
(43) B. TILLEMAN, op.cit., p. 263; P. AFORIERS, op.cit. p. 18.
(44) C.02.0122.F., Pas., 2004, 1162; R.G.D.C., 2004, 457.
(45) G. HORSMANS, op.cit., p. 569 in Mélanges W. VAN GERVEN, Kluwer, 2000.

104
LES P!EGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

Le commettant répond du fait des préposés sur la base de l'article 1384, ali-
néa trois, du Code civil.

Le préposé est, aux termes de l' article 18 alinéa premier de la loi du 3 juillet
1978 sur le contrat de travail, exempt de responsabilité sauf en cas de dol,
faute lourde ou de faute légère et habituelle.

L' organe n' est pas, en règle, lié par un lien de subordination à l' égard de la
société; il l'incarne. L'assimilation ne serait donc pas concevable au niveau
de la responsabilité, sauf lorsqu'un organe est lié à la société par un contrat de
travail et que le Iien de subordination est réel (46).

SECTION 6
APPROCHE DE LA FAUTE SUSCEPTIBLE D'ENGAGER LA RESPONSABILITÉ DE L'ORGANE:
LA JURISPRUDENCE

Sous-section 1
lmpéritie et gravité de la faute

24. Dans une décision du 27 janvier 1998, le tribunal civil de Bruxelles


(47) a estimé que la responsabilité personnelle des gérants pouvait être mise
en cause par les créanciers d'une personne morale «toutes les fois que les
impérities ou la déloyauté [des gérants] leur a causé dommage, conformé-
ment au droit commun de la re!.ponsabilité.
Le gérant d'une société coopérative quine transfère pas à un créancier de
celle-ci, avant sa mise en liquidation, les sommes versées à cette coopérative
pour compte de ce créancier commet une faute très lourde».

Cette décision appelle les observations suivantes.

Les termes utilisés sont également retenus comme critères d' appréciation dans
l'article précité de MM. Van Ryn et Dieux. Le terme impéritie est très vague.
Le Littré Ie définit comme suit: «Manque d'habileté. Ignorance de ce qu'on
doit savoir dans sa profession.». Une impéritie ne constitue-t-elle pas une
faute de gestion? Or, la faute de gestion ne permet pas, en principe, de mettre
en cause la responsabilité du gérant.

La déloyauté constitue un critère plus objectif, qui contient un manquement à


l'obligation de diligence qui s'impose à tous.
(46) Un administrateur délégué ne sera pas un préposé. R.O. DALCQ, op.cit., p. 471, n° 1424;
Cass., 31 mai 1954, R.P.S., 1955, n° 4441, p. 34.
(47) J.L.M.B., 1998, p. 1089.

105
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

Quant au cas d'espèce, il s'agit effectivement d'une hypothèse ou la respon-


sabilité quasi-délictuelle est susceptible d' être engagée. Le juge la qualifie de
faute très lourde.

Sous-section 2
Défaut de versement des sommes retenues sur les rémunérations au titre
de précompte professionnel

25. Plusieurs juridictions ont retenu la responsabilité quasi-délictuelle des


administrateurs qui n'avaient pas respecté une norme déterminée. D'autres
tribunaux l'avaient écartée (47bis).

La nouvelle loi du 20 juillet 2006 vient aménager la responsabilité personnel-


le des dirigeants pour certaines dettes fiscales de la société (48). Et c 'est donc
dans ce cadre-là que la responsabilité éventuelle des dirigeants doit être ré-
g1e.

Sous-section 3
Poursuite des activités d'une société

26. Voici un bel exemple de mise en cause possible de la responsabilité du


dirigeant. En effet, lorsque les activités sont poursuivies alors que la société
devrait arrêter ses activités eu égard à la détérioration de sa situation financiè-
re, le dirigeant prend le risque de ce que la société ne puisse rembourser les
créanciers.

La jurisprudence ne retiendra pas la faute des dirigeants lorsqu'il existe des


chances raisonnablement étayées de redressement (49).

L'arrêt de la Cour d'appel de Mons du 16 mai 1979 (50) est intéressant dans
sa motivation:

(47bis) Voy. Y. DE CORDT, op. cit., n° 20; Retient la responsabilité, not. Anvers, 6 avril 1999,
T.R. V., 2000, p. 33 et note; contra: not. civ. Turnhout, 14 juin 2002, F.J.F., 2002, p. 244.
(48) Voy. Th. AFSCHRIFT, «Les dispositions fiscales des lois du 20 juillet 2006, Responsabi-
lité des dirigeants pour certaines dettes fiscales de la société et obligation solidaire de paiement
dans certains cas de fraude à la T.V.A.», J. T., 2 décembre 2006, p. 733.
(49) J. WINDEY, op. cit., p. 309 et les références citées; Anvers, 8 mars 1994, T.R. V., 1995,
p. 500. Pour des hypothèses ou la responsabilité est engagée vu les faibles chances de redres-
sement, Comm. Liège, 7 décembre 1988, T.R. V., 1989, p. 440 et note M. WYCKAERT, «De
aansprakelijkheid van bestuurders en zaakvoerders bij faillissement van vennootschap».
(50) R.P. S., 1979, p. 158.

106
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

«Un administrateur de société prudent et avisé ne peut se désintéresser des


conséquences dommageables qui résulteront à coup sûr pour les créanciers
de la poursuite d'une activité déficitaire alors que tout espoir de redressement
est perdu»,

Retenons la notion de désintérêt qui donne une connotation particulière, plus


qualitative, aux agissements des administrateurs, Nous y reviendrons,

S'agissant de la condition liée en matière de cumul de responsabilité au dom-


mage précontractuel, l'on renverra au deuxième titre de la présente contribu-
tion,

SECTJON 7
DISTINCTION ENTRE LA SIMPLE FAUTE DE GESTION ET LA FAUTE QUASI·DÉLICTUELLE

27. Aux termes de l'article 527, alinéa 1er, du Code des sociétés, !'admi-
nistrateur est responsable de ses fautes de gestion à l' égard de la société,
Cette responsabilité ne peut être invoquée que par la société (51).

L' article 572, alinéa 2, du Code retient la responsabilité solidaire des mem-
bres du conseil d'administration pour les fautes consistant dans une violation
des statuts ou du Code des sociétés.

L'on référera, pour !'analyse de ces dispositions, au rapport du professeur


Decordt et de Madame Delvaux.

Limitons-nous à préciser que la faute de gestion est plus large que la faute
aquilienne.

L' on peut bien gérer en commettant une faute et, plus sou vent encore, mal
gérer et ne pas commettre de faute aquilienne.

Par exemple, un mode de financement qui préjudicie à un tiers peut être avan-
tageux pour la société.

Le professeur Caprasse cite d'ailleurs, comme exemple de faute de gestion,


Ie fait de se désintéresser des activités de la société (52).

(51) Liège, 27 janvier 2005, 2001RG437 consultable sur Juridat n° JL051Rl_2 et dans R.R.D.,
2005, p. 151.
(52) 0. CAPRASSE, «La responsabilité civile professionnelle des administrateurs», Actuali-
tés du droit, 1997, p. 486.

107
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM

Or, ce désintérêt, on l'a vu plus haut (53), ne recoupe-t-il pas Ie fait de faire fi
de la société? L' on pense à l' arrêt de la Cour de cassation précité de 1989 ou
ce désintérêt a été constitutif de faute quasi-délictuelle, mais ce seul désinté-
rêt était joint à d'autres circonstances qui ont entraîné la conviction de la
Cour sur Ie caractère fautif des agissements des dirigeants.

Si, comme Ie montre l'exemple cité par Ie professeur Caprasse, des zones d'in-
tersection existent entre la faute de gestion et la faute permettant de mettre en
cause la responsabilité quasi-délictuelle, la simple faute de gestion porte sur
les relations entre la société et son dirigeant, la faute quasi-délictuelle porte sur
l'hypothèse ou un tiers a subi un préjudice de par une faute caractérisée dont
nous nous attacherons à déterminer les contours dans les lignes qui sui vent.

SECTION 8
REsPONSABILITÉ ET INFRACTION PÉNALE

28. Par ailleurs, l'on admet qu'en cas d'infraction, la responsabilité per-
sonnelle de l' organe est toujours engagée. Or, l' exposé du professeur Bosly
publié dans le présent ouvrage montre bien que, sur Ie plan pénal, la respon-
sabilité personnelle n'est, en principe, plus engagée puisque la loi du 4 mai
1999 organise la responsabilité pénale de la personne morale elle-même et
non plus de l' organe, l' organe pouvant encore être tenu dans certaines hypo-
thèses énoncées par le professeur Bosly. L' on sait que les infractions pénales
se multiplient dans la vie des affaires. Est-il logique de rendre l'organe res-
ponsable civilement en cas d'infraction alors qu'il ne l'est plus nécessaire-
ment sur le plan pénal? A l'instar de plusieurs auteurs (54), nous ne Ie pen-
sons pas.

SECTION 9
LE CONCOURS DE RESPONSABILITÉS ENTRE LA PERSONNE PHYSIQUE, ORGANE ET LA
SOCIÉTÉ SE JUSTIFIE·T·IL?

29. Plusieurs arguments plaident en faveur du concours.

En premier lieu, certains craignent une déresponsabilisation des personnes


physiques si lajurisprudence les rend immunes de toute responsabilité civile.

(53) Supra, n° 26.


(54) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., Mélanges M. Coipel (2004), spécialement n° 10, p.
775; R.O. DALCQ, «Restrictions à l'immunité de responsabilité de !'agent d'exécution»,
R.C.J.B., 1992, p. 503; X. DIEUX, op. cit., Mélanges J. Kirkpatrick, 2004, spéc. p. 233.
LES P!EGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

Le professeur Foriers écrit: «L'organe, personne physique ou morale, et bien


sûr le mandataire, restent des personnes concrètement distinctes de la per-
sonne qu'ils représentent» (55).

Lorsque l'on parle de déloyauté, ou d'impéritie, on associe sans doute, dans


Ie langage commun, une personne physique à ces défauts.

En deuxième lieu, l'on veut garantir aux victimes un répondant en cas d'in-
solvabilité de la société.

Certes, la responsabilité in solidum de la personne morale et de l' organe assu-


re une meilleure indemnisation de la victime surtout lorsqu'il s'agit d'une
société privée à responsabilité limitée ou une société coopérative à responsa-
bilité limitée pour lesquelles le capita! de départ reste faible. La solution doit
être également différenciée du droit administratif ou les pouvoirs publics doi-
vent présenter un degré de solvabilité plus élevé.

L'indemnisation de la victime est effectivement un souci important et la vic-


time ne peut, selon certains auteurs, souffrir de cette substitution (56).

Mais, dans notre société moderne, c'est surtout au niveau des personnes mo-
rales que les enjeux de la responsabilité sont les plus importants; les nom-
breux regroupements de sociétés que l' on vit ces derniers temps Ie démon-
trent; les personnes physiques, elles, ne peuvent fusionner ...

En conséquence, il faut avoir égard non seulement à l'indemnisation des vic-


times mais aussi veiller à éviter une condamnation inéquitable d'une person-
ne. Quels éléments peuvent intervenir dans la balance des intérêts?

L'indemnisation de victimes peut sans doute être mieux assurée par d'autres
modes comme Ie renforcement des droits des créanciers d'une société (droits
qui oot d'ailleurs été renforcés ces dernières années par l'augmentation du
capita! minimum, etc.) ou les assurances obligatoires.

Le professeur De Cordt distingue très pertinemment entre les créanciers vo-


lontaires et les créanciers involontaires (57).

Les premiers contractuels pouvant demander des garanties de paiement, les


seconds ne peuvent Ie faire. Dans les deux derniers cas soumis à la Cour de
cassation, les cocontractants étaient des créanciers volontaires et pouvaient
demander des garanties de paiement; ils ne l' oot pas fait et, ayant Ie choix

(55) Op, cit,, p, 14, Voy, aussi, H, DE WULF, op, cit,, qui critique la théorie de l'absorption,
(56) L. MICHOUD, op, cit,, tome Il, p. 240.
(57) Op. cit., n° 20.

109
DENIS PHILIPPE ET GREGOJRE GATHEM

entre l'action contractuelle et l'action quasi-délictuelle, oot préféré intenter


celle-ci, sans doute pour des raisons de solvabilité. En d'autres termes, cette
distinction n'est pas à elle seule, déterminante.

Nous croyons donc pouvoir nous rallier à la thèse selon laquelle la responsa-
bilité in solidum n'appréhende pas correctement la théorie de l'organe dans la
mesure ou l'organe s'identifie à la personne morale. Nous verrons plus loin
que, dans certaines hypothèses, la responsabilité quasi-délictuelle de l' orga-
ne pourra être mise en cause, notamment lorsqu'il ne s'identifie pas ou s'iden-
tifie mal à l' organe.

SECTION 10
ÜPPORTUNITÉ o'uN RÉGIME JURIDIQUE DISTINCT ENTRE RESPONSABILITÉ CONTRAC-
TUELLE ET RESPONSABILITÉ QUASI·DÉLICTUELLE DES DIRIGEANTS

30. Selon la théorie classique, la responsabilité du dirigeant est engagée


uniquement en matière aquilienne.

Ceci se justifie sur la base del' article 61 du Code des sociétés qui dispose, on
l'a vu, que les organes ne sont pas tenus des engagements de la société.
L'on peut, en premier lieu, se demander si le terme «engagement» visé à l'ar-
ticle 61 ne pourrait pas s'étendre aux obligations basées sur un quasi-délit.

Ensuite, pourquoi faire une distinction selon que l' on est en matière contrac-
tuelle ou en matière quasi-délictuelle? L' administrateur qui omet de trans-
mettre une information en cours de négociation d'un contrat doit-il être tenu
personnellement de cette négligence alors qu'il ne le sera pas s'il signe un
contrat dont il ne peut respecter les engagements?
M. Bihain y voit une violation des articles 10 et 11 de la Constitution (58).

Enfin, les frontières entre responsabilité quasi-délictuelle et responsabilité


contractuelle sont difficiles à tracer surtout lors de la formation du contrat,
comme l'a montré le professeur Dieux (59).

Reprenons les deux demiers cas tranchés par la Cour de cassation qui portent
tous deux sur une responsabilité précontractuelle. Dans les deux cas, des in-
formations n'avaient pas été transmises lors de la formation du contrat. Cer-
tes, il s'agit d'une omission plus ou moins intentionnelle (sans doute plus
intentionnelle dans !'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de 2005) mais, dans
l'un et l'autre cas, la responsabilité contractuelle de la société pouvait être
(58) Op. cit., n° 11.
(59) X. DIEUX, «La responsabilité des administrateurs ou gérants d'une personne morale à
l'égard des tiers: derniers développements?» Revue du Notariat, 2006.

110
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

mise en cause. Fallait-il pénaliser l'organe qui se trouve, dans l'accomplisse-


ment de ses fonctions, aux frontières entre les deux responsabilités (60)?

SECTION 11
CoMMENT APPRÉHENDER LA FAUTE QUI SERAIT DE NATURE À ENGAGER LA RESPONSA-
BILITÉ QUASI·DÉLICTUELLE DE L'ORGANE?

31. Nous avons vu que l'impéritie et la déloyauté avaient été évoquées


comme critères visant à appréhender la faute de l'organe, Nous sommes d'avis
que le critère d'impéritie ne permet pas de distinguer la faute extracontrac-
tuelle et la faute de gestion (6lbis). La déloyauté est un critère sans doute
plus intéressant sur lequel nous reviendrons ei-après.

La gravité de la faute est également retenue (61). Ainsi, M. Bihain estime que
la faute doit consister en un manquement à l' obligation générale de prudence
d'une certaine gravité ou, à tout le moins, volontaire et consciente. La faute
doit, selon lui, être personnelle (62) et le controle du juge ne peut être que
marginal (63).

La gravité est un concept difficile à déterminer; rappelons, avec M. Tilquin et


Mme. Simonart, que la gravité de la faute n'est pas un critère d'appréciation
de la responsabilité que la faute la plus légère permet de mettre en ceuvre.

Le doyen Horsmans propose de retenir le critère suivant:sont personnelle-


ment responsables les dirigeants qui se placent en dehors de la gestion de la
société ou utilisent celle-ci, pour leur compte personnel (64).

Un critère assez proche est proposé par Mme Simonart et M. Tilquin dans
leur Traité, à savoir Ie mépris du dirigeant pour les intérêts des tiers (65).

Il s'agit de critères intéressants car ils sont basés sur Ie fait que non seulement
l' organe nie sa fonction mais qu'il utilise la personne morale à des fins pro-
pres; dans cette hypothèse, il ne peut qu'être tenu pour responsable de ces
actes.

(60) Yoy L BIHAIN, n° 11.


(61) Voy. Bruxelles, 12 septembre 2003,
(6lbis) Voy,, supra, n° 24,
(62) Op, cit,, n° 11.
(63) Voy, pour une application du controle marginalen cas d'appréciation de l'intérêt social
dans la mise en cruvre d'une clause d'agrément, Bruxelles, 15 mars 1991, R.P. S,, n° 6610, et
note critique L CORBISIER.
(64) Op, cit,, p, 570,
(65) Op, cit., p. 767.

111
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

Nous croyons pouvoir retoumer aux prémisses: si l'organe s'identifie à la


personne morale, il nous semble normal que ce soit la personne morale et non
la personne physique par la voie de laquelle la personne morale agit, qui soit
responsable. La responsabilité civile ne devrait être mise en ceuvre que si
cette prémisse n' est pas présente. Ce sera le cas lorsque le dirigeant se situe
hors du cadre de ses fonctions, s'il agit de manière déloyale à l'égard de
celle-ci, manifestant un mépris ou un profond désintérêt vis-à-vis de la per-
sonne morale et de son régime, causant ainsi un préjudice aux tiers. Ainsi en
est-il, sous réserve de ce qui sera exposé au titre II sur le dommage contrac-
tuel, d'un dirigeant qui poursuit les activités déficitaires, tout en sachant que
les chances de redressement sont illusoires. Il agit au mépris du régime de
fonctionnement de la personne morale et de manière déloyale. La déloyauté
peut consister notamment à éveiller, dans le chef des tiers, des attentes ou une
confiance qui n'est pas fondée sur la réalité.

32. La plupart des décisions que nous avons analysées concement les peti-
tes sociétés. Or, les regroupements constants de sociétés que nous vivons
montrent que les engagements et la responsabilité civile liée aux activités
déployées par les grandes sociétés sont parfois plus importants que ceux de
bon nombre d'Etats. La problématique de la responsabilité civile ne doit-elle
pas, dès lors, y être abordée de manière différente? Certains répondent en tout
cas que la responsabilité civile du dirigeant suppose une faute personnelle.
Cette caractéristique est essentielle» (66). Cette affirmation n'est pas tou-
jours vérifiable sans nuance dans les sociétés complexes.

Limitons-nous à épingler à eet égard deux questions.

33. Un administrateur d'une grande société peut-il être responsable d'une


faute grave qu'il n'a pas commise personnellement?
Dans une grande structure, la responsabilité est plus diffuse car les taches
peuvent être réparties entre plusieurs personnes; si l' on applique la théorie de
la coexistence de responsabilité, plusieurs personnes dans l'entreprise pour-
raient voir leur responsabilité quasi-délictuelle mise en cause pour un seul et
même acte, l' administrateur délégué étant par exemple responsable pour fou-
te d' organisation, l' administrateur ayant la division dans ses affectations étant
responsable opérationnel et le préposé pouvant être tenu à titre personnel s'il
s'agit d'une faute soit lourde, soit légère et habituelle, soit susceptible de
sancti ons pénales. Une différence de régime devrait être considérée entre l' ad-
ministrateur actif et ]'administrateur passif (67).

(66) L. BIHAIN, op. cit., n° 11.


(67) Voy. H. DE WULF, article cité; conclusion.

112
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

34. Les autres branches du droit canalisent parfois la responsabilité sur des
organes bien précis. Ainsi, l' article 16 du Code sur Ie bien-être au travail
indique que Ie conseiller en prévention chargé de la direction du service SIPP
relève directement de la personne chargée de la gestion joumalière de l' entre-
prise (68).

Ces dispositions pourront avoir pour effet de canaliser l' éventuelle responsa-
bilité quasi-délictuelle sur les dirigeants mentionnés dans la disposition.
Ceci montre que la responsabilité peut, dans les grandes sociétés, être mise en
cause pour des fautes de nature organisationnelle, tout en respectant les bali-
ses reprises sous Ie numéro 31.

(68) Titre II -Chapitre 1er de l'arrêté royal du 27 mars 1998.

113
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM

TITRE 2
L'IMMUNITÉ JURISPRUDENTIELLE DU DIRIGEANT EN CAS DE
CONCOURS DE RESPONSABILITÉS

SECTION 1
PosITION DU PROBLÈME

35. Nous avons vu qu'en règle, la responsabilité de la personne morale


n'exclut pas la responsabilité personnelle de son organe. Un tiers à la person-
, ne morale peut mettre en cause la responsabilité personnelle de eet organe si
ce dernier s'est rendu coupable d'une faute aquilienne, autre qu'une pure
faute de gestion, en lien de causalité avec Ie dommage dont la réparation est
réclamée. Tel est Ie principe affirmé par la Cour de cassation dans son récent
arrêt du 20 juin 2005: la «coexistence» des responsabilités (voy. Titre 1). Le
domaine de la responsabilité civile personnelle du dirigeant doit cependant
être affiné lorsque Ie demandeur en responsabilité est un créancier contrac-
tuel de la personne morale, victime de l' inexécution du contrat conclu par
celle-ci. Pour des raisons diverses, ce créancier peut être tenté de mettre en
cause la responsabilité personnelle du dirigeant qui, par sa faute, a engagé la
responsabilité contractuelle de la personne morale. Les hypothèses sont in-
nombrables: un fournisseur, banquier, travailleur, transporteur, bailleur, loca-
taire, client bénéficiaire d'un service, etc. Comme on peut s'en douter, la
question se posera généralement au moment de la faillite, c' est-à-dire lorsque
la personne morale n'est plus en mesure de satisfaire à ses obligations ou
condamnations financières. Dans ces hypothèses, la question de la coexisten-
ce se double de la question du «concours» de responsabilités.

36. Une situation de concours de responsabilités se présente lorsqu'une


partie contractante, victime de l'inexécution oude la mauvaise d'exécution
d'un contrat, entend mettre en cause la responsabilité aquilienne de son par-
tenaire contractuel défaillant, par exemple, en ce qui nous concerne, Ja per-
sonne morale. Lorsque Ie dirigeant de la personne morale s'est rendu coupa-
ble d'une faute aquilienne dans l' exécution du contrat conclu par celle-ci la
question est de savoir si et dans quelle mesure, la convention entre la person-
ne morale et Ie demandeur en responsabilité justifie que des restrictions soient
portées à la possibilité d'intenter une action en responsabilité personnelle contre
ce dirigeant.

(69) P. WERY, «Les rapports entre responsabilité aquilienne et responsabilité contractuelle, à


la lumière de lajurisprudence récente», R.G.D.C., 1998, p. 89 et références citées aux notes 43
et 44; I. CLAEYS, Samenhangende overeenkomsten en aansprakelijkheid. De quasi-immuni-
teit van de uitvoeringsagent herbekeken, Anvers, Intersentia, 2003, p. 59, n° 47 et note 177, ei-
après «Thèse».

114
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

37. La Cour a répondu à cette question par un célèbre arrêt du 7 novembre


1997, Elle soumet l'action en responsabilité aquilienne que Ie créancier con-
tractuel introduit contre l' organe à deux conditions cumulatives (69): lorsque
la partie contractante «agit par un organe, un préposé ou un agent pour l 'exé-
cution de son obligation contractuelle, celui-ci ne peut être déclaré respon-
sable sur le plan extracontractuel que si la faute mise à sa charge constitue
un manquement non à une obligation contractuelle mais à l'obligation géné-
rale de prudence et que si cette faute a causé un dommage autre que celui
résultant de la mauvaise exécution du contrat» (70), Il en résulte que Ie créan-
cier contractuel de la société ne doit pas seulement «sortir» du contrat conclu
entre la personne morale et son dirigeant en démontrant que la faute qu'il lui
reproche n' est pas une pure faute de gestion, autrement dit une faute pure-
ment contractuelle au regard du contrat de mandat censé exister entre la per-
sonne morale, son organe (voy,, supra, Titre 1); il doit également «sortir» de
la convention dont résulte sa créance à l 'égard de la personne morale, en
établissant que cette faute est étrangère au contrat qui Ie lie à la personne
morale et que son dommage est autre que celui qui résulte de la mauvaise
exécution du contrat,

L'impossibilité d' engager la responsabilité contractuelle de l' organe conju-


guée à la difficulté de rapporter la preuve de ces deux conditions cumulatives
a conduit la doctrine à parler d'immunité oude «quasi-immunité» (71) dans
Ie chef de l' organe d' une personne morale agissant en cette qualité,

38. La portée des exigences posées par la Cour en cas de concours ne finit
pas d'être discutée en doctrine. Cette jurisprudence n'en demeure pas moins
constante et, sauf cas isolés (72), elle est appliquée par les juridictions de
fond même si cette application conduit à des solutions parfois divergentes
selon les juridictions,

La portée de cette immunité ne peut se comprendre sans un bref rappel de


l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de con-
cours de responsabilités (Section 2), Nous tenterons ensuite de préciser Ie
domaine d'application de l'immunité, Gardons d'emblée à !'esprit que la ques-
tion du concours ne se pose que si l'une des parties contractantes, la personne
morale en ce qui nous concerne, s'est rendue coupable d'un manquement
contractuel, à savoir l'inexécution ou la mauvaise exécution d'une obligation
(70) Cass,, 7 novembre 1997, Pas,, 1997, n° 457, p. 1146; R.G.D.C., 1998, p. 153; R.C.J.B.,
1999, p. 730, note V. SIMON ART, T.R. V., 1998, p. 284, note I. CLAEYS, J.D.S.C., 2000, p. 5,
n° 115, obs. M, COIPEL.
(71) Voy. Ie titre de la note de Madame V. SIMONART sous !'arrêt du 7 novembre 1997,
R. C.J.B., 1999, p. 732 ets. et la thèse précitée de M. 1. CLAEYS.
(72) Civ, Bruxelles, 27 janvier 1998, Pas., 1997, III, pp. 10 et s.

115
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

découlant d'un contrat. A défaut, il ne saurait être question de responsabilité


contractuelle et, partant, de concours entre les deux ordres de responsabilité
(Section 3). L'examen portera aussi sur la portée des conditions relatives à la
faute et au dommage (Section 4 ). Nous verrons que certaines situations susci-
tent mains de difficultés, notamment en cas d'infraction pénale (Section 5).

Enfin, une section particulière sera consacrée à l'hypothèse de la poursuite


d'une activité déficitaire; ce qui permettra de discuter l'intérêt pratique des
règles du concours pour Ie dirigeant d'une personne morale (Section 6).

SECTJON 2
L'ÉMERGENCE D'UNE IMMUNITÉ EN FAVEUR DE L'ORGANE

Sous-section l
Le défendeur est la partie contractante (la personne morale)

39. La question du concours se pose au premier chef entre parties contrac-


tantes. Il s' agit de savoir si l'une des parties, dont la créance n' a pas été hono-
rée, peut réclamer la réparation de son dommage à son cocontractant, en se
fondant sur les règles de la responsabilité aquilienne. Face à cette situation,
deux attitudes sont envisageables. Une première réaction serait d' exclure toute
possibilité d'action aquilienne contre une partie contractante. La responsabi-
lité ne saurait alors être que contractuelle sauf si la faute est totalement étran-
gère au contrat. Une seconde opinion autoriserait l'action aquilienne lorsque
Ie manquement est simultanément constitutif de faute aquilienne. Dans cette
demière hypothèse, soit l' on se contente des conditions traditionnelles de la
responsabilité aquilienne, soit l' on encadre plus spécifiquement l' action aqui-
lienne afin de garantir le respect des prévisions contractuelles (73).

La Cour de cassation s'est prononcée de la manière suivante: «La, responsa-


bilité d'une partie contractante ne peut être engagée, sur le plan extra-con-
tractuel, du chef d'unefaute commise lors de l'exécution du contrat, que si la
faute qui lui est imputée constitue un manquement non à une obligation con-
tractuelle mais à l'obligation générale de prudence et que si cette faute a
causé un dommage autre que celui qui résulte de la mauvaise exécution du
contrat» (74). Elle a confirmé sajurisprudence à de multiples reprises (75).
(73) I. CLAEYS, op. cit., (Thèse), 2003, p. 54, n° 44.
(74) Notons que les prémisses de ces principes apparaissent déjà, mais sous une formulation
légèrement différente et moins catégorique, dans un arrêt du 4 juin 1971: Cass., 4 juin 1971,
Pas., 1971, I, p. 940, R.C.J.B., 1976, p. 12 et note R-O. DALCQ et F. GLANSDORFF.
(75) Lorsque l'action est dirigée contre la partie contractante: Cass., 14 octobre 1985, Pas ..
1986, I, p. 155 et R. C.J.B., 1988, p. 341 et note M. VAN QUICKENBORNE; Cass., 9 novem-
bre 1987, Pas., 1988, I, p. 296; Cass., 28 septembre 1995, Pas., 1995, I, p. 412 et R. W, 1997-
1998, p. 926; Cass., 23 mai 1997, R. W, 1998-1999, p. 681.

116
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

40. La doctrine s'accorde, en général, pour justifier cette règle par le souci
de préserver l'économie du contrat (76). Pour les parties, le contrat est un
instrument de répartition de risques économiques. Des prestations sant vo-
lontairement mises à charge d'une personne moyennant l'une ou l'autre com-
pensation. Des clauses régissent les modalités d'exécution de ces prestations
et, le cas échéant, les conséquences d'une inexécution (clause pénale, clause
limitative ou exonératoire de responsabilité, clause d'arbitrage, clause attri-
butive de compétence, etc.). Un équilibre économique est ainsi volontaire-
ment instauré entre parties. Cet équilibre influence également des rapports
contractuels avec des tiers. Songeons ainsi aux contrats d'assurance dont la
couverture est parfois limitée à la responsabilité quasi-délictuelle (77). Cet
équilibre économique réalisé par le contrat serait réduit à néant si les parties
pouvaient échapper au cadre conventionnel résultant d'un accord de volonté
librement assumé, en donnant, en cas d'inexécution, une couleur extra-con-
tractuelle à leur action en réparation. En exigeant que la faute et le dommage
allégués soient «étrangers» au contrat, la Cour tente manifestement de pré-
server eet équilibre. Pour <lire les choses simplement, le créancier ne peut
donc pas faire comme si le contrat n'existait pas (78).

Sous-section 2
Le défendeur est l'agent d'exécution

41. La règle élaborée par la Cour de cassation serait sérieusement mise à


mal si le créancier pouvait réclamer la réparation du préjudice résultant de
l'inexécution du contrat, à l'agent d'exécution ou au préposé que Ie cocon-
tractant défaillant s'est substitué pour l'exécution de ses prestations.

Cette possibilité doit donc être limitée. Par un arrêt bien connu du 7 décembre
1973, la Cour a appliqué aux relations entre !'agent d'exécution d'une partie
contractante et le cocontractant de cette demière les principes auxquels elle
soumet le concours de responsabilité entre parties contractantes (79).

(76) 1. CLAEYS, op. cit., (Thèse), Intersentia, 2003, p. 54, n° 44 et T.R. V., 1998, p. 287; B.
DUBUISSON, op. cit., Traité théorique et pratique, Kluwer, 2003; H. DE WULF, «Het Hof
van Cassatie en de extra-contractuele aansprakelijkheid van venootschapsbestuurders», in Li-
ber Amicorum prof Dr. Christian De Wulf, Brugge, Die Keure, 2003 et sur http://
www.law.rug.ac.be/fli/WP/Wpindex.html, p. 9,
(77) I. CLAEYS, op.cit., (Thèse), p. 83, n° 71 et note 301; V. SIMONART, op.cit., R.C.J.B.,
1999, p. 737.
(78) P. DE WOLF, «Variations sur la responsabilité des administrateurs. Variations sur Ie thè-
me du mandat», D.A.O.R., 2005/74, p. 103.
(79) Cass., 7 décembre 1973, Pas., 1974, I, p. 376 et les conclusions de M. Ie Premier Avocat
général MAHAUX, R.C.J.B., 1976, p. 15, note R.-0. DALCQ et F. GLANSDORFF, R.G.A.R.,
1974, n° 9317, obs. J-L. FAGNART, Entr. et Dr., 1975, p. 181, obs. A. LIMPENS-MEIN-
TERTZHAGEN, R. W., 1973-1974, col. 1597, note J. HERBOTS, J. T., 1974, p. 443.

117
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM

La Cour fonde cette assimilation sur la considération que «l 'agent d 'exécu-


tion n 'est pas un tiers par rapport à l 'exécution du contrat et à l 'égard du
cocontractant». (80). Puisqu'il est partie au contrat pour son exécution, l'agent
d' exécution doit bénéficier des règles du concours à l'instar de la partie con-
tractante elle-même. La Cour a eu !'occasion de réitérer sa jurisprudence à
propos de l'agent d'exécution (81).

Ces restrictions confèrent une large immunité à l'agent d'exécution. En effet,


celui-ci ne peut être tenu sur le fondement de la responsabilité contractuelle
pour les manquements commis dans l' exécution du contrat. En outre, il résul-
te de l' arrêt que le créancier ne peut lui réclamer, en fondant son action sur les
articles 1382 et 1383 du Code civil, la réparation du préjudice qui résulte de
l'inexécution du contrat en raison d'un manquement au contrat (82).

Sous-section 3
Le défendeur est l'organe

42. L' extension de ces principes à l' organe était souhaitée par une partie de
la doctrine, qui estimait que le raisonnement suivi par la Cour dans son arrêt
du 7 décembre 1973 ne pouvait être limité au seul cas-type de l'agent d'exé-
cution et devait notamment s'appliquer dans les rapports entre le créancier
social, la société et !'administrateur (83). L'argument était le suivant: si l'agent
d'exécution n'est pas un tiers à l'égard de l'exécution du contrat, ce constat
s' impose a fortiori pour l' organe. Les adversaires de cette extension s' ap-
puyaient, quant à eux, sur la différence entre la situation de l'agent d'exécu-
tion et celle de l'organe estimant, àjuste titre d'ailleurs, qu'à la différence de
la première, l'intervention de l'organe n'implique pas la moindre substitution
(84). Nous savons que l'arrêt du 7 novembre 1997 fut !'occasion pour la
Cour, d'étendre à l'organe les principes énoncés dans son arrêt du 7 décem-
bre 1973, en dépit des réticences doctrinales (voy. n° 89).

(80) Nihil.
(81) Cass. (1 ère ch.), 26 avril 2002, R. W, 2004-2005, p. 940; Cass. (1 ère ch.), 1er juin 2001, Pas.,
pp. 1033 ets., n° 330, R. W, 2001-2002, p. 379, note K. BROECKX; Cass., 8 avril 1983, Pas.,
1984, I, p. 834, R. W, 1983-84, p. 163, note J. HERBOTS.
(82) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., Mélanges M. Coipel, 2005, pp. 774 et 775.
(83) P. COLLE, «De la responsabilité quasi-délictuelle des administrateurs de société», R.G.A.R.,
1986, n° 11076/2, n° 11; R-O. DALCQ, «Examen de jurisprudence sur la responsabilité délic-
tuelle et quasi-délictuelle (1980-1986)», R.C.J.B., 1987, p.601, n° 3;
(84) J. VAN RYN et X. DIEUX, «La responsabilité des administrateurs ou gérants d'une
personne morale à l'égard des tiers», J.T., 1988, p. 401; J. VAN RYN et X. DIEUX, «La
responsabilité des administrateurs ou gérants d'une personne morale à l'égard des tiers - Ob-
servations complémentaires», R.P. S., 1989, n° 6511, pp. 93-113; C. PARMENTIER, «La res-
ponsabilité des dirigeants d'entreprise en cas de faillite», R.D.C., 1986, p. 741, n° 13.

118
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

L' application à l' organe des limites imposées pour l' exercice d'une action en
responsabilité aquilienne contre la partie contractante n'est pas sérieusement
contestable. Elle peut se fonder sur l'immunité contractuelle de l'organe. Tiers
au regard de la conclusion du contrat, I' organe ne peut être tenu de répondre
personnellement de l'inexécution du contrat conclu à son intervention, faute
de lien contractuel entre ces deux personnes (85). Il s'agit du reste d'une
implication de la représentation organique consacrée par l' article 61, § 1er du
Code des sociétés. Sauf à vider la règle de sa substance, le rejet de 1' action en
responsabilité fondée sur l'article 1382 s'impose lorsque cette action aurait,
en réalité, pour objet de réclamer la réparation d'un dommage qui résulterait
de l'inexécution de ce contrat (86).

Ens uite, I' approche est cohérente eu égard au souci de préserver 1' économie
du contrat (voy. n° 40). Admettre la responsabilité aquilienne de l' organe
pour un acte accompli dans l' exercice de ses fonctions lorsque cette même
action serait bloquée à l 'encontre de la personne morale elle-même, en raison
du contrat, serait inacceptable et viderait de leur substance les règles établies
par la Cour pour préserver les prévisions contractuelles des parties (87). Autre-
ment dit, la fonction de répartition des risques économiques du contrat serait
réduite à néant si Ie créancier pouvait, par une action aquilienne, contourner
la loi contractuelle des parties en réclamant la réparation d'un dommage qui
résulte de l' inexécution du contrat à l' organe de son cocontractant.

43. S' agissant de l' assimilation de l' agent d' exécution à l' organe ou, si
l' on s'en tient à la chronologie des arrêts, de l' organe à l' agent d' exécution, il
faut admettre que pour les (seuls) besoins de la détermination des conditions
de la responsabilité à l' égard du créancier contractuel de la personne morale,
celle-ci se justifie (88). En effet, s'il est vrai que Ie mécanisme de représenta-
tion ou d'identification à la personne morale n'est pas aussi accompli en ce
qui concerne !'agent d'exécution, il n'en reste pas moins que l'un comme

(85) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., Mélanges M. Coipel. 2005. pp. 774 et 775.
(86) X. DIEUX, «La responsabilité des administrateurs ou gérants d'une personne morale à
l'égard des tiers: derniers développements?», note sous Cass., 20 juin 2005, Rev. not. b., 2006,
p. 270.
(87) B. DUBUISSON, op. cit., Traité ... , vol. 2, p. 36, n° 99; I. CLAEYS, op. cit., T.R. V., 1998,
p. 287, n° 6; I. CLAEYS, op. cit., (Thèse), p. 287.
(88) Nous suivons Ie professeur X. Dieux lorsqu'il suggère que, nonobstant la chronologie des
arrêts(] 973 pour )'agent d'exécution et 1997 pour l'organe), la Cour de cassation «a appliqué
à l 'agent d' exécution un processus cl' assimilation analogue à cel ui qui a, de tout temps, carac-
térisé la théorie del' organe, même sic' est à unefin quine sera exprimée, à propos de cel ui-ei,
qu'en 1997. (. .. ). Plut<Ît que /'inverse, !'agent d'exécution (aurait) reçu, par anticipation en
quelque sorte, un traitement plus spontanément adapté à/' organe (. .. )», voy. la note de I' auteur
précité sous Cass., 20 juin 2005. Rei'. not b., 2006, p. 270.

119
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

l'autre s'identifient à la partie contractante pour l'exécution des obligations


contractuelles et à l 'égard du créancier. L' un comme l' autre ne sont pas «tiers»
à l'égard de la société, et donc de son créancier, mais ils «sont» la société à
l'égard du créancier contractuel et pour l'exécution des obligations.

Dans un souci de cohérence, il convient donc de leur appliquer les conditions


de la responsabilité aquilienne de la personne morale pour laquelle ils agis-
sent.

Ces demières observations conduisent à formuler une précision. La règle est


que le créancier contractuel de la personne morale ne peut engager la respon-
sabilité aquilienne de l' organe que dans les conditions justifiées par la situa-
tion de concours entre le demandeur et la personne morale pour laquelle il
agit (89). Entre le créancier contractuel de la personne morale et l'organe, il
n'y a pas, à proprement parler, de situation de concours, à défaut de rapport
contractuel entre eux. La jurisprudence de la Cour est cohérente si l' on consi-
dère que l'organe bénéficie directement des conséquences du concours de
responsabilité entre le demandeur et la personne morale. L' assimilation de
l'organe à l'agent d'exécution n'est, semble-t-il, pas une étape nécessaire à
ce processus (90).

Sous-section 4
L'arrêt du 20 juin 2005

44. Rien ne permet d'affirmer que l'arrêt du 20 juin 2005 remettrait en


cause lajurisprudence en matière de concours (91). Aucun griefne portait sur
cette question et tant la Cour de cassation que l' avocat général, répondant aux
moyens du pourvoi, ne se réfèrent qu'à l'application des règles de la coexis-
tence. Comme Ie relève M. P.-A. Foriers, l' arrêt du 20 juin 2005 nes' exprime
qu' «en principe» (91bis). Les règles en matière de concours peuvent donc
faire office d'exception à cette règle selon laquelle la responsabilité de la
personne morale n' exclut pas la responsabilité personnelle de l' organe.

(89) X. DIEUX, op. cit., Rev. not. b., 2006, p. 269.


(90) Elle serait même inutile, comme l' écrit V. Simonart, op. cit., R. C.J.B., 1999, p. 772. Il est
à eet égard intéressant d'observer que l'utilisation du concept de «tiers à l'exécution du con-
trat» n'a été utilisée qu'à l'égard de !'agent d'exécution, et non pour I'organe.
(91) Les commentateurs de !'arrêt sont d'accord à ce sujet. Par ordre chronologique de publi-
cation: I. BLOCKX et E. JANSSENS, op.cit., R.A.B.G., 2005/17, p. 1549 ets.; G. GATHEM,
op.cit., D.A.O.R., 2005176, p. 347; A. COIBION, op. cit., R.D.C., 2006, p. 421; L. BIHAIN,
op.cit., J.T., 2006, p. 421 ets. X. DIEUX, op.cit., Rev. b. not., p. 261; Y. DE CORDT, op.cit.,
Rev. prat. soc., 2006, p. 229.
(9lbis) P-A. FORIERS, op. cit., in Groupes de contrats, 2004-2005, n° 16 in fine.

120
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

La question du concours avait, en revanche, été évoquée par l'arrêt d'appel,


qui avait estimé que «c'est à tart que les [demandeurs en cassation] soutien-
nent qu 'en application des règles relatives au concours des responsabilités
contractuelle et aquilienne, il appartient aux [défendeurs en cassation] de
démontrer-ce qu'il neferaient pas -l'existence d'unefaute et d'un domma-
ge distincts de ce quine serail qu 'un manquement contractuel et un domma-
ge né de celui-ci, La question du concours des responsabilités contractuelle
et aquilienne ne se pose que lorsque, dans le cadre de relations contractuel-
les, une partie au contra! soulève la responsabilité aquilienne de son cocon-
tractant, situation non rencontrée en l'espèce, dès lors que la responsabilité
de Comptigest n 'est pas mise en cause et que celle [des demandeurs en cassa-
tion l'est] - à titre personnel - sur la base de l'article 1382 du Code civil»,

Cet argument nous conduit à examiner Ie domaine d' application des règles
du concours,

SECTION 3
LE DOMAINE D' APPLICATION DEL' «IMMUNITÉ» DE L'ORGANE

45. Il est essentie} de délimiter Ie domaine d' application des règles du con-
cours et de l'immunité civile qui en résulte pour Ie dirigeant. Certaines situa-
tions sont étrangères à toute hypothèse de concours et c' est à tort, partant, que
l'on y appliquerait les règles dégagées par la Cour de cassation en la matière.

Rappelons en effet que la question du concours ne se pose qu'en cas d'inexé-


cution d'une obligation issue du contrat conclu entre Ie demandeur et la per-
sonne morale, inexécution <lont Ie demandeur entend imputer la responsabili-
té au dirigeant. Dès lors que l'on se situe en dehors de cette hypothèse, une
action aquilienne contre Ie dirigeant est envisageable aux conditions tradi-
tionnelles des articles 1382 et 1383 du Code civil, sans préjudice de l'appli-
cation de la théorie de l'organe (voy., supra Titre 1) (92).

Ainsi, la question du concours ne se pose-t-elle pas en l' absence d' un contrat


valablement formé au moment du fait dommageable (93) (Condition tempo-
relle - 3.1) ni en }'absence d'un manquement à une obligation contractuelle
de la personne morale. Les règles du concours ne sont, dès lors, pas d'appli-
cation lorsque Ie dirigeant n' agit pas en qualité d' organe, de préposé ou d' agent

(92) I. CLAEYS, op. cit., (Thèse), p. 51, n° 41 et p. 74, n° 58; B. DUBUISSON, op. cit., in
Traité ... , vol. 1, chap. Ier et p. 13; H. DE PAGE, Traité, Il, pp. 903 et 908.
(93) G. GATHEM, op.cit., D.A.O.R., 2005176, p. 347; B. DUBUISSON, op.cit., in Traité ... ,
vol. 1, pp. 8-12; I. CLAEYS, op.cit., T.R. V., 1998, p. 288.

121
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

d'exécution de la personne morale (94) (Condition matérielle - 3.2). Ensuite


les règles du concours n'ont pas droit de cité lorsque Ie demandeur n'est pas
un créancier contractuel de la personne morale (Condition personnelle - 3.3).
Enfin, l'application des règles du concours doit, en principe, être invoquée
par les parties (Condition procédurale - 3.4).

Sous-section 1
L'existence d'un contrat valablement formé au moment du fait domma-
geable

L'existence d'un contrat entre le demandeur en responsabilité et la personne


morale est une condition nécessaire du concours de responsabilités. Trois
hypothèses méritent d'être envisagées: la preuve du contrat n'est pas rappor-
tée (§ 1), le contrat n'existe plus(§ 2), Ie contrat n'existe pas encore au mo-
ment du fait dommageable (§ 3).

§ 1. Absence de (preuve d'un) contrat

46. L'adage est bien connu: «Idem est non esse aut non probari». Invité à
se défendre dans le cadre d'une action aquilienne personnelle, Ie dirigeant
aura, en principe, la charge de prouver l'existence du contrat conclu entre la
personne morale et le demandeur en responsabilité, dont il entend se préva-
loir pour faire obstacle à la demande. Etant en principe tiers à ce contrat, - il
n'est, en effet, pas personnellement partie à la conclusion de celui-ci -, il
pourra apporter cette preuve par toute voie de droit, en ce compris les témoi-
gnages et présomptions (par exemple: un paiement). L' exigence d'un «écrit»
au sens de l'article 1341 du Code civil ne s'impose qu'entre parties contrac-
tantes (95).

§ 2. Le contrat n 'existe plus

47. Lorsque Ie contrat n' existe plus au moment du fait dommageable, il ne


saurait, en principe, être question de responsabilité contractuelle et donc de
concours (96). Il ne sera néanmoins pas toujours aisé de déterminer la source
(94) Cette condition est en général présupposée, voy. M-A. DELVAUX, «Une saga passion-
nante: la responsabilité des organes d'une société commerciale», J.D.S.C., 2006, p. 102; X.
DIEUX, op. cit., Mélanges J. Kirkpatrick, 2004, p. 228, n° III; P. VAN OMMESLAGHE, op.
cit., Mélanges M. Coipel, 2005, p. 783, n° 15.
(95) Au surplus, !'on rappellera que la preuve est «libre» lorsqu'il s'agit de prouver contre un
commerçant.
(96) B. DUBUISSON, op. cit., in Traité ... , vol. 1, p. 9.

122
7

LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

del' obligation dans ce cas. Certaines obligations issues d'un contrat peuvent,
en effet y survivre et donner lieu à une situation de concours sans que le
critère chronologique de la faute soit décisif. Les obligations de non-concur-
rence ou de confidentialité sont généralement citées pour illustrer ces obliga-
tions post-contractuelles (97). Dans la mesure ou leur violation par le diri-
geant constituerait un manquement de nature contractuelle, les règles du con-
cours devraient s' appliquer.

48. De même, il ne saurait être question de concours lorsque le contrat, qui


existait au moment du fait dommageable, a par la suite été annulé par une
décisionjudiciaire. En effet, la nullité opère, en principe, avec effet rétroactif,
entraînant l'anéantissement du contrat ah intitio (98). Sous réserve d'objec-
tions liées au caractère trop abstrait de cette solution (99), aucune responsabi-
lité contractuelle ne saurait être fondée sur ce contrat qui est censé n'avoir
jamais existé. Il s'ensuit qu'une réclamation, destinée par exemple à com-
penser le préjudice que les restitutions réciproques ne suffiraient pas à com-
bler et qui se fonderait sur la faute ou le dol ayant conduit à l'annulation du
contrat, ne pourrait s'appuyer que sur la responsabilité aquilienne de la per-
sonne morale, à l'exclusion de sa responsabilité contractuelle (100). Cette
hypothèse ne donne pas lieu à une situation de concours entre les deux ordres
de responsabilités.

§ 3. Le contrat n'existe pas encore: la «culpa in contrahendo»

49. La question se pose de savoir si les règles dégagées par l' arrêt du 7 no-
vembre 1997 sont applicables lorsque le contrat n'existe pas (encore) au mo-
ment du fait fautif reproché à l' organe. Tel est le cas de la faute commise par
l' organe au cours des négociations préalables à la conclusion du contrat par la
société, lorsque celui-ci manque au devoir de correction et de bonne foi ( 101 ).

(97) M. FONTAINE, «Les obligations survivant au contrat», La fin du contrat, Formation


CUP, 2001, vol. 51, pp. 161-169.
(98) B. DUBUISSON, op. cit., in Traité ... , vol. 1, p. 9. Voy., à ce sujet, l'ouvrage intitulé La
nullité des contrats (coord. P. Wéry, Formation CUP, Larcier, n° 2006/09, vol. 88 et, en parti-
culier Ie texte de T. STAROSSELETS, «Effets de la nullité».
(99) Voy. notamment X. DIEUX, op. cit., Rev. not. b., 2006, p. 276, qui semble considérer que
cette solution sacrifie la réalité au profit d'une logique trop abstraite. Estimant que les condi-
tions du concours sont d'application, !'auteur est d'avis que la rétroactivité n'a pas pour effet
de rendre Ie dommage «étranger» au contrat annulé.
(100) B. DUBUISSON, op.cit., in Traité ... , vol. 1, p. 9; I. CLAEYS, op.cit., T.R.V., 1998,
p. 288, n° 9.
(101) Voy. notamment, àce sujet, B. DE CONINCK et C. DELFORGE, «La rupture des négo-
ciations et Ie retrait intempestif de l'offre. Régime général et sanction», Le processus defor-
mation des contrats, Formation CUP, Bruxelles, Larcier, 09/2004, vol. 71, pp. 79 ets.

123
DENIS PHILIPPE ET GREGOJRE GATHEM

Cette culpa in contrahendo consistera généralement dans Ie fait de délivrer


des informations incorrectes ayant pour effet de tromper Ie cocontractant sur
un élément déterminant du contrat, Ie fait de rompre les négociations de ma-
nière intempestive, Ie fait de dissimuler certaines informations devant influen-
cer Ie consentement du partenaire telles la situation financière de la société,
etc.

Nonobstant les discussions relatives à la nature de la responsabilité pré-con-


tractuelle, la doctrine et la jurisprudence confirment qu' en droit beige, Ie com-
portement d'une partie, antérieur à la formation du contrat, s'apprécie selon
les règles quasi-délictuelles, et ce que Ie contrat ait ou n'ait pas été finalement
conclu ( 102). Au re gard des règles du concours, la faute est donc nécessaire-
ment «étrangère» au contrat. L' on sait toutefois que la circonstance que la
faute soit de nature aquilienne ne suffit plus en soi pour ouvrir la voie à une
foction aquilienne. Encore faut-il, en effet, que Ie dommage soit «étranger» au
\contrat.

50. Cette condition relative au dommage devrait être remplie lorsque le


contrat n 'a pas été conclu, à la suite, par exemple, d'une rupture intempesti-
ve des pourparlers. Dans cette hypothèse, les plaideurs distinguent tradition-
nellement deux volets du dommage: les pertes subies, à savoir les frais et
dépenses engagées pour la négociation (damnum emergans) et Ie gain man-
qué (lucrum cessans) (103). Même si Ie second poste présente des liens assez
étroits avec l' exécution du contrat manqué, comment prétendre que Ie préju-
dice «résulte de l'inexécution» ou «de la mauvaise exécution du contrat», à
défaut précisément de contrat? Poser la question, c'est y répondre. Ceci ne
signifie pas pour autant que le tiers pourra réclamer l 'indemnisation du préju-
dice lié à la perte du bénéfice qu'il attendait du contrat. En effet, si Ie damnum

(102) X. DIEUX, op.cit., Mélanges J. Kirkpatrick, 2004, p. 237; B. DUBUISSON, op. cit., in
Traité ... , vol. 1, pp. 9 et 10; L. CORNELIS, «La responsabilité précontractuelle - conséquen-
ce éventuelle du processus précontractuel», R.G.D.C., 1990, p. 421; B. DE CONINCK, «Le
droit commun de la rupture des négociations contractuelles», Le processus de formation du
contrat, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 17 et s. L' on admet néanmoins que ce principe ne va
pas de soi. Sur l'émergence d'un principe de bonne foi, source autonome de droits et obliga-
tions, voy. P. VAN OMMESLAGHE, «L'exécution de bonne foi, principe général de droit?»,
R.G.D.C., 1987, pp. 101 ets. Il faut cependant bien reconnaître, avec d'autres, que la nature
purement aquilienne de la responsabilité générée par la faute précontractuelle ne va pas de soi.
Voy. M. FONTAINE, «Un régime harmonisé de la formation des contrats - Réexamen criti-
que» in Le processus deformation des contrats, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 849; I. CLAEYS,
op. cit., (thèse), n° 139.
(103) B. DE CONINCK et C. DELFORGE, «La rupture des négociations et Ie retrait intem-
pestif del' offre. Régime général et sancti on», Le processus de formation des contrats, Forma-
tion CUP, Bruxelles, Larcier, 09/2004, vol. 72, p. 88.

124
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODEC!VIL

emergans constitue généralement un élément du dommage réparable dans


cette hypothèse, l'indemnisation du lucrum cessans demeure, en revanche,
relativement exceptionnelle ( 104),

La question est plus délicate dans l 'hypothèse ou le contrat a été finalement


conclu et que l' on s' aperçoit, au cours de son exécution ou, plus exactement,
de son inexécution, que le dirigeant, qui a mené les négociations au nom de la
société, a commis une culpa in contrahendo, par exemple en taisant certaines
informations ou en délivrant des informations incorrectes. Dans ce cas, la
faute est certes de nature aquilienne (105). Mais qu'en est-il du dommage, en
particulier lorsque le demandeur réclame l'indemnisation du bénéfice qu'il
attendait du contrat? Si l' on définit le dommage contractuel comme étant la
privation de I'avantage qui était attendu du contrat - ce qui demeure discuté
(voy., infra n° 70 et s.)-force est d' admettre que, dans une majorité de cas, le
dommage résultant de la culpa in contrahendo ne sera pas «étranger» au con-
trat (106). Il s'identifiera à la perte totale ou partielle de la créance contrac-
tuelle, Par conséquent, l' organe jouirait de l' immunité dans de nombreuses
hypothèses de culpa in contrahendo, par application des règles du concours
et, en particulier, de la condition d'un dommage «étranger» au contrat.

51. Une autre manière d'aborder le problème consiste à écarter les condi-
tions énoncées dans l'arrêt du 7 novembre 1997 dans l'hypothèse d'une cul-
pa in contrahendo, à défaut de contrat liant le demandeur et la personne mo-
rale au moment du fait dommageable reproché au dirigeant. En effet, si l' on
admet que les conditions posées par la Cour quant à la faute et au dommage
trouvent leur raison d' être dans Ie contrat conclu entre le de man deur et la
personne morale, il est justifiable, à tout le moins sur le plan théorique, d' ex-
clure l'application des règles du concours dans l'hypothèse d'une culpa in
contrahendo commise par un dirigeant, à défaut de réelle situation de con-
cours au moment du fait dommageable, Pour reprendre les termes de l'arrêt
du 7 novembre 1997, il ne s'agit pas réellement d'un cas ou «une partie con-
tractante agit par un organe, un préposé ou un agent d 'exécution pour l' exé-
cution de son obligation contractuelle» mais d'un cas ou la future et éven-
tuelle partie contractante agit par un organe pour la négociation d'une obliga-
tion contractuelle à naître, End' autres termes, au moment de la faute précon-
tractuelle, il n'existe pas de lien contractuel entre la personne morale et le

(104) B, DE CONINCK et C. DELFORGE, op. cit., Le processus deformation des contrats,


Formation CUP, Bruxelles, Larcier, 09/2004, vol. 72, p. 88 ets., spéc. les n°s 9 à 13.
(105) X. DIEUX, op. cit., Rev. not. b,, 2006, p. 275, L' auteur est toutefois plus nuancé dans sa
contribution aux Mélanges J. Kirkpatrick, 2004, p. 234; B, DUBUISSON, op.cit., in Traité,..,
vol. 1, pp. 10 et 11, Ph. COLLE, op.cit., R.G.A.R., 1986, 11076/5.
(106) X. DIEUX, op.cit., Rev. not. b., 2006, p. 275; J. VAN RYN, «Le concours des responsa-
bilités contractuelles et délictuelles», R.C.J.B., 1957, pp. 297 et 308.

125
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

demandeur et il ne saurait donc être question de l'exécution d'une obligation


contractuelle et, partant, de concours de responsabilités ( 107).

Cette approche permettrait de justifier certaines décisions qui ont paru récal-
citrantes. Dans un arrêt du 28 mai 2002, la Cour d' appel de Liège avait retenu
la responsabilité des administrateurs d'un club de football à l'égard dujoueur
qu'ils avaient engagé alors que, selon la Cour, les administrateurs auraient dû
savoir qu'à ce moment, en raison de la situation financière du club, le club se
trouvait dans l'impossibilité d'honorer ses engagements. Ils s'étaient donc
rendus coupables d'une culpa in contrahendo en ayant trompé la légitime
confiance du joueur et en ayant agi «avec désinvolture et légèreté» à l' égard
de celui-ci. Les dirigeants invoquaient le bénéfice des règles du concours. Le
dommage consistant dans les pertes de rémunération semblait bien être un
préjudice résultant de l'inexécution du contrat et devait, partant, entraîner le
rejet de la demande. La Cour d'appel a toutefois balayé !'argument en affir-
mant que la possibilité d'engager la responsabilité aquilienne «n 'exclut pas
le dommage résultant de la mauvaise exécution oude l'inexécution du con-
trat conclu avec la personne morale» (108). Cette position n'est justifiable
que si l'on admet !'absence d'une réelle situation de concours (109).

Une autre illustration est tirée de cette affaire tranchée par le Tribunal de
première instance d' Anvers par jugement du 13 janvier 1998. Il était question
d'un contrat d'entreprise portant sur la réalisation de travaux de rénovation
qui avait été conclu alors qu'il était établi qu'au moment de la conclusion, Ie
gérant de la S.P.R.L. savait que la société ne serait pas en mesure de respecter
ses engagements. La facture n'avait jamais été payée par la société et fut
intégrée dans Ie passif de la faillite. lei encore, le dommage, à savoir la perte
de la créance dans la faillite, paraissait bien résulter de l'inexécution du con-
trat. Le tribunal a néanmoins accueilli l'action aquilienne dirigée contre le
gérant sans se référer aux règles du concours dégagées par la Cour de cassa-
tion (110). Cette décision ne doit pas surprendre si l' on considère que les

( 107) Cette solution est admise par certains auteurs, à tout Ie mains à l' égard de l' agent d' exé-
cution, I. CLAEYS, op. cit., (Thèse) n° 139, 140 et 157 et I. CLAEYS, op. cit., T.R. V., 2003,
p. 288, n° 9; H. DE WULF, op.cit., 2003; C. GEYS, op.cit., note sous Cass., 16 février 2001,
R.D.C., 2002, p. 700, n° 2. Egalement, semble-t-il, K. GEENS, M. DENEF, F. HELLEMANS,
R. TAS et J. VANANROYE, «Overzicht van rechtspraak- Vennootschappen 1992-1998»,
T.P R., 2000, p. 309, n° 271.
(108) Liège, 28 mai 2002, R.G.A.R., 2003, n° 13739.
( 109) Nous ne prétendons toutefois pas que les ju ges ont effectivement suivi ce raisonnement.
110) Civ. Anvers, 13 janvier 1998, R. W, 1999-2000, p. 988, note E. De Beuckelaer, J.D.S.C.,
001, p. 205, n° 318 et les observations critiques de M-A. DELVAUX sous la décision et dans
e livre 24.1 du Guide Juridique de l'entreprise, (coord. M. COIPEL et P. WERY) «Les res-
onsabilités des fondateurs, administrateurs et gérants des S.A., S.P. R.L. et S.C.R.L.», Kluwer,
~
p. 56.

126
LES PIEGES DE L. ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

conditions du concours n'étaient pas réunies au moment du fait dommagea-


ble.

Cette position, qui consiste à rejeter purement et simplement l'application


des règles du concours en cas de culpa in contrahendo, même lorsque Ie
contrat a été finalement conclu, peut paraître abstraite au regard des réalités
économique et psychologique qui caractérisent la phase précontractuelle. L' on
ne saurait nier, en effet, que cette faute présente la particularité d'être intime-
ment liée à un contrat, certes «en devenir», en particulier lorsqu'elle a con-
duit l'autre partie à contracter (111). Cette particularité pourraitjustifierqu'un
sort particulier lui soit réservé pour l' application des règles du concours. L' ex-
clusion des règles du concours sera peut-être moins embarrassante lorsque la
faute précontractuelle est, en outre, constitutive de dol, justifiant alors l' an-
nulation du contrat. Dans ce cas, l'inapplication des règles du concours peut,
en outre, se justifier par la nullité du contrat, à tout Ie moins sur Ie plan théo-
rique (112). Il en va de même lorsque la faute du dirigeant est constitutive
d'infraction pénale (telle que l' obligation de déposer des comptes annuels
qui reflètent une image fidèle del' entreprise) ce qui a pour effet d' écarter les
règles du concours. Voy. infra Section 5 ( 113).

52. Les incertitudes concernant l' application des règles du concours à la


phase précontactuelle ont été alimentées par l' arrêt controversé du 16 février
2001. Ses commentateurs se sont en effet demandé si celui-ci n'avait pas
entendu consacrer l'extension des règles du concours à la faute précontrac-
tuelle, voire Ie rattachement de la faute pré-contractuelle au domaine de la
responsabilité contractuelle ( 114 ). La doctrine s' ace orde néanmoins pour re-
jeter cette interprétation (115).

Les doutes avaient pourtant gagné la jurisprudence. C' est ainsi que certaines
décisions rendues au lendemain de l'arrêt du 16 février 2001, mais avant
l'arrêt du 20 juin 2005, ont cru pouvoir s'appuyer sur eet arrêt pour rejeter
l'action en responsabilité aquilienne fondée sur une faute pré-contractuelle
du dirigeant (116). La Cour d'appel de Gand a par exemple voulu appliquer

(111) Ce qui pourrait, du reste, constituer un cas de nullité (voy. ci-dessus).


(112) Voy. les critiques de X. DIEUX sur ce point in Rev. not. b., 2006.
(113) Comm. Hasselt, 25 juin 2002, T.R. V., 2003, p. 81 ets., note J. VANANROYE.
(114) Voy. notamment A. COIBION, op. cit., R.D.C., 2006 et les références citées en note
n° 23.
( 115) X. DIEUX, op. cit., Rev. not. b., 2006, p. 261 et X. DIEUX, op. cit., Mélanges J. Kirkpa-
trick, 2004, p. 238.; P. VAN OMMESLAGHE, op.cit., Mélanges M. Coipel, 2005, pp. 784-
785.
(116) Voy. ainsi Gand, 6 mai 2004, R. W., 2005, p. 668, NjW., 2005, liv. 102, p. 261, note H. DE
WULF.

127
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

les conditions du concours dans un cas de culpa in contrahendo, en se réfé-


rant aux arrêts de la Cour de cassation du 16 février 2001 et du 11 septembre
2001 (117). La manceuvre consistant, en l'espèce, à manifester une apparence
trompeuse de solvabilité en vue d' amener Ie cocontractant à réaliser des tra-
vaux a néanmoins été qualifiée d' escroquerie au sens de l' article 496 du Code
pénal, ce qui permet en tout état de cause d'éviter l'application des règles du
concours (118) (voy., infra, section 5).

53. Enfin, on notera que les observations qui précèdent ne concement pas
les situations ou les négociations ont donné lieu à des accords préliminaires
(avant-contrats, protocoles d'accord, lettres d'intention, etc.). Certains de ces
actes peuvent donner naissance à des obligations applicables dans Ie cadre
des négociations (p. ex.: une clause de confidentialité ou d'exclusivité). La
faute précontractuelle consistant dans la violation de la clause d'exclusivité,
faisant, par exemple, suite à la rupture des pourparlers, serait alors suscepti-
ble d'engager la responsabilité contractuelle de la personne morale. La res-
ponsabilité aquilienne de l'organe ne pourrait alors être engagée qu'aux con-
ditions fixées par l' arrêt du 7 novembre 1997 (119).

Sous-section 2
Le fait reproché n'est pas accompli pour l'exécution du contrat

54. L'immunité déduite des conditions du concours ne bénéficie au diri-


geant de personne morale que lorsqu'il agit pour l'exécution d'une obliga-
tion contractuelle de la personne morale; ce qu'il fait en sa qualité d'organe
voire d'agent d'exécution oude préposé de la personne morale (120).

55. Les règles du concours ne s'appliquent pas en dehors de l'hypothèse


d'un manquement contractuel de la société. Il y a donc lieu de déterminer au
préalable Ie contenu obligationnel du contrat conclu par cette demière. La
doctrine a relevé les difficultés que peut susciter la détermination de ce con-
tenu (121). Il faut dire que Ie juge dispose d'un très large pouvoir d'apprécia-

( 117) Rappelés dans les conclusions de M. l'avocat général LECLERQ précédant !'arrêt du 20
juin 2005.
(118) Gand, 6 mai 2004, NJW, 2005, p. 261.
(119) En ce sens, X. DIEUX, op.cit., Rev. not. b., 2006, p. 274.
(120) P. COLLE, op.cit., R.G.A.R., 1986, n° 11076/2, n° 10.
(121) B. DUBUISSON, op.cit., in Traité ... , vol. 1, pp. 7-18, P. WERY, op.cit., R.G.D.C.,
1998, p. 88; R-O. DALCQ et F. GLANSDORFF, «Responsabilité aquilienne et contrats», note
sous Cass., 7 décembre 1973, R.C.J.B., 1976, p. 22, n° 2.

128
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

tion en la matière (122). Il lui appartient en effet de déterminer, au regard de


la volonté des parties, les obligations qui ne sont pas formellement exprimées
dans le contrat. Il en tirera les obligations complémentaires imposées par le
principe d' exécution de bonne foi des conventions ainsi que par les «suites
que l'équité, l'usage et la loi donnent à l'obligation d'après sa nature» (art.
1135). Cette situation rend très périlleuse l' élaboration d'une théorie sur les
limites du domaine contractuel. Cette difficulté s'exprime notamment au tra-
vers des obligations de sécurité. Par exemple, un contrat d'entreprise portant
sur l'installation d'un système de tuyauterie contient-il, implicitement, une
obligation contractuelle de sécurité à l'égard du bätiment? Comme nous le
verrons, il n'est pas rare en pratique, que Ie juge fasse reprendre par le contrat
une obligation qui constitue déjà, indépendamment de celui-ci, une obliga-
tion de prudence s'imposant à chacun (123).

56. Pour l'exécution des obligations contractuelles de la société, le diri-


geant peut agir en sa qualité d'organe, d'agent d'exécution ou de préposé
(124). Les comportements quine présentent aucun lien, même ténu, avec Ie
cadre de ces fonctions, ne peuvent donner lieu à l'application des règles du
concours. Pour des raisons pratiques, il convient de distinguer l 'hypothèse ou
le dirigeant assure lui-même l'exécution matérielle d'une obligation contrac-
tuelle déterminée de la société (p. ex.: la délivrance d'un conseil fiscal, l'ins-
tallation d'un système de chauffage) et celle ou le dirigeant agit qualitate
qua, c'est-à-dire en tant que «gestionnaire» de la société. Les difficultés de
qualification de l 'acte du dirigeant seront d' ordre différent selon l 'hypothèse
envisagée.

56.a. Lorsque le dirigeant agit en tant qu' exécutant de prestations détermi-


nées qui incombent à la personne morale, comme c' est sou vent le cas dans les
sociétés de petite dimension (livraison, installation, entretien, etc.), le lien
avec les fonctions est évident. L'on n'entrera pas dans Ie détail des discus-
sions quant à la qualité en vertu de laquelle Ie dirigeant intervient dans cette
hypothèse: organe ou agent d' exécution (125). Reste alors à déterminer le
( 122) I. CLAEYS, op. cit., (Thèse), p. 53, S. VAN CROMBRUGGE, «De aansprakelijkheid
van vennootschapsbestuurders», R. W, 1989-1990, p. 1445, n° 11.
(123) I. CLAEYS, op.cit., (Thèse), p. 53.
(124) P. VAN OMMESLAGHE, op.cit., Mélanges M. Coipel, 2005, p. 775; I. CLAEYS, op.
cit., T.R. V., 1998, p. 285.
( 125) D' aucuns soutiennent même que, dans ce cas, Ie dirigeant pourrait revendiquer Je béné-
fice de l'immunité en sa qualité d'agent d'exécution, conformément à !'arrêt de 1973.
I. CLAEYS, op. cit., T.R. V., 1998, p. 285, n° 10; P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., Mélanges
M. COIPEL, 2005, p. 775. D'autres estiment que, même dans ce cas, c'est en qualité d'organe
que Ie dirigeant intervient. Sur la distinction entre un organe et un agent d'exécution, voy. I.
CLAEYS, op.cit., (Thèse), n°' 150-152 et V. SIMONART, op.cit., R.C.J.B., 1999, p. 56, spéc.
n° 29.

129
DENIS PHILIPPE ET GREGO!RE GATHEM

contenu obligationnel du contrat avec les difficultés que cette opération com-
porte.

56.b. Le dirigeant peut aussi se rendre coupable d'une faute en sa qualité de


«gestionnaire». C'est dans ce cadre que Ie dirigeant, en qualité d'organe en
principe, assume, au nom de la société, la gestion des contrats et accomplit
les actes nécessaires à la bonne exécution de ceux-ci (ex.: investissement,
nomination de personnel, limitation des dettes). Les actes (décisions) qu'il
accomplit en cette qualité sont susceptibles de précipiter la société dans des
difficultés financières et, à terme, d' entraîner l' inexécution de ses obligations.
Ces actes, matériels et/oujuridiques, sont ceux de la société elle-même, en ce
compris, en principe, les actes fautifs. En revanche, tous les actes accomplis
par les organes ne sont pas des actes accomplis par la personne morale. C' est
Ie cas des actes accomplis en dehors de ses fonctions. Dès lors que l' organe
agit en dehors de ses fonctions, à tout Ie mains apparentes voy. supra, Titre 1,
ses actes ne sont plus réputés être ceux de la personne morale et Ie dirigeant
ne peut plus revendiquer Ie bénéfice des conditions du concours. Dans ce cas,
il n'agit plus pour l'exécution d'une obligation contractuelle de la personne
morale et il n'est pas question de l'exécution d'une obligation contractuelle
de la personne morale et, partant, de concours. Le demandeur ne doit donc
pas démontrer l'existence d'un dommage distinct de celui résultant de l'inexé-
cution du contrat dans ce cas (126).

Encore faut-il déterminer la limite des fonctions de l'organe. L'on sait que
cette limite n' est pas à rechercher dans les statuts de la société. On se conten-
te de rappeler que les restrictions statutaires aux pouvoirs de ses dirigeants ne
sont pas opposables aux tiers, en manière telle qu' à l' égard de ces demiers,
les sociétés sont susceptibles d'engager leur responsabilité même si leur or-
gane dépasse l'objet social (127) (voy., supra Titre 1).

Sous-section 3
Le demandeur en responsabilité n'est pas un cocontractant de la person-
ne morale

57. L'action en responsabilité doit être intentée par une partie contractan-
te de la société. Les créanciers contractuels (impayés) sont d'ailleurs les plus
nombreux lorsque la question de l' immunité du dirigeant se pose générale-
ment dans la pratique, à savoir au moment de la faillite (128). Les règles du

(126) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., Mélanges M. Coipel, 2005, p. 783, n° 15.
(127) G. HORSMANS, op.cit., Mélanges W van Gerven, n° 8.1.
(128) M. COIPEL, Observations sous Cass., 7 novembre 1997, J.D.S.C., 2000, p. 8.

130
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

concours ne s' appliquent pas dans les hypothèses ou l' action en responsabili-
té émane de créanciers quine se trouvent pas dans les liens d'un contrat avec
la société. C'est le cas notamment de certains créanciers «institutionnels», de
l'actionnaire individuel, de la caution garante des engagements de la société
et, quoique de manière plus controversée, du curateur agissant en représenta-
tion de la «masse» des créanciers.

En principe, les organismes de sécurité sociale et l' administration fiscale ne


sont pas créanciers contractuels de la société. Cette précision est importante
dans la mesure ou cette demière ne ménage pas ses efforts pour s'attaquer
directement aux dirigeants. A plusieurs reprises, elle a d'ailleurs obtenu la
condamnation personnelle des administrateurs pour défaut de versement des
sommes retenues sur les rémunérations au titre de précompte professionnel
(129) ou les dettes de T.V.A. (130).

N' est en principe pas créancier contractuel de la société l' actionnaire qui,
titre individuel, chercherait à engager la responsabilité du dirigeant. Ce der- .
nier ne doit pas mains prouver l'existence d'un préjudice individuel et indé-
à]
pendant du préjudice indirect qu'il subit par suite de l'atteinte au patrimoine
social (] 31 ). ----

Sous réserve d'une convention particulière, la caution qui s'est portée garan-
te des engagements souscrits par la personne morale envers une banque n'est
pas un cocontractante de la personne morale. Sa demande en responsabilité
n'est donc pas soumise aux conditions du concours en principe (132).

58. Cette condition personnelle devrait également permettre d' écarter l' ap-
plication des règles du concours à l' action en responsabilité intentée par Ie

( 129) Par exemple: An vers (8ème ch.), 11 décembre 2003, T.R. V., 2004, p. 50; Liège, 24 octobre
2003, F.J.F., 2005, liv. 5. p. 407; Anvers, 6 mars 2003, R.D.C., 2005, pp. 387 ets.; Anvers (5èmc
ch.), 30 janvier 2003, J.D.S.C., 2005, p. 180, n° 666; Anvers (5ème ch.), 3 octobre 2002, R. W,
2003-2004, n° 17, p. 663; Anvers, 13 décembre 1999, T.R. V., 2000, p. 32 et note; Anvers, 6
avril 1999, T.R. V., 2000, p. 33 et note. Cette jurisprudence a été critiquée. Sur l'aggravation de
la responsabilité des administrateurs qui résulte de la loi-programme du 20 juillet 2006, voy. le
texte de Y. DE CORDT et M.A. DELVAUX.
(130) Civ. Mons (fisc.) (lère ch. temp.), 29 avril 2003, F.J.F., 2003, liv. 10, p. 1000, J.D.S.C.,
2005, p. 159, n° 661.
(131) Liège (7èmc ch.), 9 septembre 2004, J.T., 2005, p. 85. La Cour a considéré que la diminu-
tion du versement futur des dividendes, la perte de son statut de minorité de blocage, la dimi-
nution du profit qu'il escomptait tirer de la plus-value des immeubles constituant l'actif de la
société ne sont pas des préjudices indépendants du préjudice résultant de l' atteinte au patri-
moine social.
(132) Bruxelles (16ème ch.), 28 avril 2004, J.T., 2004, p. 800, J.D.S.C., 2006, p. 113.

131
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM

curateur agissant en représentation de la «masse» des créanciers (133). Le


curateur n'a pas conclu de contrat avec la personne morale. Il représente la
masse des créanciers, qui rassemble elle-même des créanciers contractuels et
extracontractuels de la société, et non un créancier (contractuel) individuel.
Les règles du concours ne devraient donc pas s' appliquer pour ce motif. Dans
la jurisprudence, la question est généralement abordée sous l' angle du dom-
mage. Le juge constate que la condition d'un dommage distinct est rencon-
trée après avoir relevé que le dommage dont la réparation est poursuivie par
le curateur agissant au nom de la masse des créanciers est un préjudice com-
mun à !'ensemble des créanciers et donc distinct du préjudice individuel des
créanciers contractuels (134) (voy. infra).

Une partie de la doctrine persiste à soutenir l'application de l'arrêt du 7 no-


vembre 1997 pour apprécier la responsabilité du dirigeant lorsque le curateur
poursuit la réparation du préjudice subi par les créanciers, du fait de la dimi-
nution de leur gage commun par suite de la poursuite abusive d'une activité
déficitaire. M. X. Dieux propose ainsi de distinguer du «quantum» de l'in-
demnité que le curateur peut réclamer, la part prise par les créanciers qui ne
sont pas titulaire d'une créance purement extracontractuelle (135) (voy., in-
fra, section 6).

Sous-section 4
L'immunité n'est pas invoquée - La condition procédurale

59. Il n'est pas contesté que les conditions du concours ne sont pas d'ordre
public (136). Par conséquent, les Cours et tribunaux ne les appliqueront pas
si le défendeur en responsabilité ne les soulève pas. Ils ne pourraient d' ailleurs
les appliquer sans violer le principe dispositif. Ce principe doit néanmoins
être conjugué avec un autre principe de droit judiciaire selon lequel le juge
doit appliquer au complexe de faits qui lui sont soumis par les parties la cor-
recte règle de droit (pour autant qu'il ne modifie pas la cause et l'objet): «Da
mihifactum, dabo tibi ius» ou «Jura novit curia». Dans son acception tradi-
tionnelle, ce principe devrait permettre au juge de considérer, le cas échéant

(133) L'on ne reviendra pas sur la controverse qui a alimenté la doctrine quant au droit du
curateur d' agir en représentant de la masse des créanciers pour réclamer, sur la base de l' article
1382 du Code civil, la réparation du préjudice résultant de la poursuite d'une activité irrémé-
diablement déficitaire. Voy., à ce sujet, J. WINDEY, op.cit., R.D.C., 2001, p. 294 ets.
(134) Liège (7ème ch.), 19 octobre 2004, R.D.C., 2006, p. 426, note M. COIPEL, J.D.S.C.,
2006, p. 122, n° 731; M.A. DELVAUX, op.cit., J.D.S.C., 2006, p. 12.
(135) X. DIEUX, op.cit., Rev. not. b., 2006, p. 267.
(136) Notamment, P. WERY, op.cit., R.G.D.C., 1998, p. 91, n° 10; E. DIRIX et A. VAN
OEVELEN, «Kroniek van het verbintenissenrecht (1985-1992)», R. W, 1992-1993, p. 1227.

132
LES PIEGES DE L' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

par le détour d'une requalification de la cause et après débat contradictoire,


que les conditions de la responsabilité contractuelle sont réunies à l' égard de
la personne morale - pour autant qu'une action en responsabilité soit dirigée
contre elle -, même si cette responsabilité n' est pas explicitement invoquée,
Il s'agit certainement d'une question qui mérite réflexion en tenant compte
notamment de l'arrêt récent de la Cour de cassation du 14 avril 2005 (137),

La Cour d'appel avait décidé qu'elle ne pouvait pas examiner si la défende-


resse était contractuellement responsable, dès lors que la demanderesse ne
l'interpellait que sur base de sa responsabilité quasi-délictuelle, La Cour de
cassation a estimé qu'en décidant ainsi, sans examiner la responsabilité con-
tractuelle de la défenderesse sur base des faits que la demanderesse rapportait
pour étayer sa demande, le juge d'appel ne motive pas en droit sa décision.

SECTION 4
LES CONDITIONS RELATIVES À LA FAUTE ET AU DOMMAGE

Sous-section 1
La jurisprudence de la Cour de cassation: une formule ambivalente

60. Nous avons tenté de circonscrire le domaine d'application des règles


du concours pour notre propos: Ie créancier contractuel de la personne mora-
Ie cherche à engager la responsabilité aquilienne du dirigeant dont la faute est
à l'origine de l'inexécution de la convention voy. Section 3. Dans ce cas,
qu'il agisse en qualité d'agent d'exécution ou d'organe, le dirigeant «ne peut
être déclaré responsable sur Ie plan extracontractuel que si lafaute mise à sa
charge constitue un manquement non à une obligation contractuelle mais à
l 'obligation générale de prude nee et que si cette faute a causé un dommage
autre que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat». Pour <lire les
choses simplement, la faute et le dommage allégués doivent être «distincts»
du contrat.

§ 1. La question des obligations mixtes

61. Une question divise toujours la doctrine. Faut-il déduire de cette for-
mule que la responsabilité aquilienne du dirigeant ne peut être engagée qu'à
la double condition que la faute et le dommage soient «totalement» étrangers

(137) Cass., 14 avril 2005, JLMB., 2005, p, 856, J.T., 2005, p. 796, note J. VAN COMPER-
NOLLE, R.AB,G., 2005, note R. VERBEKE. L' on consul tera également, sur cette question, la
thèse de J-F. VAN DROOGHENBROECK, Cassation et juridiction, Jura dicit curia, Bruxel-
les - Paris, Bruylant - L.G.D,J., 2004.

133
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

au contrat? Ou, au contraire, peut-on considérer que l'action aquilienne peut


être exercée dès lors que la faute et le dommage ne sont pas purement con-
tractuels mais sont, dans le même temps, de nature extra-contractuelle?

En réalité, la question n'a d'intérêt que s'agissant des obligations suscepti-


bles d'une double qualification, également appelées obligations «mixtes» ( 138),
c'est-à-dire les obligations qui découlent de la convention entre parties mais
qui constituent, dans le même temps, une règle générale s'imposant à tous et
pour l' application desquelles Ie contrat est l' occasion. Par contre, les obliga-
tions «purement contractuelles», à savoir celles qui ne trouvent leur source
que dans le contrat et qui n'existent pas indépendamment de celui-ci, relè-
vent exclusivement de la responsabilité contractuelle. Par exemple, le non-
paiement de facture d'un réparateur (garagiste) (139). Il en va de même pour
les obligations «pure ment extra-contractuelles» qui ne peuvent générer qu' une
responsabilité extra-contractuelle ( 140).

62. L' affirmation de la Cour selon laquelle la faute reprochée à l' organe
doit constituer «un manquement non à une obligation contractuelle mais à
l'obligation générale de prudence», ne permet pas en soi, par une analyse
exclusivement littérale, de résoudre Ie problème des obligations «mixtes».

Comme Ie Professeur X. Dieux, nous pensons que l'affirmation que la faute


alléguée par Ie demandeur en responsabilité sur le fondement des articles
1382 et 1383 du Code civil doit constituer la violation «non de l'obligation
contractuelle mais d'une obligation qui s 'impose à tous» ne signifie pas que
le comportement constitutif de cette faute aquilienne ne puisse constituer si-
multanément une faute contractuelle (141). Le fait que la Cour ait modifié la
formule qu' elle utilisait dans son arrêt de 1971 ( 142) pourrait s' expliquer par
une politique jurisprudentielle destinée à préserver Ie domaine de l' apprécia-

(138) B. DUBUISSON, op.cit., in Traité ... vol. 2, pp. 25-28; M. VAN QUICKENBORNE,
«Réflexions sur Ie dommage purement contractuel», note sous Cass., 14 octobre 1985, R.C.J.B.,
1988, p. 347, n° 6.
(139) Civ. Louvain, 24 septembre 2003, R.A.B.G., 2005, p. 50 ets., note L. WERMOESJE.
(140) B. DUBUISSON, op.cit., in Traité ... vol. 1, p. 26.
(141) X. DIEUX, op.cit., Mélanges J. Kirkpatrick, 2004, p. 230. Voy. également V. SIMO-
NART, op.cit., R.C.J.B., 1999, p. 739, n° 8.
(142) Lorsque «Ie droit dont la violation constitue le fondement de I 'action intentée, à savoir
Ie droit à lafourniture de courant électrique, trouve son origine et ses conditions d'existence
dans Ie contrat conclu entre parties, et que le dommage subi n 'est dû qu 'au seul manquement
de la demanderesse aux obligations résultant dudit contrat (. .. ), les conséquences de cette
violation sont, dès fors, entre parties contractantes, exclusivement régies par les principes qui
règlent la responsabilité contractuelle». Cass., 4 juin 1971, R.C.J.B., 1976, p. 12 ets., note
R-O. Dalcq et F. Glansdorff.

134
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

tion en fait, par le juge du fond, et qui lui permettrait «sans se contredire de
refuser de censurer l 'accueil, par le juge du fond, d'un recours aquilien entre
parties contractantes ou vis-à-vis d'un préposé ou d'un agent d'exécution,
alors que la faute et le dommage invoqués à l'appui de pareil recours ne
seraient pas(. .. ) purement extra-contractuels» (143).

63. Deux interprétations demeurent soutenues en doctrine. Une fraction


significative de celle-ci, se basant en partie sur les termes del' arrêt, voit dans
cette formule l'exigence d'une faute qui soit totalement étrangère au contrat
et constitue uniquement la violation d'une obligation qui s'impose à tous,
soit une faute purement extra-contractuelle (interprétation dite «maximalis-
te» ou «verdwijningsleer» ). Selon cette conception encore très répandue voi-
re majoritaire, dès que l' obligation méconnue a une origine contractuelle,
elle ne peut donner lieu à une responsabilité aquilienne même si cette faute
est également constitutive d'un manquement au devoir général de prudence
(144). La responsabilité contractuelle est exclusive de la responsabilité qua-
si-délictuelle et la catégorie des fautes «mixtes» devient sans intérêt pour la
question du concours: elles sont des fautes contractuelles. D'autres auteurs
défendent au contraire que la condition d'une faute non contractuelle autorise
la faute dite «mixte». En conséquence, le seul fait d'introduire une obligation
dans le contrat n' aurait pas en soi pour effet d'exclure une action aquilienne.
Celle-ci serait alors ouverte aux conditions «affinées» par la Cour de Cassa-
tion («verfijningsleer»), tenant à l'exigence d'un dommage distinct. Cette
opinion semble soutenue par une fraction croissante de la doctrine (145).

( 143) X. DIEUX, op.cit., Mélanges J. Kirkpatrick, 2004, p. 232, citant sur ce point I. RORI-
VE, Le revirement de jurisprudence - Etude de droit anglais et de droit beige, Bruylant, 2003.
( 144) P. WERY, op.cit., R.G.D.C., 1998, p. 88; A. VAN OEVELEN, «Actuelejurisprudentiele
en legislatieve ontwikkelingen inzake de sancties bij niet-nakoming van contractuele verbinte-
nissen», R. W, 1994-1995, p. 799; H. VANDENBERGHE, M. VAN QUICKENBORNE et
L. WYNANT, «Overzicht van rechtspraak. Aansprakelijkheid uit onrechtmatige daad (1985-
1993), T.P.R., 1995, pp. 1521 ets.; M. VAN QUICKENBORNE, p. 347, n° 6; R. KRUITHOF,
«Overzicht van rechtspraak (1971-1980)- Verbintenissen», T.P. R., 1983, p. 610, n° 106; R-O.
DALCQ, «Examen de jurisprudence (1973-1979) - La responsabilité délictuelle et quasi-dé-
lictuelle», R. C.J.B., 1980, pp. 355 ets.; R-O. DALCQ et F. GLANSDORFF, op. cit., R. C.J.B.,
1976, p. 30, n° 11; Rasir, «Cumul de la responsabilité contractuelle et aquilienne», J. T., 1976,
p. 164. L'on retrouve également cette conception chez H. DE PAGE.
(145) I. BLOCKX et E. JANSSENS, op.cit., R.A.B.G., 2005/17, p. X; G. GATHEM, op.cit.,
D.A.O.R., 2005/76, p. 346; B. DUBUISSON, op.cit., vol. 2, pp. 21, 24 et 25; V. SIMONART,
op. cit., R. C.J.B., 1999, p. 739, n° 8; X. DIEUX et D. WILLERMAIN, op. cit., Les contrats de
service, Ed. Jeune Barreau de Bruxelles, 1994, p. 218, note 28; J. HERBOTS, op.cit., T.P.R.,
1980, p. 1083; J. VAN RYN, «Responsabilité et contrats», J.T., 1975, pp. 505 ets.; J-L. FA-
GNART, «La responsabilité personnelle de !'agent d'exécution», obs. sous Cass., 7 décembre
1973, R.G.A.R., 1974, n° 9317, n° 12. Et aussi, semble-t-il, A. COIBION, op.cit., R.D.C.,
2006, p. 423, n° 8; P. VAN OMMESLAGHE, op.cit., Mélanges M. Coipel, 2005, p. 775.

135
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

§ 2. Commentaires

64. A retenir une interprétation maximaliste, la violation d'une obligation


«mixte» ne pourraitjamais ouvrir une action aquilienne à l'encontre de l'or-
gane. Il n'y aurait pas lieu de s'interroger sur l'existence d'une violation des
articles 1382 et 1383 du Code civil dès lors que l' obligation méconnue fait
partie, expressément ou implicitement, de la convention. Cette interprétation
conduit à accorder une grande importance à la volonté des parties. Elle abouti
à exclure la possibilité d'une action aquilienne dès qu'une obligation a été
intégrée expressément ou implicitement dans le contrat par les parties ou par
le juge. Or, on sait que le principe d' exécution de bonne foi des conventions,
notamment dans sa fonction complétive, et l'article 1135 du Code civil con-
duisent le juge à étendre considérablement le périmètre du contrat ce qui,
selon les partisans d'une interprétation plus souple, conduit à des restrictions
difficilement justifiables.

Par ailleurs, l'importance qui est ainsi accordée à la volonté des parties n'est
pas sans paradoxe. En effet, l' organe aurait intérêt à accroître les charges
contractuelles de la personne morale, en contractualisant certaines obliga-
tions, pour échapper, sur le plan personnel, à toute responsabilité résultant de
l'inexécution de ces charges. Il en résulte que l'interprétation «maximaliste»
des conditions du concours aboutit à des conséquences difficilement conci-
liables avec l'intérêt social que doit poursuivre le dirigeant et l'objectif de
responsabilisation du dirigeant. A noter néanmoins, pour relativiser quelque
peu la portée de cette critique, que cette extension du périmètre contractuel
n'aura pas d'effet sur les obligations pénalement sanctionnées, ce qui, com-
me nous le verrons, réduit considérablement les risques d'une déresponsabi-
lisation du dirigeant.

65. L' admission des fautes mixtes trouve quant à elle un appui dans la
manière dont la Cour de cassation traite la question de la coexistence. Lors-
qu 'un tiers, autre qu'un créancier contractuel, entend engager la responsabili-
té aquilienne de l' administrateur, il doit «sortir» du contrat censé exister entre
ce dernier et la société (voy. n° 36 et 37). Pour ce faire, il doit établir que la
faute de gestion, faute contractuelle par rapport au contrat société-dirigeant,
n' est pas une pure faute de gestion mais constitue dans le même temps une
violation del' obligation générale de prudence ( 146). Dans le cadre de la coexis-
tence, la faute mixte est donc de nature à pouvoir engager la responsabilité de
l'organe à l'égard d'un créancier non contractuel de la personne morale et

(146) M. COIPEL, «Les limites de la théorie de l'organe», obs. sous Cass., 7 novembre 1997,
J.D.S.C., 2000, pp. 6 ets.

136
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

l' on peut se demander pourquoi il devrait en aller différemment dans le cadre


du concours ou il s'agit de «sortir» du contrat existant entre le demandeur et
la personne morale (147). On dira que la condition d'un dommage distinct
n'est pas formellement exprimée par la Cour dans ce cas. Néanmoins, cela ne
signifie pas qu' elle soit absente. Il est en effet permis de supposer que, dans
ce cas, le dommage sera nécessairement étranger au contrat (de mandat), le
demandeur n'étant pas partie au contrat (de mandat) (148). A la différence de
la société, le tiers n'a, en principe, aucune attente générée par le contrat dont
l'inexécution de ce contrat pourrait Ie priver (149).

Lajurisprudence de la Cour de cassation en cas d'infraction pénale est égale-


ment citée à l' appui de cette interprétation. Dans son arrêt du 26 octobre
1990, la Cour distingue Ie dommage «de nature exclusi vement contractuelle»
du dommage simplement «causé en suite de la mauvaise exécution de l'obli-
gation contractuelle de veiller à la sécurité de la victime». Elle déclare que
«le dommage causé par unfait légalement punissable ne peut être considéré
comme un dommage de nature exclusivement contractuelle par le seul motif
qu'il a été causé en suite de la mauvaise exécution de l'obligation contrac-
tuelle de veiller à la sécurité de la victime»; ce qui semble indiquer une pré-
férence pour la seconde thèse (150).

Sous réserve de confirmation, un arrêt récent du 29 septembre 2006 rendu par


la première chambre néerlandaise de la Cour de cassation pourrait bien indi-
quer, de par l'utilisation d'une formule quelque peu différente, une préféren-
ce pour la seconde interprétation. La Cour déclare en effet que «le contrac-
tant ne peut être déclaré quasi-délictuellement responsable que si lafaute qui
lui est mise à charge constitue un manquement non seulement à l 'obligation
contractuelle mais aussi au devoir général de diligence qui lui incombe et si
cette faute a causé un dommage autre que celui qui est dû à la mauvaise
exécution» (151).
(147) Dans Ie même sens, M. COIPEL, op.cit., J.D.S.C., 2000, p. 8.
(148) En ce sens, M. COIPEL, op.cit., J.D.S.C., 2000, p. 8, n° 5.
(149) Voy. aussi les réflexions, à ce sujet, dans I. CLAEYS, op. cit., (Thèse), n° 485 et la
référence citée en note 2056.
(150) Voy. aussi: La circonstance que l'obligation de respecter des règles sanctionnées par les
articles 1382 et 1383 du Code civil a été rappelée dans la convention «n 'a point pour effet de
modifier la nature de cette obligation légale pour ne lui reconnaître qu 'un caractère conven-
tionnel», Cass., 18 mai 1961, Pas., 1961, I, p. 1006, cité par B. DUBUISSON, op.cit., Trai-
té.. ., vol. 2, p. 25, note 2.
(151) Traduction libre de: «De contractant( ... ) kan slechts quasi-delictueel aansprakelijk
worden gesteld indien de hem ten laste gelegde fout een tekortkoming uitmaakt niet alleen aan
de contractuele verbintenis maar ook aan de algemene zorgvuldigheidsplicht die op hem rust
en indien deze fout andere dan aan de slechte uitvoering te wijten schade heeft veroorzaakt».
Cass., 29 septembre 2006, NjW, 2006, p. 943 et sur http://www.cass.be, n° C030502N. Voy.
.. ./ ...

137
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

Sous-section 2
La qualification de la faute - La faute alléguée ne doit pas être un man-
quement contractuel

66. Quand la faute du dirigeant constituera-t-elle une faute autre que con-
tractuelle? Le seul critère de qualification de la faute doit résider dans la sour-
ce de l' obligation méconnue. La source de l' obligation doit, simultanément
ou exclusivement, selon la thèse envisagée (voy. n° 63), être distincte du con-
trat.

Les difficultés liées à cette opération de qualification sont de nature variable


selon la qualité en vertu de laquelle le dirigeant intervient. Pour des raisons
pratiques, nous reprenons la distinction opérée plus haut (n° 56) selon que le
dirigeant agit en qualité d'exécutant matériel des prestations contractées par
la personne morale ou en qualité de «gestionnaire», de cette dernière.

§ 1. Lafaute de gestion - Le dirigeant en tant que «gestionnaire»

67. La condition d'un «manquement non à l'obligation contractuelle» ne


devrait pas être un obstacle insurmontable lorsque l' on envisage une faute de
gestion de l'organe ayant, par exemple, eu pour effet de précipiter la person-
ne morale dans des difficultés financières (p. ex.: un désintérêt pour la socié-
té, une série d'investissements hasardeux). Nous crayons pouvoir affirmer
sans grand risque que cette faute, à supposer qu'elle soit qualifiée comme
telle, présentera un caractère distinct du contrat. En effet, elle ne constituera
pas la violation d'une obligation trouvant sa source dans la convention con-
clue avec le créancier contractuel de la société (152).

Dans une affaire ou intervenait dans le cadre des activités de gérant, il été
jugé que constituait une faute engageant sa responsabilité quasi-délictuelle
personnelle Ie fait de signer un chèque dont il savait ou ne pouvait ignorer
qu'il n'était pas provisionné car aucune personne n'apportant à la gestion de
ses affaires Ie soin et la prudence normale n' adopte un tel comportement.

.. ./ ...
aussi Cass., 21 juin 2002, Pas., 2002, p. 1407: «La responsabilité d'une partie contractante
peut être engagée, sur le plan extra-contractuel, du chef d'une faute commise fors del' exécu-
tion d'un contrat, pour autant que lafaute qui lui est imputée constitue un manquement non à
une obligation contractuelle, mais à l'obligation générale de prudence ou à une obligation,
imposée par une norme, des 'abstenir ou d'agir d'une manière déterminée et que cettefaute
ait causé un dommage autre que celui qui résulte de la mauvaise exécution du contrat».
( 152) P-A. FORIERS, «Immunité des agents d'exécution - Représentation et responsabilité
des administrateurs: quelques développements récents» in Groupes de contrats et ensembles
contractuels, Chaire Francqui 2004-2005, n° 8; M. COIPEL, op.cit., J.D.S.C., 2000, p. 8, n° 5.

138
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

Remarquons toutefois que, même si cela n'a pas été relevé en l'espèce, l'émis-
sion de chèques sans provision constitue une infraction pénale, ce qui ouvre
la voie à l'action aquilienne (153).

§ 2. Lafaute d'exécution - Le dirigeant en tant qu'«exécutant»

68. Lorsque le dirigeant assume lui-même l' exécution matérielle d'une obli-
gation contractuelle déterminée de la personne morale (des travaux de pein-
ture, un conseil comptable), les difficultés se posent dans les mêmes condi-
tions que lors d'une action entre parties contractantes. Il faut alors déterminer
Ie contenu obligationnel de la convention, avec les difficultés que cette opé-
ration comporte (voy. n° 55).

69. Contentons-nous, à eet égard, de relever certaines tendances.

Tout d'abord, la gravité de la faute n'est pas un critère qui détermine la qua-
lification contractuelle ou quasi-délictuelle de celle-ci. Le caractère grossier
ou lourd d'une faute contractuelle ne suffit donc pas pour lui conférer une
nature quasi-délictuelle. La Cour de cassation l'a rappelé dans son arrêt du 4
juin 1971: «Le caractère grave de la négligence commise n 'apporte aucun
changement à la nature de la responsabilité applicable» (154). Néanmoins,
le caractère intentionnel ou volontaire de la faute pourrait en faire une infrac-
tion pénale, ce qui ouvrirait alors la voie à une action aquilienne.

Ensuite, l'intensité de l'obligation - de moyen oude résultat - n'est pas un


facteur déterminant (155). Ainsi, le simple fait de s'acquitter d'une obliga-
tion de manière imprudente n'est pas en soi décisif pour conclure à la viola-
tion d'une obligation extra-contractuelle (156). A l'instar de l'obligation gé-
nérale de prudence sanctionnée par les articles 1382 et 1383 du Code civil,
les obligations contractuelles, si elles sont de moyen, s' apprécient générale-
ment par référence au comportement de l'homme normalement prudent et
diligent. Les standards d' appréciation convergent en effet largement sous l' in-

(153) Comm. Bruxelles (11 èmc ch.), 17 février 2004, J.L.M.B., 2005, pp. 255 ets.
(154) R.C.J.B., 1976, p. 12 et note note R.-O. DALCQ et F. GLANSDORFF. Voy. aussi Cass.,
15 septembre 1977,R.C.J.B., 1978, p. 426, note R.-O. DALCQ et F. GLANSDORFF; J. VAN
RYN et X. DIEUX, op. cit., R.P. S., 1989, p. 111 et note 58.
(155) Pour un examen détaillé de la question, voy. notamment B. DUBUISSON, «Questions
choisies en droit de la responsabilité contractuelle», La théorie générale des obligations, For-
mation CUP, vol. XXVII, 1998, pp. 95-166.
(156) Anvers, 13 avril 1994, R. W, 1995-1996, p. 397 (pose d'un tapis par une entreprise de
décoration); Civ. Gand, 13 septembre 1996, T.G.R., 1996, p. 178 (contrat avec un comptable
quine s'est pas comporté comme un conseiller fiscal prudent).

139
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM

fluence del 'homme ou du professionnel, normalement prudent et diligent. La


convergence entre les critères d' appréciation de la faute aquilienne et con-
tractuelle accentue donc inévitablement les difficultés de qualification. Ces
difficultés se révèlent en particulier, à propos des règles professionnelles (157).

Il semble que la jurisprudence soit encline à admettre qu'une obligation soit


autre que contractuelle lorsque sa violation constituerait une source de <lan-
ger pour des tiers. Tel est le cas, par exemple, des obligations contractuelles
de surveillance qui sont susceptibles d' avoir des répercussions pour la sécuri-
té des personnes: obligations qui s'imposent à !'architecte (158) ou lors de la
livraison d'un produit polluant (159). Les faits constitutifs d'atteinte à l'inté-
grité physique sont, par ailleurs, constitutifs d'infraction pénale ce qui per-
mettra de déroger aux règles du concours (voy., infra, Section 5). Par contre,
la jurisprudence est nettement plus réticente lorsque l' obligation ne concerne
que la sécurité des biens. A ainsi été jugé qu' en posant une conduite en cuivre
sans protection dans la chape du bätiment, faute ayant causé une importante
fuite d'eau et des dégäts au mobilier et au niveau du sol de la maison, !'entre-
preneur avait commis une faute (seulement) contractuelle (160) . De même, a
été qualifiée de (seulement) contractuelle l'obligation à charge d'une entre-
prise de décoration de ne pas endommager les autres biens du client lors de la
pose d'un tapis (161).

Plusieurs décisions se sont prononcées, non sans divergences, sur la nature de


l' obligation d'information du propriétaire d'un champ quant aux risques liés
aux objets présents dans celui-ci et susceptibles d'occasionner des dégäts à
!'outillage. Dans ces affaires, le propriétaire fait appel à un travailleur ou à un
entrepreneur pour effectuer la récolte. Le tracteur est endommagé par une
pierre se trouvant dans le champ. Dans un lieu de ces affaires, il a été jugé que
l'obligation du propriétaire du terrain d'informer son cocontractant sur les
risques de cette nature était de nature contractuelle (162). La demande a, par
contre, été couronnée de succès lorsqu'elle était fondée sur la responsabilité
du fait des choses affectées d'un vice (art. 1384, al. Ier). Le tribunal de pre-
mière instance de Bruges a en effet estimé que si l' obligation de mettre un
terrain à disposition est contractuelle, celle d' offrir un terrain dépourvu de

(157) Voy. par exemple, pour l'obligation d'information du banquier conseil en placement ou
gérant de fortune, G. GATHEM, «Quelques réflexions sur la faute du banquier en matière de
conseil en placements», note sous Gand, 13 décembre 2004 et Gand, 4 avril 2005, D.A.O.R.,
2005, pp. 363 ets.
(158) Mons, 25 mars 2002, R.R.D., 2003, p. 19, qui rejette toutefois l' action aquilienne.
(159) Liège, 31 mars 2000, R.G.A.R., 2001, n° 13441/1, qui fait en outre référence à la protec-
tion de l'environnement (spéc. p. 13441/2).
(160) Liège, 12 octobre 1999, R.R.D., p. 371.
(161) An vers, 13 avril 1994, R. W, 1995-1996, p. 397.
(162) Civ. Courtrai (1 ère ch.), 3 janvier 2003, R. W, pp. 1110 et 1111.

140
LES P!EGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIYIL

vice est extra-contractuelle (163). La Cour d' appel de Gand ne partage mani-
festement pas eet avis. Elle a défendu une conception large des obligations de
sécurité résultant du contrat ( 164).

Sous-section 3
La qualification du dommage - Le dommage ne doit pas résulter d'un
manquement contractuel

70. Nous avons vu que la condition relative à la faute n'était pas insurmon-
table en cas de faute de gestion du dirigeant (voy. n° 67). Cette condition
devrait en effet être satisfaite dans les mêmes conditions à l' égard du créan-
cier contractuel qu'à l'égard du tiers non lié par un contrat avec la personne
morale (165). En revanche, la condition d'un dommage «étranger» au contrat
est susceptible de constituer un sérieux obstacle à l' action aquilienne intentée
contre le dirigeant. Et la Cour de cassation de sanctionner le juge qui omet de
constater cette condition (166). Aux termes de sajurisprudence, il faut que la
faute alléguée ait causé «un dommage autre que celui qui résulte de la mau-
vaise exécution du contrat». Autrement dit, le dommage ne doit pas être «con-
tractuel» ou «purement contractuel», selon la thèse envisagée (voy. supra,
n° 61).

71. La doctrine est divisée lorsqu'il s'agit de fixer, au moyen d'un critère
abstrait, les contours du dommage «contractuel» ou «purement contractuel».
Le cadre de cette contribution ne nous permet pas d' entrer dans les détails de
cette controverse (167). Rappelons simplement que certains auteurs, se réfé-
rant à la thèse du professeur Van Ryn, Ie définissent comme «la privation de
l 'avantage que le contractant devait normalement retirer de l 'exécution cor-
recte du contrat» (168). D'autres auteurs se réfèrent aux «objets concemés
par le contrat» (169). Certains auteurs voient dans cette condition un rappel
des règles exprimées par les articles 1149 et suivants du Code civil (170).

(163) Civ. Bruges ( 1Oème ch.), 21 mai 1999, R. W, 2000-2001, p. 204.


(164) Gand, 16 décembre 2002, NjW, 2003, p. 1227; Gand, 16 novembre 1999, R.W, 2000-
2001, p. 200.
(165) M. COIPEL, op.cit., J.D.S.C., 2000, p. 8.
(166) Cass. (1 ère ch.), 26 avril 2002, R. W, p. 940; Cass., 7 novembre 1997, précité; Cass.,
28 septembre 1995, R. W.
(167) Voy. à ce sujet M. VAN QUJCKENBORNE, op.cit., R.C.J.B., 1988, pp. 344 ets.
(168) X. DIEUX, op. cit., Mélanges J. Kirkpatrick, 2004, p. 234; J. VAN RYN, op. cit., J. T.,
1975, p. 505 et «Le concours des responsabilités contractuelles et délictuelles», R. C.J.B., 1957,
p. 308.
(169) Voy. M. VAN QUICKENBORNE, op.cit., R.C.J.B., 1988, p. 360 et spéc. la note 53.
(170) P. WERY, op.cit., R.G.D.C., 1998, p. 89; A. VAN OEVELEN et E. DIRIX, "Kroniek
verbintenisrecht", R. W, 1980-1981, col. 2457, n° 48.

141
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

72. Les auteurs s'accordent pour affirmer qu'en général, la condition d'un
dommage distinct fera échec à l'action en responsabilité aquilienne lorsque
la créance en cause, dont l' exécution a été compromise à la suite d'une faute
de gestion, porte sur le paiement d'une somme d'argent: «Ce dommage se
confond nécessairement avec la privation del' avantage que Ie créancier s 'at-
tendait à retirer du contrat» (171). Comment imaginer, en effet, qu'une ban-
que, un fournisseur ou un sous-traitant puisse démontrer que son dommage
résultant du non-paiement de sa créance, par la société, est étranger au con-
trat? C'est ainsi que, dans le cadre des demandes visant à reprocher la pour-
suite inconsidérée des activités déficitaires, ayant entraîné la perte de la créance,
le cas échéant dans la faillite, le dommage réclamé s'identifiera incontesta-
blement au dommage contractuel (voy. infra section 6).

Une réponse plus nuancée est parfois apportée dans l'hypothèse ou le com-
portement du dirigeant a suscité, de la part du créancier social, des investisse-
ments en vue, par exemple, d'améliorer son service à l'égard de la société,
investissements qui se révéleraient par la suite de pures pertes en raison de la
défaillance de la société (172). Dans ce cas, il est peut-être plus facilement
plaidable que le dommage économique subi par le créancier ne résulte pas de
l'inexécution du contrat par la société mais de la faute personnelle du diri-
geant, à supposer qu'elle présente les caractères d'une faute aquilienne.

73. Le dommage sera en principe contractuel lorsque, agissant comme exé-


cutant d'une obligation contractuelle déterminée de la société, le dirigeant
occasionne des dégats au bien qui constitue l' objet spécifique du contrat. Il a
ainsi été jugé que le dommage causé à un diamant par un tailleur, agent d' exé-
cution, était la conséquence de l'exécution d'une mission confiée par contrat
à un joaillier ce qui a entraîné le rejet del' action aquilienne (173). Les incer-
titudes apparaissent par contre lorsque les dégats sont causés à des biens qui
ne font pas formellement l'objet du contrat conclu avec la personne morale.
Une conception ferme du dommage contractuel devrait conduire à exclure ce
dommage de la notion de dommage contractuel. Telle ne semble cependant
pas être la conception généralement appliquée par les Cours et Tribunaux.

U n survol de la jurisprudence révèle en effet que l' accent est fortement porté
sur la volonté, explicite et implicite, des parties en ce qui concerne la qualifi-

( 171) X. DIEUX, op. cit., Mélanges J. Kirkpatrick. 2004, p. 234. Voy. aussi, P-A. FORIERS,
op. cit., Les groupes ... , n° 8; M. COIPEL, op. cit., J.D.S.C., 2000, p. 8.; P. COLLE, op. cit.,
R. G.A.R., 1986, 11076/3, n° 12.
(172) L'exemple est emprunté à P. COLLE, op. cit., R.G.A.R., 1986, 11076/4, n° 15.
( 173) An vers, 18 juin 2003, NjW, 2003, pp. 446 et s.

142
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

cation du dommage. Eclairé par leurs explications, Ie juge se demande si ces


dernières ont eu ou non l'intention d'étendre les charges issues du contrat
(p. ex.: l'installation d'une chaudière, d'un système de tuyauterie) à d'autres
objets que la chose qui constitue l' objet «primaire» ou «spécifique» du con-
trat (p. ex.: la moquette, les bàtiments avoisinants). Parfois, la protection de
tel ou tel bien fera l'objet d'une clause explicite dans le contrat, p. ex. le
contrat conclu avec une entreprise de démolition concernant les biens alen-
tour ou des biens entreposés. Le dommage qui résulte de la violation de cette
obligation sera, en conséquence, contractuel (174). En !'absence de clause
particulière, le juge conclu à l' existence d'un dommage contractuel s'il croit
déceler une obligation implicite «de ne pas faire». Le dommage contractuel
présente donc un contenu essentiellement subjectif, dépendant de la réparti-
tion des risques économiques que les parties contractantes ont entendu réali-
ser, parfois implicitement, au moyen de la convention.

Certaines décisions illustrent cette interprétation étendue des obligations con-


tractuelles sur la base d'une interprétation de la volonté des parties. C' est
ainsi que les dégàts au bàtiment consécutifs à une fuite d' eau causée par la
pose défectueuse de conduites ou de tapis ont été considérés comme étant
«purement contractuels» (175). Appliquant également une conception éten-
due du dommage contractuel, certaines décisions décèlent un préjudice de
nature contractuel dès qu' il existe un lien entre le contrat et Ie risque qui s' est
ensuite réalisé, entraînant le dommage. Ce raisonnement semble avoir été à la
base de ce jugement du Tribunal de première instance de Courtrai: dès lors
que c'est Ie contrat conclu entre parties (assurer une récolte) qui a justifié
l'utilisation du tracteur qui a été endommagé en raison de la présence d'une
pierre dans le champ et que, sans ce contrat, ce risque (dégàts tels qu'ils ont
été causés) n'aurait pas été créé, Ie dommage résultant de la réalisation de ce
risque n' est pas étranger au contrat ( 176).

74. Les contours du dommage contractuel sont virtuellement sans limite si


l' on s'en tient à une interprétation purement subjective du domaine contrac-
tuel, nourrie au besoin par Ie principe d'exécution de bonne foi des conven-
tions. En effet, dès lors que telle ou telle obligation est intégrée dans Ie péri-
mètre de la convention, ce sont toutes les conséquences dommageables de
cette violation qui deviennent contractuelles, en ce compris Ie dommage «in-
direct» (74.1) et Ie dommage «mora!» (74.2).

(174) Mons, 16 janvier 1997, R.R.D., 1998, pp. 189 et s.


(175) An vers, 13 avril 1994, R. W, 1995-1996, p. 397.
( 176) Civ. Courtrai ( 1èrc ch.), 3 janvier 2003, R. W, pp. 1110 et 1111.

143
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

74.1. On sait, en effet, que Ie critère de distinction entre Ie dommage con-


tractuel et Ie dommage extra-contractuel ne se situe pas au niveau du caractè-
re direct ou indirect du lien de causalité qui unit la faute au dommage. La
Cour a de cassation a eu l' occasion de Ie préciser dans un arrêt du 14 octobre
1985.

La compagnie de fourniture d'électricité avait endommagé un cäble entraî-


nant une interruption de courant, pendant un certain laps de temps, dans une
biscuiterie ainsi que la perte de matières premières, de production et des frais
de personnel. Il était question non seulement d'une faute contractuelle- l'ab-
sence de fourniture d'électricité pendant un laps de temps -, mais également
d'une faute quasi-délictuelle consistant dans Ie fait que Ie cäble à haute ten-
sion n'était pas signalé de manière adéquate. La Cour a déclaré en substance
que la circonstance que l'inexécution du contrat a engendré, outre un dom-
mage direct, des dommages indirects, n'est pas suffisante pour qualifier ce
dommage d'extra-contractuel (177). Un dommage lointain dans la chaîne de
causalité, mais qui trouve son origine dans la mauvaise exécution du contrat,
ne peut donc être réclamé par Ie cocontractant sur une base aquilienne.

74.2. La circonstance que Ie demandeur en responsabilité se prévale d'un


dommage moral ne permet pas en soi de lui donner un caractère extra-con-
tractuel. Tel est notamment l'enseignement de cette décision du Tribunal de
commerce de Liège. Les travailleurs licenciés dans Ie cadre d'une restructu-
ration réclamaient, à charge des administrateurs de la société Continental
Benelux, la réparation de leur dommage moral résultant d'une décision de
fermeture de division qu'ils estimaient fautive. Faisant une application cor-
recte des règles énoncées par l' arrêt du 7 novembre 1997, Ie tribunal rappelle
que les demandeurs doivent démontrer que la faute de gestion reprochée aux
administrateurs présente les caractéristiques propres d'une faute aquilienne
«indépendamment de la violation des obligations nées contractuellement du
mandat qui unit la société aux administrateurs» (voy. Titre 1), mais qu'en
outre, en leur qualité de cocontractant de la société (travailleur), ils doivent
rapporter la preuve d'une faute et d'un dommage distinct de celui subi à rai-
son de l'inexécution du contrat par la société. Le tribunal a estimé que Ie
dommage moral réclamé par des travailleurs consécutivement à une décision
fautive (quod non) de fermeture d'entreprise n'était pas un dommage autre
que celui résultant de l'inexécution de la relation contractuelle ayant existé
entre eux-mêmes et la société (Continental Benelux) (178).

(177) Cass. (3ème ch.), 14 octobre 1985, op.cit., et la note de M. VAN QUICKENBORNE, en
particulier, p. 367, n° 33.
(178) Comm. Liège, 17 octobre 2003, R.D. C., 2005, pp. 429 et s.

144
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIV!L

75. Cette conception extensive du périmètre contractuel est favorable au


dirigeant dans la mesure ou elle accroît le domaine de son immunité person-
nelle. Néanmoins, eet accroissement se fait peut-être au préjudice de limites
plus «justes» du dommage contractuel. On ressent ainsi, dans la doctrine, une
tendance à vouloir «objectiver» Ie contenu du dommage contractuel en le
recentrant sur ce qui relève du «noyau dur» du contrat ( 179). Certaines déci-
sions se font 1' écho de cette doctrine favorable à une appréciation «raison-
née» du périmètre contractuel. Elles semblent ainsi accueillir l'action en res-
ponsabilité aquilienne dès que Ie dommage «dépasse» le cadre de la mauvai-
se exécution du contrat. Sur cette base, la Cour d' appel de Liège a accueilli
l' action aquilienne intentée à 1' encontre du commettant des ouvriers dans le
cas d'un incendie d'un immeuble consécutif à une faute dans la réalisation de
travaux de soudure pour l'installation d'une chaudière (180). Un raisonne-
ment similaire a conduit la même Cour à considérer que les frais déboursés à
la suite du débordement d'une citerne à mazout, pour prévenir une atteinte
aux biens et au voisinage dépassaient largement Ie cadre de la mauvaise exé-
cution du contrat ( 181 ).

SECTJON 5
RESTRICTION À L'IMMUNITÉ DU DIRIGEANT EN CAS D'INFRACTION PÉNALE

76. Lorsque la faute contractuelle constitue, dans Ie même temps, une in-
fraction pénale, la victime peut engager la responsabilité aquilienne de son
cocontractant sans établir une faute et un dommage étrangers au contrat. Cet-
te exception à la règle du concours est déduite d'une jurisprudence constante
de la Cour de cassation ( 182). Dans un arrêt du 26 octobre 1990, la Cour
déclare, en effet, que «la circonstance qu 'une infraction est commise lors de
l 'exécution d 'un contrat ne fait, en principe, obstacle ni à l 'application de la
loi pénale ni à celle des règles relatives à la responsabilité civile résultant
d'une infraction» et que «le dommage causé par unfait légalement punissa-
ble ne peut être considéré comme un dommage de nature exclusivement con-
tractuelle par Ie seul motif qu 'il a été causé en suite de la mauvaise exécution
de l'obligation contractuelle de veillerà la sécurité de la victime». Elle ajou-
te que l' «auxiliaire peut toujours être déclaré responsable sur Ie plan extra-
contractuel lorsque safaute constitue une infraction ayant causé le domma-
ge litigieux». Dans cette affaite, des moniteurs d'une colonie de vacances,

(179) Voy. ainsi, B. DUBUISSON, op.cit., in Traité théorique et pratique ... , vol. 2, pp. 20-22.
(180) Liège, 18 novembre 1997, R.G.A.R., 1999, n° 13094.
(181) Liège, 31 mars 2000, R.G.A.R., 2001, n° 13441/1.
(182) Cass., 26 octobre 1990; Cass. (2ème ch.), 11 septembre 2001, Pas., 2001, p. 1377; Cass.,
le' juin 1984, Pas., 1984, I, 1202; J.T., 1985, p. 256; Cass., 25 avril 1983, Pas., I, n° 467,
p. 958.

145
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

agents d' exécution del' A.S.B.L organisatrice de séjours pour enfants, n' avaient
pas pris les mesures qui s'imposaient pour empêcher un enfant mineur ayant
abusé de boissons alcoolisées d' enjamber le balcon et d' atterrir plusieurs mè-
tres plus bas. Un manquement était reproché à l' obligation contractuelle de
veiller à la sécurité des enfants (183).

77. Il est généralement admis que cette exception aux règles du concours
s' applique à l' organe. La responsabilité aquilienne personnelle du dirigeant
peut donc être engagée sans qu'il y ait lieu d' établir l' existence des deux
conditions, pour tout manquement contractuel, par exemple à une obligation
contractuelle de sécurité, qui a porté atteinte à l'intégrité physique d'une per-
sonne (184). Elle permet par ailleurs de relativiser le débat quant au caractère
extra-contractuel des obligations de sécurité relatives aux personnes.

78. Les juges du fond appliquent cette exception de manière très étendue.
Il semble qu' il soit fait échec à l' immunité chaque fois que l' obligation mé-
connue est pénalement sanctionnée. Inutile de <lire que cette extension de la
responsabilité aquilienne de l' organe chaque fois que sa faute constitue éga-
lement une infraction pénale demeure une sérieuse, - sinon la plus sérieuse, -
restriction à l'immunité déduite du concours. Et au vu des législations récen-
tes qui émettent de plus en plus d' obligations sanctionnées pénalement, il y a
même de quoi s'inquiéter pour le dirigeant.

Relevons quelques exemples de ces infractions.

Le dirigeant ne bénéficiera d' aucune immunité lorsque son comportement est


constitutif d'aveu tardif de faillite (art. 489bis du Code pénal) (185) ou d'es-
croquerie au sens de l'article 496 du Code pénal (186). Dans le cadre de la
gestion des sociétés, on peut également citer le fait de présenter volontaire-
ment une situation financière inexacte de la société par le biais de comptes
annuels falsifiés ( 187), le faux en écritures, l' abus de biens sociaux (art. 492bis
du Code pénal), le détournement de fonds (188).

La méconnaissance d' obligations sociales, généralement érigée en infraction


pénale, fera souvent échec à l'immunité du dirigeant. La Cour de cassation a

(183) Cass., 26 décembre 1990, Pas., 1991, I, p. 216, R.C.J.B., 1992, p. 497, note R-O. DALCQ.
(184) P. WERY, op.cit., R.G.D.C., 1998, p. 92.
(185) I. CLAEYS, op. cit., T.R. V., 1998, p. 288, n° 9.
( 186) Gand, 6 mai 2004, R. W, 2005, p. 668, NjW, 2005, p. 201, note H. DE WULF.
(187) Comm. Hasselt (4èmc ch.), 25 juin 2002, T.R. V., 2003, note J. VANANROYE.
(188) J-F. GOFFIN, op.cit., p. 418, n° 215.

146
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

d'ailleurs admis que «lorsque le non-paiement de la rémunération constitue


une infraction, le travailleur peut intenter une action en réparation du dom-
mage causé par cette infraction, même si le non-paiement de cette rémunéra-
tion constitue également la violation d'une obligation résultant du contrat de
travail» (189), Il est généralement jugé que les mem bres du conseil d' admi-
nistration ne peuvent revendiquer l'application des conditions du concours à
l'égard d'un travailleur à la suite du non-paiement de salaires (190), depri-
mes de vacances et de prime de fin d'année, ces obligations étant pénalement
sanctionnées ( 191 ),

La responsabilité du gérant d'une S,P.R,L, a été engagée pour avoir fait exé-
cuter des travaux de rénovation par la société sans accès à la profession ( 192).

Cette responsabilité sera aussi engagée en cas d'incendie résultant d'un man-
que de précaution ce qui est sanctionné par l' article 519 du Code pénal ( 193 ).

Dans de très nombreux cas, il y aura serait-ce qu'un arrêté royal pour infliger
une amende pénale. Il a ainsi été fait échec aux conditions du concours dans
le cadre d'une vente, la fourniture tardive du certificat de conformité d'une
caravane délivré par l 'inspection automobile ( 194).

79. Encore faut-il qu'il y ait infraction pénale. L'intervention d'une instan-
ce répressive n' est manifestement pas requise à cette fin (195). Dans la prati-
que judiciaire, c' est le juge ei vil qui constate l 'existence d 'une infraction pé-
nale et qui décide, sur cette base, si l'organe peut ou non bénéficier de l'im-
munité issue des règes du concours. Ce n'est donc pas un juge répressif qui
déduirait des conséquences civiles de ses constatations pénales mais un juge
civil qui tire des implications civiles de ses constatations pénales. Un juge
civil est, par exemple, admis à décider dans ce cadre que le fait de manifester
une fausse apparence de solvabilité constitue l'infraction d'escroquerie au
sens de l'article 496 du Code pénal et d'ouvrir, en conséquence, la voie à une
action aquilienne contre l' organe d'une partie contractante (196).

(189) Cass., 25 avril 1983, Pas., 1983, I, p. 958.


(190)Cass., 12octobre 1998,R.W, 1998-1999,p.1419.
(191) Trib. Tra v. Gand (2ème ch. ), 7 avril 1997, T. G.R., 1997, pp. 202 et s.
( 192) Comm. Mons (3ème ch. temp. ), 6 novembre 2002, J.L.M.B., 2003129, p. 1285 ets., note
0. CAPRASSE.
(193) Voy., par exemple, Mons, 15 octobre 1997, R.G.A.R., 1999, n° 13166.
(194) Gand ( 13ème ch.), 26 avril 1995, R. W, 1996-1997, p. 1299 (A.R. du 15 mars 1968).
(195) M-A. DELVAUX, op.cit., J.D.S.C., 2006, p. 100.
(196) Voy. ainsi Gand, 6 mai 2004, NjW, 2005, p. 261.

147
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM

SECTION 6
ÁPPLICATION - LA POURSUITE (FAUTIVE) D' ACTIVITÉS DÉFICITAIRES

80. La responsabilité personnelle des dirigeants est régulièrement recher-


chée en cas de poursuite inconsidérée d'une activité alors que l'entreprise
était déjà virtuellement condamnée. Il s'agit d'un cas classique de faute de
gestion susceptible d'engager la responsabilité du dirigeant à l'égard des tiers
(197). L' action est en général diligentée par le curateur, à un moment ou la
société a finalement été déclarée en faillite. La faute reprochée consiste dans
Ie fait d'avoir souscrit des engagements alors que la société n'était plus via-
ble. Ces reproches s'accompagnent régulièrement de celui d'un aveu tardif
de faillite.

La conséquence de la poursuite fautive d'une activité déficitaire se matériali-


sera dans l' augmentation du passif de la société ce qui cause, dans Ie chef des
créanciers individuels, la perte ou la diminution de leur créance individuelle.
Comme les auteurs Ie font observer, Ie dommage s'identifiera en principe,
toujours avec la perte de la créance contractuelle. Pour cette raison, les auteurs
soulignent habituellement que l'arrêt du 7 novembre 1997 conduit à une im-
munité étendue des dirigeants lorsque la faute qui leur est reprochée réside
dans la poursuite irréfléchie d'une activité déficitaire (198).

Néanmoins, les restrictions qui affectent son domaine d'application lui con-
fèrent un intérêt assez limité en pratique. Voyons à présent dans quelle mesu-
re l'immunité déduite des règles du concours pourra bénéficier au dirigeant
dans cette hypothèse.

Sous-section 1
L'action est introduite par Ie curateur

81. La doctrine considère majoritairement que les contraintes découlant de


l'arrêt du 7 novembre 1997 ne s'appliquent pas à l'action en responsabilité
introduite par le curateur visant à obtenir, à charge du dirigeant coupable
d' avoir poursuivi abusivement une activité déficitaire, la réparation du préju-
dice résultant tant de l'aggravation du passif que d'une diminution des actifs.

Cette dérogation est traditionnellement justifiée par Ie fait que Ie curateur agit
en qualité de représentant de la «masse» des créanciers, laquelle ne se réduit
pas à une simple addition de créances, et réclame la réparation d'un préjudice
(197) J. WINDEY, op.cit., R.D.C., 2001, p. 309, n° 50 et les références citées.
(198) P-A. FORIERS, op.cit., in Groupes de contrats ... , n° 8; J-F. GOFFIN, op.cit., p. 129; X.
DIEUX, op. cit., Mélanges J. Kirkpatrick, 2004, p. 234.

148
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

collectif. Cette solution est déduite de la jurisprudence de la Cour de cassa-


tion à propos de la recevabilité de la demande: «Lorsque le curateur agit en
justice au nom de la masse, il exerce les droits qui sont communs à /'ensem-
ble des créanciers, mais non les droits individuels de ceux-ci, lors même que
ces droits individuels seraient cumulés» ( 199). Elle est approuvée par la plu-
part des auteurs (200).

82. Cette solution ne fait cependant pas l'unanimité. Le Professeur X. Dieux


estime ainsi que «l'atteinte portée au gage commun des créanciers demeure,
au sens du droit de la responsabilité, un préjudice subi par ces derniers, dont
le curateur poursuit la réparation sur la base des articles 1382 et 1383 du
Code civil. Même ainsi étiqueté pour les besoins du droit de la faillite, ce
préjudice n 'est donc pas étranger au dommage résultant, pour chacun des
créanciers contractuels, du fait que le contra! n 'a pas été exécuté comme il
aurait dû l'être: tout "collectif" qu'il soit, il n'est, en d'autres termes, pas
étranger aux contrats del 'inexécution desquels il provient>>. Par ailleurs, com-
me nous Ie savons, Ie créancier qui agirait à titre individuel butterait, sauf
circonstances particulières (voy. n° 72), sur la condition d'un dommage dis-
tinct (201). L'exception en faveur du curateur permet donc à ce dernier de
faire val oir des droits auxquels les créanciers ne pourraient prétendre et ce, en
dehors d'un texte légal. Pour !'auteur, la question du fondement de cette dé-
rogation au profit du curateur demeure donc entière.

83. En dépit de cette critique, la règle paraît bien appliquée par les Cours et
tribunaux. On citera, à titre d'illustration, eet arrêt de la Cour d'appel de Liè-
ge du 19 octobre 2004 (202). La Cour a condamné les gérants d'une S.P.R.L.
à répondre de l' aggravation du passif net de la société à partir du jour ou les
activités auraient dû être arrêtées, estimant notamment que la poursuite des
activités dans les conditions particulières de l'espèce relevait de l'incompé-
tence oude l'inconscience. Elle a estimé que l'arrêt du 7 novembre 1997 ne
s'opposait pas à la mise en cause de la responsabilité aquilienne des gérants

(199) Cass., 5 décembre 1997, R.C.J.B., 2000, p. 20, note T. BOSLY, R.D.C., 1998, p. 523,
T.R.V., note J. VANANROYE. Voy. aussi Cass., 12 février 1981 (arrêt «UNAC»), R.C.J.B.,
1983, p. 5, note J. HEENEN, R.P. S., 1981, p. 116, note P. COPPENS, R.D.C., 1981, p. 154,
note B. VAN BRUYSTEGEM, et les discussions qu'il a suscitées.
(200) M. COIPEL, op.cit., note sous Liège, 19 octobre 2004, R.D.C., p. 433; J-F. GOFFJN,
op.cit., p. 129-130; M-A. DELVAUX, op. cit., in Guide juridique de l'entreprise, n° 369; J.
WINDEY, op.cit., R.D.C., 2001, p. 312, n° 57.
(201) X. DIEUX, op. cit., Rev. not. b., 2006, p. 267; P. COLLE, op. cit., R.G.A.R., 1986,
n° 11076.
(202) Liège, 19 octobre 2004, R.D.C., 2006, pp. 426 ets., note M. COIPEL.

149
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM

dès lors que le dommage invoqué par le curateur, à savoir l' aggravation du
passif, est celui de la masse et qu'il se distingue du préjudice subi par les
créanciers contractuels de la société. L'arrêt relève également qu'il s'agit du
dommage commun à !'ensemble des créanciers sociaux, contractuels et non
contractuels.

84. La dérogation aux règles du concours en cas d'action intentée par un


curateur agissant en représentation de la masse constitue donc une restriction
importante à l' immunité de l' organe dans la mes ure ou la responsabilité des
dirigeants pour poursuite fautive d'une activité déficitaire est souvent invo-
quée par un curateur.

Sous-section 2
Le comportement est constitutif d'infraction pénale

85. Nous avons vu que lajurisprudence en matière de concours n'avait pas


droit de cité en cas d'infraction pénale (voy. Section 5). Or, la poursuite d'une
activité déficitaire s' accompagne sou vent de comportements pénalement sanc-
tionnés (par exemple: l'escroquerie, la violation de dispositions comptables
pénalement sanctionnées). La faute consistant dans la poursuite inconsidérée
d'une activité déficitaire va souvent de pair avec un défaut d'aveu de faillite,
infraction sanctionnée par l'article 489bis, 4° du Code pénal. Sur ce point,
notons que la Cour de cassation estime que l' omission de faire aveu de faillite
ne constitue une faute dans le chef de !'administrateur ou du gérant que lors-
qu'il est démontré qu'au moment ou il a contracté avec le tiers, il pouvait ou
devait avoir conscience du fait que la société était en état de faillite (203). La
cour est suivie en cela par les juridictions de fond (204).

Sous-section 3
La faute constitue une culpa in contrahendo

86. Comme nous l'avons rappelé plus haut (voy. section 3, s-s. 3.1, § 3),
une culpa in contrahendo peut être reprochée au dirigeant qui souscrit des

(203) Cass., 22 septembre 1988, R.P. S., 1989, p. 180, J.T., 1989, p. 200, R. W, 1988-1989,
p. 847, R. C.J.B., 1990, p. 203; Cass., 7 septembre 1990, Pas., 1991, 1, p. 17, T.R. V., 1991, p. 86
et note M. WYCKAERT.
(204) Voy. notamment Gand, 7 juin 2001, J.D.S.C., 2003, p. 217, n° 510, obs. M-A. DEL-
VAUX; Bruxelles, 24 février 2000, Rev. prat. soc., 2000, p. 258, note W. DERIJKE; Liège,
8 juin 1999, J. T., 2000, p. 581; Comm. Tongres, 13 janvier 2005, R.A.B.G., 2005, pp. 1570 et
s., note E. JANSSENS; Comm. Hasselt, 5 novembre 1996, R.D.C., 1997, p. 642.

150
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

engagements au nom de la société alors qu'à ce moment, il sait ou, à tout Ie


moins, ne peut ignorer que la survie financière de celle-ci est irrémédiable-
ment compromise et qu'elle ne pourra honorer ses dettes (205). L'immunité
déduite de l' arrêt du 7 novembre 1997 ne devrait pas faire obstacle à l' action
en responsabilité si l'on considère que les conditions du concours ne sont pas
applicables, à défaut de contrat existant au moment du fait dommageable
(voy., supra, n° 51). Mais rien sûr en la matière. Nous avons indiqué qu'au
lendemain de l'arrêt du 16 février 2001, certaines décisions avaient appliqué
les règles du concours à la faute précontractuelle, en l' espèce Ie fait d' avoir
fautivement généré l'impression que la société était en état d'honorer ses
prestations (n° 52). Les hésitations seront toutefois dissipées en cas de viola-
tion du Code des sociétés ou d'infraction pénale.

Sous-section 4
Responsabilités particulières prévues par Ie Code des sociétés

87. Lajurisprudence en matière de concours ne porte pas atteinte à la pos-


sibilité, pour les créanciers de la société, de mettre en cause la responsabilité
des organes en vertu des dispositions légales du Code des sociétés et en par-
ticulier, en cas de violation du Code des sociétés et des statuts (article 528),
d'aggravation du passif consécutive à une faute grave et caractérisée (article
530) (206).

Le non-respect de la «procédure d'alarme», Ie défaut de convocation de l'as-


semblée générale (art. 633, 332 et 431 du Code des sociétés) sont autant de
dispositions qui permettront d' engager la responsabilité personnelle du diri-
geant. La tenue d'une comptabilité régulière, le dépöt des comptes annuels,
l'utilisation de moyens de la société au bénéfice personnel d'un administra-
teur sont également explicitement sanctionnés par le Code (207).

Sous-section 5
L'action est introduite par un créancier extra-contractuel

88. Comme nous l' avons indiqué plus haut (n° 57), l' immunité déduite des
règles du concours tombe lorsque le demandeur n'est pas lié par un contrat
avec la personne morale. Le dirigeant ne pourra donc revendiquer le bénéfice
de l'immunité face à l'administration fiscale.

(205) P. COLLE, op.cit., R.G.A.R., 1986, n° 11076/5.


(206) Voy. à ce sujet Ie texte de Y. DE CORDT et M-A. DELVAUX dans Ie présent ouvrage.
(207) Pour un cas oû ces manquements ont tous été relevés, Comm. Tongres, 13 janvier 2005,
D.A.O.R., 2005/73, pp. 76 ets.

151
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM

CONCLUSION

89. Les deux branches du sujet abordé comptent parmi les matières les
plus incertaines et les plus complexes du droit privé, tant en droit belge qu'en
droit comparé. Ceci explique les imprécisions et les revirements dont nous
nous sommes fait l'écho.

Comme plusieurs auteurs, nous crayons que la matière doit encore mûrir. Un
organe ne peut être assimilé à un agent d'exécution et la matière doit être
recentrée à partir de la définition de l' organe à travers lequel la personne
morale agit. Si l' organe agit dans Ie cadre de ses fonctions, loyalement et non
au mépris de la personne morale qu'il incame, sa responsabilité personnelle
ne devrait pas être mise en cause.

Les difficultés se renforcent lorsque les créanciers cherchent à engager la


responsabilité personnelle du dirigeant de la société contractante. Dans ce
cas, nous avons tenté d'exposer comment ce dirigeant pouvait invoquer à son
profit l'application des règles du concours. Nous avons également relevé qu'en
elle-même la formule utilisée par la Cour recelait des incertitudes, laissant
une grande marge d'appréciation au juge du fond. Il ressort également de
l'analyse que le domaine d'application des règles du concours est, en fin de
compte, relativement restreint; ce qui corrélativement réduit Ie domaine de
l'immunité du dirigeant. Sur ce point, nous sommes d'avis que «l'exception
pénale» doit être repensée. En effet, les normes de conduite dans la vie des
affaires étant pour bon nombre ressorties de sanctions pénales quelle est en-
core Ie place des théories examinées (208)?

Le principe est donc que la responsabilité personnelle del' organe peut coexister
avec celle de la personne morale mais l'immunité de l'organe en cas de con-
cours de responsabilité peut faire obstacle à cette responsabilité. Reste à dé-
terminer si Ie dirigeant pourra concrètement en bénéficier. Et comme nous
l'avons vu, les pièges de l'article 1382 sant nombreux en la matière.

(208) Il convient de réfléchir à la question de savoir si des sanctions administratives ne se-


raient parfois plus appropriées que des sanctions pénales et de se demander si Ie même régime
de concours de responsabilité d'immunité doit s'appliquer aux infractions administratives et
aux infractions pénales (Voy. Les sanctions administratives, Centre d'études constitutionnel-
les et administratives, Sous la direction de R. ANDERSEN, D. DEM & D. RENDERS, Bruy-
lant, 2007.)

152
CHAPITREIII
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN
DROIT FRANÇAIS

ALAIN CouRET
Professeur à l'Université Paris I - Panthéon-Sorbonne
Co-responsable du Centre de Recherche en Droit Financier
Avocat associé
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS

INTRODUCTION

1. Question récurrente par excellence ( 1), la question de la responsabilité


des dirigeants suscite les passions et multiplie les interrogations d' ordre juri-
dique (2). Elle suscite les passions comme en témoigne Ie succès assez cons-
tant des manifestations consacrées à la question. Une raison de eet engoue-
ment pour Ie débat tient à la montée objective du flot des causes de mise en
jeu de la responsabilité. La responsabilité est civile, pénale, para-pénale, fis-
cale (3); elle est la responsabilité du chef d' entreprise (4 ); elle est aussi la
responsabilité du dirigeant de la structure juridique du groupement.

Elle peut être engagée par les tiers, par la société elle-même ou tout au moins
par ses nouveaux dirigeants; elle n'échappe pas à un certain activisme action-
narial, les actionnaires pouvant être plus que d'autres tentés d'engager cette
responsabilité.

2. Si l' on en reste au seul examen de la responsabilité civile, on voit bien


apparaître de nouveaux lieux de responsabilité. A cóté des fautes classiques
et notamment des fautes de gestion, apparaissent de nouveaux manquements
et notamment ceux qui concernent !'information financière (5). Pour les diri-

( 1) La bibliographie générale française sur le sujet est considérable. On se bornera ici à donner
quelques indications bibliographiques relatives à des publications récentes: S. MESSAÏ-BA-
HRI, «La responsabilité des dirigeants», Thèse, Paris I, (. X) 2004; F. DESCORPS DECLE-
RE, «Pour une réhabilitation de la responsabilité civile des dirigeants sociaux» RTD Com.
2003 p. 25 et s.; cf. également les actes du colloque organisé par l'Université Paris V sur Ie
thème, «La responsabilité civile des dirigeants sociaux» Rev. Soc., n° 2 avril-juin 2003; F.
POLLAUD-DULIAN, «De quelques avatars de l'action en responsabilité civile dans le droit
des affaires» RTD Com. 50(3) juillet-septembre 1997 p. 349 ets.; C. FREYRIA, «Libres pro-
pos sur la responsabilité civile de Ja gestion d'une entreprise» Mélanges Louis Boyer 1996, p.
179; B. PETIT et Y. REINHARD, «Responsabilité civile des dirigeants sociaux», RTD Com.
1997 p. 282; D. VIDAL, «La responsabilité civile des dirigeants sociaux» in «Les dirigeants
sociaux» Colloque Toulouse, Cahiers de Droit de l'Entreprise 2001, fascicule 3, p. 37 ets.; I.
GROSSI, «La responsabilité civile des dirigeants» in Droit et Patrimoine n° 118 ~ Septembre
2003, p. 50 et s.
(2) Cf. M. GERMAIN, Rev. Soc. 2003 p. 284 ets.
(3) «Le dirigeant contribuable» par C. LOPEZ, Revue Lamy Droit des Affaires n° 10 novem-
bre 2006 p. 81 ets.; J.P. LE GALLet G. BLANLUET, «La responsabilité fiscale des dirigeants
d' entreprises» Rev. Soc. 1992 p. 669; B. POULLAIN, «La responsabilité fiscale des dirigeants
de personnes morales» Droit et Patrimoine, 2/1998 p. 35; COZIAN, VIANDIER et DEBOIS-
SY, «Droit des sociétés» 2006, 19ème édition n° 274.
(4) C. NEAU-LEDUC, «La responsabilité du dirigeant employeur: éclairage d'actualité» Re-
vue Lamy Droit des Affaires n° 10 novembre 2006 p. 78 ets.; M. BUY, «La responsabilité
civile de !' employeur» Droit et Patrimoine n° 118, Septembre 2003 p. 65 et s.
(5) Sur cette question, H. LETREGUILLY, «La responsabilité des émetteurs en matière d'in-
formation financière». Revue de Droit bancaire et financier n° 6, novembre/décembre 2004
.. ./ ...

155
ALAIN COURET

geants de sociétés cotées, ces manquements sont à !'origine de sources de


responsabilité qui seront de plus en plus sou vent activées. Le sentiment d' une
menace importante s'est installé dans le paysage économique, relayé par les
propos parfois alarmistes des assureurs de responsabilité professionnelle.

3. Ce sentiment d'hypertrophie de la responsabilité civile ne s'impose


pas avec évidence au juriste qui ne retrouve guère dans les recueils de juris-
prudence les expressions tangibles des risques dénoncés. Cela est vrai pour la
France mais il est probable que ce constat vaut aussi pour beaucoup d'autres
pays. Lors d'un colloque qui s'est déroulé à Pékin en octobre 2006, un inter-
venant américain faisait le constat qu'il était difficile un peu partout dans le
monde d'engager la responsabilité des dirigeants de groupements (6). Un tel
constat paraît assez logique et conforte l'intuition que chacun peut avoir de
eet état de fait.

Les raisons se devinent assez aisément. L'esprit d'entreprise doit être sauve-
gardé et ne doit pas être bridé par des solutions trop sévères en matière de
responsabilité. Des raisons techniques concourent également à l'explication:
ainsi par exemple le droit français de la responsabilité est dominé par le prin-
cipe de la réparation intégrale du préjudice. Compte tenu de l' ampleur des
préjudices qui peuvent apparaître du fait du fonctionnement social, on peut
redouter que les juges soient très réticents à engager les mécanismes de res-
ponsabilité pour les personnes dirigeantes (7).

4. La difficulté d'engager la responsabilité civile des dirigeants de per-


sonnes morales est une réalité indubitable s' agissant de la France. Comme l' a
fort bien montré notre collègue Philippe DIDIER (8), la responsabilité assure

.. ./...
p. 448-453; A. MARECHAL, «La responsabilité des dirigeants des sociétés cotées en matière
d'information financière», Droit des sociétés, Août-septembre 2001, p. 4; J.P. MATTOUT,
«Information financière et responsabilité des dirigeants», RDBF n° 6, novembre-décembre
2004, p. 454-458; G. de VRIES, «La responsabilité civile de la société envers les actionnaires
en cas d'information complète ou prématurée» JCP E 2004, p. 695 ets.
(6) Intervention du Professeur C. MIHAUP lors du 6 th International Symposium of the 21 st
Century Commercial Law Forum organisé par Ie Commerical Law Research Center de la
TSINGHUA UNIVERSITY.
(7) Cf. R. VATINET, «La réparation du préjudice causé par la faute des dirigeants sociaux,
devant les juridictions civiles» Rev. Soc. (2) avril-juin 2003 p. 249 et s.
(8) «Les fonctions de la responsabilité civile des dirigeants sociaux» Rev. Soc. 2003, p. 238 et
s.; voir également F. POLLAUD-DULIAN, «De quelques avatars del' action en responsabilité
civile dans Ie droit des affaires» RTD Com. 1997, 355 ets.; S. CARVAL, «La responsabilité
civile dans sa fonction de peine privée» Thèse LGDJ 1995, notamment p. 149-150.

156
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS

toujours une fonction normative et une fonction réparatrice. Normative, elle


a pour objectif de guider les comportements; réparatrice, elle tend à obtenir
l'indemnisation des victimes des préjudices. Il apparaît assez évident que le
droit français a tendu à privilégier la fonction normative sur la fonction d'in-
demnisation. Cette réalité participe à la fois de raisons de fond et de raisons
qui sont davantage procédurales. Sur le fond, la jurisprudence française a
adopté un mode d'articulation de la responsabilité individuelle des dirigeants
et de la responsabilité de la personne morale qui apparaît très favorable aux
intérêts des dirigeants (Titre 1). S'agissant davantage de considérations de
procédure, notre droit semble multiplier les obstacles à l'aboutissement des
actions en responsabilité (Titre 2).

On reprendra successivement ces deux points.

157
ALAIN COURET

TITRE 1
LES CONDITIONS DE FOND DE LA RESPONSABILITE CIVILE:
L' ARTICULATION DE LA RESPONSABILITE INDIVIDUELLE ET
DE LA RESPONSABILITE DE LA PERSONNE MORALE

5. La question centrale est la question del' articulation entre deux respon-


sabilités possibles: celle de la personne morale et celle des personnes diri-
geantes. Cette articulation se fait d'une manière claire dans un premier cas:
lorsque d' abord l' action est diligentée par la société elle-même à l' encontre
de son dirigeant, en pratique par son ex-dirigeant. Lorsque l'action est dili-
gentée par les actionnaires, la même logique incite à écarter l'idée d'une res-
ponsabilité de la personne morale, sauf à admettre comme l' a fait une Cour
d'appel que les actionnaires sont des tiers (9). Lorsqu' enfin l'action est intro-
duite par des tiers, l'articulation est également assez simple: la responsabilité
civile des dirigeants s'efface derrière la responsabilité de la personne morale
qu'ils dirigent (Section 1). La restauration de la responsabilité individuelle ne
peut s'opérer dès lors que dans des conditions restrictives (Section 2).

SECTION 1
L'EFFACEMENT DE LA RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE DERRIÈRE LA RESPONSABILITÉ
DE LA PERSONNE MORALE

6. Si la faute n'est pas inséparable des fonctions, seule la responsabilité


de la société peut être engagée et non celle du dirigeant, lui-même (10). A
partir d'un arrêt du 8 mars 1982 ( 11 ), la Chambre commerciale de la Cour de
cassation a décidé sans ambiguïté aucune de subordonner la responsabilité du
dirigeant à une faute personnelle, extérieure à l'activité de représentation. La
formule sera reprise maintes fois par la suite (12), la solution transposant

(9) C.A. Versailles 17 janvier 2002 n° 00-7792, RJDA 4/02 n° 650; Bull. Joly 1002 p. 516 note
J.F. BARBIERI.
(10) Voir J.F. BARBIER!, «Responsabilité de la personne morale ou responsabilité de ses
dirigeants? La responsabilité personnelle à la dérive» in Mélanges Y. GUYON, Dalloz 2003 p.
41; G. AUZERO, «L'application de la notion de faute personnelle détachable des fonctions en
droit privé», D. 1998 p. 502; V. WESTER-OUISSE, «Critique d'une notion imprécise: la faute
du dirigeant de société détachable des fonctions» D. 1999 p. 782; M. LAUGIER, «l'introuva-
ble responsabilité du dirigeant social envers les tiers pour fautes de gestion» Bull. Joly 2003 p.
1231 ets.
(11) Rev. Soc. 1983 p. 573 note Y. GUYON.
(12) Cass. Com. 4 octobre 1988 (arrêt LEPOIVRE) n° 86-18.974, Bull. civ. IV n° 265 p. 182,
RTD civ. 1989 n° 2 obs. MESTRE, Rev. Soc. 1989.213 note VIANDIER, D. 1988, IR 259;
Cass. Com. 4 juin 1991 n° 89-16.847, Bull. Civ. IV n° 211 p. 149, Rev. Soc. 1992 p. 55 note
CHARTIER, Defrénois 1992 p. 902 obs. HONORAT, RJDA 1991 n° 715 p. 626, BRDA 1991
n° 17 obs. HONORAT, RJDA 1991 n° 715 p. 626, BRDA 1991 n° 17 p. 6; Cass. Com. 14 jan-
.. ./ ...

158
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAJS

manifestement la distinction du droit administratif entre faute de service et


faute détachable de la fonction (13). Désormais, comme l'écrivent certains
auteurs, «lorsque la société est en mesure de supporter financièrement les
conséquences des fautes de ses dirigeants, la Cour de cassation les protège
comme le Conseil d'Etat protège les fonctionnaires, c'est-à-dire dans une
ambiance de large irresponsabilité (14)». On a souligné justement Je fait que
la transposition aux dirigeants des entreprises privées, des solutions affir-
mées par le juge administratif, n'était pas justifiée dans la mesure ou la ges-
tion des personnes morales de droit privé n'est pas soumise aux contraintes
du service public (15).

7. Le fondement théorique de la faute séparable des fonctions mérite d'être


rappelé. Sans doute s'agit-il d'une transposition au moins partielle de la théo-
rie de la faute non détachable de la fonction en droit administratif. Ce mimé-
tisme toutefois n' est qu'un résultat et non le fondement de la position des
juges. Le fondement réside dans l'appréciation du dirigeant comme organe
de la société. Le dirigeant n'est pas le mandataire de la société. L'analyse de
la mission des dirigeants sociaux au travers du mandat est aujourd'hui mani-
festement dépassée. Comme l'a rappelé le Président Daniel TRICOT, «le di-
rigeant est la voix, la main, l 'organe de la société» (16). Dans ce contexte, il
apparaît logique que la responsabilité soit imputée d' abord à la société, en-
suite et très accessoirement à ses organes. Il n'y a responsabilité personnelle
du dirigeant que si celui-ci en vient à adopter un comportement qui est étran-
ger au comportement d'un organe social.

8. Cette jurisprudence a été sollicitée jusqu' aux limites del' absurde. Aio-
si la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 20 octo-

.. .! ...
vier 1992 n° 90-14.983, Bull. civ. IV n° 13 p. 10, BRDA 1992 n° 7 p. 7, Rev. Soc. 1992 p. 798
obs. GUYON; Cass. Com. 28 avril 1998 n° 96-10.253, Bull. Joly 1998 p. 808 note LE CAN-
NU, Rev. Soc. 1998 p. 767 note SAINTOURENS, RTD com. 1998 p. 623 obs. PETIT et
REINHARD; Cass. Com. 12janvier 1999 n° 96-19.670, RJDA 1999 n° 301 p. 253, Bull Joly
1999 p. 81 note SAINTOURENS.
(13) Cf. Gilles AUZERO, op.cit.
(14) COZIAN, VIANDIER, DEBOISSY, «Droit des sociétés» l 3ème édition, LJTEC 2000 n°
368.
(15) Cf. C. FREYRIA, «Libres propos sur la responsabilité civile de la gestion d'une entrepri-
se» Mélanges BOYER, Presses Université Toulouse 1, 1996 p. 178, G. WICKER, Répertoire
Civil, Dalloz V 0 Personne moralen° 78, COZIAN-VIANDIER-DEBOISSY, «Droit des socié-
tés» 13ème édition LITEC 2000 p. 123.
(16) Conférence sur la responsabilité des dirigeants organisée par l' Association France-Amé-
riques Ie 7 juin 2006 à Paris.

159
ALAIN COURET

bre 1998 (17) a considéré qu'un dirigeant qui avait consenti un cautionne-
ment au nom d'une société alors qu'il n'en avait pas le pouvoir, ne pouvait
voir sa responsabilité personnelle engagée. Comme la société n'était pas da-
vantage tenue, le cautionnement ne lui étant pas opposable, le tiers victime
s'est trouvé dans ce cas-là dépourvu de tout recours à l'encontre de quicon-
que, solution pour le mains singulière!

9. Cette jurisprudence vaut pour les dirigeants de tous les types sociétai-
res: sociétés par actions, sociétés à responsabilité limitée, sociétés de person-
nes. Elle vaut tant pour les sociétés commerciales que pour les sociétés civi-
les: ainsi, dans un arrêt du 25 janvier 2005, la Chambre commerciale de la
Cour de cassation a décidé que la responsabilité personnelle d'un gérant de
société civile ne pouvait être retenue à l'égard d'un tiers que s'il a commis
une faute séparable de ses fonctions (18). Elle trouve application s' agissant
des dirigeants d' associations (19).

SECTION 2
LES CONDITIONS D'UNE RESTAURATION DE LA RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE

10. Dans l' état actuel de la j urisprudence et de la pratique, on peut recenser


trois manières d'appréhender la restauration de la responsabilité individuelle
du dirigeant. Un premier mode, marginal, réside dans la reconnaissance par
lejuge d'une faute séparable (1°). Un deuxième mode trouve sa source dans
la loi qui impose une responsabilité spécifique des dirigeants d'une entrepri-
se frappée par une procédure collective: la tendance est toutefois à une limi-
tation de la responsabilité (2°). Enfin un mode véritablement hypothétique de
restauration réside dans la faculté pour la personne morale d' exercer une ac-
tion récursoire (3°). Reprenons ces trois points.

§ 1. Une restauration marginale: lafaute séparable

ll. La faute est normalement inséparable de la fonction comme on a pu le


souligner précédemment. Mais la notion de faute inséparable n' a de sens que
parce qu'il y a aussi des fautes séparables.

( 17) Dalloz Affaires 1999 p. 41.


(18) Droit des sociétés n° 7, juillet 2005, comm. 129 obs. François-Xavier LUCAS; également
Cass. 3ème civile 17 mars 1999, Bull. civ. 1999 III n° 72, D. 1999, somm. p. 264.
( 19) Cass. 2ème civ. 7 octobre 2004, Bull. civ. II n° 439; Cass. com. 7 juillet 2004, RJDA 11/04
n° 1223, 1ère espèce.

160
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS

Il est apparu assez vite que la nécessité d'identifier la faute «séparable» ap-
pelait des précisions jurisprudentielles. La Cour de cassation a apporté des
éléments de réponse dans un arrêt du 20 mai 2003. La Chambre commerciale
a ainsi décidé qu'il y avait faute séparable «lorsque le dirigeant commet in-
tentionnellement une faute d 'une particulière gravité incompatible avec l 'exer-
cice normal des fonctions sociales» (20). La lère Chambre civile a par la
suite adopté la même position (21 ).

12. Reste que les solutions données par les deux formations sont souvent
discutables au regard de ce critère et que la démonstration du caractère sépa-
rable demeure dans nombre de cas difficiles à administrer (22). Globalement,
les juges demeurent défavorables à la reconnaissance d'hypothèses de fautes
séparables des fonctions. En dépit du critère adopté par la Chambre commer-
ciale en 2003, les cas de faute séparable demeurent marginaux. De !'examen
de la jurisprudence se dégagent trois certitudes et une tendance lourde.

13. La première certitude est que, <levant les juridictions répressives tout
au mains, la faute pénale est une faute séparable de la fonction. La jurispru-
dence criminelle est ici constante (23), mais cette constance n'est pas néces-
sairement partagée par les autres formations (24) de la Cour de cassation
puisque la troisième chambre civile vient de retenir pour non-séparable une
faute pénale (25). Les chambres civiles semblent s'attacher en fait à l'exis-

(20) N° 99-17.092, D. 2003 p. 1502 obs. LIENHARD, JCP E 2003 n° 1099 p. 1221, Bull. Joly
2003 p. 786 note LE NABASQUE, JCP E 2003 n° 1203 p. 1331, obs. CAUSSAIN, DEBOIS-
SY etWICKER, RTDCom. 2003 p. 523 obs. CHAZALetREINHARD, etp. 741 obs. CHAM-
PAUD et DANET, Rev. sociétés 2003 p. 479 note J.F. BARBIER!, RJDA 2003 n° 8-9 n° 842
p. 747; Droit des sociétés 2003, comm. 148, obs. J. MONNET; JCP E 2003, 1398, note S.
HADGI-ARTINIAN; D. 2004 p. 2623, note B. DONDERO.
(21) 16 novembre 2004, Bull. Joly 2005, § 72, p. 370, note B. DONDERO.
(22) Voir les nombreuses illustrations données dans Ie LAMY Sociétés commerciales 2005 n°
650 ets.
(23) Cass. Crim. 14 octobre 1991, Bull. crim. n° 1 p. 401, Rev. Soc. 1992 p. 782 note B.
BOULOC; Cass. Crim. 20 mai 2003, Bull. crim. 2003, n° 101, Bull. Joly Sociétés 2003 § 242
p. 1166 note Th. MASSART; RJDA2003 n° 1181, p. 1026; D. 2003 p. 2205.
(24) La 1ère Chambre civile a adopté la même position, Cass. 1èrc civile, 6 octobre 1998, n° 95-
12519: en l'espèce Ie gérant d'une société avait corrompu un fonctionnaire, RJDA 12-1998
p. 1021 n° 1362; 14 décembre 1999, JCPG 2000 II n° 10241, conclusions C. PETIT; Bull. Joly
Sociétés 2000, § 175, p. 736, note A. COURET; RTD Civ. 2000, 342, obs. P. JOURDAIN.
(25) N° 04-14731, FS P+B, 4 janvier 2006, RJDA 8-9/06 n° 916, Droit des sociétés Mars 2006
p. 28; BRDA 3/06 inf. 2; D. 2006, AJ, p. 231, obs. A. LIENHARD; Bull. Joly Sociétés, 2006
§ 106, p. 526, note S. MESSAÏ-BAHRI; Dr. Sociétés 2006, comm. 40, obs. J. MONNET; JCP
E2006, 1216; JCPG 2006 n° 2035, ChroniqueCAUSSAIN, DEBOISSY, WICKER n° !; Voir
également chronique Didier PORACCHIA, «Droit des sociétés» in Droit et Patrimoine n° 149
- Juin 2006 p. 109-110.

161
ALAIN COURET

tence ou non d'un élément intentionnel pour admettre la séparabilité de la


faute pénale.

14. La deuxième certitude est que la notion de faute séparable des fonc-
tions n'est pas applicable en matière de manquements administratifs: cette
règle rejoint en fait la précédente: les sanctions administratives sont assimi-
lées à la matière pénale (26). Le dirigeant peut ainsi être sanctionné lorsque
une société a diffusé des informations qui ne répondent pas aux exigences
d'exactitude et de sincérité posées par Ie Règlement général del' AMF.

15. La troisième certitude est que la faute est séparable lorsque les diri-
geants n' ont pas agi en cette qualité. Un arrêt de la Chambre commerciale du
8 février 2005 est une bonne illustration de ce cas de figure. Les dirigeants
d'une station-service étaient entrés en conflit avec la société SHELL dont ils
distribuaient les produits. Suite à ce conflit, ils avaient masqué les couleurs,
Ie logo et la marque SHELL pour vendre des carburants d'une autre prove-
nance. La Cour a considéré que les dirigeants s'étaient purement et simple-
ment appropriés le fonds de commerce de la société (27).

16. Au-delà de ces cas particuliers, la tendance lourde de la jurisprudence


est de prendre en considération soit l'intérêt personnel que pouvait avoir le
dirigeant à commettre la faute, soit Ie caractère délibéré de cette faute: ainsi la
Chambre commerciale de la Cour de cassation a pu considérer que Ie fait
pour un gérant de s' abstenir délibérément de payer la prime d' assurance auto-
mobile malgré plusieurs relances de la compagnie d'assurances, et de prêter
le véhicule dépourvu d'assurance, le contrat ayant été résilié, à un salarié de
la société, sans l'en informer, caractérise une faute séparable de ses fonctions
sociales (28). De même elle a jugé que des actes de contrefaçon de marques
commis par un dirigeant constituaient des fautes séparables dès lors qu'il
avait agi «de façon active et personnelle» (29), ou «de manière délibérée et
persistante» (30).

(26) Cass. com. 31 mars 2004, GAUME c./COB, Juris-Data n° 2004-023105; D. 2004, oct.
Jurisp. 1087; Droit des sociétés n° 7, Juillet 2004, comm. 131; Bull. Joly 2004, p. 982 ets. et
note Gilles AUZERO.
(27) Bull. Joly Sociétés 2005 p. 855 ets. avec !'avis de Monsieur l' Avocat Général Maurice-
Antoine LAFORTUNE.
(28) Revue Lamy Droit des affaires - Novembre 2006 n° 10 p. 18.
(29).Cass. com. 7 juillet 2004 n° 1158, RJDA 11/04 n° 1223.
(30) Cass. com. 25 janvier 2005 n° 138, RJDA 5/05 n° 576.

162
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS

De même encore elle a pu considérer que devait être considéré comme n' ayant
pas commis de faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice
normal de ses fonctions le président qui a agi dans les limites del' objet de la
société et dès lors qu'il n'est pas démontré qu'il aurait eu un intérêt personnel
à utiliser celle-ci dans un dessein illicite (31 ).

§ 2. Une restauration limitée: la responsabilité spécifique des dirigeants


frappés par une procédure collective

17. L' examen de la jurisprudence montre que l 'essentiel des actions en


responsabilité procède des textes spécifiques au droit de l'entreprise en diffi-
culté. La raison en a été fort bien explicitée par le Professeur Michel GER-
MAIN (32) dont on reproduira ici les propos éclairants:

«C' est que le capita/isme français est encore une figure proche du capita/is-
me rhénan et ce capita/isme est plus dépendant de ses créanciers - en parti-
culier bancaires - que de ses actionnaires. Si bien que c 'est dans le cadre de
lafaillite que les créanciers mettent en cause la responsabilité du dirigeant,
alors que les actionnaires ne s 'expriment pas encore, tant que la société est
in bonis».

18. Il s'agit de la responsabilité civile dite aggravée dans l'hypothèse ou


l'entreprise a été amenée à déposer son bilan (33). Le fondement le plus clas-
sique réside dans l'article L. 651-2 du Code de commerce selon lequel:

«Lorsque la résolution d'un plan de sauvegarde oude redressement judiciai-


re ou la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une in-
suffisance d 'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué
à cette insuffisance d'actif, décider que les dettes de la personne morale se-
ront supportées, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait
ou par certains d'entre eux, ayant contribué à lafaute de gestion. En cas de
pluralité des dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer
solidairement responsables».
«L' action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la
liquidation judiciaire ou la résolution du plan».

(31) Cass. com. 13 décembre 2005, Bull. Joly 2006 p. 636 ets. note Jean-François BARBIE-
R!.
(32) Rapport de synthèse précité, p. 286.
(33) Sur cette responsabilité: C. SAINT-ALARY, «Droit des entreprises en difficulté» Mont-
chrestien 5èmc édition 2006 p. 744 ets., n° 1262 ets.; M. JEANTIN et P. LE CANNU, «Entre-
prises en difficulté» Précis Dalloz, 7ème édition, 2007 p. 763 et s.

163
ALAIN COURET

Les sommes versées par les dirigeants en application de l'alinéa Ier rentrent
dans le patrimoine du débiteur».

19. D'autres textes vont dans le même sens qui montrent bien que la situa-
tion dans laquelle une entreprise est en liquidationjudiciaire implique la prise
en compte de la responsabilité des dirigeants d'une manière plus sévère que
dans le droit commun.

L. 652-1: «Au cours d'une procédure de liquidation judiciaire, le tribunal


peut décider de mettre à la charge de l 'un des dirigeants de droit ou de fait
d'une personne morale la totalité ou une partie des dettes de cette dernière
lorsqu 'il est établi, à l 'encontre de ce dirigeant, que l 'une des fautes ei-après
a contribué à la cessation des paiements:
1 ° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres;
2 ° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir
fait des actes de commerce dans un intérêt personnel;
3 ° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire
à l 'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre
personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement
ou indirectement;
4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation
déficitaire quine pouvait conduire qu 'à la cessation des paiements de la
personne morale;
5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif oufrauduleusement
augmenté le passif de la personne morale».

20. Les textes précédemment évoqués constituent deux sources différen-


tes de responsabilité. Dans le premier cas (L 651-2), on parle de responsabi-
lité pour insuffisance d'actif; dans le second cas (article L 652-1), on parle
d'obligation aux dettes sociales. Ces textes semblent redoutables et cela
d' autant que la théorie de la faute non séparable des fonctions ne saurait trou-
ver application ici. Pour autant, on ne saurait trop exagérer la portée de ces
dispositions qui constituent cependant des menaces bien réelles (34). La loi
du 26 juillet 2005 (dite loi de «sauvegarde des entreprises») a cantonné cette
responsabilité, les sanctions pécuniaires ne pouvant plus être prononcées dé-
sormais ni au cours d'une procédure de redressement judiciaire, ni au cours
d'une procédure de sauvegarde. Par ailleurs, le tribunal ne peut plus décider

(34) Voir sur ce point l'étude de Madame I. PARACHKEVOVA, «La nouvelle responsabilité
des dirigeants dans les procédures collectives: révolution ou évolution?» LPA 19 décembre
2006 p. 4 et s.; P. LE CANNU, «La responsabilité civile des dirigeants de personne morale
après la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005» Rev. Soc. 2005 p. 743 ets.

164
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DRO!T FRANÇAIS

de sanctionner le dirigeant fautif par l'ouverture d'une procédure collective


personnelle, comme cela était envisageable auparavant.

On pourrait trouver d'autres exemples de la mansuétude du législateur car la


volonté d'apaisement est manifeste: nécessité d'apprécier la faute commise
par chacun en cas de pluralité des dirigeants, pas de solidarité de plein droit
entre les divers dirigeants.

21. Il convient de relever pour terminer que la notion de faute séparable


n' est pas totalement écartée du champ des procédures collectives. Tout d' abord,
elle redevient pertinente pour l' appréciation des fautes postérieures au juge-
ment d' ouverture de la procédure (35). Ensuite, elle redevient également per-
tinente s'agissant de l'action en responsabilité exercée par un créancier en
réparation d'un préjudice personnel pour autant que ce créancier puisse se
prévaloir véritablement d'un préjudice personnel distinct de celui des autres
créanciers (36).

§ 3. Une restauration hypothétique: Ie mécanisme de l'action récursoire

22. La responsabilité de la société pour la faute commise par les dirigeants


est la règle comme nous l'avons précédemment indiqué. Toutefois, cette res-
ponsabilité n'exclut en aucune manière le jeu possible d'une action récursoi-
re: la personne morale peut se retourner contre son mandataire fautif et lui
demander réparation du préjudice subi par elle. Le principe est au demeurant
le même pour les fonctionnaires publics: si la faute est non détachable du
service, elle exclut la mise en jeu directe de la responsabilité de l' agent mais
elle n'écarte pas la possibilité d'une action récursoire de l'Etat contre son
agent. Mais, dans les deux cas, l' usage est de ne pas mettre en ceuvre ce type
de démarche récursoire et la restauration de la responsabilité individuelle est
de facto hypothétique.
0

0 0

23. En définitive, les règles de fond gouvernant la responsabilité civile des


dirigeants ne représentent pour eux qu'une menace limitée. Comme l'a écrit
un auteur, «Dire que les dirigeants sont accablés par d'insoutenables respon-

(35) Cass. com. 14 mars 2000 n° 684, RJDA 7-8/00 n° 788, D. 2000 n° 15 p. 187, obs.
A. LIENHARD; JCP E 2000 note D. PORACCHIA p. 1527.
(36) Cass. com. 7 mars 2006, n° 04-16536 Juris-Data n° 2006-032682; D. 2006 p. 859 obs. A.
LIENHARD; JCP E 2006, étude 2035 p. 1171 par CAUSSAIN, DEBOISSY et WICKER.

165
ALAIN COURET

sabilités n 'est aujourd 'hui plus exact. Bien au contraire, la jurisprudence


récente évolue en partie dans le sens d'une certaine clémence à leur égard»
(37).

Cette menace est encore restreinte par le régime procédural de l'action en


responsabilité civile.

(37) I. GROSSI, «La responsabilité des dirigeants» in Droit et Patrimoine n° 118 - Septembre
2003 p. 55.

166
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS

TITRE 2
LE REGIME PROCEDURAL DE LA RESPONSABILITE CIVILE: LA
MULTIPLICATION DES OBSTACLES

24. Le régime procédural de la responsabilité civile des dirigeants de per-


sonnes morales est à divers points de vue assimilable à un parcours d' obsta-
cle. Multiples sont les difficultés que peuvent rencontrer ceux qui entendent
engager cette responsabilité. Les obstacles essentiels résident dans les condi-
tions de recevabilité de l'action en responsabilité (Section 1). Une autre ques-
tion lourde également de difficultés est la question de l'administration de la
preuve (Section 2).

SECTION 1
LA RECEVABILITÉ DE L 'ACTION EN RESPONSABILITÉ

25. Aux demandeurs en responsabilité, les dirigeants actionnés peuvent


opposer plusieurs fins de non-recevoir tirées:

- de l' absence de caractère social de la de mande


- de la prohibition des cumuls d'actions
- de l' écoulement de la prescription

§ 1. L'absence de caractère «social» de la demande


(
26. On suppose que l' action est intentée par un associé. La tentation natu-
relle de eet associé est bien évidemment d'engager une action en réparation
du préjudice individuel qu'il estime avoir subi. La raison juridique toutefois
impose de considérer que, si la faute alléguée a causé un préjudice à la socié-
té, l'as~ocié.ne pourra exercer que T'aafön soc1àfë-«:untngutfo: cette démar-
èhe cÓûteuse _et s_ans profit immédiat pour cel ui qui l' entreprend n' est guère
recherchée (38). Aussi l'associé tiendra à démontrer l'existence d'un préjudi-
.ce personnet distir1ct de celuj subi par la société. Ces hypothèses sont rares
(39). La Cour de cassation considère par exemple que l'actionnaire qui subit
1 une dépréciation de la valeur de ses titres du fait d'un abus de biens sociaux

(38) Sur l'inadaptation de l'action sociale «ut singuli», voir R. VATINET, «La réparation du
préjudice causé par la faute des dirigeants sociaux <levant les juridictions civiles» Rev. Soc. (2)
avril-juin 2003 § 13 ets., p. 251 ets. Voirégalement laremarquable thèse deJ.-Ch. PAGNUCCO,
L'action sociale ut singuli et ut universi en droit des groupements, Paris L.G.B.J. 2006.
(39) A. COURET, «Interrogations autour de la réparation du préjudice individuel de l'action-
naire» RJDA 5/97 p. 391.

167
ALAIN COURET

(40) n' est pas recevable à agir personnellement devant la juridiction de juge-
ment ou devant la juridiction d'instruction (41). Pour les juges, le préjudice
n' est, ni direct, ni personnel.

27. M,!i_~!a_jupspl"ll~ence évolue quelque peu (42). Dans un arrêt du 21


novembre 2001 (43), la Chamhre ciiminelle précise que dès lors que les faits
reprochés dans une plain te déposée par un actionnaire et au nom de la société,
pour prise illégale d'intérêts par des fonctionnaires recrutés par la société et
d'anciens ministres ayant eu des responsabilités dans le secteur d'activité de
la société, constituent également un abus de crédit de la société, il en découle
un préjudice direct pour l'actionnaire. Un arrêt du 30 janvier 2002 (44) a
approuvé un arrêt de la Chambre d'instruction de la Cour d'appel de Paris
d' avoir déclaré recevable la constitution de partie civile d'un actionnaire dans
une poursuite concemant la publication de comptes inexacts et la diffusion de
fausses informations, au motif notamment «que le délit de présentation ou
publication de comptes infidèles peut causer un préjudice personnel direct
aux associés au porteurs de titres d'une société». La Chambre criminelle
avait antérieurement adopté la solution contraire (45).

28. On peut signaler également la jurisprudence récente concemant le dé-


lit d'initié. L'arrêt précité du 11 décembre 2002 indique en effet «qu'à le
supposer établi, le délit d'initié est susceptible de causer un préjudice per-
sonnel direct aux actionnaires». Plus récemment ont été également rendues
des décisions particulièrement dignes d'intérêt. Dans un arrêt EURODIRECT
MARKETING c./Michel PFEIFFER (46), la Chambre commerciale confir-
me un arrêt de la Cour d'appel de Cölmar «qui a pu décider qu'il existait un
tien de causalité entre les manquements commis par la société et le préjudice
subi par Monsieur PFEIFFER en revendant à perte les actions qu 'il n 'aurait
pas achetées s'il n 'avait pas été victime d'informations trompeuses». Le tri-
bunal correctionnel de Paris, dans l'affaire S1DE4, a accepté d'ordonner le

(40) Ou d'un abus de pouvoirs ou d'une escroquerie.


(41) Cass. crim. 12 et 13 décembre 2000, D. 2001 p. 928 obs. M. BOIZARD; Droit pénal 2001
n° 47 et 48 note J.-H. ROBERT; Rev. Soc. 2001 p. 394 note B. BOULOC; Cass. crim. 18
septembre 2002, Bull. Joly 2003 § 11 note Jean-François BARBIER!; voir également lajuris-
prudence de la Chambre comemrciale 15 janvier 2002, Bull. Joly 2002 p. 689.
(42) Voir sur ce point C. ARSOUZE et P. LEDOUX, article précité; également Y. REINHARD,
«Perplexité de !'actionnaire victime d'un délit financier» Mélanges PATIN, Editions du Juris-
Classeur 2006.
(43) N° 01-81-178, Bull. Joly 2002 p. 398 note S. MESSAÏ.
(44) Criminelle, Rev. Soc. 2002 p. 350 note BOULOC.
(45) Cass. Crim. 29 novembre 2000, Bull. n° 359; 13 décembre 2000 n° 373 et 378.
(46) 22 novembre 2005, F-D.

168
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS

versement aux actionnaires de SIDEL d'une somme supérieure aux domma-


ges-intérêts versés dans toutes les autres affaires ou des actionnaires deman-
daient réparation de leur préjudice: 700 actionnaires ont obtenu une indemni-
sation de 10 euros par action au titre du préjudice subi par les manquements
du dirigeant de SIDEL à ses obligations d'information (47).

§ 2. La prohibition des cumuls d'actions en responsabilité

29. Il s'agit d'une question classique du droit des procédures collectives.


La Cour de cassation est globalement hostile aux cumuls d'actions (48). Elle
considère ainsi que les régimes spéciaux applicables aux dirigeants faisant
l'objet d'une procédure collective ne sauraient être cumulés avec une action
en responsabilité fondée sur l'article 1382 du Code civil (49). De même ne
peut-on admettre le cumul d'une action en comblement de l'insuffisance d'actif
avec une action en responsabilité sur le fondement des articles L 223-22 et L
225-251 du Code de commerce (50): cette action est en effet une action atti-
trée (51).

Le législateur de 2005 (loi «sauvegarde des entreprises») s' est inscrit égale-
ment dans cette logique. L' article L 652-1 interdit de cumuler l' obligation au
paiement des dettes sociales avec l'action en insuffisance d'actif puisque l'ar-
ticle L 652-1 du Code de commerce prévoit dans son dernier alinéa que si
l'une des fautes constitutives de l'obligation aux dettes est constatée, il ne
peut plus être fait application de l' action en responsabilité pour insuffisance
d'actif (52). Déjà présentes dans la jurisprudence antérieure, ces solutions
ont désormais force légale.

30. Cette hostilité globale aux cumuls d'actions connaît des exceptions et
notamment lorsque la Cour considère que les actions ont des objets diffé-
(47) Tribunal de Grande Instance de Paris ( 11 c charnbre) 12 septernbre 2006, voir les observa-
tions de D. SCHMIDT, Dalloz 2006 p. 2522.
(48) M.-C. PINIOT, «Responsabilité civile des dirigeants sociaux, non-cumul des actions du
droit des sociétés et du droit des procédures col!ectives» RJDA 7/95 p. 643 n° 9; égalernent F.
POLLAUD-DULIAN, article précité.
(49) Cass. com. 20 juin 1995 n° 1309, RJDA 7/95 n° 904, Cass. corn. 26 rnai 1999 n° 1024,
RJDA 3/00 n° 321.
(50) Cass. corn. 28 tëvrier 1995 n° 452, RJDA 7/95 n° 904; Cass. corn. 26 mai 1999 n° 1024,
RJDA 3/00 n° 321; Cass. corn. 3 octobre 2000 n° 1590, RJDA 1/01 n° 61.
(51) Cf. JEANTIN et LE CANNU, «Entreprises en difficulté» Précis Dalloz 2007 n° 1269 p.
776; voir égalernent J.-P. SORTAIS, «Les con tours de!' action en cornblernent de l'insuffisan-
ce d' actif» Mélanges BEZARD, Editions Petites Affiches MONTCHRESTIEN 2002 p. 321 et
s.
(52) I. PARACHKEVOVA, «La nouvelle susceptibilité des dirigeants dans les procédures
collectives: révolution ou évolution?» LPA 19 décembre 2006 n° 19.

169
ALAIN COURET

rents: ainsi une action en comblement de l' insuffisance d' actif peut se cumu-
ler avec une action civile en réparation du préjudice résultant de l'infraction
d' abus de biens sociaux (53). Elle peut également se cumuler avec l' action
civile accompagnant un délit de banqueroute (54).

Elle connaît également exception dans un contexte rappelé récemment par la


Chambre commerciale de la Cour de cassation. Dans un arrêt du 7 mars 2006,
celle-ci a accepté qu'un créancier puisse agir sans passer par un organe de la
procédure collective:

- dès lors que le dirigeant a commis une faute séparable de ses fonctions
- dès lors que le demandeur peut prouver qu'il a subi un préjudice person-
nel distinct de celui des autres créanciers (55).

Enfin, l'action en comblement de l'insuffisance d'actifne fait pas d'obstacle


à l'action en responsabilité fiscale de l'article L 267 du Livre des Procédures
Fiscales (56). Cette solution est assez logique: les sommes récupérées à la
suite de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif sont réparties en-
tre les créanciers sociaux quant le Trésor bénéficie seul de la mise en reuvre
de la responsabilité fiscale du dirigeant (57).

§ 3. L'écoulement de la prescription

31. Le délai pour agir est normalement un délai de trois ans (58). Encore
faut-il s'entendre sur le point de départ de ce délai et la jurisprudence ne
parvient pas toujours à des solutions concordantes. Le délai ne peut courir
qu'autant que l'agissement dommageable a été révélé. Le principe est que
l' action en responsabilité se prescrit par trois ans à compter du fait domma-

(53) Cass. com. 29 février 2000 n° 337, RJDA 5/00 n° 580; Cass. com. 27 novembre 2001 n°
1945, RJDA 4/02 n° 417; Cass. crim. 10 octobre 2001 n° 6239, RJDA 4/02 n° 417 2ème espèce;
Cass. crim. 21 novembre 2001, n° 6741, RJDA 3/02 n° 287 2èmc espèce.
(54) Crim. 13 juin 2001: RJDA 2002 n° 287; 10 octobre 2001: RJDA 2002 n° 417; 4 novembre
2004, Droit des sociétés 2005, n° 100, note Renaud SALOMON.
(55) n° 331 FS-PBIR, BRDA 6/06 Inf. n° 1, D. 2006 p. 859 obs. A. LIENHARD.
(56) Cass. com. 9 décembre 1997 n° 2483, RJDA 1/98 n° 87 Conclusions M.-C. PNIOT, p. 3;
Rev. Soc. 1998, 316 note J.J. DAIGRE; Cass. com. 30 mai 2000, D. 2000, act. Jur. P. 302, obs.
Alain LIENHARD, sur cette question, voir pour une étude d'ensemble: M.-C. PINIOT, «Cu-
mul de l'action en comblement du passif et de la responsabilité fiscale» RJDA 20L98, p. 54.
(57) Cf. COZIAN, VIANDIER et DEBOISSY, «Droit des sociétés» LITEC 19èmc édition 2007
n° 274.
(58) La règle ne vaut en fait que pour les sociétés par actions et les SARL. Il n'y pas de
prescription abrégée s'agissant des dirigeants de sociétés civiles, en nom collectif et en com-
mandite simple.

170
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS

geable ou de sa révélation si celui-ci a été dissimulé (59). Si un expert a été


commis, le point de départ de la prescription se situe à la date du dépöt du
rapport d' expertise confirmant la faute commise par les administrateurs (60).
La dissimulation fait l'objet d'une appréciation exigeante: elle suppose un
comportement véritablement intentionnel du responsable prétendu (61).

32. Peut-on imaginer un allongement du délai de 3 ans? On suppose que


l'action est intentée par un tiers. Ce tiers peut-il agir sur le fondement de
l'article 1382 du Code civil ou doit-il prendre appui sur les dispositions spé-
cifiques du Code de commerce (62)? La question n'est pas neutre puisque la
réponse commande la durée de la prescription: 10 ans sur le fondement de
l'article 1382 (63), trois ans si l'on prend appui sur le Code de commerce. La
Cour de cassation ne s'est pas prononcée à ce jour sur ce point mais la logi-
que plaide pour que ne soient invocables que les dispositions du Code de
commerce (64). En effet seule cette solution assure une véritable cohérence:
que ce soit à l'égard de la société ou à l'égard des tiers, les dirigeants ne sont
responsables que sur le fondement des dispositions du Code de commerce
dans le délai de prescription de trois ans (65).

33. Reste que la mise à l'écart de l'article 1382 n'a véritablement de sens
que pour les dirigeants de droit. En revanche, s'agissant maintenant de diri-
geants de fait, le fondement del' article 1382 du Code civil redevient parfaite-
ment opérationnel: la Cour de cassation s'est prononcée en ce sens (66). Tou-
tefois, contrairement à ce que l' on pouvait imaginer, la référence à l' article
1382 n'emporte pas nécessairement l'application de la prescription décenna-

(59) Yoir 0. RAULT, «Le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité de


l'article 247 de la loi du 24 juillet 1966» JCP E 2000 p. 1462. Au terme des articles L 223-23,
L 225-2 et L 227-8 du Code de commerce, I' action en responsabilité «se prescrit par trois ans,
à compter du fait dommageable ou s'il a été dissimulé, de sa révélation. Toutefois, lorsque Ie
fait est qualifié crime, I' action se prescrit par dix ans».
(60) CA Paris 14 décembre 2001, Bull. Joly 2002 p. 495 ets. note J.-F. BARBIER!; également
CA Paris 5 juillet 200!, Bull. Joly 2001 p. 1290 ets. note J.-F. BARBIER!.
(61) Cass. com. 2 mai 1983, Rev. Soc. 1984 p. 775 note P. DIDIER; Cass. com. 25 mars 2003,
BRDA 11/03.
(62) Articles L 223-22 pour les SARL et L 225-251 pour les sociétés anonymes.
(63) Code civil article 2270-1.
(64) Cf. BRDA 2003 3/03 «Responsabilité civile des dirigeants de sociétés commerciales» p.
13 et s.
(65) BRDA 2003 n° 3 Comm. 23.
(66) Cass. com. 6 octobre 1981, D. 1983 p. 133 obs. B. SOINNE; JCP 1982 II 19891 obs. G.
NOTIE; Cass. com. 21 mars 1995, Bull. civ. IV n° 98, p. 87; RJDA 1995/7, n° 858 p. 690;
Droit des sociétés, septembre 1995 n° 170, p. 12.

171
ALAIN COURET

le. La Cour de cassation a déjà appliqué la prescription abrégée de trois ans à


des actions intentées par des tiers et fondées sur l'article 1382 du Code civil
(67).

34. Les délais de prescription sont moins favorables lorsque l'entreprise a


été frappée d'une procédure collective. L'action en comblement de l'insuffi-
sance d'actif se prescrit par trois ans à compter du jugement prononçant la
liquidation ou la résolution du plan (68). L'action en paiement des dettes so-
ciales se prescrit par trois ans à compter du jugement prononçant la liquida-
tion. Dans le cas de comblement de l'insuffisance d'actif, sachant que le plan
peut avoir une durée de dix ans, le délai de prescription peut atteindre treize
ans (69).

SECTION 2
L' ADMINISTRATION DE LA PREUVE

35. Rapporter la preuve des fautes commises se fera dans bien des cas par
la voie de l' expertise, démarche qui peut s' avérer délicate comme l' expérien-
ce l'a montré. On sait en effet qu'une concurrence s'est établie entre, d'une
part, l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, et l'ancien article
226 de la loi du 24 juillet 1966 devenu article L. 225-231 du Code de com-
merce. Yves Guyon résume les choses d'une manière péremptoire mais exac-
te (70): «Les actionnaires quine peuvent pas ou quine veulent pas demander
la désignation d'un expert de gestion peuvent obtenir un résultat presque
analogue en sollicitant une expertise in futurum sur la base de l 'article 145
du nouveau Code de procédure civile qui organise Ie référé probatoire».

36. Comment est-on arrivé à cette situation singulière? Rappelons les ter-
mes des deux textes en cause:

- Article L. 225-231: «Un ou plusieurs actionnaires représentant au moins le


dixième du capita[ social peuvent, soit individuellement soit en se groupant
sous quelque forme que ce sq_it, demander en justice la désignation d'un ou
plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opé-
rations de gestion ( .... )».

(67) Cass. com. 23 octobre 1990, Bull. Joly 1990 § 335 note JEANTIN.
(68) Article L 651-2 al. 2 du Code de commerce.
(69) Option Finance «Le guide des responsabilités» N° spécial hors série NC5, Lundi 27 mars
2006, p. 25-26.
(70) Y. GUYON, Droit des affaires, tome 1, Economica, 12ème éd., 2003 p. 490 n° 447.

172
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS

- Article L. 145 (NCPC): «S'il existe un motif légitime de conserver oud' éta-
blir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution
d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être
ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé».
En théorie pure, on voit d'emblée les finalités différentes des deux textes
(71). L'expertise de gestion est au service de la défense de l'intérêt social
(72); !'expertise in futurum est une technique préventive au service de la preu-
ve: elle a un pur objet probatoire et elle intervient dans Ie seul intérêt du
demandeur. On voit également les régimes juridiques différents des deux ac-
tions. Et, sous eet angle pratique, il apparaît rapidement que la voie de l'arti-
cle 145 NCPC apparaît mains contrainte par les textes que la précédente: tout
intéressé peut agir, sans avoir à détenir une fraction du capita! particulière. Il
n'est pas nécessaire d'indiquer les actes que l' on entend critiquer. Au demeu-
rant il peut s'agir d'autre chose que d'actes de gestion.

37. L'existence de deux textes utilisables par les minoritaires devrait être
de nature à multiplier les opportunités d' action. Il n' est donc guère surpre-
nant que l' on ait vu se multiplier les demandes fondées sur l' article 145 NCPC
<lont on peut penser qu'elles se seraient normalement inscrites dans la logi-
que de l' ancien article 226. Et la jurisprudence s' est complue à alimenter la
confusion.

38. Pour autant, cette multiplication des voies d'actions ne débouche pas
toujours sur des résultats concrets. Tant s'en faut. La jurisprudence a ainsi
manifesté des comportements peu favorables aux actionnaires minoritaires
(73). Ainsi, dans l' affaire VIVENDI au début de l'été 2002, elle a rejeté l'ac-
tion des minoritaires fondée sur l'article 145 NCPC arguant de ce que la voie
normale d'action était l'article L. 225-231 du Code de commerce. En l'espè-
ce, les minoritaires cherchaient à établir les fautes commises par les diri-
geants mais aussi par le conseil d'administration.

«La demande est limitée à la recherche des modalités de prise des décisions
stratégiques par le conseil d'administration sans que d'autres points soient
mis en cause notamment les comptes de la société».

(71) Voir ici I. URBAIN-PARLEANI, «L'expertise de gestion et !'expertise in futurum» Re-


vue des sociétés 2003 p. 223 et s.
(72) D. VIDAL, Droit des sociétés, LGDJ, 4e éd. 2003 n° 765.
(73) Par exemple Tribunal de commerce de Paris référé 27 juin 2002, ADAM et a. c./SA
VIVENDI UNIVERSAL, Bull. Joly 2002 p. 942 et s. n° 212 note Alain COURET.

173
ALAIN COURET

CONCLUSION

39. On ne peut pour conclure qu'ajouter à des observations déjà faites de-
puis quelques années dans la doctrine française en faisant une nouvelle fois le
constat del' abandon progressif par la jurisprudence de la fonction répressive
de la responsabilité civile des dirigeants sociaux (74).

Ce constat d' abandon est indissociable du fait que l' essentie! des actions en
responsabilité provient de tiers. Jusqu'à ce jour, les actions intentées par les
actionnaires demeurent rares. Au travers des constitutions de partie civile, on
voit toutefois aujourd'hui des remises en cause assez spectaculaires de l'ir-
responsabilité des dirigeants. Le développement d'un capitalisme actionna-
rial devrait ici faire évoluer assez rapidement les choses (75).

(74) Par exemple F. DESCORPS DECLERE, article précité.


(75) ARSOUZE et LEDOUX, article précité.

174
CHAPITREIV
L' ASSURANCE
DE LA RESPONSABILITE CIVILE
DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

VINCENT CALLEWAERT
Avocat au Barreau de Bruxelles
Assistant à l'Université catholique de Louvain
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

1. La multiplication des sources de mise en cause de la responsabilité


civile des dirigeants de sociétés, à laquelle on a pu assister ces demières an-
nées, a fait connaître un essor important à l'assurance de la responsabilité
civile des mandataires sociaux, Alors qu'il y a une vingtaine d'années, cette
assurance n'en était encore qu' à ses balbutiements en Belgique, la grande
majorité des dirigeants de sociétés de taille importante bénéficient, en effet,
aujourd'hui d'une telle garantie, Cette protection suscite également un intérêt
croissant de la part des dirigeants de petites et moyennes entreprises, ainsi
que des administrateurs d' A.S.B,L,

Il est vrai qu'en opérant Ie transfert des risques- ou, tout au moins, d'une part
importante de ceux-ci - à un tiers, cette garantie d'assurance répond à la pré-
occupation majeure qu' ont les dirigeants de sociétés en matière de responsa-
bilité, à savoir celle de placer leur patrimoine personnel à ]'abri des consé-
quences de toute condamnation éventuelle. Le temps est loin, en effet, ou le
simple fait de constituer une personne morale apparaissait comme un moyen
suffisant de protéger son patrimoine personnel.

En dépit de eet essor important, I' assurance de la responsabilité des dirigeants


de sociétés - qualifiée également d'assurance «R.C. mandataires sociaux»,
«R.C. administrateurs» oude «D&O» (Directors and Officers liability) (1) -
reste assez mal connue. Son objet est encore souvent confondu avec cel ui des
assurances couvrant les responsabilités propres à l'entreprise (assurance R.C.
exploitation, R.C. produits, etc.). Il n'est par ailleurs pas toujours évident de
mesurer la portée exacte des garanties qui sont habituellement consenties.

Dans le cadre de la présente contribution (2), nous tenterons, par conséquent,


de préciser au mieux les contours de cette assurance en prenant appui sur les
polices qui sont actuellement proposées sur le marché beige (3). Après avoir
brièvement décrit Ie contexte général dans lequel évolue cette assurance (Ti-
tre 1), ainsi que les au tres moyens de protection qui s' offrent aux dirigeants
(Titre 2), nous analyserons les modalités de souscription de cette assurance et
l'identification du risque que celle-ci requiert (Titre 3). D'amples développe-

(1) Dans la suite de !'exposé, il sera indistinctement fait usage de ces différentes appellations.
De la même manière, et sauf précision contraire, les termes «administrateurs», «dirigeants» et
«mandataires sociaux» seront utilisés sans distinction,
(2) Afin de permettre au lecteur d'identifier rapidement la source citée, nous avons pris Ie parti
d'éviter autant que possible d'appliquer la règle méthodologique selon laquelle une référence
déjà citée doit être remplacée par Ie nom suivi de la locution «op.cit.».
(3) Notre étude s'est basée sur les conditions générales récentes de cinq entreprises d'assuran-
ces parmi les plus importantes du marché. Pour une analyse des polices disponibles sur Ie
marché à la fin des années nonante, voyez: M, DALLE, «De verzekering burgerrechtelijke
aansprakelijkheid van maatschappelijke lasthebbers. Een vergelijking van algemene voorwaar-
den», R.G.A.R,, 1998, 1288L

177
VINCENT CALLEW AERT

ments seront ensuite consacrés à la délimitation du périmètre de la garantie


(Titre 4), avant de clore notre étude par !'analyse de quelques problèmes liés
au règlement des sinistres (Titre 5).

178
L'ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

TITRE 1
CONTEXTE GENERAL

2. Pour bien cerner l'objet et la portée de l'assurance R.C. dirigeants de


sociétés, il convient au préalable de replacer cette garantie dans son contexte
économique etjuridique. Après avoir distingué cette garantie des autres assu-
rances propres aux entreprises (Section 1), nous préciserons ainsi quel est
l'état actuel du marché belge (Section 2) et quelle est la réglementation appli-
cable à l' assurance qui nous intéresse (Section 3).

SECTION 1
UNE ASSURANCE DE LA RESPONSABILITÉ SPÉCIFIQUE

3. Comme nous aurons l' occasion de Ie préciser plus loin, le principal /


objet de l' assurance R.C. mandataires sociaux est de couvrir les conséquen-
ces des fautes commises par les dirigeants de sociétés dans l' exercice de leur
mandat (4). Son objectif est donc la protection du patrimoine personnel du
dirigeant contre les dettes de responsabilité liées à cette qualité (5).

Cette garantie d' assurance doit, par conséquent, être clairement distinguée
des autres assurances de la responsabilité que peut souscrire une entreprise.
On songe principalement ici à l' assurance R.C. exploitation et à l' assurance
R.C. produit (après livraison).

La distinction qui doit être faite entre ces garanties et l'assurance R.C. diri-
geants tient non seulement au patrimoine couvert, mais également à la faute
et au dommage garantis.

En ce qui concerne le patrimoine couvert, on notera que l'assurance R.C.


dirigeants couvre le ~~imoine privé du dirigeant assuré et non le patrimoine
de la société qu'il dirige, comme Ie prévoit l'assurance R.C. exploitation par
exemple.

S' agissant de la faute garantie, l 'assurance R.C. dirigeants ne couvre en prin-


cipe qu~ la faute commise par le dirigeant dans l' exercice de son mandat
social (administrateur, membre du comité de direction, etc.). De manière as-
sez éc1Jiran1e, il esi ~insi prééisé que la faute couverte est la faute de «mana-

(4) S. MAUCQ, «La R.C. Mandataires sociaux, catégorie récente et originale du droit des
assurances de responsabilités», Ann. D1:, 1984, p. 460.
(5) P. GEORTAY, «Assurance de la responsabilité des administrateurs. Tendances récentes»,
C.l., 1997, n° 6, p. 92.

179
VINCENT CALLEW AERT

gement» (6) du dirigeant et non celle relative à l'activité de la société. Cette


limitation est importante quand on sait qu'à cöté de leur mandat social, de
nombreux dirigeants sont liés par un contrat de travail qui les amène inévita-
blement à participer à l'activité de l'entreprise. Nous aurons l'occasion d'y
revemr.

En ce qui concerne enfin le dommage couvert, l'assurance R.C. administra-


teurs se distingue des autres garanties précitées en ce qu'elle ne couvre en
principe que des dommages purement pécuniaires et n'a pas pour objet d'in-
tervenir dans la réparation de dommages matériels et/ou corporels (7). La
réparation de ce type de dommages qui seraient causés par un mandataire
social est, en principe, couverte par l' assurance R.C. exploitation.

SECTJON 2
L'ÉTAT DU MARCHÉ

4. En Belgique, l' apparition de l' assurance R.C. mandataires sociaux est


relativement récente. Son origine est située à la fin des années septante, c'est-
à-dire à l' époque ou les responsabilités pesant sur les dirigeants de sociétés se
sont renforcées et ou les premières actions mettant directement en cause la
responsabilité d' administrateurs ont vu le jour.

Initialement, ce produit d'assurance n'était proposé que par des assureurs


américains - les précurseurs en la matière - qui disposaient d'une filiale en
Belgique (8). Peu à peu, les compagnies d'assurances belges spécialisées dans
les risques d'entreprises se sont néanmoins engagées dans cette branche nou-
velle en mettant au point des garanties adaptées aux besoins du marché.

Le nombre des assureurs qui offrent aujourd'hui cette couverture en Belgique


reste cependant assez réduit. Cette situation s'explique davantage par la spé-
cificité du produit examiné que par l 'étroitesse du marché.

5. Sans surprise, les premières sociétés à avoir pris l' initiative de souscri-
re une assurance R.C. administrateurs pour leurs dirigeants sont les entrepri-

(6) F. NYSSENS, «L'assurance responsabilité des dirigeants: évolutions récentes», D.A.O.R.,


2004, liv. 70, p. 16.
(7) Ibidem, p. 22.
(8) J. ROGGE, «L' assurance de la responsabilité civile des mandataires sociaux. Situation en
Europe», Bull. Ass., 1998, n° 324, p. 295; P. GEORTAY, «Assurance de la responsabilité des
administrateurs ... », C.l., 1997, p. 92.

180
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

ses de taille importante qui développent leurs activités à l' étranger (9), Cet
engouement a cependant rapidement touché la plupart des grandes entrepri-
ses, au point que rares sont encore aujourd'hui les sociétés cotées en bourse,
dont les dirigeants ne sont pas couverts par une telle garantie.

Il est en revanche nettement plus délicat d'évaluer la proportion des diri-


geants de sociétés de taille plus réduite qui bénéficient d'une telle couverture.
On constate néanmoins que tant les sociétés de taille moyenne que les entre-
prises familiales et les A.S.B.L. témoignent un intérêt sans cesse croissant
pour l'assurance R.C. mandataires sociaux.

6. Au niveau des garanties proposées, une distinction est généralement


opérée entre les polices destinées à couvrir la responsabilité des dirigeants de
sociétés commerciales et celle des administrateurs d' A.S.B.L. Certaines com-
pagnies proposent également un produit spécialement adapté aux grandes
entreprises internationales cotées en bourse.

Il est évidemment difficile de rendre compte du montant des primes qui sont
habituellement réclamées par les entreprises d' assurance pour ces différentes
couvertures, Le montant de celles-ci varie en effet grandement en fonction de
l'étendue du risque à couvrir et de la garantie consentie.

Il est toutefois intéressant de noter que la médiatisation d' affaires ayant abou-
ti à la condamnation d'administrateurs sociaux (10) a eu pour conséquence
d'inciter de nombreux dirigeants de sociétés à réclamer une augmentation
des plafonds de garantie habituellement fixés par les assureurs. Ces deman-
des nouvelles et le renforcement de la responsabilité qui pèse sur les adminis-
trateurs - en raison notamment de l' adoption de la loi du 2 août 2002 ( 11) et

(9) B. DUQUESNE, «Limitation et couverture de la responsabilité des dirigeants d'entrepri-


ses», Séminaire Vanham & Vanham, 13 février 2003, p. 12.
(10) Pour avoir un aperçu de ces condamnations, on consultera notamment l'inventaire des
réclamations intentées contre des dirigeants de sociétés européennes publiées dans la presse, et
qui a été établi par la compagnie de réassurance GenRe: «The new spotlight on Directors &
Officers in the EU (third edition)», Loss and litigation report, November 2005, 29 p.
(11) Loi du 2 août 2002 modifiant Ie Code des sociétés et la loi du 2 mars 1989 relative à la
publicité des participations importantes dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les
offres publiques d'acquisition (M.B., 22 août 2002). Sur cette loi, voyez notamment, outre la
contribution de Y. DE CORDT et M.A. DELVAUX: B. DOCQUIR et E. HUPIN, «Responsa-
bilité des dirigeants d'entreprise. Nouvelles lois, nouveaux risques», R.P.S., 2003, pp. 337-
378; E. POTTIER et T. L'HOMME, «La loi "corporale governance" du 2 août 2002 modifiant
Ie Code des sociétés», R.D.C., 2005, p. 333 ets.; E. POTTIER etA. COIBION, «Responsabi-
lité civile des administrateurs face aux modifications de la nouvelle loi sur Ie corporate gover-
nance», Séminaire Vanham & Vanham, 13 février 2003, 63 p.

181
VINCENT CALLEW AERT

des évolutions suscitées par la jurisprudence et les principes de corporale


governance - ont naturellement eu pour effet d'amener les assureurs à aug-
menter leurs primes d'assurance ces demières années (12).

SECTION 3
LA RÉGLEMENTATION APPLICABLE

7. Ace jour, l'assurance R.C. dirigeants de sociétés n'a fait l'objet d'_;i_~cu_:-
ne réglementation spécifique en Belgique. Elle est donc régie par la l-9i géné-
rale relative aux assurances, à savoir la loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat
d'assurance terrestre (13), et ses arrêtés d'exécution (14).

On tiendra ainsi compte des dispositions spécifiques à toutes les assurances


de la responsabilité civile (art. 77 à 89), qui organisent notamment Ie droit et
le devoir de l'assureur de gérer la direction du litige (art. 79), l'action directe
du tiers lésé (art. 86) et Ie régime d'opposabilité des exceptions (art. 87), ainsi
que l' obligation pour l' assureur de supporter les intérêts afférents à l' indem-
nité due en principal, de même que les frais et honoraires des avocats et ex-
perts, même au-delà du plafond de garantie (art. 82) (15).

On se référera également aux dispositions communes à tous les contrats d'as-


surance terrestre (art. 4 à 36), en se souvenant, par exemple, que l'assuré a
l' obligation de déclarer toute aggravation sensible et durable du risque (art.
26) (16).

(12) En ce sens, voy. notamment: Fr. NYSSENS, «L'assurance responsabilité des dirigeants:
évolutions récentes», D.A.O.R., 2004, p. 30; X, «Responsabilité civile des dirigeants. Une
couverture sans faille toujours plus complexe», What'.~ on'! (Bulletin d'information de Aon
Belgium en gestion des risques assurances et employee benefits), n° 4, septembre 2005, pp. 3-
4; X, «Inquiétude des compagnies d'assurance quant au déséquilibre entre les primes et les
risques», Aon :~ 2006, European Property, Liability and D&O report, Londres, 24 oct. 2006
(http://www.aon.com/be/en/about/news/20061024 property fr.jsp consulté Ie 16 janvier 2007).
(13) M.B., 20 août 1992.
( 14) Voy. en particulier, à eet égard, l' arrêté royal du 24 décembre 1992 portant exécution de la
loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d' assurance terrestre (M.B., 31 décembre 1992).
(15) Pour une analyse de ces dispositions, voy. notamment: M. FONTAINE, Précis de droit
des assurances, coli. Précis de la Faculté de droit del' Université catholique de Louvain, 3e éd.,
Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 400-454; J.-L. FAGNART, Droit privé des assurances terrestres,
Traité pratique de droit commercial, t. III, Story-scientia, 1998, n° 5 425 à 495; H. DE RODE,
«Les assurances de responsabilité», Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre VII,
livre 70, Kluwer, 1998, 76 p.
(16) M. FONTAINE, op.cit., pp. 129-334; J.-L. FAGNART, op.cit., n°s 30 à 237.

182
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIYILE DES DIRJGEANTS DE SOCIETES

TITRE 2
LES AUTRES MECANISMES DE PROTECTION DES DIRIGEANTS

8. L'assurance RC. mandataires sociaux n'est évidemment pas Je seul


moyen <lont disposent les dirigeants d'une société pour se mettre à l'abri des
conséquences de leur responsabilité. Avec des degrés d' efficacité divers, plu-
sieurs mécanismes de limitation contractuelle ou de couverture de cette res-
ponsabilité coexistent en effet aux cótés de cette garantie. Ce sont ces autres
modes de protection et les différences qu'ils présentent par rapport à l'assu-
rance que nous nous proposons ici d'analyser brièvement.

SECTJON 1
LES CLAUSES LIMITATIVES OU EXONÉRATOIRES DE RESPONSABILITÉ

9. Dès lors que la relation qui unit le dirigeant à la société est de _nature
contractuelle, il est tout d'abord permis de songer à limiter ou exclure la res-
ponsabilité du dirigeant par l'adoption de clauses dites limitatives ou exoné-
ratoires de responsabilité.

On sait qu'au regard du droit fOmmun (17), de telles clauses sont en principe
vafide~q:>our autant qu' elles soient connues et acceptées par celui à qui elles
sont opposées et qu'elles respectent les trois limites qui ont été dégagées par
la jurisprudence, à savoir:

- ne pas porter atteinte à l' objet même du contrat;


- ne pas exonérer le responsable des conséquences de son dol;
- ne pas méconnaître une loi impérative ou d' ordre public.

10. La validité de ces clauses limitatives ou exonératoires de responsabili-


té est cependant fort discutée en droit des sociétés (18). Trois conceptions
différentes sont gé;Krälemèrit ópposées. . . ---~
( 17) Pour une analyse de la validité de ces clauses au regard du droit commun, voyez les
excellentes études de: E. MONTERO, «Les clauses limitatives ou exonératoires de responsa-
bilité», Les sanctions de l'inexécution des obligations contractuelles. Etudes de droit compa-
ré, sous la dir. de M. FONTAINE et G. VINEY, Bruxelles - Paris, Bruylant- L.G.D.J., 2001,
pp. 393-434; du même auteur, «Les conventions relatives à la réparation du dommage», Res-
ponsabilités. Traité théorique et pratique, Titre VI, Dossier 62, sous la dir. de J.-L. FAGNART,
Bruxelles, Kluwer, 1999, 54 p.; B. DUBUISSON, «Les clauses limitatives ou exonératoires de
responsabilité oude garantie en droit beige», Les c/auses applicables en cas d'inexécution des
obligations contractuelles, sous la dir. de P. WERY, Bruxelles, La Charte, 2001, pp. 33-91.
(18) Pour une analyse récente, voy. not.: C. STAUDT et P. KILESTE, «Le statut des adminis-
trateurs et les pactes d'actionnaires», Les conjlits au sein des sociétés commerciales ou à
.. ./...

183
VINCENT CALLEW AERT

a Selon certains auteurs, I' adoption de clauses tendant à limiter ou exclure la


responsabilité des dirigeants serait rigoureusement in,terdite.au motif que les
dispositions du Code des sociétés seraient de nature impérative (19), voire
d'ordre public (20).

~ Monsieur Ph. Emst (21) estime, pour sa part, que la validité des clauses limi-
tatives ou exonératoires de responsabilité varierait en fonction du type de
responsabilité en cause. Il propose ainsi d'opérer une distinction entre trois
catégories de responsabilité: 1°/ la responsabilité pour faute de gestion et
celle fondée sur l'article 1382 du Code civil qui pourraient faire l'objet d'une
limitation ou d'exonération; 2°/ la responsabilité pour violation du Code des
sociétés ou des statuts qui, en raison de son caractère impératif, frapperait les
clauses limitatives ou exonératoires de nullité relative; et enfin 3°/ la respon-
sabilité en cas de faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite qu'il
juge comme relevant del' ordre public avec pour conséquence que toute clau-
se limitative ou exonératoire y relative serait frappée de nullité absolue.

" Une dernière catégorie d'auteurs (22) considère, enfin, que les clauses limi-
tant ou exonérant les dirigeants de leur responsabilité sont valides pour autant
qu'elles respectent les trois limites posées par le droit cómmun des obliga-
tions que nous avons rappelées.

Cette demière opinion a notre préférence. Tant que le caractère impératif (ou
d'Órdre public) des dispositions du Code des sociétés relatives à la responsa-
bilité des dirigeants n' aura pas été confirmé par la Cour de cassation, il nous
paraît donc que, dans les limites du droit commun, rien ne s'oppose à l'amé-
nagement conventionnel de la responsabilité des dirigeants .

.. ./. ..
forme commerciale, éd. du Jeune barreau de Bruxelles, 2004, pp. 87-90; J.-Fr. GOFFIN, «Pré-
vention, limitation et couverture de la responsabilité des administrateurs», Les responsabilités
des administrateurs, dirigeants et conseillers. Nouveaux risques - sanctions - prévention, Sé-
mînaire Vanham & Vanham, 30 septembre 2004, pp. 13-14.
(19) En ce sens, voyez not.: D. VAN GERVEN, «Les clauses limitatives de responsabilité - les
garanties d'indemnisation et l'assurance responsabilité civile des mandataires sociaux», Rev.
prat. soc., 1998, p. 147, n° 20; I. CORBISIER, «Quelques réflexions en filigranes des dévelop-
pements récents qu'a connus Ie droit de la responsabilité des administrateurs d'une personne
morale», Rev. prat. soc., 1994, p. 116.
(20)C:. RESTEAU, Traité des sociétés anonymes, t. II, 3c éd., Swinnen, 1982, n° 941, p. 185.
Cz:î) Ph. ERNST, «Welke mogelijkheden biedt het Belgische (vennootschaps)recht om (de
gevolgen van) de burgerlijke aansprakelijkheid van de vennootschapsbestuurders te beper-
ken?», V&F, 2000, p. 79.
(22) 0. CAPRASSE, «La responsabilité civile professionnelle des administrateurs», Act. Dr.,
1997, pp. 534-535; B. FERON et J.-Fr. GOFFIN, «La protection des administrateurs de socié-
tés contre la mise en cause de leur responsabilité civile», J.T., 1996, p. 384.

184
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

11. Quel que soit en définitive Ie sort réservé à ces questions, il faut obser-
ver que l'efficacité des clauses limitant ou exonérant les dirigeants de leur
responsabilité est en réalité fortement atténuée par Ie fait que ces clauses ne
lient qu~Ja société et ne sont pas opposables aux tiers, De telles clauses n' em= ·
pêcheront donc jamais un tiers (curateur, contractant de la société, , , , ) de
mettre en cause la responsabilité d'un dirigeant (23),

SECTION 2
LES CLAUSES DE GARANTIE

12. A cöté des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité, les


dirigeants de sociétés peuvent également bénéficier de la protection résultant
d'une clause de garantie, c'est-à-dire d'une clause en vertu de laquelle la
société ou un tiers s 'engage à tenir les dirigeants indemnes de toute condam-
nation en responsabilité qui serait mise à leur charge (24),

Comme Ie fait apparaître cette définition, les clauses de garantie ne limitent


aucunement la responsabilité des dirigearits, mais se contentent de déplacer
sur un tiers la charge financière liée à cette responsabilité (25). ~lles s'appa-
rentent dans cette mes ure à l' assurance, sans que la loi du 25 juin 1992 sur Ie
contrat d;assurance leur soit pour autant .i.pplicable (26). Bien que la doctrine
soit quelque peu divisée sur la question (27), l' opération d' ässurance requiert

(23) Ïl VAN GERVEN et A. FONTAINE, «La responsabilité eivile et pénale des mandataires
soeiaux», in Responsabilités. Traité théorique et pratique, sous la dir. de J.-L. FAGNART,
Titre II, Dossier 24, Kluwer, 2005, p. 24; B. DUQUESNE, «Limitation et couverture de la
responsabilité des dirigeants d'entreprises», Séminaire Vanham & Vanham, 13 février 2003,
p. 10; C. STAUDT et P. KILESTE, «Le statut des administrateurs et les paetes d'aetionnai-
res», Les conflits au sein des sociétés commerciales ou à forme commerciale, éd. du Jeune
barreau de Bruxelles, 2004, p. 89; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés,
2c éd., Bruxelles, Lareier, 2004, p. 323.
(24) On parle de paete de garantie lorsque la garantie eonstitue un eontrat en soi. Voy. à eet
égard: E. MONTERO, «Les eonventions relatives à la réparation du dommage», Responsabi-
lités. Traité théorique et pratique, Titre VI, Dossier 62, sous la dir. de J.-L. FAGNART, Kluwer,
1999, p. 45, n° 58.
(25) B. DUBUISSON, «Les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité oude ga-
rantie en droit beige», in Les clauses applicables en cas d'inexécution des obligations contrac-
tuelles, sous la dir. de P. WERY, Bruxelles, La Charte, 2001, p. 89, n° 79.
(26) E. MONTERO, «Les eonventions relatives à la réparation du dommage», op. cit., p. 47,
n° 62 et pp. 47-49, n° 8 62 à 64.
(27) Voy. à eet égard: J.-L. FAGNART, Droit privé des assurances terrestres, 1998, pp. 44-47
et les référenees eitées; du même auteur, obs. sous Cass., (1 e eh.), 18 juin 1992, R.D. C., 1993,
pp. 157-159; M. FONTAINE, «La notion d'assureur et la définition du eontrat d'assuranee»,
obs. sous Cass. (1 ère eh.), 18 juin 1992, R.G.A.R., 1993, n° 12187. Sur les éléments essentiels
du eontrat d'assuranee, voyez également: V. NICOLAS, Essai d'une nouvelle analyse du con-
trat d'assurance, Paris, L.G.D.J., 1996, 391 p.

185
VINCENT CALLEW AERT

en effet l' intervention d'un assureur professionnel qui opère la compensation


des risques en recourant à la technique de la mutualité et aux lois de la statis-
tique. Comme les clauses de garantie ne répondent pas à ces exigences, on fès
soumettra simplement au droit commun des obligations.

13. Dès lors qt1'elles ne lient que celui qui les a consenties, les clauses de
garantie sont évidemment inopposables aux tiers (28). Le dirigeant dont la
responsabilité est mise en cause ne peut donc pas se prévaloir de l'existence
de la clause de garantie pour échapper à une éventuelle condamnation. Tout
au plus peut-il appeler son garant en intervention afin de Ie garantir (29).

La licéité des clauses de garantie est unanimement reconnue par la doctrine


(30). La C~:mr de cassation en a elle-même confirmé la validité en indiquant
qu' «aucunè disposTffon légale ni aucun principe de droit n'intèrdit de mettre
à charge d' autrui, par voie contractuelle, les suites d'une négligence» (31 ).
Pour être valable, la clause de garantie doit cependant respecter certaines
limites. La clause ne peut tout d'abord couvrir les conséquences du-dol donf
un administrateur se serait rendu coupable (32). Sous peine de porter atteinte
à l' ordre public, la clause ne peut ensuite porter sur les sancti ons pénales qui
seraient prononcées à l'encontre d'un dirigeant (33). Rien n'empêche cepen-
dant au garant de couvrir les conséquences civiles de l'infraction dont le diri-
geant a été reconnu coupable (34).

Certains auteurs avancent, par ailleurs, qu' une société ne pourrait s' engager à
tenir Ie patrimoine de son administrateur indemne lorsque la responsabilité de

(28) Dans Ie même sens, voy. not.: D. VAN GERVEN, «Les clauses limitatives de responsabi-
lité et les garanties d'indemnisation et l'assurance responsabilité civile des mandataires so-
ciaux», Rev. prat. soc., 1998, p. 150, n° 23.
(29) En ce sens également: J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2ème
éd., Bruxelles, Larcier, 2004, p. 325, n° 174; E. MONTERO, Les conventions relatives à la
réparation du dommage, p. 45, n° 58.
(30) E. MONTERO, Les conventions relatives à la réparation du dommage, p. 45, n° 58; D.
VAN GERVEN et A. FONTAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires so-
ciaux», Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre Il, Dossier 24, sous la dir. de
J.-L. FAGNART, Kluwer, 2005, p. 24, n° 53 et les nombreuses références citées.
(31) Cass., 3 décembre 1982, Pas., 1983, I, p. 423.
(32) D. VAN GERYEN et A. FONTAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires
sociaux», op.cit., p. 25, n° 54.
(33) B. FERON et J.-Fr. GOFFIN, «La protection des administrateurs de sociétés contre la
mise en cause de leur responsabilité civile», J.T., 1996, p. 385; D. VAN GERVEN et A. FON-
TAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires sociaux», op.cit., p. 25, n° 54.
(34) Ibidem.

186
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

ce dernier est engagée à l'égard de la société elle-même (35). Une telle prati-
que s'assimilerait en effet à une exonération de la responsabilité de !'adminis-
trateur à l'égard de la société; ce qui, selon ces auteurs, n'est pas acceptable.
Nous ne partageons personnellement pas ce point de vue. Outre que l'adop-
tion d'une clause limitant ou exonérant la responsabilité de !'administrateur à
l' égard de la société ne nous paraît pas interdite, on ne voit en effet pas en quoi
le caractère impératif, voire d'ordre public d'une responsabilité empêcherait
de déplacer sur un tiers la charge financière pouvant en résulter (36).

14. Dans la pratique, les clauses de garantie se rencontrent essentiellement


au sein de groupes de sociétés. La société mère s'engage ainsi, par exemple,
à supporter les conséquences financières des dettes de responsabilité aux-
quelles les dirigeants de ses filiales seraient condamnés (37). Ces clauses
prennent la forme soit d'une convention bilatérale entre !'administrateur ga-
ranti et le garant, soit d'une simple déclaration unilatérale du garant (38).

SECTION 3
LA DÉCHARGE

15. Les administrateurs de sociétés peuvent également être libérés de leur


responsabilité contractuelle à l'égard de la société gràce à la décharge - ou
quitus - envisagée aux articles 282,284,418, 552 et 554 du Code des socié-
tés (39).

(35) D. VAN GERVEN, «Les clauses limitatives de responsabilité, les garanties d'indemnisa-
tion ... », Rev. pr. soc., 1998, p. 149; D. VAN GERVEN et A. FONTAINE, «La responsabilité
civile et pénale des mandataires sociaux», Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre
II, Dossier 24, Kluwer, p. 24.
(36) Dans un sens comparable, voy. not.: J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de
sociétés, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 324-325, citant notamment: Cass., 7 septembre
1962, R. W., 1962-1963, col. 645. Dans Ie contexte del' assurance, on réservera toutefois l'hy-
pothèse d'une faute intentionnelle (art-:S L du 25 juin 1992).
(37) 0. CAPRASSE, «La responsabilité civile professionnelle des administrateurs», Act. Dr.,
1997, p. 535; E. MONTERO, «Les conventions relatives à la réparation du dommage», p. 47,
n° 61; B. FERON et J.-Fr. GOFFIN, «La protection des administrateurs de sociétés contre la
mise en cause de leur responsabilité civile», J.T., 1996, p. 385.
(38) Sur cette question, voyez: B. FERON et J.-Fr. GOFFIN, «La protection des administra-
teurs de sociétés contre la mise en eau se de leur responsabilité civile», J. T., 1996, p. 385.
(39) Pour une analyse approfondie de la notion de décharge et de son régime juridique, voy.
not.: I. KEMPENEERS, «Kwijting of decharge», D.A.O.R., 2001, n° 57, pp. 25-38; A. GOE-
MINNE, «Kwijting van bestuurders en zaakvoerders», R. W., 1995-1996, n° 30, pp. 1001-1021;
B. FERON et J.-Fr. GOFFIN, «La protection des administrateurs de sociétés contre la mise en
cause de leur responsabilité civile», J.T., 1996, pp. 377-379; D. VAN GERVEN et A. FON-
TAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires sociaux», Responsabilités. Traité
théorique et pratique, Titre II, Dossier 24, Kluwer, 2005, pp. 18-19; J.-Fr. GOFFIN, Responsa-
bilités des dirigeants de sociétés, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 166-169.

187
VINCENT CALLEW AERT

Cette décharge est en principe accordée par un vote spécial de l' assemblée
générale des actionnaires après approbation des comptes annuels. Il est toute-
fois admis que cette décharge peut également être accordée à propos d'une
opération déterminée oude l' ensemble des actes posés par un administrateur
avant son départ anticipé (40). Par un arrêt du 12 avril 2002, la Cour d'appel
de Bruxelles a ainsi décidé que l'assemblée générale dispose du pouvoir «de
donner en tout temps quitus à un administrateur du chef de sa responsabilité à
l'égard de la société, ou éventuellement de transiger avec lui à ce sujet» (41).

Quelle que soit la période sur laquelle elle porte, la décharge ne sera valable
que si «les comptes annuels ne contiennent ni omission, ni indication fausse
dissimulant la situation réelle de la société et, quant aux actes faits en dehors
des statuts ou en contravention du (Code des sociétés), que s'ils ont été spé-
cialement indiqués dans la convocation» (art. 554, al. 2, in fine C. soc.). A
juste titre, certaines juridictions ont toutefois décidé que la décharge reste
valable s'il apparaît que l'assemblée générale était en réalité parfaitement
informée des inexactitudes et irrégularités qui affectaient les comptes annuels
et qu'elle a donné décharge en connaissance de cause (42).

16. En votant la décharge, l'assemblée générale renonce à exercer l'action


sociale fondée sur la responsabilité contractuelle des administrateurs (43).

Ce quitus accordé aux administrateurs ne place donc pas ces demi ers à l' abri
d'une action intentée par un tiers sur la base del' article 1382 du Code civil.
Selon certains auteurs, la décharge n'empêcherait pas davantage l'exercice
d'une action sociale intentée par des actionnaires minoritaires dans les condi-
tions des articles 290,416,562 ou 930 du Code des sociétés (44). Même si la
question reste discutée en doctrine, il nous semble, enfin, que la décharge
n' empêche pas la société de mettre en cause la responsabilité extracontrac-

(40) D. VAN GERVEN et A. FONTAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires
sociaux», op.cit., p. 18.
(41) Bruxelles, 12 avril 2002, J.T., 2002, p. 668.
(42) Gand, 25 juin 1999, V. & F., 2000, p. 233; Bruxelles, 12 avril 2002, J. T., 2002, p. 668,
décisions citées par J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2e éd., Bruxel-
les, Larcier, 2004, p. 166.
(43) 0. CAPRASSE, «La responsabilité civile professionnelle des administrateurs», Act. Dr.,
1997, p. 536; D. VAN GERVEN et A. FONTAINE, «La responsabilité civile et pénale des
mandataires sociaux», op.cit., p. 19.
(44) D. VAN GERVEN etA. FONTAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires
sociaux», op.cit., p. 19.

188
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

tuelle de son administrateur sauf, bien entendu, si la décharge portait expres-


sément sur cette base de recours (45).

SECTION 4
LA DÉSOLIDARISATION

17. Si la responsabilité que les dirigeants de sociétés peuvent engager est


en principe individuelle (faute de gestion, faute aquilienne, etc.), il existe de
nombreux cas dans lesquels cette responsabilité est solidaire. Le Code des
sociétés dispose ainsi que «les administrateurs sont solidairement responsa-
bles, soit envers la société, soit envers les tiers, de tous dommages et intérêts
résultant d'infractions aux dispositions du présent Code ou des statuts so-
ciaux» (art. 528 C. soc.) (46).

Compte tenu du nombre d' obligations édictées par Ie Code précité, cette res-
ponsabilité est particulièrement lourde pour les dirigeants. Elle l'est d'autant
plus qu' en raison de son caractère collégial, elle peut contraindre un adminis-
trateur à devoir répondre d'une faute qu'il n'a pas personnellement commise
(47).

Pour atténuer la rigueur de ce principe, le Code de sociétés permet aux diri-


geants de se décharger de cette responsabilité collégiale. Cette "désolidarisa-
tion" n'est toutefois autorisée que si l'administrateur n'a pas pris part à l'in-
fraction litigieuse, qu' aucune faute ne lui est imputable et qu 'il n' a pas eu
connaissance de cette infraction ou que, s'il en a eu connaissance, il l'a dé-
noncée lors de la première assemblée générale ou du premier conseil d'admi-
nistration suivant le moment de cette connaissance (art. 528, al. 3).

Comme le suggère pertinemment Monsieur Goffin, Ie dirigeant qui souhaite-


ra ainsi se désolidariser «sera avisé de rédiger une note circonstanciée dans
laquelle il décrira les infractions qu'il dénonce et donnera une liste - aussi
précise que possible - des dispositions légales ou statutaires violées» (48).

(45) Sur cette question, voy. not.: 8. FERON et J.-Fr. GOFFIN, «La protection des administra-
teurs de sociétés ... », J.T., 1996, p. 378; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de
sociétés, 2c éd., Bruxelles, Larcier, 2004, p. 167; D. VAN GERVEN, «Les clauses limitatives
de responsabilité et les garanties ... », R.P.S., 1998, p. 144, n° 13; D. VAN GERVEN et A.
FONTAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires sociaux», op.cit., p. 18.
(46) Une responsabilité comparable pèse sur les gérants de S.P.R.L. et les administrateurs de
S.C.R.L. en vertu des articles 263, alinéa 1er et 408, alinéa 2 du Code des sociétés.
(47) B. FERON et J.-Fr. GOFFIN, «La protection des adminsitrateurs de sociétés contre la
mise en cause de leur responsabilité civile», J.T., 1996, p. 380.
(48) J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2c éd., Bruxelles, Larcier, 2004,
p. 78, n° 46.

189
VINCENT CALLEW AERT

SECTION5
LA DÉMISSION

18. Le dirigeant inquiet quant à l' orientation donnée par Ie conseil d'admi-
nistration à la société qu'il co-dirige peut également démissionner de son
mandat social.

Une telle démission ne Ie décharge évidemment pas de la responsabilité qu'il


pourrait engager pour des fautes antérieures à celle-ci (49). La démission ne
vaut en effet que pour l'avenir. Une distinction doit toutefois être faite quant
à la date de prise d'effet de cette démission entre la responsabilité que le
dirigeant peut engager à l'égard de la société et celle qu'il encourt à l'égard
des tiers.

A l' égard de la société, la démission sort en principe ses effets dès qu' elle a
été notifiée par Ie dirigeant à l'organe de gestion dont il fait partie, sans qu'il
soit nécessaire que ce dernier accepte cette démission (50).

A l'égard des tiers, l'effet combiné des articles 74, 2° et 76, alinéa 1er du Code
des sociétés impose en revanche de considérer que la démission ne sort ses
effets «qu'à partir du jour de (sa) publication aux annexes du Moniteur bei-
ge». Cette exigence formelle est cependant tempérée par le fait que Ie diri-
geant peut se prévaloir de sa démission s'il prouve que le tiers a en réalité eu
connaissance de celle-ci (art. 76, al. 2 C. soc.).

SECTION 6
LA PRESCRIPTION (51)

19. Au rang des obstacles aux actions en responsabilité dirigées contre des
dirigeants de société, il convient enfin d'épingler Ie röle joué par la prescrip-
tion.

En vertu de l'article 198 du Code des sociétés, ces actions se prescrivent par
cinq ans à partir du fait générateur du dommage dont il est demandé répara-

(49) Cette précision confirme l'intérêt de bénéficier de la protection d'une assurance de la


responsabilité civile durant tout le temps nécessaire à la prescription des actions en responsa-
bilité qui peuvent être dirigées contre !'administrateur. Nous y reviendrons.
(50) J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2004,
pp. 78-79, n° 47.
(51) Sur cette question, voyez également la contribution de Y. DE CORDT et M.A. DEL-
VAUX.

190
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

tion. Ce délai s'applique quelque soit le fondementjuridique conféré à l'ac-


tion et quelle que soit la qualité de celui qui l'exerce (société ou tiers). Le
point de départ de ce délai est toutefois reporté au jour de la découverte du
fait générateur si celui-ci a été celé par dol (art. 198, § 1er, 4e tiret C. soc.). Il
en va ainsi même si la dissimulation n'est pas imputable au dirigeant dont la
responsabilité est recherchée (52).

On relèvera toutefois, avec d'autres (53), que l'article 198 précité n'est cu-
rieusement pas applicable aux actions introduites contre les membres du co-
mité de direction. Il conviendra donc d'appliquer à ces actions le régime mis
en place par l'article 2262bis du Code civil qui, pour rappel, assortit les ac-
tions en responsabilité contractuelle d'un délai de prescription de dix ans et
celles en responsabilité aquilienne d'un délai de prescription de cinq ans,
avec un délai de déchéance de vingt ans (54). Il n'est pas certain qu'une telle
différence de traitement résisterait au controle de la Cour d'arbitrage.

(52) J.-Fr. GOFFIN, Ibidem, p. 169, n° 102 et les références citées sous la note 409.
(53) D. VAN GERVEN et A. FONTAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires
sociaux», Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre II, Dossier 24, Kluwer, 2005,
p. 20, n° 43; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2e éd., Bruxelles,
Larcier, 2004, p. 170, n° 102.
(54) Pour un commentaire de l'article 2262bis du Code civil, voyez notamment: 1.-Fr. VAN
DROOGHENBROECK et R.O. DALCQ, «La Joi du 10 juin 1998 modifiant certaines disposi-
tions en matière de prescription», J.T., 1998, pp. 705-709.

191
VINCENT CALLEW AERT

TITRE 3
LA CONCLUSION DU CONTRAT ET L'IDENTIFICATION DES RIS-
QUES

20. La conclusion du contrat d'assurance constitue une phase déterminan-


te pour les parties contractantes. C' est à ce moment, en effet, qu' à la lumière
d'une correcte évaluation des risques à couvrir, se déterminent les droits et
obligations des parties (montant de la prime à payer, étendue de la garantie,
etc.).

L'analyse des polices d'assurance R.C. dirigeants distribuées sur Ie marché


fait apparaître que cette phase cruciale est marquée par certaines spécificités
propres au risque examiné. Ces spécificités concement tantót la qualité du
preneur d' assurance (section 1) et les questions que celle-ci pose en termes de
validité du contrat (section 2), tantót l'évaluation du risque à couvrir (section
3) et l'adaptation de la garantie à l'évolution de la société (section 4).

SECTION 1
LE PRENEUR D' ASSURANCE

21. L'assurance R.C. administrateurs ayant pour objet principal de couvrir


la responsabilité des dirigeants, on pourrait s'attendre à ce qu'elle soit sous-
crite par ces derniers. Il n'en va cependant pas ainsi dans la pratique. Sans
exception, toutes les polices que nous avons pu analyser précisent en effet
que Ie preneur d' assurance est la société au sein de laquelle les dirigeants
exercent leur mandat social (55). La garantie d'assurance est donc souscrite
par la société pour Ie compte de ses dirigeants (56).

Cette manière de faire s' explique aisément.

Pour des raisons évidentes de solvabilité et de facilité, les entreprises d' assu-
rances préfèrent tout d'abord traiter avec une société qu'avec chacun de ses
administrateurs pris individuellement (57).

(55) Dans Ie même sens, voy. not.: Fr. NYSSENS, «L'assurance responsabilité des dirigeants ... »,
D.A.O.R., 2004, p. 17.
(56) P. GEORTAY, «Assurance de la responsabilité des administrateurs ... », C.l., 1997, p. 93;
J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2èmc éd., Bruxelles, Larcier, 2004,
p. 330, n° 177.
(57) P. VAN OMMESLAGHE, «L'assurance de la responsabilité civile des administrateurs de
sociétés et d' associations en Belgique et la loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d' assurance
terrestre», R.D.C., 1994, p. 278, n° 3; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de socié-
tés, 2ème éd., Bruxelles, Larcier, 2004, p. 328, n° 177.

192
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

La couverture de la responsabilité de l' ensemble des dirigeants d' une société


s'explique ensuite par Ie fait que la responsabilité que ceux-ci encourent en
cas de violation du Code des sociétés ou des statuts est solidaire (58). Il est
donc très utile que tous les dirigeants bénéficient d'une seule et même cou-
verture d'assurance.

Certains auteurs font en outre observer que si la police d' assurance n' était
souscrite que par quelques administrateurs isolément, on assisterait inévita-
blement à une forme d' anti-sélection des risques (59). Dans ce cas de figure,
Ie risque serait grand, en effet, qu 'en cas de condamnation in solidum des
dirigeants, les demandeurs en responsabilité adressent leur réclamation aux
seuls administrateurs assurés.

SECTION 2
LA VALIDITÉ DE LA SOUSCRIPTION DU CONTRAT PAR LA SOCIÉTÉ

22. Le fait que Ie contrat d' assurance R.C. dirigeants soit souscrit par la
société pour Ie compte de ses administrateurs invite naturellement à s'inter-
ioger sur la validité de la garantie ainsi souscrite. Cette question doit être
analysée tant au regard du droit des assurances (sous-section 1) que du droit
des sociétés (sous-section 2).

Sous-SECTION 1
LA VALIDITÉ DU CONTRAT AU REGARD DU DROIT DES ASSURANCES

23. La validité du contrat ne suscite aucune difficulté au regard du droit


des assurances.

La loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d' assurance terrestre reconnaît en effet
de manière explicite la validité du mécanisme dit de l'assurance pour comp-
te, en vertu duquel une personne souscrit un contrat d' assurance pour Ie compte
d' au trui. En son article 38, alinéa 1er, cette loi dispose ainsi que «l 'assurance
peut être souscrite pour compte de qui il appartiendra. Dans ce cas, l 'assuré
est celui qui justijïe de l 'intérêt d' assurance lors de la survenance du sinis-
tre» (60).

(58) Voyez, p. ex., l' article 528 du Code des sociétés en ce qui concerne les sociétés anonymes.
(59) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., p. 278; P. GEORTAY, op. cit., p. 93.
(60) Pour un commentaire de cette disposition, voyez notamment: M. FONTAINE, Précis de
droit des assurances, 3ème éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 152-161, n°' 214 à 229;
J.-L. FAGNART, op.cit., n° 70.

193
VINCENT CALLEW AERT

Cette demière précision ne pose guère de problème dans le cadre d'une assu-
rance R.C. dirigeants de sociétés. Il ne fait aucun doute que les dirigeants de
la société qui souscrit le contrat d'assurance ont intérêt à ce que leur patri-
moine soit mis à l' abri des conséquences d'une mise en cause de la responsa-
bilité qu'ils encourent dans l'exercice de leur mandat (61).

24. La circonstance que le preneur d'assurance (la société) puisse, dans


certaines hypothèses, engager la responsabilité des assurés (les dirigeants) et,
partant, prétendre à l'indemnité d'assurance en qualité de tiers lésé ne met
pas davantage en péril la validité du contrat. Cette situation peut certes sur-
prendre - et explique que, par le passé, certains assureurs excluaient l' actio
mandati -, mais elle n'invalide pas en soi la garantie d'assurance (62). Si Ie
droit des assurances interdit Ie cumul des qualités d'assuré en responsabilité
et de tiers bénéficiaire au regard d'un même sinistre, il n'empêche pas que le
preneur soit, dans certaines hypothèses, le bénéficiaire de l'indemnité d'assu-
rance (63). C'est ainsi, par exemple, que rien n'interdirait au preneur d'une
assurance R.C. automobile d'exercer une action directe contre son propre
assureur afin d'obtenir réparation du dommage que lui aurait causé l'un de
ses proches en le renversant avec Ie véhicule qu'il a lui-même assuré (64).

25. S'il ne soulève aucune difficulté sous l'angle de la validité du contrat,


le mécanisme de l'assurance pour compte souffre, en revanche, de !'absence
d'un régime juridique spécifique.

La seule règle que la loi du 25 juin 1992 lui consacre est en effet celle selon
laquelle les exceptions tirées du contrat sont opposables à l' assuré pour compte.
En son alinéa 2, l'article 38 dispose ainsi que «les exceptions inhérentes au
contrat d' assurance que I' assureur pourrait opposer au preneur sont égale-
ment opposables à l'assuré quel qu'il soit».

(61) Dans Ie même sens, voy. not.: J.-L. FAGNART, «La responsabilité des administrateurs de
la société anonyme», La responsabilité des associés, organes et préposés des sociétés, éd.
Jeune Barreau de Bruxelles, 1991, p. 51; P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., p. 278.
(62) Dans Ie même sens: P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., p. 279; S. MAUCQ, «La R.C.
mandataires sociaux, catégorie récente et originale du droit des assurances de responsabilités»,
Ann. Dr., 1984, p. 457. Ce dernier auteur justifie sa position en prenant pour exemple la situa-
tion applicable en assurances de personnes.
(63) Cette situation ne saurait être interdite qu'en cas de collusion entre Ie preneur et l'assuré,
étant entendu que cette collusion ne se présume pas et doit être prouvée par I' assureur.
(64) L'article 7 du contrat-type applicable en assurance R.C. automobile n'exclut en effet Ie
preneur d' assurance du bénéfice de la garantie que pour les dommages matériels qu' il subirait
sans lésions corporelles.

194
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

Si elle doit incontestablement être approuvée, cette règle ne résout malheu-


reusement pas !'ensemble des questions que pose la relation tripartite résul-
tant du mécanisme de l'assurance pour compte.

Diverses questions restent ainsi en sus pens: comment déplacer sur l' assuré
pour compte l' obligation de déclarer les aggravations du risque qui pèse, en
principe, sur le preneur? Comment permettre à l' assuré pour compte de s' as-
surer que le preneur a respecté son obligation de payer la prime? Comment
contraindre l'assuré pour compte à déclarer Ie sinistre en temps utile? Autant
de questions auxquelles le régime de la stipulation pour autrui (art. 1121 C.
civ.)- auquel on se réfère traditionnellement pour pallier !'absence de régime
propre à l'assurance pour compte - ne permet pas de répondre et qui mérite-
raient un examen approfondi.

Il reste cependant que, dans Ie contexte de l'assurance R.C. mandataires so-


ciaux, les difficultés liées à !'absence de régime juridique propre à l'assuran-
ce pour compte se posent avec une acuité toute relative. Dans le cadre de
cette garantie, il faut en effet observer que les assurés pour compte sont les
organes du preneur d' assurance (la société) et que ce dernier ne peut agir qu' à
la faveur de leur intervention. Le risque que les assurés pour compte ne soient
pas informés des obligations mises à charge du preneur est par conséquent
fort théorique, pour ne pas dire inexistant.

Sous-sEcnoN 2
LA VALIDITÉ DU CONTRAT AU REGARD DU DROIT DES SOCIÉTÉS

26. Au regard du droit des sociétés, Ie fait que le contrat soit souscrit par la
société ou, plus exactement, par son conseil d' administration (65) invite à se
poser deux questions sous l 'angle de la validité.

La première est celle de savoir s'il est bien conforme à l' objet social et à
l'intérêt de la société que le contrat d' assurance soit souscrit par cette derniè-
re pour le compte de ses dirigeants. Il est généralement admis, à eet égard,
que ce modus operandi n'est aucunement contraire à l'intérêt de la société
(66). C'est, d'une part, en effet, que la société a directement intérêt à voir la

(65) J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2ème éd., Bruxelles, Larcier,
2004, p. 329 et les références citées sous les notes 827 et 828; P. GEORTAY, «Assurance de la
responsabilité des administrateurs. Tendances récentes», C.l., 1997, p. 94.
(66) Voy. en ce sens: P. GEORTAY, «Assurance de la responsabilité des administrateurs. Ten-
dances récentes», C.l., 1997, p. 93; P. VAN OMMESLAGHE, «L'assurance de la responsabi-
lité civile des administrateurs ... », R.D.C., 1994, pp. 281-282; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités
des dirigeants de sociétés, pp. 328-329, n° 177.

195
VINCENT CALLEW AERT

solvabilité de ses administrateurs garantie par un tiers, dès lors qu'elle peut
elle-même être amenée à devoir mettre la responsabilité de ces derniers en
cause (67). C'est, d'autre part, ensuite, que Ie fait d'intégrer la protection
d'une assurance R.C. dirigeants dans Ie statut d'administrateur permet à la
société d'attirer des dirigeants compétents, ce qui relève incontestablement
de son intérêt (68).

La seconde guestion que pose Ie mode de souscription précité est celle de


savoir si les administrateurs qui sant amenés à devoir prendre la décision de
souscrire une police d'assurance destinée à couvrir leur responsabilité ne se
trouvent pas en conflit d'intérêts avec Ie conseil d'administration.

Si cette question était sans doute délicate à trancher sous !'empire de l'article
60 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales (69) - dans la mesure
ou cette disposition visait toutes les situations dans lesquelles les administra-
teurs avaient un intérêt personnel à la réalisation d'une opération soumise au
conseil d'administration (70) -, elle l'est nettement mains aujourd'hui.

L'actuel article 523 du Code des sociétés définit en effet Ie conflit d'intérêts
comme l'hypothèse dans laquelle un administrateur «a, directement au indi-
rectement, un intérêt opposé de nature patrimoniale à une décision ou une
opération relevant du conseil d'administration». Or, s'il ne peut être contesté
que l' administrateur a un intérêt patrimonia! personnel à la souscription d' une
assurance couvrant sa responsabilité en qualité de dirigeant, cetintérêt n'est
nullement opposé à celui de la société. Il n'y a par conséquent pas de conflit
-d'intérêts au sens de la disposition précitée (71) (72).

(67) P. GEORTAY, «Assurance de la responsabilité des administrateurs. Tendances récentes»,


C.l., 1997, p. 93; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, p. 329, n° 177.
(68) Ibidem.
(69) Sur l'application de cette disposition, voy. not.: P. VAN OMMESLAGHE, «L'assurance
de la responsabilité civile des administrateurs ... », R.D.C., 1994, pp. 282-283; J.-Fr. GOFFIN,
Responsabilités des dirigeants de sociétés, pp. 329-330, n° 177; S. MAUCQ, «La R.C. Man-
dataires sociaux, catégorie récente et originale du droit des assurances de responsabilité», Ann.
Dr., 1984, pp. 457-458.
(70) Pour éviter l'application de l'article 60 L.C.S.C., la seule solution était la conclusion du
contrat par Ie biais d'un mandataire ad hoc. Voy. à eet égard: J. ROGGE, «L'assurance de la
responsabilité civile des mandataires sociaux. Situation en Europe», Bull. Ass., 1998, n° 324,
p. 297; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, p. 329, n° 177; P. VAN
OMMESLAGHE, «L'assurance de la responsabilité civile des administrateurs ... », R.D.C.,
1994, p. 283.
(71) Dans Ie même sens: J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, p. 330.
(72) On notera que la circonstance que la prime d' assurance soit payée par la société ne suscite
guère de difficultés sous l' angle de la validité du contrat. Cette situation est en effet propre au
mécanisme de l'assurance pour compte et peut s'analyser comme une forme d'avantage en
nature au bénéfice du dirigeant.

196
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

On notera, en tout état de cause, que cette question de l'éventualité d'un con-
flit d'intérêts ne se pose pas lorsque l'assurance est souscrite pour Ie compte
des administrateurs d'une filiale quine sont pas en même temps administra-
teurs de la société qui a souscrit la garantie (73).

SECTION 3
L'IDENTIFICATION DU RISQUE À LA CONCLUSION DU CONTRAT

27. La responsabilité civile des dirigeants de sociétés n'est pas un risque


standard. Son intensité dépend de nombreux facteurs liés à la structure de la
société et à la qualité de ses dirigeants.

Afin de déterminer au mieux l' étendue de la garantie et le montant de la


prime, les assureurs procèdent par conséquent à une minutieuse analyse du
risque à couvrir. Les critères d'appréciation qui sont généralement pris en
considération à eet égard sont: la situation financière et la forme juridique de
la société, la volatilité du secteur dans lequel elle évolue, la politique menée
en matière de fusions et d'acquisitions, l'exercice ou non d'activités sur Ie
marché américain, Ie montant des capitaux engagés, la qualité des dirigeants
et leur sinistralité passée, etc. (74).

Dans la pratique, la communication de ces informations passe soit par la re-


mise d'un questionnaire détaillé à la société preneur d'assurance, soit par une
réunion entre l' assureur et le preneur, en présence éventuellement du courtier
et/ou du conseil juridique de ce dernier. Cette analyse des risques entraîne
naturellement une rigoureuse sélection des risques (75). Les polices d'assu-
rance qui sont consenties sont, quant à elles, établies Ie plus souvent «sur
mesure» afin de tenir compte des spécificités du risque à assurer.

28. Quel que soit Ie mode de transfert des informations retenu (question-
naire ou réunion), il importe de rappeler que la loi du 25 juin 1992 sur Ie

(73) P, VAN OMMESLAGHE, «L' assurance de la responsabilité civile des administrateurs ... »,
R.D.C, 1994, p. 283, n° 5; D. DE MAESENEIRE, «L'assurance de la responsabilité civile de
l'entreprise», G.VJE, Titre XIII, Livre 126, Kluwer, 1996, p. 46, n° 540.
(74) X, «Responsabilité civile des dirigeants. Une couverture sans faille toujours plus comple-
xe», What's on? (Bulletin d'information de Aon Belgium en gestion des risques assurances et
employee benefits), n° 4, septembre 2005, p. 4; L. DABIN, «La responsabilité civile des admi-
nistrateurs de société et l'assurance», J.T., 1980, p. 258.
(75) J. ROGGE, «L' assurance de la responsabilité civile des mandataires sociaux. Situation en
Europe», Bull. Ass., 1998, p. 295.

197
VINCENT CALLEW AERT

contrat d'assurance terrestre fait peser sur le candidat-preneur d'assurance


une obligation de déclaration spontanée. En vertu de l'article 5 de cette loi, le
preneur d'assurance a en effet l'obligation de «déclarer exactement, lors de
la conclusion du contrat, toutes les circonstances connues de lui et qu 'il doit
raisonnablement considérer comme constituant pour l 'assureur des éléments
d'appréciation du risque» (76) (77).

Le preneur qui ne respecterait pas cette obligation s'expose aux sanctions


prévues aux articles 6 et 7 de la loi précitée. Sans décrire celles-ci dans le
détail, on rappellera que le contrat est frappé de nullité en cas d'omission ou
d'inexactitude intentionnelle dans la déclaration du risque (art. 6) et est soit
modifié soit résilié lorsque l' omission ou l' inexactitude est in volontaire (art. 7)
(78). La prise en charge du sinistre dépendra quant à elle du point de savoir si
l' omission ou l' inexactitude est ou non reprochable à l' assuré. C' est ainsi que
l' assureur devra foumir la prestation convenue si l' omission ou la déclaration
inexacte ne peut être reprochée à l'assuré, tandis qu'il pourra réduire sa pres-
tation à due concurrence, voire limiter son intervention au remboursement
des primes payées (79), si ce manquement est reprochable à l'assuré.

Au vu de ces sanctions, on comprend que les praticiens del' assurance obser-


vent une tendance au dialogue et à la transparence et relèvent que les diri-
geants de société «sont de plus en plus conscients de l'importance d'apporter
une information complète à leur assureur» (80).

(76) Pour une analyse de cette disposition, voy. not.: Ph. COLLE, «La déclaration du risque
lors de la souscription et en cours d'exécution du contrat d'assurance», La loi du 25 juin 1992
sur le contrat d'assurance terrestre. Dix années d'application, B. DUBUISSON et P. JA-
DOUL (eds.), Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2003, pp. 55-74; du même auteur, Al-
gemene beginselen van het Belgisch verzekeringsrecht, 4e éd., Anvers, Intersentia, 2006, p. 41
et s.; M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3ème éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp.
168-180; J.-L. FAGNART, Droit privé des assurances terrestres, Story Scientia, 1998, n° 81
sq.
(77) On relèvera toutefois qu'en son alinéa 2, eet article 5 fait une légère concession au systè-
me du questionnaire, dans la mesure oû il précise que «s'il n'est point répondu à certaines
questions écrites de l' assureur et si ce dernier a néanmoins conclu Ie contrat, il ne peut, hormis
Ie cas de fraude, se prévaloir ultérieurement de cette omission».
(78) Pour une analyse récente de ces sanctions, voy.: Ph. COLLE, La déclaration du risque
lors de la souscription et en cours d'exécution du contrat d'assurance, pp. 61-68; M. FON-
TAINE, Précis de droit des assurances, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 174-178.
(79) Cette hypothèse est toutefois subordonnée à la condition que l'assureur prouve «qu'il
n'aurait en aucun cas assuré Ie risque dont la nature réelle est révélée par Ie sinistre».
(80) F. NYSSENS, «L' assurance responsabilité des dirigeants: évolutions récentes», D.A.O.R.,
2004, p. 31.

198
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

SECTION 4
LA MODIFICATION DU RISQUE EN COURS DE CONTRAT

29. Une correcte déclaration du risque à la conclusion du contrat ne permet


pas nécessairement à la couverture d'assurance d'être adaptée en tout temps
aux risques encourus. Ces demiers peuvent en effet évoluer au gré des modi-
fications que connaissent la société et ses dirigeants (acquisition d'une socié-
té concurrente, développement des activités sur des marchés étrangers, etc.).

Pour veiller à ce que la garantie consentie et la prime réclamée restent en


phase avec les risques auxquels les assurés sont réellement exposés, la loi du
25 juin 1992 amis en place un régime d' adaptation des polices <lont la portée
varie selon que Ie risque a fait l'objet d'une diminution (art. 25) ou d'une
aggravation (art. 26). Les contrats d'assurance R.C. dirigeants reprennent
généralement ces dispositions de manière intégrale au sein de leurs condi-
tions générales. Les régimes ainsi mis en place ont déjà fait l' objet de nom-
breux commentaires de qualité (81). On nous permettra donc d'y renvoyer
pour nous concentrer sur quelques dispositions contractuelles propres à l'as-
surance R.C. dirigeants.

Dans Ie souci de garantir une parfaite adéquation entre la couverture consen-


tie et les risques encourus, les assureurs ont en effet mis au point différentes
règles conventionnelles spécifiques qui sont destinées tantót à contróler l' évo-
lution du risque assuré (A.), tantót à appréhender certaines formes particuliè-
res de modification du risque (B.).

Sous-section 1
Le contróle du risque à l'échéance

30. La majorité des polices d'assurance R.C. dirigeants imposent tout


d'abord au preneur d'assurance (la société) de communiquer à l'assureur,
quelques mois avant !'échéance du contrat (82), différentes informations sur
sa situation financière. Ces informations consistent Ie plus généralement dans

(81) Voy. not.: M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3ème éd., pp. 181-187; Ph.
COLLE, «La déclaration du risque lors de la souscription et en cours d'exécution du contrat
d'assurance», op.cit., pp. 69-74.
(82) Le délai est de quatre à cinq mois selon les polices. Une police indique toutefois que cette
communication doit intervenir «dans les six mois suivant la clöture de l'exercice comptable».

199
VINCENT CALLEW AERT

Ie dernier bilan et compte de résultats de la société, ainsi que ceux des filiales
de cette dernière.

Outre cette communication, les sociétés sont par ailleurs bien souvent con-
ventionnellement tenues d'adresser dans Ie même délai à l'assureur un ques-
tionnaire de renouvellement. Ce questionnaire reprend pour l' essentie! les
questions qui ont été posées au preneur lors de la conclusion du contrat.

Ces exigences de communication sont spécifiques à l'assurance R.C. diri-


geants. Elles manifestent clairement Ie sou ei qu' ont les assureurs de pouvoir
réexaminer Ie risque lors de chaque échéance annuelle. Gräce à la communi-
cation de ces informations, les assureurs peuvent en effet vérifier que les ris-
ques auxquels les dirigeants sont exposés n' ont pas évolué en cours de con-
trat et que la reconduction de ce dernier peut donc se faire aux mêmes condi-
tions.

Si, à l' occasion de ce controle annuel, l' assureur constate que le risque a
évolué, il proposera en principe une adaptation de la prime et/ou des garan-
ties consenties. Le preneur d'assurance peut évidemment s'opposer à cette
adaptation. Deux solutions s' offrent, à notre avis, à lui à eet égard. Soit Ie
preneur entend mettre un terme à la garantie pour pouvoir s'adresser à un
autre assureur et, dans ce cas, il doit s' opposer à sa reconduction dans les
conditions fixées par l'article 30 de la loi du 25 juin 1992 (notification trois
mois avant l' échéance). Soit il désire maintenir Ie contrat en vigueur, mais
aux conditions anciennes et, dans ce cas, il lui appartient de refuser la propo-
sition de modification ou de ne pas y réagir, étant entendu qu'en pareille
hypothèse, l'assureur disposera de la faculté de résilier la police d'assurance
dans un délai de quinze jours (art. 26, § 1er, al. 4 de la loi du 25 juin 1992).

Les hypothèses dans lesquelles Ie preneur d' assurance souhaiterait s' opposer
à la modification proposée par l'assureur sont évidemment rares en pratique.
Sous la réserve d'une augmentation excessive de la prime, la société a en
effet tout intérêt à maintenir la garantie en vigueur et, partant, à accepter la
modification des conditions du contrat.

Sous-section 2
Le règlement de certaines modifications spécifiques

31. Indépendamment de l'obligation qu'a Ie preneur d'assurance de décla-


rer toute «aggravation sensible et durable du risque» (art. 25), les polices
d'assurance R.C. dirigeants réservent un sort particulier à certaines hypothè-
ses de modification du risque. Ces hypothèses sont habituellement celles de
l'acquisition de nouvelles filiales, d'une fusion ou d'un changement de con-
200
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

tröle du preneur d'assurance et du placement de valeurs mobilières sur un


marché étranger (83).

§ 1. Acquisition de nouvelles jiliales

32. Tenant compte de l'éventualité que la société preneur d'assurance ac-


quiert une autre société en cours de contrat ou crée une nouvelle filiale, la
majorité des polices d'assurance du marché précisent qu'en pareil cas, les
garanties sont expressément étendues aux sociétés ainsi acquises ou créées
par Ie preneur.

Cette extension de garantie automatique, qualifiée parfois de «clause d'ac-


quisition» (84 ), évite au preneur d' assurance de devoir solliciter, en pareille
occasion, une adaptation de la garantie qu'il a souscrite. Elle ne concerne
toutefois pas toutes les sociétés acquises ou créées sans distinction. Afin d' évi-
ter de devoir assurer des risques jugés trop importants, les assureurs excluent
habituellement de cette extension: les sociétés dont Ie total est supérieur à
20 % du total de l' actif consolidé du preneur, les sociétés constituées aux
Etats-Unis d' Amérique, ainsi que les institutions financières.

Il importe, par ailleurs, de souligner que l' extension de garantie examinée ne


concerne que les réclamations introduites pendant la durée du contrat et fon-
dées sur des fautes commises postérieurement à la date à laquelle la société
est devenue une filiale du preneur. Les fautes qui auraient été commises par
les dirigeants de la filiale antérieurement à son acquisition ou à sa création
par Ie preneur d'assurance ne sont donc pas couvertes.

Une telle limitation se comprend sans peine. Comme Ie relève très justement
Madame NYSSENS, «les assurés n'ont en principe pas intérêt à couvrir les
fautes de !'ancien management dans leur police» (85). Cette couverture ris-
querait en effet d' épuiser la limite de garantie fixée par année d' assurance
pour des fautes commises par des dirigeants à une date ou Ie preneur n' avait
sur eux aucune emprise (86). Moyennant surprime, certains assureurs offrent

(83) Les polices d'assurance règlent également l'hypothèse d'une faillite éventuelle de la so-
ciété en reprenant, à eet égard, Ie régime institué par l'article 32 de la loi du 25 juin 1992. Pour
un commentaire de cette disposition, voy. en particulier: Ph. COLLE et P. V ANLERSBER-
GHE, «Verzekeringen en faillissement», Bull. Ass., 1997, pp. 5-57; M. FONTAINE, Précis de
droit des assurances, 3ème éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 291-294; J.-L. FAGNART, Droit
privé des assurances terrestres, n°' 170-171.
(84) La paternité de cette qualification revient à Madame Fr. NYSSENS, «L' assurance respon-
sabilité des dirigeants: évolutions récentes», D.A.O.R., 2004, p. 23.
(85) Fr. NYSSENS, op. cit., p. 24.
(86) Ibidem.

201
VINCENT CALLEW AERT

néanmoins la possibilité de «racheter Ie passé» des administrateurs de la nou-


velle filiale en accordant une couverture de l'antériorité. Nous aurons !'occa-
sion de revenir sur cette question au moment d'aborder la problématique de
l' étendue de la garantie dans Ie temps.

§ 2. Fusion ou changement de controle

33. En cas de fusion du preneur d'assurance avec une société autre qu'une
filiale ou de prise de contröle de la société qui a souscrit Ie contrat par des
tiers, les polices d'assurance du marché beige indiquent habituellement que
les garanties consenties ne restent acquises que pour les réclamations relati-
ves à des fautes commises antérieurement à ces modifications.

Cette limitation de la couverture aux fautes commises avant la survenance de


ces événements est logique. Elle participe du souci de l'assureur de limiter
ses engagements aux risques qu'il connaît et dont il a pu mesurer l'intensité.

La clause examinée est, en revanche, plus surprenante lorsqu'elle indique


ensuite que «le contrat sera automatiquement résilié à !'issue de la période
d'assurance au cours de laquelle est intervenue une telle modification» (87).

On peut en effet sérieusement <louter de la légalité d'une telle résiliation auto-


matique au re gard de la loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d' assurance terres-
tre. En son article 26, cette loi dispose qu'en cas d'aggravation du risque,
l' assureur ne peut résilier Ie contrat qu' il a consenti que s'il apporte la preuve
qu'il n'aurait en aucun cas assuré Ie risque aggravé. Or, dans Ie cas qui nous
occupe, rien ne permet de considérer - du moins au préalable - que la fusion
ou la prise de controle du preneur aurait nécessairement amené l'assureur à
refuser Ie risque. Il en va d'autant plus ainsi que la clause contractuelle criti-
quée indique, par ailleurs, que Ie preneur et les assurés ont la possibilité de
demander Ie maintien des garanties du contrat pour des réclamations fondées
sur des fautes commises postérieurement aux modifications envisagées.

A bien y réfléchir, il semble en réalité que la difficulté précitée procède de ce


que la clause analysée envisage comme une simple modification du risque,
ce qui s'apparente davantage à une hypothèse de caducité. Lorsque la société
qui a souscrit Ie contrat fusionne avec une personne morale autre qu 'une filia-
le pour constituer une nouvelle société (art. 672 du Code des sociétés), c'est
en effet la composition de tout Ie conseil d' administration qui est en principe
revue. On peut dès lors se demander si cette transformation ne s'accompagne
(87) On précisera cependant que cette résiliation automatique n'est pas prévue par toutes les
garanties du marché.

202
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

pas d'une disparition de l'intérêt d'assurance (art. 37 de la loi du 25 juin


1992), dès lors que les personnes assurées au regard de la police ont changé.

34. On nous objectera sans doute que la nuance précitée est inutile puis-
que, dans un cas (caducité) comme dans l'autre (résiliation), le contrat prend
fin. Ce serait cependant oublier que, contrairement à la résiliation, la caducité
opère de plein droit et est, en principe, concomitante à la disparition de l'inté-
rêt d'assurance. La caducité n'est, en d'autres termes, pas soumise aux condi-
tions de forme et de fond de la résiliation (88). Elle résulte de la simple dispa-
rition d'un élément essentie! à la survie du contrat (89).

Nous concédons toutefois que l' analyse qui précède perd de sa pertinence
lorsque la fusion en jeu s' opère par absorption ( art. 671 du Code des sociétés)
ou que la modification résulte d'une prise de controle de la société par un
tiers. Dans ces hypothèses, l'intérêt d'assurance ne disparaît en effet pas né-
cessairement puisque les dirigeants restent en principe les mêmes que lors de
la conclusion du contrat d'assurance.

Cet état de fait ne suffit toutefois pas à justifier la résiliation automatique à


!'échéance qui est prévue par la clause contractuelle examinée. Il serait donc,
à notre avis, préférable de supprimer purement et simplement cette règle de
résiliation automatique pour maintenir Ie principe d'une couverture limitée
aux seules fautes antérieures à la modification, sous réserve d'un accord écrit
de l'assureur. Certaines polices du marché sont déjà libellées en ce sens.

§ 3. Placement de valeurs mobilières

35. Les polices d'assurance du marché beige imposent, enfin, au preneur


d'assurance d'avertir l'assureur de tout placement de valeurs mobilières qui
serait fait «sur un marché réglementé et/ou dans un pays de Common Law» et
de lui fournir «le prospectus d'admission ou d'émission ou toute autre infor-
mation nécessaire à l' appréciation du risque».

L' objectif de cette obligation spécifique de déclaration - qui vise notamment


l'hypothèse d'une introduction en bourse (90)- est évidemment de permettre
à l'assureur d'évaluer l'importance de la modification du risque qui est en jeu
afin de pouvoir décider en connaissance de cause de l' adaptation des condi-
tions du contrat.

(88) J.-L. FAGNART, Droit privé des assurances terrestres, Story Scientia, 1998, n° 175.
(89) M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3ème éd., Bruxelles, Larcier, 2006, p. 284;
J.-L. FAGNART, op.cit., n° 175.
(90) Fr. NYSSENS, op.cit., p. 24.

203
VINCENT CALLEW AERT

TITRE4
LE PERIMETRE DE LA GARANTIE

36. Les assureurs ne peuvent s' engager à couvrir tous les risques sans dis-
tinction. S' ils veulent conserver la maîtrise de leurs engagements et, partant,
assurer la stabilité financière de leurs activités, ils doivent nécessairement
délimiter le périmètre de leur garantie. Cette délimitation passe généralement
par la définition de la notion d' assuré (section 1), la détermination des risques
couverts (section 2) et de ceux qui sont exclus (section 3), ainsi que par la
délimitation de la garantie dans l'espace (section 4) et dans le temps (section
5).

SECTION 1
LES ASSURÉS ET LES TIERS

37. L'attribution des qualités d'assuré et de tiers est déterminante en assu-


rance de la responsabilité. C' est elle, en effet, qui permet d' opérer le départ
entre les personnes dont la responsabilité est couverte (les assurés) et celles
qui peuvent prétendre à l'indemnisation du dommage causé par un assuré (les
tiers).

Sous-section 1
Les assurés

38. Les polices d'assurance R.C. dirigeants donnent, à l'heure actuelle,


une définition assez large de la notion d'assuré. L'objectif est évidemment de
couvrir le patrimoine privé de toutes les personnes dont la responsabilité pour-
rait être mise en cause ensuite d'une faute commise dans la direction de la
société. Sont ainsi généralement visés les dirigeants de droit (§ 1.), les diri-
geants de fait (§ 2.), ainsi que certains employés (§ 3.). Plusieurs polices
étendent également la notion d' assuré à certains proches des dirigeants et/ou
à certaines hypothèses spécifiques (§ 4.).

§ 1. Les dirigeants de droit

39. Les dirigeants de droit sont habituellement définis comme tous les diri-
geants passés, présents ou futurs de la société, à savoir le président et les mem-
bres du conseil d' administration, les gérants, les membres du comité de direc-
tion, ainsi que tous les autres mandataires sociaux. Les polices précisent le plus
souvent que ces personnes doivent avoir été investies de leur fonction de ma-
nière régulière au regard des lois belges ou étrangères ou des statuts.
204
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

Afin de tenir compte du fait que les fonctions de dirigeants peuvent avoir été
confiées à une personne morale, les conditions générales des contrats préci-
sent habituellement que les personnes physiques qui agissent en tant que re-
présentants permanents de ces personnes morales ont la qualité d' assurés (91 ).
Les personnes morales elles-mêmes ne sont quant à elles couvertes que lors-
que leur responsabilité est recherchée solidairement ou in solidum avec celle
de leur représentant permanent dans le cadre d'une même réclamation. Cette
limitation s'explique par le fait que le but premier de l'assurance R.C. diri-
geants est de protéger le patrimoine personnel des dirigeants et non celui de
personnes morales (92). Certaines polices ne contiennent toutefois pas cette
limite.

La plupart des assureurs veillent, par ailleurs, à accorder leur garantie aux
dirigeants et employés de la société qui exercent la fonction de liquidateur
amiable d'une filiale de celle-ci. Cette tendance s' observe cependant essen-
tiellement pour les sociétés de taille importante (93).

Enfin, sauf convention contraire, on relèvera que les fondateurs de sociétés


ne bénéficient en principe pas de la qualité d'assuré, tout au moins pour la
responsabilité qu' ils sont susceptibles d' encourir en cette qualité.

§ 2. Les dirigeants de fait (94)

40. Depuis quelques années, les polices d' assurance R.C. mandataires so-
ciaux couvrent également les dirigeants de fait de la société qui souscrit la
garantie d'assurance (95). Ceux-ci sont habituellement définis par les con-
trats d'assurance comme toute personne physique qui verrait sa responsabili-
té engagée en tant que dirigeant de la société <levant un tribunal ou <lont la
responsabilité personnelle serait recherchée pour une faute professionnelle
commise dans le cadre d'une activité de direction, de gestion oude supervi-

(91) Fr. NYSSENS, «L' assurance responsabilité des dirigeants: évolutions récentes», D.A.O.R.,
2004, p. 21.
(92) Ibidem, p. 20.
(93) P. GEORTAY, «Assurance de la responsabilité des administrateurs. Tendances récentes»,
C.l., 1997, p. 93.
(94) Sur cette notion, voy. not.: M.A. DELVAUX, «Les responsabilités des fondateurs, admi-
nistrateurs et gérants des S.A., S.P.R.L. et S.C.R.L.», G. U.J.E., Titre Il, Livre 24.1., 2001,
pp. 42-43; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, ze éd., Bruxelles, Lar-
cier, 2004, pp. 86-89, n° 50.
(95) Pour une analyse des clauses qui excluaient les dirigeants de fait par Ie passé, voyez: P.
VAN OMMESLAGHE, «L'assurance de laresponsabilité civile des administrateurs ... », R.D.C.,
1994, pp. 283-284; J. ROGGE, «L'assurance de la responsabilité civile des mandataires so-
ciaux. Situation en Europe», Bull. Ass., 1998, p. 297.

205
VINCENT CALLEW AERT

sion exercée avec ou sans mandat ou délégation de pouvoir et pour autant que
cette responsabilité ne puisse incomber à la société.

Cette évolution des garanties témoigne du souci des assureurs d' adapter leurs
garanties à l'évolution du droit de la responsabilité des dirigeants (96). L'at-
tribution de la qualité d' assurés aux dirigeants de fait est en effet la consé-
quence du développement de la jurisprudence selon laquelle «ceux qui exer-
cent en fait les prérogatives réservées aux administrateurs peuvent être sou-
mis aux responsabilités qui pèsent sur les administrateurs» (97). On sera tou-
tefois attentif au fait que la garantie n' est accordée qu' aux personnes physi-
ques qui apparaissent comme dirigeants de fait. La personne morale qui en-
dosserait cette fonction ne pourra donc jamais prétendre au bénéfice de la
couverture.

§ 3. Les employés

41. La majorité des polices R.C. mandataires sociaux étendent également


le bénéfice de leur garantie aux employés de la société. Ces derniers ne sont
toutefois couverts que s'ils sont directement «mis en cause dans le cadre d'une
réclamation contre un dirigeant ou d'une réclamation liée aux rapports so-
ciaux». Cette dernière réclamation concerne notamment l'hypothèse d'un li-
cenciement abusif, d'une fausse déclaration relative à l' emploi, d'un refus
abusif d'un emploi ou d'une promotion, d'une discrimination illégale, de tout
manquement aux règles en vigueur au sein de la société en matière de rap-
ports sociaux, etc.

L' intérêt de cette extension de la qualité d' assuré aux employés est évidem-
ment limité par l'immunité de responsabilité dont bénéficient ces derniers.
En vertu de l' article 18 de la loi du 3 juillet 1978 sur le contrat de travail, les
préposés ne doivent en effet répondre, en principe, que de leur dol, de leur
faute lourde et de leur faute légère à caractère habituel. Comme l' assureur ne
couvre jamais Ie dol (faute intentionnelle) et peut s' exonérer en cas de faute
lourde (art. 8, al. 2 loi du 25 juin 1992), on voit que l'extension accordée a un
impact limité.

§ 4. Les autres personnes assurées

42. Parmi les autres personnes qui sont habituellement considérées com-
me assurés par les polices d'assurance R.C. dirigeants, on peut tout d'abord
(96) Fr. NYSSENS, op.cit., p. 21.
(97) J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2c éd., Bruxelles, Larcier, 2004,
p. 87 et les références citées sous la note 189.

206
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCJETES

relever les conjoints des assurés, Ceux-ci ne bénéficient toutefois de la cou-


verture d'assurance que lorsque la réclamation qui est introduite à leur en-
contre est basée sur des fautes professionnelles commises par un assuré et
vise à obtenir réparation sur leurs biens communs,

Les héritiers, légataires, représentants légaux et ayants cause des assurés


décédés ou frappés d'incapacité juridique (98) sont également bien souvent
considérés comme assurés au regard du contrat. Même si elle se contente
pour l' essentie! de confirmer ce que prévoit le droit commun (99), ce type de
clause doit être encouragé (100), On relèvera toutefois que même sans avoir
la qualité d'assurés au regard du contrat, les héritiers d'un administrateur
décédé devraient, en principe, être à l'abri des demandes en réparation qui
seraient formulées à leur encontre en raison d'une faute commise par ledit
administrateur, La majorité des contrats contiennent en effet, une garantie de
postériorité qui, dans le respect de certaines conditions, assure le maintien de
la couverture contre les réclamations formulées dans les cinq ans qui sui vent
la fin du contrat. Nous aurons !'occasion d'y revenir,

La plupart des polices précisent, enfin, que si la société qui a souscrit le con-
trat d'assurance dispose defiliales, les dirigeants de celles-ci bénéficient éga-
lement de la qualité d'assuré. Afin de limiter l'extension ainsi accordée et,
surtout, de garantir une certaine maîtrise du risque assuré, les polices donnent
généralement une définition assez stricte de la notion de filiale. Cette défini-
tion insiste le plus souvent sur le contróle que la société doit détenir sur sa
filiale (détention de plus de 50 % des droits de vote, contróle exclusif de la
majorité des droits devote via un accord écrit avec autres actionnaires, etc.)
(101).

Sous-section 2
Les tiers

43. Dans le cadre d'une assurance de la responsabilité, on est habitué à


retrouver une définition des «tiers», c'est-à-dire des personnes qui peuvent
prétendre à l'indemnisation.
(98) Certaines polices visent également l'hypothèse ou l'assuré a été déclaré en faillite person-
nelle ou a sollicité un moratoire ou un sursis de paiement.
(99) Voy. à eet égard: P. VAN OMMESLAGHE, «L'assurance de la responsabilité civile des
administrateurs de sociétés et d' associations en Belgique et la loi du 25 juin 1992 sur Ie contra!
d'assurance terrestre», R.D.C., 1994, p. 284.
(100) Dans Ie même sens: S. MAUCQ, «La R.C. mandataires sociaux, catégorie récente ... »,
Ann. Dr., 1984, p. 459.
(101) F. NYSSENS, «L'assurance responsabilité des dirigeants ... », D.A.O.R., 2004, pp. 17-
18.

207
VINCENT CALLEW AERT

Ce terme n'est généralement pas défini dans les polices R.C. dirigeants de
sociétés. Ceci s' explique vraisemblablement par la circonstance que la socié-
té qui a souscrit la police - et qui n'est donc pas tiers à celle-ci- pourrait être
amenée à engager elle-même la responsabilité d'un de ses administrateurs et,
partant, bénéficier de l'indemnisation en qualité de tiers lésé.

Cette particularité constitue indéniablement la spécificité la plus marquante -


et la plus déroutante - de l'assurance R.C. mandataires sociaux. Nous avons
vu qu'elle n'affecte en rien la validité du contrat. Il reste que cette situation
peut faire craindre certaines collusions. Une société et un administrateur mal
intentionnés pourraient en effet s'entendre pour simuler l'exercice d'une ac-
tion sociale (actio mandati) afin d'amener l'assureur à prester indûment sa
garantie.

Pour éviter de tels dérapages, les compagnies ont dans un premier temps ex-
clu purement et simplement de la garantie l' exercice de l 'actio mandati que
détient la société (102). Cette exclusion faisait cependant perdre une part subs-
tantielle de l'intérêt de la garantie (103).

Certains assureurs ont, par conséquent, renoncé à cette exclusion et précisé


que la demande en réparation introduite par Ie preneur d'assurance lui-même
est bien garantie. D'autres se sont limités à indiquer que les réclamations
faites par, au nom ou pour Ie compte des assurés ou de la société sont, en
principe exclus, tout en énonçant une série d'exceptions, au rang desquelles
figurent notamment les réclamations introduites sous la forme d'une action
sociale par un ou plusieurs actionnaires pour autant que celles-ci soient intro-
duites sans la sollicitation, l'assistance ou la participation active d'un assuré
ou de la société.

Compte tenu del' importance pratique qu' elles revêtent, de telles «extensions»
de garantie doivent naturellement être encouragées.

SECTJON 2
LES RISQUES COUVERTS

44. Les polices d'assurance R.C. dirigeants de sociétés offrent habituelle-


ment trois garanties distinctes, à savoir: la responsabilité civile des dirigeants
(sous-section 1), la défense civile et pénale des dirigeants (sous-section 2) et

( 102) P. VAN OMMESLAGHE, «L' assurance de la responsabilité civile des administrateurs ... »,
R.D.C., 1994, p. 281.
( 103) Fr. NYSSENS, «L' assurance responsabilité des dirigeants: évolutions récentes», D.A. O.R.,
2004, p. 23.

208
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DTRIGEANTS DE SOCIETES

le remboursement de la société assurée (sous-section 3), Plusieurs entreprises


d'assurance offrent en outre la faculté de souscrire certaines extensions limi-
tativement définies (sous-section 4),

Sous-section 1
La responsabilité civile des dirigeants

45. L'assurance R.C. dirigeants couvre, tout d'abord, les conséquences pé-
cuniaires de la responsabilité civile - tant contractuelle qu' extracontractuelle
- que les dirigeants peuvent engager dans le cadre du mandat social qui leur a
n
été confié, s'agit là, nous l'avons dit, de son objet principaL

La manière <lont cette garantie est formulée s' est sensiblement améliorée ces
dernières années. Alors que, par le passé, plusieurs polices identifiaient limi-
tativement les sources légales de responsabilité pour lesquelles les assurés
étaient couverts ( 104), tous les contrats indiquent aujourd'hui que sont garan-
ties «les conséquences pécuniaires résultant de toute réclamation mettant en
jeu la responsabilité civile des assurés», sans autre précision (105). Cette ab-
sence de référence aux sources légales au regard desquelles la responsabilité
des dirigeants est garantie est évidemment favorable à ces derniers. Elle évite
en effet aux dirigeants de devoir solliciter une extension de garantie à l' occa-
sion de chaque évolution législative ou d'un éventuel revirement de la juris-
prudence. La garantie reste donc, en principe, toujours en phase avec le droit
de la responsabilité civile des dirigeants.

Cette absence de limitation des sources de mise en cause de la responsabilité


des administrateurs laisse penser que l' assurance R.C. dirigeants devrait cou-
vrir les conséquences des nouvelles responsabilités qui ont été mises à charge
des administrateurs par la loi-programme du 20 juillet 2006 en matière de
dettes sociales et fiscales (106). Même si les manquements en cause sont liés
à des dettes sociales et fiscales - lesquelles sont, en principe, exclues del' as-
surance R.C. dirigeants -, il s'agit en effet bien d'hypothèses de responsabi-
lités de dirigeants. Il faut cependant s'attendre, selon nous, à ce que les assu-

( 104) P. VAN OMMESLAGHE, «L' assurance de la responsabilité civile des administrateurs ... »,
R.D.C., 1994, p. 290.
(105) P. GEORTAY, «Assurance de la responsabilité des administrateurs. Evolutions récen-
tes», C.J., 1997, p. 94.
(106) Loi-programme du 20 juillet 2006 (M.B., 28 juillet 2006), articles 14 à 16 et 56 à 59.
Pour un premier commentaire de ces dispositions, on consultera notamment, pour !'aspect
fiscal: G. DE WIT et N. BOUVERET, «La nouvelle responsabilité des dirigeants d' entreprises
en matière TVA: leçons du passé et perspectives futures. L'article 93undecies du Code de la
TVA a-t-il sa place dans l'arsenal des moyens dont dispose l'administration fiscale'1», R.G.F.,
2007, pp. 14-32.

209
VINCENT CALLEW AERT

reurs du marché belge veillent progressivement à exclure cette hypothèse de


responsabilité de leur garantie, quitte à maintenir en pareils cas la garantie
«frais de défense». Le risque de fraude est en effet trop important en cette
matière que pour consentir une couverture de ces nouvelles dettes de respon-
sabilité sans autre limite que celle relative aux montants assurés.

46. Si elles ne limitent plus les bases juridiques des réclamations qui peu-
vent donner lieu à intervention de l'assureur, les polices d'assurance R.C.
mandataires sociaux précisent toutefois que la garantie n'est acquise aux as-
surés qu'en cas de faute professionnelle commise dans l'exercice de leurs
fonctions de dirigeant de la société.

Cette dernière précision est importante. Elle implique que si un dirigeant est
lié à la société par un contrat de travail, seule sera en principe couverte la
responsabilité que celui-ci pourrait engageren sa qualité de dirigeant, à l'ex-
clusion de celle qu'il engagerait en tant qu'employé.

Si elle se comprend sans peine, l'application de cette règle n'est guère aisée
en pratique (107). Il n'est en effet pas toujours évident d'opérer une distinc-
tion claire entre les fautes qui sont commises par un dirigeant-préposé dans
l'une et l'autre de ces fonctions. Il en va particulièrement ainsi lorsqu'il appa-
raît que c'est gráce à sa fonction d'administrateur et à la faveur de l'autorité
qui y est attachée que l'assuré a pu poser un acte qui relève, en principe, de sa
fonction d'employé, mais qu'il n'aurait jamais été en mesure d'accomplir
sans sa qualité de dirigeant. On songe, par exemple, à !'administrateur qui
abuserait de sa qualité pour contourner les règles de contröle interne impo-
sées par la société qu'il dirige et pour laquelle il travaille.

Pour savoir si la couverture est acquise en pareil cas, il convient, à notre avis,
de déterminer si, sans sa qualité d'administrateur (sensu lato), Ie dirigeant
aurait pu commettre la faute qu'il a commise et causer le dommage qu'il a
généré. Si la réponse à cette question est négative, l'assuré sera, en principe,
couvert. S'il apparaît, en revanche, que la qualité d'administrateur n'a joué
aucun róle dans la survenance du dommage, l' assuré ne pourra alors pas comp-
ter sur la garantie d'assurance, dès lors que sa faute s'inscrira, dans ce cas,
principalement dans l'exécution de son contrat de travail (108).

(107) Dans Ie même sens: B. FERON etJ.-Fr. GOFFIN, «La protection des administrateurs de
sociétés contre la mise en cause de leur responsabilité civile», J.T., 1996, p. 382; P. VAN
OMMESLAGHE, «L'assurance de la responsabilité civile des administrateurs ... », R.D.C.,
1994, p. 285; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, p. 331.
( 108) On observera que certaines polices tentent de régler cette question en définissant la faute
professionnelle garantie comme étant celle qui est commise «exclusivement» en qualité de
dirigeant, ce qui, à notre avis, ne permet pas de régler tous les problèmes évoqués.

210
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

Sous-section 2
La défense civile et pénale des dirigeants

47. La deuxième garantie contenue dans les polices d'assurance R.C. diri-
geants est la prise en charge des frais exposés afin d' assurer la défense civile
et/ou pénale des assurés (109).

La couverture des frais liés à la défense civile des assurés n'a rien de surpre-
nant dans une assurance de la responsabilité. En vertu de l'article 79 de la loi
du 25 juin 1992 sur Ie contrat d' assurance terrestre, tout assureur de la res-
ponsabilité a en effet l'obligation de prendre fait et cause pour son assuré dès
qu'il est fait appel à la garantie et que celle-ci est due. Les frais qui sont liés à
cette défense civile sont d'ailleurs impérativement mis à charge de l'assureur,
et ce même au-delà du plafond de garantie (art. 82) (110) (111 ).

La couverture des frais liés à la défense pénale des assurés peut sembler plus
déroutante (112). Elle l'est d'autant plus que les polices présentent habituel-
lement cette garantie comme une simple «avance de frais». Les conditions
générales des contrats indiquent ainsi que s'il apparaît, au terme du procès,
que la garantie n'était en réalité pas due- par exemple, parce que l'assuré est
reconnu coupable d'une infraction intentionnelle -, l'assuré est tenu de rem-
bourser à l'assureur les frais que celui-ci a avancés pour sa défense.

A bien y réfléchir, il nous semble cependant que cette couverture des frais liés
à la défense pénale des assurés ne peut s'analyser que comme une garantie
protection juridique qui est jointe à la couverture de base.

La protection consentie présente, en effet, une similitude évidente avec la


définition que donne la loi du 25 juin 1992 des contrats d' assurance protec-
tion juridique, à savoir les «contrats d'assurance par lesquels l'assureur s'en-
gage à foumir des services et à prendre en charge des frais afin de permettre

( 109) Si cette garantie ne profite en principe qu'aux assurés, les contrats organisent également
de manière détaillée les modalités de répartition des frais en cas d'action en responsabilité
dirigée à la fois contre un assuré et contre la société qui a souscrit Ie contrat.
( 110) Pour un commentaire de cette disposition, voyez notamment: M. FONTAINE, Précis de
droit des assurances, 3èmc éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 432-433; J.-L. FAGNART, Droit
privé des assurances terrestres, n° 415; Ph. COLLE, Algemene beginselen van het Belgisch
verzekeringsrecht, 4c éd., Anvers, Intersentia, 2006, pp. 121-124.
( 111) En matière d'assurance R.C. dirigeants, les assureurs ont toutefois la faculté de limiter Ie
montant de cette intervention conformément au régime mis en place par l' article 6ter del' arrê-
té royal du 24 décembre 1992 portant exécution de la loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d' assu-
rance terrestre (M.B., 31 décembre 1992); ce qu'ils font généralement. Nous y reviendrons.
(112) Sur l'intérêt que représente cette garantie pour les dirigeants, voyez notamment: F. NYS-
SENS, op. cit., p. 19 et les références citées.

211
VINCENT CALLEW AERT

à l'assuré de faire valoir ses droits en tant que demandeur ou défendeur, soit
dans une procédure judiciaire, administrative ou autre, soit en dehors de toute
procédure». Le fait que les polices R.C. dirigeants n'évoquent, à aucun mo-
ment, la fourniture des services (gestion amiable des sinistres) à laquelle se
réfère cette définition ne nous paraît pas remettre en cause la nature juridique
de la couverture discutée. N'étant, par définition, pas liée à la défense civile
de l'assuré, la prise en charge des frais de défense pénale de l'assuré ne peut,
en effet, s' analyser, selon nous, que comme une garantie protectionjuridique.

48. Cette qualification d'assurance protection juridique n'est pas dénuée


d'incidence. Elle implique, tout d'abord, l'application des règles impératives
que la loi du 25 juin 1992 consacre à cette assurance, à savoir celles énoncées
par ses articles 90 à 93 (113). Elle exige ensuite que l'entreprise d'assurance
qui offre cette garantie ait opté pour l'une des formules de gestion des sinis-
tres autorisées par l'article 4 de l'arrêté royal du 12 octobre 1990 relatif à
l' assurance protection juridique (114 ). Il con vient, enfin, que l' entreprise qui
couvre Ie risque examiné dispose de la part de la C.B.F.A. (Commission ban-
caire, financière et des assurances), d'un agrément pour la branche 17 (ll5).
Il n'est pas certain que les assureurs aient tous conscience de ces différentes
exigences.

49. Dans la pratique, les polices d' assurance R.C. dirigeants n' opèrent gé-
néralement aucune distinction entre Ie régime juridique à appliquer à la ga-
rantie défense civile et celui réservé à la prise en charge des frais liés à la
défense pénale des assurés. Le plus sou vent, une même disposition règle ain-
si }'ensemble des questions liées à ces deux garanties.

Cette confusion des genres aboutit à la rédaction de clauses contractuelles


dont la légalité est parfois douteuse. Mettant manifestement 1' accent sur la
garantie défense pénale, certaines polices indiquent ainsi que l' assureur n' aurait
pas l' obligation de pourvoir à la défense des assurés, alors que l' on sait que la
défense civile de I' assuré doit impérativement être prise en charge par l' assu-

( 113) Pour un commentaire de ces dispositions, voy. not.: C. PARIS, Le régime de l'assurance
protectionjuridique, call. de thèses, Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 356-502; Ph. COLLE, Hand-
boek bijzonder gereglementeerde verzekeringscontracten, 4" éd., Anvers, Intersentia, 2005,
pp. 287-323; J.-L. FAGNART, Droit privé des assurances terrestres, 1998, n°s 387 à 403; M.
FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3" éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 454-466.
(114) M.B., 8 novembre 1990.
( 115) Cf. la classification des risques reprise en annexe à l' arrêté royal du 22 février 1991
portant règlement général relatif au contróle des entreprises d' assurances (M.B., 11 avril 1991 ).

212
'
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

reur dès qu'il est fait appel à sa garantie et que celle-ci est due (art. 79 de la loi
du 25 juin 1992), Dans le même ordre d'idées - mais sans conséquence sous
l'angle de la légalité -, la plupart des polices offrent à l'assuré le libre choix
de l'avocat, alors que cette liberté constitue, en principe, une prérogative liée
à l'assurance protectionjuridique (art. 92 de la loi du 25 juin 1992),

Sans doute objectera-t-on que ces différentes clauses ne suscitent guère de


difficultés en pratique. Il reste que les confusions qu'elles créent dans l'arti-
culation des garanties seraient efficacement gommées si les polices prenaient
le soin de traiter de manière distincte les règles applicables à la défense civile
des assurés (art. 79 de la loi du 25 juin 1992) et celles relatives à leur défense
pénale (art. 90 à 93). Le caractère impératif des dispositions de la loi du 25 juin
1992 commande en tout état de cause un réajustement des polices sur ce point.

Sous-section 3
Le remboursement de la société assurée

50. Indépendamment de la protection que représente une assurance R.C.


mandataires sociaux, il n'est pas rare que les dirigeants bénéficient de clauses
d'indemnisation (appelées également clauses de garantie). Nous avons vu
qu'en vertu de telles clauses, la société s'engage à tenir Ie patrimoine de ses
dirigeants indemne de toute condamnation en responsabilité qui serait pro-
noncée à leur encontre.

La garantie «remboursement de la société assurée» a pour objet de rencontrer


l'existence de ces clauses d'indemnisation en assurant Ie remboursement des
montants auxquels la société qui a souscrit le contrat s'exposerait dans leur
exécution. Dans cette mes ure, l' assureur apparaît donc ici comme un garant
du garant.

Le remboursement de la société auquel procède l' assureur ne signifie évi-


demment pas que celle-ci a la qualité d' assurée au re gard du contrat. Pour que
l'assureur soit amené à intervenir au bénéfice de la société qui a souscrit le
contrat, il faut en effet nécessairement que la responsabilité d'un dirigeant
assuré ait été établie et qu'en application d'une clause d'indemnisation, la
société ait supporté la dette de responsabilité mise à charge de eet assuré
(116).

(116) En ce sens également: Fr. NYSSENS, «L'assurance responsabilité des dirigeants ... »,
D.A.O.R., 2004, p. 19.

213
VINCENT CALLEW AERT

Sous-section 4
Les extensions de garantie facultatives

51. En complément des trois garanties de base que nous venons d'analy-
ser, les polices d'assurance R.C. dirigeants proposent également différentes
extensions de couverture, qui font Ie plus souvent partie intégrante de la poli-
ce de base.

Une première extension de garantie concerne ainsi la couverture de la res-


ponsabilité que les dirigeants peuvent engager dans l' exercice de mandats
externes qu'ils se seraient vu confier par la société qui a souscrit Ie contrat.
Par «mandats externes», les polices visent habituellement les fonctions de
direction exercées au sein de sociétés autres que des filiales <lont Ie preneur
détiendrait au moins 50 % des parts sociales. Cette dernière précision n'a
d'autre but que d'assurer une certaine maîtrise des risques assurés.

Une autre extension de garantie qui est fréquemment accordée est celle rela-
tive à la couverture des honoraires et frais divers engendrés par la préparation
de la défense personnelle des assurés dans Ie cadre de toute comparution «né-
cessitée par toute enquête, instruction, investigation ou toute autre procédure
officielle civile, administrative ou pénale» qui serait menée à l'encontre de la
société et qui pourrait donner naissance à une réclamation dirigée contre un
dirigeant. Cette extension complète utilement la garantie «défense civile et
pénale» qui ne concerne, quant à elle, que les réclamations dirigées directe-
ment contre les assurés. Les polices d'assurance ont cependant l'habitude de
préciser que cette extension de garantie ne concerne pas les procédures me-
nées aux Etats-Unis d' Amérique.

Plusieurs polices d'assurance disponibles sur Ie marché beige accordent en-


core une extension de garantie destinée à couvrir les frais de constitution de
la caution pénale au paiement de laquelle les assurés seraient, Ie cas échéant,
tenus dans Ie cadre d'une poursuite ou d'une instruction pénale.

Enfin, il faut rappeler que la majorité des contrats étendent leur garantie aux
filiales qui seraient acquises ou créées par Ie preneur pendant la durée du
contrat. Nous renvoyons à eet égard, aux commentaires que nous avons con-
sacrés à cette extension au moment d' envisager les clauses d' acquisition (voy.,
supra, n° 32).

SECTION 3
LES EXCLUSIONS ET LES DÉCHÉANCES

52. Après avoir identifié les risques qui font l' objet de la garantie, la police
d'assurance précise habituellement ceux qui en sont exclus. Une distinction
214
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABIL!TE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

est classiquement faite, à eet égard, entre les exclusions de la garantie et les
déchéances (117),

Sous-section 1
Précisions terminologiques ( 118)

53. L' exclusion est traditionnellement présentée comme une «absence de


droit à la garantie» (119), Le risque exclu est cel ui qui «n 'a jamais été et
n 'est pas couvert» ( 120).

La déchéance de garantie vise, quant à elle, un «retrait de droit» destiné à


sanctionner un manquement déterminé de l' assuré à une obligation imposée
par Ie contrat (121).

54. Aussi ténue qu' elle puisse paraître, cette distinction entre les exclu-
sions et les déchéances n'est pas sans incidences. De la qualification juridi-
que retenue dépend en effet l' application - ou la non-application - de trois
ensembles de règles, que l'on peut rapidement rappeler ici,

(117) La détermination des risques qui ne font pas 1' objet de la garantie peut également se
déduire de la définition des risques couverts. Voy. à eet égard: M. FONTAINE, Précis de droit
des assurances, 3c éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 234-235, n° 345. Le régime applicable
aux «refus de garantie» résultant de cette troisième catégorie est cependant calqué, selon nous,
sur celui mis en place en matière d'exclusion.
( 118) Pour une analyse approfondie des distinctions envisagées, on consultera notamment:
M. FONTAINE, Déchéances, exclusions, définition du risque et charge de la preuve en droit
des assurances, note sous Cass., 7 juin 2001 et 18 janvier 2002, R.C.J.B., 2003, pp. 20-73;
P. HENRY et J. TINANT, Déchéance et exclusion: de Charybde en Scylla?, La loi du 25 juin
1992 sur le contrat d'assurance terrestre. Dix années d'application, Louvain-la-Neuve, Aca-
demia-Bruylant, 2003, pp. 75-115; J.-L. FAGNART, «Le régime des exclusions et des dé-
chéances dans les assurances de responsabilité», Les assurances de responsabilité, éd. Jeune
Barreau de Bruxelles, 1999, p. 166 et s.; V. CALLEWAERT, «Assurances et responsabilité
environnementale: points cruciaux», Entreprises, responsabilités et environnement, sous la
coord. de X. THUNIS et F. TULKENS, Kluwer, 2004, p. 75 ets.
(119) La paternité de cette expression est généralement attribuée à M. PICARO et A. BES-
SON. Voyez notamment en ce sens: M. FONTAINE, «Déchéances, exclusions, définitions du
risque et charge de la preuve en droit des assurances», note sous Cass., 7 juin 2001 et 18
janvier 2002, R.C.l.B., p. 53, note 179.
(120) J.-L. FAGNART, «Le régime des exclusions et des déchéances dans les assurances de
responsabilité», Les assurances de responsabilité, éd. Jeune Barreau de Bruxelles, 1999, p. 166,
n° 3.
(121) B. DUBUISSON, «L'assurance de la responsabilité des médecins et des höpitaux. Entre
Ie marteau et l'enclume», Bull. Ass., 1997, p. 400; P. HENRY et J. TINANT, «Déchéance ou
exclusion: de Charybde en Scylla?», La loi du 25 juin 1992 sur ie contrat d'assurance terres-
tre. Dix années d'application, Academia-Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 76 et les références
citées.

215
VINCENT CALLEW AERT

La nature juridique d'exclusion oude déchéance conditionne, tout d'abord,


l'application de l'article 11 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assuran-
ce terrestre. Conformément à l'intitulé et au libellé de cette disposition, seu-
les les clauses de déchéance sont en effet soumises aux conditions que celle-
ci édicte. Il en résulte que la déchéance ne peut sanctionner que «l'inexécu-
tion d'une obligation déterminée imposée par le contrat» et que Ie manque-
ment reproché doit être «en relation causale avec la survenance du sinistre».

La qualification d'exclusion oude déchéance revêt ensuite une incidence au


niveau de l'étendue du régime d'inopposabilité des exceptions, c'est-à-dire
de la possibilité pour l'assureur d' opposer ou non au(x) tiers lésé(s) la limita-
tion de garantie contractuellement prévue. Là ou l'exclusion est toujours op-
posable au(x) tiers lésé(s) quel que soit Ie type d'assurance souscrite, il faut,
en effet, s'en référer à l' article 87 de la loi du 25 juin 1992 pour ce qui concer-
ne les cas de déchéance. Dans le cadre d'une assurance facultative comme
l'assurance R.C. mandataires sociaux seront donc opposables au(x) tiers lésé(s)
toutes les déchéances qui trouvent leur cause dans un fait antérieur au sinistre
(art. 87, § 2) (122).

La distinction entre les exclusions et les déchéances influence, enfin, la déli-


cate question de la charge de la preuve. En présence d'une déchéance de la
garantie, il est ainsi admis qu'en application de l'article 1315, alinéa 2 du
Code civil, c'est à l'assureur qui se prétend déchargé de son obligation qu'il
incombe de démontrer l'existence du manquement reproché à l'assuré, de
même que le lien causal <levant unir ce manquement au sinistre (123). Lors-
que l'assureur entend, au contraire, se prévaloir d'une exclusion de garantie,
c'est alors à l'assuré qu'il revient en principe de démontrer que le sinistre
pour lequel il fait appel à la garantie de l'assureur n'entre pas dans le champ
d' application de cette exclusion. Pour reprendre les termes utilisés par la Cour
de cassation, dans son arrêt du 5 janvier 1995, confirmé Ie 13 mars 1998 et le
25 février 2000, «l 'assuré qui fait valoir à l 'égard de son assureur le droit à
un paiement, doit apporter la preuve, non seulement du dommage, mais en-
care de l 'événement qui y a donné lieu et établir que le risque réalisé était
celui prévu par le contrat et non exclu par celui-ci» ( 124).

(122) Pour une analyse de l'article 87 de la loi du 25 juin 1992, voy. not.: B. DUBUISSON,
«L'action directe et l'action récursoire», La loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance
terrestre. Dix années d"application, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2003, pp. 157-
169.
( 123) J.-L. FAGNART «Le risque de la preuve en matière d' assurance», La loi du 25 juin 1992
sur Ie contrat d'assurance. Dix années d'application, Bruxelles, Bruylant, pp. 128-129; M.
FONTAINE, Précis de droit des assurances, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 1996, p. 168, n° 290.
(124) Cass., 5 janvier 1995, J.L.M.B., 1996, p. 536, R.W, 1995-1996, p. 29.

216
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

55. Au-delà de son apparente stabilité, cette jurisprudence de la Cour de


cassation relative à l' attribution de la charge de la preuve en matière d' exclu-
sion pourrait toutefois avoir été récemment modifiée.

Dans une note particulièrement fouillée parue dans la Revue critique de juris-
prudence beige sous deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 7 juin
2001 et le 18 jan vier 2002, le professeur M. FONTAINE s' est en effet attelé
à démontrer le revirement de jurisprudence que ladite Cour aurait, selon lui,
effectué en matière de charge de la preuve des exclusions (125). S' appuyant
notamment sur une phrase tirée du rapport d'activités de la Cour suprême
pour l'année judiciaire 2000-2001 (126), eet éminent auteur voit effective-
ment, dans ces deux arrêts rendus à propos de sinistres intentionnels, une
volonté de la Cour de rompre avec sa jurisprudence passée et de considérer
désormais qu'en application de l'article 1315, alinéa 2, du Code civil, les cas
d'exclusion de la garantie, comme ceux de déchéance, doivent être prouvés
par l'assureur, et non par l'assuré.

Toujours selon le professeur FONTAINE, la notion d' exclusion devrait, par


ailleurs, être affinée par rapport à la définition du risque couvert. Ainsi, seuls
les domaines soustraits à la couverture devraient pouvoir bénéficier de la
qualification d'exclusion, tandis que ne relèveraient pas de l'exclusion, mais
de la non-assurance, les domaines qui se situent a contra rio à l' extérieur de la
garantie contractuelle (127). Alors que la preuve des exclusions et des dé-
chéances incomberait toujours à l'assureur, ce serait à l'assuré qu'il revien-
drait de démontrer que Ie sinistre répond à la définition du risque, et donc
qu'il ne s'est pas produit en dehors des limites de la couverture (128).

Plusieurs juridictions de fond ont déjà eu l' occasion de faire droit à l'analyse
nouvelle proposée par le professeur FONTAINE (129). Ace jour, la Cour de

(125) Voy. M. FONTAINE, Déchéances, exclusions, déflnition du risque et charge de la preu-


ve en droit des assurances, note sous Cass., 7 juin 2001 et 18 janvier 2002, R.C.J.B., 2003, pp.
20-73.
(126) La phrase issue du rapport suit un résumé de !'arrêt du 7 juin 2001 et est libellée en ces
termes: «Cet arrêt marque une évolution dans lajurisprudence de la Cour relative à la charge
de la preuve en matière d 'assurance. Il rompt avec Ie raisonnement dichotomique qui consiste
à opposer cause d' exclusion et déchéance, pour lui substituer des règles plus sûres s 'appuyant
sur l'article 1315 du Code civil».
(127) M. FONTAINE, «Déchéances, exclusions, définition du risque ... », op. cit., p. 72, n°
116.
(128) Ibidem.
(129) Voy. not.: Bruxelles, 22juin 2004, R.G.A.R., 2006, n° 14073; Liège, 25 mai 2004, R.G.A.R.,
2005, n° 14030.

217
VINCENT CALLEWAERT

cassation n'a cependant pas encore eu !'occasion de confirmer le revirement


annoncé (130).

Sous-section 2
La légalité de la qualification retenue

56. Les éléments qui précèdent pourraient laisser penser que les condi-
tions générales des contrats d'assurance R.C. dirigeants font clairement la
distinction entre les exclusions et les déchéances de la garantie.

L'analyse des polices d'assurance révèle, au contraire, que la plupart d'entre


elles regroupent !'ensemble des situations dans lesquelles l'assuré ne peut
prétendre au bénéfice de la garantie sous un seul et même vocable. Recourant
tantöt à !'appellation «exclusions», tantöt à celle de «cas de non-assurance»,
les conditions générales s'abstiennent en effet le plus souvent d'opérer une
quelconque distinction entre les hypothèses dans lesquelles l'assuré sera pri-
vé de garantie s'il vient à manquer à une obligation imposée par le contrat
(déchéance) et celles ou, dès le départ, il est prévu qu'aucune garantie ne
saurait être due (exclusion).

Cette situation s' explique sans doute par la volonté des assureurs d' améliorer
la lisibilité de leurs conditions générales en utilisant des termes génériques
dont le sens et la portée sont compris par tous. Il est probable cependant qu' elle
trouve également sajustification dans la volonté de certains assureurs de bé-
néficier d'un régime juridique plus favorable que celui qui est attaché aux
déchéances de la garantie.

57. La légalité de ce recours systématique à la qualification d' exclusions


est généralement appuyée sur Je principe de la liberté des conventions (131).

Il con vient cependant de garder à l' esprit que cette liberté ne peut s' exercer
sans limites (132). C'est ainsi, par exemple, que l'assureur ne saurait présen-

(130) Pour notre part, nous estimons que, dans ]'attente d'une déeision de la Cour de eassation
eonfirmant explieitement Ie revirement annoneé, la prudenee impose d'appliquer la jurispru-
denee de 1995. Voy., à eet égard, notre argumentaire: V. CALLEWAERT, «Assuranees et res-
ponsabilité environnementale: points erueiaux», Entreprises, responsabilités et environnement,
Kluwer, 2004, pp. 78-79, n° 18.
(] 31) J.-L. FAGNART, «La requalifieation des elauses du eontrat d'assuranee», Liber amico-
rum L. Simont, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 667, n° 5; M. FONTAINE, «Déehéanees, exclu-
sions, ... », op. cit., p. 67, n° 109.
(132) Voy. à eet égard: M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3c éd., Bruxelles,
Lareier, 2006, pp. 246-251.

218
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

ter sous la forme d'exclusions des hypothèses de déchéances réglées impéra-


tivement par la loi, comme le sont les sanctions du non-respect des obliga-
tions qui pèsent sur l' assuré en cas de sinistre (art. 19 à 21 ).

De manière plus générale, on observera surtout que Ie juge n' est pas tenu par
la qualification donnée à la clause qui justifie le refus de garantie. Par un arrêt
du 25 janvier 2002, la Cour de cassation a en effet dit pour droit que l'arrêt
qui «considère que les situations décrites dans les polices d'assurance, res-
pectivement sous les intitulés «exclusions» et «cas de non-assurance», cons-
tituent des cas de déchéance et que, dès tors, c 'est à la demanderesse qu 'il
appartient de prouver que les conditions d 'application des claus es litigieuses
sant remplies (. .. ) donne des polices une interprétation qui n 'est pas inconci-
liable avec leurs termes et, dans cette interprétation, leur reconnaît les effets
qu 'elles ont légalement entre les parties» (133). Le juge est donc libre de
requalifier la clause convenue entre parties.

Sous-section 3
Les clauses de déchéance et d'exclusion habituelles

§ 1. Les déchéances

58. Parmi les déchéances de la garantie Ie plus fréquemment énoncées par


les contrats d'assurance R.C. mandataires sociaux, on retrouve bien évidem-
ment l'hypothèse de Iafaute intentionnelle d'un assuré. Les polices ne font, à
eet égard, que reprendre la règle instituée par l' article 8, alinéa 1er de la loi du
25 juin 1992, qui dispose que «nonobstant toute convention contraire, l 'assu-
reur ne peut être tenu defournir sa garantie à l'égard de quiconque a causé
intentionnellement le sinistre». On nous permettra donc de renvoyer ici aux
nombreux commentaires qui ont déjà été consacrés à cette disposition (134),
en ajoutant que 1' absence de couverture des fautes intentionnelles n'implique
pas, selon nous, un refus de couvrir les conséquences civiles des fautes péna-
les <lont la commission est détachée de toute intention frauduleuse (135).

(133) Cass. (l'e ch.), 25 janvier 2002, R.G.A.R., 2003, n° 13757.


( 134) Voy. notamment à eet égard: C. VAN SCHOUBROECK, «Over opzettelijk veroorzaakte
schadegevallen en verzekering», R.D.C., 2005, pp. 819-829; M. FONTAINE, Précis de droit
des assurances, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 251-259 et les très nombreuses références
citées; Ph. COLLE, Algemene beginselen van het Belgisch verzekeringsrecht, 4e éd., 2006,
Anvers, Intersentia, pp. 76-81; M. HOUBEN, «Apropos de la preuve du sinistre volontaire.
Quelques notes sur I' évolution de quelques concepts du droit des assurances», Bull. Ass., 2003,
p. 493 ets.; B. DUBUISSON et V. CALLEWAERT, «Le contrat-type à la croisée des che-
mins», Du neuf en assurance R.C. automobile, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 219, n° 58.
(135) Dans le même sens: P. VAN OMMESLAGHE, «L'assurance de la responsabilité civile
des administrateurs ... », R.D.C., 1994, p. 293, n° 12.

219
VINCENT CALLEWAERT

59. Une autre hypothèse dans laquelle les polices R.C. mandataires so-
ciaux prévoient habituellement la déchéance de la garantie est celle dans la-
quelle la réclamation du tiers lésé est fondée sur un avantage pécuniaire ou
en nature ou une rémunération auquel un assuré n'avait pas légalement droit.

Confirmant en cela la qualification de déchéance, les polices précisent, le


plus souvent, que cette «exclusion» ne s'applique qu'à l'assuré qui a effecti-
vement bénéficié de l'avantage oude la rémunération. Cette précision a no-
tamment pour conséquence que lorsque la responsabilité est solidaire (viola-
tion du Code des sociétés ou des statuts sociaux), seul l'auteur de l'infraction
est privé de garantie (136). Les polices ajoutent, par ailleurs, que le refus de
garantie ne sera applicable que si une décisionjudiciaire ou arbitrale définiti-
ve a démontré que 1' assuré a effectivement bénéficié de l' avantage litigieux
ou que celui-ci a reconnu avoir bénéficié dudit avantage. C'est à l'assureur
qu'il appartiendra de rapporter la preuve de cette situation et du lien causa!
<levant unir ce manquement à la survenance du dommage.

60. Enfin, certaines polices d'assurance R.C. dirigeants précisent que si,
en cours de contrat, les assurés ne respectent pas «les obligations de préven-
tion imposées par la compagnie», cette dernière aura le droit de décliner sa
garantie «à condition que ce manquement soit en relation causale avec la
survenance du sinistre».

A première vue, une telle clause paraît tout à fait conforme au prescrit de
l'article 11 de la loi du 25 juin 1992. Elle rappelle en effet l'exigence de
causalité imposée par cette disposition. Au bénéfice d'une analyse plus atten-
tive, on constate toutefois que la sanction que cette clause institue ne concer-
ne pas une «obligation déterminée imposée par le contrat», comme l'exige
l'article 11 précité, mais les «obligations imposées par la compagnie» sans
autre précision, et alors que le contrat dans lequel cette clause s'inscrit ne
prévoit aucune mesure de prévention. Cette absence de détermination frappe
à notre avis la clause de nullité. Il serait en effet contraire à l' économie du
contrat que l' assureur puisse déterminer unilatéralement, en cours de contrat,
les obligations de prévention dont Ie non-respect serait sanctionné par une
déchéance de la garantie.

(136) Dans Ie même sens: Fr. NYSSENS, «L'assurance responsabilité des dirigeants: évolu-
tions récentes», D.A.O.R., n° 2004/70, p. 22.

220
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

§ 2. Les exclusions (137)

61. Au rang des exclusions de garantie - et outre les exclusions classiques


relatives à la guerre, au terrorisme, etc. -, on relèvera, tout d'abord, Ie refus
des assureurs R.C. dirigeants de couvrir les réclamations visant à obtenir la
réparation de dommages corporels ou matériels. La couverture de ces dom-
mages entre en effet dans Ie champ d'application d'autres garanties d'assu-
rance, à savoir la garantie R.C. exploitation ou R.C. produits. Plusieurs poli-
ces précisent toutefois que la réparation du préjudice mora! qui pourrait ré-
sulter d'une réclamation liée aux rapports sociaux reste couverte, de même
que les frais de défense exposés pour contester toute demande en réparation
des dommages précités.

Pour les mêmes motifs, les dommages résultant d'une pollution sont habi-
tuellement exclus de la garantie. Certaines polices d'assurance précisent tou-
tefois que cette exclusion ne s'applique pas aux frais de défense exposés en
vue de contester une demande en réparation pour cause de pollution, ni aux
actions sociales qui seraient exercées par un ou plusieurs actionnaires. Les
administrateurs veilleront, en tout état de cause, à ce que la société pour la-
quelle ils exercent leur mandat bénéficie d'une couverture spécifique contre
le risque environnemental ou, à tout Ie moins, que la garantie R.C. exploita-
tion souscrite par la société contienne une couverture de la «pollution» ( 138).
Leur responsabilité personnelle pourrait en effet être engagée s'il apparais-
sait, par exemple, que la pollution résulte d'une infraction à la réglementation
en matière d' environnement qui leur est imputable (139).

Dans Ie souci d'éviter tout recoupement avec l'assurance R.C. professionnel-


le, certaines polices prennent également Ie soin de préciser que les sinistres
ayant pour origine la prestation de services et/ou de conseils professionnels
ou Ie défaut de rendre de tels services et/ou conseils sont exclus.

62. Les amendes pénales, fiscales, administratives et/ou disciplinaires font


également systématiquement partie des risques exclus de la garantie.

( 137) Pour une analyse des exclusions fréquemment rencontrées au sein des polices distri-
buées sur Ie marché belge à la fin des années nonante, voy.: M. DALLE, «De verzekering
burgerrechtelijke aansprakelijkheid van maatschappelijk lasthebbers. Een vergelijking van al-
gemene voorwaarden», R.G.A.R., 1998, n° 12881, n°' 30 et s.
(138) Pour une analyse récente de ces assurances, voyez notamment V. CALLEWAERT, «As-
surances et responsabilité environnementale», Entreprises, responsabilités et environnement,
Kluwer, Bruxelles, 2004, pp. 69-108; G. HEUNINCK, «Dommage à l' environnement. Assu-
rabilité et solutions existantes», Le Monde de ['assurance, doe. n° 1, 2004, pp. 6 ets.
(139) J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, Bruxelles, Larcier, 2004, p.
338, n° 182.

221
VINCENT CALLEW AERT

Cette exclusion n' est guère surprenante. Sous peine de violer l' ordre public,
l'assurance ne peut en effet placer l'assuré à l'abri des conséquences d'une
pénalité découlant de la loi. On sera toutefois attentif au fait que cette exclu-
sion ne concerne que l' amende en tant que telle et non les frais de défense
éventuellement exposés par l'assuré aux fins de contester sa culpabilité. Sous
la réserve des clauses prévoyant un remboursement en cas de condamnation,
de tels frais restent en principe couverts par Ie contrat d'assurance R.C. diri-
geants (140).

63. Pour éviter les risques de collusion entre assurés, la plupart des polices
excluent, par ailleurs, les réclamations faites par, au nom ou pour Ie compte
des assurés oude la société assurée (c'est-à-dire Ie preneur d'assurance) (141)
(142). Les conditions générales des contrats précisent toutefois, Ie plus sou-
vent, que cette exclusion ne concerne que les réclamations introduites <levant
les juridictions des pays de common law ou fondées sur Ie droit de l'un de ces
pays et qu'elle ne concerne pas les réclamations qui pourraient être introdui-
tes sous la forme d'une action sociale (actio mandati), ni celles qui pourraient
être introduites par un assuré ayant quitté ses fonctions au sein de la société
assurée depuis plus de deux ans.

64. Enfin, bien que l' exclusion ne soit pas reprise par toutes les polices que
nous avons pu analyser (143), plusieurs assureurs excluent de leur garantie
les réclamations relatives aux valeurs mobilières ou au placement de valeurs
mobilières, ainsi que les réclamations ayant pour origine la violation de droits
ou obligations prévus par la loi ou la réglementation de tout pays de common
law. La première de ces exclusions s'explique par Ie fait que l'assurance R.C.
dirigeants n'a pas pour objet de couvrir Ie risque lié à la fluctuation des mar-
chés boursiers. La seconde témoigne, une fois encore, de la réticence des
assureurs à couvrir les responsabilités susceptibles d'être appréciées au re-
gard du droit américain.

(140) Dans Ie même sens, voyez notamment: F. NYSSENS, op.cit., p. 22.


( 141) Fr. NYSSENS, «L' assurance responsabilité des dirigeants: évolutions récentes», D.A. O.R.,
2004/70, p. 23; J. ROGGE, «L'assurance de la responsabilité civile des mandataires sociaux.
Situation en Europe», Bull. Ass., 1998, n° 324, p. 297; P. VAN OMMESLAGHE, «L'assurance
de la responsabilité civile des administrateurs ... », R.D.C., 1994, p. 297.
(142) Les contrats prévoient également, bien souvent, une exclusion des réclamations faites
par une entité extérieure à la société et qui seraient introduites devant une juridiction des pays
de common law.
(143) Certaines polices d'assurance font en effet de la couverture des réclamations relatives
aux valeurs mobilières une extension contractuelle de garantie.

222
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIYILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

SECTTON 4
L'ÉTENDUE DE LA GARANTIE DANS L'ESPACE

65. Sur le plan territorial, la couverture qui est accordée par les assurances
R.C. mandataires sociaux est généralement assez large, La majorité des poli-
ces du marché beige précisent en effet que la garantie qu'elles contiennent
couvre les réclamations introduites à l' encontre des assurés dans le monde
entier, à l' exclusion toutefois de celles qui seraient introduites <levant des
juridictions ou sur la base de la législation des Etats-Unis d' Amérique et du
Canada (144).

Cette exclusion des actions diligentées en application du droit américain s' ex-
plique par la sévérité avec laquelle les procès en responsabilité sont habituel-
lement traités dans ces pays. Différents facteurs sont à l' origine de cette sévé-
rité: l'existence de punitive and exemplary damages, la possibilité d'intro-
duire des class action, l'intervention de jurys populaires, etc (145). Moyen-
nant surprime, certaines compagnies semblent néanmoins disposées à suppri-
mer ces limitations et à couvrir les réclamations introduites dans Ie monde
entier.

SECTION 5
L'ÉTENDUE DE LA GARANTIE DANS LE TEMPS

66. Une question qui doit certainement retenir l'attention de la société et


de ses dirigeants au moment de conclure une assurance R.C. mandataires
sociaux est celle de l 'étendue de la garantie dans le tem ps.

La responsabilité civile des dirigeants de sociétés est en effet un risque qui


peut s'inscrire dans la durée. Entre la faute commise par un administrateur
(fait générateur), l'apparition des premières conséquences de celle-ci (mani-
festation du dommage) et, enfin, l'introduction d'une demande d'indemnisa-
tion (réclamation), il peut effectivement s' écouler un laps de temps impor-
tant.

(144) Certaines polices d'assurance formulent cette exclusion de manière quelque peu diffé-
rente en se référant «aux Etats-Unis d' Amérique ainsi qu'à ses états, territoires ou posses-
sions».
( 145) Dans un sens comparable, voy.: Fr. NYSSENS, «L' assurance responsabilité des diri-
geants: évolutions récentes», D.A.O.R., 2004, p. 26.

223
VINCENT CALLEWAERT

Dans ces conditions, il est donc primordial de vérifier si l' assureur accepte de
couvrir les réclamations qui sont introduites pendant la durée du contrat ( 146)
mais qui se rapportent à une faute commise avant la prise de cours de la
garantie: c'est la question de l'antériorité (sous-section 1). Il faut également
examiner si la garantie couvre les réclamations introduites après la fin du
contrat: c' est la question de la postériorité (sous-section 2).

Sous-section 1
L'antériorité ou la reprise du passé

67. La couverture du risque d'antériorité ne fait, en droit beige, l'objet


d'aucune réglementation (147). La seule disposition que la loi du 25 juin
1992 consacre à la problématique de la couverture dans le temps ne règle en
effet que les obligations de l'assureur postérieures à l'expiration du contrat
(art. 78) (148). La couverture éventuelle du risque d' antériorité est donc lais-
sée à la liberté des parties.

Dans la pratique, les assureurs accordent, Ie plus souvent, une garantie «re-
prise du passé». La plupart des polices d' assurance R.C. dirigeants indiquent
ainsi que sont exclues de la garantie les réclamations ayant pour origine une
procédure amiable, judiciaire ou arbitrale antérieure à la date de reprise du
passé - appelée parfois «date de rétroactivité» - fixée au sein des conditions
particulières. Interprétée a contrario, une telle clause d'exclusion implique
que toutes les réclamations qui sont introduites pendant la durée de la garan-
tie et qui sont relatives à des faits survenus postérieurement à la date de repri-
se du passé sont, en principe, couvertes dans les limites de la garantie.

Certaines polices excluent, au contraire, tous les sinistres relatifs à des fautes
commises à une date antérieure à la date de reprise du passé et dont les assu-

(146) Toutes les polices d'assurance R.C. dirigeants que nous avons pu analyser sont d'une
durée d'un an. Rien n'empêcherait pourtant les assureurs de prévoir une durée différente (voy.,
à eet égard, l' art. 30, § 2 de la loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d' assurance terrestre et l' art. 1er
de I' A.R. du 24 décembre 1992 portant exécution de la loi précitée).
(147) Voy. toutefois la position de M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3e éd.,
Bruxelles, Larcier, 2006, p. 421, qui reconnaît néanmoins que «la solution la plus plausible est
que la couverture du risque d'antériorité est laissée à la liberté des conventions».
(148) Pour une analyse de cette disposition, voy. not.: H. DE RODE, «Les assurances de res-
ponsabilité», Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre VII, Livre 70, 2005, pp. I 9-
21; B. DUBUISSON, «Rapport beige concernant l'assurance de la responsabilité civile: cou-
verture dans Ie temps», Assurance de la responsabilité civile: couverture dans le temps, Maklu,
An vers, 1997, pp. 69-88; Ph. COLLE, Algemene beginselen van het Belgisch verzekeringsrecht,
Intersentia,Anvers, 2006, pp. 157-167; M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, pp. 419-
422.

224
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

rés avaient ou devaient avoir connaissance. En pareil cas, l'assurance doit


alors être comprise comme couvrant toutes les réclamations introduites pen-
dant la période de garantie, que celles-ci soient relatives à des fautes commi-
ses pendant ou avant cette période, étant toutefois entendu que seront seules
couvertes les réclamations relatives à des événements dont l'assuré n'avait
pas ou n'aurait pas dû avoir connaissance au moment de la conclusion du
contrat. Il s' agit donc, en d' au tres termes, d'une couverture totale de l' anté-
riorité pour Ie passé inconnu (149).

Enfin, on se souviendra qu'en ce qui concerne les filiales acquises ou créées


en cours de contrat, la garantie est, en principe, limitée aux réclamations in-
troduites pendant la durée du contrat et fondées sur des fautes commises pos-
térieurement à la date à laquelle la société est devenue une filiale du preneur
d'assurance (voy., supra, n° 32).

Sous-section 2
La postériorité

68. Contrairement à celle relative au risque d'antériorité, la couverture du


risque de postériorité est réglée, de manière impérative par la loi. En son
article 78, § 1er, la loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d' assurance terrestre
dispose en effet que «la garantie d'assurance porte sur le dommage survenu
pendant la durée du contrat et s 'étend aux réclamations formulées après la
fin de ce contrat» (150). La couverture du risque de postériorité est dorre en
principe obligatoire.

Cédant à la pression des assureurs et des réassureurs, Ie législateur est toute-


fois venu compléter, en 1994 (151), l'article 78 d'un second paragraphe auto-
risant, à certaines conditions, 1' insertion de clauses dites «claims made» (ou
base réclamation) dans les contrats portant sur les branches de la responsabi-
lité civile que Ie Roi détermine et dont font partie les polices couvrant la
responsabilité des dirigeants de sociétés ( 152).

( 149) F. NYSSENS, «L' assurance responsabilité des dirigeants: évolutions récentes», D.A.O.R.,
2004, p. 23.
( 150) Voy., à eet égard, les références citées ei-des sus sous la noten° 148.
(] 51) Pour une analyse de l'évolution qu'a connue l'article 78, voy. not.: P.-H. DELVAUX et
M. FONTAINE, «Le nouveau régime du contrat d'assurance terrestre. Loi du 25 juin 1992, loi
modificative du 16 mars 1994, arrêtés d'exécution»,J.T., 1995, pp. 335-336; C. VAN SCHOU-
BROECK et G. SCHOORENS, «De aansprakelijkheidsverzekering: a never ending story?»,
T.P.H./R.D.C., 1995, p. 645 ets.
(152) Voy., à eet égard, l'article 6bis de l'arrêté royal du 24 décembre 1992 portant exécution
de la loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d'assurance terrestre.

225
VINCENT CALLEW AERT

La portée de ces clauses claims made est bien connue (153). En utilisant la
réclamation de la victime comme critère de rattachement, elles indiquent que
la garantie de l' assureur est limitée aux seules demandes des personnes lésées
introduites en cours de contrat, la postériorité étant, par conséquent exclue de
la couverture. Tel est bien Ie sens de l'article 78, § 2, alinéa 1er, lorsqu'il
dispose que«(. .. ) les parties peuvent convenir que la garantie d'assurance
porte uniquement sur les demandes en réparationformulées par écrit à l'en-
contre del' assuré oude l 'assureur pendant la durée du contrat pour un dom-
mage survenu pendant cette même période».

Cette exclusion du risque de postériorité n'est toutefois pas autorisée sans


limites. Aussitöt après avoir consacré la légalité des clauses claims made,
J'article 78, § 2 précise en effet que, lorsque cette clause est insérée dans les
conditions générales, l' assureur reste néanmoins tenu de couvrir les deman-
des en réparation formulées par écrit à son encontre ou à celui de l'assuré
dans un délai de trente-six mois à compter de la fin du contrat. Pour être
prises en considération, ces demandes en réparation doivent cependant se
rapporter soit à un dommage survenu pendant la durée du contrat si, à la fin
de ce contrat, Ie risque n'est pas couvert par un autre assureur, soit à des actes
ou des faits pouvant donner lieu à un dommage survenu et déclaré à l'assu-
reur pendant la durée du contrat.

L' admission des clauses claims made est donc contenue dans des limites qui
tiennent compte des intérêts de l'assuré.

69. Dans la pratique, toutes les compagnies qui pratiquent l' assurance R.C.
dirigeants font bien entendu, usage de la dérogation légale instituée par 1' ar-
ticle 78, § 2 précité.

Paraphrasant les termes de cette disposition, les polices d' assurances préci-
sent ainsi que si la garantie porte en principe uniquement sur les réclamations
introduites pendant la durée du contrat ( claims made), «sont également prises
en considération, à condition qu 'elles soient formulées par écrit à l 'encontre
du preneur d 'assurance, des assurés oude l 'assureur dans un délai de soixante
mois à compter de la date de fin du contrat, les réclamations relatives:

- à une faute professionnelle survenue pendant la durée du contrat si, à la


fin de ce contrat, Le risque n 'est pas couvert par un autre assureur;

(153) Pour une analyse approfondie de cette clause, voyez not.: B. DESCHAMPS, «Claims-
made: l'alternative?», R.G.A.R., 1988, n° 11335.

226
L"ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

- à des actes ou des faits pouvant donner lieu à un dommage, survenus et


déclarés à l'assureur pendant la durée de ce contrat».

On observera que la couverture ainsi consentie est plus large que celle prévue
par l' article 78, § 2 de la loi du 25 juin 1992. Là ou cette demière n' impose
qu'une couverture de la postériorité durant les trente-six mois qui sui vent la
fin du contrat, les polices R.C. mandataires sociaux accordent en effet une
couverture s'étalant sur les soixante mois qui suivent cette fin du contrat.

L' objectif d'une telle extension contractuelle est manifestement de faire cor-
respondre la période de postériorité avec le délai de prescription qui est atta-
ché aux actions en responsabilité dirigées contre les administrateurs (art. 198
C. soc.) (154). Gràce à cette extension, le dirigeant qui est amené à quitter son
mandat social peut donc en principe compter sur le bénéfice de la couverture
d'assurance pour les fautes qu'il aurait commises dans le cadre dudit mandat
et qui feraient l'objet d'une réclamation dans les cinq ans qui suivent son
départ.

Si la période de postériorité est, au contraire, inférieure au délai de prescrip-


tion de cinq ans, le dirigeant veillera évidemment à faire couvrir ses éventuel-
les fautes passées par un nouveau contrat d' assurance, qui accorde une cou-
verture suffisamment étendue du risque d'antériorité. Il y sera attentif non
seulement s'il quitte son mandat social pour exercer un autre mandat au sein
d'une autre société, mais aussi s'il met un terme définitif à ses activités de
dirigeant. A défaut, la combinaison des clauses de garantie de l'un (postério-
rité limitée à trois ans) et l'autre (exclusion de l'antériorité) des contrats d'as-
surance appelés à se succéder dans Ie temps pourrait 1' amener à se retrouver
sans couverture dans l'hypothèse ou une réclamation relative à une faute com-
mise avant son départ serait formulée plus de trois ans après celui-ci.

( 154) Fr. NYSSENS, «L' assurance responsabilité des dirigeants: évolutions récentes», D.A. O.R.,
2004, p. 23. Sur la prescription, voy. not.: D. VAN GERVEN etA. FONTAINE, «La responsa-
bilité civile et pénale des mandataires sociaux», Responsabilités. Traité théorique et pratique,
Titre II, dossier 24, Kluwer, Bruxelles, 2005, p. 20.

227
VINCENT CALLEW AERT

TITRE 5
QUESTIONS LIEES AU REGLEMENT DU SINISTRE

70. Définie conceptuellement comme la réalisation du risque assuré, la no-


tion de «sinistre» est délicate à appréhender en assurance de la responsabilité.

Pour se réaliser pleinement, le risque assuré (la responsabilité de l' assuré)


nécessite en effet la réunion de différents événements (faute de l' assuré, sur-
venance du dommage, réclamation de la victime, exercice d'une action judi-
ciaire, condamnation del' assuré) qui peuvent s' étaler dans la durée. Dans ces
conditions, il n'est pas toujours aisé de déterminer le moment précis à partir
duquel on peut considérer que l' on est en présence d'un sinistre. Cette ques-
tion est pourtant primordiale quand on sait l'effet «déclencheur» que joue le
sinistre au regard de plusieurs obligations de l'assureur et de l'assuré, ainsi
que du droit, pour la victime, d' exercer l' action directe que lui reconnaît la loi
sur les assurances (art. 86). Sans vouloir régler ici toutes les questions que
suscite la notion de sinistre (155), nous épinglerons quelques-unes des diffi-
cultés que celle-ci peut poser dans le contexte de l'assurance R.C. dirigeants.

SECTION 1
LA DÉFINITION DU SINISTRE

71. La loi du 25 juin 1992 sur le contrat d' assurance terrestre ne donne
aucune définition générale de la notion de sinistre. Il faut donc nécessaire-
ment s'en référer aux conditions générales des contrats.

A eet égard, la plupart des polices d'assurance R.C. dirigeants définissent Ie


sinistre comme «la réclamation ou l' ensemble des réclamations relatives à la
même faute introduite pendant la période de garantie». Par «réclamation», la
police vise aussi bien l'exercice d'une action judiciaire que toute demande
écrite visant à mettre en cause la responsabilité d'un assuré, voire une enquê-
te pénale ou administrative.

En se référant de la sorte à la réclamation de la victime, cette définition du


sinistre fait de la demande en réparation du tiers lésé un événement détermi-
nant. Nous avons vu que cette définition a une incidence sur l'étendue de la
garantie dans Ie temps.

(155) Pour une analyse générale de cette problématique, voyez not.: M. FONTAINE, «La
notion de sinistre dans les assurances de responsabilités et les assurances de frais», Mélanges
Lambert. Droit et économie del' assurance et de la santé, Paris, Dalloz, 2002, pp. 199-208; du
même auteur, Précis de droit des assurances, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 412-415; H.
DE RODE, «Les assurances de responsabilité», Responsabilités. Traité théorique et pratique,
Titre VII, livre 70, vol. 1, 2005, pp. 11-13.

228
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIR!GEANTS DE SOCIETES

On sera, par ailleurs, attentif au fait que la définition du sinistre précitée con-
tient également une clause dite de sinistres sériels. En indiquant que Ie sinis-
tre s'entend non seulement d'une réclamation, mais également de «!'ensem-
ble des réclamations relatives à une même faute», cette définition impose en
effet de considérer que la série de réclamations que pourrait entraîner une
même faute doit être considérée comme constituant un seul et même sinistre.
Cette précision n' est pas sans incidences. Elle implique, par exemple, qu' en
cas de sinistre, Ie plafond de garantie fixé par l' assureur ne sera appliqué
qu'une seule fois au regard du montant que représente !'ensemble des récla-
mations. Une telle limitation n'est évidemment pas de l'intérêt des victimes,
ni des assurés.

72. A cóté de la définition que nous venons d'analyser, certaines polices


d' assurance R.C. dirigeants décrivent le sinistre comme «les conséquences
pécuniaires que les assurés sont personnellement tenus de payer en raison
d'une décision d'un tribunal civil, administratif ou répressif, d'une sentence
arbitrale ou d'une transaction passée avec le consentement écrit del' assureur,
suite à toute réclamation introduite à leur encontre pendant la période d'assu-
rance».

Une telle définition du sinistre est, à notre avis, critiquable.

En faisant de la condamnation personnelle de l'assuré une condition d'inter-


vention de l'assureur, cette définition entrave en effet l'exercice de l'action
directe que la loi reconnaît aux personnes lésées (art. 86 de la loi du 25 juin
1992). S'il n'est pas contestable que l'assureur ne doit intervenir que si la
responsabilité de son assuré est établie, c'est effectivement priver l'action
directe d'une part importante de son efficacité que d'exiger que la victime
obtienne préalablement la condamnation personnelle de l 'assuré.

SECTION 2
LES OBLIGATIONS DEL' ASSURÉ EN CAS DE SINISTRE

73. La survenance du sinistre fait naître différentes obligations dans Ie chef


de l'assuré.

La première d'entre elles est celle de prévenir et d'atténuer les conséquences


du sinistre (art. 20 de la loi du 25 juin 1992) (156).

(156) Pour un commentaire de cette disposition, voy.: M. FONTAINE, Précis de droit des
assurances, 3c éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 207-215; J.-L. FAGNART, «Droit privé des
assurances terrestres», Traité pratique de droit commercial, t. III, Story Scientia, 1998,
.. ./ ...

229
VINCENT CALLEW AERT

Cette obligation légale est rarement rappelée par les polices d'assurance R.C.
dirigeants. Ces dernières prennent, en revanche, le soin d'indiquer les limites
dans lesquelles les frais - <lits de sauvetage - que les assurés exposeraient en
vue de limiter les conséquences du sinistre oud' empêcher la survenance d'un
sinistre imminent sont à charge de l'assureur. On sait, à eet égard, que l'assu-
reur est en principe tenu de supporter ces frais même au-delà du plafond de sa
garantie, pour autant que ceux-ci aient été exposés dans le respect des condi-
tions énoncées par l' article 52 de la loi du 25 juin 1992. Sous la pression des
assureurs, cette règle a toutefois été atténuée pour certaines assurances de la
responsabilité au rang desquelles figure la couverture R.C. dirigeants. Sans
surprise, les assureurs qui pratiquent cette dernière branche font unanime-
ment usage de cette possibilité de limitation en reprenant au sein du contrat
les limites fixées par l' article 4 de l' arrêté royal du 24 décembre 1992 portant
exécution de la loi du 25 juin 1992.

Afin d'éviter que les dirigeants ne pensent à imputer le coût de mesures cor-
rectrices de leurs activités à l'assureur, plusieurs polices d'assurance R.C.
dirigeants précisent, par ailleurs, que les coûts des produits ou prestations de
services qui sont engagés afin de pallier un dysfonctionnement des produits
ou une mauvaise prestation de services de la société sont expressément ex-
clus de la garantie. Si une telle exclusion peut se comprendre, on lui préférera
la limitation qui est énoncée par certains contrats et selon laquelle restent à
charge de l' assuré non seulement les frais découlant de mesures tendant à
prévenir un sinistre garanti en l' absence de <langer imminent, mais aussi les
frais qui résultent du retard ou de la négligence de l'assuré à prendre des
mesures de prévention qui auraient dû l'être antérieurement. Ces limitations
correspondent en effet davantage aux conditions fixées par l' article 52 de la
loi du 25 juin 1992.

74. La seconde obligation qu'a l'assuré en cas de sinistre est, bien entendu,
de déclarer ce dernier à l'assureur (art. 19 de la loi du 25 juin 1992) (157).

A eet égard, les polices d'assurance R.C. dirigeants imposent généralement


aux assurés de déclarer le sinistre par écrit, dès que possible, et au plus tard
.. ./ ...
n°' 122 à 126; Ph. COLLE, Algemene beginselen van het Belgish verzekeringsrecht, 4e éd.,
Anvers, Intersentia, 2006, pp. 63-68; M.-A. CRIJNS, «La loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat
d'assurance terrestre. Philosophie générale et présentation des dispositions communes à tous
les contrats», Droit des assurances, éd. CUP, vol. XIII, 1997, pp. 52-55.
(157) Pour un commentaire de cette disposition, voy.: M. FONTAINE, Précis de droit des
assurances, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 216-218; J.-L. FAGNART, «Droit privé des
assurances terrestres», Traité pratique de droit commercial, t. III, Story Scientia, 1998, n° 127,
p. 93; Ph. COLLE, Algemene beginselen van het Belgish verzekeringsrecht, 4e éd., Anvers,
Intersentia, 2006, pp. 68-71.

230
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

dans les trente jours - certaines polices fixent ce délai à dix jours - à compter
de la réclamation du tiers lésé. Les polices d'assurance sanctionnent généra-
lement le non-respect de ce délai par une réduction de la prestation de l' assu-
reur à concurrence du préjudice subi (158). Cette sanction est parfaitement
légale (art. 21 de la loi du 25 juin 1992). On rappellera néanmoins que lors-
que l' assuré a déclaré le sinistre «aussi rapidement que cela pouvait raisonna-
blement se faire», l'assureur ne peut pas se prévaloir d'un non-respect du
délai fixé contractuellement (art. 19, § 1er, al. 2 de la loi du 25 juin 1992).

Contrairement à ce qui se fait dans les autres assurances de la responsabilité,


les polices d'assurance prennent le plus souvent Ie soin de détailler les infor-
mations que l'assuré est tenu de joindre à sa déclaration de sinistre (identité
des parties, estimation des conséquences pécuniaires, copie de l' assignation,
etc.). Ces informations ont naturellement pour objet d' éclairer au mieux l'as-
sureur sur l'importance du sinistre et, partant, sur les montants qu'il devra
provisionner pour y faire face.

Enfin, on observera que la plupart des garanties indiquent que toutes les ré-
clamations résultant d'une même faute «sont réputées introduites à la date à
laquelle la première d'entre elles a été introduite». Cette précision confirme
qu' au re gard de la garantie R.C. dirigeants, l' ensemble des déclarations rela-
tives à un même fait générateur sont considérées ne constituer qu 'un seul et
même sinistre (clause dite des sinistre sériels) et que ce dernier est réputé
s' être intégralement réalisé au jour de la première réclamation.

75. La survenance du sinistre fait encore naître dans Ie chef de l' assuré
d' autres obligations spécifiques aux assurances de la responsabilité. Il s' agit
notamment de l'obligation de transmettre à l'assureur tous les documents en
rapport avec la réclamation du tiers lésé (art. 80 de la loi du 25 juin 1992) et
de comparaître à toute mesure d'instruction ordonnée par Ie tribunal (art. 81 ).
L' application de ces obligations ne présente toutefois pas de spécificité parti-
culière en assurance R.C. dirigeants. On nous permettra donc de renvoyer
aux commentaires généraux consacrés à ces obligations ( 159).

SECTION 3
L' ACTION DIRECTE DU TIERS LÉSÉ

76. Une autre conséquence importante qui est attachée à la survenance du


sinistre est qu'elle ouvre à la personne lésée le droit d'exercer l'action directe
(158) En cas de fraude, I' assuré sera, en principe, déchu de la garantie (art. 21, § 2 de la loi du
25 juin 1992).
(159) Voy. not.: M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3e éd., Bruxelles, Larcier,
2006, p. 430; J.-L. FAGNART, Droit privé des assurances terrestres, 1998, pp. 253-255.

231
VINCENT CALLEW AERT

qui lui est reconnue par la loi contre l'assureur (art. 86 de la loi du 25 juin
1992) (160). C'est la survenance du dommage qui constitue ici l'événement
ouvrant droit à l'action (161).

Si la victime conserve naturellement la possibilité de mettre directement en


cause la responsabilité personnelle de l' assuré, elle dispose donc également
d'un droit propre et direct contre l'assureur (162). Par rapport à une action
dirigée contre l'assuré, l'action directe présente eet avantage que l'indemnité
due par l' assureur ne transite pas par le patrimoine du responsable mais tom-
be directement dans l'escarcelle de la victime. L'indemnité échappe donc au
concours des éventuels créanciers du responsable assuré.

77. Cette action directe du tiers lésé appelle certaines réflexions dans le
contexte de l'assurance R.C. dirigeants.

La consécration légale del' action directe par la loi du 25 juin 1992 incite tout
d'abord à <louter sérieusement de la légalité de la clause dite de confidentia-
lité que l' on retrou ve encore au sein de certaines polices et en vertu de laquel-
le l'assuré s'interdirait de divulguer l'existence de la police sans le consente-
ment de l'assureur (163). Une telle exigence est en effet difficilement conci-
liable avec le caractère impératif de l'article 86 de la loi précitée. Même si
l'on peut comprendre le souhait des assureurs d'éviter l'effet d'appel que
peut constituer la présence d'une police d' assurance, il ne peut effectivement
être exigé de l'assuré qu'il cèle l'existence de sa garantie d'assurance. Pré-
tendre le contraire reviendrait à exiger des assurés qu'ils adoptent un com-
portement contraire au principe général de bonne foi.

78. Une autre question qui mérite l'attention est celle de savoir si l'exerci-
ce de l'action directe est soumis aux exigences de l'article 561 du Code des
sociétés (actio mandati) lorsque la réclamation émane de la société qui a sous-
crit le contrat d'assurance.

( 160) Pour un commentaire de cette disposition et du régime de l'action directe, voy. not.: B.
DUBUISSON, «L'action directe et l'action récursoire», La loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat
d'assurance terrestre. Dix années d'application, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2003,
pp. 147-177 et les nombreuses références citées.
(161) Dans Ie même sens: M. FONTAINE, «La notion de sinistre dans les assurances de res-
ponsabilités et les assurances de frais», Mélanges Lambert. Droit et économie de l'assurance
et de la santé, Paris, Dalloz, 2002, p. 202.
( 162) M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2006, p. 442.
(163) Dans un sens comparable, voy.: P. VAN OMMESLAGHE, «L'assurance de la responsa-
bilité civile des administrateurs ... », R.D.C., 1994, pp. 303-304.

232
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

On sait que sur la base de cette disposition - qui énonce que «l'assemblée
générale décide s'il y a lieu d'exercer l'action sociale contre les administra-
teurs ou les commissaires» - la jurisprudence a, à plusieurs reprises, déclaré
irrecevable l' action sociale intentée à l' encontre d'un administrateur en l' ab-
sence d'une décision de l'assemblée générale des actionnaires d'agir en ce
sens (164). La Cour de cassation elle-même, par un arrêt du 25 septembre
2003, a dit pour droit qu' «une action sociale exercée à l'encontre d'un admi-
nistrateur par une société, même représentée en justice par un organe compé-
tent à eet effet, ne peut être admise si l' assemblée générale ne décide pas
d'exercer cette action» (165).

Dans ces conditions, la question est dès lors de savoir si, pour être recevable,
l' action directe exercée par la société contre l' assureur R.C. dirigeants néces-
site ou non la production de la décision de l' assemblée générale des action-
naires d'engager la responsabilité du dirigeant fautif.

A eet égard, il nous semble qu'il serait certainement excessif d'exiger de la


société qu'elle prouve avoir formellement pris la décision d'exercer l'action
sociale contre !'administrateur fautif. En appelant l'assureur en garantie, la
société n 'exerce en effet pas cette action sociale, mais l' action directe que lui
reconnaît la loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d'assurance (art. 86). Il reste
cependant que pour obtenir de l'assureur qu'il preste sa garantie, la société
devra nécessairement établir la responsabilité de !'administrateur que celui-
ci couvre. Dans ce contexte, l'assureur peut en principe opposer à la société
toutes les exceptions que son assuré (!'administrateur) aurait pu opposer à
cette dernière (partage de responsabilité, prescription, etc.) (166).

Pour concilier les intérêts en présence, et dans Ie respect du principe d'effica-


cité qui commande l' action directe ( 167), il nous semble dès lors qu' il y a lieu
(164) J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2e éd., Bruxelles, Larcier,
2004, p. 153 et les références citées.
(165) Cass., 25 septembre 2003, R.D.C., 2005, p. 382, avec la note de S. GILCART, «Action
sociale contre un administrateur de société anonyme: décision préalable de l'assemblée géné-
rale».
(166) Le régime d'inopposabilité des exceptions institué par l'article 87 de la loi du 25 juin
1992 n' empêche en effet pas l' assureur d' opposer à la victime les exceptions liées à la <lette de
responsabilité de l'assuré. L'action directe est en effet «dépendante de la <lette de responsabi-
lité de l'assuré». Sur cette question, voy.: B. DUBUISSON, «L'action directe et l'action récur-
soire», La loi du 25 juin 1992 sur Ie contra! d'assurance terrestre. Dix années d'application,
Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2003, p. 162, n° 23; P. WERY, «L'action oblique et
les actions directes», La théorie générale des ohligations (suite), éd. CUP, vol. 57, 2002, p. 35.
(167) Sur cette question, voyez la remarquable analyse de P. WERY, «L'action oblique et les
actions directes en droit beige», Inhoud en werking van de overeenkomst naar Belgisch en
Nederlands recht, J. SMITS et S. STIJNS (éds.), Anvers, Intersentia, 2005, p. 331 et s., qui
relève notamment que «l 'action directe étant l 'ceuvre du législateur, celui-ci peut l 'organiser à
.../. ..

233
VINCENT CALLEW AERT

de considérer que la décision qui est (nécessairement) prise par l'assemblée


générale de la société d'appeler l'assureur R.C. dirigeants en garantie s'assi-
mile de facto à la décision visée à l' article 561 du Code des sociétés. Le fait
que cette assemblée générale s'en soit «tenue» à cette décision et n' ait pas
formellement décidé d'exercer l'action sociale contre !'administrateur - ce
qui s'explique, nous l'avons dit, par le fait qu'elle ne va pas exercer cette
action, mais bien l' action directe - ne constitue donc pas, à nos yeux, une
cause d'irrecevabilité de l'action directe exercée par la société contre l'assu-
reur de !'administrateur dont la responsabilité est mise en cause.

SECTION 4
LES OBLIGATIONS DE L' ASSUREUR EN CAS DE SINISTRE

79. Si la survenance du sinistre crée des obligations dans le chef de l'assu-


ré, elle en impose également dans celui de l'assureur.

La première de ces obligations est celle de prendre fait et cause pour !' assuré.
L' article 79, alinéa 1er de la loi du 25 juin 1992 dis pose ainsi qu' «à partir du
moment ou la garantie de l'assureur est due, et pour autant qu'il y soit fait
appel, celui-ci a l'obligation de prendre fait et cause pour l'assuré dans les
limites de la garantie».

Nous avons déjà eu l' occasion de relever plus haut que les polices d' assuran-
ce R.C. dirigeants ne rendent pas toujours compte de cette obligation avec la
rigueur requise. En traitant simultanément la question de la défense civile des
assurés et la garantie des frais liés à la défense pénale de ces demiers, les
polices créent en effet une confusion entre des couvertures fondamentale-
ment distinctes.

80. La seconde obligation à laquelle la survenance du sinistre donne nais-


sance dans Ie chef de l' assureur est bien entendu celle de prester la garantie
convenue. Une fois que la responsabilité du dirigeant est établie et que le
sinistre entre dans le périmètre de garantie de l' assureur, celui-ci doit évi-
demment payer l'indemnité prévue .

.. ./...
sa guise. Il peut, par exemple, exiger une mise en demeure préalable du débiteur intermédiai-
re, imposer au créancier direct d'exercer une action judiciaire pour faire va/oir son droit
propre, et ainsi de suite. En /'absence d'indication à eet égard, le souci d'efficacité du méca-
nisme commande toutefois de dépouiller l 'action directe de tout formalisme».

234
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CJVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES

Le paiement de cette indemnité n' appelle guère de commentaires en assuran-


ce R.C, dirigeants, Comme dans toute assurance, il s'effectuera dans les limi-
tes du plafond de garantie conventionnellement fixé et sous déduction de la
franchise éventuellement prévue,

Il con vient toutefois d' être attentif au fait qu' en vertu de l' article 82 de la loi
du 25 juin 1992, l' assureur est tenu de supporter, même au-delà des limites de
sa garantie «les intérêts afférents à l' indemnité due en principal» de même
que «les frais afférents aux actions civiles ainsi que les honoraires et les frais
des avocats et des experts» (168), Compte tenu des discussions qui peuvent
entourer la mise en cause de la responsabilité d'un dirigeant, cette garantie
peut s'avérer très utile, Comme en matière de frais de sauvetage, on notera
cependant que les assureurs R.C, dirigeants ont la possibilité de limiter la
prise en charge de ces frais conformément à l' article 6ter de l' arrêté royal du
24 décembre 1992 ( 169), ce qu 'ils font habituellement. On gardera par ailleurs
à !'esprit que la règle énoncée par l'article 82 de la loi du 25 juin 1992 ne
concerne que les frais liés à la défense civile des assurés et non ceux exposés
dans Ie cadre de leur défense pénale, En ce qui concerne ces derniers, on se
référera par conséquent aux plafonds de garantie conventionnellement fixés,

(168) Pour un commentaire de cette disposition, voy, not: M, FONTAINE, Précis de droit des
assurances, 3e éd,, Bruxelles, Larcier, 2006, pp, 430-433; Ph, COLLE, Algemene beginselen
van het Belgisch verzekeringsrecht, 4e éd,, Anvers, Intersentia, 2006, pp, 171-173;
J,-L FAGNART, Droit privé des assurances terrestres, 1998, n°' 413 à 415, pp, 245-247,
( 169) Arrêté royal du 24 décembre 1992 portant exécution de la loi du 25 juin 1992 sur Ie
contrat d' assurance terrestre (M,B,, 31 décembre 1992),

235
CHAPITRE V
LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRI-
GEANTS D'ENTREPRISE ET LA RESPONSA-
BILITE PENALE DES PERSONNES MORALES

HENR1-D. BosLY
Professeur à l'U.C.L.,
Assesseur au Conseil d'Etat
LA RESPONSAB!LITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES

INTRODUCTION

Pour qu'une personne soit coupable d'une infraction pénale, il faut que les
éléments constitutifs de cette infraction soient établis dans son chef, ce qui
implique que cette infraction lui soit imputée en tant qu'auteur.

Toute infraction comporte des éléments matériels ainsi qu'un élément moral.
Autrement dit, il n'y a pas d'infractions matérielles, c'est-à-dire d'infractions
qui seraient établies du seul fait que les éléments matériels seraient réunis ( 1).
La Cour de cassation s'est exprimée clairement en ce sens (2). La mise en
ceuvre du droit pénal n' est légitime que si la peine n' atteint que la personne
coupable, c' est-à-dire celle qui a commis l' acte matériel volontairement ou a
fait preuve d' une imprudence critiquable. C' est l' application del' adage «nul-
lum crimen, nulla poena sine culpa». Et comme nous le verrons ultérieure-
ment, cette règle s' applique également à la responsabilité pénale des person-
nes morales.

S'il n'est pas inconcevable d'imaginer une responsabilité civile ou une res-
ponsabilité administrative «sans faute», il en va différemment en droit pénal.
Celui-ci n' a de sens que s'il est appliqué à la personne qui a commis une faute
consistant à n'avoir pas respecté une disposition légale déterminée.
En résumé, se rend coupable d'une infraction celui qui a accompli tous les
éléments de celle-ci, y compris l' élément moral, et dont le comportement
peut lui être imputé. La responsabilité pénale est donc personnelle.

Rappelons enfin que l'élément moral peut recouvrir deux situations différen-
tes: il y a d'une part le dol qui consiste dans l'intention ou la résolution crimi-
nelle de l'agent (3); il y a d'autre part la faute consistant selon les cas dans le
défaut de prévoyance oude précaution ou dans la violation d'une infraction
réglementaire (4 ).
(1) C. VAN DEN WYNGAERT, Strafrecht, strafprocesrecht, internationaal strafrecht, An-
vers, Maklu, 2006, p. 151; F. TULKENS et M. VAN DE KERCHOVE, Introduction au droit
pénal. Aspects juridiques et criminologiques, 7e éd., Bruxelles, Kluwer, 2005, pp. 362-363.
(2) 12 mai 1987, Rev. dr. pén. crim., 1988, p. 711 et les conclusions de 1' Avocat général J. du
Jardin. Voy. à ce propos Ie commentaire de J. VERHAEGEN, «L' élément fautif en matière de
contravention aux règlements», Rev. dr. pén. crim., 1988, pp. 289-297; Cass., 13 décembre
1994, Pas., 1994, I, p. 1094, R. W, 1995-1996, p. 533 et la note de Bart Spriet.
(3) F. TULKENS et M. VAN DE KERCHOVE, op. cit., pp. 384-386; C. VAN DEN WYN-
GAERT, op.cit., pp. 181-182 et 276-278; F. KÉFER, Le droit pénal du travail, Bruges, La
Charte, 1997, pp. 177-178; D. VANDERMEERSCH, Eléments de droit pénal et de procédure
pénale, 2e éd., 2006, pp. 128-130.
(4) F. TULKENS et M. VAN DE KERCHOVE, op.cit., pp. 390-395; C. VAN DEN WYN-
GAERT, op.cit., pp. 182 et 289-290; F. KÉFER, Le droit pénal du travail, Bruges, La Charte,
1997, pp. 178-184; D. V ANDERMEERSCH, Eléments de droit pénal et de procédure pénale,
Bruxelles, La Charte, 2e éd., 2006, pp. 125-128.

239
HENRI-D. BOSL Y

TITRE 1
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE

SECTION 1
LA PROBLÉMATIQUE

Les personnes physiques qui exercent des fonctions dirigeantes dans une en-
treprise encourent une responsabilité pénale dans les conditions qui viennent
d'être énoncées ci-dessus.

Si l'infraction peut être imputée matériellement au dirigeant d'entreprise, il


en est fort logiquement l'auteur. C'est Ie régime qui est applicable en droit
commun, c'est-à-dire quand l'infraction a été commise en dehors du cadre
d'une entreprise. Ainsi, par exemple, I'infraction de vol est imputée à celui
qui, dans la réalité, a soustrait frauduleusement une chose appartenant à autrui.
Quand un dirigeant d'entreprise est !'auteur matériel de l'infraction, celle-ci
lui est imputée.

Mais il arrive souvent que l'imputabilité matérielle à l'auteur de l'acte ne soit


pas possible ou ne se révèle pas adéquate.

Cette solution est impossible lorsque l'infraction est une infraction d'omis-
sion (5). Il n'est pas possible de déterminer qui est !'auteur matériel de l'acte
puisque le législateur entend incriminer une abstention d'agir, un manque-
ment d' agir. À I' origine Ie Code pénal comprenait fort peu d' infractions
d'omissions. Mais les choses ont bien changé avec le développement des
entreprises et des législations particulières en droit social, en droit économi-
que, en droit financier, en droit de I' environnement, en droit des transports,
etc.

Il importe de déterminer qui, au sein de l'entreprise, devait veiller à l'accom-


plissement de telle ou telle obligation.
Parfois, l' identification de l' agent matériel ne justifie pas que l '·infraction lui
soit imputée parce que cette solution méconnaîtrait soit l'existence de l'en-
treprise et sa structure hiérarchique, soit la volonté du législateur.

Quelques exemples permettront d'apprécier la spécificité de la problémati-


que.

En droit social, la loi punit «l'employeur, ses préposés ou mandataires». Elle


entend donc faire des choix.
(5) F. TULKENS et M. VAN DE KERCHOVE, op. cit., pp. 335-347; C. VAN DEN WYN-
GAERT, op.cit., pp. 183-185.

240
LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES

Parfois, la structure hiérarchique empêche que l' on impute l' infraction à


!'auteur matériel lorsque, dans les faits, !'employé ou l 'ouvrier n'a fait qu'exé-
cuter l' ordre qui lui était donné.

Enfin, il arrivera sou vent que Ie débiteur de l' obligation dont le non-respect
est puni pénalement est en l'espèce une personne morale. Se posera alors la
question de savoir si l'infraction doit être imputée à la personne morale elle-
même (voir infra, Ie chapitre Il) ou si elle doit être imputée à une personne
physique (et laquelle?).

Il est donc nécessaire de déterminer à quelle personne physique l'infraction


peut être imputée, ce qui revient à fixer le lien causal entre l' agent et l 'infrac-
tion.

Ce faisant, il faut garder à !'esprit la nécessité de respecter les principes géné-


raux de la responsabilité pénale qui veulent que seule la personne qui a com-
mis une faute personnelle peut encourir une responsabilité pénale. Il n' est pas
question d'instaurer une quelconque responsabilité pénale du fait d'autrui qui
existerait en !'absence d'une faute personnelle du dirigeant d'entreprise.

Si l'imputabilité matérielle à !'auteur del' acte n'est en l' espèce ni possible ni


adéquate, il y a lieu de recourir à une autre solution. Pour faire la synthèse du
proces sus juridique consistant à rechercher à qui imputer l' infraction, la doc-
trine propose un système comportant successivement et alternativement trois
modalités d'imputation: l'imputation légale, l'imputation conventionnelle et
l'imputation judiciaire (6).

SECTION 2
L'IMPUTABILITÉ LÉGALE

On peut parler d'imputabilité légale quand la loi désigne explicitement la


personne à qui l'infraction sera imputée.

Nombreuses sont les dispositions législatives qui recourent à la formule de


l' imputabilité légale.

(6) R. LEGROS, «La responsabilité pénale des dirigeants des sociétés et Ie droit pénal géné-
ral», Rev. dr. pén. crim., 1963-1964, pp. 3-28; R. LEGROS, «Imputabilité pénale et entreprise
économique», Rev. dr. pén. crim., 1968-1969, pp. 365-386; R. LEGROS, «Le droit pénal de
l'entreprise», J.T.T., 1977, pp. 169-178; T. WERQUIN, «L'imputabilité en droit pénal social
beige et français», J.T.T., 1980, pp. 37-43; J. SPREUTELS, F. ROGGEN et E. ROGER FRAN-
CE, Droit pénal des affaires, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 46-50.

241
,.
HENRI-D. BOSL Y

Voici quelques exemples

L' article 492bis du Code pénal qui punit l' auteur de l' abus de biens sociaux,
dispose expressément que eet auteur ne peut être que Ie dirigeant de droit ou
de fait d'une société civile ou commerciale ou d'une association sans but
lucratif.

La très grande majorité des lois sociales disposent que les infractions peuvent
être commises par «les employeurs, ses préposés ou mandataires», ce qui
entraîne a contrario une immunité pénale relative du travailleur salarié non
détenteur du pouvoir dans l'entreprise (7). Les notions «d'employeurs, pré-
posés ou mandataires» ont été précisées par la jurisprudence (8); ainsi, la
notion de préposé en droit pénal social n' est pas équivalente à la notion de
travailleur salarié.

Plusieurs dispositions pénales contenues dans Ie Code des sociétés punissent


les administrateurs et les gérants ou parfois les administrateurs, gérants, di-
recteurs ou mandataires qui n' ont pas respecté certaines obligations (9).

Ainsi, l'article 90 punit les administrateurs et les gérants qui omettent de


déposer Ie texte intégral des statuts de la société dans une rédaction mise à
jour conformément à l' article 75 et ce dans un délai de trois mois à partir de la
date de ces actes.

Par ailleurs, I' article 126, 2°, punit «les administrateurs, gérants, directeurs
ou mandataires de sociétés qui sciemment contreviennent aux dispositions
des arrêtés pris en application des articles 92, § ler, al. Ier, 122 et 123 ... »; ces
arrêtés sont relatifs à l'établissement et à la publicité des comptes annuels et
des comptes consolidés.

Lorsque Ie législateur recourt à la formule de l'imputabilité légale il entend


que la responsabilité pénale des infractions précisées ne pèse que sur les per-
sonnes qui sont indiquées (10).

(7) F. KÉFER, op. cit., p. 263.


(8) H.-D. BOSLY, Les sanctions en droit pénal social beige, Gand, Story-Scientia, 1979, pp.
12-17.
(9) H.-D. BOSLY et Th. BOSLY, «La responsabilité pénale des personnes morales et Ie nou-
veau droit pénal des sociétés», in Le nouveau Code des sociétés, Bruxelles, Bruylant et Acade-
mia, 1999, pp. 331-362; J. SPREUTELS, F. ROGGEN et E. ROGER FRANCE, Droit pénal
des affaires, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 623-676.
(10) Sans préjudice évidemment de l'application éventuelle des règles relatives à la participa-
tion punissable des coauteurs ou des complices (articles 66 et 67 du Code pénal).

242
LA RESPONSABJLITE PENALE DES D!RIGEANTS D'ENTREPR!SE ET DES PERSONNES MORALES

Lorsque l' énumération comporte une pluralité de fonctions oude personnes,


il revient en définitive au juge à décider quelle est la personne qui a effective-
ment commis une faute.

Par contre, lorsque l'énumération ne comporte qu'une seule personne ou une


seule catégorie de personnes, la marge de manreuvre du juge se rétrécit con-
sidérablement jusqu' à se réduire à néant en l' occurrence ( 11 ).

Comment peut-on concilier le mécanisme de l'imputabilité légale avec la


multiplicité et la diversité des taches qui ne cessent de croître suivant la taille
de l'entreprise ou la complexité de l'activité sociale qui s'y déroule? Un ad-
ministrateur ou un gérant ne peut pas veiller à chaque instant au respect de
chacune des réglementations dans tous les secteurs de l'entreprise.
Pour faire face à ce risque et pour organiser efficacement le travail au sein de
l 'entreprise, les dirigeants de celle-ci ont entrepris de déléguer certains de
leurs pouvoirs (12) lorsque cela s'avère nécessaire.

La faculté de déléguer a été admise sur le plan pénal par un arrêt de la Cour de
cassation du 11 janvier 1965 (13).

J. Spreutels, F. Roggen et E. Roger France précisent en ces termes la portée et


les limites de la délégation: «Le trait marquant de la délégation de pouvoirs
en droit pénal réside donc dans le transfert d'une tache de surveillance oude
direction: le délégataire doit être plus que le simple exécutant matériel d'une
décision prise par le délégant. C' est en ce sens que la jurisprudence relève
que les pouvoirs doivent être délégués à une personne dotée de l'autorité, des
compétences et des moyens nécessaires pour assurer la tache de surveillance
ou de direction» (14 ).

En outre, le transfert de pouvoirs doit être limité et précis. En effet, si le


transfert de pouvoirs est complet ou généralisé, Ie dirigeant cesse en fait d' exer-
cer ses fonctions et Ie déiégataire Ie rempiace.

( 11) Il faut rappe Ier que Ie juge ne peut juger que les personnes qui sont appelées devant lui
pour répondre de telle ou de telle infraction. Il en résulte que les décisions prises antérieure-
ment par Ie ministère public ou même par la partie civile de poursuivre telle ou te11e personne
auront une incidence sur la détermination des limites du pouvoir juridictionnel du juge.
(12) E. ROGER FRANCE, «La délégation de pouvoirs en droit pénal ou comment prévenir Ie
risque pénal dans l'entreprise»,J.T., 2000, pp. 257-263; I. VERHAERTetP. WAETERINCKX,
«Strafrechtelijke verantwoordelijkheid, een beheersbaar ondernemingsrisico, de delegatie in
strafrecht», R. W, 2001-2002, pp. 1009-1026.
(13) Pas., 1965, I, p. 458. Voyez aussi les deux études doctrinales citées à la note précédente.
(14) Droit pénal des affaires, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 91.

243
HENRI-D. BOSLY

Appliquée correctement dans Ie cadre de l' imputabilité légale, la délégation


ne présente pas de difficulté particulière quant à la détermination de la per-
sonne pénalement punissable lorsque l' énumération comporte une pluralité
de fonctions ou de personnes. Le délégataire peut être Ie préposé par exem-
ple.

La question est plus délicate lorsque la délégation est correcte et limitée et


que la loi vise exclusivement }'administrateur ou Ie gérant. Si la faute a été
commise par Ie délégataire, il n'y a aucune raison de mettre en cause la res-
ponsabilité pénale du délégant.

SECTION 3
L'IMPUTABILITÉ CONVENTIONNELLE

On parle d'imputabilité conventionnelle parce que la personne physique à


qui l'infraction sera imputée, a été désignée préalablement par une conven-
tion conclue avec l'employeur pour exercer une fonction déterminée.

Trois conditions doivent être remplies pour que l'imputabilité conventionnel-


le soit appliquée: 1) une base légale autorisant ou obligeant l'employeur à
procéder à cette désignation; 2) l'accord de la personne désignée; 3) la con-
vention est conclue avant la réalisation de l'infraction.

L'imputabilité conventionnelle est appliquée dans les très rares cas ou la loi
la prévoit (15).

SECTION 4
L'IMPUTABILITÉ JUDICIAIRE

L'imputabilité est judiciaire lorsqu'il appartient au juge de désigner la per-


sonne pénalement punissable alors que la loi ne désigne pas cette personne.
Avant que la loi n'établisse la responsabilité pénale des personnes morales,
les nombreux cas ou l'employeur ou l'exploitant de l'entreprise étaient une
personne morale, constituaient des exemples dans lesquels Ie juge devait re-
chercher qui était la personne physique qui «représentait» la personne mora-
le, qui avait agi au nom de celle-ci ou qui aurait dû agir en son nom.

( 15) Ainsi par exemple en matière de déchets, voyez l' article 20 de la loi du 22 juillet 1974 sur
les déchets toxiques (Mon. Ier mars 1975) qui prescrit que les travaux de destruction, de
neutralisation ou d'élimination des déchets toxiques sont placés sous l'autorité d'une personne
responsable désignée par l'employeur.

244
LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES

Mais, depuis la loi du 4 mai 1999 instaurant la responsabilité pénale des per-
sonnes morales, la problématique est changée.

L' imputabilité judiciaire existe lorsque la loi n' a pas désigné l' auteur pénale-
ment punissable ou lorsque Ie juge fait application de la théorie dite de !'ad-
ministrateur de fait.

Dans le premier cas, la loi n' a pas désigné l' auteur à qui l' infraction sera
imputée. En outre, l'imputabilité à !'auteur matériel n'est pas acceptable par-
ce qu'il s'agit d'une infraction d'omission ou parce que cette imputation mé-
connaîtrait gravement la volonté du législateur qui entend situer la responsa-
bilité au sommet del' entreprise et non pas dans le chef de l' agent matériel qui
est un subordonné dépourvu de pouvoir réel.

La théorie de! 'administrateur de fait permet aujuge pénal d'imputer l'infrac-


tion non pas à la personne qui, selon les statuts, exerce la fonction de diri-
geant mais à la personne qui, dans la réalité des choses, exerce effectivement
cette fonction dirigeante. Le droit pénal préfère prendre en considération la
réalité des choses plutöt que la fiction juridique.

En pratique, la théorie del' administrateur de fait trouvera matière à s' appli-


quer lorsque la personne qui dirige effectivement l' entreprise est sous le coup
d'une interdiction professionnelle qui lui a été infligée notamment en vertu
de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire
faite à certains condamnés et faillis d' exercer certaines fonctions, profes si ons
ou activités (16).

On connaît également des cas (notamment d' entreprises familiales) dans les-
quels les dirigeants «officiels» de l' entreprise n' ont pas démissionné mais
laissent faire effectivement d'autres membres de leur familie généralement
plus jeunes.

L'imputabilité judiciaire et la délégation de pouvoirs sont conciliables.

(16) J. SPREUTELS, F. ROGGEN et E. ROGER FRANCE, op.cit., pp. 149-173.

245
HENRI-D. BOSL Y

TITRE 2
LA RESPONSABILITE PENALE DES PERSONNES MORALES

INTRODUCTION

Pendant plus d'un siècle, la doctrine a enseigné que les personnes morales ne
pouvaient pas encourir de peine au sens pénal du terme notamment parce que
n'étant douées ni d'intelligence ni de volonté, elles ne pouvaient pas prendre
conscience de ce que représente la culpabilité pénale et l' amendement du
délinquant.

Lajurisprudence avait toutefois admis qu'étant tenues de respecter la loi, les


personnes morales pouvaient en conséquence commettre des infractions. Mais
la responsabilité pénale de ces infractions pesait exclusivement sur des per-
sonnes physiques.

Plus récemment Ie législateur s'est montré sensible à l'évolution de cette pro-


blématique chez nos voisins français ( 17) et néerlandais ( 18) ainsi que dans le
droit de l'Union européenne (19). Ensuite Ie gouvernement a placé l'adop-
tion de cette réforme dans !'ensemble des mesures qu'il entendait promou-
voir à la fin des années 90 pour lutter plus efficacement contre la criminalité
grave et organisée (20). Enfin, Ie gouvernement souhaitait résoudre certaines
difficultés liées à l'imputation de l'infraction à telle ou telle personne physi-
que en cas de fautes diffuses oude quasi-impossibilité d'identifier les person-
nes physiques en faute.

Le projet de loi fut adopté par Ie Parlement sans rencontrer toutefois l'unani-
mité. D' ailleurs les opinions contrastées se retrouvent également dans la doc-
trine juridique qui a commenté la nouvelle loi (21).

( 17) Le nouveau Code pénal français, entré en vigueur Ie ler mars 1994, admet désormais la
responsabilité pénale des personnes morales pour les infractions prévues spécialement par la
loi. Voyez: H. MATSOPOULOU, «Extension de l'imputabilité des personnes morales», in Dix
ans après la réforme de 1994. Quels repères dans ie Code pénal, Travaux de l'Institut de
Sciences criminelles de Poitiers (s.l.dir. de M. Danti-Juan), Paris, Cujas, 2005, pp. 67-86.
(18) Article 51 du Code pénal tel qu'il a été revu Ie 23 juillet 1976. Voyez: R.C.P. HAEN-
TJENS, «Remarques sur la responsabilité pénale des personnes morales aux Pays-Bas», Rev.
dr. pén. crim., 1986, pp. 851-867.
(19) Deuxième protocole additionnel à la Convention relative à la protection des intérêts fi-
nanciers des Communautés européennes, établi Ie 19 juin 1997 (J.O., C 221/11 du 19 juin
1997); la Convention pénale sur la corruption signée à Strasbourg Ie 4 novembre 1998 (Con-
seil de l'Europe).
(20) J. SPREUTELS, F. ROGGEN et E. ROGER FRANCE, op.cit., p. 57.
(21) Les commentateurs de cette législation nouvelle sont très nombreux; pour en connaître la
liste, il est fait référence aux publications mentionnées dans les ouvrages suivants: C. VAN
.. ./...

246
7
!

LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES

SECTION 1
LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA LOi DU 4 MAi 1999 (22)

§ 1. Généralités

La loi du 4 mai 1999 introduit dans le Code pénal des dispositions nouvelles
établissant la règle de la responsabilité pénale des personnes morales.

Puisque ces dispositions sont introduites dans le Code pénal, elles sont appli-
cables aussi bien aux infractions mentionnées dans le Code pénal qu'à celles
qui sont établies par des lois particulières conformément à l' article 100 du
même Code.

Le principe de base retenu par la réforme paraît apriori relativement simple:


il consiste à assimiler dans la plus large mesure possible les personnes mora-
les aux personnes physiques. La personne morale est considérée comme une
réalité sociale pouvant commettre une faute pénale propre et <levant en con-
séquence en supporter la responsabilité sur le plan pénal également.

§ 2. Les conditions d'engagement de la responsabilité pénale

Comme on pouvait le prévoir, cette question a fait l' objet de débats au cours
des travaux préparatoires. L'intention des auteurs de la proposition de loi était
de limiter cette responsabilité aux cas ou il existe un lien intrinsèque entre le
fait infractionnel et la personne morale. Par contre, la responsabilité devait
demeurer exclue lorsque des personnes ayant un lien avec la personne morale
n' avaient fait que profiter du cadre juridique ou matériel de celle-ci pour com-
mettre des infractions dans leur propre intérêt ou pour leur compte.

Finalement, Ie nou vel article 5 du Code pénal dispose que la personne morale
est responsable pénalement des infractions «qui sont intrinsèquement liées à
la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou de celles dont les
faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte» .

.. ./ ...
DEN WYNGAERT, op. cit., pp. 128 et 129, note 552; F. TULKENS et M. VAN DE KER-
CHOVE, op.cit., pp. 400 et 401, note 14; J. SPREUTELS, F. ROGGEN et E. ROGER FRAN-
CE, op. cit., pp. 51 et 52; M. NrnouL, La responsabilité pénale des personnes mora/es en
Belgique, Bruxelles, La Charte, 2005, pp. 5-7, note 8.
(22) H.-D. BOSLY et Th. BOSLY, «La responsabilité pénale des personnes morales et Ie nou-
veau droit pénal des sociétés», in Le nouveau Code des sociétés, Bruxelles, Bruylant et Acade-
mia, 1999, pp. 337-347.

247
HENRI-D. BOSL Y

§ 3. Le champ d'application

Selon l'article 5 nouveau du Code pénal, la règle s'applique à toutes les per-
sonnes morales. Sont expressément assimilées à des personnes morales: 1°
les associations momentanées et les associations en participation; 2° les so-
ciétés visées à l'article 2, alinéa 3, des lois coordonnées sur les sociétés com-
merciales, ainsi que les sociétés commerciales en formation; 3° les sociétés
civiles qui n' ont pas pris la forme d'une société commerciale.

Par contre, le même article 5, alinéa 4, exclut de la liste des personnes péna-
lement responsables, de nombreuses entités de droit public: l'Etat fédéral, les
régions, les communautés, les provinces, l'agglomération bruxelloise, les
communes, les zones pluricommunales (23), les organes territoriaux intra-
communaux (24 ), la Commission communautaire française, la Commission
communautaire flamande, la Commission communautaire commune et les
centres publics d'aide sociale.

Il est évidemment permis de s' étonner de la longueur de la lis te des entités de


droit public qui sont exemptées de toute responsabilité pénale et de se deman-
der si cette disposition est conforme au principe d' égalité énoncé aux articles
10 et 11 de la Constitution. La question a été posée à la Cour d'arbitrage qui
y a répondu dans un arrêt (128/2002) du 18 juillet 2002. Cet arrêt n° 128/
2002 décide que l'article 5, alinéa 4 nouveau du Code pénal ne viole pas les
articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il exclut de son champ d'applica-
tion les personnes morales de droit public qu'il énumère (25).

§ 4. L'élément mora[

Comme indiqué supra dans l' introduction à cette étude, il n' y a pas de res-
ponsabilité pénale si une faute n'a pas été commise. Il doit être ainsi en cas de
responsabilité pénale des personnes morales car il ne s'agit pas d' en faire une
responsabilité objective. En faveur de cette interprétation, on peut lire l'ex-

(23) Ce sont les entités de droit public créées par la loi du 7 décembre 1998 organisant un
service de police intégré, structuré à deux niveaux. Concernant l'organisation de la police
locale, elle est répartie en zones de police composées d'une oude plusieurs communes. Dans
ce dernier cas, la zone pluricommunale est dotée de la personnalité juridique (article 9 de la loi
du 7 décembre 1998 précitée).
(24) Les organes territoriaux intracommunaux ont été ajoutés à la liste à la suite d'un amende-
ment du Sénateur Erdman qui visait l' article 41 de la Constitution prévoyant la possibilité de
créer ces organes.
(25) http://www.arbitrage.be. Pour une analyse critique de eet arrêt, on lira notamment:
M. NIHOUL, «L'immunité pénale des collectivités publiques est-elle «constitutionnellement
correcte?», Rev. dr. pén. crim., 2003, pp. 799-839.

248
LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES

trait suivant des travaux préparatoires: «Il devra être établi soit que la réalisa-
tion de l'infraction découle d'une décision intentionnelle prise au sein de la
personne morale, soit qu' elle résulte, par un lien de causalité déterminé, d'une
négligence au sein de la personne morale. On vise par exemple l'hypothèse
ou une organisation interne déficiente de la personne morale, des mesures de
sécurité insuffisantes ou des restrictions budgétaires déraisonnables ont créé
les conditions qui ont permis la réalisation de l'infraction» (26).

§ 5. Le concours de responsabilités entre la personne morale et la personne


physique

L' article 5, alinéa 2 nouveau du Code pénal entend régler la délicate question
de savoir si une même infraction peut engager la responsabilité de la person-
ne morale pour le compte de laquelle elle a été commise et celle de la person-
ne physique à l'intervention de laquelle elle a été commise.

La question ne se posera évidemment que «lorsque la responsabilité de la


personne morale est engagée exclusivement en raison de l'intervention d'une
personne physique identifiée» (article 5 du Code pénal).

Lorsque la condition précitée est remplie, la loi instaure deux régimes diffé-
rents: un régime de responsabilité alternative lorsque l'infraction n' est pas
intentionnelle et un cumul possible des responsabilités lorsqu'il s'agit d'une
faute commise sciemment et volontairement.

Lorsque l'infraction n'est pas intentionnelle, seule la personne (soit morale,


soit physique) qui a commis la faute la plus grave peut être condamnée.
Cette notion laisse assurément perplexe. Comment peut-on comparer la faute
d'une personne physique et celle d'une personne morale d' autant plus que la
faute de la personne morale aura été causée par l'action, ou Ie plus souvent
par l'inaction de telle ou telle personne physique? Le législateur a-t-il voulu
indiquer qu' il s' agit en réalité de vérifier qui a pris la part déterminante dans
la commission de l'infraction? La réponse à ces questions demeure incertai-
ne.
Par ailleurs, la notion de faute commise «sciemment et volontairement» fait
immédiatement songer au dol général. Pourtant, se basant sur quelques exem-
ples donnés dans les travaux parlementaires de cette loi, la Cour de cassation
a décidé, dans un arrêt du 4 mars 2003 (27), que la règle du cumul possible

(26) Doe. Pari. Sénat, 1-1217/1, s.o. 1998-99, p. 5.


(27) Pas., 2003, n° 149 avec les conclusions de l'avocat général M. DE SWAEF, R. W, 2003-
2004, p. 1022 avec les conclusions de l'avocat général M. DE SWAEF.

249
HENRI-D. BOSLY

des responsabilités est d'application aussi bien aux infractions intentionnel-


les qu'aux infractions commises par négligence ou imprudence. Il convient
en réalité de se référer à l' état d' esprit concret de l' auteur de l' infraction au
moment ou il accomplit l'acte infractionnel (28). Dans un arrêt du 8 novem-
bre 2006 (29), la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence sur cette
question. Dans ses conclusions précédant eet arrêt, l'avocat général Damien
Vandermeersch explique que le fait que le décret relatif aux déchets et celui
relatif au permis d'environnement ne prévoient pas expressément un élément
moral dans ce délit est sans incidence car ce délit peut également être commis
sciemment et volontairement. Il indique les éléments qui ont permis au juge
du fond de constater que l' infraction a été commise en l' espèce sciemment et
volontairement: les personnes physiques concernées ont multiplié les pro-
messes de régularisation, mais aussi les procédés dilatoires; en outre, les dé-
clarations d'un des prévenus faites à l'audience établissent qu'ils savaient
qu'ils commettaient des infractions mais qu'ils n'ont pas fait cesser celles-ci
car ils n'ont pas consacré le temps voulu, ni les moyens financiers. L'avocat
général Damien Vandermeersch en conclut: « ... les juges d'appel ont, à mes
yeux, constaté que le demandeur avait commis l'infraction sciemment et vo-
lontairement. Ils ont, par conséquent, régulièrement motivé et légalement jus-
tifié leur décision en ayant égard, pour exclure le bénéfice de la cause d' excu-
se absolutoire, à l'état d'esprit des demandeurs» (30).

§ 6. Les peines

A. L' AMENDE: PEINE PRINCIPALE (ARTICLE 7BIS DU CODE PEN AL)

Les peines criminelles et correctionnelles de privation de liberté contenues


dans le Code pénal sont «converties» pour les personnes morales en amendes
dont les montants varient en fonction de la nature des peines énoncées (article
4lbis du Code pénal).

Pour éviter de créer un incohérence, le législateur modifie également le régi-


me de la responsabilité civile du paiement des amendes. En effet, nombreu-
ses sont les lois particulières qui rendent l' employeur (ou la personne morale)
civilement responsable du paiement de l'amende infligée à ses préposés ou à
ses mandataires. Il s'agit certes d'une responsabilité civile et non pas d'une

(28) A. MISONNE, «Le concours de responsabilités», in La responsabilité pénale des person-


nes mora/es en Belgique, (s.l.dir. de M. NIHOUL), Bruxelles, La Charte, 2005, p. 142.
(29) Rev. dr. pén. crim., 2007, n° de janvier avec les conclusions de l'avocat général DAMIEN
V ANDERMEERSCH.
(30) Rev. dr. pén. crim., 2007, n° dejanvier.

250
LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES

responsabilité pénale mais celle-ci porte sur Ie paiement d'une peine pécu-
niaire et non pas des sommes dues à titre de réparation civile. Ce procédé
avait été qualifié de remède indirect à ]'absence de responsabilité pénale des
personnes morales (31 ). A présent, cette responsabilité étant admise, un arti-
cle 50bis a été ajouté dans Ie Code pénal. Il est rédigé comme suit: «Nul ne
peut être tenu civilement responsable d'un paiement d'une amende à laquelle
une autre personne est condamnée, s'il est condamné pour les mêmes faits».

Cette solution est logique: nul ne peut, pour la même infraction, être condam-
né comme auteur de celle-ci et comme civilement responsable du paiement
de l' amende infligée à un autre auteur.

L'instauration de la responsabilité pénale des personnes morales a pour con-


séquence (non voulue) que l'on rencontre désormais plus de situations dans
lesquelles une amende administrative pourra être infligée à la personne mo-
rale qui, selon la loi, pourrait ensuite encourir une sanction pénale pour la
même irrégularité dès lors que celle-ci constitue une infraction pénale.

La loi ne règle pas expressément cette situation.

Mais, l'article 14, paragraphe 7 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques dispose que «Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une
infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement
définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays».

Le cumul de sanctions dans le chef d'une même personne n'est pas permis
dès lors que le fait est identique et que l'amende administrative est d'une
nature telle qu' elle doive être considérée comme ayant une fonction répressi-
ve et non pas réparatrice ou compensatoire.

B. LES PEINES ACCESSOIRES

Conformément à l'article ?bis, les peines accessoires qui, selon les infrac-
tions, doivent ou peuvent être prononcées sont la confiscation spéciale (arti-
cles 42 à 43quater du C.P.), la dissolution (article 35 du Code pénal), l'inter-
diction d'exercer une activité relevant de l'objet social (article 36 du Code
pénal), la fermeture d'établissement (article 37 du Code pénal) et la publica-
tion ou la diffusion de la décision (article 37bis du Code pénal).

(31) F. DE RUYCK, «Pour quand la responsabilité pénale des personnes morales en droit
pénal beige?», J, T., 1997, p. 702.

251
HENRI-D. BOSL Y

§ 7. Les dispositions relatives au droit de la procédure pénale

A. LA DESIGNATION D'UN MANDATAIRE AD HOC

Le nouvel article 2bis de la loi du 17 avril 1878 contenant le Titre préliminai-


re du Code de procédure pénale dispose que «Lorsque les poursuites contre
une personne morale et contre la personne habilitée à la représenter sont en-
gagées pour des mêmes faits ou des faits connexes, le tribunal compétent
pour connaître de l'action publique contre la personne morale désigne, d'of-
fice ou sur requête, un mandataire ad hoc pour la représenter».

Il faut en effet éviter que surgisse un conflit d'intérêts entre la personne mo-
rale et la personne physique habilitée à représenter cette personne morale
lorsque toutes les deux sont poursuivies pour la même infraction ou pour une
infraction connexe (32).

B. LA REPRESENTATION PAR AVOCAT

Les articles 152 et 185, §§ 1 et 2, du Code d'instruction criminelle accordent


le droit à la personne morale d'être représentée par avocat lorsqu'elle est
poursuivie en tant qu'auteur de l'infraction.

C. LA COMPETENCE TERRITORIALE

En cas de poursuite dirigée contre une personne morale, le siège social de la


personne morale ou son siège d' exploitation constituent des critères permet-
tant d'établir la compétence territoriale du procureur du Roi (articles 23 et 24
nouveaux du Code d'instruction criminelle), celle dujuge d'instruction (arti-
cle 62bis nouveau du Code d'instruction criminelle) ou celle de lajuridiction
de jugement (article 139 nouveau du Code d'instruction criminelle).

(32) Pour une analyse critique de la procédure actuelle de désignation du mandataire ad hoc,
voyez: S. COISNE et P. WAETERINCKX, «La sauvegarde des droits de la défense d'une per-
sonne morale, son droit au silence et Ie mandataire ad hoc comme garant de ces droits», in La
re,ponsabilité pénale des personnes morales en Belgique, pp. 335-364; P. W AETERINCKX,
«De strafrechtelijke verantwoordelijkheid van de rechtspersoon», in Strafrecht van nu en straks,
Bruges, Die Keure, 2003, pp. 246-259.

252
1
LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES

D, MESURES PROVISOIRES POUVANT ETRE PRISES PAR LE JUGE


D'INSTRUCTION (33)

Le juge d'instruction, s'il constate de sérieux indices de culpabilité et si des


circonstances particulières le requièrent, peut ordonner les mesures suivan-
tes: 1° la suspension de la procédure de dissolution ou de liquidation de la
personne morale, 2° l'interdiction de transactions patrimoniales spécifiques
susceptibles d'entraîner l'insolvabilité de la personne morale, 3° le dépót d'un
cautionnement dont il fixe le montant en vue de garantir le respect des mesu-
res qu'il ordonne (article 91 nouveau du Code d'instruction criminelle),

La loi précise que si l'une de ces trois mesures conceme des biens immeu-
bles, la procédure de saisie immobilière prévue à l'article 35bis du Code d'ins-
truction criminelle est applicable (article 91, dernier alinéa) (34),

E. LES NOUVELLES CAUSES D'EXTINCTION DEL' ACTION PUBLI-


QUE

Trois nouvelles causes d'extinction de l'action publique sont créées spéciale-


ment pour les personnes morales: il s'agit de la clóture de la liquidation, de la
dissolution judiciaire et de la dissolution sans liquidation (article 20, alinéa
1er, nouveau, de la loi du 17 avril 1878 con tenant le Titre préliminaire du
Code de procédure pénale ). Toutefois, «L' action publique pourra encore être
exercée ultérieurement si la mise en liquidation, la dissolutionjudiciaire ou la
dissolution sans liquidation a eu pour but d'échapper aux poursuites ou si la
personne morale a été inculpée par Ie juge d'instruction conformément à l'ar-
ticle 6lbis avant la perte de la personnalité juridique» (article 20, alinéa 2,
nouveau de la loi du 17 avril 1878 précitée) (35).

Ces nouvelles causes d'extinction de l'action publique s'ajoutent aux causes


déjà existantes pour autant que ces dernières soient applicables aux person-
nes morales.

(33) H.-D. BOSLY et D. V ANDERMEERSCH, Droit de la procédure pénale, Bruxelles, La


Charte, 4e éd., 2005, pp. 681-683.
(34) Apropos de la procédure de saisie immobilière, voy.: H.-D. BosLY et D. VANDER-
MEERSCH, Droit de la procédure pénale, Bruxelles, La Charte, 4e éd., 2005, pp. 463-466;
M. FRANCHIMONT, A. JACOBS et A. MASSET, Manuel de procédure pénale, Collection
de la Faculté de droit de l'Université de Liège, Bruxelles, Larcier, 2e éd., 2006, pp. 352-353.
(35) Apropos de l'inculpation, voir H.-D. BOSLY et D. VANDERMEERSCH, op. cit., pp.
619-626; C. VAN DEN WYNGAERT, Strafrecht, strafprocesrecht, internationaal strafrecht,
Anvers, Maklu, 2006, pp. 920-923.

253
HENRl-0. BOSL Y

F. LE CASIER JUDICIAIRE DES PERSONNES MORALES

Afin de permettre au juge de fixer Ie taux et la nature de la peine en fonction


notamment de l'activité délictueuse antérieure de la personne morale et de
faire appiication éventuellement de la loi sur la suspension, Ie sursis et la
probation ou des dispositions du Code pénal relatives à la récidive (chapitre
V du livre Ier du Code pénal), il faut disposer d'un véritable casier judiciaire
des personnes morales et d'une adaptation des dispositions du Code d'ins-
truction criminelle relatives à la réhabilitation et à l'effacement des condam-
nations. Ce serait l'une des conséquences de l'assimilation des personnes
physiques et des personnes morales quant à leur statut pénal (36).

SECTION 2
L' APPLICATION DE CETTE NOUVELLE LOi

§ 1. Coup d'oeil sur la pratique judiciaire

Le professeur Marc Nihoul et ses collaborateurs ont organisé à Namur le 6


mai 2004 un colloque au cours duquel un premier bilan de l'application de
cette réforme a été réalisé. Auparavant ils avaient rassemblé de nombreuses
décisions de jurisprudence - la plupart inédites - relatives à l'application
de cette loi.

L'analyse des décisions judiciaires recueillies peut être résumée ainsi (37):

- dans 90 % des jugements, une personne morale et une (au moins) person-
ne physique ont été poursuivies;
- la grande majorité des personnes morales poursuivies sont des sociétés
commerciales (surtout des sociétés anonymes et des S.P.R.L.);
- près de la moitié des infractions reprochées aux personnes morales pour-
suivies sont relatives au droit pénal du travail et de la sécurité sociale. Les
autres infractions sont, par ordre décroissant, relatives au droit de l' envi-

(36) Actuellement les dispositions législatives relatives au casier judiciaire centra! sont les
articles 589 à 602 du Code d'instruction criminelle et les dispositions relatives à l'effacement
des condamnations et à la réhabilitation en matière pénale sont les articles 619 à 634 du même
Code. Concemant Ie casier judiciaire, voyez: M. FRANCHIMONT A. JACOBS et A. MAS-
SET, op. cit., 2e éd., 2006, pp. 755-763. Concernant l' effacement et la réhabilitation, voyez:
D. V ANDERMEERSCH, Eléments de droit pénal et de procédure pénale, Bruxelles, La Char-
te, 2e éd., 2006, pp. 313-316.
(37) I. HAMER, C. RENARD et W. DE PAUW, «L'analyse statistique des arrêts etjugements
rendus», in La responsabilité pénale des personnes mora/es en Belgique, (s.l.dir. de M. NI-
HOUL), Bruxelles, La Charte, 2005, pp. 277-305.

254
LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES

ronnement, au droit fiscal, au droit commercial et des sociétés et au Code


l
pénal (38), Les mêmes auteurs formulent le commentaire suivant à propos
de l' application de cette loi: «elle concourt donc en partie à une meilleure
répression de la criminalité d'entreprise mais ne semble pas être la pièce
maîtresse du dispositif de Jutte contre la criminalité organisée, comme
présenté dans l'exposé introductif du Ministre de la Justice dans les tra-
vaux préparatoires» (39),

§ 2. Une difficulté récurrente: Ie critère fondant la responsabilité


alternative

Comme cela a été indiqué précédemment, l'article 5, alinéa 2, du Code pénal


crée, lorsqu'une infraction a été commise tant par une personne physique que
par une personne morale, une cause d'excuse absolutoire au bénéfice de celle
qui a commis la faute la mains grave, en ce sens que seule la personne qui a
commis la faute la plus grave peut être condamnée (40),

Le critère retenu par Ie législateur ne paraît pas très heureux (41), En effet,
nous sommes dans une hypothèse ou une faute est commise par une personne
physique identifiée et cette faute sera la seule à engager la responsabilité de la
personne morale, Comment comparer la gravité de la faute lorsqu' elle peut
entraîner la responsabilité de la personne physique ou lorsqu'elle peut entraî-
ner la responsabilité de la personne morale? Il arrivera bien souvent que la
faute sera en réalité unique. Et s'il y a plusieurs fautes, il ne s'agira pas de
comparer les fautes commises par différentes personnes physiques identi-
fiées.

Dans ces conditions, ne serait-il pas préférable de modifier la loi et de renon-


cer à ce critère tout en maintenant le caractère altematif de la responsabilité
pénale entre la personne physique et la personne morale?

(38) Les infractions du Code pénal sont des homicides par défaut de prévoyance oude précau-
tion commis dans Ie cadre d'accidents du travail ou des faux en écritures,
(39) I. HAMER, C. REN ARD et W. DE PAUW, «L'analyse statistique des arrêts etjugements
rendus», in La responsahilité pénale des personnes mora/es en Belgique, p. 305.
(40) D. VANDERMEERSCH, Conclusions précédant Cassation, 8 novembre 2006, Rev. dr.
pén. cri m., 2007, n° de janvier.
(41) Le point de vue auquel on se place ici est cel ui del' opportunité de la politique criminelle.
Il diffère évidemment de cel ui qui retient constitutionnellement l'attention de la Cour d'arbi-
trage qui dans un arrêt n° 128/2002 du 10 juillet 2002, a dit que 1' article 5, alinéa 2 du Code
pénal ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il dispose que, lorsque la
responsabilité de la personne morale est engagée exclusivement en raison de l'intervention
d'une personne physique identifiée, seule la personne qui a commis la faute la plus grave peut
être condamnée.

255
HENRI-O. BOSL Y

CONCLUSIONS

La législation s'est adaptée pour tenir compte de l'évolution de la vie des


affaires et spécialement de la complexité de la structure des entreprises.

Lorsque l' auteur matériel de l'infraction n' est pas l' auteur pénalement punis-
sable pour les raisons énoncées ci-dessus, la doctrine, analysant la multitude
des lois particulières ainsi que la jurisprudence, a proposé les notions d'im-
putabilité légale, conventionnelle ou judiciaire. Il s' agit de prendre en
considération aussi bien la complexité de la vie des affaires que le souci per-
manent du droit pénal de cemer au plus près la réalité des choses.

L' admission de la responsabilité pénale des personnes morales a constitué


une véritable rupture dans Ie cours de la législation pénale en Belgique. Les
premiers bilans de l'application de cette importante réforme sont en voie de
réalisation. Inévitablement de nouvelles réformes mériteront d'être prépa-
rées.

Une préoccupation subsiste: il importe que le droit pénal demeure dominé


par l'idée fondamentale selon laquelle son application est subordonnée à l' éta-
blissement d'une faute personnelle. C'est la règle de la personnalité des pei-
nes: elle vaut aussi pour les personnes morales.

.,.,.

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256

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