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LA RESPONSABILITE DES
H.-D. BosLY
V. CALLEWAERT
A. COURET
Y. DE CORDT
M.A. DELVAUX
G. GATHEM
D. PHILIPPE
B<E
Busines5 and Econom1cs
2007
D/0147/2007/50
Aucun extrait de cette édition ne peut, même partiellement, être communiqué au public, repro-
duit ni traduit ou adapté sous quelque forme que ce soit moyennant photocopie, microfilm, en-
registrement ou tout autre moyen, ou être saisi dans une banque de données sans l'autorisation
écrite et préalable de l 'éditeur.
107541
AVANT -PROPOS
Avant-propos
L' organè incame la personne morale. C' est en vertu de la théorie de l' organe
que Ia personne morale est responsable des actes et des faits juridiques
accomplis par ses organes et que les personnes agissant en qualité d'organes
n'assument, en principe, pas de responsabilité personnelle pour les
engagements pris dans l'exercice de leurs fonctions. S'il respecte la
spécialité légale et la spécialité statutaire de la personne morale,__[Qr:g_i!!!~
peut être absorbé dans Ie groupement, avec lequel il fait corps et <lont il
constitue une « excroissance ».
V
AVANT -PROPOS
Enfin, nul ne contestera que l'inflation pénale est perceptible dans tous les
domaines du droit. Le législateur donne parfois l'impression de rechercher,
coûte que coûte, un responsable pour assouvir une sorte de libido
castigandi... La responsabilité pénale des personnes morales et ses
conséquences sur leurs dirigeants ont donc retenu la meilleure attention
d'Henri Bosly, spécialiste du droit pénal des affaires.
VI
T ABLE DES MA TIER ES
Introduction 3
VII
T ABLE DES MATIERES
Introduction 89
Section 1. Notion 90
§ 1. Définition 90
§ 2. Qui sont les organes? 90
VIII
TABLE DES MATIERES
§ l . Emergence 93
§ 2. Régime 93
IX
T ABLE DES MATIERES
X
TABLE DES MATIERES
~t::LUUJJ u. r\.}-'1'.l.l\..,CllJ.Vll -
déficitaires 148
Sous-section 1. L'action est introduite par le
curateur 148
Sous-section 2. Le comportement est constitutif
d'infraction pénale 150
Sous-section 3. La faute constitue une culpa in
contrahendo 150
Sous-section 4. Responsabilités particulières
prévues par le Code des sociétés 151
Sous-section 5. L'action est introduite par un
créancier extra-contractuel 151
Conclusion 152
Introduction 155
XI
TABLE DES MATIERES
XII
TABLE DES MATIERES
XIII
j
TABLE DES MATIERES
lntroduction 239
lntroduction 246
XIV
TABLE DES MATIERES
Conclusions 256
XV
CHAPITREI
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN
DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINAN-
CIER
YvEs DE CoRDT
Professeur à l'U.C.L.
Président du Centre Jean Renauld
INTRODUCTION
(1) Voyez, notamment, la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au controle des établisse-
ments de crédit (M.B., 19 avril 1993, errat. 2 juin et 9 juillet 1993), telle que modifiée par la loi
du 19 novembre 2004 (M.B., 28 déc. 2004), et notamment ses articles 18 et 19), et la loi-
programme pour la promotion de l'entreprise indépendante du 10 février 1998 (M.B., 21 fé-
vrier 1998). Voyez également, les articles 4.5 et 4.8 à 4.10 du Code Lippens (décembre 2004-
www.corporategovernancecommission.be). Même s'il ne s'agit que de «soft law», applicable
uniquement aux sociétés belges cotées, ce Code définit des lignes de conduite en matière de
compétence et de formation des dirigeants d'entreprises qui peuvent utilement servir de sour-
ces d'inspiration.
(2) Yoyez, notamment, sur cette question P. VAN OMMESLAGHE, «L'assurance de la res-
ponsabilité civile des administrateurs de sociétés et d'associations en Belgique et la loi du 25
juin 1992 sur Ie contrat d'assurance terrestre», R.D.C., 1994, pp. 275-305; P. VAN OMMES-
LAGHE, «L'assurance de la responsabilité des administrateurs et commissaires de sociétés
anonymes en Belgique», Les assurances de l'entreprise, vol. 1, Coli. Fac. de droit de l'U.L.B.,
Bruxelles, Bruylant, 1988, pp. 57 à 92; D. DE MASENEIRE, «L' assurance de la responsabili-
té civile de l'entreprise», in Guide juridique de l'entreprise, Livre 126, Diegem, Kluwer, pp.
46-49; D. VAN GERVEN, «Les clauses limitatives de responsabilité, les garanties d'indemni-
sation et l'assurance responsabilité civile des mandataires sociaux», Rev. prat. soc., 1998, pp.
133-162 et spéc. 152-162.
(3) Sur cette question, voyez notamment B. FERON et J. Fr. GOFFIN, «La protection des
administrateurs de sociétés contre la mise en cause de leur responsabilité civile», J.T., 1996,
pp. 384 ets. et D. VAN GERVEN, «Les clauses limitatives de responsabilité, les garanties
d'indemnisation et l'assurance responsabilité civile des mandataires sociaux», Rev. prat. soc.,
1998, pp. 147 ets.
3
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL V AUX
ponsabilité prévues par le Code des sociétés (4). Nous évoquerons ensuite,
dans un titre 2, les cas de responsabilité relevant du droit financier.
(4) Sur la doctrine relative à la responsabilité des administrateurs et des gérants, voyez M.A.
DELVAUX, «Les responsabilités des fondateurs, associés, administrateurs et gérants des SA,
SPRL et SCRL», in Guide juridique del' entreprise, Titre II, Livre 24bis.2, Volume 2, Diegem,
Kluwer, 2006; J. MALHERBE, Y. DE CORDT, Ph. LAMBRECHTet Ph. MALHERBE, Droit
des sociétés - Précis, 2ème édition, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 614 ets.; Ch. RESTEAU,
Traité des sociétés anonymes, tome II, 3ème éd., Bruxelles, Swinnen, 1982, n° 968 ets.; s. 0.
RALET, Responsabilités des dirigeants de sociétés, Bruxelles, Larcier, 1996; J. Fr. GOFFIN,
Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2ème édition, Bruxelles, Larcier, 2004. H. OLIVIER
et K. DEBOECK, Vademecum des SPRL, gérants et associés, Bruxelles, Creadif, 5ème éd.,
1997; P. NICAISE et K. DEBOECK, Vademecum des sociétés coopératives, Bruxelles, Crea-
dif, 2°éd., 1995; P. VAN OMMESLAGHE, «Développements récents de la responsabilité en
matière économique», in L' évolution récente du droit commercial et économique, Bruxelles,
Ed. Jeune Barreau, 1978, pp. 9 ets.; J. RONSE et S. LIEVENS, «L'administrateur des socié-
tés, la responsabilité des administrateurs et gérants après la faillite, I' extension de la faillite au
maître del' affaire», Les sociétés commerciales, Bruxelles, Ed. Jeune Barreau, 1985, n° 1; J.-L.
FAGNART, «Laresponsabilité des administrateurs de la société anonyme», in J.-L. FAGNART,
X. DIEUX et C. DALCQ, La responsabilité des Associés, Organes et Préposés des Sociétés,
Bruxelles, Ed. Jeune Barreau, 1991, pp. 1 ets.; 0. CAPRASSE, «La responsabilité civile
professionnelle des administrateurs», Act. dr., 1997, pp. 481 ets.; V. SIMONART, «La quasi-
immunité des organes de droit privé», note sous Cass., 7 novembre 1997, R.C.J.B., 1999, pp.
732 et s.; G. HORSMANS, «La transparence organique et fonctionnelle et la responsabilité
des organes», in Liber amicorum Walter Van Gerven, Deurne, Kluwer, 2000, pp, 553 ets.;
P. KILESTE et C. STAUDT, «La responsabilité de I' administrateur et du réviseur d' entre prise
dans les sociétés anonymes», in Dernières évolutions en droit des sociétés, Bruxelles, Editions
du Jeune Barreau, 2003, pp. 3 ets.; E. HUPIN et B. DOCQUIR, «Responsabilité des dirigeants
d'entreprise: Nouvelles lois, nouveaux risques?», Rev. prat.soc., 2003, pp. 337 ets.; X. DIEUX,
«La responsabilité civile des administrateurs ou gérants d'une personne morale à l'égard des
tiers: une révolution de velours», in Mélanges John Kirkpatrick, Bruxelles, Bruylant, 2004,
pp. 225 ets.; V. SIMONART, «La théorie de I'organe», in Liber amicorum Michel Coipel,
Bruxelles, Kluwer, 2004, pp. 713 ets.; P. VAN OMMESLAGHE, «La théorie de I'organe:
évolutions récentes», in Liber amicorum Michel Coipel, Bruxelles, Kluwer, 2004, pp. 765
ets.; P. DE WOLF, «Variations sur la responsabilité des administrateurs. Variations sur Ie
thème du mandat», DAOR, 2005, liv. 74, pp. 95 ets.
(5) P. VAN OMMESLAGHE, «La théorie de l'organe: évolutions récentes», op.cit., p. 765.
4
l
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
nisme de la représentation (6). L' acte del' organe est donc l' acte de la société:
il est matériellement accompli par l' organe; il est juridiquement posé par la
société (7).
C' est en vertu de la théorie de l 'organe que la société est responsable des
actes et faits juridiques accomplis par ses organes. S'il est vrai que, sous
réserve de l' application de la théorie de l' apparence (8), les administrateurs
ou gérants n'engagent, en principe, la responsabilité de la société que dans la
mes ure ou ils agissent dans l' exercice de leurs fonctions et dans les limites de
leurs attributions (9), on constate que, dans Ie souci de protéger les tiers de
bonne foi, Ie Code des sociétés met à charge de la société des actes dont elle
aurait pu refuser d'assumer la responsabilité: les restrictions statutaires aux
pouvoirs du conseil d' administration et la répartition éventuelle des tàches
entre les administrateurs ne sont pas opposables aux tiers, fussent-elles pu-
bliées, et la société est liée par les actes accomplis par ses organes qui excè-
dent l' objet social, sauf si elle démontre que Ie tiers avait connaissance de ce
dépassement d'objet social ou ne pouvait l'ignorer, sans que la publication
des statuts soit décisive à eet égard (articles 552 et 526, articles 257 et 258 et
article 407 CS) (10). Dans ces hypothèses, les administrateurs seront respon-
sables pour infractions au Code ou aux statuts (voir infra).
5
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
personne morale avec laquelle il fait corps et forme un tout indissoluble. «At-
tendu que l 'être mora! ne peut agir qu 'à l 'intervention de personnes physi-
ques, ses organes; que ceux-ci n 'agissent en cette qualité et dès lors nes' iden-
tifient avec !'être mora! que s'ils restent dans les limites de leurs attribu-
tions» (12). Aussi longtemps que les organes agissent en poursuivant le but
fixé par la loi et les statuts et dans le cadre de leurs fonctions, les actes qu'ils
po sent, les faits qu' ils accomplissent et les fautes qu' ils commettent sont ceux
de la société et ils engagent directement la responsabilité de celle-ci sur la
base du contrat ou des articles 1382 et 1383 du Code civil.
L' immunité «fonctionnelle » que pourrait conférer la théorie de l' organe est -
en tout état de cause - compensée ou tempérée, dans certaines hypothèses
légales d'interprétation stricte, par une responsabilité individuelle ou solidai-
re - parfois renforcée - des administrateurs et gérants.
6
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
Il ne faut toutefois pas négliger les cas dans lesquels la responsabilité des
dirigeants peut être invoquée durant la vie active et rentable de la société. La
meilleure information des actionnaires et associés ( 13) peut les inciter à réa-
gir plus souvent que ce n'était Ie cas dans Ie passé, ou la responsabilité des
administrateurs ou des gérants relevait davantage du mythe. Aujourd'hui en-
core, les dirigeants étant une émouvation de la majorité à l' assemblée généra-
le, le risque que la société exerce une action sociale à leur encontre demeure
très limité (14). Cela étant précisé, les tiers - de plus en plus combatifs -
(fournisseurs, travailleurs, sous-traitants, ... ) peuvent chercher à engager la
responsabilité des dirigeants en cours de vie sociétaire et ils se révèlent de
plus en plus combatifs ...
(13) Voyez notamment les articles 96,274,412 et 540 du Code des sociétés. A noter toutefois
que Ie Code des sociétés restreint Ie droit des actionnaires d'obtenir des réponses à leurs ques-
tions dans la mesure ou il permet désormais aux dirigeants de refuser de répondre si leur
réponse est de nature à porter gravement préjudice à la société, aux actionnaires ou au person-
nel de la société.
(14) L' action sociale dépend d'une décision del' assemblée générale qui est contrölée par ceux
qui cherchent à obtenir la décharge ... L'introduction d'une action sociale peut cependant être
envisagée par un actionnaire minoritaire (voir infra) ou lorsque prend fin la connivence entre
les dirigeants et Ie groupe d'actionnaires majoritaires, ce qui peut être Ie cas lorsqu'un renver-
sement de majorité s'opère suite à une offre publique d'acquisition ou à une cession de contro-
le ne se réalisant pas sous une forme contractuelle.
7
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL VAUX
TITRE 1
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS DANS LE CADRE DU
CODE DES SOCIETES
SECTION 1
foENTIFICATION DES PERSONNES RESPONSABLES
5. Les organes collégiaux tels que Ie conseil d' administration d'une SA,
dont les membres ne constituent pas individuellement un organe, ne possè-
dent pas la personnalité juridique alors que les organes individuels - gérant
d'une SPRL ou administrateur-délégué d'une SA- en jouissent. Aussi bien,
lorsque la doctrine et la jurisprudence traitent - indifféremment - de la res-
ponsabilité des organes ou de la responsabilité des administrateurs ou des
gérants, elles visent en réalité, selon les cas, la responsabilité de l' organe
individuel ou celle des membres des organes collégiaux.
8
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
Les administrateurs soumis aux pressions exercées par les actionnaires, sans
rapport avec l'intérêt de la société, invoquent parfois le manque d'indépen-
dance pour esquiver leurs responsabilités. Il en va ainsi des administrateurs
désignés par les pouvoirs publics dans les sociétés que ceux-ci contrölent et
auxquelles ils portent un intérêt particulier ou des cadres d'une entreprise
chargés d' occuper un siège au conseil d' administration d' une filiale. Ni pour
ces cadres d' entreprise, ni pour les administrateurs pub lies n' existent des rè-
gles dérogatoires au dtoit commun (18). Leur responsabilité pourra être en-
gagée, en fonction des circonstances. C'est au pouvoir judiciaire qu'il appar-
tiendra d' apprécier celles-ci.
9
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
Si l'article 524 soumet toujours les décisions ou opérations qui tombent dans
son champ d'application à l'appréciation d'administrateurs «indépendants»,
mais cette indépendance ne s' apprécie plus uniquement au re gard de l' opéra-
tion envisagée mais de manière plus objective et fonctionnelle, au regard des
critères énoncés par la disposition légale. Les administrateurs indépendants
doivent au moins répondre à des critères fonctionnels, personnels et finan-
ciers et, en tout état de cause, «n 'entretenir aucune relation avec une société
qui est de nature à mettre en cause leur indépendance» (article 524, § 4, al. 2,
4°). L'article 524 s'inscrit dès lors nettement dans les techniques actuelles de
corporate governance et, même si la loi ne prévoit pas directement la dési-
gnation obligatoire d'administrateurs indépendants au sein des sociétés co-
tées, cette disposition aura pour effet que la plupart des sociétés belges cotées
désigneront, in tempore non suspecto, trois administrateurs indépendants au
sein de leur conseil d'administration (20).
.. ./ ...
FRAN, «Les conflits d'intérêts au sein des groupes de sociétés et la notion d'administrateur
indépendant», in A. PUTTEMANS (coord.), Actualités en droit des sociétés, Bruxelles, Bruy-
lant, 2006, pp. et s.
(20) La désignation d'administrateurs indépendants avait été recommandée par la Bourse de
Bruxelles et par la Fédération des Entreprises de Belgique. Par ailleurs, la Commission bancai-
re et financière a encouragé la mise en ceuvre de pratiques de rapportage concernant les usages
et les règles de corporate governance.
(21) J. MALHERBE et Y. DE CORDT, «La participation des travailleurs au capita! et aux
bénéfices des sociétés. Aspects de droit des sociétés», in La participation des travailleurs au
capita/ et aux bénéfices des sociétés - Commentaires de la loi du 22 mai 2001, Bruxelles,
Bruylant, 2001, pp. 205 ets.
(22) Doe. pari., Ch. Repr., sess. 2000-2001, n° 50 1211/001, p. 24.
(23) V. MAGNIER, Rapprochement des droits dans l'Union européenne et viabilité d'un droit
commun des sociétés, Paris, L.G.D.J., 1999, n° 715.
10
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
tion, qui reste libre d'agir comme bon lui semble. Cependant, on peut raison-
nablement s' attendre à ce que, éclairés par un avis rendu par des administra-
teurs indépendants, assistés d'un expert indépendant, les administrateurs ne
marquent pas leur accord avec des opérations qui entraîneront manifestement
un appauvrissement de la société ou seront fortement contraires à ses intérêts.
Le «dualisme Jonctionnel» est consacré, de manière institutionnelle, par le
Code Lippens, qui formule de nombreuses recommandations à eet égard. Il
pröne une séparation nette des responsabilités entre, d'une part, la responsa-
bilité de la conduite du conseil d'administration et, d'autre part, la responsa-
bilité exécutive de la conduite des activités de la société, la même personne
ne pouvant exercer à la fois la présidence du conseil d'administration et la
fonction de Chief Executive Office r. Le Code Lippens requiert que Ie conseil
d'administration comporte au mains autant d'administrateurs non-exécutifs
qu' exécutifs (24) - un administrateur étant « non-exécutif» lorsqu' il ne se char-
ge d' aucune responsabilité exécutive dans la société- et que trois administra-
teurs non-exécutifs au moins doivent être indépendants (règle 2.2). Selon le
Code Lippens, aucun administrateur individuel ou groupe d'administrateurs
ne peut dominer la prise de décisions dans le conseil d'administration. Dans
les prises de décisions, l'indépendance de jugement est requise de tous les
administrateurs, quels qu'ils soient. Le Code Lippens reconnaît que, tout en
faisant partie du même organe collégial, les administrateurs exécutifs et les
administrateurs non-exécutifs ont un röle spécifique et complémentaire àjouer
dans Ie conseil d'administration.
(24) Nihil.
(25) Recommandation de la Commission du 15 février 2005 concemant Ie röle des administra-
teurs non-exécutifs et des membres du conseil de surveillance des sociétés cotées du conseil
d'administration oude surveillance (2005/162/CE). J.O., 25.02.2005, L.52.
11
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
.. ./ ...
d'appel de Bruxelles du 14 septembre 1988 (R.D.C., 1989, p. 171 et note; T.R. V., 1989, p. 55 et
note J. LIEVENS) en ces termes: «la Cour rappelle d'abord que la qualité d'administrateur
de fait apparaît lorsque quelqu 'un, en foute indépendance et liberté, réellement et de manière
positive, a pris en main l'administration de la société par lafixation de la politique commer-
ciale et de l'organisation du personnel, la conclusion de contrats, l'achat de matériel, la par-
ticipation à l 'administration technique et administrative et le fait de contracter des emprunts.
Les abstentions et les négligences pas plus que les suggestions, les conseils et la surveillance
légale (par exemple comme fournisseur de crédit ou comme caution) ne suffisent pour carac-
tériser une administration de fait». 0. POELMANS signale que Ie délégué d'une organisation
syndicale organisant la poursuite des activités dans Ie cadre d'une occupation d'usine n'agit
pas en qualité d'indépendant puisqu'il reste dans les liens de subordination l'unissant à son
syndicat; il ne peut donc être considéré comme administrateur de fait ni tenu responsable des
désordres de la gestion (Comm. Liège, 17 mai 1983, Jur. Liège, 1983, p. 449 et note P. FRAN-
ÇOIS).
(3 1) Le comité dont il était ici question n' était pas - encore - un «comité de direction» au sens
de I' article 524bis CS, qui a légalisé, moyennant le respect de certaines conditions, cette prati-
que ancienne qui consistait à créer des comités en marge de la loi.
(32) Liège, ler décembre 1969, Rev. prat. soc., 1971, pp. 280 ets. et spéc. p. 289.
(33) Liège (7ème ch.), 17 décembre 1996, J.D.S. C., 2000, n° 204, p. 250; J.L.M.B., 1998, p. 583.
Cette décision a réformé Comm. Namur, 20 novembre 1995, Rev. prat. soc., 1996, p. 349 et
note M. DE WOLF.
(34) Comm. Bruxelles (4èmc ch.), 30 mars 1981, J. T., 1981, p. 524.
13
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX
Les personnes appelées à conseiller ou à surveiller une société - telles que les
banquiers ou les fournisseurs exclusifs - doivent donc se garder de franchir la
frontière qui sépare l'avis ou l'observation de la prise de décision. Il a été
jugé que le banquier qui exerce un controle étroit sur la gestion en payant les
factures du crédité sur la base de pièces justificatives remises par le crédité et
en exigeant que certaines décisions impliquant une utilisation des crédits oc-
troyés soient soumises à son accord préalable ne peut être qualifié d'adminis-
trateur de fait (37).
9. L'article 524bis CS dispose, en ce qui concerne les SA, que les statuts
peuvent autoriser le conseil d'administration à déléguer ses pouvoirs de ges-
tion à un comité de direction composé de plusieurs personnes, administra-
teurs ou non. Cette délégation ne peut toutefois porter sur «la politique géné-
rale de la société ou sur !'ensemble des actes réservés au conseil d'adminis-
tration en vertu d'autres dispositions de la loi». Le conseil d'administration
assume une obligation de surveillance du comité de direction. La loi du 2 août
2002 a complété les articles 527 et 528 du Code des sociétés afin d'élargir
aux membres du comité de direction la responsabilité pour faute de gestion et
pour violation du Code ou des statuts sociaux. Dans !'attente d'une jurispru-
dence spécifique à leur égard, les hypothèses susceptibles d'engager la res-
14
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
ponsabilité des dirigeants peuvent, selon nous, être étendus mutatis mutandis
aux membres du comité de direction.
10. L' article 61, § 2 du Code des sociétés prévoit expressément qué la per-
sonne morale administrateur d'une société (38) doit désigner un représentant
permanent, personne physique chargée de l'exécution de cette mission, qui
encourt les mêmes responsabilités (civile et pénale) que si elle exerçait cette
mission en nom et pour compte propre, sans préjudice de la responsabilité
solidaire de la personne morale représentée (39). Les tiers peuvent ainsi ré-
clamer la réparation de l'intégralité du dommage soit à la personne morale
administrateur, soit à la personne physique exerçant la mission de gestion
(40).
A première vue, l'intérêt d'administrer une société par le biais d'une person-
ne morale afin de masquer sa responsabilité personnelle semble avoir disparu
avec l'entrée en vigueur du nouveau régime. Toutefois, cette affirmation doit
être nuancée en l' absence de sancti ons spécifiques du non respect de l' obli-
gation de désignation. Il est, en pratique, tout à fait possible que certaines
sociétés négligent de désigner un représentant permanent, ce qui engage leur
responsabilité pour violation de la loi mais pourrait éviter à la personne phy-
(38) Qu'il s'agisse de ]'administrateur de SA, du gérant de SPRL oude SCRL, ou du membre
du comité de direction d'une SA. Par contre, la personne morale déléguée à la gestion jour-
nalière ne doit pas désigner un représentant permanent (Doe. Pari., Chambre, sess. ordin.,
2001-2002, n° 1211/14, pp. 241 et 244).
(39) Sur Ie statut, le róle et la responsabilité du représentant permanent, voyez 0. CAPRASSE,
«Personne morale administrateur et comité de direction» publié dans DAOR, 2002/64, pp. 328
ets. et C. EYBEN, «Le représentant permanent: une fonction qui mérite réflexion», Rev. prat.
soc., 2003, pp. 131 ets.
(40) Si Ie représentant est un employé de la société, il ne peut voir sa responsabilité personnel-
le engagée qu'en cas de faute volontaire, de faute grave oude faute légère habituelle. Dans
cette hypothèse, la personne morale demeure responsable tant en sa qualité d'administrateur,
d'une part, que d'cmployeur sur pied de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil, d'autre part.
Les travaux préparatoires indiquent que la loi nouvelle ne porte pas atteinte aux règles de
responsabilité appliquées dans le droit du travail et ils citent précisément l'article 18 de la loi
du 3 juillet 1978 (Doe. Pari., Chambre, sess. ordin., 2001-2002, n° 1211/1, pp. 11 et 12).
(41) Doe. Pari., Chambre, sess. ordin., 2001/2001, n° 1211/001, pp. 9, Il et 12.
15
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL V AUX
Sur le plan pénal, l' article 61, § 2 du Code des sociétés déroge au régime de
«cumulldécumul» des responsabilités pénales de la société commerciale et de
la personne physique, instauré par le nouvel article 5, al. 2 du Code pénal
(42). En effet, cette disposition implique que le représentant permanent de la
personne morale administrateur encourt les mêmes responsabilités sur le plan
pénal que s'il exerçait lui-même la mission de gestion en nom et pour compte
propre. Il peut donc être poursuivi pénalement (i) pour une infraction commi-
se involontairement alors même qu'il n'a pas commis la faute la plus grave et
(ii) pour une infraction commise sciemment et volontairement sans que le
juge ait le choix de ne condamner qu'une des deux personnes, la société ad-
ministrateur ou son représentant permanent. Le texte légal invite à considérer
le représentant permanent comme l' auteur direct del' infraction, indépendam-
ment de la société administrateur qui l' a désigné. Ce nouveau régime aggrave
substantiellement la responsabilité de la personne physique agissant dans le
cadre d'une société commerciale puisque l'application de l'article 5, al. 2 du
Code pénal lui permettait auparavant, dans de nombreuses hypothèses,
d'échapper à toute responsabilité pénale. Ce nouveau régime aggrave égale-
ment la responsabilité pénale de la société administrateur car il semble diffi-
(42) L' article 5, al. 1er du Code pénal dis pose que toute personne morale est pénalement res-
ponsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la
défense de ses intérêts, oude celles dont les faits concrets démontrent qu'elles ont été commi-
ses pour son compte. Aux termes de l'alinéa 2, «Lorsque la responsabilité de la personne
morale est engagée exclusivement en raison de l'intervention d'une personne physique identi-
fiée, seule la personne qui a commis lafaute la plus grave peut être condamnée. Si la personne
physique identifiée a commis la faute sciemment et volontairement, elle peut être condamnée
en même temp,1· que la personne morale responsable».
16
l
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCJETES ET EN DROIT FINANCIER
cile d' admettre que l' on puisse faire, au profit de la société, une application
simultanée des articles 61, § 2 du Code des sociétés et 5, al. 2 du Code pénal.
En ce qui concerne cette influence de l'article 61, § 2 sur la responsabilité
pénale, nous renvoyons au rapport d'H. Bosly.
Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 22 jan vier 1981 (44 ), qui a renver-
sé la position traditionnelle (45), la gestion journalière peut être, en tant que
(43) Une grande liberté contractuelle est reconnue par la loi pour organiser Ja gestion journa-
lière de Ja coopérative; à titre supplétif, c' est-à-dire à défaut de stipulation particulière dans les
statuts, J'article 378 du Code des sociétés (article 146, 3° des L.C.S) précise qu'elle est admi-
nistrée par un administrateur.
(44) Cass., 22janv. 1981, Pas., 1981, I, p. 543, J.T., 1981, p. 342, J.C.B., 1981, p. 343, obs.,
J.D.S. C., 1999, n° 29, p. 88, R. C.J.B., 1981, p. 500, note S.J. NUDELHOLE, «Délégation à la
gestion journalière de la société anonyme et contrat d'emploi». «Attendu que de la seule cir-
constance que Ie directeur d'une société qui n 'est pas administrateur de celle-ci, n 'exerce pas
d'autres fonctions que celle de délégué à la gestion journalière, il ne peut être déduit que Ie
contrat qui le !ie à la société n 'est pas un contrat d' emploi» (nous soulignons). Voyez, dans Ie
même sens, J. CLESSE et M. JAMOULLE, op. cit., n° 3, p. 568. M. JAMOULLE, op. cit.,
n° 153, p. 205.
(45) Doctrine et jurisprudence considéraient que !' exercice de la gestion journalière était ex-
clusif d'un état de subordination et, partant, d'un contrat de travail, et qu'il ne pouvait se
concevoir que comme mandataire (Voyez, en ce sens, Cass., 8 oct. 1979, J.T.T., 1980, p. 59;
M. JAMOULLE, Le contrat de travail, Fac. Dr. Lg., 1982, t. I, n° 153, p. 205; J. CLESSE et
M. JAMOULLE, «Le contrat de travail. Examen dejurisprudence 1978 à 1981», R.C.J.B.,
1983, n° 4, p. 569). En conséquence, on estimait que, si la gestion journalière était déléguée à
un non-administrateur, celui-ci et Ja société étaient liés par deux contrats: un mandat pour
l' exercice de la gestion journalière et un contrat d' emploi pour les fonctions de directeur (Voyez,
sur ce point, N. BEAUFILS, «Contrat de travail, mandat social», I.T.T., 1981, p. 213; Trib.
trav. Bruxelles, 6 novembre 1987, J.T.T., 1988, p. 103). Pour que ces deux conventions -
compatibles - puissent être cumulées en fait, Ie directeur-gérant journalier devait accomplir
comme employé des täches techniques ou administratives distinctes de celles qui lui incom-
baient comme délégué à la gestion journalière. Dans l'exercice de ses fonctions d'employé, il
devait se trouver dans un lien de subordination vis-à-vis de la société (C. trav. Liège, 9 février
1972, Rev. prat. soc., 1973, p. 217; voyez aussi C. tra v. Liège, 4 mars 1982, J. T.T., 1983, p. 9;
Mons, 8 février 1988, Pas., 1988, II, p. 125; Bruxelles, 21 juin 1988, J.T.T., 1989, p. 308;
.. .! ...
17
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
telle, l'objet d'un contrat d'emploi. Ainsi, le directeur qui n'est pas en même
temps administrateur et qui exerce la gestion journalière dans le cadre d'un
contrat d'emploi peut invoquer, à son profit, les limitations de responsabilité
prévues au bénéfice des employés (article 18 de la loi du 3 juillet 1978). Un
pas supplémentaire a été franchi par un arrêt du 28 mai 1984 (46): si, dans son
premier arrêt, la Cour de cassation considérait que la fonction d' administra-
teur délégué ne pouvait s'exercer dans Ie cadre d'un contrat d'emploi, à peine
de violer les dispositions légales relatives à la révocabilité des administra-
teurs (47), elle admet, dans I' arrêt de 1984, qu'un administrateur puisse être
chargé de la gestionjournalière dans Ie cadre d'un contrat d'emploi.
La loi sur les sociétés n' a pas prévu, pour les SPRL, de délégué à la gestion
journalière. Dans cette forme sociétaire, le principe est la gestion individuel-
le: chaque gérant peut poser tous les actes d'administration et de disposition
liés à l' accomplissement de l' objet social, sauf ceux que la loi réserve à l' as-
semblée générale (article 257, al. 1 CS); les gérants disposent dès lors de
pouvoirs concurrents, que ce soit au niveau de la gestion interne de la société
oude sa représentation externe (48). On peut donc douter apriori de l'oppor-
tunité de recourir à cette notion de délégation journalière dans le cadre des
SPRL.
.. ./...
J. CLESSE, «Examen de jurisprudence. Contra! de travail», R. C.J.B., 1988, p. 241 ). Si la res-
ponsabilité du directeur-gérantjournalier était mise en cause, il fallait vérifier en quelle qualité
Ie comportement incriminé avait été accompli pour appliquer, Ie cas échéant, les règles corres-
pondantes. En qualité de délégué à la gestion journalière, il répondait de sa foute légère tant sur
Ie plan contractuel que sur Ie plan délictuel ou quasi délictuel. Il avait en outre la qualité
d'organe, ce qui permettait aux tiers, Ie cas échéant, d'invoquer la responsabilité directe et
personnelle de la société, !'acte accompli étant censé être celui de la société. En qualité de
directeur, les limitations de responsabilité prévues par l' article 18 de la loi du 3 juillet 1978
pouvaient être invoquées: la société et les tiers n'obtenaient satisfoction qu'en démontrant
l'existence d'un dol ou d'une foute lourde ou Ie caractère habituel d'une faute légère.
(46) Cass., 28 mai 1984, Pas. 1984, I, p. 1172, Arr. Cass., 1983-1984, p. 1252, Bull. 1984, p.
1172,R. W., 1984-1985, p. 333,J.D.S.C., 1999, n° 30, p. 90 et obs. P. KILESTE etC. BERTSCH.
Dans Ie même sens, voyez Cass. (3èmc eb.), 30 mai 1988, Rev. dr. soc., 1988, p. 293: «/'admi-
nistrateur est lié par un contrat de tra va il lorsqu 'il assure la gestionjoumalière sous l' autori-
té d'un organe, d'un autre administrateur ou d'un préposé de la société».
(47) Pour les SA, voyez l'article 518, §3 CS stipulant que les administrateurs sont toujours
révocables par l'assemblée générale. Pour les SPRL, l'article 256, al. 2 prévoit que les pou-
voirs des gérants sont révocables en tout ou en partie pour motifs graves. Aucune disposition
similaire n'existe pour les SCRL.
(48) M. COIPEL, Les sociétés privées à re.1po11sabilité limitée, op. cit., n° 280, pp. 244-245.
Dans la pratique cependant, les statuts organisent parfois une gestion collégiale, par Ie biais
d'un conseil de gérance ou d'un collège de gestion, quine peut comporter que des gérants (et
non un directeur de la société par exemple). La clause statutaire relative à ce mode de gestion
est inopposable aux tiers, quand bien même elle aurait fait l'objet d'une publication aux An-
nexes du Moniteur beige (article 257, al. 2, CS). Quant à la représentation externe de la SPRL,
.../. ..
18
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
12. Désigné par les statuts ou nommé par l' assemblée générale, le diri-
geant qui est en désaccord avec Ie conseil d'administration et veut éviter de
participer à des décisions susceptibles d' engager sa responsabilité peut dé-
missionner à tout moment. Sa démission ne peut toutefois interve'nir «à con-
tretemps», c' est-à-dire à un moment ou elle porterait préjudice à la société
(49). Dans certains cas, l' administrateur qui souhaiterait démissionner doit
donc poursuivre sa missionjusqu'à ce qu'il soit remplacé. La démission peut,
au demeurant, être fautive si elle constitue une fuite et un abandon de pouvoir
aux mains d'administrateurs dont Ie démissionnaire désapprouve les métho-
des (50). L' assemblée générale doit prendre acte de la démission intervenue,
qui doit être publiée au Moniteur belge (article 74, 2°a CS), et veiller si né-
cessaire au remplacement du démissionnaire (51 ).
L'assemblée générale qui n'accepte plus la manière de gérer de !'administra-
teur ou du gérant peut également décider de Ie révoquer.
Enfin, le mandat de gestion prend fin au termefixé, si Ie dirigeant n'est pas
reconduit dans ses fonctions.
19
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL V AUX
Pour assurer une plus grande sécurité juridique, il est conseillé de procéder à
la publication systématique de toute cessation de fonctions d'un dirigeant,
quelle qu' en soit sa cause.
SECTION 2
LA RESPONSABILITÉ POUR FAUTE DE GESTION
13. Aux termes de l' article 527 du Code des sociétés, «les administra-
teurs, les membres du comité de direction et les délégués à la gestion journa-
.. ./...
(52) Dans l'hypothèse ou Ie dirigeant aurait poursuivi sa mission de gestion après sa démission
ou sa révocation, on note que sa faute engagerait sa responsabilité comme administrateur de fait.
(53) Bruxelles, 24 février 2000, J.D.S.C., 2002, n° 408, p. 191 et obs. M.A. DELVAUX, Juris-
tenkrant 2000 (reflet D. BLOMMAERT), liv. 20, p. 4; Rev. prat. soc. 2000, 258, note W.
DERIJCKE.
(54) La «cessation des fonctions» qui doit être publiée selon cette disposition vise uniquement
les hypothèses de démission et de révocation, et non celle de l'arrivée du terme fixé (P. HAI-
NAUT-HAMENDE et G. RAUCQ, Les sociétés anonymes, T. I, Bruxelles, Larcier, 2005, p.
471, n° 370).
20
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
L'intérêt social (58) joue donc un róle dans l' appréciation de la faute. Pour
rappel, selon une première conception, l'intérêt social s'identifie à l'intérêt
commun des associés évoqué à l'article 19 CS. Pour ceux qui veulent mettre
l' accent sur le long terme et la continuité, l'intérêt social correspond à tout Ie
moins à l'intérêt des actionnaires actuels etfuturs. Enfin, la société commer-
ciale étant, par excellence, la structure juridique de l'entreprise, une troisiè-
me tendance considère que l'intérêt social recouvre également les intérêts
extern es à la société, c' est-à-dire ceux de ses partenaires ( « stakeholders » ),
qui collaborent avec la société, parmi lesquels les travailleurs, les créanciers,
voire la région économique. Dans le domaine de la responsabilité des admi-
nistrateurs et de l'évaluation de leurs comportements, la conception large de
l'intérêt social n'est pas le critère idéal d'appréciation. Le débat doit dès lors
être centré sur la poursuite de l'intérêt propre de la société commerciale, qui
consiste à assurer sa stabilité, sa continuité et son développement. Cela ne
signifie évidemment pas qu' une société puisse évoluer dans 1' ignorance tota-
le des effets de ses activités sur les tiers: elle doit agir sans abuser de ses
droits et dans le respect de ses obligations légales ou contractuelles. Cette
conception doit toutefois être nuancée en ce qui concerne les__groupes de so-
ciétés. La défense des intérêts du groupe peut amener les dirigeants d'une
(55) Article 262 pour les SPRL et article 408, al. 1 pour les SCRL.
(56) J.-L. FAGNART, «La responsabilité des administrateurs de la société anonyme», in J.-L.
FAGNART, X. DIEUX et Chr. DALCQ, La responsabilité des associés, organes et préposés
des sociétés, 1991, Bruxelles, Ed. Jeune Barreau, p. 1.
(57) 0. RALET, Responsabilités des dirigeants de société, Bruxelles, Larcier, 1996, p. 90; E.
HUPIN et B. DOCQUIR, «Responsabilité des dirigeants d'entreprise: Nouvelles lois, nou-
veaux risques?», op. cit, p. 337.
(58) A. FRANÇOIS, Het vennootschapsbelang in het Belgische vennootschapsrecht, Antwer-
pen, Intersentia Rechtswetenschappen, 1999; Y. DE CORDT, L'égalité entre actionnaires,
Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. et s.
21
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
Le critère pour apprécier la faute, acte positif ou abstention, est cel ui de !'-ad-
ministrateur normalement diligent et compétent. La faute de gestion consiste
«dans tout manquement à l 'obligation que les administrateurs ont de gérer,
suivant le mandat qu 'ils ont reçu de la société, les intérêts de cette dernière
en bon père de familie, c 'est-à-dire en apportant à cette gestion tous les soins,
toute la diligence avec lesquels un chef de familie est censé administrer le
patrimoine familial. Elle peut être constituée par un fait positif, par une omis-
sion ou par une négligence» (60).
(59) Voyez Bruxelles, 16 juin 1981, Rev. prat. soc., 1981, p. 145 et Comm. Liège, 13 octobre
1981, Rev. prat. soc., 1982, p. 45. Voyez également G. KEUTGEN, «Les groupes en regard du
droit des sociétés», in Les groupes de sociétés, Faculté de droit de Liège, C.V.D.A., 1973, pp.
120 ets.; P. VAN OMMESLAGHE, «Rapport général», in Les droits et devoirs des sociétés
mères envers leursfiliales, Anvers, Kluwer, 1986, p. 77 ets.; M. MARECHAL, «Sur l'abus de
majorité dans les groupes de sociétés», note sous Bruxelles, 9 octobre 1984, Rev. prat. soc.,
1986, pp. 57 ets.; L. CORNELIS, «De aansprakelijkheid van bestuurders van vennootschap-
pen in groepverband», in Aspect des groupes d'entreprises, Anvers, Kluwer, 1989, p. 161; P.
VAN OMMESLAGHE et X. DIEUX, «Les sociétés commerciales, Examen de jurisprudence
(1979 à 1990)», R.C.J.B., 1992, p. 631; V. SIMONART, «Le contra! de management. Aspects
de droit des obligations et de droit des sociétés», R.D.C., 1991, p. 1058; E. WYMEERSCH,
«L'article 60 et Ie droit beige des groupes de sociétés», Hommage à Jacques Heenen, Bruxel-
les, Bruylant, 1994, p. 651, n° 23; A. FRANCOIS, «Het wankele evenwicht tussen vennoots-
chap en groepsbelang», T.R. V., 1994, p. 221; N. THIRION, «Délocalisation d'une division de
l'entreprise et l'intérêt social», Rev. prat. soc., 1996, p. 84, n° 31. Une filiale dont !'activité
reste économiquement viable ne pourrait pas se voir imposer d'arrêter ses activités en vue de
favoriser Ie développement d'une autre société du groupe, même si cette décision peut paraître
économiquement justifiée au niveau de!' ensemble du groupe vu les économies d' échelle et les
perspectives commerciales (voyez 0. RALET, op.cit., p. 92). Voyez également, en droit fran-
çais, l' arrêt fondateur de la jurisprudence française Cass. Cri m., 4 février 1985, Rozenblum,
Rev. soc., 1985, p. 648, note B. BOULOC et Q. ORBAN, «La «communauté d'intérêts», un
outil de régulation du fonctionnement du groupe de sociétés», R. T.D. Com., 2000, pp. 1 et s.
(60) Etude sur la question de l'action sociale et de l'action individuelle des actionnaires dans
les sociétés anonymes, Centre d'étude des sociétés anonymes, 1937, Bruxelles, p. 24, citée par
P. DE WOLF, «Variations sur la responsabilité des administrateurs. Variations sur Ie thème du
mandat», op.cit., p. 97.
22
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
L' obligation de bien gérer n' entraîne pas la responsabilité pour toute erreur
d' appréciation, d' opinion ou de décision. Ainsi, même en cas de non-respect
d'une norme légale autre que le Code des sociétés, il faut, pour conclure à
l'existence d'une faute de gestion, avoir égard au contenu et à la portée de la
norme violée, aux circonstances juridiques et économiques dans lesquelles
elle n'a pas été respectée et aux motivations profondes des administrateurs.
Si la norme dont la société est le destinataire n' a pas été respectée, non pour
favoriser les administrateurs et les gérants, mais dans l'intérêt de la société
elle-même, parce que celle-ci se trouvait dans une sorte d' état de nécessité ou
pour lui procurer un avantage économique, et si la norme laissait, par son
caractère technique, flou, ambigu ou imprécis, une marge d' appréciation im-
23
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX
portante à son destinataire, l'existence d'une faute de gestion dans Ie chef des
administrateurs n' est pas évidente. Dans ce cas de figure, ce n' est parfois
qu' aposteriori que I' acte s' avère illégal et que les sancti ons infligées ? I' en-
treprise ont pour effet de «confisquer» les avantages que eet acte était censé
lui procurer. L'attitude de la société et de ses actionnaires - plus ou moins
pressants et convaincants - peut également être prise en considération.
- l' octroi de crédit à des personnes notoirement insolvables ainsi que l' oc-
troi de crédit ou de délais de paiement sans garantie suffisante, spéciale-
ment s'il s' agit de crédit accordé à un administrateur, gérant, commissaire
ou cadre de la société concemée;
24
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
(69) Voyez notamment Bruxelles, 1 février 1982, J.D.S.C., 2000, n° 198, p. 236 et note M.
CALUWAERTS, Rev. prat. soc., 1982, p. 219 et note.
(70) Civ. Liège, 25 février 1966, Jur. Liège, 1965-1966, p. 243.
(71) Comm. Courtrai (5ème ch.), 19 février 2003, J.D.S.C., 2004, n° 576, p. 218; T.R. V., 2003,
p. 417 et note J. VANANROYE.
(72) Comm. Courtrai (5ème ch.), 19 février 2003, op. cit.
(73) Gand, 25 juin 1999, JDSC, 2002, n° 402, p. 164 et obs. M.A. DELVAUX.
(74) Gand, 24 octobre 2000, J.D.S.C., 2002, n° 403, p. 168 et note M.A. DELVAUX, «La
déduction fiscale comme charge professionnelle de l'indemnisation versée par un dirigeant à
la victime de sa faute - société ou tiers - dans Ie cadre de sa responsabilité civile: bref aperçu»,
F.J.F., 2001, p. 108 et Fisc. Act., 2000 (re11et DESTERBECK F.), liv. 38, p. 7.
25
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL V AUX
16. La faute de gestion étant une faute contractuelle, l' action fondée sur
celle-ci est réservée exclusivement à la société, ce qui suppose soit une déci-
sion de l'assemblée générale (action sociale), soit une·action minoritaire, soit
une initiative du curateur, sous sa «casquette» de représentant de la société,
ou du liquidateur. Les tiers ne peuvent donc introduire ce type d'action, sauf
s'ils l'intentent en lieu et place de la société qui reste en défaut d'agir (action
oblique) (75). Apropos de la question de savoir si la faute de gestion peut
simultanément constituer une faute quasi délictuelle, nous renvoyons à la con-
tribution de Messieurs Philippe et Gathem.
SECTION 3
LA RESPONSABILITÉ POUR VIOLATION DU CODE DES SOCIÉTÉS OU DES STATUTS
17. L'article 528 du Code des sociétés stipule que «les administrateurs
sant solidairement responsables, soit envers la société, soit envers les tiers,
de tous dommages et intérêts résultant d'infractions aux dispositions du pré-
sent code ou des statuts sociaux» (76). «Quand les administrateurs font sor-
tir la société des bornes qui limitent son existence, ils ne peuvent plus invo-
quer le bénéfice de l'irresponsabilité personnelle, ils ont eux-mêmes répudié
le fondement de cette immunité» (77).
(75) Article 1166 du Code ei vil. A condition toutefois que l'assemblée générale n'ait pas préa-
lablement donné décharge. Si toutefois cette décharge avait été donnée pour nuire aux créan-
ciers, ceux-ci auraient alors Ie droit de faire déclarer nulle la délibération ainsi intervenue et
d'intenter l'action (action paulienne, article 1167 du Code civil). Quant à l'intérêt réduit de
l'action oblique que pourraient exercer les tiers ayant une créance envers la personne morale
contre les administrateurs et gérants, voyez V. SIMONART, «La quasi-immunité des organes
de droit privé», op.cit., pp. 749 et 771.
(76) Article 263, al. 1 pour les SPRL et article 408, al. 2 pour les SCRL.
(77) J. GUILLERY, Commentaire législatif, Il, n° 51, p. 124.
26
l
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
(78) A eet égard, la commission européenne propose d'instaurer une responsabilité collective
des membres des organes d'administration, de gestion et de surveillance pour les états finan-
ciers ainsi que pour les informations non financières clefs, et de promouvoir la transparence
des relations intragroupes et des transactions avec des parties liées (proposition de directive du
parlement et du conseil du 27 octobre 2004 modifiant la directive 78/660/CEE du conseil
concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés et la directive 83/349/CEE du
conseil concernant les comptes consolidés).
(79) Par exemple, l'article 110 du Code consacre l'obligation pour toute société mère d'établir
des comptes consolidés ainsi qu'un rapport de gestion sur ces comptes consolidés lorsqu'elle
controle une ou des filiale(s). Si auparavant aucune conséquence n'était attachée par les L.C.S.
à la violation de cette exigence introduite par arrêté royal (article 7 de l' A.R. du 6 mars 1990
(I) relatif aux comptes consolidés des entreprises, M.B., 27 mars 1990, p. 5675), la situation est
bien différente désormais puisque la responsabilité civile des dirigeants défaillants pourra être
engagée.
(80) Exposé ~es motifs, Doe. par!., Ch., 1998-1999, n° 1838/1, pp. 49, 50, 72 et 101.
27
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
18. Dès que la violation du Code ou des statuts est établie, la faute existe
mais la société (ou le curateur la représentant après la faillite) doit encore
établir le dommage qu'elle invoque et le lien de causalité entre la faute et le
dommage, qui est souvent difficile à démontrer (81). Le Code instaure une
présomption d'imputabilité: la violation de la loi ou des statuts est présumée
être le fait de tous les administrateurs, solidairement (82).
Si la décharge est valablement votée (84 ), elle peut mettre fin à la responsabi-
lité encourue par les administrateurs ou les gérants à l' égard de la société,
sauf le cas de l'intentement d'une action minoritaire. La décharge est cepen-
dant dépourvue d'effet à l'égard des tiers (voir infra).
(81) Voyez Civ. Huy (3ème ch.), 18 novembre 2004 (J.D.S. C., 2005, n° 663, p. 168 et obs. M.A.
DELVAUX): Ie tribunal considère que la faute commise par ]'administrateur qui n'a pas assuré
la mise en concordance des statuts de la SCRL gérée aux nouvelles exigences en matière de
capita! fixe minimum imposées par la loi du 20 juillet 1991 ne présente pas de lien causa] avec
Ie dommage dont Ie curateur postule réparation puisque la décision de liquider la société a été
prise dans Ie délai reconnu par la loi pour adapter les statuts.
(82) Rappelons ici la notion de faute commune, à savoir l'hypothèse dans laquelle plusieurs
personnes commettent une faute ensemble, en contribuant à produire un fait dommageable,
celles-ci étant alors condamnées solidairement à réparer la totalité du dommage causé. Le
Code des sociétés présume que la violation du Code ou des statuts est une faute commune des
dirigeants. Les deux arrêts fondateurs de cette notion sont les suivants: Cass., 25 juin 1955,
Rev. prat. soc., 1956, p. 189 et concl. du Procureur général Hayoit de Terrnicourt et Cass., 15
février 1974, R.C.J.B., 1975, p. 229 et note J.-L. FAGNART, R. W., 1973-1974 et conclusions
de Mr Ie Premier avocat général Dumon.
(83) Mons, 20 mai 1985, J.D.S.C., 2000, p. 232 et note M. CALUWAERTS, Rev. prat. soc,
1985, p. 261: «Attendu qu 'aucun administrateur ne peut tirer argument de son absence à des
réunions, alors qu'en raison de ses fonctions il aurait dû y assister, et encore mains de son
incompétence, qui aurait dû lui dicter de ne pas accepter une telle fonction».
(84) La décharge peut être invalidée lorsque Ie bilan contenait une lacune ou une tromperie
dissimulant la situation réelle de la société ou lorsque les actes accomplis en-dehors des statuts
ou en contravention avec Ie Code n'ont pas été spécialement indiqués dans la convocation
(voyez infra et les articles 284, al. 2, 411, al. 2 et 554, al. CS).
28
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
(85) Gand (23ème ch.), 17 octobre 2001, J.D.S.C., 2004, n° 579, p. 230; DAOR, 2002, liv. 63, p.
300; R.D.C., 2002, p. 703.
(85bis) En ce qui concerne les SARL et les SA, les articles 268 et 532 du Code prévient cette
obligation. Quant aux sociétés Coopératives, les statuts peuvent prévoir une telle obligation en
adaptant la proportion applicable.
(86) Articles 259 et 523 du Code des sociétés; voyez infra.
(87) Sur cette question, voyez M.A. DELVAUX, «Les sociétés coopératives qui n'ont pas
adapté leur capita! aux nouvelles exigences de la loi du 20 juillet 1991: quelles protections
pour les tiers?», R.D.C., 1998, p. 588 ets.; voyez également Comm. Charleroi, 10 septembre
1997 et Liège (7ème ch.), 18 novembre 1997 dans J.D.S.C., 1999, pp. 226 à 230, aux n° 89 et
90. Voyez par exemple Civ. Gand (3ème ch.), 25 février 2003, J.D.S.C., 2004, n° 577, p. 225 et
obs. M.A. DELVAUX, Courr. Fisc., 2003 (reflet), p. 370, note X; Comm. Bruxelles (5ème ch.),
22 octobre 2002, J.D.S.C., 2004, n° 578, p. 227 et obs. M.A. DELVAUX, D.A.O.R., 2002, liv.
63, p. 293.
(88) Gand (23èmc ch.), 17 octobre 2001, J.D.S. C., 2004, n° 579, p. 230; DAOR, 2002, liv. 63, p.
300; R.D. C., 2002, p. 703.
(89) Gand (23èmc ch.), 17 octobre 2001, op.cit.
(90) Gand (7èmc ch.), 8 février 2001, J.D.S.C., 2003, n° 508, p. 211 et note M.A. DELVAUX,
«De !'administrateur responsable et de l'importance du lien de causalité».
29
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL V AUX
N' a pas été reconnue comme une violation du Code ou des statuts engageant
la responsabilité des dirigeants la non-exécution partielle de mesures de reca-
pitalisation projetées et proposées par des réviseurs (92).
SECTION 4
LA RESPONSABILITÉ POUR FAUTE GRAVE ET CARACTÉRISÉE AVANT CONTRIBUÉ À LA
FAILLITE (93)
30
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
Cette SOllrce de responsabilité ne s' applique pas si la société en foillite est une
SPRL ou une SCRL qui a réalisé, au cours des trois derniers exercices qui
précèdent la foillite, un chiffre d'affaires moyen inférieur à 620.000 € hors
T.V.A., et si le total du bilan, au terme du dernier exercice, n'a pas dépassé
.. ./ ...
l'association Henri Capitant, Journées grecques, t. XXVIII, 1977, pp. 166 et 167; H. BRAECK-
MANS, «Toerekening van het vennootschapsfaillissement aan de achterman of de uitbreiding
van het faillissement tot de meester van de zaak», R. W., 1978-1979, col. 850; du même auteur:
«Toerekening van het faillissement aan de achterman meer dan zes maanden na de faillietver-
klaring van de vennootschap, R. W., 1980-81, col. 1798-1799; P.-A. FORIERS, «Observations
sur Ie contrat de prête-nom et la théorie des extensions de faillite», J. T., 1980, p. 417 ets.; F.
T'KINT, «L'extension de faillite», R.C.J.B., 1981, p. 49; M. CLAES, «De l'extension de la
faillite d'une société à son dirigeant», Rev. b. compt., 1981, afl. 4, pp. 14-17; P. COLLE, «Is de
uitbreiding van het vennootschapsfaillissement tot de meester van de zaak juridisch verant-
woord?», R. W., 1982-1983, col. 1697; J. RONSE et J. LIEVENS, La responsabilité des admi-
nistrateurs et gérants après lafaillite - l'extension de lafaillite au maître de /'affaire, Les
sociétés commerciales, Jeune Barreau, 1985, p. 185 ets.; K. BYTTEBIER, «Enige beschouwin-
gen over de zin en onzin van de beperkte aansprakelijkheid», D.A. O.R., 1994, n° 30, p. 66.
(94) P. COPPENS et F. t'KINT, «Les faillites, les concordats et les privilèges, Examen de
jurisprudence ( 1984-1990)», R. C.J.B., 1991, p. 492. Dans Ie même sens, voyez M. COIPEL,
Les sociétés privées à responsabilité limitée, 2ème éd., Larcier, 1997, n° 317-1 et les références
citées et J.-Fr. GOFFIN, op.cit., n° 132, et les références citées.
(95) Le juge dispose d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire pour condamner solidaire-
ment ou non les administrateurs, en tenant compte par exemple de la répartition des tàches
entre dirigeants oude l'incidence de leurs fautes respectives sur la faillite (Comm. Charleroi,
16 décembre 1998, J.D.S. C., 2002, n° 413, p. 209, R.D. C., 2000, p. 642).
(95bis) Nous renvoyons à la contribution de D. PHILIPPE et G. GATHEUR quant aux subtili-
tés de la responsabilité des dirigeants à l'égard des tiers sur la base du droit commun.
31
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL V AUX
370.000 € (96). Le chiffre d'affaires visé par cette disposition est celui réali-
sé par la société «au cours des trois exercices ayant précédé lafaillite». C'est
aux administrateurs ou gérants qu'il appartient d'établir que la société qu'ils
gèrent entre dans les conditions fixées (97), et non au demandeur d' établir Ie
contraire (98). Malgré quelques égarements de la jurisprudence (99), il nous
paraît certain que les dirigeants d'une société déclarée en faillite dans les trois
premières années de son existence ne peuvent bénéficier de cette faveur car
ils ne peuvent établir qu'au cours des trois exercices précédant la faillite, le
chiffre d' affaires moyen était inférieur à 620.000 €. D' éventuelles tentatives
d'estimer le chiffre d'affaires et le total du bilan de telles sociétés par projec-
tions ou par de savants calculs seraient périlleuses, fantaisistes et contraires
au prescrit légal (100).
Pour que l'action en reponsabilité pour faute grave et caractérisée ayant con-
tribué à la faillite («action en comblement de passif») soit intentée avec suc-
cès contre les dirigeants des sociétés concernées, trois éléments doivent être
réunis.
(96) Articles 265, al. 2 et 409, al. 2 CS. Sur la critique de cette limitation, voyez notamment J.-
M. DE BACKER et 0. RALET, op.cit., n° 99, pp. 126 et 127; M. WYCKAERT, «De aanspra-
kelijkheid van bestuurders of zaakvoerders bij faillissement van hun vennootschap», note sous
Comm. Liège, 07/12/1988, T.R. V., 1989, p. 441 et spéc. 445; M. COIPEL, Les sociétés privées
à responsabilité limitée, op.cit., p. 270; Cl. PARMENTIER, «La responsabilité des dirigeants
d'entreprises en cas de faillite», R.D.C., 1986, n° 57, p. 779; 0. RALET, op. cit, p. 180; J. Fr.
GOFFIN, op.cit., pp. 223-224; F. t'KINT, «Les responsabilités en cas de faillite et de dissolu-
tion volontaire», D.A.O.R., n° 34, 1995, p. 18, n° 28; Fr. t'KINT, «La responsabilité des diri-
geants de SA et de SPRL», R.R.D., 1980, p. 103; M.A. DELVAUX, obs. sous Comm. Bruxel-
les, 14 févr. 1989, J.D.S. C., 1999, n° 97, p. 241; voyez aussi, sur cette disposition, les apprécia-
tions de P. COPPENS et F. 't KINT, op. cit., n° 81, pp. 523-524.
(97) Comm. Charleroi, 7 janvier 1997, J.D.S.C., 1999, n° 98, p. 243, R.D.C., 1997, p. 643;
dans cette espèce, les chiffres de la comptabilité de la SPRL n'ont pas été jugés probants en
raison de leur caractère fragmentaire et irrégulier.
(98) Voyez cependant Comm. Hasselt (4èmc ch.), 9 avril 2002 (J.D.S. C., 2004, n° 589, p. 271 et
obs. M.A. DELVAUX, R. W., 2003-2004, p. 33), qui semble exiger, à tort selon nous, que la
curatelle établisse que la société a réalisé un chiffre d' affaires suffisant pour que son adminis-
trateur soit responsable.
(99) Voyez par exemple Comm. Bruxelles (5ème ch.), 14 février 1989, J.D.S.C., 1999, n° 97, p.
241 et note M.A. DELVAUX. Sur cette question, voyez notamment M. COIPEL, Les sociétés
privées à responsabilité limitée, Rép. Not., Tome XII, Livre IV, et Larcier, 2ème éd., 1997, n°
317-1, p. 270; Cl. PARMENTIER, «La responsabilité des dirigeants d'entreprises en cas de
faillite», R.D.C., 1986, n° 57, p. 779; Fr. t'KINT, «Les responsabilités en cas de faillite et de
dissolution volontaire», D.A.O.R., n° 34, 1995, p. 18, n° 28.
( 100) Au rayon des arrêts se distinguant par un excès d' indulgence, on peut encore épingler un
arrêt du 15 juin 2005 de la 7ème chambre de la Cour d'appel de Liège, qui a méconnu l'article
2 dt1 Code civil en faisant une application rétroactive de l'exception visée à l'article 409 al. 2
CS. La Cour invoquait que, dans la mesure ou la loi du 13 avril 1995 atténuait une règle de
responsabilité antérieure, il serait conforme à l'équité qu'elle fût appliquée même aux situa-
tions juridiques instantanées antérieures mais non encore liquidées au moment de son entrée
en vigueur (J.D.S.C., 2005, n° 669, p. 193 et obs. M.A. DELVAUX).
32
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
(101) Comm. Liège (3ème ch.), 5 avril 2000, J.D.S.C., 2002, n° 415, p. 218 et note M.A. DEL-
VAUX, «Les actions en responsabilité des dirigeants que Ie curateur peut engager au nom de la
masse: tableau synoptique», J.L.M.B., 2001, p. 395.
(102) Comm. Charleroi, 16 décembre 1998, J.D.S.C., 2002, n° 413, p. 209, R.D.C., 2000, p.
642.
(103) I. VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, 1998, pp. 543 et s. et réf.
citées; Act. Dr., «L' entreprise en difficulté», 1997 .3., pp. 525 et s. et les réf. citées; Comm.
Liège (3ème ch.), 5 avril 2000, J.D.S.C., 2002, n° 415, p. 218 et note M.A. DELVAUX, «Les
actions en responsabilité des dirigeants que le curateur peut engager au nom de la masse:
tableau synoptique», J.L.M.B., 2001, p. 395.
(104) Gand, 21 décembre 2000, J.D.S.C., 2002, n° 411, p. 200, R.D.C., 2001, p. 739.
(105) Comm. Termonde (3ème ch.), 6 décembre 1999, J.D.S.C., 2001, n° 323, p. 215, T.R. V.,
2000, p. 40 et note, R.D.C., 2000, p. 659.
(106) Comm. Charleroi, 16 décembre 1998, J.D.S.C., 2002, n° 413, p. 209, R.D.C., 2000, p.
642; il apparaît en l' espèce que la société était gérée essentiellement pour servir d' outil finan-
cier à la société tierce.
(107) Comm. Bruxelles, 8 décembre 1981, B.R.H., 1982, p. 393.
(108) Comm. Bruxelles, 10 septembre 1985, R.D.C., 1987, p. 523.
33
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
(109) Liège (7ème ch.), 3 décembre 1998, J.D.S.C., 2001, n° 322, p. 211, Rev. prat. soc., 1999,
p. 148 et note W. DERIJCKE.
(110) Liège, 4 avril 2000, J.D.S.C., 2002, n° 410, p. 196.
(111) P. COPPENS et F. t'KINT, «Les faillites, les concordats et les privilèges, Examen de
jurisprudence ( 1984-1990)», R.C.J.B., 1991, p. 488. Voyez par exemple Bruxelles, 31/10/1991,
J.L.M.B., 1992, p. 201 et observations Cl. PARMENTIER; Mons, 20 mai 1985, Rev. prat. soc.,
1985, p. 261.
(112) Mons, 20 mai 1985, J.D.S.C., 2000, n° 197, p. 232, obs. M. CALUWAERTS, Rev. prat.
soc., 1985, p. 261.
(113) Liège, 8 mai 2003, DAOR, 2003, liv. 65, p. 70. Une convocation par les services d'en-
quêtes commerciales avait été nécessaire pour qu'une assemblée générale extraordinaire se
tienne et que les comptes relatifs à trois exercices successifs soient hàtivement établis.
(114) Comm. Liège (3ème ch.), 24 octobre 2001, J.D.S.C., 2002, n° 414, p. 213; Comm. Hasselt
(4èmc ch.), 9 avril 2002, J.D.S.C., 2004, n° 589, p. 27let obs. M.A. DELVAUX, R.W., 2003-
2004, p. 33.
(115) Comm. Anvers, 29 juin 1984, Rev. prat. soc., 1985, p. 309.
(116) Comm. Charleroi, 7 janv. 1997, J.D.S.C., 1999, n° 98, p. 243, R.D.C., 1997, p. 643.
(117) Comm. Liège, 26juin 2000, J.D.S.C., 2002, n° 416, p. 224 et note M.A. DELVAUX, «La
faute grave et caractérisée du dirigeant ayant contribué à la faillite de la société, la responsabi-
lité du dommage causé aux tiers et l'interdictionjudiciaire d'exercer une activité commerciale
oude diriger à l'avenir une société: aux mêmes (grands) maux les mêmes (grands) remèdes?»,
R.R.D., 2000, p. 346.
34
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DRO!T FINANCIER
La loi du 4 septembre 2002 modifiant la loi du 8 août 1997 sur les faillites, le
Code judiciaire et le Code des sociétés a ajouté un alinéa aux articles 265,
409 et 530 du Code des sociétés pour instaurer une présomption irréfragable
(122) de faute grave et caractérisée. «Est réputéefaute grave et caractérisée
toute fraude fiscale grave et organisée au sens de l 'article 3, § 2, de la loi du
11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier
aux fins de blanchiment de capitaux». Cette présomption facilite évidem-
ment la täche du demandeur à l' action en comblement de passif. Le dirigeant
concemé peut cependant démontrer que sa faute n'a en aucune façon contri-
bué à la faillite.
(118) Liège, 4 avril 2000, J.D.S.C., 2002, n° 410, p. 196 (quod non in casu: Ie simple fait
d' attendre la fin de l' exercice social s' étendant en l' espèce sur 18 mois pour demander Ie détail
des comptes et les résultats concrets de la société gérée n'a pas été considéré comme faute
grave dans un contexte ou la société bénéficie des services d'un comptable sérieux et ou rien
ne permet de craindre que Ie coadministrateur qui gère activement la société ne commet des
erreurs de gestion ou des malversations).
(119) Liège (7ème ch.), 1er février 2000, J.D.S.C., 2002, n° 412, p. 207, Rev. prat. soc., 2000, p.
179, DAOR, 2001, p. 163 (quod non in casu).
(120) Voyez !'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 24 octobre 2003 (FJ.F., n° 2005/125, p.
407, J.D.S.C., 2005, n° 665, p. 176, note de M.A. DELVAUX, «Ou !'on apprend que l'état de
nécessité permet aux dirigeants de méconnaître en toute impunité les obligations sociales et
fiscales pesant sur la société gérée» ), se référant à 1' état de nécessité pour rejeter la responsa-
bilité des dirigeants. Cet arrêt considère que la seule constatation comptable de l'importance
du passif fiscal et social de la faillite ne permet pas !'engagement de la responsabilité des
administrateurs pour faute grave et caractérisée; Ie fait de croire à tort dans les chances de
redressement de l'entreprise gérée est une faute de gestion quine présente toutefois pas à lui
seul le caractère de gravité requis par l'article 530 du Code de sociétés.
(121) Liège (7èmc ch.), 13 janvier 2004, J.D.S.C., 2005, n° 667, p. 183 et obs. M.A. DEL-
VAUX.
(122) Voyez la justification de !'amendement et la précision du caractère irréfragable de la
présomption: Doe. Pari., Chambre, sess. ordin. 2000-2001, n° 1132/007, p. 5.
35
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
23. Cette faute ne doit pas être !'origine exclusive de la faillite mais il
suffit qu'elle y ait contribué (123), peu importe que d'autres facteurs en soient
également la cause (124 ).
(123) Il a été jugé que l'omission d'appliquer la procédure dite de «sonnette d'alarme» en cas
de perte grave de l'actif net (voyez infra) est une faute qui a retardé la survenance de la faillite
sans toutefois y contribuer et que l'embellissement du bilan constitue une faute qui n'est pas
directement une cause de la faillite et ne contribue pas davantage à celle-ci (Gand, 21 décem-
bre 2000, J.D.S.C., 2002, n° 411, p. 200, R.D.C., 2001, p. 739). Il a également été jugé que dès
lors que le projet économique sur lequel reposait la société s' est rapidement révélé catastrophi-
que, mais n'était pas en lui-même utopique ou aventureux, que l'insuffisance des moyens
prévus n'est pas démontrée, mais qu'il semble bien que les difficultés de la société résultent,
en réalité, de choix malheureux eu égard à la conjoncture défavorable dans Ie secteur d'activi-
tés concemé et que la décision des administrateurs de poursuivre les activités ne peut en soi
leur être reprochée, les manquements de ces administrateurs aux obligations comptables et aux
dispositions légales, bien que graves, n'ont cependant pas contribué en eux-mêmes à la faillite
(Liège, 8 mai 2003, DAOR, 2003, liv. 65, p. 70).
(124) Gand, 31 mars 1994, R.D.C., 1994, p. 976; voyez A. BENOIT-MOURY, «Dix ans de
jurisprudence en matière de sociétés», Act. Dr., 1991, p. 110.
(125) Comm. Liège (3èmc ch.), 5 avril 2000, J.D.S.C., 2002, n° 415, p. 218 et note M.A. DEL-
VAUX, «Les actions en responsabilité des dirigeants que Ie curateur peut engager au nom de la
masse: tableau synoptique», J.L.M.B., 2001, p. 395.
(126) Voyez, par exemple, la décision du Tribunal de commerce de Termonde (2ème ch.) du 5
septembre 1997 (J.D.S.C., 1999, n° 99, p. 244 et obs. M.A. DELVAUX, T.G.R., 1998, p. 75):
Ie tribunal reconnaît qu'une faute a été commise (calcul erroné du prix de revient entraînant de
mauvais résultats du chiffre d'affaires) mais qu'elle n'est pas grave au point d'engager la
responsabilité du dirigeant sur pied de l'article 63ter des L.C.S. (devenu l'article 265 du Code
des sociétés).
36
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROJT FINANCIER
24. Les articles 265, 409 et 530 du Code des sociétés ont récemment été
complétés par les articles 56 à 58 de la loi-programme du 20 juillet 2006
(129).
(127) Voyez, notamment, Comm. Termonde (3ème ch.), 31 décembre 1997, J.D.S.C., 1999, n°
96, p. 240 (sommaire), T.G.R., 1998, p. 77.
(128) Mons, 22 mars 1993, Rev. prat. soc., 1993, p. 328; J. RONSE, «La responsabilité facul-
tative des administrateurs et gérants en cas de faillite avec insuffisance d'actif», Rev. prat. soc.,
1979, p. 303; 0. RALET, op.cit., p. 186; J. Fr. GOFFIN, op.cit., pp. 245-246.
( 129) Loi program me du 20 juillet 2006, M.B., 28 juillet 2006, 2ème édition, p. 36.921, articles
56, 57 et 58.
( 130) Arrêté royal pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 révisant 1' arrêté-loi du 28 décem-
bre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs
( 131) Cette nouvelle responsabilité est entrée en vigueur Ie 1er septembre 2006, pour les failli-
tes déclarées à partir de cette date.
37
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
les administrateurs, les gérants ou les personnes ayant le pouvoir d' engager
la société, des personnes qui ont été impliquées dans au mains deuxfaillites,
liquidations ou opérations similaires entraînant des dettes à l'égard d'un
organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale».
(132) Voyez E. HUPIN, «La responsabilité des dirigeants d'entreprise en difficulté - Sauver
l'entreprise ou se sauver de l'entreprise», in La responsabilité des administrateurs et diri-
geants d'entreprise, Colloque Vanham & Vanham du 24 novembre 2006, pp. 29 ets.
38
LA RESPONSABILITE DES DJRJGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
26. Nous ne pouvons traiter, dans le cadre de ce rapport, des liens existant
entre la responsabilité pour faute grave et caractérisée ayant contribué à la
faillite et l'interdiction judiciaire d'exercer une activité commerciale ou de
diriger à l'avenir une société (arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934) (134).
( 133) On trouve un autre exemple de coquille due à une erreur de manipulation à!' alinéa 4 du
§ 2 des articles 409 et 530 CS: «est considérée comme faute grave, toute fórme de fraude
fiscale grave et organisée au sens de l'article 3, § 2, de la loi du 11 jan vier 1993 relative à la
prévention de l 'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du
financement du terrorisme, ainsi que Ie fait que la société est dirigée par un gérant ou un
responsable qui a été impliqué dans au mains deuxfaillites, liquidations ou opérations simi-
laires entraînant des dettes à 1'égard d'un organisme percepteur des cotisations sociales .... »
(c'est nous qui soulignons).
(134) Sur !'ensemble de cette question, on renvoie à G.-A. DAL, «Les interdictions profes-
sionnelles ou «l' interdiction judiciaire faite à ~rtains c o ~ e t faillis d' exercer certaines
fonctions, professions ou activités»», J. T., 2001,Jip. 769 ets. et à A. MASSET, La responsabi-
lité pénale dans l'entreprise, Guide juridique äe l'entreprise, Livre 119.4, Bruxelles, KI uwer,
2006, n° 150 à 185 et Livre 20 du Droit des sociétés commerciales, Bruxelles, Kluwer, 2006,
aux mêmes numéros.
39
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELY AUX
SECTION 5
LES RESPONSABILITÉS ENCOURUES À L'OCCASION o'oPÉRATIONS SPÉCIFIQUES
(135) Il faut encore mentionner trois cas de responsabilité particulière dont nous ne traiterons
pas: (i) l'indication insuffisante des mentions permettant d'identifier la société oude la qualité
en vertu de laquelle les dirigeants agissent (articles 62 et 78 à 80 CS), (ii) la surévaluation
manifeste de biens vendus à une société par un fondateur, un administrateur ou un associé et
(iii) !'absence de dépöt du bilan et des autres pièces nécessaires lors de !'aveu de la cessation
des paiements et/ou constat d'erreurs imposant des redressements significatifs (articles 10 et
54 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites).
(136) Certains textes ne prévoient expressément la responsabilité qu'à l'égard des associés
(par exemple, la responsabilité en cas de fusion oude scission n'est prévue qu'à l'égard des
associés de la société dissoute, !'être mora! ayant disparu) ou des tiers (par exemple, !'absence
de convocation en cas de perte de l'actifnet). Toutefois, comme la faute du dirigeant s'identi-
fie à une violation du Code, et à condition de prouver un intérêt à agir et un dommage en lien
causa! avec la faute, l' action en responsabilité peut dans chaque cas être introduite par la socié-
té comme par les tiers.
40
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROJT DES SOCIETES ET EN DROJT FINANCIER
Ils sont do}!c_ solidairement tenus dans cinq hypothèses. Nous nous attarde-
rons sur deux d'entre elles et nous nous bornerons à citer (i) la responsabilité
pour la libération effective des actions et des parts, dans la mesure prescrite
par la loi, (ii) la responsabilité pour la libération effective de la partie du
capita! non valablement souscrite, dont les administrateurs et gérants sont
réputés souscripteurs, et (iii) l' obligation de réparer le préjudice qui serait
une suite immédiate (et directe) (137), soit de la surévaluation manifeste des
apports en nature, soit de !'absence (ou de la fausseté) (138) des mentions
apportées dans l'acte d'augmentation de capita!.
En effet, autrefois, les articles 35, 123, alinéa 2 et 147ter, alinéa 2 des lois
coordonnées sur les sociétés commerciales réglaient à la fois les responsabi-
lités dans Ie cadre de la constitution d'une société et dans le cadre d'une
augmentation de capita!. Or désormais, Ie Code distingue les responsabilités
lors de la constitution et lors d'une augmentation de capital, en reprenant
textuellement cette source de responsabilité pour les dirigeants aux articles
314, 1°, 424, 1° et 610, 1°. On peut théoriquement imaginer trois cas dans
lesquels leur responsabilité pourrait être engagée:
( 137) Si les dirigeants sont responsables du préjudice qui est une suite immédiate et directe de
la surévaluation manifeste des apports en nature ou des irrégularités des énonciations impo-
sées par la loi dans l'acte d'augmentation de capita! dans les SA et les SCRL, ils Ie sont pour
les suites préjudiciables immédiates en SPRL, Ie terme 'direct' étant absent de I' article 314, 4 °
es.
(138) L'élément engageant la responsabilité des administrateurs consiste tant6t en I'absence
ou la fausseté des énonciations de I'acte constitutif (SPRL et SA), tantöt uniquement en l'ab-
sence de ces énonciations, la fausseté n'étant pas mentionnée à I'article 424, 3° (SCRL).
(139) Violation de I'article 304 (SPRL) oude I'article 585 (SA) du Code des sociétés. En ce
qui concerne la SCRL, aucune responsabilité des dirigeants n'est prévue dans telle hypothèse.
41
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
31. Qu'en est-il de la souscription faite au nom d'un tiers en vertu d'un
mandat qui s'avère ultérieurement non valable (ex.: le mandat a été révoqué
au moment de la souscription ou un mandat authentique - et non sous seing
privé - était requis pour l 'apport d 'un immeuble) oude l 'engagement pris par
un porte-fort qui n'est pas ultérieurement ratifié? Pour répondre à cette ques-
tion, il convient de distinguer selon la forme sociétaire.
Pour les SPRL, l'article 315 du Code des sociétés prévoit expressément que
les gérants sont responsables des engagements dans l'hypothèse - théorique
eu égard à la vigilance du notaire - ou le nom des mandants n' a pas été donné
dans l'acte ou lorsque Ie mandat produit n'est pas valable. La souscription est
donc valable mais c'est le mandataire qui en est tenu et, pour renforcer la
protection des tiers, le législateur prévoit la responsabilité complémentaire et
solidaire des gérants. S'il y a eu porte-fort, on applique, à défaut de disposi-
tions spécifiques dans Ie Code des sociétés, l'article 1120 du Code civil: celui
qui s' est porté fort n' est pas personnellement tenu de la souscription mais
sera tenu de réparer Ie dommage causé par !'absence de ratification. Il n'y a
donc pas de souscription valable et les gérants sont solidairement responsa-
bles, sur la base de l' article 314, 1° du Code des sociétés, car une partie du
capita! n'est pas valablement souscrite.
En ce qui concerne les SA, l'article 611 du Code des sociétés dispose que
celui qui a pris un engagement pour un tiers, que ce soit comme mandataire
ou en se portant fort, est personnellement obligé s'il n'y a pas mandat valable
ou si l' engagement n' est pas ratifié dans les deux mois de la stipulation ( 141 ).
Dans ces deux cas, il y a donc une souscription valable et c' est celui qui a pris
l' engagement pour le tiers qui en est tenu, ce qui déroge à l' article 1120 du
(140) Sur cette question, voyez M.A. DELVAUX, «Les sociétés coopératives qui n'ont pas
adapté leur capita! aux nouvelles exigences de la loi du 20 juillet 1991: que lies protections
pour les tiers?», R.D.C., 1998, p. 588, et spécialement p. 592.
(141) Le délai réduit à 15 jours si l'identité du bénéficiaire n'est pas indiquée.
42
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
Code civil. Mais la protection des tiers n'est pas ici renforcée par une respon-
sabilité complémentaire et solidaire des administrateurs. Ce régime diffère
également de celui des SPRL sur deux autres points. D'une part, dans Ie cadre
du mandat, seule l'hypothèse de !'absence de validité du mandat est visée et
non celle de l'omission d'indiquer dans l' acte l'identité du mandant. On peut
en déduire que, contrairement au régime applicable dans les SPRL, celui qui
a pris un engagement pour un tiers comme mandataire n' est pas personnelle-
ment obligé si, par impossible, Ie nom du mandant n'est pas indiqué dans
l'acte. D'autre part, un régime dérogatoire au droit commun est expressé-
ment prévu par l'article 611 dans l'hypothèse d'un engagement avec porte-
fort: un délai est prévu pour la ratification par celui pour lequel Ie stipulant
s' est engagé et, à dé faut de ratification en temps utile, cel ui qui s' est porté
fort est lui-même tenu. En application de l'article 1120 du Code civil, seuls
des dommages et intérêts seraient dus par celui qui s'est porté fort et, en
!'absence de souscription valable, les administrateurs seraient responsables,
sur la base de l'article 610, 1° CS, dans la mesure ou une partie de l'augmen-
tation du capita! ne serait pas valablement souscrite.
32. Les administrateurs ou gérants des sociétés impliquées dans ces opéra-
tions sont soumis au régime de responsabilité de droit commun. Les droits
d'action de la société absorbée sont transmis à la société absorbante.
43
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
33. Les administrateurs des SA et des SCRL ainsi que les gérants des SPRL
sont tenus de réunir une assemblée générale si l'actif net de la société gérée
est réduit à un montant inférieur à la moitié du capital social (145). La disso-
lution pourra, en cette occurrence, être décidée par les trois quarts des voix
émises à l'assemblée. Une nouvelle réunion est nécessaire si l'actif net est
réduit à un montant inférieur au quart du capita! social; dans cette hypothèse,
une majorité du quart des voix émises est suffisante pour dissoudre la société
(articles 332,431 et 633 CS) (146).
Ces assemblées doivent se tenir dans un délai bref: deux mois à <later du
moment ou la perte a été constatée ou aurait dû l'être en vertu des obligations
(142) La loi impose aux administrateurs ou gérants de la société absorbée ou scindée l'établis-
sement de rapports décrivant la situation patrimoniale des sociétés concernées, énonçant la
justification économique etjuridique de l'opportunité de la fusion, ses conditions, modalités et
conséquences, l' explication des termes de l' échange des actions et parts, ...
(143) Voyez P. VAN OMMESLAGHE, «Les fusions et scissions des sociétés», Le droit des
affaires en évolution, Bruxelles, Bruylant, 1992, pp. 111 et 138: G.-A. DAL et M. VAN DEN
ABBELE, «Les fusions et scissions de sociétés commerciales», Rev. prat. soc., 1993, p. 253;
G. HORSMANS, «Les nullités et les sanctions», Le nouveau droit des fusions et des scissions,
Université catholique de Louvain, 22 octobre 1993, p. 27.
( 144) Les actionnaires de la société absorbante sont appelés à se prononcer sur cette décharge
à !'issue de l'approbation des comptes annuels de la société absorbée, relatifs à la période
comprise entre la date de clöture du dernier exercice social et la date de prise d'effet de la
fusion (article 704 du Code des sociétés).
(145) Pour déterminer si les seuils définis sont franchis, l'actif net doit être calculé sur la base
d'une comptabilité qui est établie correctement et qui reflète fidèlement la situation de la so-
ciété (Comm. Charleroi, 29 janvier 1997, R.D. C., 1999, p. 39 et note C. SANTVLIET).
( 146) Si l' actif net est réduit à montant inférieur au capita! minimum - libéré ou non selon les
cas - exigé par Ie Code, tout intéressé peut demander la dissolution de la société au tribunal de
commerce (articles 333, 432 et 634 CS).
44
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROJT FINANCIER
légales ou statutaires (147). Elles doivent délibérer, le cas échéant, dans les
formes prescrites pour la modification des statuts (intervention d'un notaire
et conditions spéciales de présence et de majorité).
45
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
.. ./ ...
valablement soumise à l'assemblée et que, partant, il n'y a pas eu - au sens strict- convocation
de l'assemblée pour délibérer de l'avenir de la société, ce qui permet l'application de la pré-
somption de lien causal entre !'absence de convocation et Ie préjudice subi par les tiers.
(151) Les associés eux-mêmes ne bénéficient pas de pareille présomption et devront, confor-
mément au droit commun, apporter la preuve du lien de causalité (0. RALET, op. cit, p. 160;
J. Fr. GOFFIN, op.cit., pp. 213 à 215).
(152) Par exemple, Ie tribunal de commerce d'Ypres a considéré que cette présomption de
causalité est renversée lorsque Ie créancier, nonobstant la connaissance qu'il aurait dû avoir de
la situation financière dramatique de la société par l' examen des comptes annuels de l' exercice
1994, a choisi de continuer de foumir, même après Ie défaut de paiement d'une facture échue.
Cela indique, selon Ie tribunal, qu'il a assumé Ie risque du crédit ainsi fourni à la société
(Comm. Ypres, 21 octobre 2002, R. W. 2003-04, p. 431; T.R. V. 2004, p. 730 et note).
(153) L'accroissement du passif peut être calculée avec précision en établissant la différence
entre Ie passif existant à la date à laquelle l'assemblée aurait dû être convoquée et Ie passif
définitivement cliché, soit Ie jour ou 1' action est intentée, soit Ie jour ou la société est dissoute.
Sur cette question, voyez X. FOSSOUL, «Modifications apportées au régime juridique de la
SA par Ie projet 210/390», Ann. Fac. Dr. Lg., 1983, p. 376 et les références citées; J. RONSE
et J. LIEVENS, Les sociétés commerciales, Éd. Jeune Barreau, 1985, pp. 203-204. Voyez
également Comm. Charleroi, 7 janvier 1997, R.D.C., 1997, p. 643, qui, après avoir considéré
que!' «aggravation du passif» est susceptible d'être compensée par une augmentation d'actif,
préfère se référer à l' évolution de I' actif net «c 'est-à-dire en réalité à l' évolution de la valeur
comptable de la société».
(154) Gand (23ème ch.), 17 octobre 2001, J.D.S.C., 2004, n° 590, p. 274 et note M.A. DEL-
VAUX, «La perte de substance du capita! social et la sonnette d'alarme: quelques considéra-
tions critiques relatives à !'arrêt de la Cour d'appel de Gand du 17 octobre 2001», DAOR,
2002, liv. 63, p. 300; R.D.C., 2002, p. 703. Voyez également Gand, 13 janvier 1995 (J.D.S.C.
1999 (sommaire), p. 235 et note et R.D. C., 1997, p. 179 et note), qui précise que le créancier
désireux d'obtenir la condamnation de !'administrateur d'une société virtuellement en faillite
l'ayant incité à lui livrer des marchandises doit prouver que la procédure aurait dû être appli-
quée avant la date de la commande.
46
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
( 155) Voyez en ce sens Anvers (5ème ch.), 20 décembre 2001 (J.D.S.C., 2004, n° 591, p. 279 et
note M.A. DELVAUX, «Le défaut de convocation de l'assemblée générale lorsque les pertes
atteignent un certain pourcentage de I' actif net de la faute grave et caractérisée ayant contribué
à la faillite de la société: convergences et divergences de ces deux fondements de responsabi-
lité des dirigeants», R. W., 2002-2003, p. 708).
( 156) Voyez contra: Gand (23ème ch.), 17 octobre 2001 (J.D.S.C.. 2004, n° 590, p. 274 et note
M.A. DELVAUX, «La perte de substance du capita! social et la sonnette d'alarme: quelques
considérations critiques relatives à !'arrêt de la Cour d'appel de Gand du 17 octobre 2001»,
DAOR, 2002, liv. 63, p. 300; R.D.C., 2002, p. 703); selon eet arrêt les dirigeants doivent réunir
une assemblée générale spéciale chaque année lorsqu'ils constatent, au moment de !'examen
des comptes annuels, que l'actif net est inférieur à la moitié ou au quart du capita! social.
Voyez également X. FOSSOUL, «Observations sur l'article 103 des lois coordonnées sur les
sociétés commerciales», in Liher amicorum Commission Droit et Vie des Affaires, 40ème Anni-
versaire ( 1957-1997), Bruxelles, Bruylant. 1998. pp. 565 ets. et les références citées.
47
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
(157) La jurisprudence rejette ce type de défense car elle considère que Je Code des sociétés
impose un formalisme qui doit être respecté à la lettre en ce qu'il constitue Ja seule voie utile
pour se poser réellement et concrètement Ja question de la poursuite des activités de la société,
dans J' intérêt des tiers. Voyez en ce sens Comm. Charleroi, 11 novembre 1995 et 19 juin 1996,
R.R.D., 1997,p.55etnoteP.-EGHISLAIN;J.L.M.B., 1997,p.664;1.D.S.C., 1999,n° 101,p.
247 et note M.A. DELVAUX; Gand (12èmc ch.), 15 mars 2000, J.D.S.C., 2003, n° 512, p. 223
et note M.A. DELVAUX, «Quelques observations relatives à Ja responsabilité des dirigeants
pour défaut de convocation d'une assemblée générale en cas de perte prononcée du capita!
social», T.G.R., 2001, p. 500 et note C. VAN SANTVLIET; J. RONSE et J. LIEVENS (Les
sociétés commerciales, Éd. Jeune Barreau, 1985, p. 204). Contra: P. FRANÇOIS, «Questions
relatives à la dissolution des sociétés», Rev. not. beige, 1985, p. 787 ets.
(158) Ace propos, on rappelle que, dans les SA, les SPRL et les SC, Jes associés peuvent à
l 'unanimité prendre par écrit toutes les décisions qui relèvent du pouvoir de l' assemblée géné-
rale, à J'exception de celles qui doivent être passées par acte authentique (articles 268, 382 et
536 CS). Les mesures de redressement pourraient donc être décidées sous cette forme. On
rappelle toutefois que, parmi les mesures de redressement à envisager, l'augmentation ou la
réduction du capita! social nécessitent une modification statutaire et, partant, un acte authenti-
que.
48
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DRO!T DES SOCIETES ET EN DRO!T FINANCIER
Il n' est pas davantage utile de prétendre qu 'une assemblée générale ordinaire
s' est prononcée dans Ie délai requis sur les comptes annuels, ce qui exclurait
la nécessité d'une nouvelle assemblée spéciale (159).
(159) Gand (]2èmc ch.), 15 mars 2000, J.D.S.C., 2003, n° 512, p. 223 et note M.A. DELVAUX,
«Quelques observations relatives à la responsabilité des dirigeants pour défaut de convocation
d'une assemblée générale en cas de perte prononcée du capita! social», T.G.R., 2001, p. 500 et
note C. VAN SANTVLIET.
(160) Liège, 8 mai 2003, DAOR, 2003, liv. 65, p. 70.
(161) J.-Fr. GOFFIN, op. cit., p. 214. lis pourront aussi remplir les conditions d'exonération
prévues aux articles 263, al. 2, 408, al. 3 ou 528, al. 2 CS (voir supra).
(162) Pour les SCRL, Ie Code n'exige pas expressis verbis la réunion annuelle d'une assem-
blée générale. Mais, dans la mesure ou il mentionne expressément que l'assemblée générale
doit discuter les comptes annuels, cette exigence d'annualité s'impose d'elle-même. Pour une
étude détaillée des modalités et implications juridiques de la décharge, voyez A. GOEMINNE,
«Kwijting van bestuurders en zaakvoerders», R. W., 1995-96, II, pp. 1001 ets.
( 163) Cette hypothèse, non visée par Ie tex te légal mais qui entre afèJrtiori dans celle de la
présentation tardive, est fréquente dans les sociétés «en sommeil».
49
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX
Une fois approuvés, les comptes annuels doivent être déposés par les soins
des dirigeants à la Banque nationale de Belgique (article 98 CS). A nouveau,
pour sanctionner cette carence, la loi prévoit qu'en cas de dépöt tardif (plus
de trente jours après leur approbation et/ou plus de sept mais après la date
de cloture de l'exercice) ou d'absence totale de dépöt (165) des comptes, le
dommage subi par les tiers est présumé résulter de ce retard, cette présomp-
tion étant susceptible d' être renversée dans les mêmes conditions (166).
( 164) A noter que des sancti ons financières sant également mises à charge de la société qui
publie tardivement ses comptes annuels (article 101 CS).
( 165) Cette hypothèse, non visée par Ie tex te légal mais qui entre a fortiori dans celle du dépöt
tardif, est fréquente dans les sociétés «dormantes» ou «moribondes».
( 166) Parmi les causes de dissolution judiciaire d'une société commerciale, figure Ie fait de ne
pas avoir déposés ses comptes annuels durant trois exercices consécutifs. Tout intéressé com-
me Ie Ministèrc public peut demander cette dissolution au tribunal de commerce, au plus tot
sept mais après la date de clöture du dernier exercice comptable. La société peut éviter cette
sanction en régularisant sa situation en cours de procédure (article 182 CS).
(167) Anvers, 6 avril 1999, T.R.V., 2000, p. 33 et note; Anvers, 13 décembre 1999, T.R.V.,
2000, p. 32 et note. Par un jugement du 1er octobre 2002, Ie tribunal de première instance
d' Anvers a retenu la responsabilité des administrateurs en considérant que Ie non-respect d'une
norme de droit essentielle connue de chaque dirigeant, telle que l'obligation de retenir et de
verser Ie précompte professionnel au Trésor, représentait, dans leur chef, un manquement à
une norme de comportement prudent et diligent (Civ. Anvers, 1er octobre 2002, Fiscologue,
2002, n° 863, p. 4).
50
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCTETES ET EN DROIT FINANCIER
(168) Civ. Turnhout, 14 juin 2002, F.J.F., 2002, p. 244; Comm. Malines, 14 novembre 2002,
T.R. V., 2002, p. 643; Civ. Anvers, 24 février 2003, T.F.R., 2003, p. 924; Civ. Hasselt, 23 avril
2003, T.F.R., 2003, p. 926, note S. DE GEYTER.
( 169) Dans Ie même sens, D. DESCHRIJVER, «Standpunt. In hoeverre zijn vennootschaps-
bestuurders persoonlijk aansprakelijk voor de door de vennootschap onbetaald gebleven be-
drijfsvoorheffing», T.R. V., 2001, pp. 554 ets.
( 170) Voyez, pour de plus longs développements Th. LITANNIE, «La responsabilité fiscale
des dirigeants d'entreprises», in La responsabilité des administrateurs et dirigeants d'entre-
prise, Colloque Vanham & Vanham du 24 novembre 2006, pp. 43 et s.
(171) Nihil.
( 172) Sont aussi concernées les personnes morales visées à l' article 17, § 3, de la loi du 27 juin
1921 sur les associations sans but lucratif, les associations internationales sans but lucratif et
les fondations, à savoir les «grandes» ASBL.
( 173) Voyez les articles 273 et 412, al. 2 du CIR.
(174) On peut déduire cette extension aux intérêts du§ 4 de l'article 442quater selon lequel
«la responsabilité solidaire des dirigeants de la société oude la personne morale ne peut être
engagée que pour le paiement, en principal et intérêts. des dettes de précompte professionnel»
(nous soulignons). Sauf à déceler dans ce § 4 une incohérence avec le silence du § 1er, qui
n'évoque pas Ie paiement des intérêts ....
(175) Voyez les articles 17 et 22 du Code de TVA. Eu égard à la ratio legis de ces dispositions,
on pourrait soutenir qu'il n'y a pas responsabilité en cas de factures impayées émises par la
société car, en ce cas, l' obligation de paiement de la TVA est antérieure à sa perception effec-
tive.
51
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
Cette responsabilité, qui pèse en première ligne sur les délégués à la gestion
journalière, peut être étendue aux autres dirigeants de droit oude fait, à l'ex-
clusion des mandataires de justice, si une faute ayant contribué au manque-
ment est établie dans leur chef. Il n'est donc pas exclu que des actionnaires
majoritaires de certaines sociétés puissent être inquiétés. Mais seules les per-
sonnes informées du non-paiement des dettes fiscales sont susceptibles d' être
poursuivies.
Pourraient être considérées comme fautes - au sens del' article 1382 du Code
civil - commises dans la gestion: la poursuite nuisible, inconsidérée ou dérai-
sonnable d'une activité déficitaire; la fraude en vue d'éluder l'impöt; Ie choix
délibéré de la rétention des sommes dues comme mode de financement et Ie
défaut d'aveu de faillite dans Ie délai légal (177).
( 176) Article 93undecies C, § 1er, Ja notion de «frais accessoires» recouvre principalement les
amendes administratives, qui ont, selon lajurisprudence, un caractère pénal (voyez Cass., 25
mai 1999, Pas., 1999, I, n° 307; J. KIRKPATRICK et S. NUDELHOLE, «Le contr6Je judiciai-
re des amendes fiscales et Ie principe de proportionnalité», note sous Cass., 24 janvier 2002,
R.C.J.B., pp. 594 ets.; D. GARABEDIAN, «Le pouvoir d'appréciation du juge à l'égard des
amendes administratives fiscales et de la cotisation spéciale sur «commissions secrètes», in
Liber Amicorum Jacques Malherbe, 2006, pp. 491 ets.; V. SEPULCHRE, «Le contr6le juri-
dictionnel des amendes fiscales», R.G.C.F., 2003/2, pp. 5 ets.). Sur les conséquences de cette
qualification quant à la compatibilité de l'article 93undecies C du Code TVA avec notre ordre
juridique, voyez Th. LITANNIE, op.cit., pp. 63 ets.
(177) Circulaire n° AAF/2006-0604 (AAF 14/2006) du 24 août 2006.
52
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
Cela implique que tout dirigeant dont la société accuse trois à six mois de
retard à l' égard du fisc risquera, même si elle n' est pas déclarée en faillite, de
voir sa responsabilité personnelle mise en cause et reconnue à concurrence
des dettes impayées en principal et en intérêts. Or, il est fréquent que de peti-
tes sociétés rencontrant des problèmes de trésorerie suspendent leurs paie-
ments à l'ONSS ou au fisc pendant quelques mois afin de «temporiser», de se
donner un peu d'air et de relancer ainsi leurs activités. On peut craindre que,
dépourvues de cette flexibilité eu égard à la prudence des dirigeants, davanta-
ge de sociétés introduiront une demande en concordat ou feront aveu de faillite.
D'autant plus qu'un autre argument les y incitera ...
Il a été jugé à plusieurs reprises que la responsabilité des dirigeants qui ont
violé leurs obligations légales doit être rejetée lorsque la société se trouve
dans une situation catastrophique, au motif qu'ils se trouveraient ainsi placés
dans une sorte d' «état de nécessité» (179) ne leur laissant pas d'autres choix
( 178) Nihil.
(179) Cette notion originaire du droit pénal n'est pas totalement étrangère au droit civil, qui
l' utilise tant en matière de responsabilité aquilienne que contractuelle, mais elle est très rare-
.. ./...
53
j
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
que de violer la loi (180). Ces illustrations prennent généralement place dans
Ie cadre de la responsabilité des dirigeants à l' égard des tiers, et notamment à
l'égard des créanciers «institutionnels» pour violations des obligations fisca-
les et/ou sociales. Il convient de souligner que les cas dans lesquels eet «état
de nécessité» a permis d'exonérer la responsabilité des dirigeants demeurent
particuliers (181) et exceptionnels (182). Les décisions concernées doivent
donc être traitées avec prudence.
Sur Ie plan pénal, l'article 71 du Code pénal crée une cause de justification en
stipulant qu'il n'y a pas d'infraction lorsque Ie prévenu a été contraint par une
force à laquelle il n' a pu résister. L'état de nécessité est admis par lajurispru-
dence moyennant des conditions cumulatives assez strictes (183):
.. ./...
ment invoquée devant les juridictions civiles. Voyez L. CORNELIS et P. VAN OMMESLA-
GHE, «Les faits justificatifs dans Ie droit beige de la responsabilité aquilienne», in Memoriam
Jean Limpens, Anvers, Kluwer rechtswetenschappen, 1987, pp. 265 ets.; P. WERY, «L'état de
nécessité et l'élision de la foute aquilienne et de la faute contractuelle», R.R.D., 1987, pp. 105
ets.
(180) Voyez par exemple Liège, Il mai 2001, J.T., 2002, p. 194; Liège, 24 octobre 2003,
J.D.S.C., 2005, n° 665, p. 174 et note M.A. DELVAUX, «Ou /'on apprend que l'étatde néces-
sité permet aux dirigeants de méconnaître en foute impunité les obligations sociales et fiscales
pesant sur la société gérée», F.J.F., n° 2005/125, p. 407; Liège (7èmc ch.), 13 janvier 2004,
J.D.S.C., 2005, n° 667, p. 183.
(181) Dans !'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 24 octobre 2003 précité, il s'agissait d'ad-
ministrateurs provisoires, apparaissant comme les «sauveteurs» de la société. La position de la
Cour aurait sans doute été différente en présence des administrateurs «en poste» des sociétés
concernées. En outre, les faits reprochés s' étaient produits «pendant un laps de temps très
réduit au cours d'une période de vacances».
(182) Toutes les juridictions ne sont, en effet, pas aussi indulgentes. Voyez Anvers (5èmc ch.),
30 janvier 2003 J.D.S.C., 2005, n° 666, p. 180 et obs. M.A. DELVAUX: la responsabilité des
administrateurs en défaut de veiller à ce que la société remplisse ses obligations fiscales, et
plus particulièrement Ie versement du précompte professionnel, a été reconnue expressément
car la Cour a estimé qu'il n'existait aucune preuve de ce que cette carence aurait été due à des
problèmes insurmontables de liquidité dans Ie chef de la société.
( 183) Voyez notamment Cass., 10 janvier 1995, Arr. Cass. 1995, p. 30, Bull. 1995, p. 30, Pas.
1995, I, p. 30, Dr. cire. 1995, p. 239; Cass. (ch. réun.), 5 avril 1996, Arr. Cass. 1996, p. 247,
Bull. 1996, p. 283, J. T. 1996 (abrégé), p. 411, Pas. 1996, I, p. 283, R. Cass. 1996, p. 257, Rev.
dr. pén. 1996, p. 634; Cass., 28 avril 1999, Arr. Cass. 1999, p. 581, Bull. 1999, p. 598; Bruxel-
les ( 12ème ch.), 11 janvier 2001, J. T. 2002, p. 266; Civ. Louvain (5ème ch.), 8 jan vier 2003, R. W.
2003-04, p. 748 et note A. TERMONIA.
(184) Corr. Anvers 3 mai 1991, J.T. 1993, p. 296 et note. Il ne suffit certainement pas d'évo-
quer un péril imaginaire, possible ou lointain.
54
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
- il doit être impossible d' éviter Ie mal autrement que par l' infraction (ca-
ractère irrésistible );
- l' agent n' ait pas volontairement créé par son fait la situation qui Ie met en
état de nécessité et Ie péril dont il se prévaut (185) (caractère extérieur à
l'agent).
L'action judiciaire n'est recevable qu'à l'expiration d'un délai d'un mois à
dater d'un avertissement adressé par Ie receveur, sous la forme de lettres re-
commandées, aux dirigeants responsables. Le receveur les invitera à s' expli-
quer. Ils pourront soit proposer des mesures nécessaires pour remédier au
manquement, Ie cas échéant par la mise au point d'un plan d'apurement as-
sorti de mesures conservatoires, soit démontrer que ce manquement n' est pas
imputable à une faute qu'il a commise. Le ou les dirigeants concemés pour-
ront, à cette fin, invoquer les aléas économiques oujuridiques qui affectent la
trésorerie de la société (récupération de créances infructueuses, litiges, perte
de contrats ... ), les événements qui les concement personnellement (accident,
maladie ... ).
(185) Voyez Cass. (2ème ch.), 13 novembre 2001, Pas. 2001, p. 1848, et concl. DE SWAEF;
Cass. (2ème ch.), 24 mars 1999, Arr. Cass. 1999, p. 429, Bull. 1999, p. 441, R. W. 2001-02, p.
841, Dr. cire. 1999, p. 279.
(186) Voyez, notamment, dans !'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 24 octobre 2003 précité
les motifs suivants: «le péril imminent constitué par une cessation brutale des activités débou-
chant sur une fermeture d'entreprise sans espoir; ( ... ) le risque de fermeture était réel; ( ... )
attendu qu 'il ne peut donc être question dans leur chef d'un choix délibéré mais cl'une néces-
sité; (. .. ) qu'en l'e,pèce, il n'y avait pas possibilité d'écarter d'une autre manière le péril
imminent constitué par une cessation brutale des activités débouchallt sur unefermeture d'en-
treprise sans espoir; ( ... ) en remplissant leur mission compte tenu des données particulière-
ment contraignantes qui s'imposaient à eux» (nous soulignons)».
55
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
L' administrateur prudent sera bien inspiré de chercher à savoir si les paie-
ments fiscaux et sociaux ont été correctement effectués et de faire acter dans
Ie procès-verbal l'éventuelle réponse positive de la direction. En cas de ré-
ponse négative, il pourra exiger une nouvelle convocation du conseil afin de
couvrir les risques.
( l 86bis) Même en cette qualité, ils devront faire preuve de prudence pour ne pas être considé-
rés comme des administrateurs de fait.
56
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
Les hypothèses de conflits d' intérêts ont expressément retenu l' attention du
législateur, qui a prévu des procédures spécifiques pour les régler dans Ie
cadre des SPRL et des SA (articles 259 et 523 CS). Dans le cadre de cette
contribution, nous ne pouvons qu'en esquisser les principes.
43. Le champ d'application des dispositions légales est large: la seule exis-
tence dans le chef de !'administrateur d'un intérêt opposé de nature patrimo-
niale, direct ou indirect, à une opération ou une décision soumise à l' appro-
bation du conseil d'administration suffit à créer une situation de conflit d'in-
térêts ( 188). Toutefois, il ne faut pas avoir une compréhension trop extensive
( 187) Sur cette question, voyez Ie livre 23 du Guide juridique del 'entreprise, Diegem, KI uwer,
n° 340 à 500; E. WYMEERSCH, De belangenconflktenregeling in de vennootschappen, An-
vers-Apeldoorn, Maklu, 1996;.G. KEUTGEN et A.-P. ANDRE-DUMONT, «La société et son
fonctionnement», Droit des sociétés, les lois des 7 et 13 avril 1995, Centre Jean Renauld,
Bruxelles - Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 1995, p. 253. L. SIMONT, «Conflits d'in-
térêts: les implications des nouveaux articles 60 et 60bis», Rev. prat. soc., 1996, p. 369; H. DE
WULF, «De nieuwe regeling voor intra-groepsbeslissingen: het herschreven art. 524 W.Venn.»,
T.R. V., 2002, p. 584; Camp. M. WYCKAERT, «De nieuwe belangenconflictregeling: op naar
een Belgisch groepsrecht?», Nieuw vennootschapsrecht 2002: Wet Corporate Govemance,
Jan Ronse Instituut, Kalmthout, Biblo, 2003, pp. 169 et s.; M. CALUWAERTS, «Cont1its
d'intérêts et droit des groupes», in Demières évolutions en droit des sociétés, Bruxelles, Ed.
Jeune barreau, 2003, pp. 161 ets.; D. SZAFRAN, «Les conflits d'intérêts au sein des groupes
de sociétés et la notion d' administrateur indépendant», in A. PUTTEMANS (coord.), Actuali-
tés en droit des sociétés, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 33 ets.; Ph. HAMER et C. DE POT-
TER «Les conflits d'intérêts», in Y. DE CORDT (dir.), Evolution et perspectives du droit des
sociétés -Anno 2006, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 223 et s.
(188) Lorsque Ie gérant unique d'une SPRL fait acquérir par celle-ci les actions qu'il détient
dans une autre société, il y a conflit d'intérêts (Bruxelles, 9ème ch., 28 février 2002, J.D.S.C.,
2004, n° 568, p. 189; J.L.M.B., 2003129, p. 1256). Lorsque les actionnaires minoritaires d'une
société démontrent que leur administrateur délégué est impliqué à concurrence de pratique-
ment 100 % dans d'autres sociétés avec lesquelles leur société fait des affaires, ce qui permet
à ces au tres sociétés d' en retirer un avantage financier, on peut craindre que les intérêts de la
société ne soient mis en péril (Anvers, 5ème ch., 8 mai 2000, J.D.S. C., 2002, n° 405, p. 178 et
note M.A. DELVAUX, «Quelques réflexions en matière d'action en désignation d'un expert
vérificateur et d'action sociale minoritaire», DAOR, 2001, liv. 57, p. 56). Sur !'ensemble de
cette question, on épingle l'intéressante synthèse réalisée par M. COIPEL, «Les sociétés pri-
vées à responsabilité limitée», op. cit., pp. 247 à 256.
57
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL VAUX
de cette notion et les limites suivantes ont été soulignées par la doctrine et la
jurisprudence:
- l'intérêt de !'administrateur n' est pas pris en considération lorsqu'il est seu-
lement marginal oude moindre importance (189);
- la procédure ne s' applique qu' à propos d' opérations impliquant dans Ie chef
de la société la création de droits et obligations, ce qui n' est pas Ie cas lorsque
Ie conseil doit donner un simple avis dans Ie cadre d'une OPA ou quand il doit
agréer une cession d'actions (190);
- Ie respect de la procédure ne s'impose qu'à propos d'opérations pour les-
quelles Ie conseil dispose d'un véritable pouvoir de décision, ce qui n'est pas
Ie cas lorsque la décision ultime appartient à l' assemblée et que Ie conseil
n'intervient que dans une phase préparatoire;
- les articles 259 et 523 du Code des sociétés ne s'appliquent pas aux déci-
sions du conseil qui veillent à l'exécution d'une opération antérieurement
décidée par lui ou à la mise en a:uvre de mesures adoptées préalablement par
l'assemblée générale (191).
Des exceptions sont expressément prévues par les articles 259 et 523 du Code.
La procédure légale ne s' applique pas lorsque (i) les opérations ou décisions
concemées interviennent entre deux sociétés, dont l'une détient directement
ou indirectement au minimum 95 % des voix attachées à l' ensemble des titres
émis par cette société, (ii) les 95 % de voix attachées à !'ensemble des titres
émis par les deux sociétés contractantes sont détenus par une troisième socié-
té et (iii) les décisions à adapter ou les opérations à accomplir par Ie conseil
d' administration relèvent des opérations habituelles et sont conclues dans des
conditions et sous les garanties normales du marché pour des opérations de
même nature.
(189) J.-M. GOLLIER et P. MALHERBE, Les sociétés commerciales: lois des 7 et 13 avril
1995, Bruxelles, Larcier, 1996; X. DIEUX, «Observations sur Ie régime des conflits d' intérêts
au sein du conseil d'administration de la SA», Séminaire Vanham & Vanham, 17 mai 1995, p.
6.
(190) J.-M. van der HAEGEN et J.-M. GOLLIER, Les sociétés commerciales (loi du 18juillet
1991), J. T., 1992, p. 209.
( 191) K. GEENS, «Fonctionnement des organes sociaux», Le nouveau droit des sociétés (SA
et SPRL), 1992, p. 125.
( 192) Si des commissaires ont été nommés par la société, ils devront également être informés
de l'existence de ce conflit d'intérêts et des raisons de celui-ci, mais cette information pourra
intervenir postérieurement à la réunion du conseil.
58
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
être déposée en même temps que les comptes annuels, Ie conseil d'adminis-
tration décrit, dans son procès-verbal, la nature de la décision oude l'opéra-
tion et donne une justification de la décision qui a été prise ainsi que des
conséquences patrimoniales pour la société. Le rapport de gestion contiendra
l' entièreté de ce procès-verbal. Le rapport des éventuels commissaires doit
comporter une description séparée des conséquences patrimoniales qui résul-
tent pour la société de cette décision du conseil d'administration. Dans les
sociétés ayant fait ou faisant publiquement appel à l' épargne, l' administra-
teur concemé ne peut assister aux délibérations du conseil d'administration,
ni prendre part au vote (193).
45. La société peut agir en nullité des décisions prises ou des opérations
accomplies en violation des règles prévues si les tiers contractants avaient ou
devaient avoir connaissance de cette violation (articles 259, § 2 et 523, § 2
CS).
59
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DEL VAUX
Nous n'abordons pas ici l'article 524 du Code des sociétés applicable, au sein
des sociétés cotées, aux décisions et opérations intra-groupes (voir supra à
propos des administrateurs indépendants). L'article 529 prévoit, à propos de
cette hypothèse particulière de conflits d'intérêts, un régime de sanctions si-
milaire à celui afférent aux oppositions d'intérêts entre un administrateur et
sa société.
SECTJON 6
QUESTIONS DE PROCÉDURE
46. Nous avons déjà traité incidemment de cette question dans les sections
précédentes mais nous apportons ici quelques précisions complémentaires.
Nous allons examiner l'action introduite par la société ou ses actionnaires
minoritaires avant d'analyser celle introduite par les tiers.
A. LA SOCIETE
47. Hors l'hypothèse de l'action minoritaire (voir infra), c' est l'assemblée
générale - compétente pour accorder la décharge - qui est seule compétente
pour décider d'introduire une action en responsabilité contre les administra-
60
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
teurs et gérants ( 196). Cette décision, qui doit intervenir avant l' introduction
de la demande en justice ( 197), est exigée même dans les sociétés familiales
(198).
Cette exigence ne met pas en doute le man dat ad !item du conseil de la société
(article 440 du Code judiciaire) mais impose, pour que l'action soit receva-
ble, de vérifier que l'organe compétent a expressément décidé qu'une action
sera introduite. Il s'agit donc d'une question de recevabilité et, plus précisé-
ment, de pouvoir d'introduire une procédure judiciaire au nom de la société
(199). En effet, les articles 289, 415 et 561 précisent que la demande ne peut
être introduite qu' après la décision de l' assemblée générale. En l' absence
d'une telle décision, la société (via ses représentants légaux, les administra-
teurs ou gérants) ne dispose pas de la qualité nécessaire, au sens de l'article
17 du Code judiciaire, pour introduire l' action sociale. En restreignant leur
pouvoir de représentation, ces articles du Code des sociétés constituent dès
lors une limitation légale du pouvoir de représentation du conseil d'adminis-
tration et des gérants, qui «est non seulement opposable aux tiers mais peut
également être invoquée par ceux-ci à l'encontre de la société» (200).
( 196) Cass. ( 1ère ch.), 25 septembre 2003, DAOR, 2004, liv. 67, p. 44 et note, T.R. V., 2004, p. 35
et note J. VANANROYE, R.D. C., 2005, p. 382 et note S. GILCART, «Action sociale contre un
administrateur de société anonyme: décision préalable de l'assemblée générale». Lorsqu'elle
n'a pas fait l'objet d'une décision de l'assemblée générale, l'action sociale dirigée contre !'ad-
ministrateur d'une société au nom de la société peut être rejetée à la demande de eet adminis-
trateur, même si elle a été portée <levant Ie tribunal à l'intervention d'un organe compétent;
Anvers, Ier mars 1999, R.D.C., 2000, p. 615; Comm. Hasselt, 8 mars 2000, T.R.V., 2000, p.
184, J.D.S.C., 2001, n° 314, p. 191 et note M.A. DELVAUX; Comm. Hasselt, 27 mars 2000,
T.R. V., 2000, p. 186 et note B. VAN BRUYSTEGEM, J.D.S.C., 2002, n° 378, p. 87 et note J.F.
GOFFIN et E. VIATOUR; voyez également J. RONSE, J.M. NELISSEN GRADE, K. VAN
HULLE, J. LIEVENS, H. LAGA, «Vennootschappen (1978-1985)», T.PR., 1986, n° 259, p.
1280; voyez également J. RONSE et al., «Vennootschappen», T.PR., 1978, n° 203, p. 824.
(197) Voyez notamment Comm. Hasselt (lère ch.), 8 mars 2000, J.D.S.C., 2001, n° 314, p. 191
et obs. M.A. DELVAUX et T.R. V., 2000, p. 184.
(198) Comm. Hasselt, 3ème ch., 27 mars 2000, T.R.V., 2000, p. 186, note B. VAN BRUYS-
TEGEM, «Over de bekrachtiging van een actio mandati», pp. 188 ets.
(199) An vers, 1er mars 1999, T.R. V., 2000, p. 181 et D.A. O.R., 2000, n° 54, p. 126.
(200) S. GILCART, «Action sociale contre un administrateur de société anonyme: décision
préalable de l'assemblée générale», note sous Cass. (lère ch.), 25 septembre 2003, R.D.C.,
2005, p. 386. L'auteur rappelle que les limites statutaires aux pouvoirs des organes ayant qua-
lité pour représenter la société n'ont par contre qu'une portée interne et ne peuvent être oppo-
sées aux tiers ou invoquées par eux.
61
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
Encore faut-il, pour que la décharge produise un tel effet que, d'une part, le
bilan ne contienne ni lacune ni tromperie dissimulant la situation réelle de la
société et que, d'autre part, les actes accomplis en contradiction avec les sta-
tuts ou avec le Code aient été spécialement indiqués dans la convocation (ar-
ticles 284, al. 2,411, al. 2 et 554, al. 2 CS) (204): les actionnaires doivent en
effet pouvoir apprécier la gestion en connaissance de cause (205). La déchar-
ge peut être acceptée même en cas d'inexactitudes oude dissimulations dans
le bilan si l' assemblée générale a été informée, par une voie différente, de la
situation réelle de la société (206). De manière générale, les omissions et
62
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROJT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
indications fausses qui n'ont pas eu pour effet d'induire l'assemblée générale
en erreur restent sans incidence sur la validité de la décharge (207).
On peut se demander dans quelle mesure il est acceptable qu' une assemblée
générale accorde la décharge aux dirigeants lorsque ceux-ci ont violé une
disposition du Code des sociétés (208). Le quitus est un acte juridique unila-
téral, dont l'une des conditions de validité est la licéité de leur cause (209).
Qu' en est-il lorsque les dirigeants violent une disposition d' ordre public et
que l' assemblée générale leur donne la décharge? Peut-on affirmer que ce
quitus est nul, au vu de l'illicéité de sa cause (article 1131 du Code civil)
(209bis)? Nous laissons la question à la réflexion du lecteur.
(207) Voyez à ce sujet Cass., 12 février 1981, J.D.S. C., 2000, n° 160, p. 137 et n° 199, p. 239;
Rev. prat. soc., 1981, p. 116; Pas., 1981, p. 639; Comm. Bruxelles, 15 mars 1988, Rev. prat.
soc., 1988,p. 234.
(208) Une question similaire se pose dans l'hypothèse de la violation des statuts sociaux mais elle
semble moins préoccupante car, les statuts étant Ie fruit du commun accord des associés, ceux-ci
peuvent de commun accord les modi fier et donc a fortiori couvrir une violation ponctuelle.
(209) Le Code civil n'a élaboré de manière détaillée que Ie régime juridique des contrats et
reste muet quant aux actes juridiques unilatéraux. La doctrine considère cependant que les
dispositions relatives aux contrats peuvent s' appliquer, mutatis mutandis, aux actes juridiques
unilatéraux. On renvoie dès lors aux articles ll08 et s. du Code civil relativement à leurs
conditions de validité.
(209bis) Peut-on considérer que Ie quitus est nul à défaut d'objet, ce dernier étant illicite (arti-
cle 1126 du Code civil)?
(210) Atout Ie moins ceux qui, suite à la faillite, ont fait leur déclaration de créance auprès de
la curatelle dans le délai requis. Les autres créanciers, non représentés par Ie curateur, conser-
vent en principe leur droit individuel d'action. Ce droit est toutefois paralysé aussi longtemps
que la faillite n' est pas clöturée, et, lorsque Ie failli est une société, disparaît inexorablement à
la clöture.
(211) Sur cette double qualité, voyez P. COPPENS et F. t'KINT, «Les faillites, les concordats
et les privilèges, Examen de jurisprudence ( 1984-1990)», R.C.J.B., 1991, pp. 318 ets. et spéc.
n° 14à 16.
(212) Voyez la note de M. WYCKAERT, «De aansprakelijkheid van bestuurders of zaakvoer-
ders bij faillissement van hun vennootschap», publiée sous Gand (] 2èmc ch.), 1er mars 1989,
T.R. V., 1989, p. 434, et principalement les pages 446-447.
63
_ _j
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
quéreur s' engage à réunir une assemblée générale ayant pour objet de donner
décharge aux dirigeants qui vont être remplacés) ou lors de la démission d'un
administrateur, (qui souhaite généralement obtenir la décharge pour l 'exerci-
ce en cours, voire pour l' exercice antérieur si la démission survient en début
d'exercice et si les comptes annuels de l'exercice précédent n'ont pas encore
été approuvés). Dans la pratique, !'engagement à donner décharge est donné
soit par la société, par le biais de son conseil d'administration (213), soit par
les actionnaires majoritaires. La validité de pareil engagement est controver-
sée. Certains auteurs considèrent que la décharge ne peut être octroyée alors
même que les comptes annuels de l'exercice en cours ne sont pas connus
(214). D'autres acceptent de tels engagements (215) et soutiennent que l'ac-
tionnaire qui ne les respecterait pas serait tenu à des dommages et intérêts
en vers l' administrateur. On peut conseiller au dirigeant qui souhaite être cou-
vert de demander la tenue d'une assemblée générale spéciale afin qu'il expo-
se sa gestion et en demande l'approbation par une forme de quitus spécial. La
décharge stricto sensu n'est certes pas obtenue au moment de la réunion de
ladite assemblée (216) mais la société ne pourrait ultérieurement engager la
responsabilité de ce dirigeant pour des faits sur lesquels, étant parfaitement
informée par le dirigeant, elle a marqué son accord (217).
(213) Le conseil d'administration ne peut cependant que s'engager à proposer de bonne foi la
décharge à l' assemblée générale, puisque in fine, seule cette dernière peut valablement déchar-
ger les administrateurs.
(214) Voyez D. VAN GERVEN, «Les clauses limitatives de responsabilité, les garanties d'in-
demnisation et l' assurance responsabilité civile des mandataires sociaux», Rev. prat. soc., 1998,
p. 143.
(215) A condition bien sûr qu' ils ne soient pas entachés d' erreur oude dol. Voyez J. Fr. GOF-
FIN, op. cit., p. 326
(216) Elle sera obtenue définitivement lors de l'assemblée générale annuelle ultérieure.
(217) Voyez Bruxelles (9èmc ch.), 12 avril 2002, J. T., 2002, p. 668; Rev. prat. soc., 2003, p. 276
et note. La Cour rappelle que c'est l'assemblée générale de la société anonyme qui, outre une
éventuelle action minoritaire, dispose du pouvoir souverain d'intenter ou non !'actio mandati.
Cette disposition ne fait pas obstacle au pouvoir <lont dispose l'assemblée générale de donner
en tout temps quitus à un administrateur du chef de sa responsabilité à l' égard de la société, ou
éventuellement de transiger avec lui à ce sujet. La décharge n'est pas valable lorsqu'il n'était
pas possible aux actionnaires de se rendre un compte exact de la situation de la société.
(218) Doe. Pari., Ch., 2002-2003, n° 1211/1001, p. 13.
64
7
50. Les actionnaires minoritaires des SA, SPRL et SCRL ont également la
possibilité d'introduire une action mettant en cause la gestion des administra-
teurs ou gérants (articles 290 et 291, 416 et 417 et 562 à 567 CS) (219). Si les
représentants légaux de la société exercent l' action sociale et que I' action
minoritaire est également intentée, les instances sont jointes pour connexité.
Cette action est réservée aux actionnaires qui n' ont pas voté la décharge ainsi
qu'à ceux qui l'ont votée dans l'hypothèse ou elle aurait été invalidée (220).
Par conséquent, même si les administrateurs ou gérants ont reçu quitus lors
de la présentation de leur rapport de gestion à l' assemblée générale, les asso-
ciés ne l'ayant pas voté peuvent intenter une action en responsabilité, y com-
pris dans l'hypothèse ou aucune irrégularité ou omission entachant les don-
nées reprises au bilan ne pourrait être démontrée.
65
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX
(223) Ace sujet, voyez M.A. DELVAUX et M. COIPEL, «Le Code des sociétés», J. T., 2000,
pp. 549-550.
(224) Sont clairement visés les honoraires de l' avocat qui a introduit l' action en responsabilité
à la demande des minoritaires. Ce régime de récupération des honoraires d'avocat s'explique
par Ie fait que Ie demandeur a agi dans Ie cadre d'une gestion d'affaires. Jusqu'il y a peu, il
dérogeait au principe selon lequel la partie qui triomphe dans son action doit néanmoins sup-
porter les honoraires de son conseil. La Cour de cassation a toutefois opéré un revirement sur
ce point par un arrêt du 2 septembre 2004 très largement commenté (Cass. (lère ch.), 2 sep-
tembre 2004, Bull. ass., 2005, p. 356, note H. DE RODE et J. GEORGE; J.L.M.B., 2004, p.
1320, note D. PHILIPPE; J.T., 2004, p. 614, note B. DE CONINCK; Journ. proc., 2004, liv.
486, p. 29; NJW2004, p. 953, note RDC; R.G.A.R. 2005, n° 13946, note V. CALLEWAERTet
B. DE CONINCK; R. W, 2004-05, p. 535, note B. WILMS et K. CHRISTIAENS; Rev. not. b.,
.. ./...
66
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
Nous ne connaissons que de très rares cas d'application d'une action minori-
taire dans la pratique. La simple existence de ce type d'action est néanmoins
susceptible de présenter un intérêt puisqu' elle sert parfois de moyen de pres-
sion à l'égard des administrateurs et gérants (226). L'activisme croissant des
actionnaires minoritaires, au premier rang desquels figurent les investisseurs
institutionnels, laisse présager une augmentation de ce type d'actions en res-
ponsabilité.
51. A peine d' être privée de toute efficacité, l' action minoritaire est assor-
tie de certaines garanties assurant l'accès des demandeurs aux informations.
Les articles 168 et 169 du Code des sociétés confèrent aux actionnaires mino-
ritaires Ie droit de saisir le tribunal de commerce pour solliciter la désignation
.. ./ ...
2004, p. 471, note D. STERCKX; T. Not., 2004, p. 711, note C. DE BUSSCHERE), et récem-
ment confirmé, en matière quasi-délictuelle, par !'arrêt du 16 novembre 2006 (J.T., 2007, p.
14, obs. B. DE CONINCK). Sur !'ensemble de cette question, on renvoie à G. MARY, «La
répétibilité des frais et honoraires d'avocat», J. T., 2007, pp. 2 ets.
(225) Pour les SPRL, la loi du 13 avril 1995 a reformulé l 'article l 32bis L.C.S. et a supprimé
Ie renvoi à l' article 66ter, par inadvertance se Ion M. COIPEL (in Les sociétés privées à respon-
sabilité limitée, op. cit., p. 270). Les coopératives, dont les dispositions à eet égard renvoyaient
aux dispositions applicables aux SPRL dans les lois coordonnées sur les sociétés commercia-
les (article 158, 8°), ont suivi Ie sort, et donc Ie régime, de ces dernières. Cette divergence entre
les SA, d'une part, et les SPRL et SCRL, d'autre part, a malheureusement subsisté dans Ie
Code des sociétés.
(226) On constate notamment que la société DEMINOR privilégie généralement, avec un
certain succès, la négociation directe et amiable avec les dirigeants et les majoritaires plutöt
que la voie judiciaire contentieuse.
67
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
d'un expert vérificateur s'il existe des indices d'atteinte grave oude risque
d' atteinte grave aux intérêts de la société (227). L' objectif est de permettre à
l'actionnaire de rassembler les éléments de preuve relatifs à des comporte-
ments litigieux en vue d'une éventuelle action en responsabilité contre les
administrateurs. «Ce n 'est pas seulement des violations directes de la loi ou
des statuts, mais également, dans un sens plus large, des comportements,
omissions ou négligences qui peuvent nuire aux intérêts de la société, qui
justifient la désignation d'un expert judiciaire» (228).
Que ce soit dans une SA, une SPRL ou une SCRL, il faut que les associés
(229) possèdent au moins 1 % des voix attachées à !'ensemble des titres exis-
tant ou des titres représentant une fraction du capita! égale à 1.250.000 €
(230). Cette condition doit être vérifiée au jour de l 'introduction de l 'action
en justice, les actionnaires individuels pouvant se grouper pour atteindre ce
seuil. Les conditions d'admissibilité d'une telle action en désignation d'un
expert sont similaires, mais non identiques, à celles d'une action minoritaire:
le moment ou est apprécié le capita! nécessaire et les seuils sont, en effet,
(227) Sur la portée de eet intérêt comme condition de nomination d'un expert vérificateur,
voyez Comm. Charleroi (4e ch.), 24 décembre 1999, D.A.O.R., 2000, n° 55, p. 285.
(228) Comm. Liège (2ème ch.) 21 janvier 2005, Rev. prat. soc., 2004, p. 195. Voyez, pour divers
exemples, Comm. Hasselt (réf.), 8 avril 1994, R.D.C., 1997, p. 251; Comm. Bruges (réf.), 24
août 1996, D.A.O.R., 1996, p. 99; Comm. Courtrai (réf.), 22janvier 1996, DAOR, 1996, p. 91;
Bruxelles, 15 octobre 1997, R. W, 1998-1999, 1222; Comm. Courtrai (réf.), 27 mai 1999, T.R. V.,
1999, p. 326; Bruxelles (9e ch.), 19 juin 2001, J.L.M.B., 2002, p. 1356; Comm. Tongres (réf.),
16 octobre 2001, R. W, 2002-2003, 390.
(229) L'utilisation par Ie texte légal de l'expression «un ou plusieurs associés ... » indique que
les associés individuels peuvent se grouper pour atteindre ce seuil. (H. LAGA, N.V. en B. V.B.A.
na de wet van 18.07.1991, p. 244, n° 57; H. BRAECKMANS, Het gewijzigde vennoots-
chapsrecht 1991, p. 368, n° 88 avec renvoi à la p. 347, n° 46). Les associés ne doivent pas
nécessairement être créanciers: il leur suffit de démontrer un intérêt à être renseignés sur des
opérations suspectes susceptibles de porter atteinte à l'intérêt de la société (Bruxelles (9èmc
ch.), 19 juin 2001, J.L.M.B., 2002, p. 1356). La procédure ne peut être étendue à des tiers
«étrangers à la société», comme des tiers qui ont contracté avec la société (Comm. Termonde,
15 février 1996, R.D.C., 1997, p. 185, R. W, 1996-97, p. 404). L'épouse d'un associé ne peut
demander la désignation d'un expert si elle ne dispose pas de droits sociaux (Gand (12e ch.),
21 janvier 1998, T.R. V., 1998, p. 525, note B. Waûters).
(230) Il a été jugé que l'actionnaire majoritaire qui est, en même temps, Ie gérant statutaire ne
dispose pas de l'intérêt suffisant pour intenter l'action en désignation d'experts vérificateurs
(Comm. Courtrai ()re ch.), 7 décembre 1995, D.A.O.R., 1996, n° 40, p. 85). Il en irait autre-
ment dans l'hypothèse de deux actionnaires possédant chacun 50 % des voix. Par ailleurs,
l'actionnaire minoritaire qui réunit les conditions peut intenter l'action, même s'il dispose
d'autres possibilités de controle légalement prévues. Il n'est pas obligé, avant d'intenter l'ac-
tion en désignation d'experts, de recourir à d'autres moyens, comme par exemple l'exercice
du droit de poser des questions à l'assemblée générale (Comm. Courtrai (!re ch.), 7 décembre
1995, D.A.O.R., 1996, n° 40, p. 85; Comm. Termonde, 15 février 1996, R.D.C., 1997, p. 185,
R. W, 1996-97, p. 404.).
68
LA RESPONSABILITE DES DTRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
Tel est le cas lorsqu'un associé, qui possède 33 % des parts de la société, ne
reçoit pas d'information précise sur la composition du chiffre d' affaires, s'in-
quiète de l'importance des avances consenties par les autres associés à la
société, redoute une surévaluation des stocks et craint que la société occupe
son siège d'exploitation à titre précaire (234). Les intérêts de la société peu-
(231) Pour une illustration, voyez An vers (5ème ch.), 8 mai 2000, J.D.S. C., 2002, n° 405, p. 178
et note M.A. DELVAUX, «Quelques réflexions en matière d'action en désignation d'un expert
vérificateur et d'action sociale minoritaire», DAOR, 2001, liv. 57, p. 56)
(232) Peuvent, entre autres, être considérés comme des commencements de preuve suscitant
de sérieuses présomptions que des irrégularités oot été commises dans la gestion de la société:
Ie défaut de convocation aux assemblées générales, l'exécution de travaux par la société sans
facturation correspondante, Ie paiement d'indemnités à des administrateurs dont Ie mandat est
gratuit ou Ie fait de privilégier d'autres personnes morales appartenant à un groupe d'action-
naires (Comm. Tongres (réf.), 11 mai 1990, T.R. V., 1991, p. 97, obs.).
(233) Comm. Liège (2ème ch.), 21 janvier 2005, op. cit.
(234) Comm. Bruxelles, 3 septembre 1992, R.D.C., 1994, p. 166; D.A.O.R., 1992, n° 25, p. 93,
note J. Billiet.
69
YVES DE CORDTET MARIE AMELIE DELVAUX
La menace doit concemer les intérêts de la société et non les intérêts particu-
liers d'un associé individuel» (237). Une expertise ne peut être accordée pour
la seule raison de l'animosité qui est apparue ou qui risque d'apparaître entre
les associés (238). En outre, cette procédure n'a pas été conçue pour permet-
tre à un associé, désireux de connaître la valeur de ses parts aux fins d' en
obtenir, en cas de cession, Ie meilleur prix, de provoquer, à charge de la socié-
té elle-même, une expertise sur sa valeur intrinsèque (239).
Les missions confiées par le Tribunal à l'expert désigné peuvent être très
variées: vérification des documents comptables et adrninistratifs et des comptes
de la société; recherche et description de situations de conflit d'intérêts et
vérification du respect des règles applicables à de tels conflits; examen des
contrats en cours et des relations entre la société concemée et telles sociétés
semblant liées et vérification de l'utilité de ces contrats pour la société et du
respect par ces contrats des conditions du marché; réponse aux questions que
les minoritaires sont susceptibles de poser à la lumière des découvertes de
!'expert.
52. L' action en responsabilité peut être introduite soit par un tiers, soit par
Ie curateur désigné dans le cadre de la faillite.
Les tiers, qui peuvent agir en cas d'infraction au Code ou aux statuts,_J,Q!lt
tantöt des créanciers «contractuels», à savoir des personnes qui ont contracté
avec la société et restent impàyées (fournisseurs, travailleurs, sous-traitants,
clients, banquiers), tantöt des créanciers qu'on peut qualifier
(235) Comm. Hasselt (prés. réf.), 24 avril 1998, T.R. V., 2000, p. 461.
(236) Anvers (5e ch.), 8 mai 2000, D.A.O.R., n° 57, 2001, p. 56.
(237) Bruxelles (9ème ch.), 16juin 2000, R.P.S., 2000, p. 381, note.
(238) Comm. Hasselt (prés. réf.), 24 avril 1998, T.R. V., 2000, p. 461.
(239) Bruxelles (9e ch.), 16 juin 2000, R.P.S., 2000, p. 381, R.D. C., 2001, p. 737.
(240) Pour rappel, nous ne traitons pas ici du droit d'action des tiers sur la base de l'article
1382 du Code civil. Nous renvoyons à eet égard au rapport de D. Philippe et G. Gathem.
70
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
(24l)Voyez supra à propos du privilège dont jouit l'ONSS dans Ie cadre des actions en com-
blement de passif.
(242) Cass. 12 février 1981, Arr. Cass. 1980-81, 662; Bull. 1981, 639, concl. M. DECLERCQ;
J.D.S.C. 2000, 137, note J. GOFFIN et E. VIATOUR; J.D.S.C. 2000, 239, note M. CA-
LUWAERTS;J.T. 1981, 270; Pas. 1981, I, 639, concl. M. DECLERCQ;R.C.J.B. 1983, 5, note
J. HEENEN; Rev. prat. soc. 1981, 116, note P. COPPENS.
(243) 0. RALET, op. cit., pp. 173 à 175; J. Fr. GOFFIN, op. cit., pp. 223 ets.
(244) En l' occurrence, Ie patrimoine social est même plus important que ce qu' il aurait dû être
au vu de l' absence de versement par Ie gérant de la SPRLU du précompte professionnel.
71
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX
(245) An vers, 3 octobre 2002, J.D.S. C., 2004, n° 582, p. 245 et NJW, 2003, p. 522 et note S. DE
RAEDT.
(246) Civ. Liège, 12 février 1982, J.C.B., p. 625, et note Y. DUMON; Comm. Bruxelles, 22
octobre 1982, Rev. prat. soc., 1982, p. 244 et J. C.B., 1982, p. 574; Comm. Bruxelles, 14 février
1983, Rev. prat. soc., 1983, p. 326, R.D.C., 1983, p. 602 et obs.); Comm. Bruxelles, 17 mai
1983, R.D.C., 1984, p. 55; Anvers, 13 février 1989, Pas., 1989, II, p. 205; Bruxelles, 7 décem-
bre 1995, R.D.C., 1997, p. 106; Bruxelles, 18 février 1997, Pas., 1996, II, p. 40; Bruxelles
(8èrne ch.), ler mars 1997, J.D.S.C., 1999, n° 100, p. 246 et note M.A. DELVAUX, D.A.O.R., n°
43, p. 58 et note 0. POELMANS et D. BLOMMAERT;Cl. PARMENTIER, «La responsabilité
des dirigeants d'entreprises en cas de faillite», R.D.C., 1986, n° 57, p. 778; 0. POELMANS,
«L'affaire des 'Forges de Clabecq' et Ie droit de la faillite», note sous Bruxelles (8ème ch.), 1cr
mars 1997, D.A.O.R., n° 43, pp. 75 et 77-78; 0. RALET, op.cit., p. 182; P. VAN OMMESLA-
GHE et X. DIEUX, «Les sociétés commerciales - examen de jurisprudence (1979-1990)»,
R.C.J.B., 1993, p. 795; I. VEROUGSTRAETE, «L'action en comblement de passif», in Les
créanciers et Ie droit de la faillite, C.D.V.A., 1983, p. 441 et Manuel du curateur de faillite,
Bruxelles, Swinnen, édition 1987, n° 835; L. DABIN et A. BENOIT-MOURY, Chronique de
droit à l'usage du notariat, vol. 6, 23 octobre 1986, p. 149. Cl. PARMENTIER, op. cit., n° 52,
p. 778; J. RONSE, «La responsabilité facultative des administrateurs et gérants en cas de
faillite avec insuffisance d'actif», Rev. prat. soc., 1979, p. 295.
(247) Amendement n° 36 du Gouvernement, présenté et détaillé dans Doe. Pari., Chambre,
sess. ordin. 2000-2001, n° 1132/007, pp. 3 à 5 et 1132/013, pp. 128 à 134.
72
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
tout ou partie du passif dans la mesure fixée par le juge. Or, la pratique avait
démontré que la responsabilité aggravée des dirigeants en cas de faute grave
et caractérisée n'était appliquée que dans un nombre très peu élevé d'hypo-
thèses, notamment parce que les curateurs - détenteurs du monopole d' action
aux yeux de la jurisprudence - ont toujours semblé frileux à introduire une
telle procédure - complexe, souvent très longue et au résultat aléatoire - alors
nfêrhe que le tribunal les presse fréquemment de clóturer les faillites dans les
meilleurs délais. L' objectif clairement affirmé de la modification introduite;
était donc d'encourager les actions en responsabilité pour faute grave et ca-:
ractérisée ayant contribué à la faillite, en permettant à tous les préjudiciés!
d'intenter une telle action contre les dirigeants fautifs. /
1
Le créancier agissant individuellement (248) obtient à son profit exclusif l' in-
demnisation du préjudice qu'il a subi. Selon les auteurs du texte, ce résultat
exclusif ne semble pas heurter le principe d'égalité. D'une part, ce principe
reste souvent lettre morte dans la pratique des faillites eu égard au nombre
impressionnant de privilèges instaurés par la loi. D'autre part, la volonté du
législateur étant d'inciter le créancier individuel à agir, il fallait bien faire en
sorte qu' il y trouve avantage.
§ 2. Lajuridiction compétente
Tout type de contestation, quels que soient son objet et l'identité du deman-
deur, est ainsi visé. Ce n'était pas le cas dans Ie régime ancien: les litiges
entre sociétés et dirigeants et les litiges entre tiers et dirigeants relevaient, en
effet, de la compétence ordinaire du tribunal de première instance (249).
Nous rappel ons que l' action judiciaire visant à la condamnation des dirigeants
au paiement des dettes fiscales de la société pourrait être introduite <levant le
tribunal de première instance, si l' on considère qu'il s' agit d'une contestation
afférente à une loi d'impót (loi du 23 mars 1999 relative à l'organisation
judiciaire en matière fiscale).
(248) Il doit informer préalablement Ie curateur, qui pourra ainsi intervenir volontairement à la
procédure ou intenter une procédure parallèle au nom de la masse des créanciers.
(249) Sur cette question, voyez M.A. DELVAUX, «La loi du 7 mai 1999 et la compétence des
juridictions consulaires pour connaître des actions liées au droit des sociétés commerciales
visées par les lois coordonnées sur les sociétés commerciales», R.D.C., 2000, pp. 212 ets.
73
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
55. L'article 198, § Ier du Code des sociétés prévoit que «sont prescrites
par cinq ans ( ... ) toutes actions contre les gérants, administrateurs, commis-
saires, liquidateurs (250), pour faits de leurs fonctions, à partir de ces faits ou,
s'ils ont été celés par dol (251), à partir de la découverte de ces faits». Cette
prescription s' applique à toute action introduite contre les administrateurs ou
les gérants, quel que soit son fondement juridique (252).
(250) Ainsi que contre les membres du conseil de direction et les membres du conseil de
surveillance d' une société européenne, depuis l' entrée en vigueur de l' arrêté royal du 1er sep-
tembre 2004 portant exécution du règlement (CE) n° 2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001
relatif au statut de la Société européenne.
(251) Sans qu'il ne soit nécessaire de distinguer selon que les défendeurs ont ou non pris part
au dol (Cass., 26 janvier 1922, Pas., 1922, I, p. 143).
(252) Si la faute commise constitue une infraction pénale, l'article 26 du titre préliminaire du
Code d'instruction criminelle implique que l'action civile ne peut être prescrite avant l'action
publique.
(253) Cass. 29 mai 1980 (Ost / SA Le Patrimoine), Arr. Cass., 1979-80, p. 1201, note; J.C.B.,
1980, p. 563, noteA. STRANART; Bull., 1980, p. 1190, note; J.T., 1980, p. 653; Pas., 1980, I,
p. 1190, note; R. W., 1980-81, p. 2017; Rev. prat. soc., 1981, p. 21, note J. NELISSEN.
(254) Bruxelles (9èmc ch.), 21 novembre 2002, J.D.S.C., 2004, n° 575, p. 211 et note M.A.
DELVAUX, «Le point de départ du délai de prescription quinquennal des actions en responsa-
bilité des dirigeants: analyse de deux applications pratiques», J.L.M.B., 2003, p. 1271.
(255) Ibidem.
(256) Voyez par exemple Liège, 14 mars 2002, J.L.M.B., 2003, p. 1260.
(257) Voyez parexemple Comm. Hasselt, 26 novembre 2002, J.D.C.S., 2004, n° 574, p. 208 et
obs. M.A. DELVAUX; NjW, 2003, p. 567 et note H. DE WULF.
74
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
- lorsqu'il est établi que les faits sur lesquels repose la demande ont été celés
par dol, que la dissimulation soit ou non imputable au dirigeant concemé
(259); la prise de cours du délai quinquennal est alors postposée à la date de
la découverte de ces faits;
- lorsqu' on constate que Ie dommage résulte d'un ensemble de faits fautifs
successifs et indivisibles ou du maintien d'une situation fautive; dans ce cas,
Ie délai ne prend cours qu'au jour de l'accomplissement du dernier fait indi-
visible (260) ou au jour de la cessation de la situation illégalement mainte-
nue.
L'indivisibilité doit être appréciée avec une certaine rigueur. Ainsi, la cour
d'appel de Bruxelles a précisé, à juste titre, que l'obligation d'établir des
comptes fiables est annuelle et que l'omission corrélative constitue une faute
spécifique, susceptible de se répéter chaque année. Puisqu'il ne s'agit pas
d'un ensemble de fautes successives et indivisibles, Ie délai de prescription
prend cours séparément, pour chaque faute, à la date à laquelle elle a été
commise, à savoir le jour de la présentation des comptes annuels à l'assem-
blée générale (261).
(258) La prise de cours du délai diffère donc du régime de droit commun instauré par l' article
2262bis du Code civil.
(259) Bruxelles, 28 septembre 1966, J.T., 1967, p. 97 et note STIJCKMANS.
(260) Bruxelles, 19 mars 1968, Pas., II, p. 180; J. VAN RYN et P. VAN OMMESLAGHE,
«Les sociétés commerciales - examen de jurisprudence ( 1972-1978)», R. C.J.B., 1981, p. 392,
n° 67.
(261) Bruxelles (9èrnc ch.), 21 novembre 2002, op. cit.
75
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX
que le défaut de convocation est une faute qui se répète à chaque instant
(«faute continue»), et non une faute instantanée se réalisant en un instant
précis, au terme du délai de deux mois. Selon cette interprétation, le dirigeant
serait, à chaque instant, fautif de ne pas réunir l'assemblée. Un argument
décisif vient toutefois contredire cette interprétation: pourquoi le législateur
aurait-il fixé divers seuils (moitié et quart du capital social) si cette obligation
était continue (26lbis)? La doctrine considère, à juste titre selon nous, que
l'obligation de convoquer l'assemblée générale n'existe qu'une seule fois
dans chacune des hypothèses envisagées par la loi, à savoir une fois quand
l' actif net est réduit à un montant inférieur à la moitié du capital social et une
seconde fois, si nécessaire, quand eet actif net tombe sous le seuil du quart du
capital social (262). La faute se concrétise non pas le jour ou la perte est
constatée, mais bien Ie dernier jour utile pour convoquer une assemblée gé-
nérale dans le respect des formalités légales prescrites (263).
57. La loi du 2 août 2002 n'a malheureusement pas étendu aux membres
du comité de direction des SA le délai de prescription quinquennal de la res-
ponsabilité. Cet oubli a des conséquences importantes puisqu' au sein de ce
comité, une distinction s' opère entre les mem bres ayant la qualité d' adminis-
trateur et ceux quine l' ont pas. A défaut d' être administrateur, le membre du
comité reste soumis au droit commun de la prescription. L'article 2262bis,
al. 1 du Code ei vil dispose que toutes les actions personnelles sont prescrites
par dix ans. Par dérogation, l'alinéa second stipule que «les actions en répa-
ration d'un dommage fondé sur une responsabilité extra-contractuelle» se
prescrivent par cinq ans (264 ). Ceci signifie que, selon que l' action introduite
contre un membre du comité de direction a un fondement contractuel ou ex-
tra-contractuel, elle sera soumise à une prescription décennale ou quinquen-
nale. La prise de cours du délai est également distincte: le délai de dix ans
court à compter du jour ou la faute est commise tandis que le délai de cinq ans
ne comme nee à courir qu' à partir du jour qui suit cel ui ou la personne lésée a
eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l'identité de la
(261bis) D'autre part, les dirigeants qui réunissent une assemblée générale plus de deux mois
après leur constat de la perte grave du capita! voient leur responsabilité engagée pour violation
du prescrit légal, ce qui semble confirmer que l'obligation n'est pas continue.
(262) X. FOSSOUL, «Observations sur l'article 103 des lois coordonnées sur les sociétés
commerciales», in Liber amicorum Commission Droit et Vie des Affaires, 40èmc Anniversaire
( 1957-1997), Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 565 et s. et les références citées.
(263) Le Code précise, notamment, que Ie dirigeant dispose d'un délai de deux mais à compter
du constat pour réunir une assemblée générale. D'autre part, la convocation doit être envoyée
par lettre recommandée quinze jours avant l'assemblée (articles 268, al. 3, 383 et 533, al. 3
CS).
(264) L' alinéa 3 ajoute que, dans tous les cas, l' action se prescrit par vingt ans à partir du jour
qui suit celui ou s'est produit Ie fait qui a provoqué Ie dommage.
76
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOCIETES ET EN DROIT FINANCIER
(265) Sauf à atteindre la limite ultime de vingt ans instaurée par l' alinéa 3 de l' article 2262bis
du Code civil.
(266) Nous imaginons qu'il s'agit de la personne que la victime croit responsable de son dom-
mage car s'il fallait attendre la certitude judiciaire de la responsabilité, la mise en reuvre de
cette disposition serail délicate ...
77
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX
TITRE 2
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FINANCIER
Nous n'aborderons ici ni la répression des délits d'initié dans son ensemble,
ni la matière des OPA, qui connaîtra bientöt une évolution importante suite à
la transposition en droit belge de la directive 2004/25/CE du Parlement et du
Conseil du 21 avril 2004 (269).
(267) Aux termes de l'article 4 CS, les sociétés cotées sant «les sociétés dont les titres sont
admis aux négociations sur un marché réglementé au sens de l'article 2, 3°, de la loi du 2 août
2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers».
(268) Ph. MALHERBE, «L'obligation d'établir des listes d'initiés et de déclarer ou notifier
des transactions», in Actes du colloque de droit financier - Nouvelles règles en matière de
prospectus et d'abus de marché, Centre Jean Renauld, 30 novembre 2006.
(269) JO, L 142 du 30 avril 2004, pp. 12 ets. Pour des commentaires avisés, notamment sur les
implications potentielles de cette directive en droit beige, voyez J.-M. NELISSEN-GRADE,
«De dertiende richtlijn betreffende het openbaar overnamebod», T.R. V., 2006, pp. 104 ets.; J.
FRANTZEN, «La directive du Parlement européen et du Conseil concernant les offres publi-
ques d'acquisition», Dr. Banc. Fin., 2004, pp. 145 ets.; A. MAURAU, «La treizième directive
relative aux offres publiques d'acquisition», R.D.C., 2004/8, pp. 842 ets.; J-J. DAIGRE, «Le
projet de treizième directive relative aux offres publiques: une directive subsidiaire et pourtant
nécessaire», Dr. Banc. Fin., 2002, pp. 339 ets.; D. MUFFAT-JEANTET, «OPA: l'adoption
d'une directive européenne», Revue du Marché commun et de l'Union européenne, 2004, pp.
455 ets.; P. CALLENS, «De dertiende Richtlijn en haar impact op de Belgische overnamewetge-
ving», T. Fin. R., 2006-1, pp. 1266 ets.
(270) Directive 2003/6/CE du parlement européen et du conseil du 28 janvier 2003 sur les
opérations d' initiés et les manipulations de marché (abus de marché) (J. 0. L 96/ 16 du 12 avril
2003). À propos de cette directive, voyez PH. LAMBRECHT, «Les opérations d'initiés dans la
proposition de directive sur les abus de marché», in M. TISON, C. VAN ACKER, J. CERFON-
TAINE (éd.), Financiële regulering: op zoek naar nieuwe evenwichten, vol. II, Série Instituut
Financieel Recht, 4, An vers, Intersentia, 2004; J. VAN LANCKER et K. VERDOODT, «Nieuwe
regels inzake marktmanipulatie en misbruik van voorkennis», T.R. V., 2003, pp. 36 ets. Voyez
également les directives d'exécution: la directive 2003/124/CE de la Commission du 22 dé-
cembre 2003 portant modalités d'application de la directive 2003/6/CE du Parlement euro-
péen et du Conseil en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilé-
giées et la définition des manipulations de marché (I.O. L 339/70 du 24 décembre 2003) et la
directive 2004/72/CE de la Commission du 29 avril 2004 portant modalités d'application de la
.. ./ ...
78
7
.. ./ ...
directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les pratiques de
marché admises, la définition de !'information privilégiée pour les instruments dérivés sur
produits de base, l'établissement de listes d'initiés, la déclaration des opérations effectuées par
les personnes exerçant des responsabilités dirigeantes et la notification des opérations suspec-
tes (1.0. L 162/70 du 30 avril 2004).
(271) M.B., 10 mars 2006.
(272) Pour une critique de cette création d'un droit quasi pénal dépourvu des garanties ordinai-
res, notamment de double degré de juridiction, voyez Ph. MALHERBE, «Les compétences
directes de la Cour d'appel: concurrence, finance, énergie, télécommunications, ... », Le trihu-
nal de commerce: procédures particulières et recherche d' efficacité, Bruxelles, Jeune Barreau,
2006, pp. 243 et s.
79
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELV AUX
SECTION 1
L'INTERDICTION DE COMMETTRE DES ABUS D'INFORMATIONS PRIVILÉGIÉES
80
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROJT DES SOCIETES ET EN DROJT FINANCIER
.. ./...
pas connue de !'ensemble des investisseurs potentiels. Si !'information a été diffusée dans Ie
public sans avoir été assimilée par celui-ci, les auteurs, s' inspirant de l' expérience américaine,
considèrent qu'il est recommandé d'attendre un Japs de temps raisonnable de l'ordre de 24
heures. Voyez D. DEVOS, «Les opérations d'initiés en droit positif beige», op. cit.. banq.,
1991, p. 459; K. GEENS et B. SERVAES, «Misbruik van voorkennis na de wet van 6 april
1995: weinig nieuws onder de zon», op.cit., pp. 103-104; Corr. Charleroi, 27 septembre 1995,
R.P.S., 1996, p. 152; Corr. Gand, 27 septembre 1995, R.P.S., 1996, p. 155.
(276) Selon la loi, une information est réputée «à caractère précis» si «ellefait mention d'un
ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu 'il existera ou
d'un événement qui s 'est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu 'il se produira, et
si elle est suffisamment précise pour que l'on puisse en tirer une conclusion quant à l'effet
possible de eet ensemble de circonstances ou de eet événement sur le cours des instrument~
financiers concernés ou sur celui d'instruments financiers dérivés qui leur sant liés» (art. 2,
14°, al. 4). Une simple rumeur ne saurait être considérée comme une information privilégiée.
Tout est une question d' appréciation en fait. Il a ainsi été jugé, en France ou en Belgique, que
revêtaient un caractère suffisamment précis les informations suivantes: la connaissance de
l'existence de pertes même si elles n'étaient pas exactement chiffrées; la connaissance des
difficultés financières de la société qui devaient la conduire très prochainement à déposer son
bilan; la connaissance de pourparlers confidentiels suffisamment engagés pour avoir des chan-
ces raisonnables d'aboutir; la connaissance des résultats positifs de la société, même si la
période de versement d'un dividende exceptionnel est ignoré.
(277) L'information privilégiée peut concerner aussi bien des informations internes à l'émet-
teur (augmentation de dividendes, fusions, changement d'administrateur délégué oude politi-
que d'investissement, ... ) qu'externes à celui-ci (OPA lancée par un tiers, crise politique grave
et inattendue, ordre de bourse relatif à l'acquisition ou la cession de titres, modification nota-
bie des taux des crédits bancaires, mauvaises prestations d'ensemble d'un secteur économi-
que, découverte d'une nouvelle technologie, .... ).
(278) La loi du 2 août 2002 précise qu'une information est considérée comme susceptible
d'influencer de façon sensible Ie cours d'instruments financiers «lorsqu'un investisseur rai-
sonnable serait susceptible d'utiliser cette information en tant que faisant partie des fonde-
ments de ses décisions d'investissement» (art. 2, 14°, al. 5). Pour apprécier si la diffusion de
!'information aurait pu influencer Ie cours du titre, Ie juge doit se replacer au moment de la
commis si on del' acte interdit et examiner si, à ce moment, un «investisseur raisonnable» aurait
pu se douter que !'information, une fois diffusée, pourrait influencer Ie cours du titre. Voyez K.
GEENS et B. SERVAES, «Misbruik van voorkennis nade wet van 6 april 1995: weinig nieuws
onder de zon», op. cit., p. 105. Voyez également Cass., 16 mai 2006, T.R. V., 2006, p. 484, note
M. WAUTERS; Gand, 3 novembre 2005, T.R. V., 2005, p. 400.
81
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX
SECTION 2
L'oBLIGATION o'ÉTABLIR LA LISTE DES INITIÉS
61. Les émetteurs de titres cotés doivent établir et communiquer sur de-
mande à la CBFA «une liste de toutes les personnes travaillant pour eux, que
ce soit dans le cadre d'un contrat de travail ou non, et ayant de manière
régulière ou occasionnelle accès à des informations privilégiées concernant
directement ou indirectement l 'émetteur» (article 25bis, § 1er de la Loi).
L'obligation d'établir ces listes est étendue aux «personnes qui agissent au
nom de ces émetteurs ou pour le compte de ceux-ci». L' émetteur peut donc se
contenter de mentionner Ie tiers et se reposer sur celui-ci pour l'établissement
d'une liste détaillée.
Ces listes comprennent (i) l'identité des personnes ayant accès aux informa-
tions privilégiées, (ii) Ie motif pour lequel elles sont inscrites sur la liste, (iii)
(279) Ces raisons particulières sont, notamment, les suivantes: être membre d'un organe d'ad-
ministration, de gestion oude surveillance de l'émetteur ou d'une société ayant des hens étroits
avec l'émetteur; détenir une participation dans Ie capita] de l'émetteur; avoir accès à !'infor-
mation du fait du travail, de la profession ou des fonctions ...
(280) Cependant, Ie Roi peut modifier ces deux paramètres. Il peut, sur avis de la CBFA,
étendre l'application de l'obligation, en tout ou en partie, (i) «aux émetteurs dont les instru-
mentsfinanciers sont admis oufont l'objet d'une demande d'admission aux négociations sur
tout autre marché ou système de négociation alternatif visé à /'article 15 et désigné par Ie Roi
conformément à l 'article 25, § 3, 1 °» et (ii) «aux émetteurs de droit beige dont les instrumentc1·
financiers sont admis ou font l'objet d'une demande d'admission aux négociations sur un
marché réglementé étranger ou sur tout autre marché ou système de négociation alternatif
organisé à l'étranger et désigné par le Roi conformément à l'article 25, § 3, 2°, lorsque ces
émetteurs ne sont pas soumis à des obligations équivalentes dans l 'Etat ou est situé le marc hé
ou système de négociation concemé».
82
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT DES SOC!ETES ET EN DROIT FINANCIER
Les listes - conservées pendant au moins cinq ans après leur établissement ou
leur actualisation (article 11 de l'arrêté royal du 5 mars 2006) - doivent être
actualisées «sans délai» (i) en cas de changement du motif d'inscription, (ii)
lorsqu'une nouvelle personne doit être ajoutée et (iii) en mentionnant si et
quand une personne inscrite cesse d'avoir accès à des informations privilé-
giées (article 10 de l'arrêté royal du 5 mars 2006).
Les responsables de la constitution des listes sont tenus de prendre les mesu-
res nécessaires afin que l' attention des personnes qui y figurent et ont accès
aux informations privilégiées soit spécialement attirée sur les obligations lé-
gales et réglementaires qui leur incombent et sur les sanctions prévues en cas
d'utilisation illicite oude diffusion indue de ces informations (article 12 de
l'arrêté royal du 5 mars 2006).
SECTION 3
LA NOTIFICATION DES TRANSACTIONS
62. La liste d'initiés est complétée par une liste d' opérations effectuées par
une catégorie de ceux-ci. Les personnes exerçant des responsabilités diri-
geantes au sein d'un émetteur doivent notifier «à la Commission bancaire,
financière et des assurances les opérations ejfectuées pour leur compte pro-
pre et portant sur des actions dudit émetteur ou sur des instruments dérivés
ou d'autres instruments financiers liés à celles-ci» (article 25bis, § 2, de la
Loi). La CBFA semble admettre que les donations ne constituent pas des
opérations au sens de la directive (281 ).
Les personnes concemées sont (i) les membres des organes (administration,
gestion ou surveillance) d'un émetteur d'instruments financiers et (ii) les res-
ponsables de haut niveau qui, sans être membres des organes, disposent «d'un
accès régulier à des informations privilégiées concernant directement ou in-
directement l 'émetteur et du pouvoir de prendre des décisions de gestion con-
cernant l 'évolution future et la stratégie d 'entreprise de eet émetteur» (article
2, 22° de la Loi) (282).
83
YVES DE CORDT ET MARIE AMELIE DELVAUX
Cette obligation s'étend aux «personnes ayant un Zien étroit» avec les diri-
geants, à savoir:
Sont concernés les dirigeants de sociétés belges cotées sur un marché régle-
menté beige ou étranger (283) ainsi que les dirigeants de sociétés étrangères
<levant déposer à la CBFA les informations concernant leurs actions (284 ). Le
Roi peut procéder à une extension aux autres marchés belges et, Ie cas échéant,
aux marchés étrangers à défaut d' obligations locales équivalentes.
84
7
1
La CBFA, qui exige les pièces justificatives, publie individuellement les opé-
rations sur son site, ce qui peut constituer une atteinte à la vie privée, singu-
lièrement lorsque Ie dirigeant est une personne physique.
La notification - qui peut être effectuée par lettre, courrier électronique, télé-
copie ou téléphone (286) - contient notamment:
85
CHAPITREII
A QUELLES CONDITIONS LE DIRIGEANT
PEUT-IL ENGAGER SA RESPONSABILITE
AQUILIENNE PERSONNELLE A L'EGARD
DES TIERS? LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382
DU CODE CIVIL
DENIS PHILIPPE
Professeur à l'UCL
Avocat au Barreau de Bruxelles et de Luxembourg
GRÉGOIRE GATHEM
Assistant au Centre de Droit des Obligations de l'UCL
Avocat au Barreau de Bruxelles
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
INTRODUCTION
En deuxième lieu, qu'en est-il lorsque la société, par son organe, a commis
une faute lors de l'exécution d'un engagement contractuel souscrit par la so-
ciété; le créancier de la société peut-il mettre en cause la responsabilité quasi-
délictuelle de l' organe en pareille hypothèse? Si oui, à quelles conditions?
(Titre 2),
(1) Voy., infra, sur les autres pays ainsi que P. VAN OMMESLAGHE, Le régime des sociétés
par actions et leur administration en droit comparé, n° 332.
89
J
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
TITRE 1
L'ORGANE
SECTION 1
NonoN
§ 1. Définition
2. Dans Ie sens commun, l' organe est «la partie du corps vivant envisa-
gée par rapport à safonction» (2).
Pour assurer la sécurité juridique, ces organes ne pourront agir que moyen-
nant Ie respect de certaines règles. C' est la raison pour laquelle la composi-
tion, les pouvoirs des organes sont institués par la loi.
(2) Dictionnaire Littré, 1960; voy. aussi la même définition dans Ie Littré en ligne.
(3) P. VAN OMMESLAGHE, «La théorie de l'organe évolutions récentes», Mélanges Coipel,
2004 p. 765; Voy. not. Y. DE CORDT, «Chronique d'une valse-hésitation: la responsabilité
aquilienne des organes de société», R.P.S., 2005 n° 6938, note sous Cass., 20 juin 2005;
G. HORSMANS, «La transparence organique et fonctionnelle et la responsabilité des orga-
nes», Mélanges Van Gerven, Kluwer, 2000, pp. 557 e.s.; V. SIMONART, «La quasi-immunité
des organes de droit privé», note sous Cass., 7 novembre 1997, R.C.J.B., 1999, pp. 732 e.s. B.
TILLEMAN, Bestuur van vennootschappen, 2005, p. 534.
90
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
Les membres du comité de direction dans les sociétés anonymes peuvent être
considérés comme des organes, Les représentants permanents des personnes
morales administrateurs sant également des organes de ces personnes mora-
les (3), L'administrateur provisoire est lui aussi un organe.
SECTION 2
EvoLUTION ET RÉGIME DE LA THÉORIE DE L'ORGANE
Sous-section 1
Apport du droit administratif
§ 1. Genèse
4. C' est dans les philosophes allemands et dans l' école du droit naturel
que les auteurs, publicistes, ont pu trouver une analyse conceptuelle de la
notion d'organe (6).
Sur le plan juridique, ce sant les publicistes qui ont, les premiers, développé
cette théorie (7). Elle apparaît déjà sous la plume du premier avocat général
Mesdach de ter Kiele en 1881 (8).
C' est en 1921 que la Cour de cassation fit, pour la première fois, référence à
la notion d'organe (9). Lajurisprudence s'est ensuite attachée, dans de nom-
(4) Ibidem,
(5) T. TILQUIN et V. SIMONART, Traité des sociétés, tome I, 1996, p. 751, n° 1014 infine, p.
768; Cass., 11 décembre 1961, Pas., 1962, I, p. 445.
(6) Léon MICHOUD, La théorie de la personnalité mora/e L.G.D.J. (l'ouvrage a fait l'objet
de plusieurs éditions). R.O. DALCQ, «Traité de la responsabilité civile», Novelles, V, 1968,
Tome 1, n° 1349.
(7) Voy. L. MICHOUD, La théorie de la personnalité morale, L.G.D.J., (l'ouvrage a fait l'ob-
jet de plusieurs éditions); R.O. DALCQ, Traité, Tome 1, n° 1349.
(8) Conclusions sous Cass., Ier décembre 1881, Pas., 1881, 415.
(9) Cass., 12 juillet 1921, Pas., I, p. 311. Voy. les arrêts subséquents: Cass., 16 octobre 1922,
Pas., 1923, I, p. 14; 13 décembre 1923, Pas., 1924, I, p. 82.
91
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
Le législateur est intervenu par une loi du 10 février 2003 pour apporter une
plus grande sécurité dans la définition de l' organe ( 11 ). Désormais, les mem-
bres du personnel au service d'une personne publique, dont la situation est
réglée statutairement, bénéficieront d'une immunité de responsabilité civile
équivalente à celle que connaissent les travailleurs liés par un contrat de tra-
vail. Le bénéfice de cette loi ne visera pas les représentants indépendants de
l'autorité tels que les mandataires politiques et les membres du pouvoir judi-
ciaire.
§ 2. Régime
Lorsque l' organe commet une faute quasi-délictuelle, la victime dispose d'un
recours contre la personne de droit public et contre l' organe personne physi-
que (13); ceux-ci sont responsables in solidum (14). La personne morale de
droit public dispose alors d'un recours contre la personne physique qui a com-
mis la faute.
Ce régime a été critiqué dans la mesure ou la théorie même de l' organe lais-
serait supposer que seule la personne morale et non la personne physique, qui
lui permet de s' ex primer sur Ie plan juridique, devrait être responsable (15).
92
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVJL
Sous-section 2
Emergence et régime de la théorie de l'organe en droit des sociétés
§ 1. Emergence
6. C' est en 1946 que, pour la première fois, la Cour de cassation beige a
fait application de la théorie de l'organe en droit des sociétés, La Cour suprê-
me a décidé que:
Le Code des sociétés énonce par ailleurs, en son article 61, que:
«Les sociétés agissent par leurs organes dont les pouvoirs sant déterminés
par le présent code, l 'objet social et les claus es statutaires. Les membres de
ces organes ne contractent aucune responsabilité personnelle relative aux
engagements de la société.».
§ 2. Régime
La capacité d' agir de la personne morale est limitée par sa spécialité légale et
statutaire (16). Ainsi, une société à but de lucre doit agir dans eet objectif.
93
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM
L' on sait cependant que cette capacité est appréciée de manière large ( 17). De
même, si la personne morale doit agir dans Ie cadre de l' objet social, les
limites ainsi fixées doivent faire l' objet d'une interprétation raisonnable (18).
Pour que la responsabilité de la personne morale soit engagée, l' organe doit
avoir agi dans Ie cadre de ses fonctions (19). La Cour de cassation a énoncé:
«Un être mora!, notamment une société anonyme, ne peut agir qu 'à l'inter-
vention de personnes physiques, ses organes; mais ceux-ci ne s 'identifient
avec l 'être mora! que s 'ils restent dans les limites de leurs attributions» (20).
Par ailleurs, il ne doit pas avoir commis d' abus de fonctions. «La société
n 'existe que pour un objet que circonscrivent et à des conditions qu 'imposent
la loi et les statuts, quand les administrateurs font sortir la société des homes
qui limitent son existence, ils ne peuvent plus invoquer Ie bénéfice de l'irres-
ponsabilité personnelle, ils ont eux-mêmes répudié Ie fondement de cette im-
munité » (21 ).
Comme en droit administratif, l' organe est traditionnellement tenu pour per-
sonnellement responsable en cas de faute extracontractuelle. La responsabili-
(17) P. VAN OMMESLAGHE op.cit., in Mélanges M. CO/PEL, 2005 p. 773; V. SIMON ART,
op. cit., R. C.J.B., 1999, p. 755. Ainsi une société ne peut constituer une sûreté pour les engage-
ments personnels d'un administrateur. K. BYTTEBIER, Wettelijke specialiteit van vennoots-
chappen, De NV in de praktijk, 2001, Inl. 8-4.
(18) Voy. not.Gand 1er février 2001, T.R. V., 2002, p. 325. Les sociétés anonymes, les sociétés
en commandite par actions et les sociétés privées à responsabilité limitée sont soumises à un
régime plus favorable aux tiers puisqu' elles sont liées par les actes accomplis par leurs organes
même en cas d' excès de pouvoir sauf si les tiers connaissaient eet excès de pouvoir.
(19) «Lafaute de l'organe d'une société engage son mandant lorsqu 'il s 'agit de la mauvaise
exécution d'un acte que l' organe avait Ie pouvoir ou le devoir d'accomplir ou plus simplement
lorsqu 'il s'agit d'un acte rentrant dans la sphère des attributions de l'or[Jane». R.O. DALCQ,
n° 1427. La Cour de cassation a énoncé que la responsabilité de l'organe est mise en cause
lorsque Ie fait générateur consiste en «la mauvaise exécution d'un acte qu 'en raison de ses
fonctions propres, eet organe avait Ie pouvoir d'accomplir». Cass., 15 janvier 1946, Pas.,
1946, I, p. 25 (il s'agissait de la responsabilité de l'Etat); P. VAN OMMESLAGHE, op.
cit.,Mélanges M. Coipel, 2005 p. 777; V. SIMONART, op.cit., R.C.J.B., 1999 p. 755.
(20) Cass., 31 mai 1957, Pas., 1957, p. 1176 et les conclusions conformes du Procureur géné-
ral Hayoit de Termicourt.
(21) Rapport de M. Pirmez à la Commission, GUILLERY, Commentaires législatifç, II, n° 51,
p. 124.
94
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
SECTION 3
EvoLUTION DE LA JURISPRUDENCE DE LA CouR DE CASSATION
Sous-section 1
Arrêt du 29 juin 1989 (24)
(22) R.O. DALCQ, op. cit., n° 1427; en matière d'accident du travail, l'employeur bénéficie
d'une immunité de responsabilité (art. 46 de la loi de 1971; cette immunité s'étend également
à !'administrateur. Voy. B. DUBUISSON, CUP, Les immunités civiles ou Ie déclin de la res-
ponsabilité individuelle, coupables mais pas m,ponsables, 2004, pp. 73 e.s.
(23) P. VAN OMMESLAGHE, op.cit., p. 780.
(24) R.P S., n° 6514.
95
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
Dans les faits, la faute a eu lieu dans l'exécution du contrat entre l' ASBL et
ses cocontractants dans Ie cadre de l'organisation du festival.
Sous-SECTION 2
ÁRRÊT DU 7 NOVEMBRE 1997
Cet arrêt fut cassé par !'arrêt précité. En effet, la Cour applique Ie régime des
agents d'exécution aux organes (25bis). Rappelons qu'il faut établir, dans ce
régime, non seulement la violation d'une norme qui s'impose à tous mais
aussi la preuve que le dommage est autre que celui qui découle de la mauvai-
se exécution du contrat conformément aux règles du concours de responsabi-
lité (voy., infra, Titre 2).
12. Cet arrêt sera commenté dans le titre second de la présente étude, puis-
qu'il applique à l'organe les règles d'immunité de responsabilité de !'agent
d'exécution en cas de concours de responsabilités (voy., infra, Titre 2).
(25) R.P. S., n° 6511, 1989, spéc. p. 101, et des mêmes auteurs, «La responsabilité des adminis-
trateurs ou gérants d'une personne morale à l'égard des tiers», J.T., 1988, p. 401.
(25bis) Voy arrêt du 7 décembre 1973 et les réf. citées infra en note infrapaginale 79.
96
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
Ceci étant, l' on peut, dès à présent, écrire que la règle énoncée dans eet arrêt
est toujours reconnue et appliquée aujourd'hui.
Sous-section 3
Arrêt du 16 février 2001
L'arrêt portait sur les faits suivants. Une S.P.R.L. avait donné à bail commer-
cial le rez-de-chaussée d'un immeuble. Les gérants n'avaient pas signalé, à la
conclusion du bail, que l' on procéderait peu après au ravalement de la façade
de l' immeuble.
Le pourvoi critique cette décision, dans la mesure ou les organes restent res-
ponsables de leurs fautes personnelles même s'ils oot commis celles-ci en
tant qu'organes.
(26) Pas., I, n° 94, p. 301; R.D. C., 2002, p. 698 et note C. GEYS.
97
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM
Que, dès lors, c 'est à bon droit que Ze jugement attaqué décide que la faute
commise par les premier et deuxième défendeurs au cours des négociations
ayant abouti à la conclusion du contrat a été commise pour Ze compte de la
s.p. r. l. et qu 'ils ne peuvent en être tenus personnellement responsables».
14. Cet arrêt, au demeurant fort critiqué (27), s'engage dans la direction de
l'immunité de l'organe.
Il soumet Ie mandataire et l' organe au même régime; ce qui est fort discuta-
ble.
Cet arrêt a été suivi notamment par une décision du tribunal de commerce
d'Hasselt qui a considéré que, en cas de faute dans la négociation d'un con-
trat de crédit, faute consistant en la communication d'informations financiè-
res fautives, seule la société et non les administrateurs étaient tenus. (28)
Sous-section 4
Arrêt du 20 juin 2005 (28bis)
(27) Voy. P.A. FORIERS, «Immunité des agents d'exécution - Représentation et responsabili-
té des administrateurs: quelques développements récents» in Groupes de contrats et ensem-
bles contractuels, Chaire Francqui, 2004-05, n° 9-6, p. 11; D. VAN GERVEN, Kroniek Ven-
nootschapsrecht 2004 - 2005; T.R. V., 2005, n°s 70 ets.; P. DE WOLF, «Variations sur la res-
ponsabilité des administrateurs», DAOR, 2005, p. 95; J. VANANROYE, Enkele evoluties in-
zake bestuurs aansprakelijkheid, in Vennootschaps- en Financieel Recht (2004-2005), p. 77;
P. VAN OMMESLAGHE, op. cit, p. 765; V. SIMONART, «La théorie de l'organe», Mélanges
M. Coipel (2004 ), p. 713; X. DIEUX, «La responsabilité civile des administrateurs ou gérants
d'une personne morale à l'égard des tiers», Mélanges J. Kirkpatrick (2004), p. 225; H. DE
WULF, «Het Hof van cassatie en de extra-contractuele aansprakelijkheid van vennootschaps-
bestuurders», Mélanges C. De Wulf (2003), p. 541; P. KILESSE et C. STAUDT, «La responsa-
bilité de !'administrateur et du réviseur d'entreprises dans les sociétés anonymes», Dernières
évolutions en droit des sociétés (2003), p. 3.
(28) Comm. Hasselt, 25 juin 2002 et note J. VANANROYE.
(28bis) D.A.O.R., 2005/86, p. 340, note G. GATHEM, J.T., 2006, p. 435 note L. BIHAIN,
J.L.M.B., 2005, p. 1199, R.A.B.G., 2005, p. 1549, note I. BLOCKX et E. JANSSENS, R.G.A.R.,
2006, note C. DALCQ, Rev. not. b., 2006, p. 665, note X. DIEUX, R.D.C., 2006, p. 418, note
A. COIBION, R.G.D.C., 2005, p. 473, R.PS., 2006 p. 183, note Y. DECORDT.
98
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
Le pourvoi faisait grief à l' arrêt attaqué d' avoir retenu la responsabilité per-
sonnelle del' organe alors que seule celle de la société pouvait être engagée.
SECTION 4
BREF APERÇU DE DROIT COMPARÉ
Sous-section 1
Le droit français
17. Celui-ci faisant l'objet d'un exposé dans Ie cadre du présent colloque,
il ne nous semble pas opportun de nous y attarder. Mentionnons simplement
que Ie droit français limite la responsabilité des organes aux «fautes détacha-
bles ou séparables de leur mission au service de la société» (29).
(29) Article 1.225-251 du Code de commerce. Voy. l' exposé du professeur COURET, pp. 149
e.s.; voy. Y. DE CORDT, note précitée, n° 16.
100
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
Une faute grave peut donc constituer un acte non détachable (30), La gravité
de la faute n'a donc pas été retenue.
Sous-section 2
Droit allemand et droit anglais
101
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
SECTION 5
CoMPARAISON ENTRE L' ORGANE ET LES CONCEPTS JURIDIQUES VOISINS: AGENT D'EXÉ·
CUTION, PRÉPOSÉ ET MANDATAIRE
Sous-section 1
Relations entre l'agent d'exécution et l'organe
19. «Il faut comprendre par «agent d' exécution» toute personne à qui le
cocontractant s'est substitué dans l'exécution de tout ou partie des obliga-
tions contractuelles assumées par à l 'égard de son propre créancier» (34 ). Il
s'agira souvent de prestations matérielles.
L' organe identifie la personne morale; l' agent d' exécution se substitue au
contractant principal dans l'exécution d'un contrat. La personne morale vit à
travers ses organes qui peuvent prendre les décisions; l'agent d'exécution
doit, moyennant paiement, exécuter des prestations contractuellement défi-
mes.
Sous-section 2
Relations entre Ie mandataire et l 'organe
L' organe comme le mandataire posent des actes juridiques en faveur, l 'un, de
la personne morale, l' autre, du mandant.
102
LES PIEGES DE L' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
L' organe représente toujours une personne morale tandis que Ie mandant re-
présente soit une personne morale, soit une personne physique.
L' organe dispose des pouvoirs délimités par la spécialité de l' organe mais
larges dans la mesure ou il constitue la bouche et la main de la personne
morale; dans les limites de cette spécialité et des prérogatives des autres orga-
nes, l' organe prend lui-même les décisions de la personne morale tandis que
Ie mandataire agit sur les instructions d'un mandat (36); certes, que Ie manda-
taire peut certes disposer d'un mandat général mais, souvent, il ne se verra
confier que l' accomplissement d'un acte juridique relativement spécifique.
Le pouvoir de l' organe d' engager la société est strictement réglementé par la
loi, qui vise à protéger les tiers (37). Le cocontractant du mandataire doit
demander l'acte de mandat pour vérifier si Ie mandataire pouvait valable-
ment représenter Ie mandant.
Nous crayons que l' organe étant plus étroitement lié à la société que Ie man-
dataire au mandant, l'approche dans l'appréciaton de la faute doit être dis-
tincte.
Quid des quasi-délits? «Il est généralement admis que le mandataire reste
personnellement responsable envers les tiers des dé lits et quasi-délits qu 'il
peut commettre à leur préjudice dans l 'accomplissement de sa mission» (40).
End' autres termes, de manière générale, il n'y aura pas cumul de responsabi-
lité sauf dans quelques hypothèses, notamment l'hypothèses du dol dans la
formation du contrat. Relevons ainsi un arrêt de la Cour de cassation du 22
avril 1985 qui rend Ie mandant responsable d'une culpa in contrahendo com-
mise par Ie mandataire, par la voie du mécanisme de la représentation (41).
(36) Il est intéressant de rapprocher, à eet égard, Ie mandat de la fiducie ou du trust, dans la
mesure ou les étendues du pouvoir du trustee sont beaucoup plus larges. Voy. J. HERBOTS et
D. PHILIPPE (eds.) Le trust et la fiducie, Bruylant, 1997 (Ie sujet est abordé dans les différen-
tes parti es de l 'ouvrage ).
(37) T. TILQUIN et V. SIMON ART, Traité des sociétés, tome I, 1996, p. 751, n° 988.
(38) B. TILLEMAN, op. cit., n° 386.
(39) Voy., pour la société anonyme, l'article 522 du Code des sociétés.
(40) Ibidem, p. 37. P. WERY, Le mandat, Rép. Not., t. IX, Livre VII, Larcier, 2000, p. 231,
n° 190; B. TILLEMAN, Le mandat, Story Scientia, p. 3.
(41) P. -A. FORIERS, op.cit., p. 7.
103
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM
Alors que la substitution est prévue par le Code civil en matière de mandat,
!'administrateur ne pourra déléguer ses prérogatives que dans des conditions
strictes et limitées (42bis ).
Ceci étant, la société pourrait, dans certaines hypothèses, être tenue des fau-
tes quasi-délictuelles commises par l' organe qui agit en de hors de l' exercice
de ses fonctions, en se basant sur la théorie de l'apparence (45).
Sous-section 3
Relations entre Ie préposé et l'organe
104
LES P!EGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
Le commettant répond du fait des préposés sur la base de l'article 1384, ali-
néa trois, du Code civil.
Le préposé est, aux termes de l' article 18 alinéa premier de la loi du 3 juillet
1978 sur le contrat de travail, exempt de responsabilité sauf en cas de dol,
faute lourde ou de faute légère et habituelle.
L' organe n' est pas, en règle, lié par un lien de subordination à l' égard de la
société; il l'incarne. L'assimilation ne serait donc pas concevable au niveau
de la responsabilité, sauf lorsqu'un organe est lié à la société par un contrat de
travail et que le Iien de subordination est réel (46).
SECTION 6
APPROCHE DE LA FAUTE SUSCEPTIBLE D'ENGAGER LA RESPONSABILITÉ DE L'ORGANE:
LA JURISPRUDENCE
Sous-section 1
lmpéritie et gravité de la faute
Les termes utilisés sont également retenus comme critères d' appréciation dans
l'article précité de MM. Van Ryn et Dieux. Le terme impéritie est très vague.
Le Littré Ie définit comme suit: «Manque d'habileté. Ignorance de ce qu'on
doit savoir dans sa profession.». Une impéritie ne constitue-t-elle pas une
faute de gestion? Or, la faute de gestion ne permet pas, en principe, de mettre
en cause la responsabilité du gérant.
105
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
Sous-section 2
Défaut de versement des sommes retenues sur les rémunérations au titre
de précompte professionnel
Sous-section 3
Poursuite des activités d'une société
L'arrêt de la Cour d'appel de Mons du 16 mai 1979 (50) est intéressant dans
sa motivation:
(47bis) Voy. Y. DE CORDT, op. cit., n° 20; Retient la responsabilité, not. Anvers, 6 avril 1999,
T.R. V., 2000, p. 33 et note; contra: not. civ. Turnhout, 14 juin 2002, F.J.F., 2002, p. 244.
(48) Voy. Th. AFSCHRIFT, «Les dispositions fiscales des lois du 20 juillet 2006, Responsabi-
lité des dirigeants pour certaines dettes fiscales de la société et obligation solidaire de paiement
dans certains cas de fraude à la T.V.A.», J. T., 2 décembre 2006, p. 733.
(49) J. WINDEY, op. cit., p. 309 et les références citées; Anvers, 8 mars 1994, T.R. V., 1995,
p. 500. Pour des hypothèses ou la responsabilité est engagée vu les faibles chances de redres-
sement, Comm. Liège, 7 décembre 1988, T.R. V., 1989, p. 440 et note M. WYCKAERT, «De
aansprakelijkheid van bestuurders en zaakvoerders bij faillissement van vennootschap».
(50) R.P. S., 1979, p. 158.
106
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
SECTJON 7
DISTINCTION ENTRE LA SIMPLE FAUTE DE GESTION ET LA FAUTE QUASI·DÉLICTUELLE
27. Aux termes de l'article 527, alinéa 1er, du Code des sociétés, !'admi-
nistrateur est responsable de ses fautes de gestion à l' égard de la société,
Cette responsabilité ne peut être invoquée que par la société (51).
L' article 572, alinéa 2, du Code retient la responsabilité solidaire des mem-
bres du conseil d'administration pour les fautes consistant dans une violation
des statuts ou du Code des sociétés.
Limitons-nous à préciser que la faute de gestion est plus large que la faute
aquilienne.
L' on peut bien gérer en commettant une faute et, plus sou vent encore, mal
gérer et ne pas commettre de faute aquilienne.
Par exemple, un mode de financement qui préjudicie à un tiers peut être avan-
tageux pour la société.
(51) Liège, 27 janvier 2005, 2001RG437 consultable sur Juridat n° JL051Rl_2 et dans R.R.D.,
2005, p. 151.
(52) 0. CAPRASSE, «La responsabilité civile professionnelle des administrateurs», Actuali-
tés du droit, 1997, p. 486.
107
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM
Or, ce désintérêt, on l'a vu plus haut (53), ne recoupe-t-il pas Ie fait de faire fi
de la société? L' on pense à l' arrêt de la Cour de cassation précité de 1989 ou
ce désintérêt a été constitutif de faute quasi-délictuelle, mais ce seul désinté-
rêt était joint à d'autres circonstances qui ont entraîné la conviction de la
Cour sur Ie caractère fautif des agissements des dirigeants.
Si, comme Ie montre l'exemple cité par Ie professeur Caprasse, des zones d'in-
tersection existent entre la faute de gestion et la faute permettant de mettre en
cause la responsabilité quasi-délictuelle, la simple faute de gestion porte sur
les relations entre la société et son dirigeant, la faute quasi-délictuelle porte sur
l'hypothèse ou un tiers a subi un préjudice de par une faute caractérisée dont
nous nous attacherons à déterminer les contours dans les lignes qui sui vent.
SECTION 8
REsPONSABILITÉ ET INFRACTION PÉNALE
28. Par ailleurs, l'on admet qu'en cas d'infraction, la responsabilité per-
sonnelle de l' organe est toujours engagée. Or, l' exposé du professeur Bosly
publié dans le présent ouvrage montre bien que, sur Ie plan pénal, la respon-
sabilité personnelle n'est, en principe, plus engagée puisque la loi du 4 mai
1999 organise la responsabilité pénale de la personne morale elle-même et
non plus de l' organe, l' organe pouvant encore être tenu dans certaines hypo-
thèses énoncées par le professeur Bosly. L' on sait que les infractions pénales
se multiplient dans la vie des affaires. Est-il logique de rendre l'organe res-
ponsable civilement en cas d'infraction alors qu'il ne l'est plus nécessaire-
ment sur le plan pénal? A l'instar de plusieurs auteurs (54), nous ne Ie pen-
sons pas.
SECTION 9
LE CONCOURS DE RESPONSABILITÉS ENTRE LA PERSONNE PHYSIQUE, ORGANE ET LA
SOCIÉTÉ SE JUSTIFIE·T·IL?
En deuxième lieu, l'on veut garantir aux victimes un répondant en cas d'in-
solvabilité de la société.
Mais, dans notre société moderne, c'est surtout au niveau des personnes mo-
rales que les enjeux de la responsabilité sont les plus importants; les nom-
breux regroupements de sociétés que l' on vit ces derniers temps Ie démon-
trent; les personnes physiques, elles, ne peuvent fusionner ...
L'indemnisation de victimes peut sans doute être mieux assurée par d'autres
modes comme Ie renforcement des droits des créanciers d'une société (droits
qui oot d'ailleurs été renforcés ces dernières années par l'augmentation du
capita! minimum, etc.) ou les assurances obligatoires.
(55) Op, cit,, p, 14, Voy, aussi, H, DE WULF, op, cit,, qui critique la théorie de l'absorption,
(56) L. MICHOUD, op, cit,, tome Il, p. 240.
(57) Op. cit., n° 20.
109
DENIS PHILIPPE ET GREGOJRE GATHEM
Nous croyons donc pouvoir nous rallier à la thèse selon laquelle la responsa-
bilité in solidum n'appréhende pas correctement la théorie de l'organe dans la
mesure ou l'organe s'identifie à la personne morale. Nous verrons plus loin
que, dans certaines hypothèses, la responsabilité quasi-délictuelle de l' orga-
ne pourra être mise en cause, notamment lorsqu'il ne s'identifie pas ou s'iden-
tifie mal à l' organe.
SECTION 10
ÜPPORTUNITÉ o'uN RÉGIME JURIDIQUE DISTINCT ENTRE RESPONSABILITÉ CONTRAC-
TUELLE ET RESPONSABILITÉ QUASI·DÉLICTUELLE DES DIRIGEANTS
Ceci se justifie sur la base del' article 61 du Code des sociétés qui dispose, on
l'a vu, que les organes ne sont pas tenus des engagements de la société.
L'on peut, en premier lieu, se demander si le terme «engagement» visé à l'ar-
ticle 61 ne pourrait pas s'étendre aux obligations basées sur un quasi-délit.
Ensuite, pourquoi faire une distinction selon que l' on est en matière contrac-
tuelle ou en matière quasi-délictuelle? L' administrateur qui omet de trans-
mettre une information en cours de négociation d'un contrat doit-il être tenu
personnellement de cette négligence alors qu'il ne le sera pas s'il signe un
contrat dont il ne peut respecter les engagements?
M. Bihain y voit une violation des articles 10 et 11 de la Constitution (58).
Reprenons les deux demiers cas tranchés par la Cour de cassation qui portent
tous deux sur une responsabilité précontractuelle. Dans les deux cas, des in-
formations n'avaient pas été transmises lors de la formation du contrat. Cer-
tes, il s'agit d'une omission plus ou moins intentionnelle (sans doute plus
intentionnelle dans !'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de 2005) mais, dans
l'un et l'autre cas, la responsabilité contractuelle de la société pouvait être
(58) Op. cit., n° 11.
(59) X. DIEUX, «La responsabilité des administrateurs ou gérants d'une personne morale à
l'égard des tiers: derniers développements?» Revue du Notariat, 2006.
110
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
SECTION 11
CoMMENT APPRÉHENDER LA FAUTE QUI SERAIT DE NATURE À ENGAGER LA RESPONSA-
BILITÉ QUASI·DÉLICTUELLE DE L'ORGANE?
La gravité de la faute est également retenue (61). Ainsi, M. Bihain estime que
la faute doit consister en un manquement à l' obligation générale de prudence
d'une certaine gravité ou, à tout le moins, volontaire et consciente. La faute
doit, selon lui, être personnelle (62) et le controle du juge ne peut être que
marginal (63).
Un critère assez proche est proposé par Mme Simonart et M. Tilquin dans
leur Traité, à savoir Ie mépris du dirigeant pour les intérêts des tiers (65).
Il s'agit de critères intéressants car ils sont basés sur Ie fait que non seulement
l' organe nie sa fonction mais qu'il utilise la personne morale à des fins pro-
pres; dans cette hypothèse, il ne peut qu'être tenu pour responsable de ces
actes.
111
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
32. La plupart des décisions que nous avons analysées concement les peti-
tes sociétés. Or, les regroupements constants de sociétés que nous vivons
montrent que les engagements et la responsabilité civile liée aux activités
déployées par les grandes sociétés sont parfois plus importants que ceux de
bon nombre d'Etats. La problématique de la responsabilité civile ne doit-elle
pas, dès lors, y être abordée de manière différente? Certains répondent en tout
cas que la responsabilité civile du dirigeant suppose une faute personnelle.
Cette caractéristique est essentielle» (66). Cette affirmation n'est pas tou-
jours vérifiable sans nuance dans les sociétés complexes.
112
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
34. Les autres branches du droit canalisent parfois la responsabilité sur des
organes bien précis. Ainsi, l' article 16 du Code sur Ie bien-être au travail
indique que Ie conseiller en prévention chargé de la direction du service SIPP
relève directement de la personne chargée de la gestion joumalière de l' entre-
prise (68).
Ces dispositions pourront avoir pour effet de canaliser l' éventuelle responsa-
bilité quasi-délictuelle sur les dirigeants mentionnés dans la disposition.
Ceci montre que la responsabilité peut, dans les grandes sociétés, être mise en
cause pour des fautes de nature organisationnelle, tout en respectant les bali-
ses reprises sous Ie numéro 31.
113
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM
TITRE 2
L'IMMUNITÉ JURISPRUDENTIELLE DU DIRIGEANT EN CAS DE
CONCOURS DE RESPONSABILITÉS
SECTION 1
PosITION DU PROBLÈME
114
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
38. La portée des exigences posées par la Cour en cas de concours ne finit
pas d'être discutée en doctrine. Cette jurisprudence n'en demeure pas moins
constante et, sauf cas isolés (72), elle est appliquée par les juridictions de
fond même si cette application conduit à des solutions parfois divergentes
selon les juridictions,
115
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
SECTJON 2
L'ÉMERGENCE D'UNE IMMUNITÉ EN FAVEUR DE L'ORGANE
Sous-section l
Le défendeur est la partie contractante (la personne morale)
116
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
40. La doctrine s'accorde, en général, pour justifier cette règle par le souci
de préserver l'économie du contrat (76). Pour les parties, le contrat est un
instrument de répartition de risques économiques. Des prestations sant vo-
lontairement mises à charge d'une personne moyennant l'une ou l'autre com-
pensation. Des clauses régissent les modalités d'exécution de ces prestations
et, le cas échéant, les conséquences d'une inexécution (clause pénale, clause
limitative ou exonératoire de responsabilité, clause d'arbitrage, clause attri-
butive de compétence, etc.). Un équilibre économique est ainsi volontaire-
ment instauré entre parties. Cet équilibre influence également des rapports
contractuels avec des tiers. Songeons ainsi aux contrats d'assurance dont la
couverture est parfois limitée à la responsabilité quasi-délictuelle (77). Cet
équilibre économique réalisé par le contrat serait réduit à néant si les parties
pouvaient échapper au cadre conventionnel résultant d'un accord de volonté
librement assumé, en donnant, en cas d'inexécution, une couleur extra-con-
tractuelle à leur action en réparation. En exigeant que la faute et le dommage
allégués soient «étrangers» au contrat, la Cour tente manifestement de pré-
server eet équilibre. Pour <lire les choses simplement, le créancier ne peut
donc pas faire comme si le contrat n'existait pas (78).
Sous-section 2
Le défendeur est l'agent d'exécution
Cette possibilité doit donc être limitée. Par un arrêt bien connu du 7 décembre
1973, la Cour a appliqué aux relations entre !'agent d'exécution d'une partie
contractante et le cocontractant de cette demière les principes auxquels elle
soumet le concours de responsabilité entre parties contractantes (79).
(76) 1. CLAEYS, op. cit., (Thèse), Intersentia, 2003, p. 54, n° 44 et T.R. V., 1998, p. 287; B.
DUBUISSON, op. cit., Traité théorique et pratique, Kluwer, 2003; H. DE WULF, «Het Hof
van Cassatie en de extra-contractuele aansprakelijkheid van venootschapsbestuurders», in Li-
ber Amicorum prof Dr. Christian De Wulf, Brugge, Die Keure, 2003 et sur http://
www.law.rug.ac.be/fli/WP/Wpindex.html, p. 9,
(77) I. CLAEYS, op.cit., (Thèse), p. 83, n° 71 et note 301; V. SIMONART, op.cit., R.C.J.B.,
1999, p. 737.
(78) P. DE WOLF, «Variations sur la responsabilité des administrateurs. Variations sur Ie thè-
me du mandat», D.A.O.R., 2005/74, p. 103.
(79) Cass., 7 décembre 1973, Pas., 1974, I, p. 376 et les conclusions de M. Ie Premier Avocat
général MAHAUX, R.C.J.B., 1976, p. 15, note R.-0. DALCQ et F. GLANSDORFF, R.G.A.R.,
1974, n° 9317, obs. J-L. FAGNART, Entr. et Dr., 1975, p. 181, obs. A. LIMPENS-MEIN-
TERTZHAGEN, R. W., 1973-1974, col. 1597, note J. HERBOTS, J. T., 1974, p. 443.
117
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM
Sous-section 3
Le défendeur est l'organe
42. L' extension de ces principes à l' organe était souhaitée par une partie de
la doctrine, qui estimait que le raisonnement suivi par la Cour dans son arrêt
du 7 décembre 1973 ne pouvait être limité au seul cas-type de l'agent d'exé-
cution et devait notamment s'appliquer dans les rapports entre le créancier
social, la société et !'administrateur (83). L'argument était le suivant: si l'agent
d'exécution n'est pas un tiers à l'égard de l'exécution du contrat, ce constat
s' impose a fortiori pour l' organe. Les adversaires de cette extension s' ap-
puyaient, quant à eux, sur la différence entre la situation de l'agent d'exécu-
tion et celle de l'organe estimant, àjuste titre d'ailleurs, qu'à la différence de
la première, l'intervention de l'organe n'implique pas la moindre substitution
(84). Nous savons que l'arrêt du 7 novembre 1997 fut !'occasion pour la
Cour, d'étendre à l'organe les principes énoncés dans son arrêt du 7 décem-
bre 1973, en dépit des réticences doctrinales (voy. n° 89).
(80) Nihil.
(81) Cass. (1 ère ch.), 26 avril 2002, R. W, 2004-2005, p. 940; Cass. (1 ère ch.), 1er juin 2001, Pas.,
pp. 1033 ets., n° 330, R. W, 2001-2002, p. 379, note K. BROECKX; Cass., 8 avril 1983, Pas.,
1984, I, p. 834, R. W, 1983-84, p. 163, note J. HERBOTS.
(82) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., Mélanges M. Coipel, 2005, pp. 774 et 775.
(83) P. COLLE, «De la responsabilité quasi-délictuelle des administrateurs de société», R.G.A.R.,
1986, n° 11076/2, n° 11; R-O. DALCQ, «Examen de jurisprudence sur la responsabilité délic-
tuelle et quasi-délictuelle (1980-1986)», R.C.J.B., 1987, p.601, n° 3;
(84) J. VAN RYN et X. DIEUX, «La responsabilité des administrateurs ou gérants d'une
personne morale à l'égard des tiers», J.T., 1988, p. 401; J. VAN RYN et X. DIEUX, «La
responsabilité des administrateurs ou gérants d'une personne morale à l'égard des tiers - Ob-
servations complémentaires», R.P. S., 1989, n° 6511, pp. 93-113; C. PARMENTIER, «La res-
ponsabilité des dirigeants d'entreprise en cas de faillite», R.D.C., 1986, p. 741, n° 13.
118
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
L' application à l' organe des limites imposées pour l' exercice d'une action en
responsabilité aquilienne contre la partie contractante n'est pas sérieusement
contestable. Elle peut se fonder sur l'immunité contractuelle de l'organe. Tiers
au regard de la conclusion du contrat, I' organe ne peut être tenu de répondre
personnellement de l'inexécution du contrat conclu à son intervention, faute
de lien contractuel entre ces deux personnes (85). Il s'agit du reste d'une
implication de la représentation organique consacrée par l' article 61, § 1er du
Code des sociétés. Sauf à vider la règle de sa substance, le rejet de 1' action en
responsabilité fondée sur l'article 1382 s'impose lorsque cette action aurait,
en réalité, pour objet de réclamer la réparation d'un dommage qui résulterait
de l'inexécution de ce contrat (86).
Ens uite, I' approche est cohérente eu égard au souci de préserver 1' économie
du contrat (voy. n° 40). Admettre la responsabilité aquilienne de l' organe
pour un acte accompli dans l' exercice de ses fonctions lorsque cette même
action serait bloquée à l 'encontre de la personne morale elle-même, en raison
du contrat, serait inacceptable et viderait de leur substance les règles établies
par la Cour pour préserver les prévisions contractuelles des parties (87). Autre-
ment dit, la fonction de répartition des risques économiques du contrat serait
réduite à néant si Ie créancier pouvait, par une action aquilienne, contourner
la loi contractuelle des parties en réclamant la réparation d'un dommage qui
résulte de l' inexécution du contrat à l' organe de son cocontractant.
43. S' agissant de l' assimilation de l' agent d' exécution à l' organe ou, si
l' on s'en tient à la chronologie des arrêts, de l' organe à l' agent d' exécution, il
faut admettre que pour les (seuls) besoins de la détermination des conditions
de la responsabilité à l' égard du créancier contractuel de la personne morale,
celle-ci se justifie (88). En effet, s'il est vrai que Ie mécanisme de représenta-
tion ou d'identification à la personne morale n'est pas aussi accompli en ce
qui concerne !'agent d'exécution, il n'en reste pas moins que l'un comme
(85) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., Mélanges M. Coipel. 2005. pp. 774 et 775.
(86) X. DIEUX, «La responsabilité des administrateurs ou gérants d'une personne morale à
l'égard des tiers: derniers développements?», note sous Cass., 20 juin 2005, Rev. not. b., 2006,
p. 270.
(87) B. DUBUISSON, op. cit., Traité ... , vol. 2, p. 36, n° 99; I. CLAEYS, op. cit., T.R. V., 1998,
p. 287, n° 6; I. CLAEYS, op. cit., (Thèse), p. 287.
(88) Nous suivons Ie professeur X. Dieux lorsqu'il suggère que, nonobstant la chronologie des
arrêts(] 973 pour )'agent d'exécution et 1997 pour l'organe), la Cour de cassation «a appliqué
à l 'agent d' exécution un processus cl' assimilation analogue à cel ui qui a, de tout temps, carac-
térisé la théorie del' organe, même sic' est à unefin quine sera exprimée, à propos de cel ui-ei,
qu'en 1997. (. .. ). Plut<Ît que /'inverse, !'agent d'exécution (aurait) reçu, par anticipation en
quelque sorte, un traitement plus spontanément adapté à/' organe (. .. )», voy. la note de I' auteur
précité sous Cass., 20 juin 2005. Rei'. not b., 2006, p. 270.
119
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
Sous-section 4
L'arrêt du 20 juin 2005
120
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
Cet argument nous conduit à examiner Ie domaine d' application des règles
du concours,
SECTION 3
LE DOMAINE D' APPLICATION DEL' «IMMUNITÉ» DE L'ORGANE
45. Il est essentie} de délimiter Ie domaine d' application des règles du con-
cours et de l'immunité civile qui en résulte pour Ie dirigeant. Certaines situa-
tions sont étrangères à toute hypothèse de concours et c' est à tort, partant, que
l'on y appliquerait les règles dégagées par la Cour de cassation en la matière.
(92) I. CLAEYS, op. cit., (Thèse), p. 51, n° 41 et p. 74, n° 58; B. DUBUISSON, op. cit., in
Traité ... , vol. 1, chap. Ier et p. 13; H. DE PAGE, Traité, Il, pp. 903 et 908.
(93) G. GATHEM, op.cit., D.A.O.R., 2005176, p. 347; B. DUBUISSON, op.cit., in Traité ... ,
vol. 1, pp. 8-12; I. CLAEYS, op.cit., T.R. V., 1998, p. 288.
121
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
Sous-section 1
L'existence d'un contrat valablement formé au moment du fait domma-
geable
46. L'adage est bien connu: «Idem est non esse aut non probari». Invité à
se défendre dans le cadre d'une action aquilienne personnelle, Ie dirigeant
aura, en principe, la charge de prouver l'existence du contrat conclu entre la
personne morale et le demandeur en responsabilité, dont il entend se préva-
loir pour faire obstacle à la demande. Etant en principe tiers à ce contrat, - il
n'est, en effet, pas personnellement partie à la conclusion de celui-ci -, il
pourra apporter cette preuve par toute voie de droit, en ce compris les témoi-
gnages et présomptions (par exemple: un paiement). L' exigence d'un «écrit»
au sens de l'article 1341 du Code civil ne s'impose qu'entre parties contrac-
tantes (95).
122
7
del' obligation dans ce cas. Certaines obligations issues d'un contrat peuvent,
en effet y survivre et donner lieu à une situation de concours sans que le
critère chronologique de la faute soit décisif. Les obligations de non-concur-
rence ou de confidentialité sont généralement citées pour illustrer ces obliga-
tions post-contractuelles (97). Dans la mesure ou leur violation par le diri-
geant constituerait un manquement de nature contractuelle, les règles du con-
cours devraient s' appliquer.
49. La question se pose de savoir si les règles dégagées par l' arrêt du 7 no-
vembre 1997 sont applicables lorsque le contrat n'existe pas (encore) au mo-
ment du fait fautif reproché à l' organe. Tel est le cas de la faute commise par
l' organe au cours des négociations préalables à la conclusion du contrat par la
société, lorsque celui-ci manque au devoir de correction et de bonne foi ( 101 ).
123
DENIS PHILIPPE ET GREGOJRE GATHEM
(102) X. DIEUX, op.cit., Mélanges J. Kirkpatrick, 2004, p. 237; B. DUBUISSON, op. cit., in
Traité ... , vol. 1, pp. 9 et 10; L. CORNELIS, «La responsabilité précontractuelle - conséquen-
ce éventuelle du processus précontractuel», R.G.D.C., 1990, p. 421; B. DE CONINCK, «Le
droit commun de la rupture des négociations contractuelles», Le processus de formation du
contrat, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 17 et s. L' on admet néanmoins que ce principe ne va
pas de soi. Sur l'émergence d'un principe de bonne foi, source autonome de droits et obliga-
tions, voy. P. VAN OMMESLAGHE, «L'exécution de bonne foi, principe général de droit?»,
R.G.D.C., 1987, pp. 101 ets. Il faut cependant bien reconnaître, avec d'autres, que la nature
purement aquilienne de la responsabilité générée par la faute précontractuelle ne va pas de soi.
Voy. M. FONTAINE, «Un régime harmonisé de la formation des contrats - Réexamen criti-
que» in Le processus deformation des contrats, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 849; I. CLAEYS,
op. cit., (thèse), n° 139.
(103) B. DE CONINCK et C. DELFORGE, «La rupture des négociations et Ie retrait intem-
pestif del' offre. Régime général et sancti on», Le processus de formation des contrats, Forma-
tion CUP, Bruxelles, Larcier, 09/2004, vol. 72, p. 88.
124
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODEC!VIL
51. Une autre manière d'aborder le problème consiste à écarter les condi-
tions énoncées dans l'arrêt du 7 novembre 1997 dans l'hypothèse d'une cul-
pa in contrahendo, à défaut de contrat liant le demandeur et la personne mo-
rale au moment du fait dommageable reproché au dirigeant. En effet, si l' on
admet que les conditions posées par la Cour quant à la faute et au dommage
trouvent leur raison d' être dans Ie contrat conclu entre le de man deur et la
personne morale, il est justifiable, à tout le moins sur le plan théorique, d' ex-
clure l'application des règles du concours dans l'hypothèse d'une culpa in
contrahendo commise par un dirigeant, à défaut de réelle situation de con-
cours au moment du fait dommageable, Pour reprendre les termes de l'arrêt
du 7 novembre 1997, il ne s'agit pas réellement d'un cas ou «une partie con-
tractante agit par un organe, un préposé ou un agent d 'exécution pour l' exé-
cution de son obligation contractuelle» mais d'un cas ou la future et éven-
tuelle partie contractante agit par un organe pour la négociation d'une obliga-
tion contractuelle à naître, End' autres termes, au moment de la faute précon-
tractuelle, il n'existe pas de lien contractuel entre la personne morale et le
125
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
Cette approche permettrait de justifier certaines décisions qui ont paru récal-
citrantes. Dans un arrêt du 28 mai 2002, la Cour d' appel de Liège avait retenu
la responsabilité des administrateurs d'un club de football à l'égard dujoueur
qu'ils avaient engagé alors que, selon la Cour, les administrateurs auraient dû
savoir qu'à ce moment, en raison de la situation financière du club, le club se
trouvait dans l'impossibilité d'honorer ses engagements. Ils s'étaient donc
rendus coupables d'une culpa in contrahendo en ayant trompé la légitime
confiance du joueur et en ayant agi «avec désinvolture et légèreté» à l' égard
de celui-ci. Les dirigeants invoquaient le bénéfice des règles du concours. Le
dommage consistant dans les pertes de rémunération semblait bien être un
préjudice résultant de l'inexécution du contrat et devait, partant, entraîner le
rejet de la demande. La Cour d'appel a toutefois balayé !'argument en affir-
mant que la possibilité d'engager la responsabilité aquilienne «n 'exclut pas
le dommage résultant de la mauvaise exécution oude l'inexécution du con-
trat conclu avec la personne morale» (108). Cette position n'est justifiable
que si l'on admet !'absence d'une réelle situation de concours (109).
Une autre illustration est tirée de cette affaire tranchée par le Tribunal de
première instance d' Anvers par jugement du 13 janvier 1998. Il était question
d'un contrat d'entreprise portant sur la réalisation de travaux de rénovation
qui avait été conclu alors qu'il était établi qu'au moment de la conclusion, Ie
gérant de la S.P.R.L. savait que la société ne serait pas en mesure de respecter
ses engagements. La facture n'avait jamais été payée par la société et fut
intégrée dans Ie passif de la faillite. lei encore, le dommage, à savoir la perte
de la créance dans la faillite, paraissait bien résulter de l'inexécution du con-
trat. Le tribunal a néanmoins accueilli l'action aquilienne dirigée contre le
gérant sans se référer aux règles du concours dégagées par la Cour de cassa-
tion (110). Cette décision ne doit pas surprendre si l' on considère que les
( 107) Cette solution est admise par certains auteurs, à tout Ie mains à l' égard de l' agent d' exé-
cution, I. CLAEYS, op. cit., (Thèse) n° 139, 140 et 157 et I. CLAEYS, op. cit., T.R. V., 2003,
p. 288, n° 9; H. DE WULF, op.cit., 2003; C. GEYS, op.cit., note sous Cass., 16 février 2001,
R.D.C., 2002, p. 700, n° 2. Egalement, semble-t-il, K. GEENS, M. DENEF, F. HELLEMANS,
R. TAS et J. VANANROYE, «Overzicht van rechtspraak- Vennootschappen 1992-1998»,
T.P R., 2000, p. 309, n° 271.
(108) Liège, 28 mai 2002, R.G.A.R., 2003, n° 13739.
( 109) Nous ne prétendons toutefois pas que les ju ges ont effectivement suivi ce raisonnement.
110) Civ. Anvers, 13 janvier 1998, R. W, 1999-2000, p. 988, note E. De Beuckelaer, J.D.S.C.,
001, p. 205, n° 318 et les observations critiques de M-A. DELVAUX sous la décision et dans
e livre 24.1 du Guide Juridique de l'entreprise, (coord. M. COIPEL et P. WERY) «Les res-
onsabilités des fondateurs, administrateurs et gérants des S.A., S.P. R.L. et S.C.R.L.», Kluwer,
~
p. 56.
126
LES PIEGES DE L. ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
Les doutes avaient pourtant gagné la jurisprudence. C' est ainsi que certaines
décisions rendues au lendemain de l'arrêt du 16 février 2001, mais avant
l'arrêt du 20 juin 2005, ont cru pouvoir s'appuyer sur eet arrêt pour rejeter
l'action en responsabilité aquilienne fondée sur une faute pré-contractuelle
du dirigeant (116). La Cour d'appel de Gand a par exemple voulu appliquer
127
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
53. Enfin, on notera que les observations qui précèdent ne concement pas
les situations ou les négociations ont donné lieu à des accords préliminaires
(avant-contrats, protocoles d'accord, lettres d'intention, etc.). Certains de ces
actes peuvent donner naissance à des obligations applicables dans Ie cadre
des négociations (p. ex.: une clause de confidentialité ou d'exclusivité). La
faute précontractuelle consistant dans la violation de la clause d'exclusivité,
faisant, par exemple, suite à la rupture des pourparlers, serait alors suscepti-
ble d'engager la responsabilité contractuelle de la personne morale. La res-
ponsabilité aquilienne de l'organe ne pourrait alors être engagée qu'aux con-
ditions fixées par l' arrêt du 7 novembre 1997 (119).
Sous-section 2
Le fait reproché n'est pas accompli pour l'exécution du contrat
( 117) Rappelés dans les conclusions de M. l'avocat général LECLERQ précédant !'arrêt du 20
juin 2005.
(118) Gand, 6 mai 2004, NJW, 2005, p. 261.
(119) En ce sens, X. DIEUX, op.cit., Rev. not. b., 2006, p. 274.
(120) P. COLLE, op.cit., R.G.A.R., 1986, n° 11076/2, n° 10.
(121) B. DUBUISSON, op.cit., in Traité ... , vol. 1, pp. 7-18, P. WERY, op.cit., R.G.D.C.,
1998, p. 88; R-O. DALCQ et F. GLANSDORFF, «Responsabilité aquilienne et contrats», note
sous Cass., 7 décembre 1973, R.C.J.B., 1976, p. 22, n° 2.
128
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
129
DENIS PHILIPPE ET GREGO!RE GATHEM
contenu obligationnel du contrat avec les difficultés que cette opération com-
porte.
Encore faut-il déterminer la limite des fonctions de l'organe. L'on sait que
cette limite n' est pas à rechercher dans les statuts de la société. On se conten-
te de rappeler que les restrictions statutaires aux pouvoirs de ses dirigeants ne
sont pas opposables aux tiers, en manière telle qu' à l' égard de ces demiers,
les sociétés sont susceptibles d'engager leur responsabilité même si leur or-
gane dépasse l'objet social (127) (voy., supra Titre 1).
Sous-section 3
Le demandeur en responsabilité n'est pas un cocontractant de la person-
ne morale
57. L'action en responsabilité doit être intentée par une partie contractan-
te de la société. Les créanciers contractuels (impayés) sont d'ailleurs les plus
nombreux lorsque la question de l' immunité du dirigeant se pose générale-
ment dans la pratique, à savoir au moment de la faillite (128). Les règles du
(126) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., Mélanges M. Coipel, 2005, p. 783, n° 15.
(127) G. HORSMANS, op.cit., Mélanges W van Gerven, n° 8.1.
(128) M. COIPEL, Observations sous Cass., 7 novembre 1997, J.D.S.C., 2000, p. 8.
130
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
concours ne s' appliquent pas dans les hypothèses ou l' action en responsabili-
té émane de créanciers quine se trouvent pas dans les liens d'un contrat avec
la société. C'est le cas notamment de certains créanciers «institutionnels», de
l'actionnaire individuel, de la caution garante des engagements de la société
et, quoique de manière plus controversée, du curateur agissant en représenta-
tion de la «masse» des créanciers.
N' est en principe pas créancier contractuel de la société l' actionnaire qui,
titre individuel, chercherait à engager la responsabilité du dirigeant. Ce der- .
nier ne doit pas mains prouver l'existence d'un préjudice individuel et indé-
à]
pendant du préjudice indirect qu'il subit par suite de l'atteinte au patrimoine
social (] 31 ). ----
Sous réserve d'une convention particulière, la caution qui s'est portée garan-
te des engagements souscrits par la personne morale envers une banque n'est
pas un cocontractante de la personne morale. Sa demande en responsabilité
n'est donc pas soumise aux conditions du concours en principe (132).
58. Cette condition personnelle devrait également permettre d' écarter l' ap-
plication des règles du concours à l' action en responsabilité intentée par Ie
( 129) Par exemple: An vers (8ème ch.), 11 décembre 2003, T.R. V., 2004, p. 50; Liège, 24 octobre
2003, F.J.F., 2005, liv. 5. p. 407; Anvers, 6 mars 2003, R.D.C., 2005, pp. 387 ets.; Anvers (5èmc
ch.), 30 janvier 2003, J.D.S.C., 2005, p. 180, n° 666; Anvers (5ème ch.), 3 octobre 2002, R. W,
2003-2004, n° 17, p. 663; Anvers, 13 décembre 1999, T.R. V., 2000, p. 32 et note; Anvers, 6
avril 1999, T.R. V., 2000, p. 33 et note. Cette jurisprudence a été critiquée. Sur l'aggravation de
la responsabilité des administrateurs qui résulte de la loi-programme du 20 juillet 2006, voy. le
texte de Y. DE CORDT et M.A. DELVAUX.
(130) Civ. Mons (fisc.) (lère ch. temp.), 29 avril 2003, F.J.F., 2003, liv. 10, p. 1000, J.D.S.C.,
2005, p. 159, n° 661.
(131) Liège (7èmc ch.), 9 septembre 2004, J.T., 2005, p. 85. La Cour a considéré que la diminu-
tion du versement futur des dividendes, la perte de son statut de minorité de blocage, la dimi-
nution du profit qu'il escomptait tirer de la plus-value des immeubles constituant l'actif de la
société ne sont pas des préjudices indépendants du préjudice résultant de l' atteinte au patri-
moine social.
(132) Bruxelles (16ème ch.), 28 avril 2004, J.T., 2004, p. 800, J.D.S.C., 2006, p. 113.
131
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM
Sous-section 4
L'immunité n'est pas invoquée - La condition procédurale
59. Il n'est pas contesté que les conditions du concours ne sont pas d'ordre
public (136). Par conséquent, les Cours et tribunaux ne les appliqueront pas
si le défendeur en responsabilité ne les soulève pas. Ils ne pourraient d' ailleurs
les appliquer sans violer le principe dispositif. Ce principe doit néanmoins
être conjugué avec un autre principe de droit judiciaire selon lequel le juge
doit appliquer au complexe de faits qui lui sont soumis par les parties la cor-
recte règle de droit (pour autant qu'il ne modifie pas la cause et l'objet): «Da
mihifactum, dabo tibi ius» ou «Jura novit curia». Dans son acception tradi-
tionnelle, ce principe devrait permettre au juge de considérer, le cas échéant
(133) L'on ne reviendra pas sur la controverse qui a alimenté la doctrine quant au droit du
curateur d' agir en représentant de la masse des créanciers pour réclamer, sur la base de l' article
1382 du Code civil, la réparation du préjudice résultant de la poursuite d'une activité irrémé-
diablement déficitaire. Voy., à ce sujet, J. WINDEY, op.cit., R.D.C., 2001, p. 294 ets.
(134) Liège (7ème ch.), 19 octobre 2004, R.D.C., 2006, p. 426, note M. COIPEL, J.D.S.C.,
2006, p. 122, n° 731; M.A. DELVAUX, op.cit., J.D.S.C., 2006, p. 12.
(135) X. DIEUX, op.cit., Rev. not. b., 2006, p. 267.
(136) Notamment, P. WERY, op.cit., R.G.D.C., 1998, p. 91, n° 10; E. DIRIX et A. VAN
OEVELEN, «Kroniek van het verbintenissenrecht (1985-1992)», R. W, 1992-1993, p. 1227.
132
LES PIEGES DE L' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
SECTION 4
LES CONDITIONS RELATIVES À LA FAUTE ET AU DOMMAGE
Sous-section 1
La jurisprudence de la Cour de cassation: une formule ambivalente
61. Une question divise toujours la doctrine. Faut-il déduire de cette for-
mule que la responsabilité aquilienne du dirigeant ne peut être engagée qu'à
la double condition que la faute et le dommage soient «totalement» étrangers
(137) Cass., 14 avril 2005, JLMB., 2005, p, 856, J.T., 2005, p. 796, note J. VAN COMPER-
NOLLE, R.AB,G., 2005, note R. VERBEKE. L' on consul tera également, sur cette question, la
thèse de J-F. VAN DROOGHENBROECK, Cassation et juridiction, Jura dicit curia, Bruxel-
les - Paris, Bruylant - L.G.D,J., 2004.
133
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
62. L' affirmation de la Cour selon laquelle la faute reprochée à l' organe
doit constituer «un manquement non à une obligation contractuelle mais à
l'obligation générale de prudence», ne permet pas en soi, par une analyse
exclusivement littérale, de résoudre Ie problème des obligations «mixtes».
(138) B. DUBUISSON, op.cit., in Traité ... vol. 2, pp. 25-28; M. VAN QUICKENBORNE,
«Réflexions sur Ie dommage purement contractuel», note sous Cass., 14 octobre 1985, R.C.J.B.,
1988, p. 347, n° 6.
(139) Civ. Louvain, 24 septembre 2003, R.A.B.G., 2005, p. 50 ets., note L. WERMOESJE.
(140) B. DUBUISSON, op.cit., in Traité ... vol. 1, p. 26.
(141) X. DIEUX, op.cit., Mélanges J. Kirkpatrick, 2004, p. 230. Voy. également V. SIMO-
NART, op.cit., R.C.J.B., 1999, p. 739, n° 8.
(142) Lorsque «Ie droit dont la violation constitue le fondement de I 'action intentée, à savoir
Ie droit à lafourniture de courant électrique, trouve son origine et ses conditions d'existence
dans Ie contrat conclu entre parties, et que le dommage subi n 'est dû qu 'au seul manquement
de la demanderesse aux obligations résultant dudit contrat (. .. ), les conséquences de cette
violation sont, dès fors, entre parties contractantes, exclusivement régies par les principes qui
règlent la responsabilité contractuelle». Cass., 4 juin 1971, R.C.J.B., 1976, p. 12 ets., note
R-O. Dalcq et F. Glansdorff.
134
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
tion en fait, par le juge du fond, et qui lui permettrait «sans se contredire de
refuser de censurer l 'accueil, par le juge du fond, d'un recours aquilien entre
parties contractantes ou vis-à-vis d'un préposé ou d'un agent d'exécution,
alors que la faute et le dommage invoqués à l'appui de pareil recours ne
seraient pas(. .. ) purement extra-contractuels» (143).
( 143) X. DIEUX, op.cit., Mélanges J. Kirkpatrick, 2004, p. 232, citant sur ce point I. RORI-
VE, Le revirement de jurisprudence - Etude de droit anglais et de droit beige, Bruylant, 2003.
( 144) P. WERY, op.cit., R.G.D.C., 1998, p. 88; A. VAN OEVELEN, «Actuelejurisprudentiele
en legislatieve ontwikkelingen inzake de sancties bij niet-nakoming van contractuele verbinte-
nissen», R. W, 1994-1995, p. 799; H. VANDENBERGHE, M. VAN QUICKENBORNE et
L. WYNANT, «Overzicht van rechtspraak. Aansprakelijkheid uit onrechtmatige daad (1985-
1993), T.P.R., 1995, pp. 1521 ets.; M. VAN QUICKENBORNE, p. 347, n° 6; R. KRUITHOF,
«Overzicht van rechtspraak (1971-1980)- Verbintenissen», T.P. R., 1983, p. 610, n° 106; R-O.
DALCQ, «Examen de jurisprudence (1973-1979) - La responsabilité délictuelle et quasi-dé-
lictuelle», R. C.J.B., 1980, pp. 355 ets.; R-O. DALCQ et F. GLANSDORFF, op. cit., R. C.J.B.,
1976, p. 30, n° 11; Rasir, «Cumul de la responsabilité contractuelle et aquilienne», J. T., 1976,
p. 164. L'on retrouve également cette conception chez H. DE PAGE.
(145) I. BLOCKX et E. JANSSENS, op.cit., R.A.B.G., 2005/17, p. X; G. GATHEM, op.cit.,
D.A.O.R., 2005/76, p. 346; B. DUBUISSON, op.cit., vol. 2, pp. 21, 24 et 25; V. SIMONART,
op. cit., R. C.J.B., 1999, p. 739, n° 8; X. DIEUX et D. WILLERMAIN, op. cit., Les contrats de
service, Ed. Jeune Barreau de Bruxelles, 1994, p. 218, note 28; J. HERBOTS, op.cit., T.P.R.,
1980, p. 1083; J. VAN RYN, «Responsabilité et contrats», J.T., 1975, pp. 505 ets.; J-L. FA-
GNART, «La responsabilité personnelle de !'agent d'exécution», obs. sous Cass., 7 décembre
1973, R.G.A.R., 1974, n° 9317, n° 12. Et aussi, semble-t-il, A. COIBION, op.cit., R.D.C.,
2006, p. 423, n° 8; P. VAN OMMESLAGHE, op.cit., Mélanges M. Coipel, 2005, p. 775.
135
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
§ 2. Commentaires
Par ailleurs, l'importance qui est ainsi accordée à la volonté des parties n'est
pas sans paradoxe. En effet, l' organe aurait intérêt à accroître les charges
contractuelles de la personne morale, en contractualisant certaines obliga-
tions, pour échapper, sur le plan personnel, à toute responsabilité résultant de
l'inexécution de ces charges. Il en résulte que l'interprétation «maximaliste»
des conditions du concours aboutit à des conséquences difficilement conci-
liables avec l'intérêt social que doit poursuivre le dirigeant et l'objectif de
responsabilisation du dirigeant. A noter néanmoins, pour relativiser quelque
peu la portée de cette critique, que cette extension du périmètre contractuel
n'aura pas d'effet sur les obligations pénalement sanctionnées, ce qui, com-
me nous le verrons, réduit considérablement les risques d'une déresponsabi-
lisation du dirigeant.
65. L' admission des fautes mixtes trouve quant à elle un appui dans la
manière dont la Cour de cassation traite la question de la coexistence. Lors-
qu 'un tiers, autre qu'un créancier contractuel, entend engager la responsabili-
té aquilienne de l' administrateur, il doit «sortir» du contrat censé exister entre
ce dernier et la société (voy. n° 36 et 37). Pour ce faire, il doit établir que la
faute de gestion, faute contractuelle par rapport au contrat société-dirigeant,
n' est pas une pure faute de gestion mais constitue dans le même temps une
violation del' obligation générale de prudence ( 146). Dans le cadre de la coexis-
tence, la faute mixte est donc de nature à pouvoir engager la responsabilité de
l'organe à l'égard d'un créancier non contractuel de la personne morale et
(146) M. COIPEL, «Les limites de la théorie de l'organe», obs. sous Cass., 7 novembre 1997,
J.D.S.C., 2000, pp. 6 ets.
136
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
137
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
Sous-section 2
La qualification de la faute - La faute alléguée ne doit pas être un man-
quement contractuel
66. Quand la faute du dirigeant constituera-t-elle une faute autre que con-
tractuelle? Le seul critère de qualification de la faute doit résider dans la sour-
ce de l' obligation méconnue. La source de l' obligation doit, simultanément
ou exclusivement, selon la thèse envisagée (voy. n° 63), être distincte du con-
trat.
Dans une affaire ou intervenait dans le cadre des activités de gérant, il été
jugé que constituait une faute engageant sa responsabilité quasi-délictuelle
personnelle Ie fait de signer un chèque dont il savait ou ne pouvait ignorer
qu'il n'était pas provisionné car aucune personne n'apportant à la gestion de
ses affaires Ie soin et la prudence normale n' adopte un tel comportement.
.. ./ ...
aussi Cass., 21 juin 2002, Pas., 2002, p. 1407: «La responsabilité d'une partie contractante
peut être engagée, sur le plan extra-contractuel, du chef d'une faute commise fors del' exécu-
tion d'un contrat, pour autant que lafaute qui lui est imputée constitue un manquement non à
une obligation contractuelle, mais à l'obligation générale de prudence ou à une obligation,
imposée par une norme, des 'abstenir ou d'agir d'une manière déterminée et que cettefaute
ait causé un dommage autre que celui qui résulte de la mauvaise exécution du contrat».
( 152) P-A. FORIERS, «Immunité des agents d'exécution - Représentation et responsabilité
des administrateurs: quelques développements récents» in Groupes de contrats et ensembles
contractuels, Chaire Francqui 2004-2005, n° 8; M. COIPEL, op.cit., J.D.S.C., 2000, p. 8, n° 5.
138
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
Remarquons toutefois que, même si cela n'a pas été relevé en l'espèce, l'émis-
sion de chèques sans provision constitue une infraction pénale, ce qui ouvre
la voie à l'action aquilienne (153).
68. Lorsque le dirigeant assume lui-même l' exécution matérielle d'une obli-
gation contractuelle déterminée de la personne morale (des travaux de pein-
ture, un conseil comptable), les difficultés se posent dans les mêmes condi-
tions que lors d'une action entre parties contractantes. Il faut alors déterminer
Ie contenu obligationnel de la convention, avec les difficultés que cette opé-
ration comporte (voy. n° 55).
Tout d'abord, la gravité de la faute n'est pas un critère qui détermine la qua-
lification contractuelle ou quasi-délictuelle de celle-ci. Le caractère grossier
ou lourd d'une faute contractuelle ne suffit donc pas pour lui conférer une
nature quasi-délictuelle. La Cour de cassation l'a rappelé dans son arrêt du 4
juin 1971: «Le caractère grave de la négligence commise n 'apporte aucun
changement à la nature de la responsabilité applicable» (154). Néanmoins,
le caractère intentionnel ou volontaire de la faute pourrait en faire une infrac-
tion pénale, ce qui ouvrirait alors la voie à une action aquilienne.
(153) Comm. Bruxelles (11 èmc ch.), 17 février 2004, J.L.M.B., 2005, pp. 255 ets.
(154) R.C.J.B., 1976, p. 12 et note note R.-O. DALCQ et F. GLANSDORFF. Voy. aussi Cass.,
15 septembre 1977,R.C.J.B., 1978, p. 426, note R.-O. DALCQ et F. GLANSDORFF; J. VAN
RYN et X. DIEUX, op. cit., R.P. S., 1989, p. 111 et note 58.
(155) Pour un examen détaillé de la question, voy. notamment B. DUBUISSON, «Questions
choisies en droit de la responsabilité contractuelle», La théorie générale des obligations, For-
mation CUP, vol. XXVII, 1998, pp. 95-166.
(156) Anvers, 13 avril 1994, R. W, 1995-1996, p. 397 (pose d'un tapis par une entreprise de
décoration); Civ. Gand, 13 septembre 1996, T.G.R., 1996, p. 178 (contrat avec un comptable
quine s'est pas comporté comme un conseiller fiscal prudent).
139
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM
(157) Voy. par exemple, pour l'obligation d'information du banquier conseil en placement ou
gérant de fortune, G. GATHEM, «Quelques réflexions sur la faute du banquier en matière de
conseil en placements», note sous Gand, 13 décembre 2004 et Gand, 4 avril 2005, D.A.O.R.,
2005, pp. 363 ets.
(158) Mons, 25 mars 2002, R.R.D., 2003, p. 19, qui rejette toutefois l' action aquilienne.
(159) Liège, 31 mars 2000, R.G.A.R., 2001, n° 13441/1, qui fait en outre référence à la protec-
tion de l'environnement (spéc. p. 13441/2).
(160) Liège, 12 octobre 1999, R.R.D., p. 371.
(161) An vers, 13 avril 1994, R. W, 1995-1996, p. 397.
(162) Civ. Courtrai (1 ère ch.), 3 janvier 2003, R. W, pp. 1110 et 1111.
140
LES P!EGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIYIL
vice est extra-contractuelle (163). La Cour d' appel de Gand ne partage mani-
festement pas eet avis. Elle a défendu une conception large des obligations de
sécurité résultant du contrat ( 164).
Sous-section 3
La qualification du dommage - Le dommage ne doit pas résulter d'un
manquement contractuel
70. Nous avons vu que la condition relative à la faute n'était pas insurmon-
table en cas de faute de gestion du dirigeant (voy. n° 67). Cette condition
devrait en effet être satisfaite dans les mêmes conditions à l' égard du créan-
cier contractuel qu'à l'égard du tiers non lié par un contrat avec la personne
morale (165). En revanche, la condition d'un dommage «étranger» au contrat
est susceptible de constituer un sérieux obstacle à l' action aquilienne intentée
contre le dirigeant. Et la Cour de cassation de sanctionner le juge qui omet de
constater cette condition (166). Aux termes de sajurisprudence, il faut que la
faute alléguée ait causé «un dommage autre que celui qui résulte de la mau-
vaise exécution du contrat». Autrement dit, le dommage ne doit pas être «con-
tractuel» ou «purement contractuel», selon la thèse envisagée (voy. supra,
n° 61).
71. La doctrine est divisée lorsqu'il s'agit de fixer, au moyen d'un critère
abstrait, les contours du dommage «contractuel» ou «purement contractuel».
Le cadre de cette contribution ne nous permet pas d' entrer dans les détails de
cette controverse (167). Rappelons simplement que certains auteurs, se réfé-
rant à la thèse du professeur Van Ryn, Ie définissent comme «la privation de
l 'avantage que le contractant devait normalement retirer de l 'exécution cor-
recte du contrat» (168). D'autres auteurs se réfèrent aux «objets concemés
par le contrat» (169). Certains auteurs voient dans cette condition un rappel
des règles exprimées par les articles 1149 et suivants du Code civil (170).
141
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
72. Les auteurs s'accordent pour affirmer qu'en général, la condition d'un
dommage distinct fera échec à l'action en responsabilité aquilienne lorsque
la créance en cause, dont l' exécution a été compromise à la suite d'une faute
de gestion, porte sur le paiement d'une somme d'argent: «Ce dommage se
confond nécessairement avec la privation del' avantage que Ie créancier s 'at-
tendait à retirer du contrat» (171). Comment imaginer, en effet, qu'une ban-
que, un fournisseur ou un sous-traitant puisse démontrer que son dommage
résultant du non-paiement de sa créance, par la société, est étranger au con-
trat? C'est ainsi que, dans le cadre des demandes visant à reprocher la pour-
suite inconsidérée des activités déficitaires, ayant entraîné la perte de la créance,
le cas échéant dans la faillite, le dommage réclamé s'identifiera incontesta-
blement au dommage contractuel (voy. infra section 6).
Une réponse plus nuancée est parfois apportée dans l'hypothèse ou le com-
portement du dirigeant a suscité, de la part du créancier social, des investisse-
ments en vue, par exemple, d'améliorer son service à l'égard de la société,
investissements qui se révéleraient par la suite de pures pertes en raison de la
défaillance de la société (172). Dans ce cas, il est peut-être plus facilement
plaidable que le dommage économique subi par le créancier ne résulte pas de
l'inexécution du contrat par la société mais de la faute personnelle du diri-
geant, à supposer qu'elle présente les caractères d'une faute aquilienne.
U n survol de la jurisprudence révèle en effet que l' accent est fortement porté
sur la volonté, explicite et implicite, des parties en ce qui concerne la qualifi-
( 171) X. DIEUX, op. cit., Mélanges J. Kirkpatrick. 2004, p. 234. Voy. aussi, P-A. FORIERS,
op. cit., Les groupes ... , n° 8; M. COIPEL, op. cit., J.D.S.C., 2000, p. 8.; P. COLLE, op. cit.,
R. G.A.R., 1986, 11076/3, n° 12.
(172) L'exemple est emprunté à P. COLLE, op. cit., R.G.A.R., 1986, 11076/4, n° 15.
( 173) An vers, 18 juin 2003, NjW, 2003, pp. 446 et s.
142
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
143
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
(177) Cass. (3ème ch.), 14 octobre 1985, op.cit., et la note de M. VAN QUICKENBORNE, en
particulier, p. 367, n° 33.
(178) Comm. Liège, 17 octobre 2003, R.D. C., 2005, pp. 429 et s.
144
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIV!L
SECTJON 5
RESTRICTION À L'IMMUNITÉ DU DIRIGEANT EN CAS D'INFRACTION PÉNALE
76. Lorsque la faute contractuelle constitue, dans Ie même temps, une in-
fraction pénale, la victime peut engager la responsabilité aquilienne de son
cocontractant sans établir une faute et un dommage étrangers au contrat. Cet-
te exception à la règle du concours est déduite d'une jurisprudence constante
de la Cour de cassation ( 182). Dans un arrêt du 26 octobre 1990, la Cour
déclare, en effet, que «la circonstance qu 'une infraction est commise lors de
l 'exécution d 'un contrat ne fait, en principe, obstacle ni à l 'application de la
loi pénale ni à celle des règles relatives à la responsabilité civile résultant
d'une infraction» et que «le dommage causé par unfait légalement punissa-
ble ne peut être considéré comme un dommage de nature exclusivement con-
tractuelle par Ie seul motif qu 'il a été causé en suite de la mauvaise exécution
de l'obligation contractuelle de veillerà la sécurité de la victime». Elle ajou-
te que l' «auxiliaire peut toujours être déclaré responsable sur Ie plan extra-
contractuel lorsque safaute constitue une infraction ayant causé le domma-
ge litigieux». Dans cette affaite, des moniteurs d'une colonie de vacances,
(179) Voy. ainsi, B. DUBUISSON, op.cit., in Traité théorique et pratique ... , vol. 2, pp. 20-22.
(180) Liège, 18 novembre 1997, R.G.A.R., 1999, n° 13094.
(181) Liège, 31 mars 2000, R.G.A.R., 2001, n° 13441/1.
(182) Cass., 26 octobre 1990; Cass. (2ème ch.), 11 septembre 2001, Pas., 2001, p. 1377; Cass.,
le' juin 1984, Pas., 1984, I, 1202; J.T., 1985, p. 256; Cass., 25 avril 1983, Pas., I, n° 467,
p. 958.
145
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
agents d' exécution del' A.S.B.L organisatrice de séjours pour enfants, n' avaient
pas pris les mesures qui s'imposaient pour empêcher un enfant mineur ayant
abusé de boissons alcoolisées d' enjamber le balcon et d' atterrir plusieurs mè-
tres plus bas. Un manquement était reproché à l' obligation contractuelle de
veiller à la sécurité des enfants (183).
77. Il est généralement admis que cette exception aux règles du concours
s' applique à l' organe. La responsabilité aquilienne personnelle du dirigeant
peut donc être engagée sans qu'il y ait lieu d' établir l' existence des deux
conditions, pour tout manquement contractuel, par exemple à une obligation
contractuelle de sécurité, qui a porté atteinte à l'intégrité physique d'une per-
sonne (184). Elle permet par ailleurs de relativiser le débat quant au caractère
extra-contractuel des obligations de sécurité relatives aux personnes.
78. Les juges du fond appliquent cette exception de manière très étendue.
Il semble qu' il soit fait échec à l' immunité chaque fois que l' obligation mé-
connue est pénalement sanctionnée. Inutile de <lire que cette extension de la
responsabilité aquilienne de l' organe chaque fois que sa faute constitue éga-
lement une infraction pénale demeure une sérieuse, - sinon la plus sérieuse, -
restriction à l'immunité déduite du concours. Et au vu des législations récen-
tes qui émettent de plus en plus d' obligations sanctionnées pénalement, il y a
même de quoi s'inquiéter pour le dirigeant.
(183) Cass., 26 décembre 1990, Pas., 1991, I, p. 216, R.C.J.B., 1992, p. 497, note R-O. DALCQ.
(184) P. WERY, op.cit., R.G.D.C., 1998, p. 92.
(185) I. CLAEYS, op. cit., T.R. V., 1998, p. 288, n° 9.
( 186) Gand, 6 mai 2004, R. W, 2005, p. 668, NjW, 2005, p. 201, note H. DE WULF.
(187) Comm. Hasselt (4èmc ch.), 25 juin 2002, T.R. V., 2003, note J. VANANROYE.
(188) J-F. GOFFIN, op.cit., p. 418, n° 215.
146
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
La responsabilité du gérant d'une S,P.R,L, a été engagée pour avoir fait exé-
cuter des travaux de rénovation par la société sans accès à la profession ( 192).
Cette responsabilité sera aussi engagée en cas d'incendie résultant d'un man-
que de précaution ce qui est sanctionné par l' article 519 du Code pénal ( 193 ).
Dans de très nombreux cas, il y aura serait-ce qu'un arrêté royal pour infliger
une amende pénale. Il a ainsi été fait échec aux conditions du concours dans
le cadre d'une vente, la fourniture tardive du certificat de conformité d'une
caravane délivré par l 'inspection automobile ( 194).
79. Encore faut-il qu'il y ait infraction pénale. L'intervention d'une instan-
ce répressive n' est manifestement pas requise à cette fin (195). Dans la prati-
que judiciaire, c' est le juge ei vil qui constate l 'existence d 'une infraction pé-
nale et qui décide, sur cette base, si l'organe peut ou non bénéficier de l'im-
munité issue des règes du concours. Ce n'est donc pas un juge répressif qui
déduirait des conséquences civiles de ses constatations pénales mais un juge
civil qui tire des implications civiles de ses constatations pénales. Un juge
civil est, par exemple, admis à décider dans ce cadre que le fait de manifester
une fausse apparence de solvabilité constitue l'infraction d'escroquerie au
sens de l'article 496 du Code pénal et d'ouvrir, en conséquence, la voie à une
action aquilienne contre l' organe d'une partie contractante (196).
147
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM
SECTION 6
ÁPPLICATION - LA POURSUITE (FAUTIVE) D' ACTIVITÉS DÉFICITAIRES
Néanmoins, les restrictions qui affectent son domaine d'application lui con-
fèrent un intérêt assez limité en pratique. Voyons à présent dans quelle mesu-
re l'immunité déduite des règles du concours pourra bénéficier au dirigeant
dans cette hypothèse.
Sous-section 1
L'action est introduite par Ie curateur
Cette dérogation est traditionnellement justifiée par Ie fait que Ie curateur agit
en qualité de représentant de la «masse» des créanciers, laquelle ne se réduit
pas à une simple addition de créances, et réclame la réparation d'un préjudice
(197) J. WINDEY, op.cit., R.D.C., 2001, p. 309, n° 50 et les références citées.
(198) P-A. FORIERS, op.cit., in Groupes de contrats ... , n° 8; J-F. GOFFIN, op.cit., p. 129; X.
DIEUX, op. cit., Mélanges J. Kirkpatrick, 2004, p. 234.
148
LES PIEGES DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
83. En dépit de cette critique, la règle paraît bien appliquée par les Cours et
tribunaux. On citera, à titre d'illustration, eet arrêt de la Cour d'appel de Liè-
ge du 19 octobre 2004 (202). La Cour a condamné les gérants d'une S.P.R.L.
à répondre de l' aggravation du passif net de la société à partir du jour ou les
activités auraient dû être arrêtées, estimant notamment que la poursuite des
activités dans les conditions particulières de l'espèce relevait de l'incompé-
tence oude l'inconscience. Elle a estimé que l'arrêt du 7 novembre 1997 ne
s'opposait pas à la mise en cause de la responsabilité aquilienne des gérants
(199) Cass., 5 décembre 1997, R.C.J.B., 2000, p. 20, note T. BOSLY, R.D.C., 1998, p. 523,
T.R.V., note J. VANANROYE. Voy. aussi Cass., 12 février 1981 (arrêt «UNAC»), R.C.J.B.,
1983, p. 5, note J. HEENEN, R.P. S., 1981, p. 116, note P. COPPENS, R.D.C., 1981, p. 154,
note B. VAN BRUYSTEGEM, et les discussions qu'il a suscitées.
(200) M. COIPEL, op.cit., note sous Liège, 19 octobre 2004, R.D.C., p. 433; J-F. GOFFJN,
op.cit., p. 129-130; M-A. DELVAUX, op. cit., in Guide juridique de l'entreprise, n° 369; J.
WINDEY, op.cit., R.D.C., 2001, p. 312, n° 57.
(201) X. DIEUX, op. cit., Rev. not. b., 2006, p. 267; P. COLLE, op. cit., R.G.A.R., 1986,
n° 11076.
(202) Liège, 19 octobre 2004, R.D.C., 2006, pp. 426 ets., note M. COIPEL.
149
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GA THEM
dès lors que le dommage invoqué par le curateur, à savoir l' aggravation du
passif, est celui de la masse et qu'il se distingue du préjudice subi par les
créanciers contractuels de la société. L'arrêt relève également qu'il s'agit du
dommage commun à !'ensemble des créanciers sociaux, contractuels et non
contractuels.
Sous-section 2
Le comportement est constitutif d'infraction pénale
Sous-section 3
La faute constitue une culpa in contrahendo
86. Comme nous l'avons rappelé plus haut (voy. section 3, s-s. 3.1, § 3),
une culpa in contrahendo peut être reprochée au dirigeant qui souscrit des
(203) Cass., 22 septembre 1988, R.P. S., 1989, p. 180, J.T., 1989, p. 200, R. W, 1988-1989,
p. 847, R. C.J.B., 1990, p. 203; Cass., 7 septembre 1990, Pas., 1991, 1, p. 17, T.R. V., 1991, p. 86
et note M. WYCKAERT.
(204) Voy. notamment Gand, 7 juin 2001, J.D.S.C., 2003, p. 217, n° 510, obs. M-A. DEL-
VAUX; Bruxelles, 24 février 2000, Rev. prat. soc., 2000, p. 258, note W. DERIJKE; Liège,
8 juin 1999, J. T., 2000, p. 581; Comm. Tongres, 13 janvier 2005, R.A.B.G., 2005, pp. 1570 et
s., note E. JANSSENS; Comm. Hasselt, 5 novembre 1996, R.D.C., 1997, p. 642.
150
LES PIEGES DEL' ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
Sous-section 4
Responsabilités particulières prévues par Ie Code des sociétés
Sous-section 5
L'action est introduite par un créancier extra-contractuel
88. Comme nous l' avons indiqué plus haut (n° 57), l' immunité déduite des
règles du concours tombe lorsque le demandeur n'est pas lié par un contrat
avec la personne morale. Le dirigeant ne pourra donc revendiquer le bénéfice
de l'immunité face à l'administration fiscale.
151
DENIS PHILIPPE ET GREGOIRE GATHEM
CONCLUSION
89. Les deux branches du sujet abordé comptent parmi les matières les
plus incertaines et les plus complexes du droit privé, tant en droit belge qu'en
droit comparé. Ceci explique les imprécisions et les revirements dont nous
nous sommes fait l'écho.
Comme plusieurs auteurs, nous crayons que la matière doit encore mûrir. Un
organe ne peut être assimilé à un agent d'exécution et la matière doit être
recentrée à partir de la définition de l' organe à travers lequel la personne
morale agit. Si l' organe agit dans Ie cadre de ses fonctions, loyalement et non
au mépris de la personne morale qu'il incame, sa responsabilité personnelle
ne devrait pas être mise en cause.
Le principe est donc que la responsabilité personnelle del' organe peut coexister
avec celle de la personne morale mais l'immunité de l'organe en cas de con-
cours de responsabilité peut faire obstacle à cette responsabilité. Reste à dé-
terminer si Ie dirigeant pourra concrètement en bénéficier. Et comme nous
l'avons vu, les pièges de l'article 1382 sant nombreux en la matière.
152
CHAPITREIII
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN
DROIT FRANÇAIS
ALAIN CouRET
Professeur à l'Université Paris I - Panthéon-Sorbonne
Co-responsable du Centre de Recherche en Droit Financier
Avocat associé
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS
INTRODUCTION
Elle peut être engagée par les tiers, par la société elle-même ou tout au moins
par ses nouveaux dirigeants; elle n'échappe pas à un certain activisme action-
narial, les actionnaires pouvant être plus que d'autres tentés d'engager cette
responsabilité.
( 1) La bibliographie générale française sur le sujet est considérable. On se bornera ici à donner
quelques indications bibliographiques relatives à des publications récentes: S. MESSAÏ-BA-
HRI, «La responsabilité des dirigeants», Thèse, Paris I, (. X) 2004; F. DESCORPS DECLE-
RE, «Pour une réhabilitation de la responsabilité civile des dirigeants sociaux» RTD Com.
2003 p. 25 et s.; cf. également les actes du colloque organisé par l'Université Paris V sur Ie
thème, «La responsabilité civile des dirigeants sociaux» Rev. Soc., n° 2 avril-juin 2003; F.
POLLAUD-DULIAN, «De quelques avatars de l'action en responsabilité civile dans le droit
des affaires» RTD Com. 50(3) juillet-septembre 1997 p. 349 ets.; C. FREYRIA, «Libres pro-
pos sur la responsabilité civile de Ja gestion d'une entreprise» Mélanges Louis Boyer 1996, p.
179; B. PETIT et Y. REINHARD, «Responsabilité civile des dirigeants sociaux», RTD Com.
1997 p. 282; D. VIDAL, «La responsabilité civile des dirigeants sociaux» in «Les dirigeants
sociaux» Colloque Toulouse, Cahiers de Droit de l'Entreprise 2001, fascicule 3, p. 37 ets.; I.
GROSSI, «La responsabilité civile des dirigeants» in Droit et Patrimoine n° 118 ~ Septembre
2003, p. 50 et s.
(2) Cf. M. GERMAIN, Rev. Soc. 2003 p. 284 ets.
(3) «Le dirigeant contribuable» par C. LOPEZ, Revue Lamy Droit des Affaires n° 10 novem-
bre 2006 p. 81 ets.; J.P. LE GALLet G. BLANLUET, «La responsabilité fiscale des dirigeants
d' entreprises» Rev. Soc. 1992 p. 669; B. POULLAIN, «La responsabilité fiscale des dirigeants
de personnes morales» Droit et Patrimoine, 2/1998 p. 35; COZIAN, VIANDIER et DEBOIS-
SY, «Droit des sociétés» 2006, 19ème édition n° 274.
(4) C. NEAU-LEDUC, «La responsabilité du dirigeant employeur: éclairage d'actualité» Re-
vue Lamy Droit des Affaires n° 10 novembre 2006 p. 78 ets.; M. BUY, «La responsabilité
civile de !' employeur» Droit et Patrimoine n° 118, Septembre 2003 p. 65 et s.
(5) Sur cette question, H. LETREGUILLY, «La responsabilité des émetteurs en matière d'in-
formation financière». Revue de Droit bancaire et financier n° 6, novembre/décembre 2004
.. ./ ...
155
ALAIN COURET
Les raisons se devinent assez aisément. L'esprit d'entreprise doit être sauve-
gardé et ne doit pas être bridé par des solutions trop sévères en matière de
responsabilité. Des raisons techniques concourent également à l'explication:
ainsi par exemple le droit français de la responsabilité est dominé par le prin-
cipe de la réparation intégrale du préjudice. Compte tenu de l' ampleur des
préjudices qui peuvent apparaître du fait du fonctionnement social, on peut
redouter que les juges soient très réticents à engager les mécanismes de res-
ponsabilité pour les personnes dirigeantes (7).
.. ./...
p. 448-453; A. MARECHAL, «La responsabilité des dirigeants des sociétés cotées en matière
d'information financière», Droit des sociétés, Août-septembre 2001, p. 4; J.P. MATTOUT,
«Information financière et responsabilité des dirigeants», RDBF n° 6, novembre-décembre
2004, p. 454-458; G. de VRIES, «La responsabilité civile de la société envers les actionnaires
en cas d'information complète ou prématurée» JCP E 2004, p. 695 ets.
(6) Intervention du Professeur C. MIHAUP lors du 6 th International Symposium of the 21 st
Century Commercial Law Forum organisé par Ie Commerical Law Research Center de la
TSINGHUA UNIVERSITY.
(7) Cf. R. VATINET, «La réparation du préjudice causé par la faute des dirigeants sociaux,
devant les juridictions civiles» Rev. Soc. (2) avril-juin 2003 p. 249 et s.
(8) «Les fonctions de la responsabilité civile des dirigeants sociaux» Rev. Soc. 2003, p. 238 et
s.; voir également F. POLLAUD-DULIAN, «De quelques avatars del' action en responsabilité
civile dans Ie droit des affaires» RTD Com. 1997, 355 ets.; S. CARVAL, «La responsabilité
civile dans sa fonction de peine privée» Thèse LGDJ 1995, notamment p. 149-150.
156
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS
157
ALAIN COURET
TITRE 1
LES CONDITIONS DE FOND DE LA RESPONSABILITE CIVILE:
L' ARTICULATION DE LA RESPONSABILITE INDIVIDUELLE ET
DE LA RESPONSABILITE DE LA PERSONNE MORALE
SECTION 1
L'EFFACEMENT DE LA RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE DERRIÈRE LA RESPONSABILITÉ
DE LA PERSONNE MORALE
(9) C.A. Versailles 17 janvier 2002 n° 00-7792, RJDA 4/02 n° 650; Bull. Joly 1002 p. 516 note
J.F. BARBIERI.
(10) Voir J.F. BARBIER!, «Responsabilité de la personne morale ou responsabilité de ses
dirigeants? La responsabilité personnelle à la dérive» in Mélanges Y. GUYON, Dalloz 2003 p.
41; G. AUZERO, «L'application de la notion de faute personnelle détachable des fonctions en
droit privé», D. 1998 p. 502; V. WESTER-OUISSE, «Critique d'une notion imprécise: la faute
du dirigeant de société détachable des fonctions» D. 1999 p. 782; M. LAUGIER, «l'introuva-
ble responsabilité du dirigeant social envers les tiers pour fautes de gestion» Bull. Joly 2003 p.
1231 ets.
(11) Rev. Soc. 1983 p. 573 note Y. GUYON.
(12) Cass. Com. 4 octobre 1988 (arrêt LEPOIVRE) n° 86-18.974, Bull. civ. IV n° 265 p. 182,
RTD civ. 1989 n° 2 obs. MESTRE, Rev. Soc. 1989.213 note VIANDIER, D. 1988, IR 259;
Cass. Com. 4 juin 1991 n° 89-16.847, Bull. Civ. IV n° 211 p. 149, Rev. Soc. 1992 p. 55 note
CHARTIER, Defrénois 1992 p. 902 obs. HONORAT, RJDA 1991 n° 715 p. 626, BRDA 1991
n° 17 obs. HONORAT, RJDA 1991 n° 715 p. 626, BRDA 1991 n° 17 p. 6; Cass. Com. 14 jan-
.. ./ ...
158
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAJS
8. Cette jurisprudence a été sollicitée jusqu' aux limites del' absurde. Aio-
si la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 20 octo-
.. .! ...
vier 1992 n° 90-14.983, Bull. civ. IV n° 13 p. 10, BRDA 1992 n° 7 p. 7, Rev. Soc. 1992 p. 798
obs. GUYON; Cass. Com. 28 avril 1998 n° 96-10.253, Bull. Joly 1998 p. 808 note LE CAN-
NU, Rev. Soc. 1998 p. 767 note SAINTOURENS, RTD com. 1998 p. 623 obs. PETIT et
REINHARD; Cass. Com. 12janvier 1999 n° 96-19.670, RJDA 1999 n° 301 p. 253, Bull Joly
1999 p. 81 note SAINTOURENS.
(13) Cf. Gilles AUZERO, op.cit.
(14) COZIAN, VIANDIER, DEBOISSY, «Droit des sociétés» l 3ème édition, LJTEC 2000 n°
368.
(15) Cf. C. FREYRIA, «Libres propos sur la responsabilité civile de la gestion d'une entrepri-
se» Mélanges BOYER, Presses Université Toulouse 1, 1996 p. 178, G. WICKER, Répertoire
Civil, Dalloz V 0 Personne moralen° 78, COZIAN-VIANDIER-DEBOISSY, «Droit des socié-
tés» 13ème édition LITEC 2000 p. 123.
(16) Conférence sur la responsabilité des dirigeants organisée par l' Association France-Amé-
riques Ie 7 juin 2006 à Paris.
159
ALAIN COURET
bre 1998 (17) a considéré qu'un dirigeant qui avait consenti un cautionne-
ment au nom d'une société alors qu'il n'en avait pas le pouvoir, ne pouvait
voir sa responsabilité personnelle engagée. Comme la société n'était pas da-
vantage tenue, le cautionnement ne lui étant pas opposable, le tiers victime
s'est trouvé dans ce cas-là dépourvu de tout recours à l'encontre de quicon-
que, solution pour le mains singulière!
9. Cette jurisprudence vaut pour les dirigeants de tous les types sociétai-
res: sociétés par actions, sociétés à responsabilité limitée, sociétés de person-
nes. Elle vaut tant pour les sociétés commerciales que pour les sociétés civi-
les: ainsi, dans un arrêt du 25 janvier 2005, la Chambre commerciale de la
Cour de cassation a décidé que la responsabilité personnelle d'un gérant de
société civile ne pouvait être retenue à l'égard d'un tiers que s'il a commis
une faute séparable de ses fonctions (18). Elle trouve application s' agissant
des dirigeants d' associations (19).
SECTION 2
LES CONDITIONS D'UNE RESTAURATION DE LA RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE
160
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS
Il est apparu assez vite que la nécessité d'identifier la faute «séparable» ap-
pelait des précisions jurisprudentielles. La Cour de cassation a apporté des
éléments de réponse dans un arrêt du 20 mai 2003. La Chambre commerciale
a ainsi décidé qu'il y avait faute séparable «lorsque le dirigeant commet in-
tentionnellement une faute d 'une particulière gravité incompatible avec l 'exer-
cice normal des fonctions sociales» (20). La lère Chambre civile a par la
suite adopté la même position (21 ).
12. Reste que les solutions données par les deux formations sont souvent
discutables au regard de ce critère et que la démonstration du caractère sépa-
rable demeure dans nombre de cas difficiles à administrer (22). Globalement,
les juges demeurent défavorables à la reconnaissance d'hypothèses de fautes
séparables des fonctions. En dépit du critère adopté par la Chambre commer-
ciale en 2003, les cas de faute séparable demeurent marginaux. De !'examen
de la jurisprudence se dégagent trois certitudes et une tendance lourde.
13. La première certitude est que, <levant les juridictions répressives tout
au mains, la faute pénale est une faute séparable de la fonction. La jurispru-
dence criminelle est ici constante (23), mais cette constance n'est pas néces-
sairement partagée par les autres formations (24) de la Cour de cassation
puisque la troisième chambre civile vient de retenir pour non-séparable une
faute pénale (25). Les chambres civiles semblent s'attacher en fait à l'exis-
(20) N° 99-17.092, D. 2003 p. 1502 obs. LIENHARD, JCP E 2003 n° 1099 p. 1221, Bull. Joly
2003 p. 786 note LE NABASQUE, JCP E 2003 n° 1203 p. 1331, obs. CAUSSAIN, DEBOIS-
SY etWICKER, RTDCom. 2003 p. 523 obs. CHAZALetREINHARD, etp. 741 obs. CHAM-
PAUD et DANET, Rev. sociétés 2003 p. 479 note J.F. BARBIER!, RJDA 2003 n° 8-9 n° 842
p. 747; Droit des sociétés 2003, comm. 148, obs. J. MONNET; JCP E 2003, 1398, note S.
HADGI-ARTINIAN; D. 2004 p. 2623, note B. DONDERO.
(21) 16 novembre 2004, Bull. Joly 2005, § 72, p. 370, note B. DONDERO.
(22) Voir les nombreuses illustrations données dans Ie LAMY Sociétés commerciales 2005 n°
650 ets.
(23) Cass. Crim. 14 octobre 1991, Bull. crim. n° 1 p. 401, Rev. Soc. 1992 p. 782 note B.
BOULOC; Cass. Crim. 20 mai 2003, Bull. crim. 2003, n° 101, Bull. Joly Sociétés 2003 § 242
p. 1166 note Th. MASSART; RJDA2003 n° 1181, p. 1026; D. 2003 p. 2205.
(24) La 1ère Chambre civile a adopté la même position, Cass. 1èrc civile, 6 octobre 1998, n° 95-
12519: en l'espèce Ie gérant d'une société avait corrompu un fonctionnaire, RJDA 12-1998
p. 1021 n° 1362; 14 décembre 1999, JCPG 2000 II n° 10241, conclusions C. PETIT; Bull. Joly
Sociétés 2000, § 175, p. 736, note A. COURET; RTD Civ. 2000, 342, obs. P. JOURDAIN.
(25) N° 04-14731, FS P+B, 4 janvier 2006, RJDA 8-9/06 n° 916, Droit des sociétés Mars 2006
p. 28; BRDA 3/06 inf. 2; D. 2006, AJ, p. 231, obs. A. LIENHARD; Bull. Joly Sociétés, 2006
§ 106, p. 526, note S. MESSAÏ-BAHRI; Dr. Sociétés 2006, comm. 40, obs. J. MONNET; JCP
E2006, 1216; JCPG 2006 n° 2035, ChroniqueCAUSSAIN, DEBOISSY, WICKER n° !; Voir
également chronique Didier PORACCHIA, «Droit des sociétés» in Droit et Patrimoine n° 149
- Juin 2006 p. 109-110.
161
ALAIN COURET
14. La deuxième certitude est que la notion de faute séparable des fonc-
tions n'est pas applicable en matière de manquements administratifs: cette
règle rejoint en fait la précédente: les sanctions administratives sont assimi-
lées à la matière pénale (26). Le dirigeant peut ainsi être sanctionné lorsque
une société a diffusé des informations qui ne répondent pas aux exigences
d'exactitude et de sincérité posées par Ie Règlement général del' AMF.
15. La troisième certitude est que la faute est séparable lorsque les diri-
geants n' ont pas agi en cette qualité. Un arrêt de la Chambre commerciale du
8 février 2005 est une bonne illustration de ce cas de figure. Les dirigeants
d'une station-service étaient entrés en conflit avec la société SHELL dont ils
distribuaient les produits. Suite à ce conflit, ils avaient masqué les couleurs,
Ie logo et la marque SHELL pour vendre des carburants d'une autre prove-
nance. La Cour a considéré que les dirigeants s'étaient purement et simple-
ment appropriés le fonds de commerce de la société (27).
(26) Cass. com. 31 mars 2004, GAUME c./COB, Juris-Data n° 2004-023105; D. 2004, oct.
Jurisp. 1087; Droit des sociétés n° 7, Juillet 2004, comm. 131; Bull. Joly 2004, p. 982 ets. et
note Gilles AUZERO.
(27) Bull. Joly Sociétés 2005 p. 855 ets. avec !'avis de Monsieur l' Avocat Général Maurice-
Antoine LAFORTUNE.
(28) Revue Lamy Droit des affaires - Novembre 2006 n° 10 p. 18.
(29).Cass. com. 7 juillet 2004 n° 1158, RJDA 11/04 n° 1223.
(30) Cass. com. 25 janvier 2005 n° 138, RJDA 5/05 n° 576.
162
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS
De même encore elle a pu considérer que devait être considéré comme n' ayant
pas commis de faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice
normal de ses fonctions le président qui a agi dans les limites del' objet de la
société et dès lors qu'il n'est pas démontré qu'il aurait eu un intérêt personnel
à utiliser celle-ci dans un dessein illicite (31 ).
«C' est que le capita/isme français est encore une figure proche du capita/is-
me rhénan et ce capita/isme est plus dépendant de ses créanciers - en parti-
culier bancaires - que de ses actionnaires. Si bien que c 'est dans le cadre de
lafaillite que les créanciers mettent en cause la responsabilité du dirigeant,
alors que les actionnaires ne s 'expriment pas encore, tant que la société est
in bonis».
(31) Cass. com. 13 décembre 2005, Bull. Joly 2006 p. 636 ets. note Jean-François BARBIE-
R!.
(32) Rapport de synthèse précité, p. 286.
(33) Sur cette responsabilité: C. SAINT-ALARY, «Droit des entreprises en difficulté» Mont-
chrestien 5èmc édition 2006 p. 744 ets., n° 1262 ets.; M. JEANTIN et P. LE CANNU, «Entre-
prises en difficulté» Précis Dalloz, 7ème édition, 2007 p. 763 et s.
163
ALAIN COURET
Les sommes versées par les dirigeants en application de l'alinéa Ier rentrent
dans le patrimoine du débiteur».
19. D'autres textes vont dans le même sens qui montrent bien que la situa-
tion dans laquelle une entreprise est en liquidationjudiciaire implique la prise
en compte de la responsabilité des dirigeants d'une manière plus sévère que
dans le droit commun.
(34) Voir sur ce point l'étude de Madame I. PARACHKEVOVA, «La nouvelle responsabilité
des dirigeants dans les procédures collectives: révolution ou évolution?» LPA 19 décembre
2006 p. 4 et s.; P. LE CANNU, «La responsabilité civile des dirigeants de personne morale
après la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005» Rev. Soc. 2005 p. 743 ets.
164
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DRO!T FRANÇAIS
0 0
(35) Cass. com. 14 mars 2000 n° 684, RJDA 7-8/00 n° 788, D. 2000 n° 15 p. 187, obs.
A. LIENHARD; JCP E 2000 note D. PORACCHIA p. 1527.
(36) Cass. com. 7 mars 2006, n° 04-16536 Juris-Data n° 2006-032682; D. 2006 p. 859 obs. A.
LIENHARD; JCP E 2006, étude 2035 p. 1171 par CAUSSAIN, DEBOISSY et WICKER.
165
ALAIN COURET
(37) I. GROSSI, «La responsabilité des dirigeants» in Droit et Patrimoine n° 118 - Septembre
2003 p. 55.
166
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS
TITRE 2
LE REGIME PROCEDURAL DE LA RESPONSABILITE CIVILE: LA
MULTIPLICATION DES OBSTACLES
SECTION 1
LA RECEVABILITÉ DE L 'ACTION EN RESPONSABILITÉ
(38) Sur l'inadaptation de l'action sociale «ut singuli», voir R. VATINET, «La réparation du
préjudice causé par la faute des dirigeants sociaux <levant les juridictions civiles» Rev. Soc. (2)
avril-juin 2003 § 13 ets., p. 251 ets. Voirégalement laremarquable thèse deJ.-Ch. PAGNUCCO,
L'action sociale ut singuli et ut universi en droit des groupements, Paris L.G.B.J. 2006.
(39) A. COURET, «Interrogations autour de la réparation du préjudice individuel de l'action-
naire» RJDA 5/97 p. 391.
167
ALAIN COURET
(40) n' est pas recevable à agir personnellement devant la juridiction de juge-
ment ou devant la juridiction d'instruction (41). Pour les juges, le préjudice
n' est, ni direct, ni personnel.
168
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS
Le législateur de 2005 (loi «sauvegarde des entreprises») s' est inscrit égale-
ment dans cette logique. L' article L 652-1 interdit de cumuler l' obligation au
paiement des dettes sociales avec l'action en insuffisance d'actif puisque l'ar-
ticle L 652-1 du Code de commerce prévoit dans son dernier alinéa que si
l'une des fautes constitutives de l'obligation aux dettes est constatée, il ne
peut plus être fait application de l' action en responsabilité pour insuffisance
d'actif (52). Déjà présentes dans la jurisprudence antérieure, ces solutions
ont désormais force légale.
30. Cette hostilité globale aux cumuls d'actions connaît des exceptions et
notamment lorsque la Cour considère que les actions ont des objets diffé-
(47) Tribunal de Grande Instance de Paris ( 11 c charnbre) 12 septernbre 2006, voir les observa-
tions de D. SCHMIDT, Dalloz 2006 p. 2522.
(48) M.-C. PINIOT, «Responsabilité civile des dirigeants sociaux, non-cumul des actions du
droit des sociétés et du droit des procédures col!ectives» RJDA 7/95 p. 643 n° 9; égalernent F.
POLLAUD-DULIAN, article précité.
(49) Cass. com. 20 juin 1995 n° 1309, RJDA 7/95 n° 904, Cass. corn. 26 rnai 1999 n° 1024,
RJDA 3/00 n° 321.
(50) Cass. corn. 28 tëvrier 1995 n° 452, RJDA 7/95 n° 904; Cass. corn. 26 mai 1999 n° 1024,
RJDA 3/00 n° 321; Cass. corn. 3 octobre 2000 n° 1590, RJDA 1/01 n° 61.
(51) Cf. JEANTIN et LE CANNU, «Entreprises en difficulté» Précis Dalloz 2007 n° 1269 p.
776; voir égalernent J.-P. SORTAIS, «Les con tours de!' action en cornblernent de l'insuffisan-
ce d' actif» Mélanges BEZARD, Editions Petites Affiches MONTCHRESTIEN 2002 p. 321 et
s.
(52) I. PARACHKEVOVA, «La nouvelle susceptibilité des dirigeants dans les procédures
collectives: révolution ou évolution?» LPA 19 décembre 2006 n° 19.
169
ALAIN COURET
rents: ainsi une action en comblement de l' insuffisance d' actif peut se cumu-
ler avec une action civile en réparation du préjudice résultant de l'infraction
d' abus de biens sociaux (53). Elle peut également se cumuler avec l' action
civile accompagnant un délit de banqueroute (54).
- dès lors que le dirigeant a commis une faute séparable de ses fonctions
- dès lors que le demandeur peut prouver qu'il a subi un préjudice person-
nel distinct de celui des autres créanciers (55).
§ 3. L'écoulement de la prescription
31. Le délai pour agir est normalement un délai de trois ans (58). Encore
faut-il s'entendre sur le point de départ de ce délai et la jurisprudence ne
parvient pas toujours à des solutions concordantes. Le délai ne peut courir
qu'autant que l'agissement dommageable a été révélé. Le principe est que
l' action en responsabilité se prescrit par trois ans à compter du fait domma-
(53) Cass. com. 29 février 2000 n° 337, RJDA 5/00 n° 580; Cass. com. 27 novembre 2001 n°
1945, RJDA 4/02 n° 417; Cass. crim. 10 octobre 2001 n° 6239, RJDA 4/02 n° 417 2ème espèce;
Cass. crim. 21 novembre 2001, n° 6741, RJDA 3/02 n° 287 2èmc espèce.
(54) Crim. 13 juin 2001: RJDA 2002 n° 287; 10 octobre 2001: RJDA 2002 n° 417; 4 novembre
2004, Droit des sociétés 2005, n° 100, note Renaud SALOMON.
(55) n° 331 FS-PBIR, BRDA 6/06 Inf. n° 1, D. 2006 p. 859 obs. A. LIENHARD.
(56) Cass. com. 9 décembre 1997 n° 2483, RJDA 1/98 n° 87 Conclusions M.-C. PNIOT, p. 3;
Rev. Soc. 1998, 316 note J.J. DAIGRE; Cass. com. 30 mai 2000, D. 2000, act. Jur. P. 302, obs.
Alain LIENHARD, sur cette question, voir pour une étude d'ensemble: M.-C. PINIOT, «Cu-
mul de l'action en comblement du passif et de la responsabilité fiscale» RJDA 20L98, p. 54.
(57) Cf. COZIAN, VIANDIER et DEBOISSY, «Droit des sociétés» LITEC 19èmc édition 2007
n° 274.
(58) La règle ne vaut en fait que pour les sociétés par actions et les SARL. Il n'y pas de
prescription abrégée s'agissant des dirigeants de sociétés civiles, en nom collectif et en com-
mandite simple.
170
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS
33. Reste que la mise à l'écart de l'article 1382 n'a véritablement de sens
que pour les dirigeants de droit. En revanche, s'agissant maintenant de diri-
geants de fait, le fondement del' article 1382 du Code civil redevient parfaite-
ment opérationnel: la Cour de cassation s'est prononcée en ce sens (66). Tou-
tefois, contrairement à ce que l' on pouvait imaginer, la référence à l' article
1382 n'emporte pas nécessairement l'application de la prescription décenna-
171
ALAIN COURET
SECTION 2
L' ADMINISTRATION DE LA PREUVE
35. Rapporter la preuve des fautes commises se fera dans bien des cas par
la voie de l' expertise, démarche qui peut s' avérer délicate comme l' expérien-
ce l'a montré. On sait en effet qu'une concurrence s'est établie entre, d'une
part, l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, et l'ancien article
226 de la loi du 24 juillet 1966 devenu article L. 225-231 du Code de com-
merce. Yves Guyon résume les choses d'une manière péremptoire mais exac-
te (70): «Les actionnaires quine peuvent pas ou quine veulent pas demander
la désignation d'un expert de gestion peuvent obtenir un résultat presque
analogue en sollicitant une expertise in futurum sur la base de l 'article 145
du nouveau Code de procédure civile qui organise Ie référé probatoire».
36. Comment est-on arrivé à cette situation singulière? Rappelons les ter-
mes des deux textes en cause:
(67) Cass. com. 23 octobre 1990, Bull. Joly 1990 § 335 note JEANTIN.
(68) Article L 651-2 al. 2 du Code de commerce.
(69) Option Finance «Le guide des responsabilités» N° spécial hors série NC5, Lundi 27 mars
2006, p. 25-26.
(70) Y. GUYON, Droit des affaires, tome 1, Economica, 12ème éd., 2003 p. 490 n° 447.
172
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS EN DROIT FRANÇAIS
- Article L. 145 (NCPC): «S'il existe un motif légitime de conserver oud' éta-
blir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution
d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être
ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé».
En théorie pure, on voit d'emblée les finalités différentes des deux textes
(71). L'expertise de gestion est au service de la défense de l'intérêt social
(72); !'expertise in futurum est une technique préventive au service de la preu-
ve: elle a un pur objet probatoire et elle intervient dans Ie seul intérêt du
demandeur. On voit également les régimes juridiques différents des deux ac-
tions. Et, sous eet angle pratique, il apparaît rapidement que la voie de l'arti-
cle 145 NCPC apparaît mains contrainte par les textes que la précédente: tout
intéressé peut agir, sans avoir à détenir une fraction du capita! particulière. Il
n'est pas nécessaire d'indiquer les actes que l' on entend critiquer. Au demeu-
rant il peut s'agir d'autre chose que d'actes de gestion.
37. L'existence de deux textes utilisables par les minoritaires devrait être
de nature à multiplier les opportunités d' action. Il n' est donc guère surpre-
nant que l' on ait vu se multiplier les demandes fondées sur l' article 145 NCPC
<lont on peut penser qu'elles se seraient normalement inscrites dans la logi-
que de l' ancien article 226. Et la jurisprudence s' est complue à alimenter la
confusion.
38. Pour autant, cette multiplication des voies d'actions ne débouche pas
toujours sur des résultats concrets. Tant s'en faut. La jurisprudence a ainsi
manifesté des comportements peu favorables aux actionnaires minoritaires
(73). Ainsi, dans l' affaire VIVENDI au début de l'été 2002, elle a rejeté l'ac-
tion des minoritaires fondée sur l'article 145 NCPC arguant de ce que la voie
normale d'action était l'article L. 225-231 du Code de commerce. En l'espè-
ce, les minoritaires cherchaient à établir les fautes commises par les diri-
geants mais aussi par le conseil d'administration.
«La demande est limitée à la recherche des modalités de prise des décisions
stratégiques par le conseil d'administration sans que d'autres points soient
mis en cause notamment les comptes de la société».
173
ALAIN COURET
CONCLUSION
39. On ne peut pour conclure qu'ajouter à des observations déjà faites de-
puis quelques années dans la doctrine française en faisant une nouvelle fois le
constat del' abandon progressif par la jurisprudence de la fonction répressive
de la responsabilité civile des dirigeants sociaux (74).
Ce constat d' abandon est indissociable du fait que l' essentie! des actions en
responsabilité provient de tiers. Jusqu'à ce jour, les actions intentées par les
actionnaires demeurent rares. Au travers des constitutions de partie civile, on
voit toutefois aujourd'hui des remises en cause assez spectaculaires de l'ir-
responsabilité des dirigeants. Le développement d'un capitalisme actionna-
rial devrait ici faire évoluer assez rapidement les choses (75).
174
CHAPITREIV
L' ASSURANCE
DE LA RESPONSABILITE CIVILE
DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
VINCENT CALLEWAERT
Avocat au Barreau de Bruxelles
Assistant à l'Université catholique de Louvain
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
Il est vrai qu'en opérant Ie transfert des risques- ou, tout au moins, d'une part
importante de ceux-ci - à un tiers, cette garantie d'assurance répond à la pré-
occupation majeure qu' ont les dirigeants de sociétés en matière de responsa-
bilité, à savoir celle de placer leur patrimoine personnel à ]'abri des consé-
quences de toute condamnation éventuelle. Le temps est loin, en effet, ou le
simple fait de constituer une personne morale apparaissait comme un moyen
suffisant de protéger son patrimoine personnel.
(1) Dans la suite de !'exposé, il sera indistinctement fait usage de ces différentes appellations.
De la même manière, et sauf précision contraire, les termes «administrateurs», «dirigeants» et
«mandataires sociaux» seront utilisés sans distinction,
(2) Afin de permettre au lecteur d'identifier rapidement la source citée, nous avons pris Ie parti
d'éviter autant que possible d'appliquer la règle méthodologique selon laquelle une référence
déjà citée doit être remplacée par Ie nom suivi de la locution «op.cit.».
(3) Notre étude s'est basée sur les conditions générales récentes de cinq entreprises d'assuran-
ces parmi les plus importantes du marché. Pour une analyse des polices disponibles sur Ie
marché à la fin des années nonante, voyez: M, DALLE, «De verzekering burgerrechtelijke
aansprakelijkheid van maatschappelijke lasthebbers. Een vergelijking van algemene voorwaar-
den», R.G.A.R,, 1998, 1288L
177
VINCENT CALLEW AERT
178
L'ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
TITRE 1
CONTEXTE GENERAL
SECTION 1
UNE ASSURANCE DE LA RESPONSABILITÉ SPÉCIFIQUE
Cette garantie d' assurance doit, par conséquent, être clairement distinguée
des autres assurances de la responsabilité que peut souscrire une entreprise.
On songe principalement ici à l' assurance R.C. exploitation et à l' assurance
R.C. produit (après livraison).
La distinction qui doit être faite entre ces garanties et l'assurance R.C. diri-
geants tient non seulement au patrimoine couvert, mais également à la faute
et au dommage garantis.
(4) S. MAUCQ, «La R.C. Mandataires sociaux, catégorie récente et originale du droit des
assurances de responsabilités», Ann. D1:, 1984, p. 460.
(5) P. GEORTAY, «Assurance de la responsabilité des administrateurs. Tendances récentes»,
C.l., 1997, n° 6, p. 92.
179
VINCENT CALLEW AERT
SECTJON 2
L'ÉTAT DU MARCHÉ
5. Sans surprise, les premières sociétés à avoir pris l' initiative de souscri-
re une assurance R.C. administrateurs pour leurs dirigeants sont les entrepri-
180
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
ses de taille importante qui développent leurs activités à l' étranger (9), Cet
engouement a cependant rapidement touché la plupart des grandes entrepri-
ses, au point que rares sont encore aujourd'hui les sociétés cotées en bourse,
dont les dirigeants ne sont pas couverts par une telle garantie.
Il est évidemment difficile de rendre compte du montant des primes qui sont
habituellement réclamées par les entreprises d' assurance pour ces différentes
couvertures, Le montant de celles-ci varie en effet grandement en fonction de
l'étendue du risque à couvrir et de la garantie consentie.
Il est toutefois intéressant de noter que la médiatisation d' affaires ayant abou-
ti à la condamnation d'administrateurs sociaux (10) a eu pour conséquence
d'inciter de nombreux dirigeants de sociétés à réclamer une augmentation
des plafonds de garantie habituellement fixés par les assureurs. Ces deman-
des nouvelles et le renforcement de la responsabilité qui pèse sur les adminis-
trateurs - en raison notamment de l' adoption de la loi du 2 août 2002 ( 11) et
181
VINCENT CALLEW AERT
SECTION 3
LA RÉGLEMENTATION APPLICABLE
7. Ace jour, l'assurance R.C. dirigeants de sociétés n'a fait l'objet d'_;i_~cu_:-
ne réglementation spécifique en Belgique. Elle est donc régie par la l-9i géné-
rale relative aux assurances, à savoir la loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat
d'assurance terrestre (13), et ses arrêtés d'exécution (14).
(12) En ce sens, voy. notamment: Fr. NYSSENS, «L'assurance responsabilité des dirigeants:
évolutions récentes», D.A.O.R., 2004, p. 30; X, «Responsabilité civile des dirigeants. Une
couverture sans faille toujours plus complexe», What'.~ on'! (Bulletin d'information de Aon
Belgium en gestion des risques assurances et employee benefits), n° 4, septembre 2005, pp. 3-
4; X, «Inquiétude des compagnies d'assurance quant au déséquilibre entre les primes et les
risques», Aon :~ 2006, European Property, Liability and D&O report, Londres, 24 oct. 2006
(http://www.aon.com/be/en/about/news/20061024 property fr.jsp consulté Ie 16 janvier 2007).
(13) M.B., 20 août 1992.
( 14) Voy. en particulier, à eet égard, l' arrêté royal du 24 décembre 1992 portant exécution de la
loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d' assurance terrestre (M.B., 31 décembre 1992).
(15) Pour une analyse de ces dispositions, voy. notamment: M. FONTAINE, Précis de droit
des assurances, coli. Précis de la Faculté de droit del' Université catholique de Louvain, 3e éd.,
Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 400-454; J.-L. FAGNART, Droit privé des assurances terrestres,
Traité pratique de droit commercial, t. III, Story-scientia, 1998, n° 5 425 à 495; H. DE RODE,
«Les assurances de responsabilité», Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre VII,
livre 70, Kluwer, 1998, 76 p.
(16) M. FONTAINE, op.cit., pp. 129-334; J.-L. FAGNART, op.cit., n°s 30 à 237.
182
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIYILE DES DIRJGEANTS DE SOCIETES
TITRE 2
LES AUTRES MECANISMES DE PROTECTION DES DIRIGEANTS
SECTJON 1
LES CLAUSES LIMITATIVES OU EXONÉRATOIRES DE RESPONSABILITÉ
9. Dès lors que la relation qui unit le dirigeant à la société est de _nature
contractuelle, il est tout d'abord permis de songer à limiter ou exclure la res-
ponsabilité du dirigeant par l'adoption de clauses dites limitatives ou exoné-
ratoires de responsabilité.
On sait qu'au regard du droit fOmmun (17), de telles clauses sont en principe
vafide~q:>our autant qu' elles soient connues et acceptées par celui à qui elles
sont opposées et qu'elles respectent les trois limites qui ont été dégagées par
la jurisprudence, à savoir:
183
VINCENT CALLEW AERT
~ Monsieur Ph. Emst (21) estime, pour sa part, que la validité des clauses limi-
tatives ou exonératoires de responsabilité varierait en fonction du type de
responsabilité en cause. Il propose ainsi d'opérer une distinction entre trois
catégories de responsabilité: 1°/ la responsabilité pour faute de gestion et
celle fondée sur l'article 1382 du Code civil qui pourraient faire l'objet d'une
limitation ou d'exonération; 2°/ la responsabilité pour violation du Code des
sociétés ou des statuts qui, en raison de son caractère impératif, frapperait les
clauses limitatives ou exonératoires de nullité relative; et enfin 3°/ la respon-
sabilité en cas de faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite qu'il
juge comme relevant del' ordre public avec pour conséquence que toute clau-
se limitative ou exonératoire y relative serait frappée de nullité absolue.
" Une dernière catégorie d'auteurs (22) considère, enfin, que les clauses limi-
tant ou exonérant les dirigeants de leur responsabilité sont valides pour autant
qu'elles respectent les trois limites posées par le droit cómmun des obliga-
tions que nous avons rappelées.
Cette demière opinion a notre préférence. Tant que le caractère impératif (ou
d'Órdre public) des dispositions du Code des sociétés relatives à la responsa-
bilité des dirigeants n' aura pas été confirmé par la Cour de cassation, il nous
paraît donc que, dans les limites du droit commun, rien ne s'oppose à l'amé-
nagement conventionnel de la responsabilité des dirigeants .
.. ./. ..
forme commerciale, éd. du Jeune barreau de Bruxelles, 2004, pp. 87-90; J.-Fr. GOFFIN, «Pré-
vention, limitation et couverture de la responsabilité des administrateurs», Les responsabilités
des administrateurs, dirigeants et conseillers. Nouveaux risques - sanctions - prévention, Sé-
mînaire Vanham & Vanham, 30 septembre 2004, pp. 13-14.
(19) En ce sens, voyez not.: D. VAN GERVEN, «Les clauses limitatives de responsabilité - les
garanties d'indemnisation et l'assurance responsabilité civile des mandataires sociaux», Rev.
prat. soc., 1998, p. 147, n° 20; I. CORBISIER, «Quelques réflexions en filigranes des dévelop-
pements récents qu'a connus Ie droit de la responsabilité des administrateurs d'une personne
morale», Rev. prat. soc., 1994, p. 116.
(20)C:. RESTEAU, Traité des sociétés anonymes, t. II, 3c éd., Swinnen, 1982, n° 941, p. 185.
Cz:î) Ph. ERNST, «Welke mogelijkheden biedt het Belgische (vennootschaps)recht om (de
gevolgen van) de burgerlijke aansprakelijkheid van de vennootschapsbestuurders te beper-
ken?», V&F, 2000, p. 79.
(22) 0. CAPRASSE, «La responsabilité civile professionnelle des administrateurs», Act. Dr.,
1997, pp. 534-535; B. FERON et J.-Fr. GOFFIN, «La protection des administrateurs de socié-
tés contre la mise en cause de leur responsabilité civile», J.T., 1996, p. 384.
184
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
11. Quel que soit en définitive Ie sort réservé à ces questions, il faut obser-
ver que l'efficacité des clauses limitant ou exonérant les dirigeants de leur
responsabilité est en réalité fortement atténuée par Ie fait que ces clauses ne
lient qu~Ja société et ne sont pas opposables aux tiers, De telles clauses n' em= ·
pêcheront donc jamais un tiers (curateur, contractant de la société, , , , ) de
mettre en cause la responsabilité d'un dirigeant (23),
SECTION 2
LES CLAUSES DE GARANTIE
(23) Ïl VAN GERVEN et A. FONTAINE, «La responsabilité eivile et pénale des mandataires
soeiaux», in Responsabilités. Traité théorique et pratique, sous la dir. de J.-L. FAGNART,
Titre II, Dossier 24, Kluwer, 2005, p. 24; B. DUQUESNE, «Limitation et couverture de la
responsabilité des dirigeants d'entreprises», Séminaire Vanham & Vanham, 13 février 2003,
p. 10; C. STAUDT et P. KILESTE, «Le statut des administrateurs et les paetes d'aetionnai-
res», Les conflits au sein des sociétés commerciales ou à forme commerciale, éd. du Jeune
barreau de Bruxelles, 2004, p. 89; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés,
2c éd., Bruxelles, Lareier, 2004, p. 323.
(24) On parle de paete de garantie lorsque la garantie eonstitue un eontrat en soi. Voy. à eet
égard: E. MONTERO, «Les eonventions relatives à la réparation du dommage», Responsabi-
lités. Traité théorique et pratique, Titre VI, Dossier 62, sous la dir. de J.-L. FAGNART, Kluwer,
1999, p. 45, n° 58.
(25) B. DUBUISSON, «Les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité oude ga-
rantie en droit beige», in Les clauses applicables en cas d'inexécution des obligations contrac-
tuelles, sous la dir. de P. WERY, Bruxelles, La Charte, 2001, p. 89, n° 79.
(26) E. MONTERO, «Les eonventions relatives à la réparation du dommage», op. cit., p. 47,
n° 62 et pp. 47-49, n° 8 62 à 64.
(27) Voy. à eet égard: J.-L. FAGNART, Droit privé des assurances terrestres, 1998, pp. 44-47
et les référenees eitées; du même auteur, obs. sous Cass., (1 e eh.), 18 juin 1992, R.D. C., 1993,
pp. 157-159; M. FONTAINE, «La notion d'assureur et la définition du eontrat d'assuranee»,
obs. sous Cass. (1 ère eh.), 18 juin 1992, R.G.A.R., 1993, n° 12187. Sur les éléments essentiels
du eontrat d'assuranee, voyez également: V. NICOLAS, Essai d'une nouvelle analyse du con-
trat d'assurance, Paris, L.G.D.J., 1996, 391 p.
185
VINCENT CALLEW AERT
13. Dès lors qt1'elles ne lient que celui qui les a consenties, les clauses de
garantie sont évidemment inopposables aux tiers (28). Le dirigeant dont la
responsabilité est mise en cause ne peut donc pas se prévaloir de l'existence
de la clause de garantie pour échapper à une éventuelle condamnation. Tout
au plus peut-il appeler son garant en intervention afin de Ie garantir (29).
Certains auteurs avancent, par ailleurs, qu' une société ne pourrait s' engager à
tenir Ie patrimoine de son administrateur indemne lorsque la responsabilité de
(28) Dans Ie même sens, voy. not.: D. VAN GERVEN, «Les clauses limitatives de responsabi-
lité et les garanties d'indemnisation et l'assurance responsabilité civile des mandataires so-
ciaux», Rev. prat. soc., 1998, p. 150, n° 23.
(29) En ce sens également: J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2ème
éd., Bruxelles, Larcier, 2004, p. 325, n° 174; E. MONTERO, Les conventions relatives à la
réparation du dommage, p. 45, n° 58.
(30) E. MONTERO, Les conventions relatives à la réparation du dommage, p. 45, n° 58; D.
VAN GERVEN et A. FONTAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires so-
ciaux», Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre Il, Dossier 24, sous la dir. de
J.-L. FAGNART, Kluwer, 2005, p. 24, n° 53 et les nombreuses références citées.
(31) Cass., 3 décembre 1982, Pas., 1983, I, p. 423.
(32) D. VAN GERYEN et A. FONTAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires
sociaux», op.cit., p. 25, n° 54.
(33) B. FERON et J.-Fr. GOFFIN, «La protection des administrateurs de sociétés contre la
mise en cause de leur responsabilité civile», J.T., 1996, p. 385; D. VAN GERVEN et A. FON-
TAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires sociaux», op.cit., p. 25, n° 54.
(34) Ibidem.
186
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
ce dernier est engagée à l'égard de la société elle-même (35). Une telle prati-
que s'assimilerait en effet à une exonération de la responsabilité de !'adminis-
trateur à l'égard de la société; ce qui, selon ces auteurs, n'est pas acceptable.
Nous ne partageons personnellement pas ce point de vue. Outre que l'adop-
tion d'une clause limitant ou exonérant la responsabilité de !'administrateur à
l' égard de la société ne nous paraît pas interdite, on ne voit en effet pas en quoi
le caractère impératif, voire d'ordre public d'une responsabilité empêcherait
de déplacer sur un tiers la charge financière pouvant en résulter (36).
SECTION 3
LA DÉCHARGE
(35) D. VAN GERVEN, «Les clauses limitatives de responsabilité, les garanties d'indemnisa-
tion ... », Rev. pr. soc., 1998, p. 149; D. VAN GERVEN et A. FONTAINE, «La responsabilité
civile et pénale des mandataires sociaux», Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre
II, Dossier 24, Kluwer, p. 24.
(36) Dans un sens comparable, voy. not.: J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de
sociétés, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 324-325, citant notamment: Cass., 7 septembre
1962, R. W., 1962-1963, col. 645. Dans Ie contexte del' assurance, on réservera toutefois l'hy-
pothèse d'une faute intentionnelle (art-:S L du 25 juin 1992).
(37) 0. CAPRASSE, «La responsabilité civile professionnelle des administrateurs», Act. Dr.,
1997, p. 535; E. MONTERO, «Les conventions relatives à la réparation du dommage», p. 47,
n° 61; B. FERON et J.-Fr. GOFFIN, «La protection des administrateurs de sociétés contre la
mise en cause de leur responsabilité civile», J.T., 1996, p. 385.
(38) Sur cette question, voyez: B. FERON et J.-Fr. GOFFIN, «La protection des administra-
teurs de sociétés contre la mise en eau se de leur responsabilité civile», J. T., 1996, p. 385.
(39) Pour une analyse approfondie de la notion de décharge et de son régime juridique, voy.
not.: I. KEMPENEERS, «Kwijting of decharge», D.A.O.R., 2001, n° 57, pp. 25-38; A. GOE-
MINNE, «Kwijting van bestuurders en zaakvoerders», R. W., 1995-1996, n° 30, pp. 1001-1021;
B. FERON et J.-Fr. GOFFIN, «La protection des administrateurs de sociétés contre la mise en
cause de leur responsabilité civile», J.T., 1996, pp. 377-379; D. VAN GERVEN et A. FON-
TAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires sociaux», Responsabilités. Traité
théorique et pratique, Titre II, Dossier 24, Kluwer, 2005, pp. 18-19; J.-Fr. GOFFIN, Responsa-
bilités des dirigeants de sociétés, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 166-169.
187
VINCENT CALLEW AERT
Cette décharge est en principe accordée par un vote spécial de l' assemblée
générale des actionnaires après approbation des comptes annuels. Il est toute-
fois admis que cette décharge peut également être accordée à propos d'une
opération déterminée oude l' ensemble des actes posés par un administrateur
avant son départ anticipé (40). Par un arrêt du 12 avril 2002, la Cour d'appel
de Bruxelles a ainsi décidé que l'assemblée générale dispose du pouvoir «de
donner en tout temps quitus à un administrateur du chef de sa responsabilité à
l'égard de la société, ou éventuellement de transiger avec lui à ce sujet» (41).
Quelle que soit la période sur laquelle elle porte, la décharge ne sera valable
que si «les comptes annuels ne contiennent ni omission, ni indication fausse
dissimulant la situation réelle de la société et, quant aux actes faits en dehors
des statuts ou en contravention du (Code des sociétés), que s'ils ont été spé-
cialement indiqués dans la convocation» (art. 554, al. 2, in fine C. soc.). A
juste titre, certaines juridictions ont toutefois décidé que la décharge reste
valable s'il apparaît que l'assemblée générale était en réalité parfaitement
informée des inexactitudes et irrégularités qui affectaient les comptes annuels
et qu'elle a donné décharge en connaissance de cause (42).
Ce quitus accordé aux administrateurs ne place donc pas ces demi ers à l' abri
d'une action intentée par un tiers sur la base del' article 1382 du Code civil.
Selon certains auteurs, la décharge n'empêcherait pas davantage l'exercice
d'une action sociale intentée par des actionnaires minoritaires dans les condi-
tions des articles 290,416,562 ou 930 du Code des sociétés (44). Même si la
question reste discutée en doctrine, il nous semble, enfin, que la décharge
n' empêche pas la société de mettre en cause la responsabilité extracontrac-
(40) D. VAN GERVEN et A. FONTAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires
sociaux», op.cit., p. 18.
(41) Bruxelles, 12 avril 2002, J.T., 2002, p. 668.
(42) Gand, 25 juin 1999, V. & F., 2000, p. 233; Bruxelles, 12 avril 2002, J. T., 2002, p. 668,
décisions citées par J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2e éd., Bruxel-
les, Larcier, 2004, p. 166.
(43) 0. CAPRASSE, «La responsabilité civile professionnelle des administrateurs», Act. Dr.,
1997, p. 536; D. VAN GERVEN et A. FONTAINE, «La responsabilité civile et pénale des
mandataires sociaux», op.cit., p. 19.
(44) D. VAN GERVEN etA. FONTAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires
sociaux», op.cit., p. 19.
188
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
SECTION 4
LA DÉSOLIDARISATION
Compte tenu du nombre d' obligations édictées par Ie Code précité, cette res-
ponsabilité est particulièrement lourde pour les dirigeants. Elle l'est d'autant
plus qu' en raison de son caractère collégial, elle peut contraindre un adminis-
trateur à devoir répondre d'une faute qu'il n'a pas personnellement commise
(47).
(45) Sur cette question, voy. not.: 8. FERON et J.-Fr. GOFFIN, «La protection des administra-
teurs de sociétés ... », J.T., 1996, p. 378; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de
sociétés, 2c éd., Bruxelles, Larcier, 2004, p. 167; D. VAN GERVEN, «Les clauses limitatives
de responsabilité et les garanties ... », R.P.S., 1998, p. 144, n° 13; D. VAN GERVEN et A.
FONTAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires sociaux», op.cit., p. 18.
(46) Une responsabilité comparable pèse sur les gérants de S.P.R.L. et les administrateurs de
S.C.R.L. en vertu des articles 263, alinéa 1er et 408, alinéa 2 du Code des sociétés.
(47) B. FERON et J.-Fr. GOFFIN, «La protection des adminsitrateurs de sociétés contre la
mise en cause de leur responsabilité civile», J.T., 1996, p. 380.
(48) J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2c éd., Bruxelles, Larcier, 2004,
p. 78, n° 46.
189
VINCENT CALLEW AERT
SECTION5
LA DÉMISSION
18. Le dirigeant inquiet quant à l' orientation donnée par Ie conseil d'admi-
nistration à la société qu'il co-dirige peut également démissionner de son
mandat social.
A l' égard de la société, la démission sort en principe ses effets dès qu' elle a
été notifiée par Ie dirigeant à l'organe de gestion dont il fait partie, sans qu'il
soit nécessaire que ce dernier accepte cette démission (50).
A l'égard des tiers, l'effet combiné des articles 74, 2° et 76, alinéa 1er du Code
des sociétés impose en revanche de considérer que la démission ne sort ses
effets «qu'à partir du jour de (sa) publication aux annexes du Moniteur bei-
ge». Cette exigence formelle est cependant tempérée par le fait que Ie diri-
geant peut se prévaloir de sa démission s'il prouve que le tiers a en réalité eu
connaissance de celle-ci (art. 76, al. 2 C. soc.).
SECTION 6
LA PRESCRIPTION (51)
19. Au rang des obstacles aux actions en responsabilité dirigées contre des
dirigeants de société, il convient enfin d'épingler Ie röle joué par la prescrip-
tion.
En vertu de l'article 198 du Code des sociétés, ces actions se prescrivent par
cinq ans à partir du fait générateur du dommage dont il est demandé répara-
190
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
On relèvera toutefois, avec d'autres (53), que l'article 198 précité n'est cu-
rieusement pas applicable aux actions introduites contre les membres du co-
mité de direction. Il conviendra donc d'appliquer à ces actions le régime mis
en place par l'article 2262bis du Code civil qui, pour rappel, assortit les ac-
tions en responsabilité contractuelle d'un délai de prescription de dix ans et
celles en responsabilité aquilienne d'un délai de prescription de cinq ans,
avec un délai de déchéance de vingt ans (54). Il n'est pas certain qu'une telle
différence de traitement résisterait au controle de la Cour d'arbitrage.
(52) J.-Fr. GOFFIN, Ibidem, p. 169, n° 102 et les références citées sous la note 409.
(53) D. VAN GERVEN et A. FONTAINE, «La responsabilité civile et pénale des mandataires
sociaux», Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre II, Dossier 24, Kluwer, 2005,
p. 20, n° 43; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2e éd., Bruxelles,
Larcier, 2004, p. 170, n° 102.
(54) Pour un commentaire de l'article 2262bis du Code civil, voyez notamment: 1.-Fr. VAN
DROOGHENBROECK et R.O. DALCQ, «La Joi du 10 juin 1998 modifiant certaines disposi-
tions en matière de prescription», J.T., 1998, pp. 705-709.
191
VINCENT CALLEW AERT
TITRE 3
LA CONCLUSION DU CONTRAT ET L'IDENTIFICATION DES RIS-
QUES
SECTION 1
LE PRENEUR D' ASSURANCE
Pour des raisons évidentes de solvabilité et de facilité, les entreprises d' assu-
rances préfèrent tout d'abord traiter avec une société qu'avec chacun de ses
administrateurs pris individuellement (57).
(55) Dans Ie même sens, voy. not.: Fr. NYSSENS, «L'assurance responsabilité des dirigeants ... »,
D.A.O.R., 2004, p. 17.
(56) P. GEORTAY, «Assurance de la responsabilité des administrateurs ... », C.l., 1997, p. 93;
J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2èmc éd., Bruxelles, Larcier, 2004,
p. 330, n° 177.
(57) P. VAN OMMESLAGHE, «L'assurance de la responsabilité civile des administrateurs de
sociétés et d' associations en Belgique et la loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d' assurance
terrestre», R.D.C., 1994, p. 278, n° 3; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de socié-
tés, 2ème éd., Bruxelles, Larcier, 2004, p. 328, n° 177.
192
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
Certains auteurs font en outre observer que si la police d' assurance n' était
souscrite que par quelques administrateurs isolément, on assisterait inévita-
blement à une forme d' anti-sélection des risques (59). Dans ce cas de figure,
Ie risque serait grand, en effet, qu 'en cas de condamnation in solidum des
dirigeants, les demandeurs en responsabilité adressent leur réclamation aux
seuls administrateurs assurés.
SECTION 2
LA VALIDITÉ DE LA SOUSCRIPTION DU CONTRAT PAR LA SOCIÉTÉ
22. Le fait que Ie contrat d' assurance R.C. dirigeants soit souscrit par la
société pour Ie compte de ses administrateurs invite naturellement à s'inter-
ioger sur la validité de la garantie ainsi souscrite. Cette question doit être
analysée tant au regard du droit des assurances (sous-section 1) que du droit
des sociétés (sous-section 2).
Sous-SECTION 1
LA VALIDITÉ DU CONTRAT AU REGARD DU DROIT DES ASSURANCES
La loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d' assurance terrestre reconnaît en effet
de manière explicite la validité du mécanisme dit de l'assurance pour comp-
te, en vertu duquel une personne souscrit un contrat d' assurance pour Ie compte
d' au trui. En son article 38, alinéa 1er, cette loi dispose ainsi que «l 'assurance
peut être souscrite pour compte de qui il appartiendra. Dans ce cas, l 'assuré
est celui qui justijïe de l 'intérêt d' assurance lors de la survenance du sinis-
tre» (60).
(58) Voyez, p. ex., l' article 528 du Code des sociétés en ce qui concerne les sociétés anonymes.
(59) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., p. 278; P. GEORTAY, op. cit., p. 93.
(60) Pour un commentaire de cette disposition, voyez notamment: M. FONTAINE, Précis de
droit des assurances, 3ème éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 152-161, n°' 214 à 229;
J.-L. FAGNART, op.cit., n° 70.
193
VINCENT CALLEW AERT
Cette demière précision ne pose guère de problème dans le cadre d'une assu-
rance R.C. dirigeants de sociétés. Il ne fait aucun doute que les dirigeants de
la société qui souscrit le contrat d'assurance ont intérêt à ce que leur patri-
moine soit mis à l' abri des conséquences d'une mise en cause de la responsa-
bilité qu'ils encourent dans l'exercice de leur mandat (61).
La seule règle que la loi du 25 juin 1992 lui consacre est en effet celle selon
laquelle les exceptions tirées du contrat sont opposables à l' assuré pour compte.
En son alinéa 2, l'article 38 dispose ainsi que «les exceptions inhérentes au
contrat d' assurance que I' assureur pourrait opposer au preneur sont égale-
ment opposables à l'assuré quel qu'il soit».
(61) Dans Ie même sens, voy. not.: J.-L. FAGNART, «La responsabilité des administrateurs de
la société anonyme», La responsabilité des associés, organes et préposés des sociétés, éd.
Jeune Barreau de Bruxelles, 1991, p. 51; P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., p. 278.
(62) Dans Ie même sens: P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., p. 279; S. MAUCQ, «La R.C.
mandataires sociaux, catégorie récente et originale du droit des assurances de responsabilités»,
Ann. Dr., 1984, p. 457. Ce dernier auteur justifie sa position en prenant pour exemple la situa-
tion applicable en assurances de personnes.
(63) Cette situation ne saurait être interdite qu'en cas de collusion entre Ie preneur et l'assuré,
étant entendu que cette collusion ne se présume pas et doit être prouvée par I' assureur.
(64) L'article 7 du contrat-type applicable en assurance R.C. automobile n'exclut en effet Ie
preneur d' assurance du bénéfice de la garantie que pour les dommages matériels qu' il subirait
sans lésions corporelles.
194
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
Diverses questions restent ainsi en sus pens: comment déplacer sur l' assuré
pour compte l' obligation de déclarer les aggravations du risque qui pèse, en
principe, sur le preneur? Comment permettre à l' assuré pour compte de s' as-
surer que le preneur a respecté son obligation de payer la prime? Comment
contraindre l'assuré pour compte à déclarer Ie sinistre en temps utile? Autant
de questions auxquelles le régime de la stipulation pour autrui (art. 1121 C.
civ.)- auquel on se réfère traditionnellement pour pallier !'absence de régime
propre à l'assurance pour compte - ne permet pas de répondre et qui mérite-
raient un examen approfondi.
Sous-sEcnoN 2
LA VALIDITÉ DU CONTRAT AU REGARD DU DROIT DES SOCIÉTÉS
26. Au regard du droit des sociétés, Ie fait que le contrat soit souscrit par la
société ou, plus exactement, par son conseil d' administration (65) invite à se
poser deux questions sous l 'angle de la validité.
La première est celle de savoir s'il est bien conforme à l' objet social et à
l'intérêt de la société que le contrat d' assurance soit souscrit par cette derniè-
re pour le compte de ses dirigeants. Il est généralement admis, à eet égard,
que ce modus operandi n'est aucunement contraire à l'intérêt de la société
(66). C'est, d'une part, en effet, que la société a directement intérêt à voir la
(65) J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2ème éd., Bruxelles, Larcier,
2004, p. 329 et les références citées sous les notes 827 et 828; P. GEORTAY, «Assurance de la
responsabilité des administrateurs. Tendances récentes», C.l., 1997, p. 94.
(66) Voy. en ce sens: P. GEORTAY, «Assurance de la responsabilité des administrateurs. Ten-
dances récentes», C.l., 1997, p. 93; P. VAN OMMESLAGHE, «L'assurance de la responsabi-
lité civile des administrateurs ... », R.D.C., 1994, pp. 281-282; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités
des dirigeants de sociétés, pp. 328-329, n° 177.
195
VINCENT CALLEW AERT
solvabilité de ses administrateurs garantie par un tiers, dès lors qu'elle peut
elle-même être amenée à devoir mettre la responsabilité de ces derniers en
cause (67). C'est, d'autre part, ensuite, que Ie fait d'intégrer la protection
d'une assurance R.C. dirigeants dans Ie statut d'administrateur permet à la
société d'attirer des dirigeants compétents, ce qui relève incontestablement
de son intérêt (68).
Si cette question était sans doute délicate à trancher sous !'empire de l'article
60 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales (69) - dans la mesure
ou cette disposition visait toutes les situations dans lesquelles les administra-
teurs avaient un intérêt personnel à la réalisation d'une opération soumise au
conseil d'administration (70) -, elle l'est nettement mains aujourd'hui.
L'actuel article 523 du Code des sociétés définit en effet Ie conflit d'intérêts
comme l'hypothèse dans laquelle un administrateur «a, directement au indi-
rectement, un intérêt opposé de nature patrimoniale à une décision ou une
opération relevant du conseil d'administration». Or, s'il ne peut être contesté
que l' administrateur a un intérêt patrimonia! personnel à la souscription d' une
assurance couvrant sa responsabilité en qualité de dirigeant, cetintérêt n'est
nullement opposé à celui de la société. Il n'y a par conséquent pas de conflit
-d'intérêts au sens de la disposition précitée (71) (72).
196
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
On notera, en tout état de cause, que cette question de l'éventualité d'un con-
flit d'intérêts ne se pose pas lorsque l'assurance est souscrite pour Ie compte
des administrateurs d'une filiale quine sont pas en même temps administra-
teurs de la société qui a souscrit la garantie (73).
SECTION 3
L'IDENTIFICATION DU RISQUE À LA CONCLUSION DU CONTRAT
28. Quel que soit Ie mode de transfert des informations retenu (question-
naire ou réunion), il importe de rappeler que la loi du 25 juin 1992 sur Ie
(73) P, VAN OMMESLAGHE, «L' assurance de la responsabilité civile des administrateurs ... »,
R.D.C, 1994, p. 283, n° 5; D. DE MAESENEIRE, «L'assurance de la responsabilité civile de
l'entreprise», G.VJE, Titre XIII, Livre 126, Kluwer, 1996, p. 46, n° 540.
(74) X, «Responsabilité civile des dirigeants. Une couverture sans faille toujours plus comple-
xe», What's on? (Bulletin d'information de Aon Belgium en gestion des risques assurances et
employee benefits), n° 4, septembre 2005, p. 4; L. DABIN, «La responsabilité civile des admi-
nistrateurs de société et l'assurance», J.T., 1980, p. 258.
(75) J. ROGGE, «L' assurance de la responsabilité civile des mandataires sociaux. Situation en
Europe», Bull. Ass., 1998, p. 295.
197
VINCENT CALLEW AERT
(76) Pour une analyse de cette disposition, voy. not.: Ph. COLLE, «La déclaration du risque
lors de la souscription et en cours d'exécution du contrat d'assurance», La loi du 25 juin 1992
sur le contrat d'assurance terrestre. Dix années d'application, B. DUBUISSON et P. JA-
DOUL (eds.), Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2003, pp. 55-74; du même auteur, Al-
gemene beginselen van het Belgisch verzekeringsrecht, 4e éd., Anvers, Intersentia, 2006, p. 41
et s.; M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3ème éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp.
168-180; J.-L. FAGNART, Droit privé des assurances terrestres, Story Scientia, 1998, n° 81
sq.
(77) On relèvera toutefois qu'en son alinéa 2, eet article 5 fait une légère concession au systè-
me du questionnaire, dans la mesure oû il précise que «s'il n'est point répondu à certaines
questions écrites de l' assureur et si ce dernier a néanmoins conclu Ie contrat, il ne peut, hormis
Ie cas de fraude, se prévaloir ultérieurement de cette omission».
(78) Pour une analyse récente de ces sanctions, voy.: Ph. COLLE, La déclaration du risque
lors de la souscription et en cours d'exécution du contrat d'assurance, pp. 61-68; M. FON-
TAINE, Précis de droit des assurances, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 174-178.
(79) Cette hypothèse est toutefois subordonnée à la condition que l'assureur prouve «qu'il
n'aurait en aucun cas assuré Ie risque dont la nature réelle est révélée par Ie sinistre».
(80) F. NYSSENS, «L' assurance responsabilité des dirigeants: évolutions récentes», D.A.O.R.,
2004, p. 31.
198
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
SECTION 4
LA MODIFICATION DU RISQUE EN COURS DE CONTRAT
Sous-section 1
Le contróle du risque à l'échéance
(81) Voy. not.: M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3ème éd., pp. 181-187; Ph.
COLLE, «La déclaration du risque lors de la souscription et en cours d'exécution du contrat
d'assurance», op.cit., pp. 69-74.
(82) Le délai est de quatre à cinq mois selon les polices. Une police indique toutefois que cette
communication doit intervenir «dans les six mois suivant la clöture de l'exercice comptable».
199
VINCENT CALLEW AERT
Ie dernier bilan et compte de résultats de la société, ainsi que ceux des filiales
de cette dernière.
Outre cette communication, les sociétés sont par ailleurs bien souvent con-
ventionnellement tenues d'adresser dans Ie même délai à l'assureur un ques-
tionnaire de renouvellement. Ce questionnaire reprend pour l' essentie! les
questions qui ont été posées au preneur lors de la conclusion du contrat.
Si, à l' occasion de ce controle annuel, l' assureur constate que le risque a
évolué, il proposera en principe une adaptation de la prime et/ou des garan-
ties consenties. Le preneur d'assurance peut évidemment s'opposer à cette
adaptation. Deux solutions s' offrent, à notre avis, à lui à eet égard. Soit Ie
preneur entend mettre un terme à la garantie pour pouvoir s'adresser à un
autre assureur et, dans ce cas, il doit s' opposer à sa reconduction dans les
conditions fixées par l'article 30 de la loi du 25 juin 1992 (notification trois
mois avant l' échéance). Soit il désire maintenir Ie contrat en vigueur, mais
aux conditions anciennes et, dans ce cas, il lui appartient de refuser la propo-
sition de modification ou de ne pas y réagir, étant entendu qu'en pareille
hypothèse, l'assureur disposera de la faculté de résilier la police d'assurance
dans un délai de quinze jours (art. 26, § 1er, al. 4 de la loi du 25 juin 1992).
Les hypothèses dans lesquelles Ie preneur d' assurance souhaiterait s' opposer
à la modification proposée par l'assureur sont évidemment rares en pratique.
Sous la réserve d'une augmentation excessive de la prime, la société a en
effet tout intérêt à maintenir la garantie en vigueur et, partant, à accepter la
modification des conditions du contrat.
Sous-section 2
Le règlement de certaines modifications spécifiques
Une telle limitation se comprend sans peine. Comme Ie relève très justement
Madame NYSSENS, «les assurés n'ont en principe pas intérêt à couvrir les
fautes de !'ancien management dans leur police» (85). Cette couverture ris-
querait en effet d' épuiser la limite de garantie fixée par année d' assurance
pour des fautes commises par des dirigeants à une date ou Ie preneur n' avait
sur eux aucune emprise (86). Moyennant surprime, certains assureurs offrent
(83) Les polices d'assurance règlent également l'hypothèse d'une faillite éventuelle de la so-
ciété en reprenant, à eet égard, Ie régime institué par l'article 32 de la loi du 25 juin 1992. Pour
un commentaire de cette disposition, voy. en particulier: Ph. COLLE et P. V ANLERSBER-
GHE, «Verzekeringen en faillissement», Bull. Ass., 1997, pp. 5-57; M. FONTAINE, Précis de
droit des assurances, 3ème éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 291-294; J.-L. FAGNART, Droit
privé des assurances terrestres, n°' 170-171.
(84) La paternité de cette qualification revient à Madame Fr. NYSSENS, «L' assurance respon-
sabilité des dirigeants: évolutions récentes», D.A.O.R., 2004, p. 23.
(85) Fr. NYSSENS, op. cit., p. 24.
(86) Ibidem.
201
VINCENT CALLEW AERT
33. En cas de fusion du preneur d'assurance avec une société autre qu'une
filiale ou de prise de contröle de la société qui a souscrit Ie contrat par des
tiers, les polices d'assurance du marché beige indiquent habituellement que
les garanties consenties ne restent acquises que pour les réclamations relati-
ves à des fautes commises antérieurement à ces modifications.
202
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
34. On nous objectera sans doute que la nuance précitée est inutile puis-
que, dans un cas (caducité) comme dans l'autre (résiliation), le contrat prend
fin. Ce serait cependant oublier que, contrairement à la résiliation, la caducité
opère de plein droit et est, en principe, concomitante à la disparition de l'inté-
rêt d'assurance. La caducité n'est, en d'autres termes, pas soumise aux condi-
tions de forme et de fond de la résiliation (88). Elle résulte de la simple dispa-
rition d'un élément essentie! à la survie du contrat (89).
Nous concédons toutefois que l' analyse qui précède perd de sa pertinence
lorsque la fusion en jeu s' opère par absorption ( art. 671 du Code des sociétés)
ou que la modification résulte d'une prise de controle de la société par un
tiers. Dans ces hypothèses, l'intérêt d'assurance ne disparaît en effet pas né-
cessairement puisque les dirigeants restent en principe les mêmes que lors de
la conclusion du contrat d'assurance.
(88) J.-L. FAGNART, Droit privé des assurances terrestres, Story Scientia, 1998, n° 175.
(89) M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3ème éd., Bruxelles, Larcier, 2006, p. 284;
J.-L. FAGNART, op.cit., n° 175.
(90) Fr. NYSSENS, op.cit., p. 24.
203
VINCENT CALLEW AERT
TITRE4
LE PERIMETRE DE LA GARANTIE
36. Les assureurs ne peuvent s' engager à couvrir tous les risques sans dis-
tinction. S' ils veulent conserver la maîtrise de leurs engagements et, partant,
assurer la stabilité financière de leurs activités, ils doivent nécessairement
délimiter le périmètre de leur garantie. Cette délimitation passe généralement
par la définition de la notion d' assuré (section 1), la détermination des risques
couverts (section 2) et de ceux qui sont exclus (section 3), ainsi que par la
délimitation de la garantie dans l'espace (section 4) et dans le temps (section
5).
SECTION 1
LES ASSURÉS ET LES TIERS
Sous-section 1
Les assurés
39. Les dirigeants de droit sont habituellement définis comme tous les diri-
geants passés, présents ou futurs de la société, à savoir le président et les mem-
bres du conseil d' administration, les gérants, les membres du comité de direc-
tion, ainsi que tous les autres mandataires sociaux. Les polices précisent le plus
souvent que ces personnes doivent avoir été investies de leur fonction de ma-
nière régulière au regard des lois belges ou étrangères ou des statuts.
204
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
Afin de tenir compte du fait que les fonctions de dirigeants peuvent avoir été
confiées à une personne morale, les conditions générales des contrats préci-
sent habituellement que les personnes physiques qui agissent en tant que re-
présentants permanents de ces personnes morales ont la qualité d' assurés (91 ).
Les personnes morales elles-mêmes ne sont quant à elles couvertes que lors-
que leur responsabilité est recherchée solidairement ou in solidum avec celle
de leur représentant permanent dans le cadre d'une même réclamation. Cette
limitation s'explique par le fait que le but premier de l'assurance R.C. diri-
geants est de protéger le patrimoine personnel des dirigeants et non celui de
personnes morales (92). Certaines polices ne contiennent toutefois pas cette
limite.
La plupart des assureurs veillent, par ailleurs, à accorder leur garantie aux
dirigeants et employés de la société qui exercent la fonction de liquidateur
amiable d'une filiale de celle-ci. Cette tendance s' observe cependant essen-
tiellement pour les sociétés de taille importante (93).
40. Depuis quelques années, les polices d' assurance R.C. mandataires so-
ciaux couvrent également les dirigeants de fait de la société qui souscrit la
garantie d'assurance (95). Ceux-ci sont habituellement définis par les con-
trats d'assurance comme toute personne physique qui verrait sa responsabili-
té engagée en tant que dirigeant de la société <levant un tribunal ou <lont la
responsabilité personnelle serait recherchée pour une faute professionnelle
commise dans le cadre d'une activité de direction, de gestion oude supervi-
(91) Fr. NYSSENS, «L' assurance responsabilité des dirigeants: évolutions récentes», D.A.O.R.,
2004, p. 21.
(92) Ibidem, p. 20.
(93) P. GEORTAY, «Assurance de la responsabilité des administrateurs. Tendances récentes»,
C.l., 1997, p. 93.
(94) Sur cette notion, voy. not.: M.A. DELVAUX, «Les responsabilités des fondateurs, admi-
nistrateurs et gérants des S.A., S.P.R.L. et S.C.R.L.», G. U.J.E., Titre Il, Livre 24.1., 2001,
pp. 42-43; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, ze éd., Bruxelles, Lar-
cier, 2004, pp. 86-89, n° 50.
(95) Pour une analyse des clauses qui excluaient les dirigeants de fait par Ie passé, voyez: P.
VAN OMMESLAGHE, «L'assurance de laresponsabilité civile des administrateurs ... », R.D.C.,
1994, pp. 283-284; J. ROGGE, «L'assurance de la responsabilité civile des mandataires so-
ciaux. Situation en Europe», Bull. Ass., 1998, p. 297.
205
VINCENT CALLEW AERT
sion exercée avec ou sans mandat ou délégation de pouvoir et pour autant que
cette responsabilité ne puisse incomber à la société.
Cette évolution des garanties témoigne du souci des assureurs d' adapter leurs
garanties à l'évolution du droit de la responsabilité des dirigeants (96). L'at-
tribution de la qualité d' assurés aux dirigeants de fait est en effet la consé-
quence du développement de la jurisprudence selon laquelle «ceux qui exer-
cent en fait les prérogatives réservées aux administrateurs peuvent être sou-
mis aux responsabilités qui pèsent sur les administrateurs» (97). On sera tou-
tefois attentif au fait que la garantie n' est accordée qu' aux personnes physi-
ques qui apparaissent comme dirigeants de fait. La personne morale qui en-
dosserait cette fonction ne pourra donc jamais prétendre au bénéfice de la
couverture.
§ 3. Les employés
L' intérêt de cette extension de la qualité d' assuré aux employés est évidem-
ment limité par l'immunité de responsabilité dont bénéficient ces derniers.
En vertu de l' article 18 de la loi du 3 juillet 1978 sur le contrat de travail, les
préposés ne doivent en effet répondre, en principe, que de leur dol, de leur
faute lourde et de leur faute légère à caractère habituel. Comme l' assureur ne
couvre jamais Ie dol (faute intentionnelle) et peut s' exonérer en cas de faute
lourde (art. 8, al. 2 loi du 25 juin 1992), on voit que l'extension accordée a un
impact limité.
42. Parmi les autres personnes qui sont habituellement considérées com-
me assurés par les polices d'assurance R.C. dirigeants, on peut tout d'abord
(96) Fr. NYSSENS, op.cit., p. 21.
(97) J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2c éd., Bruxelles, Larcier, 2004,
p. 87 et les références citées sous la note 189.
206
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCJETES
La plupart des polices précisent, enfin, que si la société qui a souscrit le con-
trat d'assurance dispose defiliales, les dirigeants de celles-ci bénéficient éga-
lement de la qualité d'assuré. Afin de limiter l'extension ainsi accordée et,
surtout, de garantir une certaine maîtrise du risque assuré, les polices donnent
généralement une définition assez stricte de la notion de filiale. Cette défini-
tion insiste le plus souvent sur le contróle que la société doit détenir sur sa
filiale (détention de plus de 50 % des droits de vote, contróle exclusif de la
majorité des droits devote via un accord écrit avec autres actionnaires, etc.)
(101).
Sous-section 2
Les tiers
207
VINCENT CALLEW AERT
Ce terme n'est généralement pas défini dans les polices R.C. dirigeants de
sociétés. Ceci s' explique vraisemblablement par la circonstance que la socié-
té qui a souscrit la police - et qui n'est donc pas tiers à celle-ci- pourrait être
amenée à engager elle-même la responsabilité d'un de ses administrateurs et,
partant, bénéficier de l'indemnisation en qualité de tiers lésé.
Pour éviter de tels dérapages, les compagnies ont dans un premier temps ex-
clu purement et simplement de la garantie l' exercice de l 'actio mandati que
détient la société (102). Cette exclusion faisait cependant perdre une part subs-
tantielle de l'intérêt de la garantie (103).
Compte tenu del' importance pratique qu' elles revêtent, de telles «extensions»
de garantie doivent naturellement être encouragées.
SECTJON 2
LES RISQUES COUVERTS
( 102) P. VAN OMMESLAGHE, «L' assurance de la responsabilité civile des administrateurs ... »,
R.D.C., 1994, p. 281.
( 103) Fr. NYSSENS, «L' assurance responsabilité des dirigeants: évolutions récentes», D.A. O.R.,
2004, p. 23.
208
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DTRIGEANTS DE SOCIETES
Sous-section 1
La responsabilité civile des dirigeants
45. L'assurance R.C. dirigeants couvre, tout d'abord, les conséquences pé-
cuniaires de la responsabilité civile - tant contractuelle qu' extracontractuelle
- que les dirigeants peuvent engager dans le cadre du mandat social qui leur a
n
été confié, s'agit là, nous l'avons dit, de son objet principaL
La manière <lont cette garantie est formulée s' est sensiblement améliorée ces
dernières années. Alors que, par le passé, plusieurs polices identifiaient limi-
tativement les sources légales de responsabilité pour lesquelles les assurés
étaient couverts ( 104), tous les contrats indiquent aujourd'hui que sont garan-
ties «les conséquences pécuniaires résultant de toute réclamation mettant en
jeu la responsabilité civile des assurés», sans autre précision (105). Cette ab-
sence de référence aux sources légales au regard desquelles la responsabilité
des dirigeants est garantie est évidemment favorable à ces derniers. Elle évite
en effet aux dirigeants de devoir solliciter une extension de garantie à l' occa-
sion de chaque évolution législative ou d'un éventuel revirement de la juris-
prudence. La garantie reste donc, en principe, toujours en phase avec le droit
de la responsabilité civile des dirigeants.
( 104) P. VAN OMMESLAGHE, «L' assurance de la responsabilité civile des administrateurs ... »,
R.D.C., 1994, p. 290.
(105) P. GEORTAY, «Assurance de la responsabilité des administrateurs. Evolutions récen-
tes», C.J., 1997, p. 94.
(106) Loi-programme du 20 juillet 2006 (M.B., 28 juillet 2006), articles 14 à 16 et 56 à 59.
Pour un premier commentaire de ces dispositions, on consultera notamment, pour !'aspect
fiscal: G. DE WIT et N. BOUVERET, «La nouvelle responsabilité des dirigeants d' entreprises
en matière TVA: leçons du passé et perspectives futures. L'article 93undecies du Code de la
TVA a-t-il sa place dans l'arsenal des moyens dont dispose l'administration fiscale'1», R.G.F.,
2007, pp. 14-32.
209
VINCENT CALLEW AERT
46. Si elles ne limitent plus les bases juridiques des réclamations qui peu-
vent donner lieu à intervention de l'assureur, les polices d'assurance R.C.
mandataires sociaux précisent toutefois que la garantie n'est acquise aux as-
surés qu'en cas de faute professionnelle commise dans l'exercice de leurs
fonctions de dirigeant de la société.
Cette dernière précision est importante. Elle implique que si un dirigeant est
lié à la société par un contrat de travail, seule sera en principe couverte la
responsabilité que celui-ci pourrait engageren sa qualité de dirigeant, à l'ex-
clusion de celle qu'il engagerait en tant qu'employé.
Si elle se comprend sans peine, l'application de cette règle n'est guère aisée
en pratique (107). Il n'est en effet pas toujours évident d'opérer une distinc-
tion claire entre les fautes qui sont commises par un dirigeant-préposé dans
l'une et l'autre de ces fonctions. Il en va particulièrement ainsi lorsqu'il appa-
raît que c'est gráce à sa fonction d'administrateur et à la faveur de l'autorité
qui y est attachée que l'assuré a pu poser un acte qui relève, en principe, de sa
fonction d'employé, mais qu'il n'aurait jamais été en mesure d'accomplir
sans sa qualité de dirigeant. On songe, par exemple, à !'administrateur qui
abuserait de sa qualité pour contourner les règles de contröle interne impo-
sées par la société qu'il dirige et pour laquelle il travaille.
Pour savoir si la couverture est acquise en pareil cas, il convient, à notre avis,
de déterminer si, sans sa qualité d'administrateur (sensu lato), Ie dirigeant
aurait pu commettre la faute qu'il a commise et causer le dommage qu'il a
généré. Si la réponse à cette question est négative, l'assuré sera, en principe,
couvert. S'il apparaît, en revanche, que la qualité d'administrateur n'a joué
aucun róle dans la survenance du dommage, l' assuré ne pourra alors pas comp-
ter sur la garantie d'assurance, dès lors que sa faute s'inscrira, dans ce cas,
principalement dans l'exécution de son contrat de travail (108).
(107) Dans Ie même sens: B. FERON etJ.-Fr. GOFFIN, «La protection des administrateurs de
sociétés contre la mise en cause de leur responsabilité civile», J.T., 1996, p. 382; P. VAN
OMMESLAGHE, «L'assurance de la responsabilité civile des administrateurs ... », R.D.C.,
1994, p. 285; J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, p. 331.
( 108) On observera que certaines polices tentent de régler cette question en définissant la faute
professionnelle garantie comme étant celle qui est commise «exclusivement» en qualité de
dirigeant, ce qui, à notre avis, ne permet pas de régler tous les problèmes évoqués.
210
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
Sous-section 2
La défense civile et pénale des dirigeants
47. La deuxième garantie contenue dans les polices d'assurance R.C. diri-
geants est la prise en charge des frais exposés afin d' assurer la défense civile
et/ou pénale des assurés (109).
La couverture des frais liés à la défense civile des assurés n'a rien de surpre-
nant dans une assurance de la responsabilité. En vertu de l'article 79 de la loi
du 25 juin 1992 sur Ie contrat d' assurance terrestre, tout assureur de la res-
ponsabilité a en effet l'obligation de prendre fait et cause pour son assuré dès
qu'il est fait appel à la garantie et que celle-ci est due. Les frais qui sont liés à
cette défense civile sont d'ailleurs impérativement mis à charge de l'assureur,
et ce même au-delà du plafond de garantie (art. 82) (110) (111 ).
La couverture des frais liés à la défense pénale des assurés peut sembler plus
déroutante (112). Elle l'est d'autant plus que les polices présentent habituel-
lement cette garantie comme une simple «avance de frais». Les conditions
générales des contrats indiquent ainsi que s'il apparaît, au terme du procès,
que la garantie n'était en réalité pas due- par exemple, parce que l'assuré est
reconnu coupable d'une infraction intentionnelle -, l'assuré est tenu de rem-
bourser à l'assureur les frais que celui-ci a avancés pour sa défense.
A bien y réfléchir, il nous semble cependant que cette couverture des frais liés
à la défense pénale des assurés ne peut s'analyser que comme une garantie
protection juridique qui est jointe à la couverture de base.
( 109) Si cette garantie ne profite en principe qu'aux assurés, les contrats organisent également
de manière détaillée les modalités de répartition des frais en cas d'action en responsabilité
dirigée à la fois contre un assuré et contre la société qui a souscrit Ie contrat.
( 110) Pour un commentaire de cette disposition, voyez notamment: M. FONTAINE, Précis de
droit des assurances, 3èmc éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 432-433; J.-L. FAGNART, Droit
privé des assurances terrestres, n° 415; Ph. COLLE, Algemene beginselen van het Belgisch
verzekeringsrecht, 4c éd., Anvers, Intersentia, 2006, pp. 121-124.
( 111) En matière d'assurance R.C. dirigeants, les assureurs ont toutefois la faculté de limiter Ie
montant de cette intervention conformément au régime mis en place par l' article 6ter del' arrê-
té royal du 24 décembre 1992 portant exécution de la loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d' assu-
rance terrestre (M.B., 31 décembre 1992); ce qu'ils font généralement. Nous y reviendrons.
(112) Sur l'intérêt que représente cette garantie pour les dirigeants, voyez notamment: F. NYS-
SENS, op. cit., p. 19 et les références citées.
211
VINCENT CALLEW AERT
à l'assuré de faire valoir ses droits en tant que demandeur ou défendeur, soit
dans une procédure judiciaire, administrative ou autre, soit en dehors de toute
procédure». Le fait que les polices R.C. dirigeants n'évoquent, à aucun mo-
ment, la fourniture des services (gestion amiable des sinistres) à laquelle se
réfère cette définition ne nous paraît pas remettre en cause la nature juridique
de la couverture discutée. N'étant, par définition, pas liée à la défense civile
de l'assuré, la prise en charge des frais de défense pénale de l'assuré ne peut,
en effet, s' analyser, selon nous, que comme une garantie protectionjuridique.
49. Dans la pratique, les polices d' assurance R.C. dirigeants n' opèrent gé-
néralement aucune distinction entre Ie régime juridique à appliquer à la ga-
rantie défense civile et celui réservé à la prise en charge des frais liés à la
défense pénale des assurés. Le plus sou vent, une même disposition règle ain-
si }'ensemble des questions liées à ces deux garanties.
( 113) Pour un commentaire de ces dispositions, voy. not.: C. PARIS, Le régime de l'assurance
protectionjuridique, call. de thèses, Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 356-502; Ph. COLLE, Hand-
boek bijzonder gereglementeerde verzekeringscontracten, 4" éd., Anvers, Intersentia, 2005,
pp. 287-323; J.-L. FAGNART, Droit privé des assurances terrestres, 1998, n°s 387 à 403; M.
FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3" éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 454-466.
(114) M.B., 8 novembre 1990.
( 115) Cf. la classification des risques reprise en annexe à l' arrêté royal du 22 février 1991
portant règlement général relatif au contróle des entreprises d' assurances (M.B., 11 avril 1991 ).
212
'
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
reur dès qu'il est fait appel à sa garantie et que celle-ci est due (art. 79 de la loi
du 25 juin 1992), Dans le même ordre d'idées - mais sans conséquence sous
l'angle de la légalité -, la plupart des polices offrent à l'assuré le libre choix
de l'avocat, alors que cette liberté constitue, en principe, une prérogative liée
à l'assurance protectionjuridique (art. 92 de la loi du 25 juin 1992),
Sous-section 3
Le remboursement de la société assurée
(116) En ce sens également: Fr. NYSSENS, «L'assurance responsabilité des dirigeants ... »,
D.A.O.R., 2004, p. 19.
213
VINCENT CALLEW AERT
Sous-section 4
Les extensions de garantie facultatives
51. En complément des trois garanties de base que nous venons d'analy-
ser, les polices d'assurance R.C. dirigeants proposent également différentes
extensions de couverture, qui font Ie plus souvent partie intégrante de la poli-
ce de base.
Une autre extension de garantie qui est fréquemment accordée est celle rela-
tive à la couverture des honoraires et frais divers engendrés par la préparation
de la défense personnelle des assurés dans Ie cadre de toute comparution «né-
cessitée par toute enquête, instruction, investigation ou toute autre procédure
officielle civile, administrative ou pénale» qui serait menée à l'encontre de la
société et qui pourrait donner naissance à une réclamation dirigée contre un
dirigeant. Cette extension complète utilement la garantie «défense civile et
pénale» qui ne concerne, quant à elle, que les réclamations dirigées directe-
ment contre les assurés. Les polices d'assurance ont cependant l'habitude de
préciser que cette extension de garantie ne concerne pas les procédures me-
nées aux Etats-Unis d' Amérique.
Enfin, il faut rappeler que la majorité des contrats étendent leur garantie aux
filiales qui seraient acquises ou créées par Ie preneur pendant la durée du
contrat. Nous renvoyons à eet égard, aux commentaires que nous avons con-
sacrés à cette extension au moment d' envisager les clauses d' acquisition (voy.,
supra, n° 32).
SECTION 3
LES EXCLUSIONS ET LES DÉCHÉANCES
52. Après avoir identifié les risques qui font l' objet de la garantie, la police
d'assurance précise habituellement ceux qui en sont exclus. Une distinction
214
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABIL!TE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
est classiquement faite, à eet égard, entre les exclusions de la garantie et les
déchéances (117),
Sous-section 1
Précisions terminologiques ( 118)
54. Aussi ténue qu' elle puisse paraître, cette distinction entre les exclu-
sions et les déchéances n'est pas sans incidences. De la qualification juridi-
que retenue dépend en effet l' application - ou la non-application - de trois
ensembles de règles, que l'on peut rapidement rappeler ici,
(117) La détermination des risques qui ne font pas 1' objet de la garantie peut également se
déduire de la définition des risques couverts. Voy. à eet égard: M. FONTAINE, Précis de droit
des assurances, 3c éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 234-235, n° 345. Le régime applicable
aux «refus de garantie» résultant de cette troisième catégorie est cependant calqué, selon nous,
sur celui mis en place en matière d'exclusion.
( 118) Pour une analyse approfondie des distinctions envisagées, on consultera notamment:
M. FONTAINE, Déchéances, exclusions, définition du risque et charge de la preuve en droit
des assurances, note sous Cass., 7 juin 2001 et 18 janvier 2002, R.C.J.B., 2003, pp. 20-73;
P. HENRY et J. TINANT, Déchéance et exclusion: de Charybde en Scylla?, La loi du 25 juin
1992 sur le contrat d'assurance terrestre. Dix années d'application, Louvain-la-Neuve, Aca-
demia-Bruylant, 2003, pp. 75-115; J.-L. FAGNART, «Le régime des exclusions et des dé-
chéances dans les assurances de responsabilité», Les assurances de responsabilité, éd. Jeune
Barreau de Bruxelles, 1999, p. 166 et s.; V. CALLEWAERT, «Assurances et responsabilité
environnementale: points cruciaux», Entreprises, responsabilités et environnement, sous la
coord. de X. THUNIS et F. TULKENS, Kluwer, 2004, p. 75 ets.
(119) La paternité de cette expression est généralement attribuée à M. PICARO et A. BES-
SON. Voyez notamment en ce sens: M. FONTAINE, «Déchéances, exclusions, définitions du
risque et charge de la preuve en droit des assurances», note sous Cass., 7 juin 2001 et 18
janvier 2002, R.C.l.B., p. 53, note 179.
(120) J.-L. FAGNART, «Le régime des exclusions et des déchéances dans les assurances de
responsabilité», Les assurances de responsabilité, éd. Jeune Barreau de Bruxelles, 1999, p. 166,
n° 3.
(121) B. DUBUISSON, «L'assurance de la responsabilité des médecins et des höpitaux. Entre
Ie marteau et l'enclume», Bull. Ass., 1997, p. 400; P. HENRY et J. TINANT, «Déchéance ou
exclusion: de Charybde en Scylla?», La loi du 25 juin 1992 sur ie contrat d'assurance terres-
tre. Dix années d'application, Academia-Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 76 et les références
citées.
215
VINCENT CALLEW AERT
(122) Pour une analyse de l'article 87 de la loi du 25 juin 1992, voy. not.: B. DUBUISSON,
«L'action directe et l'action récursoire», La loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance
terrestre. Dix années d"application, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2003, pp. 157-
169.
( 123) J.-L. FAGNART «Le risque de la preuve en matière d' assurance», La loi du 25 juin 1992
sur Ie contrat d'assurance. Dix années d'application, Bruxelles, Bruylant, pp. 128-129; M.
FONTAINE, Précis de droit des assurances, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 1996, p. 168, n° 290.
(124) Cass., 5 janvier 1995, J.L.M.B., 1996, p. 536, R.W, 1995-1996, p. 29.
216
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
Dans une note particulièrement fouillée parue dans la Revue critique de juris-
prudence beige sous deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 7 juin
2001 et le 18 jan vier 2002, le professeur M. FONTAINE s' est en effet attelé
à démontrer le revirement de jurisprudence que ladite Cour aurait, selon lui,
effectué en matière de charge de la preuve des exclusions (125). S' appuyant
notamment sur une phrase tirée du rapport d'activités de la Cour suprême
pour l'année judiciaire 2000-2001 (126), eet éminent auteur voit effective-
ment, dans ces deux arrêts rendus à propos de sinistres intentionnels, une
volonté de la Cour de rompre avec sa jurisprudence passée et de considérer
désormais qu'en application de l'article 1315, alinéa 2, du Code civil, les cas
d'exclusion de la garantie, comme ceux de déchéance, doivent être prouvés
par l'assureur, et non par l'assuré.
Plusieurs juridictions de fond ont déjà eu l' occasion de faire droit à l'analyse
nouvelle proposée par le professeur FONTAINE (129). Ace jour, la Cour de
217
VINCENT CALLEWAERT
Sous-section 2
La légalité de la qualification retenue
56. Les éléments qui précèdent pourraient laisser penser que les condi-
tions générales des contrats d'assurance R.C. dirigeants font clairement la
distinction entre les exclusions et les déchéances de la garantie.
Cette situation s' explique sans doute par la volonté des assureurs d' améliorer
la lisibilité de leurs conditions générales en utilisant des termes génériques
dont le sens et la portée sont compris par tous. Il est probable cependant qu' elle
trouve également sajustification dans la volonté de certains assureurs de bé-
néficier d'un régime juridique plus favorable que celui qui est attaché aux
déchéances de la garantie.
Il con vient cependant de garder à l' esprit que cette liberté ne peut s' exercer
sans limites (132). C'est ainsi, par exemple, que l'assureur ne saurait présen-
(130) Pour notre part, nous estimons que, dans ]'attente d'une déeision de la Cour de eassation
eonfirmant explieitement Ie revirement annoneé, la prudenee impose d'appliquer la jurispru-
denee de 1995. Voy., à eet égard, notre argumentaire: V. CALLEWAERT, «Assuranees et res-
ponsabilité environnementale: points erueiaux», Entreprises, responsabilités et environnement,
Kluwer, 2004, pp. 78-79, n° 18.
(] 31) J.-L. FAGNART, «La requalifieation des elauses du eontrat d'assuranee», Liber amico-
rum L. Simont, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 667, n° 5; M. FONTAINE, «Déehéanees, exclu-
sions, ... », op. cit., p. 67, n° 109.
(132) Voy. à eet égard: M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3c éd., Bruxelles,
Lareier, 2006, pp. 246-251.
218
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
De manière plus générale, on observera surtout que Ie juge n' est pas tenu par
la qualification donnée à la clause qui justifie le refus de garantie. Par un arrêt
du 25 janvier 2002, la Cour de cassation a en effet dit pour droit que l'arrêt
qui «considère que les situations décrites dans les polices d'assurance, res-
pectivement sous les intitulés «exclusions» et «cas de non-assurance», cons-
tituent des cas de déchéance et que, dès tors, c 'est à la demanderesse qu 'il
appartient de prouver que les conditions d 'application des claus es litigieuses
sant remplies (. .. ) donne des polices une interprétation qui n 'est pas inconci-
liable avec leurs termes et, dans cette interprétation, leur reconnaît les effets
qu 'elles ont légalement entre les parties» (133). Le juge est donc libre de
requalifier la clause convenue entre parties.
Sous-section 3
Les clauses de déchéance et d'exclusion habituelles
§ 1. Les déchéances
219
VINCENT CALLEWAERT
59. Une autre hypothèse dans laquelle les polices R.C. mandataires so-
ciaux prévoient habituellement la déchéance de la garantie est celle dans la-
quelle la réclamation du tiers lésé est fondée sur un avantage pécuniaire ou
en nature ou une rémunération auquel un assuré n'avait pas légalement droit.
60. Enfin, certaines polices d'assurance R.C. dirigeants précisent que si,
en cours de contrat, les assurés ne respectent pas «les obligations de préven-
tion imposées par la compagnie», cette dernière aura le droit de décliner sa
garantie «à condition que ce manquement soit en relation causale avec la
survenance du sinistre».
A première vue, une telle clause paraît tout à fait conforme au prescrit de
l'article 11 de la loi du 25 juin 1992. Elle rappelle en effet l'exigence de
causalité imposée par cette disposition. Au bénéfice d'une analyse plus atten-
tive, on constate toutefois que la sanction que cette clause institue ne concer-
ne pas une «obligation déterminée imposée par le contrat», comme l'exige
l'article 11 précité, mais les «obligations imposées par la compagnie» sans
autre précision, et alors que le contrat dans lequel cette clause s'inscrit ne
prévoit aucune mesure de prévention. Cette absence de détermination frappe
à notre avis la clause de nullité. Il serait en effet contraire à l' économie du
contrat que l' assureur puisse déterminer unilatéralement, en cours de contrat,
les obligations de prévention dont Ie non-respect serait sanctionné par une
déchéance de la garantie.
(136) Dans Ie même sens: Fr. NYSSENS, «L'assurance responsabilité des dirigeants: évolu-
tions récentes», D.A.O.R., n° 2004/70, p. 22.
220
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
Pour les mêmes motifs, les dommages résultant d'une pollution sont habi-
tuellement exclus de la garantie. Certaines polices d'assurance précisent tou-
tefois que cette exclusion ne s'applique pas aux frais de défense exposés en
vue de contester une demande en réparation pour cause de pollution, ni aux
actions sociales qui seraient exercées par un ou plusieurs actionnaires. Les
administrateurs veilleront, en tout état de cause, à ce que la société pour la-
quelle ils exercent leur mandat bénéficie d'une couverture spécifique contre
le risque environnemental ou, à tout Ie moins, que la garantie R.C. exploita-
tion souscrite par la société contienne une couverture de la «pollution» ( 138).
Leur responsabilité personnelle pourrait en effet être engagée s'il apparais-
sait, par exemple, que la pollution résulte d'une infraction à la réglementation
en matière d' environnement qui leur est imputable (139).
( 137) Pour une analyse des exclusions fréquemment rencontrées au sein des polices distri-
buées sur Ie marché belge à la fin des années nonante, voy.: M. DALLE, «De verzekering
burgerrechtelijke aansprakelijkheid van maatschappelijk lasthebbers. Een vergelijking van al-
gemene voorwaarden», R.G.A.R., 1998, n° 12881, n°' 30 et s.
(138) Pour une analyse récente de ces assurances, voyez notamment V. CALLEWAERT, «As-
surances et responsabilité environnementale», Entreprises, responsabilités et environnement,
Kluwer, Bruxelles, 2004, pp. 69-108; G. HEUNINCK, «Dommage à l' environnement. Assu-
rabilité et solutions existantes», Le Monde de ['assurance, doe. n° 1, 2004, pp. 6 ets.
(139) J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, Bruxelles, Larcier, 2004, p.
338, n° 182.
221
VINCENT CALLEW AERT
Cette exclusion n' est guère surprenante. Sous peine de violer l' ordre public,
l'assurance ne peut en effet placer l'assuré à l'abri des conséquences d'une
pénalité découlant de la loi. On sera toutefois attentif au fait que cette exclu-
sion ne concerne que l' amende en tant que telle et non les frais de défense
éventuellement exposés par l'assuré aux fins de contester sa culpabilité. Sous
la réserve des clauses prévoyant un remboursement en cas de condamnation,
de tels frais restent en principe couverts par Ie contrat d'assurance R.C. diri-
geants (140).
63. Pour éviter les risques de collusion entre assurés, la plupart des polices
excluent, par ailleurs, les réclamations faites par, au nom ou pour Ie compte
des assurés oude la société assurée (c'est-à-dire Ie preneur d'assurance) (141)
(142). Les conditions générales des contrats précisent toutefois, Ie plus sou-
vent, que cette exclusion ne concerne que les réclamations introduites <levant
les juridictions des pays de common law ou fondées sur Ie droit de l'un de ces
pays et qu'elle ne concerne pas les réclamations qui pourraient être introdui-
tes sous la forme d'une action sociale (actio mandati), ni celles qui pourraient
être introduites par un assuré ayant quitté ses fonctions au sein de la société
assurée depuis plus de deux ans.
64. Enfin, bien que l' exclusion ne soit pas reprise par toutes les polices que
nous avons pu analyser (143), plusieurs assureurs excluent de leur garantie
les réclamations relatives aux valeurs mobilières ou au placement de valeurs
mobilières, ainsi que les réclamations ayant pour origine la violation de droits
ou obligations prévus par la loi ou la réglementation de tout pays de common
law. La première de ces exclusions s'explique par Ie fait que l'assurance R.C.
dirigeants n'a pas pour objet de couvrir Ie risque lié à la fluctuation des mar-
chés boursiers. La seconde témoigne, une fois encore, de la réticence des
assureurs à couvrir les responsabilités susceptibles d'être appréciées au re-
gard du droit américain.
222
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIYILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
SECTTON 4
L'ÉTENDUE DE LA GARANTIE DANS L'ESPACE
65. Sur le plan territorial, la couverture qui est accordée par les assurances
R.C. mandataires sociaux est généralement assez large, La majorité des poli-
ces du marché beige précisent en effet que la garantie qu'elles contiennent
couvre les réclamations introduites à l' encontre des assurés dans le monde
entier, à l' exclusion toutefois de celles qui seraient introduites <levant des
juridictions ou sur la base de la législation des Etats-Unis d' Amérique et du
Canada (144).
Cette exclusion des actions diligentées en application du droit américain s' ex-
plique par la sévérité avec laquelle les procès en responsabilité sont habituel-
lement traités dans ces pays. Différents facteurs sont à l' origine de cette sévé-
rité: l'existence de punitive and exemplary damages, la possibilité d'intro-
duire des class action, l'intervention de jurys populaires, etc (145). Moyen-
nant surprime, certaines compagnies semblent néanmoins disposées à suppri-
mer ces limitations et à couvrir les réclamations introduites dans Ie monde
entier.
SECTION 5
L'ÉTENDUE DE LA GARANTIE DANS LE TEMPS
(144) Certaines polices d'assurance formulent cette exclusion de manière quelque peu diffé-
rente en se référant «aux Etats-Unis d' Amérique ainsi qu'à ses états, territoires ou posses-
sions».
( 145) Dans un sens comparable, voy.: Fr. NYSSENS, «L' assurance responsabilité des diri-
geants: évolutions récentes», D.A.O.R., 2004, p. 26.
223
VINCENT CALLEWAERT
Dans ces conditions, il est donc primordial de vérifier si l' assureur accepte de
couvrir les réclamations qui sont introduites pendant la durée du contrat ( 146)
mais qui se rapportent à une faute commise avant la prise de cours de la
garantie: c'est la question de l'antériorité (sous-section 1). Il faut également
examiner si la garantie couvre les réclamations introduites après la fin du
contrat: c' est la question de la postériorité (sous-section 2).
Sous-section 1
L'antériorité ou la reprise du passé
Dans la pratique, les assureurs accordent, Ie plus souvent, une garantie «re-
prise du passé». La plupart des polices d' assurance R.C. dirigeants indiquent
ainsi que sont exclues de la garantie les réclamations ayant pour origine une
procédure amiable, judiciaire ou arbitrale antérieure à la date de reprise du
passé - appelée parfois «date de rétroactivité» - fixée au sein des conditions
particulières. Interprétée a contrario, une telle clause d'exclusion implique
que toutes les réclamations qui sont introduites pendant la durée de la garan-
tie et qui sont relatives à des faits survenus postérieurement à la date de repri-
se du passé sont, en principe, couvertes dans les limites de la garantie.
Certaines polices excluent, au contraire, tous les sinistres relatifs à des fautes
commises à une date antérieure à la date de reprise du passé et dont les assu-
(146) Toutes les polices d'assurance R.C. dirigeants que nous avons pu analyser sont d'une
durée d'un an. Rien n'empêcherait pourtant les assureurs de prévoir une durée différente (voy.,
à eet égard, l' art. 30, § 2 de la loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d' assurance terrestre et l' art. 1er
de I' A.R. du 24 décembre 1992 portant exécution de la loi précitée).
(147) Voy. toutefois la position de M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3e éd.,
Bruxelles, Larcier, 2006, p. 421, qui reconnaît néanmoins que «la solution la plus plausible est
que la couverture du risque d'antériorité est laissée à la liberté des conventions».
(148) Pour une analyse de cette disposition, voy. not.: H. DE RODE, «Les assurances de res-
ponsabilité», Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre VII, Livre 70, 2005, pp. I 9-
21; B. DUBUISSON, «Rapport beige concernant l'assurance de la responsabilité civile: cou-
verture dans Ie temps», Assurance de la responsabilité civile: couverture dans le temps, Maklu,
An vers, 1997, pp. 69-88; Ph. COLLE, Algemene beginselen van het Belgisch verzekeringsrecht,
Intersentia,Anvers, 2006, pp. 157-167; M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, pp. 419-
422.
224
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
Sous-section 2
La postériorité
( 149) F. NYSSENS, «L' assurance responsabilité des dirigeants: évolutions récentes», D.A.O.R.,
2004, p. 23.
( 150) Voy., à eet égard, les références citées ei-des sus sous la noten° 148.
(] 51) Pour une analyse de l'évolution qu'a connue l'article 78, voy. not.: P.-H. DELVAUX et
M. FONTAINE, «Le nouveau régime du contrat d'assurance terrestre. Loi du 25 juin 1992, loi
modificative du 16 mars 1994, arrêtés d'exécution»,J.T., 1995, pp. 335-336; C. VAN SCHOU-
BROECK et G. SCHOORENS, «De aansprakelijkheidsverzekering: a never ending story?»,
T.P.H./R.D.C., 1995, p. 645 ets.
(152) Voy., à eet égard, l'article 6bis de l'arrêté royal du 24 décembre 1992 portant exécution
de la loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat d'assurance terrestre.
225
VINCENT CALLEW AERT
La portée de ces clauses claims made est bien connue (153). En utilisant la
réclamation de la victime comme critère de rattachement, elles indiquent que
la garantie de l' assureur est limitée aux seules demandes des personnes lésées
introduites en cours de contrat, la postériorité étant, par conséquent exclue de
la couverture. Tel est bien Ie sens de l'article 78, § 2, alinéa 1er, lorsqu'il
dispose que«(. .. ) les parties peuvent convenir que la garantie d'assurance
porte uniquement sur les demandes en réparationformulées par écrit à l'en-
contre del' assuré oude l 'assureur pendant la durée du contrat pour un dom-
mage survenu pendant cette même période».
L' admission des clauses claims made est donc contenue dans des limites qui
tiennent compte des intérêts de l'assuré.
69. Dans la pratique, toutes les compagnies qui pratiquent l' assurance R.C.
dirigeants font bien entendu, usage de la dérogation légale instituée par 1' ar-
ticle 78, § 2 précité.
Paraphrasant les termes de cette disposition, les polices d' assurances préci-
sent ainsi que si la garantie porte en principe uniquement sur les réclamations
introduites pendant la durée du contrat ( claims made), «sont également prises
en considération, à condition qu 'elles soient formulées par écrit à l 'encontre
du preneur d 'assurance, des assurés oude l 'assureur dans un délai de soixante
mois à compter de la date de fin du contrat, les réclamations relatives:
(153) Pour une analyse approfondie de cette clause, voyez not.: B. DESCHAMPS, «Claims-
made: l'alternative?», R.G.A.R., 1988, n° 11335.
226
L"ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
On observera que la couverture ainsi consentie est plus large que celle prévue
par l' article 78, § 2 de la loi du 25 juin 1992. Là ou cette demière n' impose
qu'une couverture de la postériorité durant les trente-six mois qui sui vent la
fin du contrat, les polices R.C. mandataires sociaux accordent en effet une
couverture s'étalant sur les soixante mois qui suivent cette fin du contrat.
L' objectif d'une telle extension contractuelle est manifestement de faire cor-
respondre la période de postériorité avec le délai de prescription qui est atta-
ché aux actions en responsabilité dirigées contre les administrateurs (art. 198
C. soc.) (154). Gràce à cette extension, le dirigeant qui est amené à quitter son
mandat social peut donc en principe compter sur le bénéfice de la couverture
d'assurance pour les fautes qu'il aurait commises dans le cadre dudit mandat
et qui feraient l'objet d'une réclamation dans les cinq ans qui suivent son
départ.
( 154) Fr. NYSSENS, «L' assurance responsabilité des dirigeants: évolutions récentes», D.A. O.R.,
2004, p. 23. Sur la prescription, voy. not.: D. VAN GERVEN etA. FONTAINE, «La responsa-
bilité civile et pénale des mandataires sociaux», Responsabilités. Traité théorique et pratique,
Titre II, dossier 24, Kluwer, Bruxelles, 2005, p. 20.
227
VINCENT CALLEW AERT
TITRE 5
QUESTIONS LIEES AU REGLEMENT DU SINISTRE
SECTION 1
LA DÉFINITION DU SINISTRE
71. La loi du 25 juin 1992 sur le contrat d' assurance terrestre ne donne
aucune définition générale de la notion de sinistre. Il faut donc nécessaire-
ment s'en référer aux conditions générales des contrats.
(155) Pour une analyse générale de cette problématique, voyez not.: M. FONTAINE, «La
notion de sinistre dans les assurances de responsabilités et les assurances de frais», Mélanges
Lambert. Droit et économie del' assurance et de la santé, Paris, Dalloz, 2002, pp. 199-208; du
même auteur, Précis de droit des assurances, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 412-415; H.
DE RODE, «Les assurances de responsabilité», Responsabilités. Traité théorique et pratique,
Titre VII, livre 70, vol. 1, 2005, pp. 11-13.
228
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIR!GEANTS DE SOCIETES
On sera, par ailleurs, attentif au fait que la définition du sinistre précitée con-
tient également une clause dite de sinistres sériels. En indiquant que Ie sinis-
tre s'entend non seulement d'une réclamation, mais également de «!'ensem-
ble des réclamations relatives à une même faute», cette définition impose en
effet de considérer que la série de réclamations que pourrait entraîner une
même faute doit être considérée comme constituant un seul et même sinistre.
Cette précision n' est pas sans incidences. Elle implique, par exemple, qu' en
cas de sinistre, Ie plafond de garantie fixé par l' assureur ne sera appliqué
qu'une seule fois au regard du montant que représente !'ensemble des récla-
mations. Une telle limitation n'est évidemment pas de l'intérêt des victimes,
ni des assurés.
SECTION 2
LES OBLIGATIONS DEL' ASSURÉ EN CAS DE SINISTRE
(156) Pour un commentaire de cette disposition, voy.: M. FONTAINE, Précis de droit des
assurances, 3c éd., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 207-215; J.-L. FAGNART, «Droit privé des
assurances terrestres», Traité pratique de droit commercial, t. III, Story Scientia, 1998,
.. ./ ...
229
VINCENT CALLEW AERT
Cette obligation légale est rarement rappelée par les polices d'assurance R.C.
dirigeants. Ces dernières prennent, en revanche, le soin d'indiquer les limites
dans lesquelles les frais - <lits de sauvetage - que les assurés exposeraient en
vue de limiter les conséquences du sinistre oud' empêcher la survenance d'un
sinistre imminent sont à charge de l'assureur. On sait, à eet égard, que l'assu-
reur est en principe tenu de supporter ces frais même au-delà du plafond de sa
garantie, pour autant que ceux-ci aient été exposés dans le respect des condi-
tions énoncées par l' article 52 de la loi du 25 juin 1992. Sous la pression des
assureurs, cette règle a toutefois été atténuée pour certaines assurances de la
responsabilité au rang desquelles figure la couverture R.C. dirigeants. Sans
surprise, les assureurs qui pratiquent cette dernière branche font unanime-
ment usage de cette possibilité de limitation en reprenant au sein du contrat
les limites fixées par l' article 4 de l' arrêté royal du 24 décembre 1992 portant
exécution de la loi du 25 juin 1992.
Afin d'éviter que les dirigeants ne pensent à imputer le coût de mesures cor-
rectrices de leurs activités à l'assureur, plusieurs polices d'assurance R.C.
dirigeants précisent, par ailleurs, que les coûts des produits ou prestations de
services qui sont engagés afin de pallier un dysfonctionnement des produits
ou une mauvaise prestation de services de la société sont expressément ex-
clus de la garantie. Si une telle exclusion peut se comprendre, on lui préférera
la limitation qui est énoncée par certains contrats et selon laquelle restent à
charge de l' assuré non seulement les frais découlant de mesures tendant à
prévenir un sinistre garanti en l' absence de <langer imminent, mais aussi les
frais qui résultent du retard ou de la négligence de l'assuré à prendre des
mesures de prévention qui auraient dû l'être antérieurement. Ces limitations
correspondent en effet davantage aux conditions fixées par l' article 52 de la
loi du 25 juin 1992.
74. La seconde obligation qu'a l'assuré en cas de sinistre est, bien entendu,
de déclarer ce dernier à l'assureur (art. 19 de la loi du 25 juin 1992) (157).
230
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
dans les trente jours - certaines polices fixent ce délai à dix jours - à compter
de la réclamation du tiers lésé. Les polices d'assurance sanctionnent généra-
lement le non-respect de ce délai par une réduction de la prestation de l' assu-
reur à concurrence du préjudice subi (158). Cette sanction est parfaitement
légale (art. 21 de la loi du 25 juin 1992). On rappellera néanmoins que lors-
que l' assuré a déclaré le sinistre «aussi rapidement que cela pouvait raisonna-
blement se faire», l'assureur ne peut pas se prévaloir d'un non-respect du
délai fixé contractuellement (art. 19, § 1er, al. 2 de la loi du 25 juin 1992).
Enfin, on observera que la plupart des garanties indiquent que toutes les ré-
clamations résultant d'une même faute «sont réputées introduites à la date à
laquelle la première d'entre elles a été introduite». Cette précision confirme
qu' au re gard de la garantie R.C. dirigeants, l' ensemble des déclarations rela-
tives à un même fait générateur sont considérées ne constituer qu 'un seul et
même sinistre (clause dite des sinistre sériels) et que ce dernier est réputé
s' être intégralement réalisé au jour de la première réclamation.
75. La survenance du sinistre fait encore naître dans Ie chef de l' assuré
d' autres obligations spécifiques aux assurances de la responsabilité. Il s' agit
notamment de l'obligation de transmettre à l'assureur tous les documents en
rapport avec la réclamation du tiers lésé (art. 80 de la loi du 25 juin 1992) et
de comparaître à toute mesure d'instruction ordonnée par Ie tribunal (art. 81 ).
L' application de ces obligations ne présente toutefois pas de spécificité parti-
culière en assurance R.C. dirigeants. On nous permettra donc de renvoyer
aux commentaires généraux consacrés à ces obligations ( 159).
SECTION 3
L' ACTION DIRECTE DU TIERS LÉSÉ
231
VINCENT CALLEW AERT
qui lui est reconnue par la loi contre l'assureur (art. 86 de la loi du 25 juin
1992) (160). C'est la survenance du dommage qui constitue ici l'événement
ouvrant droit à l'action (161).
77. Cette action directe du tiers lésé appelle certaines réflexions dans le
contexte de l'assurance R.C. dirigeants.
La consécration légale del' action directe par la loi du 25 juin 1992 incite tout
d'abord à <louter sérieusement de la légalité de la clause dite de confidentia-
lité que l' on retrou ve encore au sein de certaines polices et en vertu de laquel-
le l'assuré s'interdirait de divulguer l'existence de la police sans le consente-
ment de l'assureur (163). Une telle exigence est en effet difficilement conci-
liable avec le caractère impératif de l'article 86 de la loi précitée. Même si
l'on peut comprendre le souhait des assureurs d'éviter l'effet d'appel que
peut constituer la présence d'une police d' assurance, il ne peut effectivement
être exigé de l'assuré qu'il cèle l'existence de sa garantie d'assurance. Pré-
tendre le contraire reviendrait à exiger des assurés qu'ils adoptent un com-
portement contraire au principe général de bonne foi.
78. Une autre question qui mérite l'attention est celle de savoir si l'exerci-
ce de l'action directe est soumis aux exigences de l'article 561 du Code des
sociétés (actio mandati) lorsque la réclamation émane de la société qui a sous-
crit le contrat d'assurance.
( 160) Pour un commentaire de cette disposition et du régime de l'action directe, voy. not.: B.
DUBUISSON, «L'action directe et l'action récursoire», La loi du 25 juin 1992 sur Ie contrat
d'assurance terrestre. Dix années d'application, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2003,
pp. 147-177 et les nombreuses références citées.
(161) Dans Ie même sens: M. FONTAINE, «La notion de sinistre dans les assurances de res-
ponsabilités et les assurances de frais», Mélanges Lambert. Droit et économie de l'assurance
et de la santé, Paris, Dalloz, 2002, p. 202.
( 162) M. FONTAINE, Précis de droit des assurances, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2006, p. 442.
(163) Dans un sens comparable, voy.: P. VAN OMMESLAGHE, «L'assurance de la responsa-
bilité civile des administrateurs ... », R.D.C., 1994, pp. 303-304.
232
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
On sait que sur la base de cette disposition - qui énonce que «l'assemblée
générale décide s'il y a lieu d'exercer l'action sociale contre les administra-
teurs ou les commissaires» - la jurisprudence a, à plusieurs reprises, déclaré
irrecevable l' action sociale intentée à l' encontre d'un administrateur en l' ab-
sence d'une décision de l'assemblée générale des actionnaires d'agir en ce
sens (164). La Cour de cassation elle-même, par un arrêt du 25 septembre
2003, a dit pour droit qu' «une action sociale exercée à l'encontre d'un admi-
nistrateur par une société, même représentée en justice par un organe compé-
tent à eet effet, ne peut être admise si l' assemblée générale ne décide pas
d'exercer cette action» (165).
Dans ces conditions, la question est dès lors de savoir si, pour être recevable,
l' action directe exercée par la société contre l' assureur R.C. dirigeants néces-
site ou non la production de la décision de l' assemblée générale des action-
naires d'engager la responsabilité du dirigeant fautif.
233
VINCENT CALLEW AERT
SECTION 4
LES OBLIGATIONS DE L' ASSUREUR EN CAS DE SINISTRE
La première de ces obligations est celle de prendre fait et cause pour !' assuré.
L' article 79, alinéa 1er de la loi du 25 juin 1992 dis pose ainsi qu' «à partir du
moment ou la garantie de l'assureur est due, et pour autant qu'il y soit fait
appel, celui-ci a l'obligation de prendre fait et cause pour l'assuré dans les
limites de la garantie».
Nous avons déjà eu l' occasion de relever plus haut que les polices d' assuran-
ce R.C. dirigeants ne rendent pas toujours compte de cette obligation avec la
rigueur requise. En traitant simultanément la question de la défense civile des
assurés et la garantie des frais liés à la défense pénale de ces demiers, les
polices créent en effet une confusion entre des couvertures fondamentale-
ment distinctes.
.. ./...
sa guise. Il peut, par exemple, exiger une mise en demeure préalable du débiteur intermédiai-
re, imposer au créancier direct d'exercer une action judiciaire pour faire va/oir son droit
propre, et ainsi de suite. En /'absence d'indication à eet égard, le souci d'efficacité du méca-
nisme commande toutefois de dépouiller l 'action directe de tout formalisme».
234
L' ASSURANCE DE LA RESPONSABILITE CJVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES
Il con vient toutefois d' être attentif au fait qu' en vertu de l' article 82 de la loi
du 25 juin 1992, l' assureur est tenu de supporter, même au-delà des limites de
sa garantie «les intérêts afférents à l' indemnité due en principal» de même
que «les frais afférents aux actions civiles ainsi que les honoraires et les frais
des avocats et des experts» (168), Compte tenu des discussions qui peuvent
entourer la mise en cause de la responsabilité d'un dirigeant, cette garantie
peut s'avérer très utile, Comme en matière de frais de sauvetage, on notera
cependant que les assureurs R.C, dirigeants ont la possibilité de limiter la
prise en charge de ces frais conformément à l' article 6ter de l' arrêté royal du
24 décembre 1992 ( 169), ce qu 'ils font habituellement. On gardera par ailleurs
à !'esprit que la règle énoncée par l'article 82 de la loi du 25 juin 1992 ne
concerne que les frais liés à la défense civile des assurés et non ceux exposés
dans Ie cadre de leur défense pénale, En ce qui concerne ces derniers, on se
référera par conséquent aux plafonds de garantie conventionnellement fixés,
(168) Pour un commentaire de cette disposition, voy, not: M, FONTAINE, Précis de droit des
assurances, 3e éd,, Bruxelles, Larcier, 2006, pp, 430-433; Ph, COLLE, Algemene beginselen
van het Belgisch verzekeringsrecht, 4e éd,, Anvers, Intersentia, 2006, pp, 171-173;
J,-L FAGNART, Droit privé des assurances terrestres, 1998, n°' 413 à 415, pp, 245-247,
( 169) Arrêté royal du 24 décembre 1992 portant exécution de la loi du 25 juin 1992 sur Ie
contrat d' assurance terrestre (M,B,, 31 décembre 1992),
235
CHAPITRE V
LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRI-
GEANTS D'ENTREPRISE ET LA RESPONSA-
BILITE PENALE DES PERSONNES MORALES
HENR1-D. BosLY
Professeur à l'U.C.L.,
Assesseur au Conseil d'Etat
LA RESPONSAB!LITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES
INTRODUCTION
Pour qu'une personne soit coupable d'une infraction pénale, il faut que les
éléments constitutifs de cette infraction soient établis dans son chef, ce qui
implique que cette infraction lui soit imputée en tant qu'auteur.
Toute infraction comporte des éléments matériels ainsi qu'un élément moral.
Autrement dit, il n'y a pas d'infractions matérielles, c'est-à-dire d'infractions
qui seraient établies du seul fait que les éléments matériels seraient réunis ( 1).
La Cour de cassation s'est exprimée clairement en ce sens (2). La mise en
ceuvre du droit pénal n' est légitime que si la peine n' atteint que la personne
coupable, c' est-à-dire celle qui a commis l' acte matériel volontairement ou a
fait preuve d' une imprudence critiquable. C' est l' application del' adage «nul-
lum crimen, nulla poena sine culpa». Et comme nous le verrons ultérieure-
ment, cette règle s' applique également à la responsabilité pénale des person-
nes morales.
S'il n'est pas inconcevable d'imaginer une responsabilité civile ou une res-
ponsabilité administrative «sans faute», il en va différemment en droit pénal.
Celui-ci n' a de sens que s'il est appliqué à la personne qui a commis une faute
consistant à n'avoir pas respecté une disposition légale déterminée.
En résumé, se rend coupable d'une infraction celui qui a accompli tous les
éléments de celle-ci, y compris l' élément moral, et dont le comportement
peut lui être imputé. La responsabilité pénale est donc personnelle.
Rappelons enfin que l'élément moral peut recouvrir deux situations différen-
tes: il y a d'une part le dol qui consiste dans l'intention ou la résolution crimi-
nelle de l'agent (3); il y a d'autre part la faute consistant selon les cas dans le
défaut de prévoyance oude précaution ou dans la violation d'une infraction
réglementaire (4 ).
(1) C. VAN DEN WYNGAERT, Strafrecht, strafprocesrecht, internationaal strafrecht, An-
vers, Maklu, 2006, p. 151; F. TULKENS et M. VAN DE KERCHOVE, Introduction au droit
pénal. Aspects juridiques et criminologiques, 7e éd., Bruxelles, Kluwer, 2005, pp. 362-363.
(2) 12 mai 1987, Rev. dr. pén. crim., 1988, p. 711 et les conclusions de 1' Avocat général J. du
Jardin. Voy. à ce propos Ie commentaire de J. VERHAEGEN, «L' élément fautif en matière de
contravention aux règlements», Rev. dr. pén. crim., 1988, pp. 289-297; Cass., 13 décembre
1994, Pas., 1994, I, p. 1094, R. W, 1995-1996, p. 533 et la note de Bart Spriet.
(3) F. TULKENS et M. VAN DE KERCHOVE, op. cit., pp. 384-386; C. VAN DEN WYN-
GAERT, op.cit., pp. 181-182 et 276-278; F. KÉFER, Le droit pénal du travail, Bruges, La
Charte, 1997, pp. 177-178; D. VANDERMEERSCH, Eléments de droit pénal et de procédure
pénale, 2e éd., 2006, pp. 128-130.
(4) F. TULKENS et M. VAN DE KERCHOVE, op.cit., pp. 390-395; C. VAN DEN WYN-
GAERT, op.cit., pp. 182 et 289-290; F. KÉFER, Le droit pénal du travail, Bruges, La Charte,
1997, pp. 178-184; D. V ANDERMEERSCH, Eléments de droit pénal et de procédure pénale,
Bruxelles, La Charte, 2e éd., 2006, pp. 125-128.
239
HENRI-D. BOSL Y
TITRE 1
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE
SECTION 1
LA PROBLÉMATIQUE
Les personnes physiques qui exercent des fonctions dirigeantes dans une en-
treprise encourent une responsabilité pénale dans les conditions qui viennent
d'être énoncées ci-dessus.
Cette solution est impossible lorsque l'infraction est une infraction d'omis-
sion (5). Il n'est pas possible de déterminer qui est !'auteur matériel de l'acte
puisque le législateur entend incriminer une abstention d'agir, un manque-
ment d' agir. À I' origine Ie Code pénal comprenait fort peu d' infractions
d'omissions. Mais les choses ont bien changé avec le développement des
entreprises et des législations particulières en droit social, en droit économi-
que, en droit financier, en droit de I' environnement, en droit des transports,
etc.
240
LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES
Enfin, il arrivera sou vent que Ie débiteur de l' obligation dont le non-respect
est puni pénalement est en l'espèce une personne morale. Se posera alors la
question de savoir si l'infraction doit être imputée à la personne morale elle-
même (voir infra, Ie chapitre Il) ou si elle doit être imputée à une personne
physique (et laquelle?).
SECTION 2
L'IMPUTABILITÉ LÉGALE
(6) R. LEGROS, «La responsabilité pénale des dirigeants des sociétés et Ie droit pénal géné-
ral», Rev. dr. pén. crim., 1963-1964, pp. 3-28; R. LEGROS, «Imputabilité pénale et entreprise
économique», Rev. dr. pén. crim., 1968-1969, pp. 365-386; R. LEGROS, «Le droit pénal de
l'entreprise», J.T.T., 1977, pp. 169-178; T. WERQUIN, «L'imputabilité en droit pénal social
beige et français», J.T.T., 1980, pp. 37-43; J. SPREUTELS, F. ROGGEN et E. ROGER FRAN-
CE, Droit pénal des affaires, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 46-50.
241
,.
HENRI-D. BOSL Y
L' article 492bis du Code pénal qui punit l' auteur de l' abus de biens sociaux,
dispose expressément que eet auteur ne peut être que Ie dirigeant de droit ou
de fait d'une société civile ou commerciale ou d'une association sans but
lucratif.
La très grande majorité des lois sociales disposent que les infractions peuvent
être commises par «les employeurs, ses préposés ou mandataires», ce qui
entraîne a contrario une immunité pénale relative du travailleur salarié non
détenteur du pouvoir dans l'entreprise (7). Les notions «d'employeurs, pré-
posés ou mandataires» ont été précisées par la jurisprudence (8); ainsi, la
notion de préposé en droit pénal social n' est pas équivalente à la notion de
travailleur salarié.
Par ailleurs, I' article 126, 2°, punit «les administrateurs, gérants, directeurs
ou mandataires de sociétés qui sciemment contreviennent aux dispositions
des arrêtés pris en application des articles 92, § ler, al. Ier, 122 et 123 ... »; ces
arrêtés sont relatifs à l'établissement et à la publicité des comptes annuels et
des comptes consolidés.
242
LA RESPONSABJLITE PENALE DES D!RIGEANTS D'ENTREPR!SE ET DES PERSONNES MORALES
La faculté de déléguer a été admise sur le plan pénal par un arrêt de la Cour de
cassation du 11 janvier 1965 (13).
( 11) Il faut rappe Ier que Ie juge ne peut juger que les personnes qui sont appelées devant lui
pour répondre de telle ou de telle infraction. Il en résulte que les décisions prises antérieure-
ment par Ie ministère public ou même par la partie civile de poursuivre telle ou te11e personne
auront une incidence sur la détermination des limites du pouvoir juridictionnel du juge.
(12) E. ROGER FRANCE, «La délégation de pouvoirs en droit pénal ou comment prévenir Ie
risque pénal dans l'entreprise»,J.T., 2000, pp. 257-263; I. VERHAERTetP. WAETERINCKX,
«Strafrechtelijke verantwoordelijkheid, een beheersbaar ondernemingsrisico, de delegatie in
strafrecht», R. W, 2001-2002, pp. 1009-1026.
(13) Pas., 1965, I, p. 458. Voyez aussi les deux études doctrinales citées à la note précédente.
(14) Droit pénal des affaires, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 91.
243
HENRI-D. BOSLY
SECTION 3
L'IMPUTABILITÉ CONVENTIONNELLE
L'imputabilité conventionnelle est appliquée dans les très rares cas ou la loi
la prévoit (15).
SECTION 4
L'IMPUTABILITÉ JUDICIAIRE
( 15) Ainsi par exemple en matière de déchets, voyez l' article 20 de la loi du 22 juillet 1974 sur
les déchets toxiques (Mon. Ier mars 1975) qui prescrit que les travaux de destruction, de
neutralisation ou d'élimination des déchets toxiques sont placés sous l'autorité d'une personne
responsable désignée par l'employeur.
244
LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES
Mais, depuis la loi du 4 mai 1999 instaurant la responsabilité pénale des per-
sonnes morales, la problématique est changée.
L' imputabilité judiciaire existe lorsque la loi n' a pas désigné l' auteur pénale-
ment punissable ou lorsque Ie juge fait application de la théorie dite de !'ad-
ministrateur de fait.
Dans le premier cas, la loi n' a pas désigné l' auteur à qui l' infraction sera
imputée. En outre, l'imputabilité à !'auteur matériel n'est pas acceptable par-
ce qu'il s'agit d'une infraction d'omission ou parce que cette imputation mé-
connaîtrait gravement la volonté du législateur qui entend situer la responsa-
bilité au sommet del' entreprise et non pas dans le chef de l' agent matériel qui
est un subordonné dépourvu de pouvoir réel.
On connaît également des cas (notamment d' entreprises familiales) dans les-
quels les dirigeants «officiels» de l' entreprise n' ont pas démissionné mais
laissent faire effectivement d'autres membres de leur familie généralement
plus jeunes.
245
HENRI-D. BOSL Y
TITRE 2
LA RESPONSABILITE PENALE DES PERSONNES MORALES
INTRODUCTION
Pendant plus d'un siècle, la doctrine a enseigné que les personnes morales ne
pouvaient pas encourir de peine au sens pénal du terme notamment parce que
n'étant douées ni d'intelligence ni de volonté, elles ne pouvaient pas prendre
conscience de ce que représente la culpabilité pénale et l' amendement du
délinquant.
Le projet de loi fut adopté par Ie Parlement sans rencontrer toutefois l'unani-
mité. D' ailleurs les opinions contrastées se retrouvent également dans la doc-
trine juridique qui a commenté la nouvelle loi (21).
( 17) Le nouveau Code pénal français, entré en vigueur Ie ler mars 1994, admet désormais la
responsabilité pénale des personnes morales pour les infractions prévues spécialement par la
loi. Voyez: H. MATSOPOULOU, «Extension de l'imputabilité des personnes morales», in Dix
ans après la réforme de 1994. Quels repères dans ie Code pénal, Travaux de l'Institut de
Sciences criminelles de Poitiers (s.l.dir. de M. Danti-Juan), Paris, Cujas, 2005, pp. 67-86.
(18) Article 51 du Code pénal tel qu'il a été revu Ie 23 juillet 1976. Voyez: R.C.P. HAEN-
TJENS, «Remarques sur la responsabilité pénale des personnes morales aux Pays-Bas», Rev.
dr. pén. crim., 1986, pp. 851-867.
(19) Deuxième protocole additionnel à la Convention relative à la protection des intérêts fi-
nanciers des Communautés européennes, établi Ie 19 juin 1997 (J.O., C 221/11 du 19 juin
1997); la Convention pénale sur la corruption signée à Strasbourg Ie 4 novembre 1998 (Con-
seil de l'Europe).
(20) J. SPREUTELS, F. ROGGEN et E. ROGER FRANCE, op.cit., p. 57.
(21) Les commentateurs de cette législation nouvelle sont très nombreux; pour en connaître la
liste, il est fait référence aux publications mentionnées dans les ouvrages suivants: C. VAN
.. ./...
246
7
!
SECTION 1
LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA LOi DU 4 MAi 1999 (22)
§ 1. Généralités
La loi du 4 mai 1999 introduit dans le Code pénal des dispositions nouvelles
établissant la règle de la responsabilité pénale des personnes morales.
Puisque ces dispositions sont introduites dans le Code pénal, elles sont appli-
cables aussi bien aux infractions mentionnées dans le Code pénal qu'à celles
qui sont établies par des lois particulières conformément à l' article 100 du
même Code.
Comme on pouvait le prévoir, cette question a fait l' objet de débats au cours
des travaux préparatoires. L'intention des auteurs de la proposition de loi était
de limiter cette responsabilité aux cas ou il existe un lien intrinsèque entre le
fait infractionnel et la personne morale. Par contre, la responsabilité devait
demeurer exclue lorsque des personnes ayant un lien avec la personne morale
n' avaient fait que profiter du cadre juridique ou matériel de celle-ci pour com-
mettre des infractions dans leur propre intérêt ou pour leur compte.
Finalement, Ie nou vel article 5 du Code pénal dispose que la personne morale
est responsable pénalement des infractions «qui sont intrinsèquement liées à
la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou de celles dont les
faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte» .
.. ./ ...
DEN WYNGAERT, op. cit., pp. 128 et 129, note 552; F. TULKENS et M. VAN DE KER-
CHOVE, op.cit., pp. 400 et 401, note 14; J. SPREUTELS, F. ROGGEN et E. ROGER FRAN-
CE, op. cit., pp. 51 et 52; M. NrnouL, La responsabilité pénale des personnes mora/es en
Belgique, Bruxelles, La Charte, 2005, pp. 5-7, note 8.
(22) H.-D. BOSLY et Th. BOSLY, «La responsabilité pénale des personnes morales et Ie nou-
veau droit pénal des sociétés», in Le nouveau Code des sociétés, Bruxelles, Bruylant et Acade-
mia, 1999, pp. 337-347.
247
HENRI-D. BOSL Y
§ 3. Le champ d'application
Selon l'article 5 nouveau du Code pénal, la règle s'applique à toutes les per-
sonnes morales. Sont expressément assimilées à des personnes morales: 1°
les associations momentanées et les associations en participation; 2° les so-
ciétés visées à l'article 2, alinéa 3, des lois coordonnées sur les sociétés com-
merciales, ainsi que les sociétés commerciales en formation; 3° les sociétés
civiles qui n' ont pas pris la forme d'une société commerciale.
Par contre, le même article 5, alinéa 4, exclut de la liste des personnes péna-
lement responsables, de nombreuses entités de droit public: l'Etat fédéral, les
régions, les communautés, les provinces, l'agglomération bruxelloise, les
communes, les zones pluricommunales (23), les organes territoriaux intra-
communaux (24 ), la Commission communautaire française, la Commission
communautaire flamande, la Commission communautaire commune et les
centres publics d'aide sociale.
§ 4. L'élément mora[
Comme indiqué supra dans l' introduction à cette étude, il n' y a pas de res-
ponsabilité pénale si une faute n'a pas été commise. Il doit être ainsi en cas de
responsabilité pénale des personnes morales car il ne s'agit pas d' en faire une
responsabilité objective. En faveur de cette interprétation, on peut lire l'ex-
(23) Ce sont les entités de droit public créées par la loi du 7 décembre 1998 organisant un
service de police intégré, structuré à deux niveaux. Concernant l'organisation de la police
locale, elle est répartie en zones de police composées d'une oude plusieurs communes. Dans
ce dernier cas, la zone pluricommunale est dotée de la personnalité juridique (article 9 de la loi
du 7 décembre 1998 précitée).
(24) Les organes territoriaux intracommunaux ont été ajoutés à la liste à la suite d'un amende-
ment du Sénateur Erdman qui visait l' article 41 de la Constitution prévoyant la possibilité de
créer ces organes.
(25) http://www.arbitrage.be. Pour une analyse critique de eet arrêt, on lira notamment:
M. NIHOUL, «L'immunité pénale des collectivités publiques est-elle «constitutionnellement
correcte?», Rev. dr. pén. crim., 2003, pp. 799-839.
248
LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES
trait suivant des travaux préparatoires: «Il devra être établi soit que la réalisa-
tion de l'infraction découle d'une décision intentionnelle prise au sein de la
personne morale, soit qu' elle résulte, par un lien de causalité déterminé, d'une
négligence au sein de la personne morale. On vise par exemple l'hypothèse
ou une organisation interne déficiente de la personne morale, des mesures de
sécurité insuffisantes ou des restrictions budgétaires déraisonnables ont créé
les conditions qui ont permis la réalisation de l'infraction» (26).
L' article 5, alinéa 2 nouveau du Code pénal entend régler la délicate question
de savoir si une même infraction peut engager la responsabilité de la person-
ne morale pour le compte de laquelle elle a été commise et celle de la person-
ne physique à l'intervention de laquelle elle a été commise.
Lorsque la condition précitée est remplie, la loi instaure deux régimes diffé-
rents: un régime de responsabilité alternative lorsque l'infraction n' est pas
intentionnelle et un cumul possible des responsabilités lorsqu'il s'agit d'une
faute commise sciemment et volontairement.
249
HENRI-D. BOSLY
§ 6. Les peines
250
LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES
responsabilité pénale mais celle-ci porte sur Ie paiement d'une peine pécu-
niaire et non pas des sommes dues à titre de réparation civile. Ce procédé
avait été qualifié de remède indirect à ]'absence de responsabilité pénale des
personnes morales (31 ). A présent, cette responsabilité étant admise, un arti-
cle 50bis a été ajouté dans Ie Code pénal. Il est rédigé comme suit: «Nul ne
peut être tenu civilement responsable d'un paiement d'une amende à laquelle
une autre personne est condamnée, s'il est condamné pour les mêmes faits».
Cette solution est logique: nul ne peut, pour la même infraction, être condam-
né comme auteur de celle-ci et comme civilement responsable du paiement
de l' amende infligée à un autre auteur.
Mais, l'article 14, paragraphe 7 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques dispose que «Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une
infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement
définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays».
Le cumul de sanctions dans le chef d'une même personne n'est pas permis
dès lors que le fait est identique et que l'amende administrative est d'une
nature telle qu' elle doive être considérée comme ayant une fonction répressi-
ve et non pas réparatrice ou compensatoire.
Conformément à l'article ?bis, les peines accessoires qui, selon les infrac-
tions, doivent ou peuvent être prononcées sont la confiscation spéciale (arti-
cles 42 à 43quater du C.P.), la dissolution (article 35 du Code pénal), l'inter-
diction d'exercer une activité relevant de l'objet social (article 36 du Code
pénal), la fermeture d'établissement (article 37 du Code pénal) et la publica-
tion ou la diffusion de la décision (article 37bis du Code pénal).
(31) F. DE RUYCK, «Pour quand la responsabilité pénale des personnes morales en droit
pénal beige?», J, T., 1997, p. 702.
251
HENRI-D. BOSL Y
Il faut en effet éviter que surgisse un conflit d'intérêts entre la personne mo-
rale et la personne physique habilitée à représenter cette personne morale
lorsque toutes les deux sont poursuivies pour la même infraction ou pour une
infraction connexe (32).
C. LA COMPETENCE TERRITORIALE
(32) Pour une analyse critique de la procédure actuelle de désignation du mandataire ad hoc,
voyez: S. COISNE et P. WAETERINCKX, «La sauvegarde des droits de la défense d'une per-
sonne morale, son droit au silence et Ie mandataire ad hoc comme garant de ces droits», in La
re,ponsabilité pénale des personnes morales en Belgique, pp. 335-364; P. W AETERINCKX,
«De strafrechtelijke verantwoordelijkheid van de rechtspersoon», in Strafrecht van nu en straks,
Bruges, Die Keure, 2003, pp. 246-259.
252
1
LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES
La loi précise que si l'une de ces trois mesures conceme des biens immeu-
bles, la procédure de saisie immobilière prévue à l'article 35bis du Code d'ins-
truction criminelle est applicable (article 91, dernier alinéa) (34),
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HENRl-0. BOSL Y
SECTION 2
L' APPLICATION DE CETTE NOUVELLE LOi
L'analyse des décisions judiciaires recueillies peut être résumée ainsi (37):
- dans 90 % des jugements, une personne morale et une (au moins) person-
ne physique ont été poursuivies;
- la grande majorité des personnes morales poursuivies sont des sociétés
commerciales (surtout des sociétés anonymes et des S.P.R.L.);
- près de la moitié des infractions reprochées aux personnes morales pour-
suivies sont relatives au droit pénal du travail et de la sécurité sociale. Les
autres infractions sont, par ordre décroissant, relatives au droit de l' envi-
(36) Actuellement les dispositions législatives relatives au casier judiciaire centra! sont les
articles 589 à 602 du Code d'instruction criminelle et les dispositions relatives à l'effacement
des condamnations et à la réhabilitation en matière pénale sont les articles 619 à 634 du même
Code. Concemant Ie casier judiciaire, voyez: M. FRANCHIMONT A. JACOBS et A. MAS-
SET, op. cit., 2e éd., 2006, pp. 755-763. Concernant l' effacement et la réhabilitation, voyez:
D. V ANDERMEERSCH, Eléments de droit pénal et de procédure pénale, Bruxelles, La Char-
te, 2e éd., 2006, pp. 313-316.
(37) I. HAMER, C. RENARD et W. DE PAUW, «L'analyse statistique des arrêts etjugements
rendus», in La responsabilité pénale des personnes mora/es en Belgique, (s.l.dir. de M. NI-
HOUL), Bruxelles, La Charte, 2005, pp. 277-305.
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LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE ET DES PERSONNES MORALES
Le critère retenu par Ie législateur ne paraît pas très heureux (41), En effet,
nous sommes dans une hypothèse ou une faute est commise par une personne
physique identifiée et cette faute sera la seule à engager la responsabilité de la
personne morale, Comment comparer la gravité de la faute lorsqu' elle peut
entraîner la responsabilité de la personne physique ou lorsqu'elle peut entraî-
ner la responsabilité de la personne morale? Il arrivera bien souvent que la
faute sera en réalité unique. Et s'il y a plusieurs fautes, il ne s'agira pas de
comparer les fautes commises par différentes personnes physiques identi-
fiées.
(38) Les infractions du Code pénal sont des homicides par défaut de prévoyance oude précau-
tion commis dans Ie cadre d'accidents du travail ou des faux en écritures,
(39) I. HAMER, C. REN ARD et W. DE PAUW, «L'analyse statistique des arrêts etjugements
rendus», in La responsahilité pénale des personnes mora/es en Belgique, p. 305.
(40) D. VANDERMEERSCH, Conclusions précédant Cassation, 8 novembre 2006, Rev. dr.
pén. cri m., 2007, n° de janvier.
(41) Le point de vue auquel on se place ici est cel ui del' opportunité de la politique criminelle.
Il diffère évidemment de cel ui qui retient constitutionnellement l'attention de la Cour d'arbi-
trage qui dans un arrêt n° 128/2002 du 10 juillet 2002, a dit que 1' article 5, alinéa 2 du Code
pénal ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il dispose que, lorsque la
responsabilité de la personne morale est engagée exclusivement en raison de l'intervention
d'une personne physique identifiée, seule la personne qui a commis la faute la plus grave peut
être condamnée.
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HENRI-O. BOSL Y
CONCLUSIONS
Lorsque l' auteur matériel de l'infraction n' est pas l' auteur pénalement punis-
sable pour les raisons énoncées ci-dessus, la doctrine, analysant la multitude
des lois particulières ainsi que la jurisprudence, a proposé les notions d'im-
putabilité légale, conventionnelle ou judiciaire. Il s' agit de prendre en
considération aussi bien la complexité de la vie des affaires que le souci per-
manent du droit pénal de cemer au plus près la réalité des choses.
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