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Cours : Droit des biens

Auteur : Marion Girer


Leçon n° 1 : Introduction au droit des biens

Table des matières


Section 1. La notion de biens................................................................................................................. p. 2
§1. Choses et personnes............................................................................................................................................. p. 2
§2. Biens et choses..................................................................................................................................................... .p. 2
Section 2. La notion de patrimoine........................................................................................................ p. 5
§1. La nature du patrimoine......................................................................................................................................... p. 5
§2. Les fondements du patrimoine.............................................................................................................................. .p. 5
A. La personne................................................................................................................................................................................... p. 5
B. La finalité........................................................................................................................................................................................ p. 7
Section 3. Les classifications des biens............................................................................................... p. 8
§1. La classification principale : immeubles et meubles.............................................................................................. p. 8
A. Les immeubles............................................................................................................................................................................... p. 9
1. Les immeubles par nature.......................................................................................................................................................................................... p. 9
2. Les immeubles par destination................................................................................................................................................................................... p. 9
3. Les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent.................................................................................................................................................... p. 12
B. Les meubles................................................................................................................................................................................. p. 12
1. Les meubles par nature............................................................................................................................................................................................ p. 12
a) Les animaux.............................................................................................................................................................................................................p. 12
b) Les choses inanimées............................................................................................................................................................................................. p. 13
2. Les meubles par détermination de la loi.................................................................................................................................................................. p. 15
3. Les meubles par anticipation.................................................................................................................................................................................... p. 15
§2. Les classifications secondaires............................................................................................................................ p. 15
A. Biens corporels et biens incorporels............................................................................................................................................p. 15
B. Biens fongibles (choses de genre) et biens non fongibles (corps certains)................................................................................ p. 17
C. Biens consomptibles et biens non consomptibles....................................................................................................................... p. 17
D. Les biens publics et les biens privés...........................................................................................................................................p. 19
E. Les biens appropriés et les choses non appropriées.................................................................................................................. p. 19

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Le droit des biens est une branche du droit civil qui constitue la base du droit patrimonial (par
opposition au droit extra-patrimonial). Il a des liens par exemple avec le droit patrimonial de la
famille (régimes matrimoniaux, successions…) ou encore avec le droit des affaires et le droit
commercial.

Avant d’examiner ce que sont les biens et quels sont les droits qui portent sur ces biens, il est
nécessaire de définir ce qu’est un bien.
En effet, le droit procède toujours par catégories : il est constitué par un ensemble de concepts,
qui font l’objet d’une classification, ce qui permet de les regrouper au sein de catégories juridiques.
Au sein d’une même catégorie, les situations présentent une nature commune et un régime
identique. Afin de comprendre les différentes règles techniques applicables à la matière, il est au
préalable important de définir clairement ce que sont les notions de bien (Section 1) et de
patrimoine (Section
2) puis d’exposer les différentes classifications des biens (Section 3).

Section 1. La notion de biens


En droit, il n’existe que deux catégories juridiques : les personnes et les choses, ce qui implique
d’étudier la distinction entre choses et personnes (§1) puis entre biens et choses (§2).

§1. Choses et personnes


Il est acquis qu’une personne ne peut pas être une chose ; mais il existe à l’heure actuelle des
difficultés nées d’une certaine patrimonialisation d’éléments du corps humain, qui rend parfois la
distinction complexe.
Exemple
Difficultés liées au statut juridique de l’embryon et du fœtus : est-ce une réification de la personne ? / difficul

Sur un autre plan, la distinction entre choses et personnes pose des difficultés concernant l’animal.
L’animal est traité par le droit civil comme une chose ; mais il s’agit d’une chose particulière, d’un
être sensible qui mérite d’être protégé. Il existe par exemple une incrimination pénale pour les
mauvais traitements sur les animaux.

Remarque
Tout un courant se développe actuellement en faveur de la reconnaissance d’un statut juridique spécifique à

Enfin, le développement des droits de la personnalité, conduisant à une certaine « patrimonialisation


» de la personne elle-même, tend à remettre en question la distinction fondamentale entre
Exemple et choses.
personnes
Le droit au respect de la vie privée a été régulièrement utilisé par les juges afin de protéger certains bie

§2. Biens et choses


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Une autre question, difficile à traiter, se pose sur un plan juridique : les notions de biens et de
choses sont-elles identiques ? Recouvrent-elles exactement la même signification ? Quels sont
les liens entre les biens et les choses ?
Il apparaît que biens et choses ne sont pas synonymes. En effet, il est traditionnellement admis
que seuls peuvent être appelés biens les choses qui peuvent procurer à l’homme une
certaine utilité et qui sont susceptibles d’appropriation privée.
Ainsi, « toutes les choses ne sont pas des biens, même si tous les biens sont des choses ». On ne
retient comme bien, dans l’infinie variété des choses, que ce qui est susceptible d’appropriation
par l’homme. Les choses n’ont d’intérêt juridique qu’en raison des droits dont elles peuvent être
l’objet : c’est alors qu’elles peuvent revêtir l’appellation de biens. Les choses ne deviennent des
biens que si elles peuvent être appropriées, c’est-à-dire si elles sont susceptibles de devenir
objets de droits.

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Exemple
Certaines choses ne sont pas des biens car elles ne peuvent pas appartenir à l’homme, comme le soleil, la

Remarque
Mais parfois certaines parties de ces choses peuvent devenir des biens car elles peuvent être appropriées

Le bien n’existe que s’il peut avoir une valeur patrimoniale, ce qui renvoie à la notion de patrimoine.

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Section 2. La notion de patrimoine
La théorie du patrimoine a été développée en droit français par deux auteurs, Aubry et Rau, à la fin
du 19e siècle. Cette théorie traditionnelle a ensuite connu quelques évolutions, qui imposent
d’étudier d’abord la nature du patrimoine (§1) puis ses fondements (§2).

§1. La nature du patrimoine


Selon Aubry et Rau, « le patrimoine est l’ensemble des biens d’une personne, envisagé comme
formant une universalité de droit (…) ». C’est une universalité de droit, qui comprend tous les
biens présents et futurs de la personne. Il s’agit d’un ensemble de tous les biens et de tous les
rapports de droits qui ont une valeur pécuniaire. Le patrimoine est avant tout un contenant, une
sorte de « coquille » qui peut être pleine ou vide : les biens peuvent fluctuer à l’intérieur de cet
ensemble mais l’universalité demeure.
Par opposition, il existe des universalités de fait, conçues comme un ensemble d’éléments actifs
ayant une destination commune. Elles sont établies par la volonté d’un homme en vue d’un rapport
juridique.
Exemple
Une bibliothèque existe en tant que telle, indépendamment des livres qui, individuellement, la composent

Le patrimoine comprend à la fois un aspect actif, correspondant aux biens que l’on détient et aux
créances que l’on nous doit (c’est l’avoir) ET un aspect passif, lié aux obligations dont on est tenu
à l’égard d’autrui, aux dettes. Cet ensemble forme une universalité de droit : l’actif et le passif sont
indissolublement
Exemple liés puisque le passif répond de l’actif et inversement.
L’ précise que « quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses bie

Cette universalité de droit est susceptible d’avoir plusieurs fondements.

§2. Les fondements du patrimoine


Historiquement, le patrimoine était lié à la personne (A), mais un second fondement est aujourd’hui
invoqué : la finalité (B).

A. La personne
Pour Aubry et Rau, c’est l’unité qui fonde le patrimoine et cette unité, c’est la personne même.
Le patrimoine est une émanation de la personne juridique. Le fondement du patrimoine est la
personne : seule une personne juridique peut détenir un patrimoine.

Jurisprudence
Le lien entre patrimoine et personnalité fait l’objet de discussions, non pas quant au fondement
réel du patrimoine, mais quant à ses liens avec le droit à la protection de la vie privée. Ainsi, la
Cour de cassation énonce, dans un arrêt de la première chambre civile du 20 octobre 1993 (Civ.
1ère, 20 octobre 1993, Bull. civ. I n°295 ; R.T.D.civ. 1994, p.77, obs. J. Hauser ; D. 1994, juris.
p.595, note Y. Picod) que « la publication de renseignements d’ordre purement patrimonial,
exclusifs de toute allusion à la vie et à la personnalité des intéressés, ne porte pas atteinte à
l’intimité de leur vie privée », censurant l’arrêt d’appel qui avait retenu que « la fortune
personnelle est un élément de la vie privée et (…) elle ne peut être portée à la connaissance du
public ».

Dire que le patrimoine est l’émanation de la personne revient à poser deux principes essentiels :

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• tout d’abord, le principe d’inaliénabilité du patrimoine : le patrimoine est indissociable de
la personne, physique ou morale, et ne peut être transmis de son vivant. Le patrimoine est
intransmissible entre vifs, il n’est transmissible qu’à cause de mort, lorsque la personne
juridique n’existe plus. Le patrimoine dure donc aussi longtemps que dure la personne ;

• ensuite, le principe d’indivisibilité ou d’unité du patrimoine : toute personne a


nécessairement un patrimoine (car toute personne juridique est potentiellement apte à être
titulaire de droits et d’obligations) ET une personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine.

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Remarque
Ces règles ont plusieurs conséquences :
puisqu’une personne a un seul patrimoine, si elle désire monter un commerce juridique, elle sera obligée de c
lorsqu’une personne décède, pour que son héritier puisse recueillir le patrimoine, il faut considérer que le

B. La finalité
La théorie classique, considérée comme trop rigide et étroite, a été remise en cause au 20e siècle
par la théorie du patrimoine d’affectation, développée en Allemagne : le patrimoine est un
ensemble de biens affectés à des buts particuliers. La personne n’est plus le support du patrimoine
: une personne peut avoir plusieurs patrimoines et le patrimoine peut être cédé entre vifs.
L’élément fondateur est la finalité, l’affectation des biens. Le patrimoine est lié à sa finalité,
on parle de patrimoine d’affectation.

L’évolution de la société, dans les domaines des échanges et de l’économie, a obligé le législateur
à adopter une voie médiane, permettant de remédier à la rigidité de la théorie classique sans
toutefois entériner complètement la théorie du patrimoine d’affectation. En conséquence, le droit
français a adopté quelques exceptions aux principes de l’unicité et de l’indivisibilité du patrimoine.
Plusieurs exemples de ces « subterfuges du droit français » (selon les termes de N. Reboul-
Maupin,
« Droit des biens », Hypercours Dalloz, 3e éd., 2010, n°32) peuvent être identifiés dans la
Exemple contemporaine.
législation
La fondation, issue de la loi n°87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat, au sein de laquelle

La fiducie, introduite par la loi n°2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie et dont le régime est codifié a

En définitive, quelque soit le fondement retenu, le patrimoine est composé des biens détenus par
une personne. Ces biens font l’objet de diverses classifications qui permettent de préciser le
régime juridique applicable.

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Section 3. Les classifications des biens
Il existe différentes classifications des biens. La distinction principale entre meubles et immeubles
(§1) est complétée par des distinctions complémentaires ou secondaires (§2).

§1. La classification principale : immeubles et meubles

Il s’agit de la summa divisio des biens, la distinction essentielle. L’article 516 c.civ. est très clair sur
ce point : « tous les biens sont meubles ou immeubles ». Ainsi, tous les droits patrimoniaux
sont meubles ou immeubles. C’est une affirmation de principe, péremptoire, qui constitue la
distinction majeure du droit civil en la matière, à tel point qu’elle n’appartient qu’à la loi et non à la
convention des parties.

Jurisprudence
Les parties ne peuvent décider ni d’enlever aux meubles ou aux immeubles leur qualité, ni de
créer de nouvelles catégories : « la nature, immobilière ou mobilière, d’un bien est définie par la
loi et (…) la convention des parties ne peut avoir d’incidence à cet égard » (Civ. 3ème, 26 juin
1991, Bull. civ. III n°197 ; J.C.P. éd. G. 1992, II, 21825, note J.-F. Barbieri ; R.T.D.civ. 1992,
p.144, obs. F. Zénati).

Remarque
Cette rigidité apparente doit cependant être nuancée car si la volonté des parties ne peut pas suffire à elle seu

Jurisprudence
Dans un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 7 avril 1998, la Haute
juridiction réaffirme que « la seule volonté du propriétaire ne pouvait faire perdre aux machines en
cause leur qualité d’immeubles par destination, laquelle, en l’absence d’enlèvement effectivement
réalisé, ne disparaissait qu’après la vente ». Un raisonnement a contrario permet de penser que
si la volonté du propriétaire avait été combinée avec l’acte matériel de séparation du bien de son
fonds, la qualification du bien aurait pu être différente (Civ. 1ère, 7 avril 1998, Bull. civ. I n°143 ;
J.C.P. éd. G. 1998, I, 171, n°1, obs. H. Périnet-Marquet ; D. 1998, somm. p.344, obs. A. Robert).

La distinction entre meubles et immeubles trouve son origine dans le droit romain, qui tenait
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compte du critère de fixité et de stabilité de l’immeuble pour lui accorder une valeur supérieure à
celle du

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meuble, caractérisé par son aptitude physique à se déplacer. On utilisait à cette époque l’adage
suivant : « res mobilis, res vilis » (meuble, chose vile). Le Code civil de 1804 reprendra cette
distinction fondée sur la valeur, mais en la faisant évoluer et en redonnant de l’importance au
critère physique.

La distinction entre meubles et immeubles présente des intérêts majeurs, par exemple en matière
de possession, de publicité, de compétence territoriale des juridictions, de capacité, de saisie…

Cette distinction est critiquée à l’heure actuelle car la frontière entre meubles et immeubles ne
cesse, selon certains auteurs, de s’estomper. Elle est également remise en cause par le
changement des réalités économiques et de l’industrie, qui font que des meubles peuvent avoir
une grande valeur. Mais elle perdure dans le Code civil malgré ses insuffisances et conserve un
rôle important.

Quels sont les critères de distinction entre meubles et immeubles ? La règle est simple : TOUT
CE QUI N’EST PAS IMMEUBLE EST MEUBLE. Cela signifie que la catégorie des meubles est
potentiellement ouverte et illimitée (si un nouveau droit est créé, il entre dans la catégorie des
meubles). En revanche, la catégorie des immeubles est strictement définie et limitée. Il faut définir
ce qu’est un immeuble (A) avant d’étudier la catégorie des meubles (B).

A. Les immeubles
Selon l’article 517 c.civ : « Les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination,
ou par l’objet auquel ils s’appliquent ». Il existe trois catégories strictement limitées d’immeubles :
les immeubles par nature (1), les immeubles par destination (2) et les immeubles par l’objet auquel
ils s’appliquent (3).

1. Les immeubles par nature


Les immeubles par nature sont énumérés dans le Code civil aux articles 518 à 523, à l’exception
de l’article 522.

Le critère principal est le fonds de terre et ce qui s’y incorpore, la fixité, l’immobilité du bien :
ce sont des « portions de territoire ». Selon le Doyen Carbonnier, « ce qui fait l’irréductible nature
de l’immeuble, c’est la terre ». Ainsi, le sol est le bien immeuble par nature par excellence,
accompagné de ce qui y est planté, incorporé ou construit et englobant le sous-sol.
Le Code civil évoque ainsi les bâtiments, les moulins à vent ou à eau fixés sur piliers, les récoltes
pendantes par les racines, les fruits des arbres non encore recueillis…
Exemple
Avant d’être ramassé, un champignon des bois est un immeuble par nature ! Il se transforme en meuble dès

L’article 523 c.civ. ajoute spécifiquement dans la catégorie des immeubles par nature les
immeubles dits par incorporation, inséparables du bâtiment : les tuyaux servant à la conduite
des eaux dans une maison. La jurisprudence a étendu cette catégorie en ajoutant par exemple
les conduites de gaz, les ascenseurs, les canalisations d’électricité…
Dans cette hypothèse, dès que l’incorporation prend fin, le bien devient meuble, il ne peut pas
devenir immeuble par destination.

2. Les immeubles par destination


On nomme immeubles par destination des meubles que la loi répute immeubles parce qu’ils
sont attachés à un fonds par le propriétaire du fonds, pour son service, son exploitation,
son utilité ou son ornement. Ils en deviennent alors l’accessoire et en empruntent la nature,
selon la règle « l’accessoire suit le principal ». Il s’agit d’une fiction juridique, qui tient compte de la
solidarité entre le meuble et l’immeuble.

Les immeubles par destination sont énumérés aux articles 524 et 525 c.civ.
Selon l’article 524 al.1 c.civ., « les animaux et les objets que le propriétaire d’un fonds y a placés
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pour le service et l’exploitation de ce fonds sont immeubles par destination ». L’alinéa 2 énumère

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ensuite les biens dont il peut s’agir : les animaux attachés à la culture, les lapins de garenne, les
ruches à miel…
L’article 525 traite plus spécifiquement des effets mobiliers attachés à perpétuelle demeure : « le
propriétaire est censé avoir attaché à son fonds des effets mobiliers à perpétuelle demeure, quand
ils y sont scellés en plâtre ou à chaux ou à ciment, ou lorsqu’ils ne peuvent être détachés sans être
fracturés et détériorés, ou sans briser ou détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont attachés ».
Il existe deux sortes d’immeubles par destination : les biens affectés au service ou à
l’exploitation d’un fonds et les biens attachés au fonds à perpétuelle demeure.

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Cette qualification par l’accessoire présente une certaine part de fiction mais a un intérêt pratique
évident. Pour qu’un meuble puisse être qualifié d’immeuble par destination, plusieurs conditions
cumulatives doivent être remplies :
• il doit s’agir d’un meuble par nature ;
• le bien principal doit être lui-même un immeuble par nature ;
• le meuble et l’immeuble doivent appartenir au même propriétaire au moment où se
pose la question de leur qualification car la notion d’immeuble par destination est faite
pour donner un sort commun à tout l’ensemble (pour une vente, une saisie…). Il doit y
avoir « unité du maître », c’est-à-dire identité du propriétaire de l’immeuble et des objets
mobiliers (Civ.3e, 5 mars 1980, Bull. civ. III, n°51) ;
• il doit exister un rapport de destination (ou lien de destination) entre le meuble et
l’immeuble : le meuble doit être affecté au service de l’immeuble ou attaché à perpétuelle
demeure. L’utilisation du meuble est complémentaire de celle de l’immeuble.

Jurisprudence
Un célèbre arrêt dit « affaire des fresques de l’église de Casenoves » a été rendu en la matière
par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 15 avril 1988 (Ass. plén., 15 avril 1988, J.C.P.
éd. G. 1988, II, 21066, note J.-F. Barbiéri ; D. 1998, juris. p.325, note J. Maury ; R.T.D.civ. 1989,
p.345, obs. F. Zénati). Sous le visa de l’article 524 du Code civil, la Cour de cassation rappelle
que
« seuls sont immeubles par destination les objets mobiliers que le propriétaire d’un fonds y a
placé pour le service et l’exploitation de ce fonds ou y a attachés à perpétuelle demeure ». Des
fresques qui décoraient l’église désaffectée de Casenoves ont été vendues par deux propriétaires
indivis du bâtiment, sans l’accord des deux autres. Elles ont été détachées des murs par
l’acquéreur. La Cour de cassation en déduit que ces fresques sont devenues des meubles du fait
de leur détachement.

Cette affectation peut être objective et résulter de la loi, soit par l’affectation du meuble au service
ou à l’exploitation du fonds (ex : le tracteur utilisé par l’agriculteur pour l’exploitation de son
champ), soit par l’attache à perpétuelle demeure du bien au fonds (ex : une bibliothèque fabriquée
sur mesure aux dimensions d’un mur et fixée à ce mur). Le Code civil fixe un certain nombre de
présomptions d’attache à perpétuelle demeure, précisées à l’article 525 c.civ.

Jurisprudence
Sur la qualification d’un stock de cognac produit par un domaine agricole et viticole lors du
partage réalisé à la suite d’un divorce : Civ. 1ère, 1er décembre 1976, Bull. civ. I n°382 ; J.C.P.
éd. G. 1977, II, 18735, concl. Gulphe, note A. Dekeuwer ; R.T.D.civ. 1978, p.158, obs. C.
Giverdon).

Cette affectation peut également être subjective et résulter d’une destination conventionnelle
émanant de la volonté des parties, par exemple lors de l’acte de vente de l’immeuble. On parle
alors de destination conventionnelle, qui s’ajoute à la destination légale.

Dans tous les cas, il doit y avoir une réelle union du meuble et de l’immeuble : le meuble doit être
uni à l’immeuble et en accroître ou en améliorer les possibilités d’utilisation. L’objet doit soit être
indispensable à l’exploitation du fonds, soit présenter un lien matériel, une intégration (il y aurait
détérioration si le meuble était séparé de l’immeuble) ou un lien intellectuel (ornement esthétique
intégré à l’immeuble par le biais d’un aménagement spécial).

L’intérêt principal de cette « fiction » d’immobilisation se situe en matière de saisie. En effet, la


saisie sera immobilière : la vente de l’immeuble principal emportera sans autre précision
nécessaire la vente des meubles devenus immeubles par destination. Ils suivent a priori le fonds :
la force attractive est celle de l’immeuble. Cela évite de dissocier un fonds et les biens
indispensables à son exploitation ou les biens attachés à perpétuelle demeure.

Là encore, la volonté des parties ne peut avoir d’incidence sur la qualification d’immeuble par
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destination, sauf si elle est accompagnée d’autres critères.

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Jurisprudence
Civ., 27 juin 1944, J.C.P. 1945, II, 2782, note M. Toujas ; R.T.D.civ. 1945, p.127, obs. H. Solus :
« attendu que la qualité d’immeuble par destination dépend de conditions fixées par la loi et que
la seule volonté du propriétaire, impuissante à créer arbitrairement des immeubles par
destination, ne saurait non plus suffire à leur faire perdre cette qualité s’il n’y a eu soit séparation
effective en l’immeuble par nature et l’immeuble par destination, soit aliénation de l’un ou de
l’autre ».

3. Les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent


Ces immeubles sont définis par l’article 526 c.civ. : « Sont immeubles par l’objet auquel ils
s’appliquent :
• l’usufruit des choses immobilières ;
• les servitudes ou services fonciers ;
• les actions qui tendent à revendiquer un immeuble ».

Il s’agit des droits portant sur l’immeuble, soit pour en jouir en concurrence avec le propriétaire
(usufruit, servitudes : cf. infra dans les démembrements de la propriété), soit pour en revendiquer
la propriété. Ce sont par définition des droits incorporels qui présentent un rapport étroit avec un
immeuble. Ces droits sont eux-mêmes considérés fictivement comme des immeubles.

Cette catégorie comprend les droits réels immobiliers : usufruit de choses immobilières (droit
réel qui confère à son titulaire l’usage et la jouissance de toutes sortes de biens appartenant à
autrui mais à charge d’en conserver la substance), servitudes (charge établie sur un immeuble
pour l’usage, l’utilité d’un autre immeuble appartenant à un autre propriétaire). Il peut également
s’agir du droit d’usage et d’habitation, des droits de superficie, du bail à construction, de
l’hypothèque…
Ce sont également les actions immobilières : action en revendication de l’immeuble, actions
pétitoires (action négatoire de servitude, action hypothécaire…), actions possessoires…

Si le bien étudié n’entre pas dans l’une de ces trois catégories, c’est qu’il doit être qualifié de
meuble.

B. Les meubles
Par définition, le meuble est ce qui est mobile : le critère est la mobilité. Mais il faut aussi
tenir compte de la règle essentielle selon laquelle ce qui n’est pas immeuble est meuble. En ce
sens, il faut faire entrer dans cette catégorie tout ce qui ne peut pas être immeuble : le critère de
mobilité passe parfois au second plan. Selon l’article 527 c.civ., « les biens sont meubles par leur
nature, ou par détermination de la loi ». Il existe deux catégories légales de meubles : les meubles
par nature
(1) et les meubles par détermination de la loi (2). La jurisprudence a ajouté une troisième
catégorie, celle des meubles par anticipation (3).

1. Les meubles par nature


L’article 528 c.civ. précise que « sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent
se transporter d’un lieu à un autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu’ils ne puissent
changer de place que par l’effet d’une force étrangère ».

Dans la rédaction du Code civil issue de 1804, le critère de mobilité avait déjà une place
prépondérante : il permettait de distinguer les choses animées, correspondant aux animaux, et les
choses inanimées. Puis progressivement, même si le critère de mobilité est resté fondamental, il a
été choisi d’établir une distinction au sein même de la mobilité : soit le meuble a une faculté
intrinsèque de se déplacer (ce sont les animaux), soit le meuble n’a qu’une faculté extrinsèque de
se mouvoir, il doit être actionné par une force extérieure (ce sont les choses inanimées).

a) Les animaux
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Les animaux ne sont pas toujours des meubles : il ne faut pas oublier qu’en vertu de l’article 524
c.civ., ils peuvent être des immeubles par destination lorsqu’ils sont attachés au service et à
l’exploitation d’un fonds. Dans tous les autres cas, ils sont traités comme des biens meubles par
nature.

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En savoir plus : Le droit connaît d’importantes évolutions sur ce point
La véritable qualification juridique des animaux est parfois discutée :

• il existe une Charte des droits de l’animal ;


• le décès accidentel d’un animal est parfois assimilé à celui d’une personne lorsque les juges
accordent au propriétaire non seulement une indemnisation du préjudice matériel, lié à la
valeur du bien, mais aussi une indemnisation au titre d’un préjudice qualifié de « moral »
(Civ., 16 janvier 1962, « Lunus » : décès d’un cheval de course). La jurisprudence est même
allée plus loin en reconnaissant que le chien d’un aveugle pouvait constituer une personne
par destination (TGI Lille, 24 mars 1999, D. 1999, juris. p.350, note X. Labbée ; Defrénois
1999, art.37048, note Ph. Malaurie) ;
• certaines juridictions ont statué lors de procédures de divorce sur la garde de l’animal comme
sur la garde d’un enfant (Civ. 1ère, 8 octobre 1980, J.C.P. éd. G. 1981, II, 19536, concl.
Gulphe). Or, il ne devrait pas exister de « garde » d’un meuble, seulement un droit de
propriété, car le droit de garde s’applique uniquement aux personnes et non aux biens. La
jurisprudence s’est toutefois reprise et a précisé qu’il ne s’agissait pas d’une discussion
portant sur un droit de garde, mais d’une question de droit de propriété (CA Paris, 5 juin
1991, J.C.P. éd. G. 1991, IV,
402) ou même d’une question de protection de l’enfant si l’animal de compagnie est un
python (Dijon, 21 janvier 1994, J.C.P. éd. G. 1994, IV, 1701).

A l’opposé, certains textes confirment que l’animal est un bien meuble par nature :

• la loi n°99-5 du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux ou errants a confirmé que les
animaux ont une nature mobilière (c’est elle qui a modifié la rédaction de l’article 528 c.civ.,
qui était inchangée depuis 1804) ;
• une directive européenne du 25 mai 1999 relative aux animaux domestiques, transposée en
droit français par l’ordonnance du 17 février 2005 confirme, au sein du code rural (art. L.213-
1
c. rural) que l’animal est un bien meuble corporel.

Cependant, la discussion n’est pas close. Le 10 mai 2005, un rapport sur le statut juridique de
l’animal a été remis par Mme Suzanne Antoine au Garde des Sceaux, proposant de prendre en
compte la qualité « d’être sensible » de l’animal. Pour la majorité des auteurs, il n’est pas
nécessaire de modifier les catégories existantes. Il suffirait soit d’inclure à l’article 516 c.civ. (qui
précise que tous les biens sont meubles ou immeubles) un alinéa spécifique aux organismes
vivants (v. par ex. N. Reboul-Maupin, « Droit des biens », HyperCours Dalloz, 3e éd., 2010, n°70),
soit de créer un droit des biens spéciaux parallèle à la théorie classique du droit des biens.

À l’heure actuelle, nonobstant ce débat doctrinal, les animaux sont des meubles par nature dans
tous les cas où ils ne sont pas immeubles par destination.

b) Les choses inanimées


Ce sont les « corps qui peuvent être transportés d’un lieu à un autre ». Cette catégorie, très
hétérogène, est décrite aux articles 531 à 534 c.civ. :

• les « meubles meublants » de l’article 534 c.civ. Ce sont ceux qui sont destinés à l’usage
et à l’ornement des appartements, par exemple les tapisseries, lits, sièges, glaces… et autres
objets de cette nature. L’alinéa 2 précise que les tableaux et les statues sont également des
meubles meublants, sauf lorsqu’ils forment des collections qui se trouvent dans des galeries
ou des pièces particulières ;
• les fluides, le gaz, le courant électrique… Il est ainsi possible de reconnaître le vol
d’électricité, ce qui suppose de reconnaître au préalable qu’il s’agit bien d’un meuble (Cass.
crim., 8 janvier 1958, J.C.P. éd. G. 1958, II, 10546, obs. Delpech) ;
• les meubles de l’article 531 c.civ. Il s’agit des engins flottants et des usines non fixées par
des piliers et ne faisant pas partie de la maison (par exemple les moulins, lavoirs, piscines
17
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flottantes). On assimile aux engins flottants les engins volants tels que les aéronefs, avions…
Ces engins font l’objet d’une immatriculation administrative obligatoire, afin de les localiser :

18
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on leur applique un régime particulier de saisie et de publicité, mais ils conservent leur statut
mobilier ;
• les meubles de l’article 532 c.civ. Ce sont « les matériaux provenant de la démolition d’un
édifice, ceux assemblés pour en construire un nouveau » : ils sont meubles jusqu’à ce qu’ils
soient employés par l’ouvrier dans la construction. Mais si la démolition est programmée dans
un avenir certain (par exemple une démolition judiciairement ordonnée), les matériaux, qui
forment encore un immeuble par nature, deviennent des meubles par anticipation.

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2. Les meubles par détermination de la loi
Ils sont désignés aux articles 529 et 530 c.civ. : ce sont des biens qui sont « ameublis » par la loi
et qui constituent des créances, comme les « obligations et actions qui ont pour objet des sommes
exigibles ou des effets mobiliers, les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de
commerce ou d’industrie (…) rentes perpétuelles ou viagères, soit sur l’Etat, soit sur les
particuliers ». Ce sont des biens incorporels, qui constituent des créances portant sur un
meuble. On trouve ainsi les droits et actions portant sur un meuble, les créances de somme
d’argent, les actions et parts sociales, les droits intellectuels tels que les droits d’auteur ou les
fonds de commerce…

3. Les meubles par anticipation


Cette catégorie n’est pas explicitement définie par le Code civil, mais elle résulte de la
jurisprudence qui a créé une catégorie symétrique des immeubles par destination. Les meubles
par anticipation sont encore des immeubles, parce qu’ils sont toujours attachés à la terre,
mais destinés à en être prochainement détachés, moissonnés ou cueillis, coupés ou démolis,
ou extraits de la mine ou de la carrière. En fait, ce sont des immeubles que l’on considère
fictivement comme des meubles, car on tient compte non pas de leur nature actuelle
(immeuble) mais de leur nature future (meuble). On anticipe sur la destination future du bien,
d’où la dénomination de meuble par anticipation. Ce sont des immeubles qui sont traités comme
des meubles, parce qu’ils seront meubles.
Exemple
Les récoltes sur pied, les produits des carrières et des mines, les matériaux provenant de la démolition

Pour que l’immeuble soit considéré comme un meuble par anticipation, trois conditions doivent
être remplies :
• il faut l’intention des parties de séparer le bien du sol ou du bâtiment, autrement dit de
mobiliser l’immeuble et de l’en séparer distinctement du support ;
• il faut démontrer le caractère sérieux et réel de cette intention : la volonté doit être certaine
et non fictive, car elle réaliserait peut-être alors une fraude aux droits des créanciers inscrits
sur l’immeuble. L’intention anticipe une séparation certaine ;
• la séparation devra se faire dans un bref délai, court et déterminé.

Si l’immeuble remplit ces conditions et peut être considéré comme un meuble par anticipation,
alors les opérations juridiques portant sur ce bien suivent la même qualification.
Exemple
La vente d’arbres à abattre est une vente mobilière.

Cette distinction principale entre immeuble et meuble est nécessaire afin de fixer le régime
juridique applicable, mais elle n’est pas suffisante. C’est pourquoi elle doit être complétée par des
classifications secondaires.

§2. Les classifications secondaires


Au-delà de la distinction traditionnelle entre meubles et immeubles, la doctrine a proposé de
multiples
classifications secondaires. Seules les cinq distinctions les plus couramment utilisées en pratique
seront exposées : biens coporels et biens incorporels (A), biens fongibles et biens non fongibles
(B), biens consomptibles et biens non consomptibles (C), biens publics et biens privés (D) et enfin
biens appropriés et choses non appropriées (E).

A. Biens corporels et biens incorporels


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La distinction tient ici à la nature des biens. Historiquement, seuls les biens corporels étaient pris
en compte : les biens incorporels n’étaient pas ignorés mais ils étaient traités très largement à la
marge.

21
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Puis progressivement, la catégorie des biens incorporels a « explosé », avec l’ère du virtuel,
de l’immatériel, la montée en puissance des actions de sociétés, des fonds de commerce,… qui
constituent parfois des biens de grande valeur. Aujourd’hui la distinction tend à acquérir, à côté de
la distinction entre meuble et immeuble, un statut de distinction essentielle. Qu’en est-il en pratique
?
• les biens corporels sont les biens qui peuvent être appréhendés physiquement par
l’homme : on peut les voir, les toucher, les saisir. Ce sont les biens tangibles, qui peuvent
être saisis par l’homme ;

22
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Exemple
Une table, une assiette, un fauteuil…

• les biens incorporels sont nécessairement des créations humaines, qui ne peuvent
être concrètement, physiquement appréhendées. Un bien incorporel n’existe que par le
droit et est lui-même un droit.

Il n’existe que par son utilité économique, acquise grâce aux droits qu’une personne exerce sur
le bien. Concrètement, les biens incorporels sont tous les droits portant sur des biens corporels
(par exemple l’usufruit, l’hypothèque…), les actions en justice et les droits détachés de tout
support matériel, c’est-à-dire les propriétés intellectuelles ou industrielles qui n’ont pas pour objet
une chose physique.
Exemple
Les actions et parts de société, les offices ministériels, les fonds de commerce, les droits sur la clientèle civ

B. Biens fongibles (choses de genre) et biens non fongibles (corps


certains)
La distinction tient là aussi à la nature des biens.

On parle de bien fongible ou de chose de genre lorsque les choses sont équivalentes entre
elles, lorsqu’elles sont interchangeables.
Exemple
On peut indifféremment prendre n’importe quel livre d’une même édition dans une pile à la librairie, ou n’impo

La monnaie est le bien fongible par excellence. Selon l’article 1585 c.civ., les choses de genre sont
celles d’une espèce, non individualisée, qu’il faudra isoler avant de les vendre (les compter, les
peser, les mesurer : une stère de bois, 10 litres d’huile…).

On parle à l’inverse de bien non fongible ou de corps certain lorsque le bien est particulier,
individualisé par sa nature ou par le choix qui est fait.
Exemple
Il s’agit par exemple d’une œuvre d’art, d’un cheval choisi et individualisé par son acheteur…

Mais il est parfois possible de tenir compte de la volonté des parties : elles peuvent rendre
fongibles des choses qui naturellement ne le sont pas, en faisant abstraction de certaines de leurs
qualités. Par exemple, les animaux peuvent être individualisés ou fongibles selon l’intention des
parties.

C. Biens consomptibles et biens non consomptibles


La distinction tient là encore à la nature des biens.

Les biens consomptibles sont ceux qu’on ne peut utiliser qu’en les détruisant,
physiquement ou juridiquement, et qui vont faire l’objet d’un usage unique. Ce sont les biens
périssables.
La destruction peut être physique, comme pour les produits alimentaires, ou juridique : l’argent est
détruit, aliéné par son usage.

Les biens non consomptibles sont ceux qui supportent l’usage, l’utilisation, sans se
détruire, une utilisation répétée même s’ils s’abîment peu à peu et perdent de leur valeur, tels un
23
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appartement ou une voiture. Ce sont les biens persistants.

24
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Une catégorie intermédiaire a progressivement émergé, celle des biens dits de consommation,
qui se dévalorisent par l’usage et la vétusté, sans qu’il y ait une destruction immédiate. Cette
qualité est prise en compte par le droit fiscal, avec la notion d’amortissement. Le Code civil y fait
également allusion à l’article 589 en mentionnant l’usufruit des « choses qui, sans se consommer
de suite, se détériorent peu à peu par l’usage ».

L’intérêt de la distinction réside dans le droit des restitutions : les choses consomptibles, qui
ont été consommées, doivent faire l’objet d’une restitution en valeur, tandis que les choses non
consomptibles, qui ont été prêtées ou louées, pourront être restituées en nature.

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D. Les biens publics et les biens privés
Le critère de distinction est ici l’appropriation des biens. La distinction entre droit privé et droit
public est applicable aux biens, comme le précisent les articles 537 à 542 c.civ. La libre disposition
gouverne les biens appartenant aux personnes privées, tandis que les biens publics, appartenant
à l’Etat, aux collectivités publiques et aux personnes publiques sont en principe indisponibles.

Le domaine public comprend les biens meubles et immeubles affectés à un intérêt général sur
lesquels les personnes publiques ont un droit particulier de propriété. Le critère essentiel est
l’intérêt général, ou une activité d’intérêt général. Les biens du domaine public sont en principe
indisponibles, inaliénables et imprescriptibles. Il s’agit des biens qui font l’objet d’une affectation
actuelle à l’usage public (musées, stations de métro, hôpitaux publics) et des biens qui font l’objet
d’un aménagement pour l’exploitation actuelle d’un service public, comme les voies routières,
voies ferrées, cimetières… (Civ., 7 novembre 1952, S.1952, I, p.173).
Le domaine public comprend le domaine maritime naturel (sol et sous-sol de la mer territoriale,
rivage de la mer…), le domaine fluvial, le domaine aérien, les voies terrestres, les ouvrages
affectés à l’usage public et les biens affectés aux services publics.

E. Les biens appropriés et les choses non appropriées


Là encore le critère est celui de l’appropriation des biens. Seules les choses appropriées
constituent des biens. Les choses non appropriées se divisent en trois catégories, visées sous leur
dénomination latine.

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Les res nullius Les res communes Les res derelictae

Ce sont les choses Choses communes, elles Ce sont des choses qui
qui n’ont jamais été sont à tous et nul ne peut ont été appropriées mais
appropriées mais qui se les approprier, mais qui ne le sont plus car
sont susceptibles d’avoir l’usage en est commun à elles ont été
un propriétaire un jour, tous, en vertu de l’article abandonnées, avec
comme les animaux 714 c.civ. Il s’agit de l’air, de l’intention de s’en séparer
sauvages, les poissons, l’eau de la mer, de la (les détritus). Ce ne sont
l’eau pluviale… Ce sont des lumière, de la chaleur donc pas les choses
choses sans maître, qui solaire… perdues, pour lesquelles
peuvent faire l’objet d’une il n’existe pas d’intention
appropriation dès lors que de les abandonner.
ces choses ne sont pas Certains abandons sont
dans une propriété privée interdits par la loi dans
ou qu’elles ne sont pas l’intérêt public : objets
attribuées à l’Etat. polluants ou dangereux.
L’abandon est alors source
de responsabilité, en
application des règles du
droit de l’environnement.
Conclusion : l’avant-projet de réforme du droit des biens

Avant d’entamer l’étude proprement dite des droits portant sur ces biens, il est important d’examiner rapideme

À l’heure actuelle, ce projet n’a pas encore été adopté mais il est en cours d’étude. Il est donc impératif d’e

Le projet vise à réformer le Livre II du Code civil, intitulé « Les biens ». L’un des objectifs poursuivis a été de p

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Il existe trois grandes lignes directrices :

Simplification et Innovation Cohésion


clarification

Les dispositions actuelles La réforme se veut De nombreuses autres


du droit des biens figurant novatrice sans être réformes ont été adoptées
dans le Code civil datent révolutionnaire. Certaines (droit des sûretés, droit de
pour l’essentiel de 1804 : mesures nouvelles ont été la prescription) ou sont en
style dépassé, redondances, intégrées au Code civil, cours (droit des obligations).
textes obscures ou prenant en compte les Le projet de réforme du droit
obsolètes… Il fallait nécessaires modernisations des biens prend en compte
reprendre l’ensemble des du droit et les textes ont ces réformes afin de garantir
textes, tout remettre à été réécrits afin de supprimer une cohérence des textes
plat et ne conserver, en des termes désuets. Par applicables.
modernisant leur rédaction, exemple, sur la notion de
que les textes qui gardaient patrimoine précédemment
une réelle utilité. Cela aboutit étudiée, un titre 1er a été
à une diminution du nombre intégré au Code civil afin
d’articles alors même que de définir cette notion. La
de nouvelles matières sont définition est contenue dans
traitées. Le contenu et le la proposition d’article 519
sens des textes ont été c.civ. : « le patrimoine d’une
clarifiés pour rendre leur personne est l’universalité de
accès plus facile. droit comprenant l’ensemble
de ses biens et obligations,
présents et à venir,
l’actif répondant au passif.
Toute personne physique
ou morale est titulaire d’un
patrimoine et, sauf si la loi
en dispose autrement, d’un
seul ». Le principe d’unité
du patrimoine est ainsi
réaffirmé tout en laissant
ouverte la possibilité, pour
le législateur, de déroger à
cette règle.

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Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 2 : La propriété individuelle : la notion de droit de propriété
Section 1. Propos introductifs................................................................................................................ p. 2

Table des matières


§1. Distinction entre droits réels et droits personnels.................................................................................................. p. 2
§2. Présentation générale du droit de propriété.......................................................................................................... p. 4
Section 2. Les attributs du droit de propriété....................................................................................... p. 6
§1. Le droit d’user du bien : l’usus.............................................................................................................................. p. 6
§2. Le droit de jouir du bien : le fructus...................................................................................................................... p. 7
§3. Le droit de disposer du bien : l’abusus................................................................................................................p. 10
Section 3. Les caractères du droit de propriété................................................................................. p. 12
§1. Le caractère absolu..............................................................................................................................................p. 12
§2. Le caractère exclusif............................................................................................................................................ p. 12
§3. La vocation à la perpétuité.................................................................................................................................. p. 14
Section 4. L’étendue du droit de propriété..........................................................................................p. 17
§1. L’étendue du droit de propriété sur les meubles................................................................................................. p. 17
§2. L’étendue du droit de propriété sur les immeubles..............................................................................................p. 19
A. La propriété du dessus et du dessous........................................................................................................................................ p. 19
B. Le droit d’accession par incorporation......................................................................................................................................... p. 19
1. L’incorporation naturelle............................................................................................................................................................................................ p. 19
2. L’incorporation artificielle........................................................................................................................................................................................... p. 19

1
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Les biens sont les choses susceptibles d’appropriation : ils peuvent faire l’objet de droits, qui
permettent à la personne d’avoir sur eux un pouvoir direct et immédiat.
Après quelques propos introductifs (Section 1), cette notion de droit de propriété devra être
précisée à travers trois points successifs : quels sont les attributs du droit de propriété ? (Section
2) ; quels sont les caractères du droit de propriété ? (Section 3) ; et enfin quelle est l’étendue
du droit de propriété ? (Section 4).

Section 1. Propos introductifs


Etudier le droit de propriété impose d’exposer au préalable la distinction essentielle entre droits
réels et droits personnels (§1) et de présenter de manière sommaire la notion même de droit de
propriété (§2).

§1. Distinction entre droits réels et droits personnels


Les droits sont divisés en deux catégories principales, les droits réels et les droits personnels
(comme les biens sont d’ailleurs divisés en deux catégories principales : les meubles et les
immeubles). Il s’agit d’une distinction essentielle.

• Le droit réel : il peut être défini comme le droit qui met immédiatement et directement
une personne en relation avec une chose ; il relève du droit des biens. C’est un lien entre
une personne, sujet de droit, et un bien, objet de droit. Le droit réel principal est le droit de
propriété. Le droit réel a un caractère absolu : il est opposable à toute personne, erga omnes
(sous réserve de l’accomplissement de certaines formalités, notamment de publicité). Le
nombre de droits réels est en téhorie défini, limité : seule la loi peut créer et reconnaître de
Remarque
nouveaux droits réels.
La Cour de Cassation adopte une position plus ouverte quant à la délimitation du nombre de droits réels. Ains
°11-16304, D.2012, 2596 : droit réel conférant le bénéfice d'une jouissance spéciale de son bien).

Avant-projet de réforme du droit des biens, proposition d’ : « le droit réel est celui qui confère à une personne

• Le droit personnel : il s’agit du droit qu’a une personne, appelée créancier, d’exiger une
prestation d’une autre personne, appelée débiteur, et qui peut être une obligation de
donner, une obligation de faire ou une obligation de ne pas faire ; il relève du droit des
obligations. C’est donc un droit de créance pour le créancier, une obligation pour le débiteur :
par exemple l’obligation pour le locataire de verser le loyer au bailleur. Le lien est ici noué
entre deux personnes, deux sujets de droit (et non entre une personne et un bien). Le droit
personnel a un caractère relatif : il ne produit d’effets obligatoires qu’à l’égard du débiteur de
la prestation, c’est-à-dire à l’égard d’une personne précise et non à l’égard de tous. Les
droits personnels sont multipliables à l’infini, il n’y a pas besoin de l’intervention de la loi tant
que la prestation respecte l’ordre public et les bonnes mœurs.
Droit réel Droit personnel

Droit traduisant une relation directe Droit traduisant un lien juridique


d'une personne avec un bien. entre deux sujets de droit.

2
UNJF - Tous droits
Remarque
Avant-projet de réforme du droit des biens, proposition d’ : « Le droit personnel est celui du créancier d’une ob

3
UNJF - Tous droits
La distinction entre droit réel et droit personnel est critiquée par la doctrine, depuis le 19e
siècle. De manière très schématique, les principales critiques peuvent se résumer en plusieurs
mouvements :
En savoir plus : Critiques de la distinction
• 1ère critique : PLANIOL, théorie personnaliste ou subjective (fin 19e s) : tous les
droits sont personnels, il n’existe pas de rapport de droit entre une personne et un bien,
seuls deux sujets de droit peuvent nouer un lien juridique. Dès lors, les droits réels ne sont
qu’une variété des droits personnels ;
• 2ème critique : SALEILLES, théorie réaliste ou objective (fin 19e s) : tous les droits
sont réels, soit ils portent sur la valeur des choses (droit réel au sens classique), soit ils
portent sur la valeur de la prestation due par une personne à une autre personne (droit
personnel au sens classique) ;
• 3ème critique : GINOSSAR, nouvelle définition du droit de propriété (1960) : le droit
de propriété n’est pas le pouvoir d’une personne sur un bien mais une relation
d’appartenance, par laquelle un bien appartient à une personne. L’auteur parle de propriété
des créances : on est propriétaire de ce droit personnel à l’égard d’autrui ;
• 4ème critique : F.ZENATI, la propriété n’est pas un droit réel (1981) : la propriété n’est
pas un bien, c’est seulement une technique par laquelle une personne établit un rapport
privatif sur tous les biens lui appartenant.

À l’heure actuelle, certains auteurs proposent de conserver la distinction entre droit réel et droit
personnel mais d’ajouter une troisième catégorie, qui permettrait de tenir compte de situations
intermédiaires : la catégorie des droits intellectuels, comprenant les activités de l’esprit et les
activités professionnelles. Par exemple, le droit d’un auteur sur une œuvre n’est ni vraiment un
droit réel, car c’est un droit moral, ni vraiment un droit personnel, car aucune prestation n’est
exigée d’autrui. Il pourrait alors être qualifié de droit intellectuel.

Malgré ces critiques et propositions nouvelles, la doctrine et la jurisprudence actuelles


maintiennent la distinction classique. Le droit des biens implique l’étude exclusive des droits réels.
Il existe deux sortes de droits réels :
• les droits réels principaux : le droit de propriété et ses démembrements (usufruit, servitudes) ;
• les droits réels accessoires : ce sont les garanties de la créance, les accessoires d’un droit
de créance.
Exemple
Sûretés réelles, hypothèque.

Cette leçon porte uniquement sur le droit réel principal qu’est le droit de propriété, qu’il faut
aborder de manière générale avant d’étudier des points spécifiques.

§2. Présentation générale du droit de propriété


Le droit de propriété est le droit réel le plus complet, c’est le droit réel principal. Il s’agit d’un
pouvoir
souverain et absolu (même s’il est parfois limité), qui appartient à une personne sur un bien. Le
droit de propriété, déjà connu du droit romain, a été affirmé, en ce qui concerne la propriété
individuelle, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Selon l’article 544 c.civ., « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la
plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par la loi ou par les règlements ».

Jurisprudence
Le droit de propriété est un droit fondamental de valeur constitutionnelle (Cons. const., 16 janvier
1982, D.1983, p.169, note L. Hamon ; Civ. 1ère, 4 janvier 1995, Bull. civ. I n°4 ; D. 1995, somm.
p.328, obs. M. Grimaldi ; J.C.P. éd. G. 1996, I, 3921, n°1, obs. H. Périnet-Marquet ; R.T.D.civ.
1996, p.932, obs. F. Zénati).

4
UNJF - Tous droits
Remarque
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 juin 2011 par la Cour de cassation d'une question prioritaire d

Il est une garantie essentielle de la liberté et des droits de l’homme ; dès lors, les limitations
apportées par le législateur ne peuvent être faites que dans l’intérêt général.
Le droit de propriété est également protégé au niveau européen : la Cour européenne des droits
de l’homme a admis qu’en reconnaissant à chacun le droit au respect de ses biens, l’article 1er de
la Convention européenne des droits de l’homme garantit en substance le droit de propriété.
Remarque
Avant-projet de réforme, proposition d’ : « la propriété est le droit exclusif et perpétuel d’user, de jouir et

Cette définition générale du droit de propriété soulève une première question : celle des attributs
du droit de propriété.

5
UNJF - Tous droits
Section 2. Les attributs du droit de propriété
La propriété est un droit inviolable et sacré. Il est défini par l’article 544 c.civ. précité et précisé par
l’article 545 c.civ. : « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité
publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ».

Même si l’article 544 c.civ. ne mentionne que deux attributs, le droit de jouir de la chose et le droit
de disposer de la chose, il existe en réalité trois attributs qui sont réunis entre les mains du
propriétaire : le droit d’usage, l’usus (§1), le droit de jouissance, le fructus (§2) et le droit de
disposition, l’abusus (§3). Ces trois éléments sont réunis que le droit de propriété porte sur un
meuble ou un immeuble, sur un bien corporel ou incorporel.
La proposition d’article 534 c.civ. issu de l’avant-projet de réforme du droit des biens prend en
compte cet oubli et mentionne clairement les trois attributs.

§1. Le droit d’user du bien : l’usus


La première possibilité qui s’offre au propriétaire, c’est de se servir de son bien pour tous les usages
possibles. C’est l’usus, faculté d’utilisation du bien sur lequel porte le droit. Ce droit comporte
deux aspects :

Un aspect positif Un aspect négatif

Le droit de se servir de la chose comme Le droit de ne pas se servir de la chose. Le


le propriétaire l’entend. Le propriétaire a propriétaire a la liberté de laisser la chose
une liberté discrétionnaire pour choisir la à l’abandon (bâtiment inoccupé, champ non
destination de la chose, dans la limite des cultivé), d’autant plus que la propriété ne se
règlements (par exemple je suis propriétaire perd pas par le non-usage car elle a vocation
d’un appartement, je peux choisir de l’occuper à la perpétuité.
moi-même). Parfois, l’usus n’est pas
possible (par exemple sur un bien incorporel)
; parfois, il se confond avec l’abusus lorsque
l’usage conduit à détruire la chose (ex :
chose consomptible).

6
UNJF - Tous droits
Le droit d’usage du bien connaît cependant certaines limites, c’est un droit relatif : il doit respecter
les lois et les règlements. Le propriétaire ne peut pas faire un usage du bien contraire à l’ordre
public ou à l’intérêt de la société. De plus, le droit d’usage peut parfois être restreint, comme par
exemple en cas de réquisition de logements vacants.
Exemple
Pour un exemple d'usage de la force motrice de l'eau faisant obstacle à une action en revendication de la pro

§2. Le droit de jouir du bien : le fructus


Le droit de jouissance est le pouvoir de percevoir les fruits ou les produits du bien car la
propriété s’étend à tout ce que le bien produit naturellement ou par le travail de l’homme. Cette
règle est énoncée par l’article 546 alinéa 1er du c.civ. : « la propriété d’une chose, soit mobilière,
soit immobilière, donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement, soit
naturellement, soit artificiellement ». Le droit introduit une distinction entre les fruits et les produits.

Les fruits sont tout ce que la chose produit à intervalles périodiques, sans destruction de sa
propre substance. L’article 582 c.civ. distingue trois sortes de fruits :

• les fruits naturels : ceux qui proviennent directement de la chose sans intervention de
l’homme, spontanément.
Exemple
Récoltes naturelles des prairies, fruits des arbres fruitiers

• les fruits industriels : ceux qui proviennent de l’industrie ou du travail des hommes.
Exemple
Récoltes des champs, coupes de bois, pêches des étangs…

• les fruits civils : revenus périodiques dus par des tiers auxquels le propriétaire a cédé la
jouissance de la chose moyennant rémunération.
Exemple
Loyers, intérêts des capitaux prêtés…

Les produits sont tout ce qui provient de la chose sans périodicité et qui en altèrent la substance,
comme les matériaux extraits des carrières.

7
UNJF - Tous droits
Exemple
Pierres, sable, etc.

Remarque
Avant-projet de réforme du droit des biens, proposition d’, qui clarifie les définitions :
« sauf lorsque la loi en dispose autrement : les fruits sont ce que génère un bien, périodiquement ou non, spo

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UNJF - Tous droits
Le fructus comporte également 2 aspects :

Un aspect positif Un aspect négatif

C’est le droit de faire fructifier son bien, d’en C’est le droit inverse, celui de ne pas faire
percevoir les fruits et produits et de disposer fructifier le bien ou de ne pas percevoir les
de ces fruits et produits. fruits et produits du bien.

Exemple
Mettre un appartement en location, cultiver
un champ, etc.

En ce qui concerne les immeubles, les articles 547 à 550 c.civ. précisent que tous les fruits et les
produits du bien appartiennent au propriétaire : il s’agit d’un droit d’accession par production, qui
est une conséquence du droit de propriété.

La jurisprudence a développé une nouvelle technique juridique de mise en œuvre du pouvoir de


fructus du propriétaire : il peut mettre obstacle à ce qu’un tiers utilise à des fins lucratives l’image
de son bien. La Cour de cassation s’est interrogée sur le fondement de la protection accordée :
droit de propriété (art.544), protection de la vie privée (art.9) ou responsabilité civile (art.1382) ?

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UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Civ. 1ère, 10 mars 1999, affaire du « café Gondrée », Bull. civ. I n°87 ; G.A.J.C. n°63 ; D. 1999,
juris. p.319, rapp. Sainte-Rose & note Agostini ; somm. p. 247, obs. Tournafond ; J.C.P. éd. G.
1999, II, 10078, note P.-Y. Gautier ; R.T.D.civ. 1999, p.859, obs. F. Zénati : « le propriétaire a
seul le droit d’exploiter son bien, sous quelque forme que ce soit » (…) « l’exploitation du bien
sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire ».

Civ. 1ère, 2 mai 2001, aff. « Assoc. Comité régional de tourisme de Bretagne », J.C.P. éd. G.
2001, II, 10553, note C. Caron ; D. 2001, juris. p.1973, note J.-P. Gridel ; R.T.D.civ. 2001, p.618,
note Th. Revet : pour accueillir la demande d’un propriétaire en interdiction de reproduction de
l’image d’un de ses biens, les juges doivent préciser « en quoi l’exploitation de la photographie
(…) portait un trouble certain au droit d’usage ou de jouissance du propriétaire ».

Ass. plén., 7 mai 2004, J.C.P. éd. G. 2004, II, 10085, note C. Caron ; D. 2004, juris. p.1545, notes
J.-M. Bruguière et E. Dreyer ; D. 2004, somm. p.2406, obs. N. Reboul-Maupin : « le propriétaire
d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; (…) il peut toutefois
s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal
». Ainsi, un propriétaire peut empêcher la diffusion de l’image de son bien, s’il réussit à
prouver que cette utilisation lui cause un trouble anormal.

Civ.1ère, 5 juillet 2005, D. 2006, juris. p.2363 : la Cour de cassation précise la notion de trouble
anormal, en exigeant que le propriétaire prouve que sa tranquillité et son intimité ont été
perturbées.
Remarque
La notion de trouble anormal peut être difficile à définir et à prouver. Un arrêt récent permet d'illustrer ce

§3. Le droit de disposer du bien : l’abusus


C’est le pouvoir le plus caractéristique de l’absolutisme du droit de propriété. Il s’agit du droit de
disposer, matériellement ou juridiquement, du bien. Le propriétaire peut conserver le bien, le
détruire, l’aliéner ou l’abandonner ; il peut le vendre, l’échanger, le donner…

L’abusus comporte aussi 2 aspects :

Un aspect positif Un aspect négatif

Le propriétaire peut faire des actes matériels Le propriétaire peut conserver son bien,
de destruction et des actes juridiques de ne pas le détruire ni l’aliéner, sauf
disposition. exception dans quelques hypothèses
spécifiques (expropriation, destruction forcée
de bâtiments menaçant ruine, abattre un
Exemple animal dangereux…).
Tels qu’une vente, une donation, le choix de
son successeur…

10
UNJF - Tous droits
Il existe des limites assez importantes au droit de disposer de la chose : limites tirées du droit
de l’urbanisme, nécessité d’autorisations administratives, insertion de clauses d’inaliénabilité (par
exemple lors d’une libéralité), ou jugement d’inaliénabilité (par exemple lors d’une procédure
concernant une entreprise en difficulté), ou encore inaliénabilité légale (part successorale).

La réunion de ces trois pouvoirs fait du propriétaire « le monarque en apparence absolu de la


chose, objet de son droit ». Il est en droit de tirer du bien toute l’utilité économique et sociale
qu’il peut virtuellement lui donner.

11
UNJF - Tous droits
Section 3. Les caractères du droit de propriété
Le droit de propriété permet au propriétaire d’avoir la maîtrise de la chose, à travers trois
caractères principaux : le caractère absolu (§1), le caractère exclusif (§2) et la vocation à la
perpétuité (§3).

§1. Le caractère absolu


Ce caractère est énoncé à l’article 544 c.civ. : « la propriété est le droit de jouir et disposer des
choses de la manière la plus absolue (…) ». Le législateur de 1804 a insisté sur ce caractère, par
l’emploi du superlatif, afin de protéger la propriété individuelle et d’éviter le retour au système
féodal combattu lors de la Révolution française. Le propriétaire a un droit souverain sur son bien et
il peut se défendre contre toute atteinte faite par autrui : la simple atteinte est réparable,
indépendamment du préjudice réel.

Mais absolu ne veut pas dire illimité : l’article 544 c.civ. fait référence à ces limites car le
caractère absolu du droit de propriété est soumis à la condition de ne pas en faire « un usage
prohibé par la loi ou les règlements ». Le pouvoir de maîtrise du propriétaire sur la chose n’est pas
sans restrictions : il ne peut faire que les actes matériels ou juridiques qui ne sont pas interdits.

Dans ce contexte, la multiplication des interdictions ou des restrictions imposées soit dans
l’intérêt personnel du propriétaire (régimes de protection des mineurs et des majeurs), soit dans
l’intérêt des tiers (troubles anormaux du voisinage, abus de droit), soit encore pour des raisons
d’utilité publique et d’intérêt général (urbanisme, environnement, droits des locataires), a conduit
une partie de la doctrine à se demander si l’on ne s’acheminait pas vers une réduction de ce
caractère absolu voire même vers un « décès » du droit de propriété. Il est vrai que les limites
apportées au droit de propriété font qu’il est aujourd’hui impossible d’affirmer que ce droit est
réellement un droit absolu. Il faut retenir l’idée générale, liée au caractère absolu, mais rester
conscient de ses limites en raison de la multiplication des restrictions et interdictions.

§2. Le caractère exclusif


Dire que le droit de propriété est un droit exclusif, c’est affirmer le monopole du propriétaire sur
son bien. Le propriétaire est le seul à être investi de droits complets sur la chose ; c’est le
corollaire du caractère absolu. Ainsi, ni les tiers, ni l’Etat ne peuvent user, jouir ou disposer du
bien, sauf si le propriétaire les a autorisés à le faire. Ce caractère est également affirmé au niveau
européen.

Jurisprudence
Cour européenne des droits de l’homme, 29 avril 1999, « Chassagnou et autres c. France », D.
1999, I.R. p.163 ; R.T.D.civ. 1999, p.913, obs. J.-P. Marguenaud ; R.T.D.civ. 2000, p.360, obs.
Th.
Revet ; J.C.P. éd. G. 1999, II, 10172, note J. de Malafosse ; J.C.P. éd. G. 1999, I, 175, n°3, obs.
H. Périnet-Marquet : le propriétaire dispose d’un pouvoir complet et d’un monopole sur la chose.
Dès lors, on ne peut pas imposer aux propriétaires d’une commune de laisser passer les
chasseurs sur leurs terrains.

L’exclusivité du droit de propriété signifie également que le propriétaire pourra se défendre contre
tout empiètement d’autrui sur son terrain, même si cet empiètement est minime.
Exemple
Pour un mur qui dépasse de 0,5 cm sur la propriété d’autrui : Civ. 3ème, 20 mars 2002, D. 2002, juris. p.2075

Jurisprudence
Un propriétaire peut toujours se défendre contre l’empiètement et cette action ne constitue jamais
un abus (Civ. 3ème, 7 novembre 1990, Bull. civ. III n°226) : « la défense du droit de propriété
12
UNJF - Tous droits
contre un empiètement ne saurait dégénérer en abus », même si cet empiètement peut être
qualifié de minime par les juges du fond.

13
UNJF - Tous droits
Les seules restrictions possibles sont soit acceptées par le propriétaire par un contrat, soit issues
de la loi, comme les servitudes, les règles du droit de l’environnement ou de l’urbanisme…

Une partie de la doctrine souhaite relativiser ce caractère exclusif, précisant qu’il ne vaut que pour
la propriété individuelle et entière. En effet, lorsqu’il y a une propriété collective ou un
démembrement de propriété, ce caractère disparaît.

14
UNJF - Tous droits
§3. La vocation à la perpétuité
Il est traditionnel d’affirmer que le droit de propriété est perpétuel. Cette règle n’est pas tout
à fait vraie, c’est pourquoi il est préférable de dire que le droit de propriété a une vocation à
durer perpétuellement, même si parfois ce n’est pas le cas. En effet, ce caractère entraîne trois
conséquences :
• 1ère conséquence : le droit de propriété se transmet aux héritiers : il ne s’éteint pas à la
mort du propriétaire. La propriété a donc un caractère héréditaire et non viager ;
• 2ème conséquence : la propriété est imprescriptible :
Elle ne se perd pas par le non-usage, si prolongé soit-il (Req., 12 juillet 1905). Le caractère
imprescriptible du droit de propriété a fait l’objet d’une consécration légale au sein de l’article 2227
du Code civil, issu de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription. Cette
imprescriptibilité fait exception au droit commun, selon lequel les droits s’éteignent par la
prescription trentenaire : ce caractère distingue le droit de propriété de tous les autres droits
patrimoniaux. La prescription extinctive, qui entraîne une extinction du droit par l’écoulement du
temps, ne s’applique pas au droit de propriété.

Jurisprudence
Civ. 1ère, 2 juin 1993, Bull. civ. I n°197 ; D. 1993, somm. p.306, obs. A. Robert : « la propriété
ne s’éteignant pas par le non-usage, l’action en revendication n’est pas susceptible de
prescription extinctive ». V. également Civ. 3ème, 5 juin 2002, D. 2003, juris. p.1461, note G.
Pillet ; D. 2003, somm. p.2044, obs. N. Reboul-Maupin ; R.T.D.civ. 2003, p.316, obs. Th. Revet ;
J.C.P. éd. G. 2003, I, 117, n°1, obs. H. Périnet-Marquet.

En réalité, cette affirmation doit être nuancée. Ce n’est pas le droit lui-même qui est
imprescriptible, mais l’action en revendication immobilière ouverte au propriétaire qui ne s’éteint
pas au bout de 30 ans. Cependant, cette position jurisprudentielle traditionnelle semble être
remise en question depuis l’adoption de la loi précitée du 17 juin 2008 portant réforme de la
prescription. Si l’article 2227 du Code civil affirme tout d’abord le caractère imprescriptible du droit
de propriété, il poursuit ainsi : « sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent
par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui
permettant de l’exercer ». Dans le même temps, l’article 2224 du même code précise que « les
actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire
d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Désormais, les
actions liées à la propriété immobilière, telles que les actions en revendication de la propriété, les
actions en bornage ou encore les actions en reconnaissance d’un droit réel (servitude, usufruit…),
sont susceptibles d’être prescrites au bout de trente ans, tandis que les actions liées à la propriété
mobilière sont enfermées dans un délai encore plus court de cinq ans. Ces nouvelles règles
suscitent une critique grandissante de la doctrine ; il reviendra aux juges de décider de leurs
applications concrètes, mais une clarification sera en tous les cas nécessaire.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens prévoit non seulement de rappeler le caractère imprescript

De plus, le propriétaire peut se heurter aux droits du possesseur de la chose, potentiellement


bénéficiaire de la prescription acquisitive entraînant la naissance du droit par l’écoulement du
temps. Il peut alors y avoir un conflit, qui peut se résoudre en faveur du possesseur si certaines
conditions sont remplies. Alors le droit de propriété s’éteint au profit du possesseur (cf. leçon 4).

Le caractère imprescriptible peut donc se résumer de la manière suivante : l’inaction, le non-


usage n’empêchent pas la revendication tant qu’un possesseur n’a pas acquis le droit par
prescription. Au non-usage s’ajoute alors le fait du tiers ;
• 3 ème conséquence : la propriété dure autant que la chose et ne se perd que par la
destruction de la chose. Ainsi, des héritiers ont pu revendiquer, plus de trois siècles après,
15
UNJF - Tous droits
la propriété d’écus d’or trouvés par des ouvriers d’un chantier de démolition (Trib. Civ. de la
Seine, 1er juin 1949, affaire du trésor de la rue Mouffetard). Le trésor est, selon l’article 716
c.civ., une chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété. Or,
puisque la propriété ne se perd pas par le non-usage, les héritiers peuvent toujours en
justifier.
Jurisprudence
(Civ. 1ère, 19 décembre 2002, D. 2002, juris. p.550, note Ripert, admettant la preuve par tous
moyens concernant des lingots et pièces d’or retrouvés dans une cuisinière à gaz).

16
UNJF - Tous droits
Il est cependant possible de concevoir des propriétés temporaires : vente à réméré (le contrat de
vente contient une clause par laquelle le vendeur se réserve le droit de racheter la chose dans un
délai maximum de cinq ans, en remboursant à l’acquéreur le prix et les frais) ou vente sous
condition résolutoire. Ces trois caractères confèrent au propriétaire du bien une maîtrise étendue
de ce bien.

17
UNJF - Tous droits
Section 4. L’étendue du droit de propriété
L’étendue du droit de propriété doit être précisée à l’égard des meubles (§1) et des immeubles (§2).

§1. L’étendue du droit de propriété sur les meubles


Pour les meubles, il existe en principe peu de difficultés : l’objet en tant que tel est en général
facilement identifiable et individualisé.
Cependant, certains problèmes peuvent survenir lorsque les meubles sont mélangés, incorporés
l’un à l’autre alors qu’ils appartiennent à deux propriétaires différents. La question est réglée par
les articles 565 et s. c.civ., consacrés au droit d’accession en matière mobilière.
L’article 565 c.civ. précise que « le droit d’accession, quand il a pour objet deux choses mobilières
appartenant à deux maîtres différents, est entièrement subordonné aux principes de l’équité
naturelle
». La référence à l’équité naturelle est assez rare en droit. Les articles suivants distinguent des
hypothèses spécifiques et donnent des exemples au juge.

Quelle est l’hypothèse visée, dans laquelle ces règles relatives au droit d’accession sont appliquées
?
Trois conditions doivent être réunies :

les deux biens mobiliers, appartenant à deux propriétaires différents, doivent s’incorporer ;
cette incorporation ne doit pas résulter d’une convention ;
les règles de l’, relatives à la possession mobilière (cf. leçon 4), ne doivent pas s’appliquer.

Exemple
Il s’agit par exemple de l’hypothèse dans laquelle une personne est propriétaire de pierres précieuses, qu’une

De manière générale, le Code civil distingue trois types d’accession mobilière :

18
UNJF - Tous droits
L’accession par L’accession par L’accession par mélange
adjonction spécification

Prévue aux articles 566 Prévue aux articles 570 à Prévue à l’article 573
à 569 c.civ., elle régit 572 c.civ., elle s’applique c.civ., elle concerne la
l’hypothèse dans laquelle au cas dans lequel une réunion de plusieurs choses
deux choses appartenant personne créée une chose appartenant à des maîtres
à deux maîtres ont été mobilière nouvelle avec différents, pour en former
unies pour former un tout un matériau appartenant une autre, sans que la
mais restent séparables, à autrui, ce qui rejoint séparation soit possible.
comme dans l’hypothèse l’exemple du menuisier Chacun est alors propriétaire
précédemment énoncée des précédemment cité. Alors, du bien, en proportion de
pierres précieuses et du la propriété revient au la quantité, de la qualité et
collier. Dans ce cas, le tout propriétaire du matériel, sauf de la valeur des matières
appartient au propriétaire de si le travail a été plus appartenant à chacun d’eux.
la chose qui forme la partie important, à charge pour le Il s’agit d’un cas de propriété
principale, à charge pour propriétaire de dédommager collective (cf. leçon 8).
lui de payer à l’autre la l’autre.
valeur de la chose qui a été
unie, estimée à la date du
paiement. Pour savoir quelle
est la chose principale, les
critères d’utilité, de valeur ou
de quantité sont mobilisés.

En revanche des précisions importantes sont nécessaires en ce qui concerne les immeubles.

19
UNJF - Tous droits
§2. L’étendue du droit de propriété sur les immeubles
L’article 552 al.1 c.civ. précise que « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du
dessous
» (A). Les articles suivants donnent des précisions à propos de l’incorporation de choses à
l’immeuble en attribuant au propriétaire un droit d’accession sur ces choses (B).

A. La propriété du dessus et du dessous


Le propriétaire peut faire sur son sol toutes les constructions et plantations qu’il souhaite,
sous réserve de respecter l’existence de certaines servitudes foncières (cf. leçon 9) ainsi que les
règles d’urbanisme et les règles du droit de l’environnement.
Exemple
Lorsqu’un arbre fruitier est planté dans le terrain voisin, mais que les fruits tombent sur son propre sol, ils peuv

Il existe cependant une limite à la propriété du dessus : l’espace est un domaine qui résiste à la
propriété individuelle.

Le propriétaire peut légalement creuser son terrain, par exemple pour faire des fouilles, ou
construire une cave, des conduits… sous réserve de respecter les règles spécifiques relatives
aux mines et les règles de police.
Remarque
Avant-projet de réforme du droit des biens, proposition de nouvel : « la propriété du sol emporte, dans les lim

B. Le droit d’accession par incorporation


Le propriétaire du sol est également propriétaire de tout ce qui vient s’unir ou s’incorporer
à la chose, en vertu de la règle « l’accessoire suit le principal » (le principal est ici le sol),
énoncée à l’article 551 c.civ. : « tout ce qui s’unit et s’incorpore à la chose appartient au
propriétaire, selon les règles qui seront ci-après établies ».
Remarque
Avant-projet de réforme du droit des biens, proposition d’ : « tout ce qui s’unit et s’incorpore à une chose c

Le législateur distingue deux types d’accession immobilière par incorporation au sein de l’article
546 c.civ., précité : l’incorporation est soit naturelle (1), soit artificielle (2).

1. L’incorporation naturelle
Le propriétaire du sol devient le propriétaire par accession naturelle de ce qui s’y incorpore ou s’y
dépose. Le Code civil envisage spécifiquement le cas des accroissements de terrains aux articles
556 à 563 c.civ. : les alluvions (dépôts de sédiments, tels que le sable ou des graviers, au bord
d’une rivière ou d’un fleuve), les îles ou îlots qui se forment au milieu d’un cours d’eau… Il faut
également ajouter le cas des animaux sauvages, qui passent et viennent s’installer sur le fonds du
propriétaire, à condition qu’il ne les ait pas attirés frauduleusement (article 564 c.civ.).

2. L’incorporation artificielle
20
UNJF - Tous droits
Ce type d’accession par incorporation résulte du travail de l’homme, qui par exemple construit
une maison, plante des arbres… L’article 553 c.civ. pose alors une présomption simple, qui peut
être renversée par la preuve contraire : « toutes constructions, plantations et ouvrages sur un
terrain ou dans l’intérieur, sont présumés faits par le propriétaire à ses frais et lui appartenir, si
le contraire n’est prouvé (…) ». Ainsi, tout ce qui est construit ou planté est présumé appartenir au
propriétaire du sol. Ce principe ne pose aucune difficulté lorsque le propriétaire a utilisé ses
propres matériaux et a bien construit sur son terrain. Mais deux cas de figure problématiques sont
envisagés par le Code civil : le cas dans lequel le propriétaire du sol a utilisé des matériaux ou des
plants qui appartiennent à autrui (1ère hypothèse) et le cas dans lequel le propriétaire a
construit ou planté sur le terrain d’autrui (2nde hypothèse).

21
UNJF - Tous droits
• 1e hypothèse : propriété du terrain, absence de propriété des matériaux ou des plants :

La difficulté réside ici dans un risque d’enrichissement du propriétaire aux dépens d’autrui. Selon
l’article 554 c.civ., le propriétaire du terrain doit payer la valeur des matériaux à leur propriétaire,
estimée à la date du paiement. Il peut également être condamné à des dommages et intérêts.
Dans tous les cas, le propriétaire des matériaux n’a pas le droit de les enlever : il ne peut pas
demander la démolition de l’ouvrage ou des plantations.
En conséquence, le propriétaire du sol devient propriétaire de la construction et des matériaux, qui
ne lui appartenaient pas. Il importe peu qu’il soit de bonne ou de mauvaise foi, c’est-à-dire qu’il
sache ou non que les matériaux ne lui appartenaient pas. Il ne doit cependant pas s’enrichir au
détriment d’autrui : pour éviter un tel enrichissement, il devra verser une indemnité et
éventuellement des dommages et intérêts, s’il est de mauvaise foi et qu’il a causé un préjudice
au propriétaire des matériaux.

Il existe bien un droit d’accession du propriétaire (on dit que la construction ou la plantation accède
au sol), qui fait naître corrélativement un droit d’indemnisation au profit des propriétaires des
matériaux ou des plants qui ont été utilisés. C’est la « force d’absorption du sol ».

• 2nde hypothèse : absence de propriété du terrain, propriété des matériaux ou des plants
:

Dans cette hypothèse, un tiers a construit ou planté sur le terrain d’autrui (par exemple le mari
construit une maison sur un terrain appartenant à sa femme…). Alors, si l’on faisait jouer la règle
précédente, « la force d’absorption du sol », il faudrait considérer que la construction appartient
à ce tiers sur le terrain duquel on a construit (la maison appartient à la femme), à charge pour
lui d’indemniser le constructeur. Mais cette règle a un inconvénient : le tiers n’a peut-être pas du
tout désiré cette construction et on l’obligerait à indemniser le constructeur même s’il ne veut pas
réellement devenir propriétaire ! Le législateur a donc adopté des règles spécifiques afin de tenter
de concilier les intérêts du propriétaire du sol et les intérêts du constructeur. Ces règles varient
selon que celui qui a construit est de bonne ou de mauvaise foi (en vertu de l’article 550
c.civ., est considéré comme étant de bonne foi celui qui possède comme propriétaire en vertu
d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices).

Le constructeur est de bonne foi Le constructeur est de mauvaise foi


Il faut alors appliquer les alinéas 1 à 3 de
Exemple l’article 555 c.civ. qui exigent de combiner
Le mari pensait que le terrain appartenait à trois principes :
la communauté en vertu d’un titre…).
• le propriétaire du sol n’est pas obligé
de conserver les constructions ou
Dans cette hypothèse, l’article 555 al.4 plantations, il a le choix : il peut soit
c.civ. prévoit que le propriétaire du sol en conserver la propriété, soit obliger le
est obligé d’accéder à la propriété de tiers à les enlever.
la construction ou plantation : il ne peut • si le propriétaire du sol choisit
pas en demander la suppression. Il a alors de conserver la propriété des
l’obligation d’indemniser le constructeur, soit constructions ou plantations, il devra
en lui remboursant le coût des matériaux et alors indemniser le constructeur en
le prix de la main-d’œuvre, soit en lui versant choisissant l’une des deux sommes
une somme égale à la plus-value de son évoquées précédemment, afin d’éviter
fonds du fait de la construction. Dans les un enrichissement sans cause.
deux cas, la sommes due est estimée au • si le propriétaire du sol choisit de
jour du remboursement, compte tenu de l’état faire enlever les constructions ou
dans lequel se trouvent les constructions ou plantations, la destruction se fera aux
plantations à ce jour. En pratique, la somme frais du constructeur sans le versement
la plus faible est toujours proposée par le d’aucune indemnité ; il peut même être
propriétaire du sol. Si le nouveau propriétaire condamné au paiement de dommages
(obligé !) de la construction veut la détruire, il et intérêts.
devra le faire à ses propres frais.

22
UNJF - Tous droits
Pour clore cette question, il est utile de donner quelques précisions sur le domaine et les
modalités d’application de l’article 555 c.civ. :

• 1ère précision : le choix entre les deux indemnités à verser appartient toujours au propriétaire
du sol. Le juge ne peut pas lui imposer un autre choix ; mais si le propriétaire ne se prononce
pas, le juge peut laisser la décision au constructeur ;
Remarque
La Cour de cassation rappelle que lorsque le constructeur est de bonne foi, l'article 555 du Code civil ne prévo

• 2ème précision : l’article 555 c.civ. ne s’applique qu’aux constructions entièrement réalisées
sur le terrain d’autrui et non aux simples empiètements. Ainsi, tout empiètement, aussi
minime soit-il, engendre la destruction, que le constructeur soit de bonne ou de mauvaise
foi. Cette solution radicale, adoptée par la Cour de cassation, est cependant critiquée par une
Remarque
partie de la doctrine, qui propose de s’appuyer sur la théorie de l’abus de droit pour limiter
Dans
le l’avant-projet de réforme
droit de démolition lorsquedu droit des biens,
l’empiètement le groupe
est minime ; de travail a pris position sur la jurispruden

Proposition d’ : « par dérogation aux articles précédents, le propriétaire victime d’un empiètement non inten

• 3e précision : l’article 555 c.civ. ne s’applique qu’aux nouvelles constructions : il ne s’applique


pas aux simples réparations, aménagements ou améliorations de constructions existantes ;
• enfin, 4e précision : il faut déterminer la notion de « tiers » : l’article 555 c.civ. peut-il jouer
entre un locataire et son bailleur ? Le bailleur peut tout à fait autoriser le locataire à faire des
travaux. La Cour de cassation a jugé que cette autorisation n’écarte pas l’application de
l’article 555 c.civ.

Jurisprudence
Une convention entre les parties peut régler le sort de ces constructions : Civ. 3e, 4 avril 2002,
Bull. civ. III n°82 ; D. 2002, somm. p.2507, obs. B. Mallet-Bricout ; R.T.D.civ. 2003, p.114, obs.
Th. Revet ; J.C.P. éd. G. 2003, II, 10122, note M. Keita.

Ce n’est qu’à la fin du bail que le droit d’accession joue au profit du bailleur, mais ce principe tend
à être remis en cause par une partie de la doctrine et la jurisprudence semble divisée (Civ. 3ème,
23
UNJF - Tous droits
10 novembre 2004, J.C.P. éd. G. 2005, II, 10119, note F.Roussel : le bailleur acquiert
immédiatement

24
UNJF - Tous droits
la propriété des constructions faites par le preneur. Contra : Civ.3e, 5 janvier 2012, n°10-26965,
D.2012, 217 ; D. 2012, 2129, obs. B.Mallet-Bricout ; A.J.D.I. 2012, 441, obs. A.Lévy & 504, obs.
N.Damas : pendant la durée de la location, le preneur reste propriétaire des constructions qu'il a
régulièrement édifiées sur le terrain loué. La résiliation anticipée du bail du fait de l'expropriation ne
le prive pas de son droit à indemnité pour ces constructions).

Si le locataire ne bénéficie pas de l’autorisation du propriétaire, il est par principe considéré


comme un constructeur de mauvaise foi car il sait très bien qu’il ne bénéficie pas d’un titre de
propriétaire.

La notion de droit de propriété étant ainsi précisée quant à ses attributs, ses caractères et son
étendue, il faut ensuite en étudier les limites, objet de la leçon III.

25
UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 3 : La propriété individuelle : les limites du droit de propriété

Section 1. Les limites légales................................................................................................................. p. 2


Table des matières
§1. Les limites légales d’utilité publique...................................................................................................................... .p. 2
A. les limitations à la jouissance des biens....................................................................................................................................... p. 2
B. Les limitations à la conservation des biens................................................................................................................................... p. 3
§2. Les limites légales d’utilité privée.......................................................................................................................... p. 3
A. Les servitudes légales de voisinage.............................................................................................................................................. p. 3
B. Le bornage..................................................................................................................................................................................... p. 4
C. La clôture....................................................................................................................................................................................... p. 5
Section 2. Les limites jurisprudentielles................................................................................................p. 7
§1. La théorie de l’abus de droit.................................................................................................................................. p. 7
§2. Les troubles anormaux de voisinage..................................................................................................................... p. 9
A. Les fondements de la théorie...................................................................................................................................................... p. 10
B. Les caractères du trouble anormal de voisinage ....................................................................................................................... p. 11
1. Un trouble causé aux voisins....................................................................................................................................................................................p. 11
2. Un trouble anormal....................................................................................................................................................................................................p. 12
C. La sanction du trouble anormal de voisinage..............................................................................................................................p. 15

1
UNJF - Tous droits
Le droit de propriété est présenté comme un droit absolu, exclusif et ayant une vocation à la
perpétuité. Mais il a été montré que ce droit connaît des limites, des restrictions, qui empêchent
le propriétaire d’avoir une maîtrise totale de la chose. Son pouvoir n’est donc pas absolu et il est
même, selon certains auteurs, de plus en plus réduit.

Concrètement, le droit de propriété reste un droit fort, mais limité. Il faut donc étudier ces limites. Il
est bien évident qu’il existe des limites conventionnelles : le propriétaire peut, par contrat, choisir
de limiter son droit : il loue son bien, il le partage avec d’autres, il le vend… Ces limites relèvent
soit de la propriété collective, qui sera étudiée dans les leçons 6 à 8, soit du droit des contrats
spéciaux et non du droit des biens (exemple : le bail).
Il existe deux autres types de limites : celles posées en vertu de lois ou de règlements, donc légales
(Section 1) et celles « inventées », créées par la jurisprudence dans l’intérêt des voisins (Section
2).

Section 1. Les limites légales


Dès 1804, l’article 544 c.civ. laissait entendre que le droit de propriété pouvait être limité par la loi
ou les règlements. Aujourd’hui, si l’on consulte un manuel de droit de l’urbanisme et de la
construction, on constate l’épanouissement de ce droit au détriment du droit de propriété et la
multiplication des atteintes à ce dernier (environnement, urbanisme, protection du patrimoine
culturel, écologie…).

Remarque
Dans l’avant-projet de réforme du droit des biens, la proposition d’ reprend également cette notion : « … sous

Ces limitations légales peuvent poursuivre deux buts : soit l’intérêt général, ce sont les limites
légales d’utilité publique (§1), soit l’intérêt privé (celui des voisins), ce sont les limites légales
d’utilité privée (§2).

§1. Les limites légales d’utilité publique


Ces limites font céder le droit de propriété, et l’intérêt privé, devant l’intérêt général. Il s’agit de
véritables limitations au droit de la propriété privée, qui concernent soit la jouissance des biens (A),
soit la conservation des biens (B).

A. les limitations à la jouissance des biens


Ces limitations visent à prendre en compte les intérêts économiques, environnementaux, sociaux
ou publics imposés au nom de l’intérêt général. Elles poursuivent, globalement, trois objectifs :

• la protection de l’environnement et la gestion des richesses naturelles


Exemple
Interdire ou imposer telle ou telle culture au niveau européen pour gérer les stocks et régulariser les marchés

• la préservation de l’hygiène et de la santé


Exemple
Des restrictions au droit de construire, d’ouvrir des établissements de santé privés, de semer des organismes

• la protection du patrimoine historique et artistique


2
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Cet objectif permet la réglementation des fouilles archéologiques ou le contrôle des travaux sur
des immeubles classés. Le droit des biens culturels connaît un développement croissant.

3
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B. Les limitations à la conservation des biens
L’article 545 c.civ. affirme que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour
cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ».

Remarque
Une rédaction identique est conservée dans l’avant-projet de réforme du droit des biens.

Le recours à cette cause d’utilité publique a justifié l’émergence de nombreux procédés qui
apportent des limites à la conservation des biens. Il y a en la matière un fort interventionnisme de
l’Etat, qui dispose de diverses voies d’action :

• Expropriation pour cause d’utilité publique : dès lors qu’il existe une cause d’utilité
publique et moyennant une juste et préalable indemnité, calculée par le juge de
l’expropriation, l’Etat et les collectivités publiques peuvent acquérir des biens privés ;
Exemple
Construction d’une autoroute, d’une voie de chemin de fer…

• Nationalisations : l’Etat s’approprie des biens ou des entreprises privées pour des raisons
de politique économique ;

• Réquisitions : l’autorité administrative ou militaire impose à des particuliers certaines


prestations, ou l’usage de certains biens ;
Exemple
Logements laissés vacants.

• Confiscation : l’Etat peut confisquer certains biens à la suite de condamnations pénales ou


fiscales ;

• Droits de préemption : une collectivité publique peut acquérir en priorité un bien que le
propriétaire souhaite céder.

Dans tous les cas, un intérêt général doit exister pour que ces mesures puissent être utilisées.
Mais la loi prévoit également des limites d’utilité privée.

§2. Les limites légales d’utilité privée


Ces limites sont de plusieurs ordres : elles sont soit des servitudes légales de voisinage (1), soit des
obligations réciproques des voisins concernant le bornage (2) et la clôture (3).

A. Les servitudes légales de voisinage


La servitude se définit comme une charge imposée à un fonds au bénéfice d’un autre fonds (cf.
leçon 9). Les servitudes légales d’utilité privée sont strictement définies et encadrées par le Code
civil, aux articles 649 à 685-1. On peut citer par exemple, parmi les servitudes les plus connues :

4
UNJF - Tous droits
Exemple
servitude de passage pour cause d’enclave () : lorsque le propriétaire d’un fonds ne dispose d’aucun accè
distance des plantations : ;
servitude d’égoût des toits : = le toit doit être construit de telle façon que les eaux pluviales s’écoulent sur
vues sur la propriété des voisins : = un voisin ne peut pas, sans le consentement de l’autre, pratique

La loi peut également imposer des obligations réciproques aux voisins, comme le bornage.

B. Le bornage
Le bornage se définit comme la délimitation territoriale de la propriété : il permet de matérialiser
la séparation entre deux fonds. Il n’existe pas de réelle définition donnée par le législateur.

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Remarque
Avant-projet de réforme du droit des biens, proposition de définition du bornage dans l’ : « le bornage est l

Selon l’article 646 c.civ., « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés
contiguës. Le bornage se fait à frais communs ».

Remarque
Au sein de l’avant-projet de réforme du droit des biens, la proposition d’ reprend le même principe mais ajou

Cette obligation disparaît lorsque les fonds sont séparés par une frontière naturelle : rivière, fossé.
Le bornage n’est pas obligatoire en tant que tel ; simplement, dès que le propriétaire d’un fonds le
demande, le propriétaire du fonds contigu doit procéder au bornage : le droit donne alors
naissance à une véritable obligation. Le bornage nécessite impérativement des fonds contigus
(Civ. 3ème, 16 janvier 2002, Bull. civ. III n°8). Les frais sont partagés.

Le bornage peut être amiable (par convention) ou judiciaire. Dans les deux cas, il est seulement
déclaratif : ce n’est pas un acte translatif de propriété, il se contente de fixer la séparation entre
deux fonds ; mais il est définitif. Le bornage ne permet pas de faire la preuve de la propriété
immobilière (Civ. 3ème, 27 novembre 2002, Bull. civ. III n°242 ; D. 2003, somm. p.2405, obs. N.
Reboul-Maupin) et il ne fait pas obstacle à l’action en revendication immobilière (Civ. 3ème, 10
novembre 2009, Bull. civ. III n°249 ; D. 2009, 2806 ; J.C.P. éd. G. 2010, 336, n°6, obs. H. Périnet-
Marquet) (cf. leçon 5).
Remarque
Le procès-verbal signé par une seule des indivisaires, usufruitière du fonds objet de la délimiation, vaut borna
°11-24602, D.2012, 2657.

C. La clôture
La clôture permet la délimitation matérielle de la propriété immobilière. Elle est en principe
facultative, mais elle peut devenir obligatoire en milieu urbain.

Il existe un droit de clôture énoncé à l’art. 647 c.civ. : « tout propriétaire peut clore son héritage »,
sauf exception en cas de servitude légale. La rédaction de ce texte qui parle « d’héritage » montre
l’origine rurale et individualiste de la propriété. Ce droit de clôture ne doit pas être utilisé en vue
de nuire à autrui et ne doit pas constituer un trouble de voisinage (sinon, le juge peut ordonner sa
destruction).

Il existe parfois une obligation de clôture, en milieu urbain, énoncée à l’art.663 c.civ. : « Chacun
peut contraindre son voisin, dans les villes et faubourgs (…) » à se clore. Le texte précise la
hauteur de la clôture, sauf convention, règlements et usages locaux contraires.
En principe, les frais incombent au propriétaire actuel. Mais la clôture peut être édifiée à frais
communs, lorsqu’elle est mitoyenne : elle appartient alors aux deux propriétaires (cf. leçon 7).

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UNJF - Tous droits
Remarque
Avant-projet de réforme du droit des biens, proposition d’ qui reprend ces principes en actualisant leur rédactio

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UNJF - Tous droits
Les limites prévues par le législateur sont nombreuses, mais elles sont parfois insuffisantes pour
régler correctement les conflits entre voisins. C’est pourquoi la jurisprudence a créé de nouvelles
limites à l’usage du droit de propriété.

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UNJF - Tous droits
Section 2. Les limites jurisprudentielles
En-dehors de ces limites textuelles, les juges, poussés par la doctrine, ont développé des théories
qui permettent d’imposer des limites au propriétaire dans l’usage de son droit. Ils ont fait en
sorte de punir « la désinvolture et l’absence d’éducation dans les rapports de voisinage »
(G.Mémeteau,
« Droit des biens », Paradigme, 3e éd., 2005, p.83), ce qui revient à consacrer dans ce domaine
particulier le devoir de respect d’autrui et de bienséance. Le propriétaire sera responsable des
dommages qu’un exercice excessif ou abusif de son droit de propriété peut causer à autrui.

Deux limitations ont été retenues : l’une en vertu de la théorie de l’abus de droit (§1) et la seconde
fondée sur les troubles anormaux de voisinage (§2).

§1. La théorie de l’abus de droit


L’abus de droit pose la question de la fonction sociale de la propriété et de son conflit avec la conception

Une définition célèbre de l’abus de droit a été donnée par Carbonnier : « sous sa forme la plus
générale, la théorie de l’abus de droit revient à dire que l’exercice d’un droit n’est pas permis et
constitue une faute, quand il ne peut avoir d’autre but que de causer à autrui un dommage » (J.
Carbonnier, « Droit civil. Tome 3. Les biens (Monnaie, immeubles, meubles) », 19e éd., Collec.
Thémis, PUF, 2000, n°167).
En théorie, le sujet est titulaire de droits. Il peut les exercer conformément à la loi, mais il
peut aussi les exercer fautivement, en commettant un abus et en nuisant à autrui : il doit
alors réparer le dommage causé par cet abus de droit.
La théorie de l’abus de droit a fait l’objet d’un débat doctrinal important. La jurisprudence ne s’est
pas embarassée de ces polémiques et a depuis longtemps entériné cette théorie.

Même s’il existait déjà des décisions des juges du fond qui appliquaient la théorie de l’abus de
droit, sa réception en jurisprudence par la Cour de cassation date de 1915.
Exemple
Colmar, 2 mai 1855 : sanction du voisin qui construit sur son toit une fausse cheminée, en face et presque co

Jurisprudence
Civ., 3 août 1915, « affaire Clément Bayard », G.A.J.C. n°62 ; D.1917, 1, 79 ; S.1920, I, p.300 :
Clément Bayard était un passionné de ballons dirigeables, qu’il construisait dans son hangar.
Pour les faire décoller, il avait besoin d’un grand espace et il était obligé de les faire passer sur le
terrain de son voisin. Celui-ci a alors construit sur son fonds des socles de bois sur lesquels il a
monté des piquets acérés à la seule fin de crever ces ballons. Clément Bayard a saisi les
tribunaux, faisant valoir que son voisin n’utilisait son droit de propriété que pour lui nuire et que
cette utilisation était anormale. La Cour de cassation a retenu ce raisonnement et a condamné le
voisin. Elle a souligné que le voisin n’utilisait les attributs de son droit de propriété que dans
l’unique but de nuire à un tiers et sans aucune utilité pour sa propriété.

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UNJF - Tous droits
En savoir plus : Reproduction de l’arrêt « Clément Bayard »

Violation des articles 544 et suiv. et 552 du code civil, des règles du droit de propriété, violation par
fausse application des articles 1382 et suiv. du code civil ,violation de l'article 7 de la loi du 20 Avril
1810, défaut de motifs et de base légale,
En ce que d'une part, l'arrêt attaqué a considéré comme un abus du droit de propriété le fait par un
propriétaire de construire sur son terrain une clôture élevée, destinée à empêcher le propriétaire
du fonds voisin de pénétrer chez lui ou de tirer de son fonds un usage quelconque destiné à
rendre sa jouissance plus commode, sous le prétexte que cette construction avait été faite
uniquement dans une intention malveillante, alors qu'un propriétaire a le droit absolu de construire
sur son terrain tels ouvrages de défense ou de clôture qu'il lui plait pour éviter toute incursion sur
son terrain, et qu'il ne peut y avoir abus de droit que si le propriétaire exécute chez lui, sans aucun
profit pour lui même, un acte qui apporte un trouble au propriétaire du fonds voisin restant dans les
limites de sa propriété, ce qui n'était aucunement le cas.
Et en ce que d'autre part, l'arrêt n'a rien répondu à la théorie de droit ainsi formulée dans le
dispositif des conclusions d'appel. PAR CES MOTIFS et tous autres à produire, déduire ou
suppléer, l'exposant conclut à ce qu'il plaise à la Cour de Cassation : Casser l'arrêt attaqué avec
toutes les conséquences de droit. LA COUR :
Sur le moyen de pourvoi pris de la violation des articles 544 et suivants, 552 et suivants du code
civil, des règles du droit de propriété et plus spécialement du droit de clore, violation par fausse
application des articles 1388 et suivants du code civil, violation de l'article 7 de la loi du 20 avril
1810, défaut de motifs et de base légale.
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué que Coquerel a installé sur son terrain attenant à celui de
Clément-Bayard, des carcasses en bois de seize mètres de hauteur surmontées de tiges de fer
pointues ; que le dispositif ne présentait pour l'exploitation du terrain de Coquerel aucune utilité et
n'avait été érigée que dans l'unique but de nuire à Clément-Bayard, sans d'ailleurs, à la hauteur à
laquelle il avait été élevé, constituer au sens de l'article 647 du code civil, la clôture que le
propriétaire est autorisé à construire pour la protection de ses intérêts légitimes ; que, dans cette
situation des faits, l'arrêt a pu apprécier qu'il y avait eu par Coquerel abus de son droit et, d'une
part, le condamner à la réparation du dommage causé à un ballon dirigeable de Clément-Bayard,
d'autre part, ordonner l'enlèvement des tiges de fer surmontant les carcasses en bois.
Attendu que, sans contradiction, l'arrêt a pu refuser la destruction du surplus du dispositif dont la
suppression était également réclamée, par le motif qu'il n'était pas démontré que ce dispositif eût
jusqu'à présent causé du dommage à Clément-Bayard et dût nécessairement lui en causer dans
l'avenir.
Attendu que l'arrêt trouve une base légale dans ces constatations ; que, dûment motivé, il n'a
point, en statuant ainsi qu'il l'a fait, violé ou faussement appliqué les règles de droit ou les textes
visés au moyen.
Par ces motifs, rejette la requête, condamne le demandeur à l'amende.
Ainsi fait jugé et prononcé par la Cour de Cassation, Chambre des Requêtes, en son audience
Jurisprudence
publique du trois août mil neuf cent quinze.
Plusieurs décisions ont ensuite retenu la théorie de l’abus de droit.

Exemple
A propos d’un rideau de fougères placé devant une fenêtre dans l’intention de nuire à son voisin : Civ. 1ère,

10
UNJF - Tous droits
Remarque
Pour une illustration plus récente : un propriétaire a besoin, pour réaliser des travaux sur le toit de sa maison,

La Cour de cassation a précisé que pour qu’il y ait abus de droit, 2 conditions cumulatives
devaient être réunies :

• l’intention de nuire = c’est le critère psychologique ; il faut démontrer la malveillance envers


le voisin, son intention malicieuse ;
• et l’usage du droit sans utilité, qui correspond à un détournement de la finalité du droit, à
l’absence d’intérêt légitime et sérieux.

À l’heure actuelle, la jurisprudence facilite la preuve de l’intention de nuire, qui peut être
difficile à apporter s’agissant d’un critère psychologique : elle déduit l’existence de cette intention
de nuire du caractère nuisible de l’acte et de son absence d’intérêt légitime et sérieux, autrement
dit d’utilité, pour le propriétaire.

L’abus de droit est sanctionné par la mise en jeu de la responsabilité de son auteur,
conformément au droit commun de l’art. 1382 c.civ. : il faut démontrer une faute, un
préjudice et un lien de causalité entre eux. Le propriétaire pourra donc être condamné à une
réparation en nature, comme la destruction des ouvrages gênants et/ou en valeur.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens consacre cette jurisprudence sur l’abus de droit et propose la

L’utilisation de la théorie de l’abus de droit par la jurisprudence s’est parfois révélée insuffisante
pour régler les conflits entre voisins. Les juges ont donc élaboré une autre théorie, celle des
troubles anormaux de voisinage.

§2. Les troubles anormaux de voisinage


La jurisprudence concernant les troubles anormaux de voisinage est propre au droit de la propriété
foncière. Elle ne concerne que les rapports de voisinage et se distingue de l’abus de droit : ici, le
11
UNJF - Tous droits
propriétaire ne fait pas un usage abusif de son droit, mais un usage excessif en pratiquant
une activité licite et possiblement utile. Il ne commet pas nécessairement de faute (il respecte
les règlements relatifs à l’activité) et peut avoir un intérêt légitime à cette activité. Mais cette
activité licite peut être gênante pour ses voisins.
La théorie de l’abus de droit ne pouvait trouver à s’appliquer dans ces hypothèses. C’est pourquoi
la jurisprudence a adopté cette seconde théorie, celle des troubles anormaux de voisinage. Il faut
étudier les fondements de la théorie (A), avant d’examiner les règles relatives à l’évaluation des
caractères des troubles anormaux de voisinage (B) et les sanctions possibles (C).

A. Les fondements de la théorie


L’évolution de la société a conduit à la multiplication des risques, des nuisances sonores ou
encore de la pollution : la théorie des troubles anormaux de voisinage a connu un développement
considérable.

Au départ, cette théorie était fondée sur l’article 1382 c.civ., selon lequel « tout fait quelconque de
l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer
». C’est le principe de la responsabilité délictuelle.

Jurisprudence
Deux arrêts de principe ont été rendus en ce sens : Civ. 3ème, 4 février 1971, Bull. civ. III n°78&80
;
G.A.J.C. n°74-75 ; J.C.P. éd. G. 1971, II, 16781, note R.Lindon : le propriétaire ne peut pas
causer à autrui un « dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage ». La victime
est en droit d’exiger une réparation dès lors que les inconvénients excèdent cette limite.

Mais l’exigence d’une faute aurait rapidement condamné la théorie, dont l’intérêt est justement, à
l’inverse de l’abus du droit de propriété, de pouvoir sanctionner des troubles qui ne sont pas
fautifs.

Jurisprudence
La jurisprudence a donc progressivement abandonné le fondement de l’article 1382 c.civ. et a
posé un principe général du droit selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de
voisinage
» : Civ. 2ème, 19 novembre 1986, Bull. civ. II n°172.

Il s’agit d’une création jurisprudentielle, ce principe général n’est pas inscrit dans la loi. La théorie
des troubles anormaux du voisinage est désormais indépendante du droit commun de la
responsabilité civile, qu’il s’agisse de la responsabilité pour faute, de la responsabilité sans faute
du fait des choses que l’on a sous sa garde ou des personnes dont on doit répondre ou encore de
la responsabilité du fait des produits défectueux.

Jurisprudence
Sur l’indépendance vis-à-vis des autres régimes de responsabilité : Civ. 2ème, 20 juin 1990, Bull.
civ. II n°140.

La Cour de cassation a récemment rappelé que la mise en œuvre de la théorie des troubles
anormaux de voisinage n’était pas conditionnée par l’existence d’une faute : Civ. 2ème, 23
octobre 2003, Bull. civ. II n°318 ; D. 2004, somm. p.2467, obs. B. Mallet-Bricout ; J.C.P. éd. G.
2004, I, 125, note H. Périnet-Marquet : « le droit de propriété, tel que défini par l’article 544 du
code civil et protégé par l’article 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne
des droits de l’homme, est limité par le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble
anormal de voisinage ; (…) cette restriction ne constitue pas une atteinte disproportionnée
au droit protégé par la convention précitée ». Le caractère absolu du droit de propriété est une
fois de plus remis en cause : il peut être limité si cette atteinte est proportionnée.

La doctrine contemporaine n’est pas fixée quant au réel fondement de ce principe selon lequel nul
12
UNJF - Tous droits
ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage : est-ce la responsabilité sans faute fondée
sur la théorie du risque (celui qui tire profit d’une activité dommageable doit réparer les dommages
causés) ? est-ce une obligation légale de voisinage ? est-ce la théorie de la garantie (chacun a
droit à la sécurité et à une certaine qualité de vie) ? est-ce le rattachement au seul droit des biens

13
UNJF - Tous droits
en prenant en compte le rapport entre deux fonds ? La question n’est pas tranchée et continue de
susciter la controverse.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens prend en compte cette création jurisprudentielle et propose d’i

Le principe étant fixé, la jurisprudence a ensuite défini les caractères que devait remplir ce trouble
anormal pour pouvoir être pris en compte et faire l’objet d’une sanction.

B. Les caractères du trouble anormal de voisinage


Pour que la théorie des troubles anormaux de voisinage puisse trouver application, il est
nécessaire de remplir deux critères cumulatifs : il faut identifier un « trouble causé aux voisins » (1)
et il faut que ce trouble ait un caractère anormal, excessif (2).

1. Un trouble causé aux voisins


Le trouble doit nécessairement être causé entre voisins : la théorie des troubles anormaux de
voisinage, comme son nom l’indique, ne concerne que les rapports de voisinage. Mais il y a ici un
problème de périmètre : faut-il interpréter la notion de voisinage de manière restrictive ou large ?

La jurisprudence a progressivement retenu une conception large de la notion de voisinage.


Cela entraîne 3 conséquences :

• 1er conséquence : la théorie s’applique bien évidemment à la protection du voisinage


immédiat dans les rapports entre propriétaires, mais il peut y avoir une protection du
voisinage plus éloigné dès que l’atteinte est certaine : la protection s’étend à toute la zone
touchée par le trouble anormal ;

14
UNJF - Tous droits
• 2ème conséquence : la qualité de l’auteur du trouble est indifférente : il peut s’agir du
propriétaire du fonds, d’un copropriétaire (Civ. 3ème, 20 février 1973, R.T.D.civ. 1974, p.610,
obs. G. Durry), du locataire de l’immeuble (Civ. 2ème, 19 février 2009, Bull. civ. II n°56 ;
J.C.P. éd. G. 2009, II, 10053, note O. Salati) ou encore de l’entrepreneur qui effectue des
travaux sur le fonds du propriétaire voisin (il est alors « voisin occasionnel »). Il peut
également s’agir de l’auteur direct : celui qui fait du bruit, qui pollue…, ou de l’auteur indirect :
par exemple, le propriétaire d’un appartement donné en location peut être condamné à
réparer le dommage résultant d’un trouble de voisinage créé par son locataire, et ce même
s’il a mis en demeure son locataire de cesser les nuisances (Civ. 3ème, 17 avril 1996, Bull.
civ. III n°108 ; J.C.P. éd.
G. 1996, I, 3972, n°7, obs. H. Périnet-Marquet ; R.T.D.civ. 1996, p. 638, obs. P. Jourdain). Le
propriétaire peut de même être condamné solidairement avec l’entrepreneur qui réalise des
travaux sur son fonds (Civ. 3ème, 11 mai 2000, D. 2001, somm. p. 2231, obs. P. Jourdain).
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend cette jurisprudence et l’entérine au sein de la propositi

• 3ème conséquence : la qualité de la victime du trouble est indifférente : la victime peut


être le propriétaire, le locataire ou un simple occupant. La victime peut également être
indirecte : même si le propriétaire ne réside pas sur le fonds, et ne subit donc pas
personnellement les nuisances, il peut agir sur le fondement de la théorie du trouble
anormal de voisinage. La réparation du trouble peut être demandée par toute victime, quel
que soit son titre d’occupation (Civ. 2ème, 17 mars 2005, Bull. civ. II n°73 ; D. 2005, I.R., p.
917).

Les juges exigent également que le trouble dépasse les inconvénients normaux de voisinage. Ils
doivent identifier un trouble anormal : comment le définir ?

2. Un trouble anormal
Il est difficile de cerner ce qu’est un trouble anormal : où commence l’anormalité ? N’importe quelle
nuisance ne suffit pas, il existe des inconvénients normaux de voisinage que tout le monde doit
supporter et subir sans pouvoir en demander réparation. Ce n’est que si le trouble devient anormal
15
UNJF - Tous droits
que le juge peut s’en saisir pour indemniser la victime.

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UNJF - Tous droits
Le principe est que l’appréciation du caractère anormal du trouble relève du pouvoir souverain des juges

La Cour de cassation se contente de vérifier que le dommage anormal est suffisamment


caractérisé mais elle ne peut pas revenir sur l’appréciation des faits eux-mêmes. Les juges du fond
procèdent à une appréciation in concreto : ils prennent en compte les circonstances qui entourent
le trouble, par opposition à l’appréciation in abstracto, selon laquelle le juge apprécie la situation
par rapport à une norme de référence, sans tenir compte des circonstances concrètes.

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UNJF - Tous droits
Pour apprécier le caractère anormal du trouble, les juges utilisent 2 critères cumulatifs :

• un critère de fréquence : les troubles de voisinage supposent une certaine répétition (Civ.
2ème, 5 février 2004, Bull. civ. II n°49, D. 2004, somm. p.2468, obs. N. Reboul-Maupin). Les
exemples sont nombreux : bruit, privation d’ensoleillement, obstruction de la vue, chant d’un
coq… Il doit s’agir de troubles durables, persistants, ou se produisant à intervalles réguliers,
mais pas forcément permanents ;
• un critère de gravité : le trouble doit être suffisamment grave, en tenant compte des
circonstances de temps et de lieu : par exemple, le bruit est-il produit la nuit ou le jour ?
s’agit-il d’un environnement urbain ou rural ? La pollution a-t-elle lieu en zone résidentielle ou
industrielle ? Ces éléments doivent permettre de constater un dépassement de la norme de
tolérance.

Jurisprudence
Une perte d’ensoleillement notable entraînant, selon l’expert, une diminution de la valeur du bien
d’environ 25% est un trouble grave (Civ. 3ème, 14 janvier 2004, Bull. civ. III n°9 ; D. 2004, juris.
p.2410, obs. B. Mallet-Bricout).

En pratique, les faits retenus comme causant des troubles de voisinage sont très divers. De plus
en plus se développe un droit à la qualité de la vie, à la protection de l’environnement, et même
un droit au repos et un droit à l’esthétique environnementale avec la notion de préjudice visuel ou
esthétique, surtout en milieu rural. Il existe également un impératif de protection du paysage, qui
prend une dimension internationale.

La jurisprudence est abondante et parfois pittoresque ! A titre d’illustration, deux arrêts concernant
le bruit émis par des poules ou des coqs peuvent être cités, en raison notamment de l’humour dont
les juges ont fait preuve en la matière…

18
UNJF - Tous droits

Exemple
Exemple contraire : CA Bordeaux, 29 février 1996 = « le chant d’un coq qui s’exerce sans discontinue

Au-delà de l’aspect pittoresque de ces décisions, on voit bien quelles difficultés rencontrent les
juges pour évaluer le caractère normal ou anormal du trouble. Ce n’est que dans le second cas
que ce trouble pourra faire l’objet d’une sanction.

C. La sanction du trouble anormal de voisinage


La réparation du dommage causé par un trouble anormal de voisinage est double :

Réparation en nature Réparation par équivalent

Le juge ordonne des travaux pour réparer Le juge octroie à la victime des dommages
le trouble, la cessation des activités et intérêts, lorsque la réparation en nature
dommageables, voire la démolition de n’est pas possible ou insuffisante. Il ne répare
l’ouvrage. Exemples : travaux d’isolation que ce qui est anormal, au-delà du seuil de
phonique, démolition d’un mur… normalité.

Il existe une cause d’exonération possible spécifique (en plus du cas traditionnel de force
majeure) : la « pré-occupation » ou occupation antérieure. Le trouble est-il anormal lorsque le
voisin victime s’est mis en situation de le subir en venant s’installer à proximité de la source du
dommage ? Pour la jurisprudence, lorsque l’activité potentiellement nuisible s’exerce et se poursuit
conformément aux lois et règlements et qu’elle préexiste à l’installation de la victime, elle ne
constitue pas un trouble anormal de voisinage : celui qui vient s’installer dans une zone créatrice
de nuisances sait à quoi il s’expose.
Exemple
Proximité d’un aéroport, d’une usine bruyante…

Les juges retiennent cependant une appréciation restrictive de la théorie de la pré-occupation (cf.
article L.112-16 du code de la construction et de l’habitation).

19
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Civ. 3ème, 27 avril 2000, Bull. civ. III n°92 : les nuisances provoquées par une scierie qui était
déjà en activité lorsque les nouveaux propriétaires se sont installés à proximité ne constituent
pas un trouble anormal de voisinage.

Remarque
Le Conseil constitutionnel a validé la constitutionnalité de l'article L.112-16 du Code de la construction et de l'h

Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens prend en compte, de manière partielle, cette théorie de la pré-oc

Vers une nouvelle limite : le principe de précaution ?

La jurisprudence semble avoir créé une nouvelle limite au droit de propriété, en utilisant le principe
de précaution.

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UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Civ. 3ème, 3 mars 2010 (Bull. civ. III n°53 ; J.C.P. éd. G. 2010, n°24, p.1229, note D. Tapinos ;
J.C.P. éd. G. 2010, chron.1162, n°9, obs. H. Périnet-Marquet ; D. 2010, p.2186, obs. N. Reboul-
Maupin ; D. 2010, p.706, obs. G. Forest).
L’affaire soumise à la Cour de cassation était la suivante : une personne est propriétaire d’un
terrain riverain d’une source d’eaux minérales naturelles exploitée par une société d’économie
mixte. Elle fait réaliser un forage sur son terrain pour l’arrosage de son jardin. La société qui
exploite la source agit en justice pour obtenir la fermeture du forage. Elle agit sur un double
fondement : l’abus du droit de propriété et la violation du principe de précaution.
Dans son arrêt, la Cour de cassation rejette les deux fondements. Mais sur le plan des principes,
cela signifie qu’elle accepte d’appliquer le fondement de la violation du principe de précaution,
même si c’est ensuite pour le rejeter en pratique, eu égard aux circonstances de l’espèce. Le
principe de précaution est en théorie susceptible de constituer une nouvelle limite au droit de
propriété.
La Cour de cassation rejette l’abus de droit car il n’y a aucune intention de nuire, en l’absence de
dommage causé à l’exploitant.
Elle rejette ensuite le principe de précaution après avoir examiné son application directe à
l’espèce. Pour que ce principe puisse être retenu, quatre conditions doivent être réunies en vertu
de l’article L.110-1, II, 1° du code de l’environnement : un risque de dommage, une incertitude
scientifique pesant sur sa réalisation, la gravité du dommage encouru et le caractère irréversible
du dommage encouru. Or en l’espèce, les juges estiment qu’il n’y avait pas de risque avéré ni
même suspecté car l’expert avait formellement exclu tout risque de pollution des eaux.

L’apport de cet arrêt est le suivant : les juges acceptent désormais de contrôler l’application
du principe de précaution et ce principe pourrait devenir une nouvelle limite importante au
droit de propriété. « Après l’abus et l’excès, c’est le danger potentiel qui viendrait limiter l’usage
du droit de propriété » (N. Reboul-Maupin, note sous Civ.3e, 3 mars 2010, D. 2010, p. 2187). Il
faudra surveiller sur ce point l’évolution de la jurisprudence.

L’étude de la propriété individuelle doit maintenant être poursuivie par l’examen des modes
d’acquisition du droit de propriété, sujet de la leçon n°4.

21
UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 4 : La propriété individuelle : les modes d’acquisition de la propriété

Table des matières


Section 1. L’acquisition de la propriété par un acte juridique.............................................................p. 3
§1. Le principe nemo plus juris................................................................................................................................... . p. 3
A. Le principe......................................................................................................................................................................................p. 3
B. L’exception : la théorie de la propriété apparente......................................................................................................................... p. 3
§2. Le principe du transfert de propriété solo consensus............................................................................................p. 4
A. Le principe......................................................................................................................................................................................p. 4
B. Les limites...................................................................................................................................................................................... p. 5
1. Limites dans les rapports entre les parties au contrat............................................................................................................................................... p. 5
2. Limites dans les rapports avec les tiers au contrat................................................................................................................................................... . p. 6
Section 2. L’acquisition de la propriété par l’effet d’une possession.................................................p. 8
§1. La notion de possession........................................................................................................................................ p. 8
A. Les éléments constitutifs de la possession................................................................................................................................... p. 8
1. L’élément matériel : le corpus.................................................................................................................................................................................... .p. 8
2. L’élément psychologique : l’animus............................................................................................................................................................................ p. 9
B. La distinction entre possession et détention précaire..................................................................................................................p. 10
1. La définition de la détention précaire....................................................................................................................................................................... p. 11
2. Les effets juridiques potentiels de la détention précaire.......................................................................................................................................... p. 11
§2. Les qualités de la possession utile...................................................................................................................... p. 13
A. Une possession continue............................................................................................................................................................. p. 14
B. Une possession paisible.............................................................................................................................................................. p. 15
C. Une possession publique............................................................................................................................................................. p. 15
D. Une possession non équivoque...................................................................................................................................................p. 17
§3. Les effets juridiques de la possession utile......................................................................................................... p. 17
A. L’acquisition de la propriété immobilière : l’usucapion................................................................................................................ p. 17
1. Les conditions de l’usucapion................................................................................................................................................................................... p. 18
a) Les règles propres à chaque prescription...............................................................................................................................................................p. 18
b) Les règles communes aux deux prescriptions........................................................................................................................................................ p. 20
2. Les effets de l’usucapion.......................................................................................................................................................................................... p. 22
a) L’effet principal : l’acquisition de la propriété de l’immeuble...................................................................................................................................p. 22
b) L’effet secondaire : l’acquisition des fruits de l’immeuble....................................................................................................................................... p. 23
B. L’acquisition de la propriété mobilière......................................................................................................................................... p. 23
1. La fonction probatoire (règle de forme).................................................................................................................................................................... p. 23
2. La fonction acquisitive (règle de fond)......................................................................................................................................................................p. 24
a) Le principe .............................................................................................................................................................................................................. p. 24
b) Les exceptions......................................................................................................................................................................................................... p. 25

1
UNJF - Tous droits
Le Code civil consacre un livre entier, le livre 3e, aux « différentes manières dont on acquiert la
propriété ». Ainsi, les articles 711 et 712 c.civ. précisent que la propriété des biens s’acquiert et se
transmet par succession, par donation entre vifs ou testamentaires, par l’effet des obligations, ainsi
que par accession, incorporation et prescription. L’énumération est précise et technique.

L’étude de la succession, de la donation et du testament relève de parties spécifiques du droit civil,


qui ne seront pas envisagées ici (droit des successions et dévolution successorale, droit des
libéralités, etc.). L’incorporation et l’accession ont déjà été abordées, dans les leçons 1 et 2.

Deux modes d’acquisition de la propriété sont encore à examiner : l’acquisition par convention, en
vertu d’un acte juridique (Section 1) et l’acquisition par prescription, liée à la possession du bien
pendant une certaine durée (Section 2).

Avant d’étudier ces deux modes d’acquisition, il faut apporter quelques précisions quant à un
mode d’acquisition originaire de la propriété, lorsque la personne devient propriétaire sans
l’intermédiaire d’un ayant droit, qui est l’occupation. Il est possible d’acquérir la propriété d’une
chose en l’occupant. L’occupation se définit alors comme l’appréhension effective d’une chose qui
n’appartient à personne. Il s’agit d’un cas particulier, lorsque la chose n’est pas ou plus appropriée.
L’occupant prend alors le statut de propriétaire.
Le droit d’occupation ne peut s’appliquer qu’aux meubles, dans 2 hypothèses :

1ère hypothèse : meubles non encore appropriés : il est possible d’acquérir par l’occupation la
propriété des choses sans maître, les res nullius. Cela ne vaut que pour les meubles : il n’existe
pas d’immeuble sans maître. En effet, lorsqu’il n’y a pas de propriétaire, l’immeuble appartient à
l’Etat : on dit que la succession est dévolue à l’Etat. Cette règle vaut aussi pour les meubles qui
font partie d’une succession vacante. Le domaine d’application est donc assez restreint.
Exemple

En pratique, il s’agit le plus souvent des produits de la chasse ou de la pêche. Le chasseur ou le pêcheur acq

2nde hypothèse : meubles ayant cessé d’être appropriés : il est également possible d’acquérir
par l’occupation les meubles qui ont cessé d’être appropriés. Concrètement, cela concerne trois
cas de figure :

• le trésor : meuble caché et oublié, il appartient au propriétaire du sol ou du meuble qui le


renferme, par le droit d’occupation. Cependant, s’il s’agit d’une trouvaille archéologique, elle
appartient à l’Etat, ce qui exclut le droit d’occupation.
• les choses abandonnées (res derelictae) : les choses qui ont été abandonnées
volontairement par leur propriétaire sont acquises par la personne qui les trouve.
• les choses perdues : le droit qualifie d’épaves les choses perdues par le propriétaire et
retrouvées par un tiers. La question qui se pose est de savoir si le propriétaire qui a perdu
son bien, retrouvé par un tiers, peut le récupérer. S’il s’agit d’une épave maritime ou fluviale,
son sort dépend de la réglementation étatique. Pour les autres objets, tout dépend de la
bonne ou mauvaise foi du tiers. On ne devient pas propriétaire au bout d’un an et d’un jour
comme l’affirme la coutume ! Le bien revient effectivement au tiers à l’expiration de ce délai,
mais le véritable propriétaire dispose toujours d’une action en revendication, soit pendant
trois ans si le tiers est de bonne foi, soit pendant trente ans si le tiers est de mauvaise foi (il a
volé la chose par exemple).

Comme indiqué précédemment, deux modes d’acquisition doivent être étudiés : l’acquisition de la
propriété en vertu d’un acte juridique (Section 1) et l’acquisition de la propriété par l’effet d’une
possession (Section 2).

2
UNJF - Tous droits
Section 1. L’acquisition de la propriété par un acte juridique
Il est possible d’acquérir la propriété d’un bien par convention : vente, échange, apport en
société, donation… Cette convention peut être à titre onéreux ou à titre gratuit. Deux règles
s’appliquent dans ce cas de figure : le principe nemo plus juris, en vertu duquel on ne peut pas
transférer plus de droit qu’on en a soi-même (A) et le principe du transfert solo consensus, qui
implique le transfert immédiat de la propriété dès l’échange des consentements (B).

§1. Le principe nemo plus juris


Il n’est possible de transférer par convention que les droits que l’on possède soi-même.

Ainsi, seules les choses aliénables, qui sont dans le commerce juridique, peuvent être acquises
par un acte juridique : c’est le principe (A) ; il existe cependant une exception liée à la théorie
de la propriété apparente (B).

A. Le principe
Seuls les biens faisant partie du commerce juridique peuvent être acquis.

Cependant, certains biens, par principe aliénables, font parfois l’objet d’une clause d’inaliénabilité.
Si le bien est un immeuble, il faudra effectuer des mesures de publicité afin que la clause soit
opposable
Exemple aux tiers.
Une personne consent une libéralité à un enfant, sous condition que le bien soit plus tard transmis par cet enf

B. L’exception : la théorie de la propriété apparente


Cette théorie s’applique dans un cas particulier : une personne estime par erreur qu’elle est
propriétaire d’un bien ; un tiers lui achète ce bien, trompé par cette erreur. Lorsque le véritable
propriétaire s’en rend compte, il revendique son bien entre les mains du tiers qui l’a acquis. Peut-il
obtenir gain de cause et récupérer son bien ? La difficulté est alors de savoir si le droit de propriété
originaire prédomine, ou si le tiers, qui a acquis le bien par convention, peut être considéré comme
le nouveau propriétaire.
Cette hypothèse entraîne l’application du célèbre adage « error communis facit jus » : l’erreur
commune fait le droit. Si cet adage trouve à s’appliquer, le tiers acheteur va disposer d’un véritable
droit à l’encontre du propriétaire originaire, c’est ce que l’on appelle la théorie de la propriété
apparente. C’est une application d’un principe plus général, celui de la sécurité des transactions.

Pour que cet adage soit appliqué, deux conditions cumulatives doivent être réunies :

3
UNJF - Tous droits
L’acquéreur doit être de bonne foi L’erreur doit être commune et invincible

Il faut qu’au moment de l’acquisition, il Il faut une croyance générale que le vendeur
ait réellement cru traiter avec le véritable était le véritable propriétaire. Les juges ne se
propriétaire. Cette bonne foi est présumée : contentent pas d’une croyance individuelle,
c’est au propriétaire originaire de prouver la l’erreur doit être invincible, légitime et
mauvaise foi s’il veut récupérer son bien. partagée entre le vendeur lui-même et
l’acheteur.

Exemple
Civ. 1ère, 1er avril 1963 : une personne reçoit un immeuble en donation. Pour garantir un prêt, elle concède u

Un second principe doit être appliqué lors de l’acquisition de la propriété par un acte juridique : le
principe du transfert de propriété solo consensus.

§2. Le principe du transfert de propriété solo consensus


Là encore, il existe un principe (A) et des limites (B).

A. Le principe
Le principe est celui d’instantanéité du transfert de propriété : par le seul échange des consentements, il y a tr

4
UNJF - Tous droits
Remarque
Cette règle n’a pas toujours existé en droit français. À l’origine, l’échange des consentements n’était pas suffis
Ce sont les rédacteurs du Code civil qui ont adopté cette règle en 1804 et qui l’ont intégrée à l’art. 1138 : « l’o

La question qui se pose alors est de savoir sur qui pèsent les risques, car le principe est que
les risques sont transférés en même temps que la propriété. En effet, selon l’article 1138 al.2
c.civ., l’obligation de livrer la chose « rend le propriétaire créancier et met la chose à ses risques
dès l’instant où elle a dû être livrée, encore que la tradition n’en ait point été faite, à moins que le
débiteur ne soit en demeure de la livrer ; auquel cas la chose reste aux risques de ce dernier ». La
« tradition », issue de l’Ancien droit, désigne la remise de la chose qui fait l’objet du contrat.
Exemple
En matière de vente, l’article 1583 c. civ. précise que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété es

Cette règle soulève de nombreuses difficultés, notamment parce que l’acheteur supporte le risque
de détérioration, de destruction ou de perte de la chose. De plus, c’est l’acheteur qui sera
responsable si la chose a causé un dommage, alors même qu’elle ne lui a pas encore été livrée.
D’où l’existence de nombreux tempéraments à ce principe d’instantanéité du transfert.

B. Les limites
Il existe deux types de limites au transfert de propriété solo consensus : tout d’abord, des limites
qui jouent dans les rapports entre les parties au contrat (1), ensuite, des limites qui jouent dans les
rapports avec les tiers au contrat (2).

1. Limites dans les rapports entre les parties au contrat


Ces limites sont de deux ordres : elles découlent soit de la nature du bien, soit de la volonté des
parties.

• 1er type de limite : les limites tenant à la nature du bien :

Lorsque la vente porte sur une chose fongible, c’est-à-dire sur une chose interchangeable, qui
peut indifféremment se remplacer par une autre, le transfert de propriété n’est plus immédiat mais
il est retardé jusqu’à l’individualisation de la chose. Il faut que la chose soit identifiée, spécifiée,
isolée de l’ensemble. Cela vaut pour tout ce qui concerne « les ventes à la mesure » (au poids…)
et pour les choses qu’il est d’usage de goûter avant de les acquérir (huile, vin… art. 1587 c.civ.).

Il existe un autre cas particulier dans lequel la nature de la chose est à prendre en compte : c’est le
cas de la vente d’immeubles à construire. Il peut s’agir :
• soit d’une « vente à terme », auquel cas le transfert de propriété a lieu seulement lors de
l’achèvement des travaux de l’immeuble, avec un effet rétroactif au jour du contrat ;
• soit d’une « vente en l’état futur d’achèvement », qui opère un transfert immédiat de la
propriété du sol et des constructions existantes puis un transfert progressif des constructions
au fur et à mesure de leur réalisation.

• 2nd type de limite : les limites tenant à la volonté des parties :

Il est toujours possible pour les parties de prévoir des clauses qui permettent de retarder le
transfert de propriété, par exemple à la livraison de la chose, ou de prévoir un transfert de
propriété sous condition. Il existe en ce domaine deux types principaux de clauses :
5
UNJF - Tous droits
Les clauses de réitération Les clauses de réserve de propriété

Valables en matière immobilière, elles Elles s’analysent comme une condition


retardent le transfert de propriété de suspensive du paiement du prix : le vendeur
l’immeuble au moment de la signature de livre la chose mais en retient la propriété
l’acte notarié. jusqu’au paiement complet du prix.

Il existe également des limites dans les rapports avec les tiers au contrat.

2. Limites dans les rapports avec les tiers au contrat


Il s’agit ici d’assurer le principe de sécurité juridique des transactions. Il est en effet nécessaire
d’informer les tiers de la transmission de la propriété. Cette obligation d’information est différente
selon la nature du bien, immeuble ou meuble :

6
UNJF - Tous droits
En matière immobilière En matière mobilière

Il existe une obligation de publicité foncière : Il n’existe aucune formalité obligatoire de


la cession de l’immeuble est parfaite entre les publicité : il n’y a aucun moyen, pour les
tiers, parties dès la signature de l’acte de vente de connaître l’existence d’une
première vente. mais elle ne sera opposable aux tiers que Pour remplacer cette absence
de formalité, lorsqu’elle aura été publiée à la conservation il faut prendre en compte la
possession du des hypothèques. Autrement dit, tant qu’il n’y meuble. Ainsi, selon l’article
1141 c.civ., « si a pas eu publicité, les tiers peuvent considérer la chose qu’on s’est obligé de
donner ou de que la vente n’a pas eu lieu. livrer à deux personnes successivement est
purement mobilière, celle des deux qui en a
été mise en possession réelle est préférée et
Exemple en demeure propriétaire, encore que son
titre Imaginons la vente successive d’un même soit postérieur en date, pourvu toutefois
que immeuble à deux personnes différentes : qui la possession soit de bonne foi ».
détient réellement la propriété ? En principe,
la deuxième vente ne devrait avoir aucune Autrement dit, c’est celui qui possède
valeur juridique, en application du principe effectivement la chose qui en reste le
nemo plus juris (car le vendeur ne détenait propriétaire, même si par exemple son contrat
plus les droits sur le bien) et du principe de vente est postérieur à celui du premier
d’instantanéité du transfert. Mais si le second acquéreur. Il faut, bien évidemment, que le
acquéreur publie l’acte à la conservation des possesseur de la chose soit de bonne foi et
hypothèques, il est considéré comme un tiers que les deux personnes aient acquis la
chose à la première vente : si la publicité n’a pas auprès du même vendeur.
été faite lors de cette première vente, elle lui
est inopposable. La priorité sera donnée à
celui qui a le premier effectué les formalités
de publicité foncière, et non pas à celui qui
a acquis l’immeuble le premier, sauf en cas
de fraude prouvée.

Ce mode d’acquisition par acte juridique soulève en pratique peu de difficultés, excepté dans les
quelques hypothèses indiquées précédemment. En revanche, l’acquisition de la propriété par
l’effet d’une possession est souvent plus complexe.

7
UNJF - Tous droits
Section 2. L’acquisition de la propriété par l’effet d’une
possession
La possession occupe une place considérable en droit des biens car elle a de nombreuses
conséquences juridiques. Elle conserve d’ailleurs cette importance dans l’avant-projet de réforme
du droit des biens. C’est pourquoi il faut dans un premier temps définir ce qu’est la possession, ce
qui n’est pas toujours aisé (§1), avant d’en étudier les qualités nécessaires pour qu’elle soit dite
utile (§2) puis les effets juridiques lorsqu’il s’agit effectivement d’une possession utile (§3).

§1. La notion de possession


La possession est un pouvoir de fait sur un bien.

La possession est une relation de fait entre une personne et un bien, tandis que la propriété est
une véritable relation de droit entre une personne et un bien. La personne se comporte comme si
elle était propriétaire du bien alors que, en réalité, juridiquement, elle ne l’est pas.
Remarque
Souvent, le fait et le droit se rejoignent : le possesseur est aussi le propriétaire du bien. Mais ce n’est pas to

De manière générale, la possession peut être définie comme la « maîtrise de fait exercée sur
une chose corporelle et correspondant, dans l’intention du possesseur, à l’exercice d’un droit
réel » (Lexique des termes juridiques, Dalloz, V° « possession »). Le législateur a donné une
définition de la possession au sein de l’article 2255 c.civ. : « la possession est la détention ou la
jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou
par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom ». Face à l’imprécision de la notion, la
doctrine a proposé plusieurs définitions de la possession, dont l’avant-projet de réforme du droit
des biens tente de faire la synthèse.

La notion de possession peut être précisée à travers la présentation de ses éléments constitutifs
(A) mais également en la distinguant de ce qu’elle n’est pas, la détention précaire (B).

A. Les éléments constitutifs de la possession


Pour que la possession soit reconnue juridiquement et qu’elle soit susceptible de produire des
effets juridiques, sous conditions, deux éléments constitutifs doivent être réunis : un élément
matériel, le corpus (1) et un élément psychologique, l’animus (2). Ces deux éléments sont
cumulatifs.

1. L’élément matériel : le corpus


Le corpus constitue l’élément matériel, objectif, de la possession : il s’agit, selon l’article 2255
c.civ., de la détention ou de la jouissance d’une chose ou d’un droit. C’est l’exercice de fait des
prérogatives correspondant au droit. Concernant le droit de propriété, il s’agit de la maîtrise de la
chose : le corpus est le fait de se comporter comme le propriétaire, d’exercer sur la chose l’usus,
le fructus et l’abusus.
Exemple
Utiliser la chose, payer les impôts afférents à cette chose, recueillir les fruits de la chose, etc.

8
UNJF - Tous droits
Comme l’affirme le Code civil, il faut effectuer soit des actes de détention (exemple : habiter un
appartement), soit des actes de jouissance (exemple : recueillir les loyers d’un appartement).

Jurisprudence
La Cour de cassation impose de relever l’existence d’actes matériels de possession. (Civ. 3ème
30 juin 1999, Bull. civ. III n°159 ; J.C.P. éd. G. 2000, II, 10399, note L. Celerien & I, 211, n°2, obs.
H. Périnet-Marquet. V. aussi Civ.3e, 4 mai 2011, n°09-10831, J.C.P. éd. G.2011, 1298, n°5, obs.
H.Périnet-Marquet).

Ce constat appartient au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond : Civ. 3ème, 13
janvier 1999, Bull. civ. III n°12 ; J.C.P. éd. G. 1999, I, 175, obs. H. Périnet-Marquet.
Remarque
La question s’est posée de savoir si la possession pouvait s’exercer sur une chose immatérielle, sur un bien in

Cet élément matériel est nécessaire mais pas suffisant : il doit être cumulé avec un élément
psychologique, appelé l’animus.

2. L’élément psychologique : l’animus


L’animus constitue l’élément psychologique, subjectif ou encore intellectuel de la
possession : c’est le fait de se comporter et de s’affirmer comme le maître de la chose. La
personne doit agir comme si elle était titulaire du droit réel, élément essentiel de la possession
(Civ. 3ème, 6 mars 1974, Bull. civ. III n°106). Pour le Doyen Cornu, « être possesseur, c’est avoir
une mentalité de propriétaire, une âme de maître (animus domini). Ce n’est pas seulement se
conduire comme un propriétaire, mais s’affirmer comme propriétaire, agir en tant que tel »
(G.Cornu, « Droit civil. Introduction, Les personnes, Les biens », 13e éd. Montchrestien, 2005,
n°1131).

Il est très important de bien distinguer l’animus de la bonne ou mauvaise foi, car ces deux
éléments sont totalement indépendants.
Exemple
Le voleur d’une chose est forcément de mauvaise foi, mais il peut avoir l’animus s’il a la volonté et l’intention d

La bonne ou la mauvaise foi jouera seulement pour donner ou refuser à la possession une qualité
nécessaire pour la rendre utile et lui faire produire des effets juridiques : le possesseur peut être de
mauvaise foi, mais alors il manquera une qualité nécessaire pour produire des effets de droit.

9
UNJF - Tous droits
En savoir plus : La controverse doctrinale autour du rôle de l’élément psychologique

Le rôle de cet élément psychologique a fait l’objet d’une importante controverse doctrinale. Deux théories éta

une théorie subjective, défendue par SAVIGNY (1803) : pour cet auteur, l’élément souverain et déterminant

10
UNJF - Tous droits
Il oppose l’animus domini à l’animus detinendi, intention de détenir pour autrui, qui réduit le possesseur à un

une théorie objective, défendue par IHERING (Allemand, 1891) : cet auteur fait abstraction au maximum de

Cette controverse entre doctrine française et doctrine allemande a subsisté pendant plus d’un siècle mais elle

S’agissant d’un élément psychologique, l’animus est difficile à prouver. Le législateur a souhaité
faciliter cette preuve et a mis en place des présomptions simples, qui permettent de présumer
l’intention d’agir comme propriétaire. Ces présomptions sont précisées à l’article 2256 c.civ. : « on
est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s’il n’est prouvé qu’on a
commencé à posséder pour un autre ». Ce texte implique en réalité deux présomptions simples :

• on est présumé posséder pour soi ;


• on est présumé posséder à titre de propriétaire.

Ainsi, l’animus est présumé, seul le corpus est à prouver : les juges du fond n’ont pas à
caractériser spécialement l’élément intentionnel de la possession. L’intention est déduite des
actes matériels effectués. Il s’agit cependant d’une présomption simple, qui peut être
renversée par la preuve contraire.
Il faut relier cette présomption avec celle de l’article 2257 c.civ. : « quand on a commencé à
posséder pour autrui, on est toujours présumé posséder au même titre, s’il n’y a preuve du
contraire ».
Exemple
Un locataire commence à posséder pour le propriétaire : il est présumé continuer à posséder pour celui-ci sau

Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend le même principe dans sa proposition d’ : « on peut poss

Ces éléments constitutifs permettent de cerner de manière positive la notion de possession. Celle-
ci peut également être précisée en passant par une définition négative qui permet de distinguer
possession et détention précaire.

B. La distinction entre possession et détention précaire


Avant de distinguer la possession de la détention précaire, deux précisions doivent être apportées :

• la possession ne se confond pas avec la théorie de la propriété apparente : la propriété


apparente est une notion juridique qui profite aux tiers, tandis que la possession est
11
UNJF - Tous droits
construite pour profiter au possesseur ;

12
UNJF - Tous droits
• la possession se distingue des actes de pure faculté ou de simple tolérance : si une
personne accomplit des actes avec la permission du propriétaire par exemple, il reconnaît le
droit de ce propriétaire et ne devient pas possesseur.

Il faut étudier la définition de la détention précaire (1) avant de montrer qu’elle peut, parfois,
bénéficier de certains effets de la possession (2).

1. La définition de la détention précaire


Selon l’article 2266 c.civ., « ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps
de temps que ce soit.
Ainsi, le locataire, le dépositaire, l’usufruitier, et tous autres qui détiennent précairement le bien ou
le droit du propriétaire, ne peuvent le prescrire ». Cette possession pour autrui est appelée
détention précaire : dans ce cas, la personne détient le corpus mais elle n’a pas l’animus
(exemples typiques : le locataire, le dépositaire). Le détenteur précaire accomplit des actes
matériels mais sans intention de se comporter comme le propriétaire. Il reconnaît qu’il n’est pas
propriétaire, il n’a pas sur la chose un esprit d’appropriation.

Ainsi, la personne a la détention de la chose par contrat, comme un contrat de bail ou un contrat
de dépôt. Ce contrat montre que non seulement la détention est toujours temporaire, mais
également que le détenteur reconnaît le droit de propriété d’un autre. Il détient un pouvoir de fait
sur la chose en vertu d’un titre juridique qui reconnaît le pouvoir juridique d’un autre : il ne peut y
avoir aucun animus. Ce contrat, s’il ne fait pas de la personne un possesseur, lui confère
cependant certains droits.
Exemple
Le locataire peut invoquer son contrat de bail pour s’opposer au propriétaire qui voudrait troubler sa détention

Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens tente de faire entrer une définition de la détention dans le c.civ. da

Une fois le détenteur précaire identifié, encore faut-il préciser quels sont les effets juridiques
potentiels de cette détention précaire.

2. Les effets juridiques potentiels de la détention précaire


Principe : le détenteur précaire ne peut pas prescrire, c’est-à-dire qu’il ne peut pas bénéficier
des effets juridiques de la possession, de la protection possessoire. C’est là tout l’intérêt de
distinguer la possession de la simple détention.

Exceptions : il existe deux exceptions à cette absence d’effets juridiques de la détention précaire :
l’interversion de titre et le jeu de la protection possessoire issue de l’article 2278 al. 2 c.civ.

• 1ère exception : l’interversion de titre

Il existe des hypothèses, des circonstances exceptionnelles, dans lesquelles le détenteur


peut se transformer en possesseur par ce mécanisme juridique de l’interversion de titre,
par changement d’intention, c’est-à-dire par acquisition de l’animus. Ces cas sont prévus à
l’article 2268 c.civ. : les détenteurs et leurs héritiers « peuvent prescrire, si le titre de leur
possession se trouve interverti, soit par une cause venant d’un tiers, soit par la contradiction
13
UNJF - Tous droits
qu’elles ont opposée au droit du propriétaire ». En pratique, deux cas de figure sont visés :

14
UNJF - Tous droits
• 1er cas de figure : interversion de titre par une cause émanant d’un tiers : ce cas de
figure suppose que le détenteur précaire a acquis la chose d’un tiers qui se prétendait
propriétaire alors qu’il ne l’était pas. Par exemple, un locataire achète l’appartement à un tiers
qui se prétend le véritable propriétaire. Il faut, pour que ce mécanisme juridique puisse jouer,
que le détenteur précaire (l’acheteur de l’appartement) soit de bonne foi et qu’il ait modifié
son comportement (par exemple, le locataire ne paye plus les loyers). Il croit réellement être
le nouveau propriétaire alors qu’en réalité le titre de propriété n’est pas valable : il ne lui
transfère pas la propriété car il n’émane pas du véritable propriétaire. En revanche, cela lui
permet d’être considéré comme un véritable possesseur et il bénéficiera de la protection
possessoire ;

• 2nd cas de figure : interversion de titre par contradiction au titre du propriétaire : le


détenteur effectue un acte concret qui est contraire à la propriété de celui dont il détient
les droits. Ce n’est pas une simple négation du droit du propriétaire, ni un abus de
jouissance, mais un conflit ouvert avec le propriétaire, soit par un acte formel et non
équivoque, soit par un acte matériel connu du propriétaire et non équivoque. Par exemple, le
locataire notifie à son bailleur sa prétention sur sa propriété par acte extra-judiciaire, lui
déclarant que désormais, il ne paiera plus son loyer.

La contradiction au titre du propriétaire est un défi manifeste à la propriété d’autrui, « un


mécanisme de mutation à partir d’une prétention déclarée demeurée sans réponse » (G. Cornu,
« Droit civil. Les biens », 13e. éd., Montchrestien, 2007, n°1218). Pour la Cour de cassation (Req.,
28 décembre 1857, D.P. 1858, 1, 113), il doit s’agir d’un « fait patent, non équivoque, ayant pu
être connu du propriétaire », tel que des travaux importants effectués par le locataire au vu et au
su du propriétaire.

Jurisprudence
La Haute juridiction a précisé que le simple fait de ne pas payer ses loyers pendant plusieurs
dizaines d’années ne suffit pas à caractériser l’interversion de titre : Civ. 3ème, 27 septembre
2006, Bull. civ. III n°191 ; D. 2007, pan. 2494, obs. B. Mallet-Bricout ; J.C.P. éd. G. 2007, I, 117,
n°6, obs.
H. Périnet-Marquet & II, 10100, note Forest.

Dans tous les cas, c’est l’immobilisme du propriétaire, l’absence de réponse qui conduit à
l’interversion de titre et à la possibilité, pour le détenteur, de commencer à prescrire, à compter de
la date à laquelle l’interversion de titre a été portée à la connaissance du propriétaire (Civ.
3ème, 17 octobre 2007, Bull. civ. III n°180 ; J.C.P. éd. G. 2008, II, 10011, note J.-Y. Maréchal & I,
127, obs. H. Périnet-Marquet ; D. 2008, pan.2459, obs. B. Mallet-Bricout). Il est bien évident que le
propriétaire peut agir en justice pour s’opposer à cette transformation, ce qui empêche
l’interversion de titre et la transformation de la détention en possession.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend une solution identique, dans la suite de la proposition

15
UNJF - Tous droits
• 2nde exception : la protection possessoire

Depuis la loi du 9 juillet 1975, reprise par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de
la prescription en matière civile, l’article 2278 al.2 c.civ. prévoit que la protection possessoire dont
bénéficie le possesseur « est pareillement accordée au détenteur contre tout autre que celui de qui
il tient ses droits ».

Ainsi, le détenteur n’a plus à passer par le propriétaire pour mettre fin à un trouble causé par un
tiers. Cette règle permet de dépasser l’effet relatif des contrats.
Exemple
Le contrat de bail ayant un effet relatif à l’égard des tiers, le locataire ne pourrait pas l’invoquer directemen

À l’inverse, ce principe ne permet pas au détenteur de faire jouer la protection possessoire à


l’égard du propriétaire ; il doit, pour faire valoir ses droits, utiliser le contrat qui l’unit au propriétaire.

La réunion des éléments constitutifs de la possession ne suffit pas à lui faire produire des effets
juridiques ; pour cela, il faut que la possession présente certaines qualités permettant de la
qualifier de possession utile.

§2. Les qualités de la possession utile


Il ne suffit pas de réunir le corpus et l’animus pour faire produire des effets juridiques à la possession. Encore

Ces qualités sont énoncées à l’article 2261 c.civ. : « Pour pouvoir prescrire, il faut une possession
continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire ».
L’appréciation de ces caractéristiques relève du pouvoir souverain des juges du fond. Lorsque l’un
de ces caractères fait défaut, on dit que la possession est viciée : elle ne peut plus être qualifiée de
possession utile et ne peut plus produire d’effets de droit.

L’article 2261 c.civ. énonce six qualités : continue, non interrompue, paisible, publique, non
équivoque et à titre de propriétaire. En réalité, les conditions de non-interruption et de possession
à titre de propriétaire sont de véritables conditions d’existence de la possession. Ce ne sont pas
de simples qualités, elles font partie des éléments constitutifs mêmes et non des qualités : elles ne

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UNJF - Tous droits
sont pas traitées comme telles. Ainsi, quatre qualités doivent être étudiées : possession continue
(A), paisible (B), publique (C) et non équivoque (D).

A. Une possession continue


La possession doit être continue : cela veut dire que le possesseur doit accomplir les actes
correspondant au droit auquel il prétend sur la chose, sans intervalle anormal, comme le ferait le
titulaire véritable du droit. Le possesseur doit exercer son appropriation de façon régulière, répétée
ou continue.

17
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
La possession est continue lorsqu’elle a été exercée dans toutes les occasions et à tous les
moments où elle devait l’être, d’après la nature de la chose possédée, sans intervalles anormaux
assez prolongés pour constituer des lacunes et rendre la possession discontinue (Civ., 11 janvier
1950, D.1950, p.125, note R. Lenoan ; Civ. 1ère, 3 mai 1960, Bull. civ. I n°230 ; D.1960, somm.
p.113 ; R.T.D.civ. 1960, p.689, obs. H. Solus).

Le caractère de continuité est apprécié souverainement par les juges du fond, qui tiennent
compte de la nature de la chose et procèdent au cas par cas.
Exemple
S’il s’agit d’un pâturage de haute montagne, il est normal qu’il ne soit utilisé que quelques mois par an ; de

Cette règle doit être conciliée avec le principe selon lequel la possession se conserve solo animo,
c’est-à-dire par la seule intention, même en l’absence d’actes matériels. Cependant, il a été jugé
que la possession solo animo subsiste tant qu’elle n’est pas volontairement abandonnée par le
possesseur, ni détruite par la possession contraire d’un tiers (Civ., 27 mars 1929, D.H. 1929, 250).

En l’absence de possession continue, il y a vice de discontinuité. Ce vice est temporaire mais


absolu : il peut être invoqué par toute personne qui a un intérêt à contester la qualité de
possesseur.

B. Une possession paisible


La possession doit être paisible, c’est-à-dire non violente, exempte de violences matérielles ou
morales dans son appréhension et durant son cours. Elle doit avoir été acquise d’une façon
légitime et conservée de la même manière. Selon l’article 2263 c.civ., « les actes de violence ne
peuvent fonder non plus une possession capable d’opérer la prescription. La possession utile ne
commence que lorsque la violence a cessé ». La violence est en effet contraire à la possession
puisque celle- ci est une construction pacifique du droit.

La violence est appréciée lors de l’entrée en possession de la chose puis pendant son cours (Civ.
3ème, 15 février 1995, Bull. civ. III n°53). Si jamais la violence cesse, la possession utile pourra
commencer. La violence peut donc n’être qu’un vice temporaire. La jurisprudence a précisé que la
violence ultérieure mise en œuvre pour défendre la possession en cours ne vicie pas la
possession (Civ. 3ème, 15 février 1968, Bull. civ. III n°54 ; D. 1968, 453 ; R.T.D.civ. 1968, p.74,
note J.-D. Bredin).

Le vice de violence est un vice relatif : il ne peut être invoqué que par celui qui en est victime et
non par les tiers, à l’égard desquels la possession demeure utile.

C. Une possession publique


La possession doit être publique, c’est-à-dire non clandestine, ostensible, extériorisée,
manifestée aux yeux de tous par des actes apparents. Cela ne signifie pas qu’elle doit forcément
être connue de tous, mais que chacun peut, s’il y prête attention, se rendre compte de la maîtrise
apparente de la chose par le possesseur. Le possesseur ne doit pas se comporter furtivement
et dissimuler sa possession à l’égard de ceux qui auraient intérêt à la connaître.
Exemple
Le voleur qui se cache, la non-révélation d’un don manuel alors qu’il y avait ouverture d’une succession

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UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Il ne doit pas y avoir de volonté de dissimulation matérielle ou juridique : Civ. 1ère, 8 mars 2005,
Bull. civ. I n°123 ; J.C.P. éd. G. 2005, I, 181, obs. H. Périnet-Marquet.

Le vice de clandestinité est un vice temporaire car il cesse dès que la possession devient
publique. C’est également un vice relatif qui ne peut être invoqué que par la personne à laquelle la
possession a été dissimulée.

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UNJF - Tous droits
D. Une possession non équivoque
La possession doit être non équivoque : le comportement du possesseur doit manifester
clairement son intention de se conduire en propriétaire. Les tiers doivent comprendre l’intention
évidente du possesseur de se comporter en propriétaire. Une attitude équivoque affecte l’animus :
si l’on ne sait pas si la personne agit comme propriétaire, copropriétaire ou indivisaire, la
possession est viciée dans son élément intellectuel.
Exemple
C’est le cas par exemple lorsque celui qui agit est un copropriétaire, un époux marié sous le régime de la com

Jurisprudence
Civ. 1ère, 14 mai 1996, Bull. civ. I n°199 ; J.C.P. éd. G. 1996, I, n°2, obs. H. Périnet-Marquet ;
R.T.D.civ. 1998, p.408, obs. F. Zénati : la personne qui accepte d’acquérir des voitures sans se
faire remettre les cartes grises ou sans vérifier que les vendeurs les détiennent ne peut invoquer
une possession dépourvue d’équivoque.

Le vice d’équivoque est temporaire et absolu. C’est le vice le plus souvent invoqué devant les
tribunaux.

Lorsque la possession présente l’ensemble de ces qualités, elle est qualifiée de possession utile et
peut produire des effets de droit.

§3. Les effets juridiques de la possession utile


La possession, pouvoir de fait sur un bien, est susceptible de se transformer en véritable pouvoir de droit sur l

La possession produit deux effets : l’acquisition de la propriété par prescription et la protection


possessoire par l’octroi d’actions en justice spécifiques. Ce second effet sera étudié au sein de la
leçon 5 consacrée à la protection de la propriété. En termes de modes d’acquisition de la
propriété, seule la fonction acquisitive de la possession, qui est l’effet majeur de la
possession, doit être examinée : si certaines conditions sont réunies, le possesseur pourra
devenir propriétaire, après l’écoulement d’un certain délai en application de la prescription
acquisitive.
Selon l’article 2261 c.civ., la possession utile est une condition de la prescription, mais sa mise en
œuvre est différente selon que l’on acquiert la propriété d’un immeuble (A) ou d’un meuble (B).

A. L’acquisition de la propriété immobilière : l’usucapion


On parle ici de prescription acquisitive immobilière ou encore d’usucapion. La possession
prolongée d’un immeuble peut aboutir à la transformation du pouvoir de fait, la possession, en
pouvoir de droit, la propriété, par la prescription acquisitive ou usucapion. L’usucapion est un mode
d’acquisition de la propriété immobilière. La prescription acquisitive est définie à l’article 2258 c.civ.
:
« la prescription est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que
celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite
de la mauvaise foi ».

20
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
L’usucapion ne s’applique qu’aux droits réels principaux : Civ. 3ème, 24 octobre 2007, Bull. civ. III
n°183 ; J.C.P. éd. G. 2008, I , 127, obs. H. Périnet-Marquet ; D.2008, pan. p.2458, obs. B. Mallet-
Bricout.

C’est le possesseur qui doit se prévaloir de l’usucapion : pour pouvoir en bénéficier, il doit
l’invoquer en justice, soit comme demandeur, soit comme défendeur. En effet, selon l’article 2247
c.civ., « les juges ne peuvent pas suppléer d’office le moyen résultant de la prescription » : ils ne
peuvent pas décider de l’appliquer eux-mêmes, ce moyen doit impérativement être invoqué par
l’une des parties.
Remarque
La doctrine évoque diverses justifications à cette « novation », à cette métamorphose d’une possession

Quelle que soit la justification retenue, il faut étudier les conditions de l’usucapion (1) puis ses
effets (2).

1. Les conditions de l’usucapion


La condition première est bien évidemment que la possession soit utile, donc non viciée. À cela
s’ajoute une condition qui tient à l’écoulement du temps : la propriété s’acquiert après écoulement
d’un certain laps de temps. Il existe deux sortes d’ususcapion : une prescription de droit commun,
qui est de 30 ans, et une prescription abrégée, qui est de 10 ans. Il faut en premier lieu étudier les
règles propres à chacune des prescriptions (a) puis en second lieu le régime de droit commun
applicable aux prescriptions (b).

a) Les règles propres à chaque prescription


Il existe une prescription de droit commun et une prescription abrégée.

La prescription de droit commun est envisagée à l’article 2272 al.1 c.civ. : « le délai de
prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans ». Cette prescription
peut être invoquée par tout possesseur, même s’il est de mauvaise foi, par exemple une personne
qui aurait volé le bien pour entrer en possession. Elle ne nécessite pas de titre et permet d’acquérir
la propriété. C’est un délai long mais qui ne dépend ni de la bonne ou mauvaise foi, ni de
l’existence d’un titre.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend le même principe dans la proposition de futur : « le posse

La prescription abrégée est quant à elle envisagée à l’article 2272 al.2 c.civ. : « toutefois, celui
qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans ». Ainsi,
la prescription peut être abrégée lorsque le possesseur est a non domino, c’est-à-dire qu’il croit,
de bonne foi, avoir acquis l’immeuble du véritable propriétaire et posséder un juste titre, alors que
ce n’est pas le cas. La prescription est écourtée si deux conditions sont réunies : la bonne foi et
l’existence d’un juste titre.

La 1ère condition est la bonne foi : le possesseur doit avoir cru, lors de l’acquisition, qu’il tenait

21
UNJF - Tous droits
l’immeuble de son véritable propriétaire. L’article 2274 c.civ. précise que « la bonne foi est toujours

22
UNJF - Tous droits
présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver ». Il s’agit d’une présomption
simple, qui admet la preuve contraire.
Remarque
Dans l’avant-projet de réforme du droit des biens, la proposition d’ énonce qu’ « est de bonne foi le possesseu

La 2nde condition est le juste titre : le juste titre invoqué par le possesseur de bonne foi est l’acte
juridique à l’origine de la possession dont le vice réside en ce qu’il n’a pas été constitué par le
véritable propriétaire (sur la notion de juste titre : B.Mallet-Bricout, "Le juste titre", in "Le monde du
droit. Ecrits rédigés en l'honneur de Jacques Foyer", Economica, 2008, p.696).

Jurisprudence
La Cour de cassation a défini le juste titre comme l’« acte propre à conférer la propriété à la partie
qui invoque la prescription ». Cet acte serait de nature à transférer la propriété s’il avait été conclu
avec le propriétaire réel : vente, donation, apport en société… Exemples : Civ. 3ème, 29 février
1968, Bull. civ. III n°83 ; plus récemment : Civ. 3ème, 25 juin 2008, Bull. civ. III n°115 ; D.2008,
A.J. p.1899 ; J.C.P. éd. N. 2008, I, 1328, n°3, obs. H. Périnet-Marquet (un acte de succession
notarié n’a qu’un caractère déclaratif) - Civ.3e, 30 mai 2012, n°11-13571, D. 2012, 2130, obs.
B.Mallet-Bricout.

Pour que le titre soit qualifié de juste, la jurisprudence a dégagé trois critères cumulatifs :

• 1er critère : le titre doit être réel : il doit réellement exister. Il ne doit pas s’agir d’un titre
putatif, qui n’existe que dans l’imagination de son auteur (par exemple, une personne prétend
qu’elle possède un titre de propriété sur un immeuble issu d’un testament, mais ce testament
avait en réalité été révoqué : Civ.1ère, 6 novembre 1963, Bull. civ. I n°483) ;

• 2ème critère : le titre doit sembler valable : il ne doit pas s’agir d’un titre nul. Mais la
jurisprudence distingue entre les causes de nullité absolue (comme la non-conformité à
l’ordre public), qui enlèvent au titre sa qualité de titre juste, et les causes de nullité relative
(par exemple un vice du consentement), qui n’empêchent pas de qualifier l’acte de titre
juste. L’art. 2273 c.civ. précise, depuis la réforme du 17 juin 2008, que « le titre nul par défaut
de forme ne peut servir de base à la prescription de dix ans » ;

• 3ème critère : le titre doit être un acte translatif de propriété à titre particulier au moins
doté d’une date certaine à l’égard du véritable propriétaire : il faut une idée de transfert
de propriété, ce qui exclut le bail, le prêt, ou les actes déclaratifs de partage (Civ. 3ème, 25
juin 2008, précité). Sans les vices dont il est atteint, le titre serait de nature à transférer la
propriété.

23
UNJF - Tous droits
Lorsque ces deux conditions de bonne foi et de juste titre sont réunies, la durée de prescription
est abrégée : elle est alors de 10 ans. Depuis la réforme du 17 juin 2008 relative au droit de la
prescription, il n’existe plus la distinction antérieure de 10 ou 20 ans selon que le véritable
propriétaire est ou non domicilié dans le ressort de la Cour d’appel dans l’étendue de laquelle
l’immeuble est situé, ce qui était devenu un critère archaïque.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens met également fin à cette distinction entre les ressorts de Cour d’

Quelle que soit la durée exigée, 10 ou 30 ans, il existe des règles communes aux deux prescriptions.

b) Les règles communes aux deux prescriptions


Pour que l’usucapion puisse produire ses effets, il est nécessaire que le bien soit un immeuble et
que la personne soit un possesseur « utile » et non un simple détenteur.

L’étude des règles communes à cette condition d’écoulement du temps implique l’examen de trois
points : le point de départ du délai de prescription, la jonction des possessions et les incidents
affectant la durée de la possession.

24
UNJF - Tous droits
• 1er point : le point de départ du délai de prescription

Quand le délai de prescription commence-t-il à courir ? La règle est que ce délai court à compter
du jour de l’entrée en possession par le possesseur ou par son auteur. Le délai se compte
jour entier par jour entier (de « quantièmes à quantièmes »), sans compter le dies a quo, c’est-à-
dire le jour à partir duquel la possession a commencé, mais en comptant le dies ad quem, jour
jusqu’auquel la possession a duré jusqu’à minuit.

• 2ème point : la jonction des possessions

Selon l’article 2265 c.civ., « pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle
de son auteur, de quelque manière qu’on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à
titre lucratif ou onéreux ». Juridiquement, il s’agit d’une jonction des possessions : celui qui
prétend prescrire peut ajouter à son temps de prescription le temps pendant lequel son
Exemple
auteur a possédé et donc prescrit. C’est une addition, une réunion des possessions.
Une personne possède un appartement depuis cinq ans. Elle décède et transmet l’appartement à un héritier q

Remarque
Une règle identique est reprise dans l’avant-projet de réforme du droit des biens, qui propose un futur ainsi ré

• 3ème point : les incidents susceptibles d’affecter la durée de la possession

Le délai de possession peut être allongé soit par interruption, soit par suspension.

Il y a interruption du délai lorsqu’il y a arrêt de la prescription acquisitive pour des causes soit
naturelles, soit civiles. Dans ce cas, le délai déjà écoulé est anéanti et il faudra le reprendre au
début si la cause d’interruption disparaît. Il existe deux causes d’interruption :
• l’interruption naturelle : selon l’article 2271 c.civ., « la prescription acquisitive est
interrompue lorsque le possesseur d’un bien est privé pendant plus d’un an de la jouissance
de ce bien soit par le propriétaire, soit même par un tiers ». Soit le possesseur a été privé
contre son gré de la possession de l’immeuble, soit il a volontairement abandonné l’immeuble
: dans les deux cas, si cette privation dure au moins un an, la prescription est interrompue ;
• l’interruption civile : les causes d’interruption civile sont prévues par les art. 2240 et s. c.civ.
Il s’agit d’une demande en justice, d’un acte d’exécution forcée…
Ainsi, il y aura interruption de la prescription dès qu’une demande en justice est faite, même
si l’action est engagée devant un juge incompétent. En revanche, il n’y aura pas d’interruption
(l’interruption est non avenue) si le demandeur se désiste de l’instance, s’il laisse se périmer
l’instance ou si sa demande est définitivement rejetée.
Enfin, il existe une autre cause d’interruption civile prévue par l’article 2240 c.civ. selon
lequel : « la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait
interrompt le délai de prescription ». Le possesseur peut faire l’aveu du droit du
revendiquant, c’est-à- dire reconnaître qu’il existe un véritable propriétaire. Il perd alors
l’élément psychologique de la possession, l’animus domini.

25
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Une citation en justice interrompt la prescription ; ce n’est pas le cas de « l’assignation en
bornage, qui tend exclusivement à la fixation de la ligne divisoire entre les fonds » : Civ.
3ème, 13 mars 2002, Bull. civ. III n°67 ; J.C.P. éd. G. 2002, I ; 176, n°3, obs. H. Périnet-
Marquet ; D.2002, somm. p.2510, obs. N. Reboul-Maupin.

Le délai de prescription peut également être allongé en cas de suspension du délai : il y a


alors seulement un arrêt temporaire, provisoire du cours de la prescription. Le temps de
possession utile déjà écoulé n’est pas effacé, il pourra être compté ; mais la prescription sera
momentanément arrêtée, suspendue, et elle recommencera à courir à partir du moment où la
cause de suspension cesse. Il n’y a pas besoin, dans ce cas, de repartir à zéro.

La loi réglemente ces causes de suspension. Il s’agit de prendre en compte la situation particulière
de certaines personnes. En ce sens, l’article 2234 c.civ. précise que « la prescription ne court pas
ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement
résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». Par exemple, la prescription est
suspendue quand elle court contre un incapable (mineur non émancipé et majeur sous tutelle) ou
entre époux ou partenaires liés par un Pacs. La suspension en cas de force majeure,
antérieurement prévue par la jurisprudence, est désormais intégrée au sein des causes légales
depuis la réforme de la prescription du 17 juin 2008. Le législateur prend ici en compte les
circonstances de fait plutôt que les circonstances tenant à la personne.

Lorsque les conditions relatives à l’écoulement du temps sont remplies, soit en vertu de la
prescription de droit commun, soit en vertu de la prescription allégée, l’usucapion peut
produire ses effets juridiques.

2. Les effets de l’usucapion


L’usucapion a un effet principal, l’acquisition de la propriété, et un effet secondaire, l’acquisition des fruits du b

a) L’effet principal : l’acquisition de la propriété de l’immeuble


Le possesseur devient propriétaire de l’immeuble, véritable titulaire du droit réel immobilier
principal.

Pour que l’usucapion produise cet effet, il faut obligatoirement que le possesseur en réclame le
bénéfice : l’usucapion n’est pas automatique, il ne se produit pas de plein droit. Ainsi, l’acquisition
de la propriété se révèle lorsque l’usucapion est opposée au revendiquant. Hormis le cas de la
renonciation par le possesseur une fois le délai écoulé (la renonciation anticipée est nulle), le
possesseur doit revendiquer l’usucapion pour qu’il produise effet, soit par une action en justice
(voie d’action), soit par une défense en justice si l’action est faite par le propriétaire initial (voie
d’exception).

Lorsque la propriété est acquise par prescription, elle est opposable à tous sans formalités de
publicité obligatoires, car elle vient de la loi. Le possesseur devenu propriétaire peut cependant
choisir de faire publier le jugement ou de faire établir un acte de notoriété acquisitive.

Jurisprudence
L’usucapion produit ses effets erga omnes : Civ. 3ème, 13 novembre 1984, Bull. civ. III n°188 ;
D.1985, juris. p.345, note C. Aubert ; R.T.D.civ. 1985, p.747, obs. C. Giverdon & P. Salvage-
Gerest :
« l’acquisition par prescription (est) opposable à tous sans avoir été publiée ».

Enfin, la propriété est acquise de manière rétroactive : les effets de l’usucapion remontent au jour
de l’entrée en possession. Le possesseur est considéré comme ayant été propriétaire depuis le
26
UNJF - Tous droits
premier jour de la possession. Cela permet de valider les actes passés par le possesseur
(exemple : hypothèque) et à l’inverse d’annuler les actes éventuels faits par le propriétaire initial.

27
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Cet effet rétroactif n’est pas prévu par la loi, mais il a été largement soutenu par la doctrine et
entériné par la jurisprudence : Civ. 3ème, 10 juillet 1996, D.1996, juris. p.510, note N. Reboul-
Maupin.

Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens intègre cet effet rétroactif dans la loi et entérine la jurispruden

b) L’effet secondaire : l’acquisition des fruits de l’immeuble


Lorsque l’usucapion produit l’effet acquisitif de propriété principal, une des conséquences logique
est que les fruits de l’immeuble appartiennent rétroactivement au nouveau propriétaire : ce cas de
figure n'appelle pas de commentaires particuliers. Mais dans le cas où l’usucapion n’entraîne
pas cet effet acquisitif de propriété, il produit tout de même un effet secondaire qui est
l’acquisition des fruits du bien possédé pour le possesseur de bonne foi. Selon l’article 549
c.civ., lorsque le possesseur est de bonne foi, il peut conserver les fruits même s’il est obligé de
restituer le bien (par exemple, il y a revendication par le propriétaire avant expiration du délai de
dix ans : la possession n’a pas duré suffisamment longtemps pour permettre l’usucapion mais le
possesseur de bonne foi peut conserver les fruits générés par l’immeuble). À l’inverse, le
possesseur de mauvaise foi doit restituer les fruits, en nature ou par équivalent.
Remarque
Ce dispositif est précisé dans l’avant-projet de réforme du droit des biens par la proposition d’ : « le possesse

La possession utile pendant un certain délai permet ainsi au possesseur d’un immeuble d’en
devenir propriétaire. Dans le même sens, la possession utile peut permettre l’acquisition de la
propriété mobilière.

B. L’acquisition de la propriété mobilière


L’acquisition de la propriété mobilière par l’effet de la possession est prévue par un célèbre texte
du c.civ., l’article 2276 al. 1er, qui précise qu’« en fait de meubles, la possession vaut titre ». Ce
texte a deux effets : une fonction probatoire (1) et une fonction acquisitive de propriété (2).

1. La fonction probatoire (règle de forme)


L’article 2276 al.1er c.civ. peut être invoqué comme règle de preuve, c’est-à-dire comme règle de
forme. Ainsi, le législateur établit une présomption légale d’existence d’un titre régulier de propriété
lorsque le possesseur a acquis le meuble du véritable propriétaire (le possesseur a acquis le
meuble a domino). C’est l’hypothèse dans laquelle le possesseur a acquis le meuble du véritable
propriétaire, mais il est en conflit avec celui-ci et n’a pas de preuve de son titre. Alors, le
possesseur est présumé avoir ce titre régulier du simple fait de la possession utile. Cette
protection probatoire suppose la bonne foi, qui est présumée.

Jurisprudence
C’est à celui qui conteste la possession de rapporter la preuve contraire : Civ. 1ère, 20 octobre
1982, Bull. civ. I n°298 ; R.T.D.civ. 1983, p.559, obs. C. Giverdon (en l’absence de preuve d’un
contrat de dépôt par le demandeur, la possession vaut titre).

28
UNJF - Tous droits
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend et précise ce principe dans sa proposition d’ : « le posse

2. La fonction acquisitive (règle de fond)


Lorsque le possesseur n’a pas acquis le bien du véritable propriétaire (acquisition a non domino), il
ne devrait en principe pas être reconnu comme propriétaire. Mais si le véritable propriétaire
revendique son titre, le possesseur peut en principe invoquer la possession utile (a), sauf
exceptions (b).

a) Le principe
La règle de l’article 2276 al.1e c.civ. joue comme une règle de fond, véritable mode d’acquisition
de la propriété, sous réserve de réunir trois conditions cumulatives :

• 1ère condition relative à la nature du bien : il doit s’agir d’un meuble corporel, non
immatriculé et susceptible d’appropriation ;

Jurisprudence
La possession ne permet pas l’acquisition d’un meuble incorporel : Com., 7 mars 2006, Bull. IV n
°62 ; D.2006, juris. p.2897, note C. Kuhn ; J.C.P. éd. G. 2006, II, 10143, note G. Loiseau ;
R.T.D.civ. 2006, p.348, obs. Th. Revet.

• 2ème condition relative au possesseur : il doit s’agit d’une possession et non d’une
simple détention, qui existe au moment où le propriétaire agit. De plus, le possesseur doit
être de bonne foi, au moins au moment de l’entrée en possession (là encore la bonne foi est
présumée mais la preuve contraire peut être apportée) ;

• 3ème condition tenant à la possession : la possession doit être utile, mais cette utilité
est appréciée de manière particulière puisque le caractère de continuité est inopérant. La
possession mobilière vaut titre de propriété instantanément, dès lors qu’elle est effective,
c’est- à-dire paisible, publique et non équivoque.

Lorsque ces conditions sont réunies, selon l’appréciation des juges du fond dans l’exercice de leur
pouvoir souverain, le possesseur de bonne foi prime le propriétaire initial dépossédé. Il
possède la chose et bénéficie en même temps d’un titre de propriété né de la possession utile : le
propriétaire initial ne peut plus exercer contre lui d’action en revendication de son meuble.
Remarque
Si le propriétaire initial souhaite revendiquer la propriété de son meuble, il doit prouver soit l'existence

Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens développe cette idée dans sa proposition d’ : « le possesseur

29
UNJF - Tous droits
b) Les exceptions
La mauvaise foi : le principe de l’acquisition immédiate de la propriété mobilière ne joue pas
lorsque le possesseur est de mauvaise foi, par exemple lorsqu’il sait qu’il a acquis le meuble d’une
personne qui n’est pas le véritable propriétaire ou s’il sait que le meuble avait été perdu ou volé.
Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il ne pourra jamais acquérir la propriété du meuble.
Simplement, l’action en revendication du propriétaire demeure ouverte pendant trente ans et il
pourra récupérer le bien sans avoir à rembourser le possesseur. Après écoulement du délai de
trente ans, la prescription acquisitive peut être revendiquée à condition d’avoir une possession
utile.

Jurisprudence
La bonne ou la mauvaise foi s’apprécie au jour de l’entrée en possession : Civ. 1ère, 27
novembre 2001, Bull. civ. I n°295 ; D.2002, juris. p.671, note J.-P. Gridel ; D.2002, somm.
p.2505, obs. B. Mallet-Bricout.

Le vol ou la perte du meuble : l’al.2 de l’article 2276 c.civ. précise que « néanmoins, celui qui a
perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans, à compter du jour
de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours
contre celui duquel il la tient ». Ce texte vise le cas d’une dépossession involontaire : perte par
négligence du propriétaire ou d’un tiers (exemple : colis égaré) ou par événement de force
majeure, vol. Dans cette hypothèse, le propriétaire pourra agir en revendication :

30
UNJF - Tous droits
Contre le voleur ou l’inventeur Contre l’acquéreur de bonne foi

(celui qui a trouvé la chose) qui est encore en L’action en revendication est possible
possession du bien : il est de mauvaise foi, pendant trois ans. Si la chose a été
l’action peut être exercée pendant trente ans. acquise dans un marché, une foire ou une
vente publique, le véritable propriétaire devra
rembourser à l’acquéreur le prix qu’il lui a
coûté, en vertu de l’art. 2277 al.1e c.civ.

Jurisprudence
Civ. 1ère, 16 mai 2006, Bull. civ. I n°242 ; D.2006, I.R. p.1486, Pan. 2365, obs. B. Mallet-Bricout ;
D.2007, juris. p.132, note V. Valette : « l'appréhension par l'autorité de police ou de justice d'un
objet volé, classé au titre des monuments historiques, n'en fait pas perdre la possession par
l'acquéreur de bonne foi qui a droit au remboursement de son prix d'acquisition ».

Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprent la même idée dans sa proposition d’ in fine : « Cepend

Une fois la propriété acquise, quel que soit le mode d’acquisition, celle-ci doit pouvoir être
défendue contre les tiers. Il faut donc étudier les règles de protection de la propriété, objet de la
leçon 5.

31
UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 5 : La propriété individuelle : la protection de la propriété et de la possession

Table des matières


Section 1. La preuve de la propriété...................................................................................................... p. 2
§1. La preuve de la propriété mobilière....................................................................................................................... p. 2
A. L’acquisition a domino....................................................................................................................................................................p. 2
B. L’acquisition a non domino............................................................................................................................................................ p. 4
§2. La preuve de la propriété immobilière................................................................................................................... p. 4
A. Le système de preuve................................................................................................................................................................... p. 4
B. Les conflits entre les modes de preuve.........................................................................................................................................p. 5
Section 2. Les actions en justice........................................................................................................... p. 8
§1. Les actions possessoires....................................................................................................................................... p. 8
A. Les catégories d’actions possessoires.........................................................................................................................................p. 10
1. La complainte (un trouble actuel)............................................................................................................................................................................. p. 10
2. La dénonciation de nouvel œuvre (un trouble éventuel et futur)............................................................................................................................. p. 10
3. L’action en réintégration ou réintégrande (dépossession violente).......................................................................................................................... p. 11
B. Les règles de procédure.............................................................................................................................................................. p. 12
1. Les titulaires de l’action.............................................................................................................................................................................................p. 12
2. Le délai d’action........................................................................................................................................................................................................ p. 14
3. Le non-cumul du possessoire et du pétitoire............................................................................................................................................................p. 14
C. Les sanctions prononcées par le juge.........................................................................................................................................p. 14
§2. L’action en revendication......................................................................................................................................p. 15
A. La revendication de la propriété mobilière...................................................................................................................................p. 15
B. La revendication de la propriété immobilière............................................................................................................................... p. 15
1. La mise en œuvre de l’action................................................................................................................................................................................... p. 15
2. Les effets de l’action................................................................................................................................................................................................. p. 16
a) Les prestations dues au propriétaire nouvellement reconnu.................................................................................................................................. p. 17
b) Les prestations dues au possesseur évincé........................................................................................................................................................... p. 18

1
UNJF - Tous droits
Une fois la propriété acquise, par quelque mode d’acquisition que ce soit, encore faut-il pouvoir la
défendre et la protéger contre l’intrusion ou les revendications d’éventuels tiers. Cette protection
du droit de propriété implique de pouvoir faire la preuve de la propriété (Section 1) pour être en
mesure d’exercer les actions en justice offertes pour protéger la possession et la propriété (Section
2).

Section 1. La preuve de la propriété


Dans certains cas, deux personnes peuvent être en conflit quant à la propriété d’un bien : elles
affirment toutes deux être propriétaires de ce bien. Comment trancher ce conflit ? La question de
la preuve de la propriété n’est pas régie par la loi : il n’existe aucune disposition en la matière
au sein du Code civil, ce qui s’explique si l’on se souvient que les rédacteurs du code concevaient
la propriété comme un droit absolu. Mais en pratique, la preuve absolue de la propriété est
quasiment impossible, car il faudrait remonter à l’acquisition originaire par le propriétaire initial,
souvent des siècles plus tôt en matière immobilière. C’est pourquoi depuis le Moyen Age, on parle
de « probatio diabolica », de preuve diabolique. L’absence de système légal de preuve a été
palliée par la doctrine et la jurisprudence, qui ont instauré des règles différentes selon qu’il s’agit
d’un meuble (§1) ou d’un immeuble (§2).

§1. La preuve de la propriété mobilière


En matière mobilière, il faut combiner le système de preuve avec la règle posée à l’article 2276 al.1e
c.civ. : « en fait de meubles, la possession vaut titre ». La possession joue ici un rôle important. Le
système de preuve varie selon que le possesseur a acquis son bien du véritable propriétaire, lors
d’une acquisition a domino (A), ou que le possesseur a acquis le meuble d’une personne autre que
le propriétaire, par une acquisition a non domino (B).

A. L’acquisition a domino
L’hypothèse est la suivante : le possesseur prétend par exemple que le propriétaire lui a donné le bien, t

La question est alors de savoir quelle est la véritable nature du titre, de l’acte en vertu duquel le
bien a été transmis au possesseur.

L’article 2276 c.civ. peut être utilisé dans sa fonction probatoire : la possession vaut titre, c’est-
à-dire qu’elle permet de présumer que le titre en question est bien un titre transférant la propriété.
Autrement dit, le possesseur est présumé être le véritable propriétaire du bien.

Jurisprudence
Il suffit au possesseur d’apporter la preuve de sa possession. Par exemple, la personne qui
détient une somme sur son compte en banque, issue de ce qu’elle prétend être un don manuel,
n’a pas à prouver l’intention libérale de l’auteur du virement bancaire : Civ.1ère, 30 mars 1999,
Bull. civ. I n°112 ; J.C.P. éd. G. 2000, II, 10274, note P. Cagnoli ; J.C.P. éd. G. 2000, I, 278, n°7,
obs. R. Le
Guidec ; D.2000, somm. p.457, obs. D. Martin ; R.T.D.civ. 1999, p.677, obs. J. Patarin.

Mais il s’agit d’une présomption simple : le propriétaire initial peut prouver qu’il est toujours le
propriétaire du meuble, même si la possession a été transmise à un tiers. Pour cela, il peut utiliser
deux moyens de preuve :
• il peut prouver qu’il existe un vice dans la possession : le possesseur « non utile » ne peut
plus bénéficier de la fonction probatoire de l’article 2276 al.1er c.civ.
• il peut prouver que le possesseur n’est en réalité qu’un détenteur précaire : il détient le bien
sous condition de restitution.

2
UNJF - Tous droits
Exemple
Il produit en justice la preuve de l’existence d’un contrat de bail ou de dépôt.

3
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Sur le renversement de la présomption qui résulte de la possession par la preuve de la détention
précaire : Civ.1ère, 20 octobre 1982, Bull. civ. I n°298 ; R.T.D.civ. 1983, p.559, obs. C. Giverdon.

Les règles de preuve sont sensiblement identiques lorsque le possesseur a acquis le meuble d’une
personne autre que le propriétaire.

4
UNJF - Tous droits
B. L’acquisition a non domino
L’hypothèse est la suivante : une première personne est propriétaire d’un meuble. Elle le confie à un

Comment la première personne peut-elle prouver sa propriété contre le possesseur ?

Dans cette hypothèse, l’article 2276 al.1er c.civ. ne s’applique que si la personne qui détient le
meuble corporel est un véritable possesseur, qu’elle est de bonne foi et que la possession est
utile. C’est alors au propriétaire initial de démontrer une possession antérieure : cette preuve
peut être établie par tout moyen, s’agissant d’un fait juridique.

En définitive, la preuve de la propriété mobilière est intimement liée à la notion de


possession. La possession peut également être un mode de preuve de la propriété immobilière,
mais elle doit en ce domaine être combinée avec d’autres moyens de preuve avec lesquels elle
pourra entrer en conflit.

§2. La preuve de la propriété immobilière


Le Code civil ne prévoit aucune disposition en matière de preuve de la propriété immobilière. Cette
preuve est complexe, souvent difficile lorsqu’il y a un conflit entre plusieurs titres. La preuve directe
étant pratiquement impossible, les juges se contentent de preuves indirectes, qui vont conférer un
caractère vraisemblable au droit de propriété du demandeur. Les règles ont été progressivement
mises en place par la doctrine et la jurisprudence. Le système de preuve instauré (A) est
susceptible de faire naître des conflits entre les différents modes de preuve utilisés et il faudra
alors étudier les modes de résolution de ces conflits potentiels (B).

A. Le système de preuve
L’objet de la preuve La charge de la preuve Les modes de preuve

le propriétaire doit établir en application des règles en matière immobilière, la


l’existence de son droit de de droit commun, le preuve de la propriété est
propriété mais la difficulté demandeur à l’action libre.
principale est qu’il n’existe supporte la charge de
pas, en droit français, de la preuve. C’est à lui
mode de preuve irréfutable de démontrer son droit de
de la propriété, même par propriété (Civ. 3ème, 11 juin
titre. La production d’un titre 1992, Bull. civ. III n°199 ;
a seulement pour effet de D. 1993, somm. p.302, obs.
déplacer l’objet de la preuve : A. Robert). S’il ne parvient
en plus du titre, il faudra pas à faire cette preuve, c’est
apporter la preuve d’actes ou le défendeur, qui est par
de faits juridiques qui rendent hypothèse le possesseur de
vraisemblable l’existence de la chose, qui sera considéré
son droit. Il appartiendra au comme le propriétaire.
juge de trancher et de choisir
le droit le plus probable ou le
meilleur droit.

Jurisprudence
La preuve de la propriété immobilière peut se faire par tout moyen : Civ.1ère, 11 janvier 2000,
Bull. civ. I n°5 ; J.C.P. éd. G. 2000, I, 265, n°2, obs. H. Périnet-Marquet ; D. 2001, juris. p.890,
note A. Donnier ; R.T.D.civ. 2002, p.121, obs. Th. Revet.

5
UNJF - Tous droits
Or, comme il n’existe aucun moyen de preuve direct et irréfutable de la propriété, seuls des modes
de preuve indirects et par essence imparfaits peuvent être utilisés. Le législateur ne décrit pas ces
modes de preuve, mais l’étude de la jurisprudence montre qu’en pratique, trois modes de preuve
peuvent être utilisés :
• les titres de propriété possèdent la plus grande force probante : ce sont les actes translatifs
de propriété (exemples : vente, donation…) ou les actes déclaratifs de propriété (exemple :
partage de succession). Mais ces titres ne sont pas une preuve irréfutable, même s’ils ont un
poids important, car il n’existe pas de titres officiels de propriété conférés par l’Etat. Ils
rendent le droit de propriété vraisemblable en ce qu’ils révèlent l’origine du droit prétendu ;
• la possession peut ensuite servir de mode de preuve, mais sa force probante est variable.
Si la possession est viciée, elle constitue un simple indice ; si elle est utile et qu’elle remplit
les conditions de durée exigées, elle permet de faire la preuve de la propriété par usucapion.
Dans ce second cas, elle devient le meilleur des moyens de preuve de la propriété
immobilière ;
• divers indices peuvent enfin servir de mode de preuve mais avec une force probante moins
Exemple
grande.
Il s’agit par exemple du paiement des impôts fonciers, des indications du cadastre (le cadastre est un sim

Ce sont les juges du fond qui apprécient souverainement la valeur de ces indices, sans que
la Cour de cassation ne puisse exercer son contrôle sur cette question.

Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens n’apporte pas beaucoup d’indices en la matière, puisque la propo

La diversité des modes de preuve admissibles, ainsi que l’absence de moyen absolu de preuve du
droit de propriété, génèrent par la force des choses des conflits entre les modes de preuve.
Comment ces conflits sont-ils résolus ?

B. Les conflits entre les modes de preuve


Aucun des modes de preuve étudiés ci-dessus ne peut constituer une preuve parfaite du droit de
propriété. En revanche, une certaine hiérarchie implicite s’impose. Ainsi, c’est la force probante
de l’usucapion qui est la plus forte : lorsque le revendiquant bénéficie de l’usucapion, aucun
autre moyen de preuve ne peut être suffisant pour contester son droit de propriété. Dans tous les
autres cas, il peut exister un conflit entre les différents modes de preuve apportés par chacune des
parties : il revient alors au juge saisi de trancher entre ces divers moyens de preuve et de retenir
6
UNJF - Tous droits
celui qui lui paraît le meilleur, le plus probable.

7
UNJF - Tous droits
En pratique, quatre situations peuvent soulever des difficultés :

1ère situation : les deux parties produisent un titre (« titre contre titre ») :
• si les deux titres émanent du même auteur (par exemple du même vendeur), on applique
le cas échéant les règles de la publicité foncière. Soit les titres ont été tous les deux
publiés : la primauté est accordée au titre qui a été publié le premier ; soit un seul titre a été
publié : la primauté est accordée à ce seul titre ; soit aucun titre n’a été publié : la priorité
est accordée au titre qui a date certaine antérieure ;
• si les deux titres émanent d’auteurs différents, la priorité est accordée à celui que le juge
considère comme le meilleur et le plus probable, compte tenu des autres indices,
documents et circonstances.

2ème situation : les deux parties invoquent une possession (« possession contre
possession
Exemple ») :
Celui qui se prétend le propriétaire initial de l’immeuble invoque sa possession antérieure, tandis que le défen

Alors, c’est la possession la meilleure et la mieux caractérisée qui l’emporte, en fonction


de l’appréciation souveraine des juges. Les magistrats prennent en compte les qualités de la
possession.
Exemple
Une possession non viciée l’emporte sur une possession viciée, même si elle est postérieure.

Ce conflit ne peut avoir lieu que si la possession n’a pas encore abouti à l’usucapion, qui l’emporte
dans tous les cas de manière indiscutable.

3ème situation : une partie invoque un titre, l’autre une possession (« titre contre
possession ») : en pratique, il faut imaginer que le demandeur, qui revendique la propriété
de l’immeuble, possède un titre, tandis que le défendeur ne possède aucun titre mais a la
possession actuelle de l’immeuble. Dans cette hypothèse, les juges font traditionnellement
prévaloir le critère de l’antériorité. Ainsi, le demandeur l’emporte lorsque son titre est antérieur à
la date de commencement de la possession du défendeur, sauf évidemment s’il y a usucapion. À
l’inverse,
Remarque le défendeur a la priorité si sa possession est antérieure au titre du demandeur.
Cette position jurisprudentielle a fait l’objet de critiques doctrinales. On peut citer par exemple le Doyen Carb
La jurisprudence récente semble cependant plus complexe et incertaine, car elle n’applique pas de manière s

4ème situation : il n’y a ni titre, ni possession utile : dans ce cas, le juge forme son opinion
à partir des autres indices que les parties peuvent amener en justice en fonction de son pouvoir
souverain d’appréciation.

8
UNJF - Tous droits
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend ces règles doctrinales et jurisprudentielles au sein de la p

La résolution des conflits entre les différents modes de preuve demeure complexe, sauf en cas
d’usucapion acquis par l’une des parties. Dans tous les cas, la question de la preuve sera tranchée
par le juge lors d’une action en justice, fondée sur la possession ou la propriété.

9
UNJF - Tous droits
Section 2. Les actions en justice
La question de la preuve n’a d’intérêt que lors d’une action en justice engagée par une personne
qui prétend à la possession ou à la propriété d’un bien, meuble ou immeuble. Il faut distinguer
deux catégories d’actions : les actions possessoires (§1) et l’action en revendication de la propriété
(§2).

§1. Les actions possessoires


Cette étude doit être rattachée à la partie consacrée aux effets juridiques de la possession (leçon
4). La possession utile peut produire deux effets : un effet acquisitif de propriété et une protection
juridique contre les troubles de la possession (article 2278 c.civ.). On parle dans ce second cas
d’actions possessoires : la possession utile doit être protégée contre les troubles créés par
les tiers, que le possesseur soit de bonne ou de mauvaise foi. Ainsi, lorsque la possession est
troublée, elle peut être protégée indépendamment du droit de propriété lui-même.

L’action possessoire peut être définie comme « l’action en justice ouverte devant le Tribunal de
grande instance, pendant l’année du trouble possessoire, en vue d’obtenir la protection
possessoire, à toute personne qui possède paisiblement un immeuble et au simple détenteur
précaire » (V. N.Reboul-Maupin, « Droit des biens », Hypercours Dalloz, 3e éd., 2010, p.210).
Cette action tend à protéger le fait juridique que constitue la possession, mais elle s’étend
également à la détention précaire.

Les meubles sont exclus du champ d’application de la protection possessoire, ce qui est
une solution logique. En effet, la protection possessoire est inutile en matière mobilière, dans la
mesure où le possesseur du meuble est tenu par la loi pour le propriétaire du bien, en vertu de
l’article 2276 al.1er c.civ. Il pourra se défendre en invoquant sa qualité de propriétaire : il n’a pas
besoin d’utiliser la notion de possession. Cependant, plusieurs auteurs penchent en faveur d’une
extension des actions possessoires aux meubles, certains meubles ayant aujourd’hui une grande
valeur.

Jurisprudence
La protection possessoire ne peut bénéficier qu’aux immeubles : Civ.1ère, 6 février 1996, Bull.
civ. I n°57 ; D. 1996, somm. p.331, obs. R. Libchaber ; J.C.P. éd. G. 1996, I, 3972, obs. H.
Périnet- Marquet ; R.T.D.civ. 1996, p.943, obs. F. Zénati.

Selon l’article 2279 c.civ., il existe plusieurs actions possessoires : « les actions possessoires sont
ouvertes dans les conditions prévues par le code de procédure civile à ceux qui possèdent ou
détiennent paisiblement ».

Quelle que soit l’action utilisée, elle est conditionnée par l’existence d’un trouble, c’est-à-dire par
l’existence de faits ou d’actes qui contredisent la possession et qui sont contraires au pouvoir de
fait exercé par le possesseur ou le détenteur sur la chose. Le trouble possessoire est défini
comme « tout fait matériel ou tout acte juridique qui, soit directement et par lui-même, soit
indirectement et par voie de conséquence, constitue ou implique une prétention contraire à la
possession d’autrui » (Civ. 11 janvier 1910, D.P. 1911, 1, 311). Le trouble doit être un acte
volontaire, même s’il n’est pas forcément intentionnel ou même s’il a été accompli de bonne foi.
Dans tous les cas, il doit entraîner une contestation de la possession : si le trouble cause
simplement un préjudice au possesseur sans atteindre spécifiquement sa possession, il devra
utiliser l’action en responsabilité délictuelle de droit commun fondée sur l’article 1382 c.civ.
Exemple
Le chien du voisin cause des dégâts sur mon terrain : ce n’est pas un trouble possessoire mais un préjudice ju

10
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Le possesseur a le choix entre l’utilisation des actions possessoires et la voie du référé pour
trouble manifestement illicite : Ass. Plén., 28 juin 1996, Bull. Ass. plén. n°6 ; D. 1996, juris. p.447,
concl. J.-F. Weber, note J.-M. Coulon ; R.T.D.civ. 1996, p.216, obs. J.Normand ; R.T.D.civ. 1996,
p.429, obs. F. Zénati.

Il existe donc différentes catégories d’actions possessoires (A), qui obéissent à des règles de
procédure particulières (B) et peuvent faire l’objet de sanctions prononcées par le juge (C).

11
UNJF - Tous droits
A. Les catégories d’actions possessoires
Plusieurs actions sont prévues en fonction des troubles subis : la complainte (1), la dénonciation
de nouvel œuvre (2) et l’action en réintégration (3).

1. La complainte (un trouble actuel)


D’origine coutumière, c’est l’action la plus générale, qualifiée d’action de droit commun. Elle peut
être intentée pour tout trouble actuel qui n’entre pas dans le champ des autres actions. Le
possesseur troublé par un tiers peut agir devant le juge pour mettre fin à un trouble actuel affectant
la possession.

LaExemple
complainte est ouverte qu’il s’agisse d’un trouble de fait...
Percement d’une vue, travaux réalisés sur le fonds d’autrui, pose d’une barrière laissant un passage insuffisan

...Exemple
ou d’un trouble de droit.
Sommation de payer des loyers adressée au possesseur, réclamation d’un droit de passage qui n’a pas lieu

La complainte n’est ouverte que si la possession est utile et paisible au sens de l’article 1264 du
Code de procédure civile (CPC), en vertu duquel la possession est paisible lorsqu’elle a duré au
moins un an. L’action est dirigée contre l’auteur du trouble, même s’il prétend avoir agi pour le
compte d’un tiers. Si l’action est reçue par le juge, celui-ci doit faire cesser le trouble : il prononce
alors une
« maintenue possessoire ». Il peut également ordonner une remise en l’état antérieur (exemple :
destruction des constructions) et éventuellement le versement de dommages et intérêts en cas de
préjudice.
Remarque
La Cour de cassation a expressément rappelé que l'action possessoire peut être intentée contre l'auteur maté
°11-10177, D.2012, 811 ; D.2012, 1528, note M.Jaouen ; D. 2012, 2135, obs. N.Reboul-Maupin ;
A.J.D.I. 2012, 365, obs. F. de la Vaissière ; J.C.P. éd. G. 2012, 465, n°4, obs. H.Périnet-Marquet.

2. La dénonciation de nouvel œuvre (un trouble éventuel et futur)


Cette action est ouverte pour empêcher la réalisation d’un trouble futur menaçant la
possession. Elle permet de faire cesser des travaux en cours par un voisin sur son propre fonds
s’ils constituent une menace susceptible de causer un dommage au possesseur (attention, si
les travaux sont achevés, le trouble est actuel et il faudra utiliser la complainte). Le juge a
seulement la possibilité de suspendre les travaux.
Exemple
Travaux sur le fonds voisin qui menacent de faire effondrer un immeuble.

La particularité de cette action est de pouvoir être utilisée à titre préventif, pour éviter un trouble
éventuel et futur.
12
UNJF - Tous droits
Comme la complainte, l’action en dénonciation de nouvel œuvre est soumise à l’article 1264 CPC :
il est nécessaire d’avoir une possession utile et paisible, ayant duré au moins un an.

3. L’action en réintégration ou réintégrande (dépossession violente)


L’action en réintégration ou réintégrande vise à protéger le possesseur contre les troubles les
plus graves, résultant d’actes volontaires de dépossession opérés à l’aide d’une violence ou
d’une voie de fait consistant dans un acte agressif sur la personne ou sur le bien du demandeur. Il
faut une usurpation violente de l’immeuble.
Exemple
Installation volontaire d’une barrière afin d’empêcher la possession du fonds, ou à l’inverse destruction volonta

Dans cette hypothèse, il existe plus qu’un trouble, il y a une véritable voie de fait, justifiant « une
réaction énergique du droit » (Ph. Malaurie, L. Aynès, « Les biens », Defrénois, 4e éd., 2010,
n°508).

13
UNJF - Tous droits
L’action n’est ouverte que si la possession est utile ; elle doit également avoir été paisible au
moment de la violence ou de la voie de fait mais la durée d’un an n’est pas exigée ici (article
1264 in fine CPC : « (…) toutefois, l’action en réintégration contre l’auteur d’une voie de fait peut
être exercée alors même que la victime de la dépossession possédait ou détenait depuis moins
d’un an »).

Quelle que soit l’action possessoire exercée, le législateur a prévu des règles de procédure
spécifiques.

B. Les règles de procédure


L’examen des actions possessoires est de la compétence exclusive du Tribunal de grande
instance dans le ressort duquel se situe l’immeuble. Ces règles de procédure concernent les
titulaires de l’action (1), le délai d’action (2) et le principe du non-cumul du possessoire et du
pétitoire (3).

1. Les titulaires de l’action


Les actions possessoires sont ouvertes à deux catégories de personnes que la loi entend protéger :

14
UNJF - Tous droits
Les possesseurs Les détenteurs précaires

Ils bénéficient de la protection possessoire Ils bénéficient également de la protection


qu’ils soient de bonne ou de mauvaise foi. possessoire (article 2278 al.2 c.civ. précité)
Pour la complainte et la dénonciation de mais ils ne peuvent pas utiliser ces actions
nouvel œuvre, il faut une possession utile contre la personne de qui ils tiennent leurs
et paisible ayant duré au moins un an alors droits.
qu’en matière d’action en réintégration, une
possession utile et paisible sans condition de
durée suffit. Exemple
Le locataire ne peut pas intenter une action
possessoire contre le bailleur qui troublerait
sa possession : il devra agir sur le
fondement du contrat de bail qui les unit. En
revanche, si le trouble dans la possession
est causé par un voisin, il peut utiliser la
protection possessoire contre celui-ci.

Les détenteurs précaires ne peuvent exercer


les actions possessoires qu’à l’égard des
tiers.

15
UNJF - Tous droits
2. Le délai d’action
Selon l’article 1264 CPC, les actions possessoires sont ouvertes « dans l’année du trouble » subi
par le possesseur ou le détenteur. À partir du jour de la réalisation des actes qui constituent le
trouble ou le risque de trouble pour la dénonciation de nouvel œuvre, le possesseur ou le
détenteur a une année pour agir en justice.

Ce délai est court mais logique car si le possesseur attend plus d’un an pour agir, c’est que le
trouble n’est pas réellement grave et ne justifie pas le prononcé de sanctions particulières.

3. Le non-cumul du possessoire et du pétitoire


L’article 2278 al.1er c.civ. indique que « la possession est protégée, sans avoir égard au fond du
droit, contre le trouble qui l’affecte ou la menace ». En ce sens, on dit que les actions
possessoires sont indépendantes du fond du droit : l’auteur d’un trouble possessoire ne peut
pas se défendre en invoquant son droit de propriété. L’action possessoire protège la possession,
tandis que l’action pétitoire est relative à la propriété, c’est-à-dire au fond du droit. De plus, il n’est
pas possible de cumuler une action possessoire avec une action en revendication, dite
action pétitoire. Le principe de non-cumul des actions possessoires et des actions pétitoires
s’impose tant au juge qu’aux parties.

C. Les sanctions prononcées par le juge


Le Tribunal de grande instance examine les éléments de preuve fournis par les parties concernant
le trouble dans la possession et retient ou non le bien-fondé de la demande. Si le juge estime
l’action recevable et reconnaît l’existence d’une possession troublée, il doit prendre les mesures
nécessaires pour que le possesseur retrouve une possession paisible : on parle de «
maintenue possessoire ». La sanction varie selon la nature de l’action :

• s’il s’agit d’une complainte : le juge ordonne la modification ou la suppression des travaux
accomplis, au besoin sous astreinte.
Exemple
La démolition de la barrière laissant un passage insuffisant.

Il peut aussi condamner l’auteur du trouble au paiement de dommages et intérêts en cas de


préjudice causé au possesseur ou au détenteur ;
• s’il s’agit d’une dénonciation de nouvel œuvre : le juge ordonne l’interruption des travaux
entamés par l’auteur du trouble ;
• s’il s’agit d’une action en réintégration : le juge ordonne de remettre la possession dans l’état
oùExemple
elle se trouvait avant la réalisation de la voie de fait.
Il peut prescrire la destruction de travaux faits sur le fonds du possesseur ou au contraire ordonner la

S’agissant d’une dépossession violente, il a la possibilité de condamner l’auteur du trouble au


paiement de dommages et intérêts.

Dans tous les cas, la partie éventuellement condamnée au possessoire pourra ensuite intenter une
action pétitoire en revendication, fondée sur le droit de propriété, à condition d’avoir mis fin au
trouble possessoire.

16
UNJF - Tous droits
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens propose de modifier en profondeur le dispositif des actions pos

Le législateur n’a pas seulement prévu des actions destinées à protéger la possession. Il existe
bien évidemment une possibilité de protéger son droit de propriété, par une action pétitoire
appelée action en revendication, relative au fond du droit.

§2. L’action en revendication


Une fois prouvée, la propriété peut être défendue par son titulaire, notamment lorsque le bien
est détenu par un tiers qui refuse de le restituer. Le propriétaire dispose d’une action en
revendication de son bien, qui lui permet de faire reconnaître sa propriété et de récupérer le
bien : on parle d’action « pétitoire ». Les règles varient en fonction de la nature mobilière (A) ou
immobilière (B) de la propriété.

A. La revendication de la propriété mobilière


Cette action est, en pratique, très rarement exercée car elle entre en conflit avec l’article 2276
al.1e c.civ. En effet, concrètement, l’action en revendication mobilière ne peut être exercée que :

• si la possession est viciée ;


• si celui qui détient le meuble n’est qu’un détenteur précaire ;
• si le possesseur est de mauvaise foi ;
• si le meuble a été perdu ou volé : l’action est ouverte pendant trois ans.

Dans ces hypothèses, celui qui revendique le bien doit prouver son propre droit de propriété.
Remarque
La jurisprudence estimait que l’action en revendication de la propriété mobilière était imprescriptible, sauf hypo

B. La revendication de la propriété immobilière


Il faut étudier la mise en œuvre de l’action (1) puis ses effets (2).

1. La mise en œuvre de l’action


L’action en revendication de la propriété immobilière est rarement intentée, car cette fois la
difficulté se situe au niveau de la preuve. Ici, le conflit oppose une personne qui prétend être
propriétaire d’un immeuble au possesseur actuel ou éventuellement au détenteur actuel de
l’immeuble. Le demandeur doit faire la preuve de sa propriété, en utilisant les modes de preuve
17
UNJF - Tous droits
déjà présentés (un

18
UNJF - Tous droits
titre de propriété, une possession, des indices, etc.). Or, le propriétaire préfère en général exercer
une action possessoire, lorsqu’il est troublé dans sa possession ou lorsqu’il en a été évincé, ou
encore une action sur le terrain contractuel s’il est en conflit avec un tiers détenteur qui lui doit
restitution du bien.

L’action doit être formée devant le Tribunal de grande instance dans le ressort duquel
l’immeuble est situé, qui bénéficie d’une compétence exclusive.

Jurisprudence
Le délai de prescription de l’action en revendication mobilière a fait l’objet d’une évolution
importante.
En effet, si l’article 2262 c.civ. précisait, dans sa version antérieure à la réforme de la prescription
civile opérée par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, que « toutes les actions, tant réelles que
personnelles, sont prescrites par trente ans », la Cour de cassation affirmait au contraire que
l’action en revendication de la propriété était imprescriptible (v. pour un exemple récent :
Jurisprudence : Civ. 3ème 5 juin 2002, Bull. civ. III n°129 ; D. 2003, juris. p.1461, note G.
Pillet ; J.C.P. éd.
G. 2002, II, 10190, note M. Du Rusquec : « la propriété ne se perdant pas par le non-usage,
l’action en revendication n’est pas susceptible de prescription extinctive ».). En pratique, l’action
en revendication de la propriété était considérée comme imprescriptible, avec une seule limite : la
possession par un tiers pendant trente ans entraîne l’usucapion et éteint l’action, à condition de
réclamer l’application de cet usucapion.

Cependant, depuis la réforme précitée de 2008, le législateur semble avoir clairement mis fin à
cette interprétation divergente de la jurisprudence. L’article 2227 c.civ. dispose en ce sens que «
Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se
prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître
les faits lui permettant de l’exercer ». A l’heure actuelle, l’action en revendication de la propriété
immobilière est donc enfermée dans un délai de prescription de trente ans.

Rarement mise en œuvre, l’action en revendication de la propriété immobilière a cependant,


lorsqu’elle est accueillie, des effets importants.

2. Les effets de l’action


Lorsque l’action du demandeur en revendication est accueillie favorablement par les juges,
le demandeur va être déclaré propriétaire du bien par ce jugement. Celui-ci produit effet
principalement entre les parties mais aussi, dans une moindre mesure, à l’égard des tiers.

La décision rendue par les juges est soumise au principe de l’autorité de la chose jugée.
L’autorité de la chose jugée est absolue entre les parties mais elle n’est que relative à l’égard
des tiers. Cependant, la décision rendue est opposable aux tiers : il s’agit d’un acte juridique que
le propriétaire peut invoquer à l’égard des tiers. Mais cela n’empêche pas qu’un tiers fasse une
nouvelle action en justice pour revendiquer l’immeuble : la décision n’est pas une preuve
irréfutable de la propriété, même si elle est un élément de preuve important. Un tiers qui
apporterait des preuves faisant état du droit le meilleur et le plus probable pourrait être
considéré comme le propriétaire le plus vraisemblable.

Les effets les plus importants sont toutefois ceux qui sont produits entre les parties : le demandeur est recon

Cette restitution peut parfois soulever des difficultés car le propriétaire doit récupérer son bien libre
de toute charge et le bien doit lui être restitué avec ses produits et ses accessoires. À l’inverse, le
possesseur a pu faire des dépenses pour réparer l’immeuble ou l’améliorer et le propriétaire ne
doit pas bénéficier d’un enrichissement sans cause de ce fait. Dans ce cas, il va être procédé à
une opération que l’on appelle « le règlement des comptes » entre les deux parties. Il s’agit de
faire un inventaire et de calculer d’un côté ce qui est dû au propriétaire nouvellement reconnu, et
19
UNJF - Tous droits
de l’autre côté ce qui est dû au possesseur évincé. La jurisprudence a développé en ce domaine
des règles

20
UNJF - Tous droits
spécifiques qui permettent de distinguer entre les prestations dues au propriétaire nouvellement
reconnu et les prestations dues au possesseur évincé.

a) Les prestations dues au propriétaire nouvellement reconnu


Le propriétaire revendiquant a droit à trois catégories de prestations :

• les produits de l’immeuble : ce sont ceux qui altèrent la substance du bien, selon la
définition déjà étudiée. Ils doivent être rendus avec l’immeuble, que le possesseur
évincé ait été de bonne ou de mauvaise foi. S’il n’est pas possible de les rendre en nature,
ils doivent être restitués en valeur ;

• les fruits de l’immeuble : il faut distinguer ici deux cas de figure, envisagés par l’article 549
c.civ. : « le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne
foi » ;

• si le possesseur est de bonne foi, il n’a pas à restituer les fruits. La bonne foi est
présumée et il appartient au propriétaire revendiquant de prouver la mauvaise foi du
possesseur (art. 2274 c.civ.) ;

• si le possesseur est de mauvaise foi, il doit restituer les fruits. L’article 548 c.civ. dispose
dans ce cas que « les fruits produits par la chose n’appartiennent au propriétaire qu’à la
charge de rembourser les frais de labour, travaux et semences faits par des tiers et dont la
valeur est estimée à la date du remboursement ». Les fruits doivent être restitués,
déduction faite des dépenses engagées pour les obtenir : on parle de « profit net » (Civ.
3ème, 12 février 2003, Bull. civ. III n°36 ; D. 2003, somm. p.2040, obs. B. Mallet-Bricout).

• le propriétaire nouvellement reconnu a droit à des indemnités lorsque la valeur du


bien a été diminuée par des détériorations ou la vente d’objets mobiliers accessoires à
l’immeuble.

21
UNJF - Tous droits
Là encore, il faut distinguer deux cas de figure :

• si le possesseur est de bonne foi, il n’a pas à répondre des détériorations subies par
l’immeuble, soit de son fait, soit par cas fortuit, au moins jusqu’à la demande en justice. Pour
la vente d’objets mobiliers accessoires, il doit en restituer le prix sauf si la cession a eu lieu
à titre gratuit ;
• si le possesseur est de mauvaise foi, il répond de toutes les détériorations, quelle que
soit leur origine sauf s’il arrive à prouver que les mêmes détériorations auraient probablement
eu lieu si l’immeuble avait été possédé par le propriétaire. En cas de vente, il doit restituer le
prix du bien même s’il a été cédé à titre gratuit.

Il faut ensuite examiner quelles sont les prestations dues au possesseur évincé.

b) Les prestations dues au possesseur évincé


Le possesseur évincé a pu croire qu’il était réellement propriétaire. À ce titre, il a pu faire des
dépenses pour des travaux d’amélioration ou d’embellissement de l’immeuble, que l’on appelle les
« impenses ». Il ne serait pas juste que le propriétaire revendiquant en bénéficie indûment car
il y aurait enrichissement sans cause et une atteinte serait portée à la justice commutative. La
jurisprudence a développé une théorie appelée « théorie des impenses », qui oblige à distinguer
plusieurs types de dépenses, selon la nature des travaux. Cette théorie est indifférente à la
bonne ou à la mauvaise foi du possesseur, alors que ce critère était essentiel pour déterminer à
l’inverse les prestations dues au propriétaire revendiquant. Cette indifférence s’explique dans ce
cas de figure puisque l’objectif essentiel est de rétablir un équilibre entre les patrimoines du
propriétaire et du possesseur et non de sanctionner le comportement du possesseur.
Remarque
La loi n°2009-256 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit a remplacé le terme d’ « impense

Les règles varient en fonction de la qualification des dépenses, classées en trois catégories :
22
UNJF - Tous droits
• les impenses ou dépenses nécessaires : ce sont les dépenses indispensables à la
conservation du bien (exemples : réparation de la toiture, réparation d’un mur qui menaçait
ruine,etc.). Les impenses nécessaires sont intégralement remboursées au possesseur
évincé, sauf si elles entrent dans les dépenses d’entretien courant (exemple : remplacement
d’une vitre cassée). Le propriétaire nouvellement reconnu devra rembourser le coût des
travaux à l’ancien possesseur. Les articles 861 al.2 & 1381 c.civ. apportent des détails sur
ces points ;

• les impenses ou dépenses utiles : ce sont les dépenses qui, sans être nécessaires,
ont permis une amélioration de l’immeuble (exemples : installation d’un ascenseur, d’un
chauffage central, etc). Les impenses utiles sont remboursées au possesseur évincé dans
la limite de la plus-value conférée à l’immeuble, appréciée au jour de l’admission de la
revendication, en application des articles 861 al. 1er 1381 c.civ.. Il s’agit ici de travaux
effectués sur des constructions déjà existantes. S’il s’agit de constructions ou de plantations
nouvelles, il faut appliquer le dispositif particulier de l’article 555 c.civ. (cf. supra., leçon 2
relative à la notion de droit de propriété) ;

• les impenses ou dépenses somptuaires ou voluptuaires : ce sont les dépenses qui


n’ont comme but que de satisfaire les goûts personnels du possesseur évincé, des
dépenses de pur luxe ou d’agrément. Ce sont les enjolivements qu’un immeuble peut
recevoir, sans qu’il en résulte une plus-value nécessaire. Le possesseur évincé n’a droit à
aucun remboursement pour ces dépenses ; il peut toutefois enlever les objets apposés sur le
fond, si cela est possible sans dégradation pour l’immeuble (cf. art. 599 al.3 c.civ.).

Lorsque cet inventaire a été fait, entre ce que doit le propriétaire et ce que doit le possesseur
évincé, un compte est établi qui permet d’établir un solde :

Si le compte est débiteur pour le Si le compte est créditeur pour le


possesseur possesseur

Il doit restituer l’immeuble et les sommes Il bénéficie d’un droit de rétention, qui
dues, calculées en fonction des règles signifie qu’il peut retenir l’immeuble tant
précédemment énoncées. qu’il n’a pas été payé : il n’a pas à
restituer l’immeuble tant que le propriétaire
revendiquant n’a pas réglé sa dette. La
jurisprudence a toujours reconnu ce droit au
possesseur de bonne foi, mais elle refusait
de l’admettre pour le possesseur de
mauvaise foi. Les choses semblent
différentes à l’heure actuelle, car le nouvel
article 2286 c.civ., issu d’une ordonnance du
23 mars 2006 relative aux sûretés, reconnaît
ce droit de rétention à « celui dont la
créance impayée est née à l’occasion de la
détention de la chose », sans distinguer
entre la bonne et la mauvaise foi.
Cet examen des règles de protection du droit de propriété a permis de mettre en évidence
l’existence de nombreux moyens d’action à la disposition du possesseur ou du propriétaire afin
de défendre leur pouvoir, de fait ou de droit, sur la chose. Il permet de clore l’étude du droit
individuel de propriété, lorsque tous les pouvoirs sont réunis entre les mains d’une seule
personne. La notion de propriété collective doit maintenant être abordée, à travers l’une de ses
modalités principales qui est l’indivision.

23
UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 6 : La propriété collective : le régime de l’indivision ordinaire

Table des matières


Section 1. L’indivision subie : le régime légal de l’indivision............................................................. p. 4
§1. Les droits des indivisaires..................................................................................................................................... .p. 4
A. Le droit au partage.........................................................................................................................................................................p. 4
1. Le principe : le caractère précaire de l’indivision....................................................................................................................................................... p. 4
2. Les exceptions : le maintien de l’indivision................................................................................................................................................................ p. 4
a) Le maintien judiciaire de l’indivision.......................................................................................................................................................................... p. 5
b) Le maintien conventionnel de l’indivision.................................................................................................................................................................. p. 6
B. Les droits portant sur les parts indivises....................................................................................................................................... p. 6
1. Le droit exclusif et individuel sur les parts indivises.................................................................................................................................................. p. 6
2. Le droit de préemption en cas de cession de parts indivises.................................................................................................................................... p. 7
C. Le droit d’usage et de jouissance sur les biens indivis................................................................................................................. p. 8
§2. La gestion de l’indivision...................................................................................................................................... p. 10
A. Les règles de gestion de l’indivision............................................................................................................................................ p. 12
1. Les actes conservatoires...........................................................................................................................................................................................p. 12
2. Les actes d’administration et de disposition............................................................................................................................................................. p. 14
a) Les actes soumis à un principe majoritaire............................................................................................................................................................ p. 14
b) Les actes soumis à l’unanimité des indivisaires..................................................................................................................................................... p. 14
3. Les règles particulières............................................................................................................................................................................................. p. 15
B. Le contrôle de la gestion de l’indivision.......................................................................................................................................p. 15
1. Le règlement judiciaire des situations de crise.........................................................................................................................................................p. 15
2. L’inopposabilité des actes irréguliers........................................................................................................................................................................ p. 18
§3. La situation des créanciers.................................................................................................................................. p. 18
A. Les créanciers de l’indivision....................................................................................................................................................... p. 18
B. Les créanciers personnels des indivisaires................................................................................................................................. p. 19
Section 2. L’indivision voulue : le régime conventionnel.................................................................. p. 21
§1. La durée de l’indivision conventionnelle.............................................................................................................. p. 21
§2. L’organisation de l’indivision conventionnelle.......................................................................................................p. 21

1
UNJF - Tous droits
Le droit de propriété est en principe individuel et exclusif : il a été conçu comme tel lors de son
affirmation après la Révolution française et dans le Code civil rédigé en 1804. Il y a, en principe,
un maître de la chose qui détient l’usus, le fructus et l’abusus, c’est-à-dire les trois attributs de la
propriété. Très peu d’articles traitaient alors de la propriété collective et l’on trouvait quelques rares
dispositions relatives à l’indivision et à la copropriété des immeubles bâtis. Les rédacteurs du Code
civil étaient en effet hostiles à la propriété collective pour des raisons politiques et économiques et
parce qu’ils craignaient la puissance des groupements.

Mais depuis 1804, la propriété collective a connu un essor important, notamment en raison de la
construction de nombreux immeubles dans les zones urbaines (qui sont souvent des copropriétés)
et du développement de la multipropriété et des loisirs (jouissance à temps partagé)… La
multiplication de ces situations de dérogation au principe de la propriété individuelle et exclusive
entraîne un risque de confusion.
Il devient essentiel de bien différencier la propriété collective, dans laquelle une chose est attribuée simultaném

Il existe deux types principaux de propriété collective : l’indivision, qui sera l’objet de cette leçon, et
la copropriété qui sera étudiée dans la leçon 8.
L’indivision peut être définie comme une forme de propriété commune, d’origine légale ou conventionnelle, qu

Il existe deux formes d’indivision : une indivision ordinaire, issue d’une proximité de personnes,
qui sera la seule envisagée dans ce thème 6 et une indivision spéciale, la mitoyenneté, issue
d’une proximité des biens (mitoyenneté des murs, des haies…) et donc des rapports entre les
propriétaires de deux fonds voisins. Cette notion de mitoyenneté sera étudiée dans la leçon 7.
Pour certains auteurs, la mitoyenneté est plutôt une forme de copropriété de voisinage ; la
distinction n’a d’intérêt que théorique car le régime est identique quelle que soit la catégorie
utilisée. D’ailleurs indivision et copropriété sont à l’origine des synonymes, ce n’est que par
convention de langage que l’indivision désigne en général une propriété collective qui a vocation à
prendre fin par un partage alors que la copropriété organise une propriété collective conçue
comme un état définitif.

L’indivision est donc un concours, une concurrence de droits de même nature sur un même bien, droits déten

Il n’est pas possible d’identifier, au sein de ces droits, quelle partie appartient à telle personne :
chacun a une part du tout sans qu’il soit possible d’effectuer une division matérielle de ces parts.

Le Code civil actuel ne donne aucune définition de l’indivision ordinaire. L’ensemble des règles est
traité ailleurs dans le Code, dans les règles relatives aux relations familiales et successorales.
Remarque
Le groupe de travail consacré à la réforme du droit des biens n’a pas voulu réintégrer ces règles dans le droit

Les sources de l’indivision ordinaire sont nombreuses et diverses.

2
UNJF - Tous droits
L’architecture générale actuelle du Code civil oppose un régime légal, applicable de plein droit à
toute indivision, quelle qu’en soit l’origine, à un régime qui pourra être organisé par convention
entre les indivisaires. Il faut donc s’intéresser au régime légal de l’indivision, également appelé
l’indivision subie (Section 1) puis aux règles applicables à l’indivision conventionnelle, c’est-à-dire
cette fois à l’indivision voulue et non imposée (Section 2).

3
UNJF - Tous droits
Section 1. L’indivision subie : le régime légal de l’indivision
Le régime légal de l’indivision fait l’objet des articles 815 à 815-18 c.civ., réformés par la loi du 23
juin 2006 précitée. C’est le droit commun de l’indivision, le régime applicable à défaut de précision
contraire par les indivisaires et de dispositions spécifiques propres par exemple aux indivisions
successorales ou post-communautaires. Ce régime légal traite successivement de plusieurs
aspects concernant les droits des indivisaires (§1), la gestion de l’indivision (§2) et la situation des
créanciers (§3).

§1. Les droits des indivisaires


Tout indivisaire, qui partage avec d’autres personnes des droits de même nature sur un bien, peut
demander le partage quand il le souhaite : ce droit au partage est fondamental (A). Tout indivisaire
bénéficie également, pendant le temps de l’indivision, de droits portant sur les parts indivises (B) et
d’un éventuel droit d’usage et de jouissance sur les biens indivis eux-mêmes (C).

A. Le droit au partage
Par principe, l’indivision a un caractère précaire et provisoire (1), mais ce principe connaît des
exceptions qui permettent le maintien dans l’indivision (2).

1. Le principe : le caractère précaire de l’indivision


Par principe, l’indivision a un caractère précaire : elle n’a pas vocation à durer et elle est par
essence provisoire. Dès l’origine, cette règle fondamentale a été inscrite à l’article 815 c.civ. : «
Nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être
provoqué (…) ». L’idée du législateur est que l’indivision constitue une situation anormale, car la
situation normale est la propriété individuelle : il faut toujours permettre l’expression de la volonté
d’un ou plusieurs indivisaires de mettre fin à l’indivision. Mais à l’inverse, le partage n’est pas
une obligation : rien n’empêche l’indivision de rester définitive.

La conséquence essentielle de ce principe est que l’action en partage est toujours ouverte et
ne peut jamais être prescrite. De plus, la demande de partage des biens ne peut jamais être
considérée comme abusive, quel que soit l’objectif poursuivi par l’indivisaire qui le demande, que
ce soit un objectif légitime ou une intention malicieuse.
Lorsque le partage est prononcé, il n’a pas un effet translatif de droits mais un effet déclaratif, car
il est rétroactif. Cela signifie que chaque ex-indivisaire est réputé propriétaire des biens qui lui
sont attribués dans le partage, de manière rétroactive, comme s’il en avait été le seul propriétaire
dès le début de l’indivision (par exemple, dès le décès de l’auteur). Il est censé avoir eu dès
l’origine un droit de propriété plein et entier sur les biens qui se retrouveront dans son lot lors du
partage. C’est une sorte de fiction juridique, qui conduit à se comporter comme si l’indivision
n’avait jamais existé. Ainsi, tous les actes accomplis par un indivisaire seul, sans pouvoir suffisant,
sont validés rétroactivement s’ils portent sur des biens qui font partie de son lot. A contrario, de
tels actes sont rétroactivement nuls si, lors du partage, les biens ne font pas partie du lot de
l’indivisaire qui a conclu seul ces actes.

Le législateur a cependant prévu quelques exceptions à ce droit au partage.

2. Les exceptions : le maintien de l’indivision


La réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 conduit à distinguer à l’heure actuelle trois situations
de maintien judiciaire de l’indivision (a), qui se heurtent au caractère précaire et à la possibilité de

4
UNJF - Tous droits
toujours provoquer le partage. Ces cas sont prévus aux articles 820 à 824 c.civ. Il existe
également une hypothèse dans laquelle le maintien de l’indivision peut être conventionnel (b),
c’est-à-dire décidé entre les parties.

a) Le maintien judiciaire de l’indivision


L’un des indivisaires pourra saisir le juge pour lui demander de prononcer le maintien de
l’indivision dans trois hypothèses :

• 1ère hypothèse : le sursis au partage pour des causes déterminées :

Cette hypothèse est envisagée à l’article 820 c.civ. : « à la demande d’un indivisaire, le tribunal
peut surseoir au partage pour deux années au plus si sa réalisation immédiate risque de porter
atteinte à la valeur des biens indivis ou si l’un des indivisaires ne peut reprendre l’entreprise
agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dépendant de la succession qu’à
l’expiration de ce délai. Ce sursis peut s’appliquer à l’ensemble des biens indivis ou à certains
d’entre eux seulement. S’il y a lieu, la demande de sursis au partage peut porter sur les droits
sociaux ».
Ainsi, il est possible de repousser le partage pour une durée maximale de deux ans, non
renouvelables, pour les causes suivantes : soit un risque de perte de valeur immédiate des
biens, soit la nécessité de bénéficier d’un délai pour reprendre l’exploitation de l’entreprise.
Exemple
L’un des indivisaires termine ses études avant de reprendre l’entreprise.

• 2ème hypothèse : le maintien de l’indivision de toute entreprise agricole, commerciale,


industrielle, artisanale ou libérale et de la propriété du local d’habitation ou à usage
professionnel, ainsi que des objets garnissant ce local.

Ces cas de figure sont prévus par les articles 821 à 823 c.civ. Les bénéficiaires de ce maintien
dans l’indivision sont limitativement énumérés : il s’agit du conjoint survivant, des héritiers ou
des représentants légaux des héritiers mineurs. De plus, s’agissant des locaux d’habitation ou
professionnels et des instruments de travail, il faut que ces biens, qui appartenaient au défunt,
aient été effectivement utilisés par le défunt ou le conjoint survivant pour son habitation ou sa
profession. Enfin, en l’absence d’accord amiable, c’est le tribunal qui statue en fonction des
intérêts en présence. Le maintien dans l’indivision peut être prononcé pour cinq ans maximum,
délai renouvelable jusqu’à la majorité du plus jeune héritier ou jusqu’au décès du conjoint
survivant.

• 3ème hypothèse : le maintien partiel de l’indivision et l’attribution préférentielle.

Selon l’article 824 c.civ., « si des indivisaires entendent demeurer dans l’indivision, le tribunal peut,
à la demande de l’un ou de plusieurs d’entre eux, en fonction des intérêts en présence et sans
préjudice de l’application des articles 831 à 832-3, attribuer sa part à celui qui a demandé le
partage. S’il n’existe pas dans l’indivision une somme suffisante, le complément est versé par
ceux des indivisaires qui ont concouru à la demande, sans préjudice de la possibilité pour les
autres indivisaires d’y participer, s’ils en expriment la volonté. La part de chacun dans
l’indivision est augmentée à proportion de son versement ».
Ainsi, si plusieurs personnes souhaitent rester dans l’indivision mais que l’une d’entre elles
veut en sortir, le juge peut décider de maintenir l’indivision entre ceux qui le souhaitent et
d’attribuer à celui qui le demande sa part de l’indivision. On parle d’attribution préférentielle
ou d’allotissement. Il peut y avoir une attribution en nature, ou une attribution en valeur, ou un
complément en valeur par les autres indivisaires dont la part est alors augmentée en fonction de
leur contribution.

5
UNJF - Tous droits
b) Le maintien conventionnel de l’indivision
En application des articles 1873-2 et 1873-3 c.civ., les coïndivisaires peuvent décider, à
l’unanimité, de demeurer dans l’indivision pendant une durée maximale de cinq ans. Ce
maintien dans l’indivision doit être décidé par tous les coïndivisaires et doit être constaté dans une
convention écrite, à peine de nullité. Dans cette hypothèse, aucun des indivisaires ne pourra
provoquer le partage dans ce délai, sauf s’il existe de justes motifs.
La convention peut également être prévue pour une durée indéterminée mais dans ce cas, le
partage pourra être provoqué plus facilement, à tout moment, à condition de ne pas être de
mauvaise foi ou à contretemps.
Enfin, le législateur précise que la convention signée entre tous les indivisaires pour une
durée déterminée peut être renouvelée par tacite reconduction, pour une durée déterminée ou
indéterminée.
Remarque
Ces exceptions, qu’elles soient judiciaires ou conventionnelles, montrent que le législateur contemporain est m

Tant que le partage n’a pas été prononcé, les biens demeurent en indivision. Chacun des
coïndivisaires dispose alors de droits propres sur ses parts indivises.

B. Les droits portant sur les parts indivises


Le principe est que chaque indivisaire dispose d’un droit exclusif et individuel sur les parts
indivises (1). Il existe également un second droit, lié au particularisme de l’indivision : le droit de
préemption en cas de cession (2).

6
UNJF - Tous droits
1. Le droit exclusif et individuel sur les parts indivises
Chaque indivisaire possède un certain nombre de parts sur l’indivision ; elles peuvent être égales
ou inégales, exprimées en fraction ou en pourcentage. Elles seront déterminées en fonction de la
succession, du régime matrimonial… Il s’agit de parts abstraites : ces parts ne se rapportent
pas à chacun des biens mais à l’ensemble de la masse indivise.

Chaque indivisaire dispose d’un droit individuel et exclusif sur ses parts. Il peut disposer de sa
part comme un véritable propriétaire : il peut la vendre, la donner… ; il peut également exercer en
justice toutes les actions qui correspondent à ses parts. Il dispose d’un droit de propriété complet
sur les parts indivises qu’il possède.

Jurisprudence
Civ. 1ère, 4 octobre 2005, Bull. civ. I n°359 ; D. 2005, I.R. p.2771 « si les actes d'administration et
de disposition relatifs aux biens indivis requièrent le consentement de tous les indivisaires,
chacun d'eux peut librement disposer de sa quote-part de droits sur un bien indivis ».

Ce droit individuel et exclusif se double d’un second droit spécifique en cas de cession de parts
indivises.

2. Le droit de préemption en cas de cession de parts indivises


Le législateur accorde aux indivisaires un droit de préemption ou un droit de substitution
lorsque l’un d’entre eux souhaite céder sa part indivise. Il prend en compte le contexte familial et le
fait que l’intrusion d’une personne extérieure dans l’indivision puisse perturber la gestion.
Remarque
Ce droit de préemption ou de substitution est reconnu quelle que soit la forme de l’indivision : Civ. 1ère, 23 av

Deux hypothèses sont envisagées :


• Lorsqu’il s’agit d’une cession amiable
Exemple
Un indivisaire vend sa part à un tiers par une convention.

Les indivisaires disposent d’un droit de préemption. L’art. 815-14 c.civ prévoit que celui
qui souhaite céder sa part doit informer les autres indivisaires, qui disposent d’un délai d’un
mois pour exercer leur droit de préemption et « racheter » la part indivise cédée, aux mêmes
conditions que celles prévues à la convention. L’acte de cession doit intervenir dans un délai
de deux mois après éventuelle mise en demeure, sous peine de nullité de la déclaration de
préemption.

7
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Seul le cédant peut se prévaloir de la nullité de la déclaration de préemption en cas de non
réalisation de la vente à l’expiration du délai imparti par l’article 815-14 c.civ. : Civ. 1ère, 12
décembre 2007, Bull. civ. I n°386 ; J.C.P. éd. G. 2008, I, 127, n°14, obs. H. Périnet-Marquet.

L’indivisaire peut toujours renoncer à la vente de ses parts, même s’il a déjà notifié aux autres
indivisaires son intention de vendre et même si l’un des indivisaires a déjà manifesté sa volonté
d’exercer son droit de préemption : Civ. 1ère, 5 juin 1984, Bull. civ. I n°183 « attendu qu'à défaut
de disposition le précisant dans l'article 815-14 du Code civil, qui a seulement pour but d'éviter
l'intrusion d'un tiers étranger à l'indivision, la notification faite au titulaire du droit de préemption de
l'intention de céder les droits indivis ne vaut pas offre de vente ; qu'il en résulte que l'indivisaire
qui a fait cette notification peut renoncer à son projet de vente malgré la manifestation de volonté
d'un autre indivisaire d'exercer le droit de préemption ».

A peine de nullité, l’indivisaire qui souhaite céder sa quote-part à une personne étrangère à
l’indivision doit notifier aux autres indivisaires les conditions de la cession : Civ. 1ère, 28 janvier
2009, Bull. civ. I n°18 ; D. 2009, A.J. p.430 ; J.C.P. éd. G. 2009, n°12, chron. 127, n°8, obs. H.
Périnet-Marquet ; J.C.P. éd. G. 2010, n°7, chron. 203, n°6, obs. Le Guidec « à peine de nullité de
la cession, l'indivisaire qui entend céder, à titre onéreux, à une personne étrangère à l'indivision,
tout ou partie de ses droits dans les biens indivis est tenu de notifier aux autres indivisaires le
nom, le domicile et la profession de la personne qui se propose d'acquérir ». Ainsi, l’acte de
vente est nul si l'identité de l'acquéreur n'avait pas été notifiée à l'indivisaire bénéficiaire du droit
de préemption.

• Lorsqu’il s’agit d’une adjudication


Exemple
Vente aux enchères.

Les indivisaires disposent d’un droit de substitution. L’art. 815-15 c.civ. dispose que
l’avocat ou le notaire informe les autres indivisaires qui disposent là aussi d’un délai d’un
mois pour exercer leur droit de substitution.

L’art. 815-16 c.civ. précise que lorsque ces règles ne sont pas respectées, la cession et
l’adjudication sont frappées d’une nullité relative. Il est donc essentiel, dans de telles
hypothèses, de bien notifier aux autres indivisaires le prix, les conditions de la cession envisagée
et l’identité de l’éventuel acquéreur.

Après avoir étudié les droits portant sur les parties indivises, il reste à examiner les droits des
indivisaires sur les biens indivis eux-mêmes.

C. Le droit d’usage et de jouissance sur les biens indivis


L’art. 815-9 al.1e c.civ. énonce que « Chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis
conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires
et avec l’effet des actes régulièrement passés au cours de l’indivision. A défaut d’accord entre les
8
UNJF - Tous droits
intéressés, l’exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal ».

9
UNJF - Tous droits
En vertu de ce texte, un indivisaire peut, avec l’accord des autres ou sur décision du juge, avoir
l’usage et la jouissance exclusifs d’un bien indivis.
Exemple
Il peut, par exemple, occuper un immeuble : deux enfants qui héritent d’un appartement en bord de mer peuve

Dans tous les cas, l’indivisaire doit respecter la destination des biens, c’est-à-dire leur affectation,
et il ne doit pas porter atteinte au droit égal et concurrent de ses coïndivisaires.
Exemple
Un indivisaire ne peut pas installer une activité commerciale dans un immeuble destiné à l’habitation.

De plus, l’art. 815-9 al.2 c.civ. précise que « L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose
indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité ». Cette solution est logique car
l’indivision est privée des fruits de la chose.
Exemple
L'indivisaire qui habite l’immeuble est redevable des loyers à l'indivision.

Ce manque à gagner doit être compensé par le versement d’une indemnité, appelée indemnité
d’occupation ou indemnité de jouissance, qui a donné lieu à un abondant contentieux
jurisprudentiel.

Jurisprudence
Civ. 1ère, 5 février 1991, 2 arrêts, Bull. civ. I n°53&54 ; D. 1991, I.R. p.61 ; Defrénois 1991,
art.35018, obs.G. Champenois ; R.T.D.civ. 1992, p.615, obs.J.Patarin – Civ. 1ère, 14 juin 2000,
Bull. civ. I n
°186, J.C.P. éd. G. 2001, I, 305, n°2, obs. H. Périnet-Marquet.

L’indemnité est égale au montant du revenu que le bien indivis aurait pu produire et elle doit être
versée à l’indivision et non aux indivisaires, sauf convention entre les indivisaires qui peuvent
décider du versement à chacun de sa part d’indemnité.

10
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
L’indemnité d’occupation est due même lorsque l’indivisaire n’occupe pas effectivement les lieux,
si les coïndivisaires étaient « dans l’impossibilité de droit ou de fait (…) d’user de la chose » : Civ.
1ère, 8 juillet 2009, Bull. civ. I n°160 ; J.C.P. éd. G. 2009, n°31-35, 157, obs. H. Bosse-Platière.

L’art. 815-10 al.2 c.civ. apporte une autre précision : « les fruits et les revenus des biens indivis
accroissent à l’indivision, à défaut de partage provisionnel ou de tout autre accord établissant la
jouissance divise ». Ainsi, les fruits et les revenus viennent en principe augmenter la masse
indivise et s’insérer dans son actif : ils accroissent la masse indivise et ne reviennent pas
personnellement aux indivisaires.

Jurisprudence
Les bénéfices reviennent à l’indivision même s’ils résultent de l’exploitation d’un bien indivis par
un seul indivisaire (il a seulement droit à la rémunération de sa gestion). Par exemple, pour les
revenus d’un cabinet médical qui doivent être portés à l’actif de l’indivision postcommunautaire :
Civ. 1ère, 2 mai 2001, Bull. civ. I n°110 ; J.C.P. éd. G. 2001, IV, 2120.

Cependant, les fruits et revenus peuvent faire l’objet d’une répartition, amiable ou judiciaire,
pendant le temps de l’indivision, avant tout partage. Tout indivisaire peut demander sa part
annuelle des bénéfices, déduction faite des dépenses justifiées : il y a partage provisionnel du
bénéfice net.

Enfin, le législateur apporte plusieurs précisions aux articles 815-12 et 815-13 c.civ. quant aux
plus- values ou moins-values de l’indivision :

• 1ère précision : celui qui est chargé de la gestion de tout ou partie de l’indivision a le droit de
recevoir une rémunération de son activité, fixée soit à l’amiable, soit par décision de justice.
Il doit bien évidemment rendre les fruits et produits de la gestion à l’indivision ;

• 2ème précision : celui qui a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis a droit à une
indemnité. Cette indemnité est en principe égale au montant de la plus-value, mais le
législateur fait également référence à la notion d’équité, ce qui est assez rare en droit. Le
juge pourra, en cas de désaccord, s’appuyer sur cette notion pour fixer une autre somme qui
lui paraîtrait plus équitable ;

• 3ème précision : celui qui a effectué des dépenses nécessaires pour la conservation des
biens de l’indivision a droit au remboursement de ces dépenses. Ce droit existe même si la
valeur du bien n’a pas été augmentée ;

Jurisprudence
Ce sont les juges qui ont fixé le montant du remboursement : l’indivisaire a droit à une indemnité
égale à la plus forte des deux sommes entre la dépense faite par l’indivisaire et le profit subsistant
pour la masse indivise. Là aussi, le juge peut s’appuyer sur l’équité pour exercer un pouvoir
modérateur. Par exemple : Civ. 1ère, 4 mars 1986, Bull. civ. I n°51 ; J.C.P. éd. G. 1986, II, 20701,
note Ph. Simler.

• enfin, 4ème et dernière précision : celui qui est responsable de dégradations ou de


détériorations qui ont diminué la valeur du bien, par son fait ou par sa faute, doit une
indemnité à l’indivision. Cette indemnité est calculée en fonction de la valeur qu’aurait eu le
bien sans les dégradations ou les détériorations.

Ces dernières règles se rapprochent des modes de gestion de l’indivision elle-même, qu’il faut
maintenant étudier.

§2. La gestion de l’indivision


11
UNJF - Tous droits
L’indivision est un ensemble de biens sur lesquels les indivisaires détiennent des parts. Mais si
chaque titulaire a des droits, il n’a pas de droit exclusif sur les biens eux-mêmes : il partage ses
droits avec les autres. Afin que l’indivision puisse fonctionner, le législateur a mis en place des
règles de gestion (A) et a prévu des possibilités de contrôle (B).

12
UNJF - Tous droits
A. Les règles de gestion de l’indivision
Par principe, les indivisaires ont des droits concurrents sur les biens indivis. Aucun indivisaire ne
peut prendre de décision individuelle sur un bien de la masse indivise. Le principe de l’unanimité
domine : en théorie, il faut l’accord de tous les indivisaires pour décider de la gestion de
l’indivision. Ce qui a pour corollaire que, à l’inverse, chaque indivisaire peut s’opposer aux actes
accomplis par un autre indivisaire.
Exemple
Un indivisaire ne peut pas, sans l’accord des autres, utiliser seul un bien, le donner en location, constituer u

Mais le principe de l’unanimité n’est pas absolu car parfois, il peut paralyser la gestion de
l’indivision, même pour des décisions simples. La loi du 23 juin 2006 précitée a introduit un
principe de majorité qualifiée pour un certain nombre d’actes, tempérant ainsi l’exigence de
l’unanimité (qui était déjà atténuée dans le régime antérieur pour les actes conservatoires).

Le dispositif actuel est régi par les articles 815-2 à 815-13 c.civ. qui distinguent d’une part les actes
conservatoires (1) et d’autre part les actes d’administration et de disposition des biens indivis (2).
Certaines mesures particulières sont également prévues dans des hypothèses spécifiques (3).

1. Les actes conservatoires


Ce sont les actes qui permettent de sauvegarder un droit et d’assurer la conservation des biens.
Exemple
Contracter une assurance pour un appartement.

L’art. 815-2 al.1e c.civ. prévoit que « tout indivisaire peut prendre les mesures nécessaires à la
conservation des biens indivis même si elles ne présentent pas un caractère d’urgence ».
En conséquence, chaque indivisaire peut décider, seul, des mesures conservatoires à prendre
: en matière d’actes conservatoires, il n’existe pas de principe d’unanimité ni même de principe de
majorité. Il peut s’agir soit de mesures matérielles (exemple : réparations), soit de mesures
Exemple
juridiques.
Mise en demeure de payer des loyers : Civ. 3ème, 15 juin 2005, Bull. civ. III n°132 ; action en nullité du bail po
°39, chron. 273, n°18, obs. Serinet & chron. 337, n°7, obs. H. Périnet-Marquet.

C’est la loi précitée du 23 juin 2006 qui a complété l’article 815-2 al.1e c.civ. en élargissant le
pouvoir des indivisaires : les mesures conservatoires peuvent être valablement prises par un
indivisaire seul même si elles ne présentent pas un caractère d’urgence. Cette affirmation a mis fin
à la jurisprudence antérieure, qui exigeait à la fois une mesure nécessaire et urgente.
Exemple
Civ. 1ère, 25 novembre 2003, Bull. civ. I n°241 ; D. 2004, I.R. p.33 ; J.C.P. éd. G. 2004, I, 125, n
°5, obs. H. Périnet-Marquet.

Pour réaliser ces mesures nécessaires à la conservation des biens, les alinéas 2 et 3 de l’art. 815-
2 c.civ. précisent que l’indivisaire peut employer les fonds de l’indivision qu’il détient et dont il est
réputé avoir la libre disposition à l’égard des tiers. Ainsi, les autres indivisaires ne pourront pas
13
UNJF - Tous droits
remettre

14
UNJF - Tous droits
en question le pouvoir d’agir de l’indivisaire à l’égard des tiers avec lesquels il contracte. Il peut
également obliger ses coïndivisaires à faire avec lui les dépenses nécessaires.

En matière d’actes conservatoires, l’idée est donc que l’indivisaire soustrait l’indivision à un péril
sans compromettre sérieusement les droits des autres indivisaires : il est autorisé à agir seul. Il
n’en va pas de même lorsqu’il s’agit d’actes d’administration ou d’actes de disposition.

15
UNJF - Tous droits
2. Les actes d’administration et de disposition
Ce sont les actes permettant de gérer les biens de l’indivision (exemple : mise en location d’un appartemen

Le régime de 1976 posait un principe d’unanimité puis des mesures dérogatoires ; le législateur de
2006 est allé plus loin car, tout en conservant ces dérogations nécessaires, il a mis en place un
système de majorité selon la gravité des actes et selon les circonstances. Ainsi, certains actes
sont soumis à un principe majoritaire (a), tandis que d’autres ne pourront être valablement conclus
qu’à l’unanimité des indivisaires (b).

a) Les actes soumis à un principe majoritaire


L’article 815-3 c.civ. permet à un ou plusieurs indivisaires qui détiennent au moins 2/3 des
droits indivis de décider de plusieurs actes de gestion de l’indivision, limitativement
énumérés. Dans ces hypothèses, la décision peut être valablement prise à la majorité des 2/3.
La liste établie par le législateur est limitative et précise que dans tous les cas, elle ne
concerne que les actes qui correspondent à l’exploitation normale des biens. Cette liste comprend
:
• les actes d’administration relatifs à l’exploitation normale des biens indivis ;
• le mandat général d’administration des biens indivis donné à un ou plusieurs indivisaires ou à
un tiers, toujours pour l’exploitation normale des biens ;
• la vente des meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision, car cet acte est
accompli dans l’intérêt commun (c’est le seul acte de disposition autorisé à la majorité des
2/3 : le principe d’unanimité demeure pour tous les autres actes de disposition) ;
• la conclusion ou le renouvellement des baux autres que ceux portant sur un immeuble à
usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.
Exemple
L'action en résiliation d'un bail rural, puis l'appel relatif à cette action, peuvent être valablement effectués p

Pour tous les actes pris à la majorité des 2/3, les autres indivisaires doivent être informés de
leur conclusion sous peine d’inopposabilité. Le ou les indivisaires majoritaires ont une obligation
d’information des coïndivisaires minoritaires. Cette information peut être donnée par tout moyen,
mais il est souvent conseillé de rédiger un écrit pour des questions de preuve.

b) Les actes soumis à l’unanimité des indivisaires

La liste de l’ étant limitative, tous les actes de gestion qui ne sont pas mentionnés au sein de cette liste r

Exemple
Il en est notamment ainsi pour tous les actes qui ne correspondent pas à l’exploitation normale des biens,

Ainsi, la règle de l’unanimité reste le principe, le droit commun de la gestion des biens indivis. Ce
n’est que s’il existe un texte spécial que l’acte pourra être valablement adopté à la majorité des 2/3
; dans tous les autres cas, l’unanimité est requise.
16
UNJF - Tous droits
Il s’agit là des règles de droit commun, auxquelles le législateur a apporté des compléments dans
des hypothèses particulières.

3. Les règles particulières


Selon le dernier alinéa de l’art. 815-3 c.civ., « si un indivisaire prend en main la gestion des biens
indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu un
mandat tacite, couvrant les actes d’administration mais non les actes de disposition ni la
conclusion ou le renouvellement des baux ». Il s’agit d’actes faits par un indivisaire au su des
autres, sans opposition de leur part. Il existe alors un mandat tacite présumé, là encore sous
réserve que les actes d’administration en cause concernent l’exploitation normale des biens.

De plus, la jurisprudence avait depuis longtemps accepté d’appliquer la gestion d’affaires aux
coïndivisaires. Rappelons que la gestion d’affaires se définit comme le fait pour une personne, le
gérant, d’accomplir des actes d’administration dans l’intérêt d’un tiers, le maître de l’affaire, sans
que ce dernier l’en ait chargé. Il s’agit d’un quasi-contrat, traité au sein du droit des obligations. En
ce domaine, l’art. 815-4 al.2 c.civ. précise désormais qu’« à défaut de pouvoir légal, de mandat ou
d’habilitation par justice, les actes faits par un indivisaire en représentation d’un autre ont effet à
l’égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d’affaires ». Il est possible d’appliquer le
régime de la gestion d’affaires entre coïndivisaires.

L’application de ces règles de gestion de l’indivision peut faire l’objet de contrôles, instaurés par le
législateur.

B. Le contrôle de la gestion de l’indivision


Le législateur a prévu deux moyens de contrôle : le juge peut intervenir pour régler certaines
situations de crise (1) tandis qu’il a instauré l’inopposabilité des actes conclus de manière
irrégulière (2).

1. Le règlement judiciaire des situations de crise


Le recours au juge dans la gestion des biens indivis est possible dans quatre hypothèses :

• Un indivisaire est hors d’état de manifester sa volonté

Exemple
Un indivisaire est atteint d’une altération de ses facultés mentales.

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UNJF - Tous droits
Il pourrait y avoir une paralysie du dispositif car comme il n’y a pas de consentement possible,
l’idée de mandat même tacite est exclue. L’art. 815-4 al.1e c.civ. permet dans ce cas de recourir
au juge : un autre indivisaire « peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière
générale ou pour certains actes particuliers, les conditions et l’étendue de cette représentation
étant fixées par le juge ». Cet indivisaire bénéficie d’un mandat judiciaire qui désigne les actes
couverts, qui peuvent être tant des actes d’administration que des actes de disposition.

• Le refus du consentement d’un indivisaire met en péril l’intérêt commun :

Selon l’article 815-5 al.1e c.civ., « un indivisaire peut être autorisé par justice à passer seul un acte
pour lequel le consentement d’un coïndivisaire serait nécessaire, si le refus de celui-ci met en péril
l’intérêt commun ». Le juge doit expressément désigner l’acte ou les actes spéciaux autorisés.
L’acte conclu sur autorisation judiciaire est opposable à l’indivisaire dont le consentement fait
défaut.

18
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Les juges du fond apprécient souverainement cet intérêt commun et en fonction de cette
appréciation, ils autorisent ou non la conclusion d’un ou plusieurs actes déterminés. Civ. 3ème,
10 mai 1983, Bull. civ. III n°113 ; R.T.D.civ. 1984, p.135.

Cette autorisation spéciale peut même concerner un acte de disposition, comme la vente d’un
bien indivis pour permettre d’acquitter des dettes : Civ. 1ère, 14 février 1984, Bull. civ. I n°62 ;
J.C.P. éd.
G. 1985, II, 20381, note de la Marnierre ; D. 1984, juris. p.453, note A. Breton ; R.T.D.civ. 1985,
p.189, obs. J. Patarin. Civ. 1ère, 6 novembre 1990, Bull. civ. I n°236 ; D. 1990, I.R. p.276 ; J.C.P.
éd. G. 1991, IV, 5 ; R.D.immo. 1991, p.33, obs. J.-L. Bergel.

Remarque
Le juge ne peut délivrer une autorisation d'agir qu'après avoir expressément recherché si le refus de l'indivisa

• L’autorisation de l’aliénation des biens indivis à la demande de la majorité des 2/3 :

La loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit (loi n°2009-526 du 12 mai 2009
de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures) a introduit dans le code
civil un nouvel art. 815-5-1, en vertu duquel le juge peut autoriser l’aliénation d’un bien indivis « à
la demande de l’un ou des indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis ». Cette
possibilité disparaît cependant s’il existe un démembrement du droit de propriété sur le bien ou si
l’un des indivisaires est absent, hors d’état de manifester sa volonté par suite d’éloignement ou
placé sous un régime de protection.

L’intention d’aliéner doit être exprimée devant un notaire. Celui-ci doit ensuite faire signifier la
demande aux autres indivisaires dans un délai d’un mois, par acte d’huissier. Si l’un des
indivisaires s’oppose à l’aliénation ou si un ou plusieurs indivisaires ne répondent pas dans un
délai de trois mois, le notaire en dresse le constat. Le tribunal peut alors autoriser l’aliénation, à
condition qu’elle
« ne porte pas une atteinte excessive aux droits des autres indivisaires ». L’alinéation est
opposable à tous les indivisaires.

• Les mesures urgentes :

Selon l’art. 815-6 al.1 c.civ., « le Président du tribunal de grande instance peut prescrire ou
autoriser toutes les mesures urgentes que requiert l’intérêt commun ». La suite du texte donne des
exemples mais ce n’est pas une liste limitative car le législateur utilise le terme « notamment » : le
Président du tribunal de grande instance peut par exemple nommer un administrateur pour
l’indivision ou nommer un séquestre…

Jurisprudence
Au titre des mesures urgentes, le Président du Tribunal de grande instance peut autoriser la
vente de titres pour payer les frais de partage : Civ. 1ère, 16 février 1988, Bull. civ. I n°45 ;
R.T.D.civ. 1989, p.371, obs. J. Patarin ; R.T.D.civ. 1989, p.777, obs. F. Zénati.

19
UNJF - Tous droits
Au-delà du règlement judiciaire des situations de crise, le législateur a également prévu une
sanction des actes irréguliers.

2. L’inopposabilité des actes irréguliers


Lorsqu’un acte a été accompli par un ou plusieurs indivisaires sans respecter les règles de la
majorité qualifiée ou de l’unanimité posées par le législateur, la sanction est, selon l’art. 815-3
al.5 c.civ., l’inopposabilité de cet acte aux autres indivisaires. Les indivisaires qui n’ont pas été
informés de l’accomplissement d’un acte peuvent agir individuellement ou collectivement, sans
avoir à attendre le partage. Mais comme il a été vu précédemment dans les effets du partage,
cette inopposabilité n’est pas forcément définitive. En effet, si l’acte frappé d’inopposabilité porte
sur un bien qui est attribué, lors du partage, à l’indivisaire qui a passé cet acte, il est
rétroactivement validé, dans la mesure où il est censé avoir été le seul propriétaire du bien dès
l’origine. À l’inverse, si ce bien est mis dans le lot d’un indivisaire non consentant, il est
irrévocablement inefficace.

Conclusion sur la gestion de l’indivision : pendant le temps de l’indivision, les coïndivisaires


peuvent accomplir divers actes et engager certaines dépenses pour conserver, utiliser ou faire
fructifier les biens indivis. Ces opérations peuvent donner naissance à des créances ou à des
dettes à l’égard de l’indivision.
Exemple
Un indivisaire utilise ses deniers personnels pour contribuer à la conservation d’un bien : il dispose d’une créa

Il faut alors procéder à un règlement des comptes, ce qui permet de connaître la situation de
chacun des indivisaires vis-à-vis de l’indivision.

Il reste une dernière question à envisager au sein de ce régime légal de l’indivision : celle de la
situation des créanciers.

§3. La situation des créanciers


Il existe deux sortes de créanciers : les créanciers de l’indivision elle-même (A) et les créanciers
personnels des indivisaires (B).

20
UNJF - Tous droits
A. Les créanciers de l’indivision
Les créanciers de l’indivision ont pour gage la totalité de la masse indivise.

Selon l’art. 815-17 c.civ., il s’agit de deux types de créanciers :

• ceux dont la créance est née avant l’indivision et qui auraient pu agir sur les biens indivis
avant que l’indivision ne prenne naissance ;
Exemple
Créanciers du défunt.

Jurisprudence
Civ. 1ère, 13 décembre 2005, Bull. civ. I n°494 ; D. 2006, Act. p.302, obs. Lienhard ; J.C.P. éd.
G. 2006, IV, 1087 : « les créanciers dont la créance est née antérieurement à la dissolution de
la communauté peuvent poursuivre la saisie et la vente des biens dépendant de l'indivision post-
communautaire ».

• ceux dont la créance est née de l’indivision, en raison d’actes de conservation ou de gestion
des biens indivis.
Exemple
Société d’assurance.

Jurisprudence
Civ. 1ère, 20 février 2001, Bull. civ. I n°41 ; D. 2001, I.R. p.906 ; J.C.P. éd. G. 2001, IV, 1685 ;
R.T.D.civ. 2001, p.642, obs. J. Patarin : « l'indivisaire titulaire d'une créance résultant de la
conservation des biens indivis peut poursuivre la saisie de certains de ces biens, sans être tenu
d'attendre l'issue des opérations de partage ».

Il faut également ajouter les créanciers qui ont pour débiteurs solidaires l’ensemble des indivisaires.

Ces créanciers de l’indivision ont un droit de gage général sur la masse indivise. Ils peuvent être
payés par prélèvement sur l’actif de l’indivision avant le partage. Ils peuvent également faire saisir
et vendre les biens indivis. Ils sont donc placés dans une situation plus avantageuse que les
créanciers personnels des indivisaires.

B. Les créanciers personnels des indivisaires


Les créanciers personnels des indivisaires n’ont pas de gage sur la masse indivise, mais le
patrimoine de leur débiteur va venir s’enrichir de sa part indivise. L’art. 815-17 al.2 c.civ. précise
que
« les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir sa part dans les biens indivis,
meubles ou immeubles ». Ils ne peuvent saisir ni la part indivise abstraite de leur débiteur, ni les
biens compris dans l’indivision. Cette solution est logique car le débiteur n’a pas de droit exclusif
sur le bien. Les parts indivises et les biens indivis sont insaisissables par les créanciers personnels
des indivisaires.

Jurisprudence
Civ.1ère, 15 juillet 1999, Bull. civ. I n°243 ; J.C.P. éd. G. 1999, IV, 2703 ; J.C.P. éd. N. 2001,
p.248,
n°6, obs. Le Guidec : « le créancier personnel d'un indivisaire ne peut saisir la part de son
débiteur dans les biens indivis, ni prendre aucune mesure ayant pour effet de rendre cette part
indisponible ».

Mais le législateur accorde tout de même deux facultés à ces créanciers :


• en vertu de l’art. 815-17 al. 3 c.civ., les créanciers personnels d’un indivisaire peuvent
21
UNJF - Tous droits
provoquer le partage au nom de leur débiteur ou intervenir dans le partage provoqué par
lui. Ils peuvent ainsi obtenir le paiement de leur créance sur les biens mis dans le lot de leur
débiteur. Mais les coïndivisaires peuvent éviter le partage en acquittant l’obligation au nom du
débiteur : ils se rembourseront ensuite par prélèvement sur les biens indivis ;

22
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Civ.1ère, 1e décembre 1999, Bull. civ. I n°331 ; J.C.P. éd. G. 2000, IV, 1099 ; J.C.P. éd. N. 2001,
p.248, n°6, obs. Le Guidec : « les créanciers personnels d'un indivisaire ne peuvent saisir sa part
dans les biens indivis, meubles ou immeubles, ayant seulement la faculté de provoquer le partage
au nom de leur débiteur ».

• les créanciers personnels d’un indivisaire peuvent également prendre une surêté sur la part
indivise de leur débiteur.
Exemple
Hypothèque.

Remarque
La Cour de cassation a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitution

L’ensemble des règles étudiées jusqu’à présent est prévu à défaut de convention particulière entre
les parties. Il existe également des hypothèses dans lesquelles l’indivision, loin d’être subie et
imposée par la loi, est voulue et résulte d’un régime conventionnel.

23
UNJF - Tous droits
Section 2. L’indivision voulue : le régime conventionnel
Le régime conventionnel de l’indivision a été développé par la loi du 31 décembre 1976, codifiée
aux articles 1873-1 et s. c.civ., en rapport avec le droit des sociétés. L’indivision conventionnelle
a l’avantage de se rapprocher de la société, tout en évitant l’application du droit des sociétés, et
d’être plus souple que l’indivision légale, puisque la convention peut poser des règles particulières.
Ce régime est cependant peu utilisé en pratique.

La mise en place de ce régime nécessite la conclusion d’une convention entre les indivisaires
en vue d’organiser la gestion de l’indivision, ce qui implique bien évidemment la capacité à
contracter de chacun et un consentement valable. L’article 1873-2 c.civ. précise que cette
convention doit être conclue entre tous les coïndivisaires, sous réserve du droit de chacun de
demander le partage et de la possibilité pour les autres de demeurer conventionnellement dans
l’indivision. Cette convention doit être conclue par écrit et désigner les biens indivis ainsi que
les quotes-parts de chaque indivisaire. Le législateur ne prévoit pas de formalité de publicité
générale, mais il précise que si l’indivision comprend des créances, la convention doit être
signifiée aux débiteurs ; dans le même sens, si l’indivision comprend des immeubles, il est
nécessaire d’accomplir les formalités de publicité foncière.

Le législateur précise ensuite les règles relatives à la durée de l’indivision (§1) puis à son
organisation (§2).

§1. La durée de l’indivision conventionnelle


L’indivision conventionnelle a en principe une durée limitée au maximum à cinq ans par l’art.
1873-3 al.1e c.civ. La convention pourra cependant être renouvelée par décision expresse des
parties ou par tacite reconduction si cela est prévu initialement, soit pour une durée déterminée,
soit pour une durée indéterminée. En cas d’absence de nouvel accord ou de clause prévoyant la
tacite reconduction, la convention vient à expiration au terme prévu. L’indivision est alors soumise
au régime légal des art. 815 et s. c.civ. Le législateur précise également qu’il y a caducité du terme
et la convention est réputée être à durée indéterminée si une quote-part est dévolue à une
personne extérieure à l’indivision (les indivisaires n’ont donc pas exercé leur droit de
préemption) ou aux héritiers ou légataires d’un indivisaire ou encore si un gérant indivisaire est
révoqué.
Dans tous les cas, si la convention est à durée déterminée, tout partage avant le terme est
impossible sauf justes motifs, procédant de circonstances nouvelles.
Exemple
Dissolution d’une société en raison de difficultés économiques.

L’article 1873-3 al.2 c.civ. permet cependant de conclure une indivision conventionnelle pour une
durée indéterminée, ce qui a peu d’intérêt en pratique car on retrouve le caractère précaire, sauf
exceptions, de l’indivision légale. Dans ce cas le partage peut être provoqué à tout moment, en
application du principe général du droit en vertu duquel une convention à durée indéterminée peut
toujours être résiliée unilatéralement. Mais le partage ne doit pas être provoqué « de mauvaise foi
ou à contretemps ». En pratique, les indivisions à durée indéterminée sont très rares.

Quelle que soit la durée choisie, l’indivision conventionnelle doit être organisée selon les règles de
principe indiquées par le législateur.

§2. L’organisation de l’indivision conventionnelle


Cette organisation est largement inspirée du droit des sociétés.

24
UNJF - Tous droits
• Tout d’abord, les règles de désignation et de révocation du ou des gérants peuvent être
prévues par la convention. À défaut, l’unanimité est requise pour la désignation du gérant ;
elle est également requise pour sa révocation si le gérant est un indivisaire. En revanche, la
révocation peut avoir lieu à la majorité si le gérant est un tiers à l’indivision. La révocation
peut également être judiciaire si le gérant met en péril les intérêts de l’indivision (art. 1875-
5 al.4 c.civ.);
• Ensuite, les pouvoirs du gérant sont précisés. Selon l’art.1873-6 c.civ., le gérant
représente les indivisaires, dans la mesure de ses pouvoirs, soit pour les actes de la vie
civile, soit pour les actions en justice. Il administre l’indivision avec les mêmes pouvoirs que
l’époux sur les biens communs. Il peut disposer des meubles corporels seulement pour les
besoins de l’exploitation normale de l’indivision ou s’il s’agit de choses difficiles à conserver
ou sujettes à dépérissement. Les pouvoirs conférés par la loi peuvent être restreints par la
convention mais à l’inverse, ils ne peuvent pas être étendus conventionnellement. Le gérant
a droit à une rémunération pour l’accomplissement de sa mission : le montant est fixé par les
indivisaires, à l’exclusion du gérant, ou à défaut par le Président du Tribunal de grande
instance. Le gérant répond des fautes commises dans sa gestion, comme tout mandataire;
• Puis le législateur s’intéresse aux droits et obligations des indivisaires. En principe,
selon l’art. 1873-8 c.civ, les décisions excédant les pouvoirs du gérant sont prises à
l’unanimité par les indivisaires, sauf disposition conventionnelle prévoyant la règle de la
majorité et sous réserve de capacité de tous les indivisaires. Le gérant rend compte au
moins une fois par an de sa gestion aux indivisaires. Pour la participation aux dépenses, aux
bénéfices et aux pertes, le système légal s’applique, comme pour la cession de droits indivis
et les droits de préemption et de substitution;
• Enfin, la situation des créanciers est abordée. Concernant les créanciers de l’indivision,
l’art. 1873-15 c.civ. renvoie au régime légal : ils disposent d’un droit de gage général sur la
masse indivise.
Concernant les créanciers personnels des indivisaires, le législateur renvoie également au
régime légal mais avec une spécificité. En effet, en matière d’indivision conventionnelle, les
créanciers personnels des indivisaires n’ont pas le droit de provoquer le partage lorsque la
convention est à durée déterminée. Il leur est en revanche possible de saisir et vendre la
quote- part de leur débiteur. Dans ce cas, les coïndivisaires peuvent se substituer au
débiteur pour éviter l’intrusion d’un tiers dans l’indivision.

Les règles prévues, soit par le régime légal, soit par la convention, ont vocation à s’appliquer
à l’indivision ordinaire, forme traditionnelle de propriété collective. Il existe également une forme
d’indivision spéciale, appelée mitoyenneté, qui découle des rapports de proximité entre les
propriétaires. L’étude de la mitoyenneté est l’objet de la leçon 7.

25
UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 7 : La propriété collective : la mitoyenneté
Section 1. L’acquisition de la mitoyenneté........................................................................................... p. 2
§1. Les modes d’acquisition généraux........................................................................................................................ .p.
2 Table des matières
§2. Les modes d’acquisition propres aux murs mitoyens............................................................................................ p.
4
A. L’acquisition forcée de la mitoyenneté d’un mur........................................................................................................................... p. 4
B. La cession forcée de la mitoyenneté d’un mur déjà construit....................................................................................................... p.
5 C. L’accession.....................................................................................................................................................................................
Section 2. La preuve de la mitoyenneté................................................................................................
p. 6
p. 7
§1. La preuve par titre................................................................................................................................................. .p.
7
§2. La preuve par prescription acquisitive................................................................................................................... p.
7
§3. La preuve par présomptions légales......................................................................................................................p.
7
A. Les présomptions de mitoyenneté................................................................................................................................................. p. 7
B. Les présomptions de non-mitoyenneté.......................................................................................................................................... p. 9
Section 3. Les droits et obligations issus de la mitoyenneté............................................................p. 11
§1. Les droits des propriétaires mitoyens.................................................................................................................. p.
11

1
UNJF - Tous droits
La mitoyenneté résulte de la proximité de deux fonds immobiliers.

Exemple
On peut par exemple avoir la mitoyenneté d’un mur, d’un fossé ou d’une clôture séparant deux fonds, c’es

La doctrine est divisée quant à la véritable qualification de la mitoyenneté :

• elle est parfois présentée comme une servitude car elle est évoquée dans le chapitre du
Code civil « des servitudes établies par la loi ». Mais ici, il n’y a pas réellement de fonds
servant et de fonds dominant, ce qui est un élément essentiel de définition de la servitude (cf.
infra., leçon 9) ;
• la mitoyennté est aussi présentée comme une copropriété de voisinage, forcée et perpétuelle ;
• enfin, elle peut être qualifiée d’indivision forcée, sorte de propriété indivise spéciale perpétuelle.

Quelle que soit la qualification retenue, il s’agit d’une forme de propriété collective, qui concerne
les clôtures communes à deux propriétaires fonciers voisins. Que l’on parle de copropriété
ou d’indivision, peu importe puisqu’en pratique les principes sont identiques. Les règles de la
mitoyenneté sont énoncées aux articles 653 à 673 c.civ.
Jurisprudence
La Cour de cassation définit la mitoyenneté comme « le droit de propriété dont deux personnes
jouissent en commun » : Civ. 3ème, 20 juillet 1989, Bull. civ. III n°173 ; R.T.D.civ. 1990, p.690,
obs. F. Zénati.

Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens propose une définition de la mitoyenneté, qui ne figure pas à l’heu

La mitoyenneté fait l’objet de règles spécifiques en matière d’acquisition (Section 1), de preuve
(Section 2), de droits et obligations des propriétaires mitoyens (Section 3) et enfin d’extinction
(Section 4).

Section 1. L’acquisition de la mitoyenneté


Différentes méthodes sont offertes pour acquérir la mitoyenneté. Globalement, ces méthodes
peuvent être classées en deux catégories : il existe des modes d’acquisition généraux qui peuvent
s’appliquer à toute séparation mitoyenne, quelle que soit sa nature (mur, fossé, clôture) (§1) et des
modes d’acquisition spécifiques aux seuls murs mitoyens (§2).

§1. Les modes d’acquisition généraux


Il est possible d’acquérir la propriété mitoyenne de toute séparation, quelle que soit sa nature,
selon deux modalités :

2
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3
UNJF - Tous droits
L’acquisition par convention L’acquisition par prescription

Deux propriétaires voisins peuvent tout à La possession utile de la mitoyenneté


fait convenir par contrat d’établir à frais pendant trente ans peut permettre son
communs une clôture, une haie ou un mur acquisition par prescription acquisitive (cf.
de séparation. Il est aussi possible qu’un des leçon 4).
propriétaires, qui a déjà fait construire une En pratique, il s’agit de l’hypothèse dans
clôture à titre privatif, cède la mitoyenneté sur laquelle un propriétaire a appuyé une
cette clôture préexistante, soit à titre gratuit, construction sur le mur privatif de son voisin.
soit à titre onéreux. Dans ces hypothèses, Si celui qui s’appuie contre le mur se
comporte c’est la convention qui règle les conditions comme si ce mur était mitoyen et
si le voisin d’acquisition. n’agit pas pour dénoncer cette voie de fait, la
possession utile peut jouer. Le droit commun
s’applique en ce domaine et il n’y aura
usucapion que si les actes de possession
sont caractérisés. Le propriétaire pourrait
même utiliser la prescription abrégée de dix
ans mais en pratique, il est rare que le
constructeur réunisse la bonne foi et le juste
titre.

Jurisprudence
Civ. 3ème, 8 décembre 1971, Bull. civ. III n°619 ; R.T.D.civ. 1972, p. 618, note J.-D. Bredin : «
le fait d’appuyer une construction contre un mur constitue un acte de possession caractérisé, car
le propriétaire de ladite construction se comporte comme si le mur était sa propriété exclusive ou
comme s’il était mitoyen ; (…) le maintien de cette situation pendant 30 ans peut donner lieu à
acquisition de la mitoyenneté par prescription ».
V. dans le même sens : Civ. 1ère, 10 mai 1965, Bull. civ. I n°307 ; D.1965, juris. p. 820 ; J.C.P.
éd. G. 1965, II, 14367, note H. Bulté.

Ces deux modes d’acquisition s’appliquent à tous les types de séparation des fonds. Il existe
également des modes d’acquisition de la mitoyenneté propres aux murs mitoyens.

§2. Les modes d’acquisition propres aux murs mitoyens


Là encore, il existe deux modes d’acquisition spécifiques aux murs mitoyens, qui consistent soit en
l’acquisition forcée de la mitoyenneté (A), soit en la cession forcée d’un mur mitoyen déjà construit
(B). Il est également possible d’utiliser les règles de l’accession, déjà étudiées (C).

A. L’acquisition forcée de la mitoyenneté d’un mur


Chaque propriétaire a le droit d’obliger son voisin à construire ou à réparer un mur mitoyen à frais communs.

On parle parfois de « clôture forcée », imposée par l’article 663 c.civ. : « Chacun peut contraindre
son voisin, dans les villes et les faubourgs, à contribuer aux constructions et réparations de la
clôture faisant séparation de leurs maisons, cours et jardins assis ès dites villes et faubourgs (…)
». Dans cette hypothèse, il peut ainsi y avoir acquisition forcée de la mitoyenneté car le voisin
devra payer la construction ou la réparation pour moitié.

Remarque
Ce principe ne peut pas fonctionner lorsque le mur mitoyen est déjà construit, sauf pour les réparations

4
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
L’acquisition forcée de la mitoyenneté ne peut pas jouer lorsque le mur séparatif est déjà construit
: Civ. 3ème, 9 juillet 1984, Bull. civ. III n°136 ; D.1985, juris. p.409, note H. Souleau ;
R.T.D.civ.1985,
p. 740, obs. C. Giverdon & P. Salvage-Gerest.
Civ. 3ème, 30 juin 1992, Bull. civ. III n°235 : « le constructeur d'un mur séparatif ne pouvant
contraindre son voisin à en acquérir la mitoyenneté, le Tribunal, qui a relevé que M. X... avait pris
l'initiative de faire construire un mur de clôture sans qu'ait été obtenu l'accord du propriétaire de la
parcelle limitrophe, tant sur le principe de la construction que sur l'acquisition de la mitoyenneté,
et qui en a justement déduit qu'il ne pouvait prétendre au remboursement de la moitié du coût de
la construction, a légalement justifié sa décision ».

La jurisprudence a offert au voisin une possibilité de ne pas acquérir la mitoyenneté : il peut alors,
s’il le souhaite, abandonner la mitoyenneté, c’est-à-dire abandonner la propriété de la bande de
terrain correspondant à la moitié de l’épaisseur du mur (cf.infra sur l’extinction de la mitoyenneté).

B. La cession forcée de la mitoyenneté d’un mur déjà construit


Chaque voisin a le droit d’acquérir la mitoyenneté du mur déjà construit et ainsi de forcer le propriétaire

L’article 661 c.civ. offre à tout propriétaire joignant un mur « la faculté de le rendre mitoyen en tout
ou en partie, en remboursant au maître du mur la moitié de la dépense qu’il a coûté, ou la moitié
de la dépense qu’a coûté la portion du mur qu’il veut rendre mitoyenne et la moitié de la valeur du
sol sur lequel il est bâti. La dépense que le mur a coûté est estimée à la date de l’acquisition de sa
mitoyenneté, compte tenu de l’état dans lequel il se trouve ». Ce texte appelle plusieurs précisions
:

• il s’agit d’un véritable droit discrétionnaire et absolu : le propriétaire peut obliger son
voisin à céder la mitoyenneté. Il n’a pas à fournir les raisons de ce souhait. Il s’agit
d’une sorte d’expropriation pour cause d’utilité privée (v. A. Cheynet de Beaupré, «
L’expropriation pour cause d’utilité privée », J.C.P. éd. G. 2005, I, 144). Celui qui souhaite
acquérir la mitoyenneté peut soit acquérir la mitoyenneté de tout le mur, soit limiter la
mitoyenneté à une partie du mur ;

• le mur doit « joindre » le fonds voisin : cela signifie qu’il doit former une clôture entre les
deux fonds contigus, c’est-à-dire ne pas être construit en retrait de la limite du fonds.
Autrement dit, il ne doit pas y avoir d’empiètement sur le terrain d’autrui. Dans le même sens,
la jurisprudence a précisé que le droit d’acquérir la mitoyenneté disparaît lorsque le
propriétaire du mur a acquis, par titre ou par prescription, des servitudes qui sont
incompatibles avec la mitoyenneté.
Exemple
Des servitudes de vue.

Ce sont les juges du fond qui apprécient souverainement la question de l’incompatibilité entre
l’exercice d’une servitude et l’acquisition de la mitoyenneté ;

• seul le propriétaire du fonds voisin peut bénéficier de la cession forcée. Le propriétaire


d’un mur déjà construit ne peut pas, réciproquement, contraindre son voisin à acquérir la
mitoyenneté, car l’article 663 c.civ. ne peut pas s’appliquer lorsque le mur est déjà construit,
sauf pour les éventuelles réparations ;

• si les conditions sont remplies, le juge ne peut pas s’opposer à la cession forcée : il a
l’obligation de prononcer la propriété mitoyenne du mur. Cette acquisition de la mitoyenneté
ne peut se faire que contre remboursement du prix de la part indivise du mur, c’est-à-
dire de la partie du mur devenant mitoyenne et de la partie du terrain sur laquelle repose le
5
UNJF - Tous droits
mur. Le juge peut seulement fixer le prix de cession à défaut d’accord entre les parties,
selon les indications fournies par le législateur. La jurisprudence a également précisé que le
moment du transfert de propriété est fixé à la date de la demande et non à la date du
jugement.

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UNJF - Tous droits
Remarque
Le Conseil constitutionnel a retenu la constitutionnalité de l'article 661 c.civ. : la cession forcée de la mitoyenn

Ces deux modes d’acquisition sont spécifiques à la mitoyenneté. Il est également possible
d’utiliser le droit commun à travers le droit d’accession.

C. L’accession
La jurisprudence a été confrontée à un réel problème en pratique dans une hypothèse particulière.
Lorsqu’un propriétaire construit un mur mitoyen en empiétant sur le fonds voisin, volontairement ou
par erreur, il n’est pas possible d’appliquer l’article 661 c.civ. car il y a empiètement : le mur ne
joint pas le fonds voisin, il empiète sur celui-ci. Il y a alors une opposition entre la règle de
l’accession selon laquelle le voisin devient propriétaire par accession immobilière de la partie du
mur qui est sur son terrain (cf. leçon 2) et la règle de l’article 663 c.civ. qui permet de
contraindre le voisin à la construction d’un mur mitoyen. Il serait alors illogique de pouvoir
ordonner la destruction du mur, pour ensuite permettre au voisin de demander la reconstruction à
frais communs.
La jurisprudence a résolu la question en appliquant par analogie l’ : si le voisin réagit contre l’empiètem

Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens entérine cette jurisprudence mais interdit l’allocation d’une indem

Une fois la mitoyenneté acquise, encore faut-il pouvoir la prouver. Quels sont les modes de preuve
de la mitoyenneté ?

7
UNJF - Tous droits
Section 2. La preuve de la mitoyenneté
La question se pose parfois de savoir si la séparation des deux fonds est mitoyenne. Les
propriétaires voisins peuvent être en désaccord sur ce point et la mitoyenneté devra être prouvée.
Il existe trois modes de preuve possibles de la mitoyenneté, prévus par le législateur. La preuve
peut être faite par titre (§1), par prescription (§2) ou par présomptions légales (§3).

§1. La preuve par titre


La mitoyenneté peut être établie par titre : la production d’un titre vaut présomption, mais le titre n’établit pas

Il ne peut pas constituer une preuve parfaite, irréfutable. Ce sont les juges qui en apprécient la
valeur et la portée, comme pour la preuve du droit de propriété lui-même (cf. leçon 5). Il peut
s’agir d’un acte translatif de propriété ou d’un acte déclaratif, d’un acte à titre onéreux ou à titre
gratuit, d’un acte sous seing privé ou d’un acte notarié…
Exemple
Un acte de vente ancien qui mentionne la mitoyenneté de la clôture.

En cas de contradiction entre plusieurs titres, le juge retiendra le titre estimé comme étant « le
meilleur et le plus probable ».

À défaut de titre, la preuve peut être apportée en utilisant la prescription.

§2. La preuve par prescription acquisitive


La mitoyenneté peut être établie par prescription acquisitive : la prescription acquisitive, qui est
aussi un mode d’acquisition de la mitoyenneté, peut également jouer comme mode de preuve.
Dès lors, la séparation est considérée comme mitoyenne si elle a été possédée en commun par les deux prop

Il faut réunir des conditions identiques à celles exigées pour que l’usucapion produise ses effets :
la possession doit être constituée, elle doit être exempte de vices donc utile et elle doit avoir duré
au moins trente ans (par hypothèse, il n’y a pas de juste titre).

Enfin, le troisième mode de preuve réside dans l’utilisation de présomptions légales.

§3. La preuve par présomptions légales


La mitoyenneté peut être établie par des présomptions légales auxquelles recourt le juge lorsqu’il
ne peut trancher grâce aux titres ou à la possession. Le législateur a envisagé plusieurs
hypothèses, instaurant soit des présomptions de mitoyenneté (A), soit des présomptions de non-
mitoyenneté (B).

A. Les présomptions de mitoyenneté


Il existe des présomptions de mitoyenneté, énoncées aux articles 653 et 666 c.civ. L’article 666
al.1er c.civ. indique que « toute clôture qui sépare des héritages est réputée mitoyenne, à moins
qu’il n’y ait qu’un seul des héritages en état de clôture, ou s’il n’y a de titre, prescription ou marque
contraire ».

L’article 653 c.civ. pose également une présomption de mitoyenneté dans plusieurs situations : soit
pour tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu’à l’héberge, c’est-à-dire jusqu’à l’endroit
8
UNJF - Tous droits
où deux bâtiments d’inégale hauteur, séparés par un même mur, commencent à se séparer ; soit
entre cours et jardins ; soit entre enclos dans les champs.
Il existe une présomption légale de mitoyenneté pour les murs et les clôtures qui séparent deux
fonds, à défaut de titre ou de prescription contraire : cette présomption est simple et peut être
renversée par le titre ou la prescription contraire. Elle peut également être remise en question en
cas de « marque contraire », qui correspond en pratique aux présomptions de non-mitoyenneté.

9
UNJF - Tous droits
B. Les présomptions de non-mitoyenneté
À l’inverse, le législateur a également instauré des présomptions de non-mitoyenneté aux
articles 654 et 666 al.2 et 3 c.civ.

• Ces « marques » ou présomptions de non-mitoyenneté peuvent tout d’abord être


propres aux murs : dans ces hypothèses, la manière dont le mur a été construit laisse
penser qu’il est privatif plutôt que mitoyen. L’article 654 c.civ. envisage en ce sens le cas où
la pente du toit du mur penche d’un seul côté (le propriétaire exclusif est alors le propriétaire
du terrain qui se situe du côté de l’inclinaison du toit), ou le cas dans lequel le mur supporte
d’un seul côté des
« corbeaux », qui sont des pierres en saillie destinées à porter des objets (comme une statue)
ou à soutenir une poutre ;
• Ces « marques » ou présomptions de non-mitoyenneté peuvent ensuite être propres
aux fossés. Selon l’article 666 al.2 et 3 c.civ. par exemple, il y a présomption de non-
mitoyenneté lorsque le rejet de la terre du fossé n’est que d’un côté et dans ce cas, le
propriétaire exclusif est celui du côté du rejet de la terre.

Dans tous les cas, les juges apprécient souverainement la valeur de ces présomptions, les
conditions devant exister lors de la construction ou depuis plus de trente ans. Ils peuvent
également utiliser d’autres indices, commes les usages locaux ou la situation des terrains voisins.

Jurisprudence
L’appréciation des marques de mitoyenneté relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges
du fond et l’énumération du législateur n’est pas limitative :
• Civ. 3ème, 18 février 1971, Bull. civ. III n°271.
• Civ. 3ème, 6 juillet 1976, Bull. civ. III n°299 : la présomption de propriété exclusive découlant
d’un titre, dont il n’est pas nécessaire qu’il soit commun aux deux parties, l’emporte sur la
présomption légale de mitoyenneté.

En définitive, le mode de preuve qui présente la plus grande force probante est, comme pour la preuve du d

10
UNJF - Tous droits
Une fois prouvée, la mitoyenneté produit ses effets juridiques entre les propriétaires mitoyens,
créant à la fois des droits à leur profit et des obligations à leur charge.

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UNJF - Tous droits
Section 3. Les droits et obligations issus de la mitoyenneté
Les propriétaires mitoyens de murs ou de clôtures jouissent de certains droits (§1) et sont soumis
à certaines obligations (§2).

§1. Les droits des propriétaires mitoyens


Les propriétaires mitoyens ont deux sortes de droit, qui varient selon la nature de la séparation : mur
(A) ou autres clôtures (B).

A. Les droits sur les murs mitoyens


S’agissant des murs mitoyens, il est possible d’identifier deux droits : un droit d’usage (1) et un
droit d’exhaussement (2).

1. Un droit d’usage
Chacun des propriétaires mitoyens dispose d’un droit d’usage sur le côté du mur qui se trouve sur son fonds.

Il peut ainsi s’en servir comme support sans avoir besoin du consentement de l’autre.

Remarque
Ce droit cesse cependant s’il s’agit de travaux particulièrement importants susceptibles de causer des trouble

En pratique, ce droit d’usage est doublement limité :

• d’une part, chaque propriétaire mitoyen doit respecter la destination de la clôture, qui est
d’entourer un fonds. Il ne peut pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en
quelque manière que ce soit, sans le consentement de son voisin (article 675 c.civ.) ;

• d’autre part, aucun propriétaire ne doit nuire au droit d’usage corrélatif de son voisin. Les
juges pourront éventuellement ordonner la destruction des travaux effectués contrairement
à ces dispositions.

Sous réserve du respect de ces limites, le législateur prévoit trois hypothèses dans lesquelles ce
droit d’usage sur un mur mitoyen peut s’exercer :
• 1e hypothèse : chaque propriétaire mitoyen peut adosser contre le mur des constructions
(article 657 c.civ.) ;
• 2e hypothèse : chaque propriétaire mitoyen peut réaliser des plantations en espalier contre le
mur (article 671 al.2 c.civ.) ;
• 3e hypothèse : chaque propriétaire mitoyen peut placer dans le mur mitoyen des poutres ou
des solives sur lesquelles les constructions pourront prendre appui (article 657 c.civ.).

Ce droit d’usage du mur mitoyen est accompagné d’un droit d’exhaussement.

2. Un droit d’exhaussement

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UNJF - Tous droits
En vertu de l’, « tout propriétaire peut faire exhausser le mur mitoyen (…) » : le droit d’exhaussement, qui co

L’exercice de ce droit est discrétionnaire : le propriétaire qui souhaite exhausser le mur n’a pas à
donner ses motifs ni à se justifier. Mais comme tout droit, son exercice ne doit pas être abusif : il
ne doit pas y avoir uniquement intention de nuire à son voisin.

13
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
La partie du mur sur laquelle s’appuie l’exhaussement doit elle-même être mitoyenne, sinon il
s’agit d’un empiètement qui fait obstacle à l’acquisition de la mitoyenneté : Civ. 3ème, 19
septembre 2007, Bull. civ. III n°147 ; J.C.P. éd. G. 2008, I, 127, n°6, obs. H. Périnet-Marquet.

L’article 658 c.civ. précise que le propriétaire qui fait exhausser le mur « doit payer seul la dépense
de l’exhaussement et les réparations d’entretien au-dessus de la hauteur de la clôture commune ;
il doit en outre payer seul les frais d’entretien de la partie commune du mur dus à l’exhaussement
et rembourser au propriétaire voisin toutes les dépenses rendues nécessaires à ce dernier par
l’exhaussement ». Deux conséquences découlent de ce texte :

• en principe, la partie du mur exhaussée, c’est-à-dire la partie surélevée, devient la propriété


exclusive du constructeur : il doit en assumer seul les frais, tant de construction que de
réparation. En revanche, le mur initial reste mitoyen, seule la partie surélevée est privative ;
• mais le propriétaire voisin qui n’a pas contribué à l’exhaussement a toujours la faculté
d’acquérir la mitoyenneté de l’exhaussement. Ce principe est prévu à l’article 660 c.civ. : « le
voisin qui n’a pas contribué à l’exhaussement peut en acquérir la mitoyenneté en payant la
moitié de la dépense qu’il a coûté et la valeur de la moitié du sol fourni pour l’excédent
d’épaisseur, s’il y en
a. La dépense que l’exhaussement a coûté est estimée à la date de l’acquisition, compte tenu
de l’état dans lequel se trouve la partie exhaussée du mur ». Il peut acquérir la mitoyenneté
de la nouvelle partie du mur, en payant la moitié de la dépense que l’exhaussement a coûté.

Une dernière précision s’impose en application de l’article 659 c.civ. : « si le mur mitoyen n’est pas
en état de supporter l’exhaussement, celui qui veut l’exhausser doit le faire reconstruire en entier à
ses frais, et l’excédent d’épaisseur doit se prendre de son côté ».

Ces droits d’usage et d’exhaussement sont prévus pour les murs mitoyens ; les autres clôtures,
qui peuvent être de diverses natures (haie, grillage, rangée d’arbres, fossé…), font l’objet d’un
régime spécifique en raison même de cette diversité.

B. Les droits sur les autres clôtures


En raison de la variété de ces clôtures autres qu’un mur, le législateur a prévu des règles
particulières :

• tout d’abord, chacun des propriétaires a le droit de refuser de céder la mitoyenneté. Il


en est disposé ainsi par l’article 668 al.1er c.civ. : « le voisin dont l’héritage joint un fossé ou
une haie non mitoyens ne peut contraindre le propriétaire de ce fossé ou de cette haie à lui
céder la mitoyenneté ». En effet, ce droit n’est prévu que pour les murs, car il permet d’éviter
des coûts de construction et de main-d’œuvre et d’économiser du terrain. Une telle
justification n’existe pas dans l’hypothèse d’une haie ou d’un fossé, ce qui explique l’absence
de cession forcée dans ces cas spécifiques ;
• ensuite, si la séparation est mitoyenne, chacun a un droit d’usage et de jouissance de
la clôture. Aux termes des articles 669 et 670 c.civ., chaque propriétaire mitoyen a droit à la
moitié des fruits et des produits d’une haie mitoyenne ou d’une rangée d’arbres ou d’arbustes
mitoyens. Si les arbres mitoyens meurent ou sont coupés ou arrachés, ils sont partagés pour
moitié ;
• enfin, lorsque la séparation est mitoyenne, chacun des propriétaires dispose d’un droit
de destruction jusqu’à la limite séparative de son fonds. En ce sens, les alinéas 2 & 3 de
l’article 668 c.civ. précisent que « le copropriétaire d’une haie mitoyenne peut la détruire
jusqu’à la limite de sa propriété, à la charge de construire un mur sur cette limite.
La même règle est applicable au copropriétaire d’un fossé mitoyen qui ne sert qu’à la clôture
».

Ce droit de destruction s’accompagne d’une obligation de reconstruction d’un mur sur la

14
UNJF - Tous droits
ligne séparative des fonds. Il ne peut s’exercer que lorsqu’il ne porte pas atteinte à la destination
de la clôture.

15
UNJF - Tous droits
Exemple
Un fossé mitoyen qui sert également à l’écoulement des eaux ne peut pas être détruit et remplacé par un mur

L’article 670 al.2 c.civ. apporte une dernière précision : « chaque propriétaire a le droit d’exiger que
les arbres mitoyens soient arrachés ». Dans ce cas, ils sont partagés par moitié entre les
propriétaires mitoyens.

Les droits accordés aux propriétaires mitoyens, quel que soit le type de clôture en cause, sont
contrebalancés par des obligations imposées à ces propriétaires.

§2. Les obligations des propriétaires mitoyens


Schématiquement, il est possible d’identifier deux obligations à la charge des propriétaires mitoyens.

Les propriétaires mitoyens ont tout d’abord l’interdiction de pratiquer des ouvertures, jours ou
vues, sans le consentement du propriétaire voisin. Cette interdiction est énoncée à l’article 675
c.civ. : « l’un des voisins ne peut, sans le consentement de l’autre, pratiquer dans le mur mitoyen
aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant ». Il y aurait
en effet atteinte à la destination du mur mitoyen, qui est de clore à la fois les deux fonds, en même
temps qu’un risque d’indiscrétion. Cette atteinte ne peut être validée qu’en cas de consentement
des deux propriétaires mitoyens.
Ce principe entraîne une autre conséquence : les ouvertures faites lorsque le mur était privatif
doivent disparaître si le mur devient mitoyen, sauf acquisition d’une servitude par convention ou
prescription.
Exemple
Servitude de vue.

Cela explique d’ailleurs qu’en pratique, le voisin qui est gêné par ces ouvertures demande souvent
l’acquisition de la mitoyenneté dans le but principal de les faire disparaître. L’acquisition de la
mitoyenneté n’est alors qu’un moyen et non une fin en soi.

Il existe ensuite une obligation d’entretien et de conservation : le début de l’article 667 c.civ.
indique que « la clôture mitoyenne doit être entretenue à frais communs ». Cette obligation
s’impose quel que soit le type de séparation (mur, haie, fossé, etc.). Dans ce cas, l’article 655
c.civ. précise que les propriétaires mitoyens doivent contribuer pour moitié aux dépenses
d’entretien, de réparation ou de reconstruction de la clôture. Cette obligation ne vaut que si les
travaux sont nécessaires, compte tenu de la destination de la clôture, et s’ils n’ont pas leur origine
dans la faute d’un des propriétaires mitoyens, qui assume alors seul la charge des réparations. Il
en va de même lorsque les travaux sont entrepris dans l’intérêt d’un seul des voisins.
Il est possible de faire obstacle à cette obligation d’entretien et de conservation en abandonnant la
mitoyenneté, qui constitue un mode particulier d’extinction de la mitoyenneté.

16
UNJF - Tous droits
Section 4. L’extinction de la mitoyenneté (l’abandon de
mitoyenneté)
Comme tout droit réel, la mitoyenneté peut se perdre ou s’éteindre. On applique ici les causes
communes d’extinction : la cession du droit au propriétaire voisin, la réunion entre les mains d’un
seul propriétaire des fonds voisins…

Il existe cependant une cause d’extinction qui est particulière à la mitoyenneté : c’est l’abandon
de mitoyenneté, prévu aux articles 656 et 667 c.civ. Ce principe connaît cependant certaines
limitations.

• Quel est le principe ?


Puisque chaque propriétaire a le droit d’acquérir la mitoyenneté, le corollaire logique est qu’il
dispose du droit d’abandonner unilatéralement la mitoyenneté. Il peut souhaiter abandonner
son droit sur la clôture mitoyenne. En ce sens, l’article 667 c.civ., après avoir imposé l’obligation
d’entretien de la clôture, précise que « le voisin peut se soustraire à cette obligation en renonçant
à la mitoyenneté ». Un principe identique est prévu par l’article 656 c.civ. pour les murs mitoyens :
« cependant, tout copropriétaire d’un mur mitoyen peut se dispenser de contribuer aux réparations
et reconstructions en abandonnant le droit de mitoyenneté, pourvu que le mur mitoyen ne
soutienne pas un bâtiment qui lui appartienne ».
La faculté d’abandon unilatéral de la mitoyenneté est un droit discrétionnaire : chaque
propriétaire est seul juge de l’utilité que lui procure le droit de mitoyenneté et par exemple, si les
charges sont trop importantes par rapport à l’utilité qu’il retire de la mitoyenneté, il peut choisir
d’abandonner cette mitoyenneté. Cet abandon doit obligatoirement être constaté par acte notarié
et faire l’objet d’une publicité.

• Quelles sont ensuite les limites à ce principe ?


Le législateur et la jurisprudence ont prévu plusieurs limites à cette faculté d’abandon de la
mitoyenneté :

• soit lorsque la clôture mitoyenne est un mur qui soutient un bâtiment appartenant à celui qui
voudrait l’abandonner ;

Jurisprudence
Civ. 3ème, 25 septembre 2002, Bull. civ. III n°182 ; D.2003, somm. p.2046, obs. B. Mallet-Bricout :
« attendu qu'il résulte de l'article 656 du Code civil que la faculté d'abandon de mitoyenneté ne
peut être exercée par l'un des propriétaires lorsqu'il retire du mur litigieux un avantage particulier ;
qu'ayant relevé que le mur retenait une terre dont la stabilité avait été modifiée par les
excavations effectuées pour procéder à la réalisation de l'immeuble "Résidence La Baronnie",
que la disparition de cet ouvrage entraînerait un glissement de terrain sur la propriété située en
contrebas que le nouveau mur en béton longeant le terrain de tennis ne serait pas en mesure de
contenir étant donné sa faible hauteur et que la présence de ce mur ancien était dès lors
indispensable au maintien de la plate-forme aménagée en terrain de tennis, la cour d'appel a
exactement déduit de ses constatations que le syndicat des copropriétaires retirait du mur
séparatif un avantage particulier et qu'il ne pouvait renoncer à son droit de propriété pour se
soustraire à d'éventuelles réparations rendues nécessaires non seulement par la vétusté de
l'ouvrage mais aussi par son fait en raison de la modification de l'état initial du sol ».
• soit lorsqu’il s’agit d’un fossé de séparation qui sert à l’écoulement des eaux ;
• soit enfin lorsque les travaux de réparation ou de reconstruction de la clôture sont imputables
à la faute ou au fait du copropriétaire qui voudrait se dispenser d’y contribuer.

Lorsque le droit d’abandonner la mitoyenneté est admis, il entraîne une extinction de la


mitoyenneté : le propriétaire voisin devient le propriétaire exclusif de la séparation. Cependant,
cet effet dépend de la réalité de l’exécution de travaux par le voisin. Tant que ces travaux n’ont
17
UNJF - Tous droits
pas

18
UNJF - Tous droits
été réalisés, l’auteur de la renonciation à la mitoyenneté reste propriétaire mitoyen. Il n’y a en effet
aucune raison d’être, aucun intérêt à l’abandon de la mitoyenneté si les travaux ne sont pas
entrepris : l’exécution des travaux est une condition suspensive de l’efficacité de l’abandon.
Enfin, pour clore cette question, il est utile de préciser que l’abandon de la mitoyenneté ne prive
pas le propriétaire d’acquérir à nouveau la mitoyenneté de la séparation, si cela redevient utile
pour lui.

L’étude de la mitoyenneté a montré qu’elle pouvait valablement être rattachée soit à une forme
spéciale d’indivision, soit à un type particulier de copropriété. Il faut donc maintenant présenter
cette forme de propriété collective qu’est la copropriété des immeubles bâtis, objet de la leçon 8.

19
UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 8 : La propriété collective : la copropriété des immeubles bâtis

Table des matières


Section 1. L’objet de la copropriété....................................................................................................... p. 3
§1. Le champ d’application : les immeubles visés.......................................................................................................p. 3
A. Les immeubles obligatoirement soumis au statut de la copropriété..............................................................................................p. 3
B. Les immeubles facultativement soumis au statut de la copropriété.............................................................................................. p. 4
§2. La structure de l’immeuble en copropriété.............................................................................................................p. 4
A. Les parties privatives..................................................................................................................................................................... p. 4
B. Les parties communes................................................................................................................................................................... p. 5
C. Le lot de copropriété......................................................................................................................................................................p. 7
Section 2. L’organisation de la copropriété.......................................................................................... p. 8
§1. Les documents de la copropriété...........................................................................................................................p. 8
A. Le règlement de copropriété.......................................................................................................................................................... p. 8
1. La nature juridique du règlement de copropriété....................................................................................................................................................... .p. 8
2. Le contenu du règlement de copropriété..................................................................................................................................................................p. 10
3. Les effets du règlement de copropriété.................................................................................................................................................................... p. 12
B. L’état descriptif de division...........................................................................................................................................................p. 12
§2. Les organes de la copropriété............................................................................................................................. p. 13
A. Le syndicat des copropriétaires................................................................................................................................................... p. 13
1. L’organisation du syndicat des copropriétaires.........................................................................................................................................................p. 13
2. L’assemblée générale des copropriétaires............................................................................................................................................................... p. 14
B. Le syndic...................................................................................................................................................................................... p. 15
C. Le conseil syndical.......................................................................................................................................................................p. 17
Section 3. Les droits et obligations des copropriétaires................................................................... p. 18
§1. Sur le lot de copropriété...................................................................................................................................... p. 18
§2. Sur les parties privatives......................................................................................................................................p. 18
§3. Sur les parties communes................................................................................................................................... p. 19

1
UNJF - Tous droits
Comme pour les autres formes de propriété collective, le droit s’est longtemps abstenu d’intervenir
dans ce domaine. Au-delà de la volonté de privilégier la propriété individuelle, il existe également
une explication d’ordre pratique : l’habitat a pendant longtemps été individuel. Il existait peu
d’immeubles au sein desquels la propriété était divisée par étage. C’est pourquoi les rédacteurs
du Code civil n’ont consacré en 1804 qu’un seul article au régime juridique applicable aux
immeubles divisés par étages : l’art. 664 c.civ., qui pour l’essentiel considérait cette hypothèse
comme une superposition de propriétés individuelles. Ce texte unique étant insuffisant pour régler
toutes les difficultés juridiques, la doctrine puis la jurisprudence ont progressivement fait appel à la
notion d’indivision forcée pour traiter les questions relatives aux parties essentielles de
l’immeuble ou aux équipements communs. Cette idée a donné l’impulsion à un mouvement de
rédaction de conventions entre les copropriétaires afin de prévenir les difficultés potentielles liées à
ces éléments communs. C’est ainsi que sont nés les premiers règlements de copropriété.

Face à la multiplication importante de ce type d’immeubles au cours du 19e puis du 20e siècle,
la nécessité d’une intervention du législateur a été mise en avant. La première loi donnant à la
copropriété un statut légal date du 28 juin 1938 ; elle abroge l’art. 664 c.civ. et propose différentes
solutions aux copropriétaires. Elle reste cependant d’une ambition modeste et sera rapidement
insuffisante pour régler l’ensemble des difficultés. Le dispositif est aujourd’hui réglementé par la loi
du 10 juillet 1965 (loi n°65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles
bâtis), modifiée notamment par une loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au
renouvellement urbain (dite loi « SRU » : loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000) et par une loi
du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (que l’on désigne parfois sous le
nom de loi « ENL »). La loi n’est pas codifiée mais elle est insérée dans le Code civil sous l’ancien
article 664.
Il est fondamental, avant d’entamer l’étude de la copropriété, de tenter d’en donner une définition. Il s’agit d’u

La propriété est répartie entre plusieurs personnes, chacune ayant une partie privative et une
quote- part de parties communes. C’est en substance la définition fournie par l’article 1e de la
loi du 10 juillet 1965. Chaque propriétaire a un droit de propriété exclusif et privatif sur son lot (par
exemple sur son appartement) et il exerce à ce titre tous les droits attachés à la propriété (l’usus,
le fructus et l’abusus). Il est en même temps copropriétaire indivis des parties communes de
l’immeuble : les sols, les murs porteurs, la toiture, les escaliers, les ascenseurs, les canalisations
communes...
La copropriété des immeubles bâtis mélange donc de la propriété individuelle et de la propriété commune o

Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens propose d’insérer dans le c.civ. une définition de la copropriété

L’approche dualiste retenue par le législateur et par les juges (juxtaposition entre propriété
individuelle et propriété collective) imprime à la copropriété une coloration particulière, qui
s’exprime à travers son objet (Section 1), son organisation (Section 2) et au regard des droits et
obligations des copropriétaires (Section 3).

2
UNJF - Tous droits
Section 1. L’objet de la copropriété
L’objet de la copropriété est bien évidemment l’immeuble. C’est l’article 1er de la loi du 10 juillet
1965 qui détermine le champ d’application de la copropriété, c’est-à-dire l’objet auquel elle
s’applique (§1). Une fois ce champ d’application défini, il faudra préciser la structure de l’immeuble
soumis à la copropriété (§2).

§1. Le champ d’application : les immeubles visés


Il existe deux types principaux d’immeubles entrant dans le champ d’application de la copropriété :
certains immeubles sont obligatoirement soumis au statut légal de copropriété (A) tandis que
d’autres sont facultativement soumis à ce statut (B).

A. Les immeubles obligatoirement soumis au statut de la copropriété


Aux termes de l’article 1er al.1 de la loi du 10 juillet 1965, le statut de la copropriété s’applique de
plein droit à « tout immeuble bâti ou groupe d’immeubles bâtis dont la propriété est répartie, entre
plusieurs personnes, par lots comprenant chacun une partie privative et une quote-part de parties
communes ».

Ainsi, le statut de la copropriété est appliqué impérativement si trois éléments sont présents :

• 1er élément : il s’agit d’un ou de plusieurs immeubles bâtis. Ce peut être soit un
immeuble unique divisé par étages ou appartements, on parle alors de « copropriété
verticale », soit un groupe d’immeubles bâtis, divisés en lots comportant une partie privative
et une quote-part des parties communes, et on parle alors de « copropriété horizontale ».
La copropriété ne s’applique pas lorsqu’il s’agit d’un lotissement pour lequel il y a une
véritable appropriation privative, sans parties communes.
La copropriété n’empêche pas de réaliser toutes les opérations potentiellement applicables
au droit de propriété : un démembrement en usufruit (cf. leçon 10), la prise de sûreté comme
une hypothèque ou encore la constitution d’une servitude (cf. leçon 9) ;

Jurisprudence
Il est possible d’admettre une servitude interne à la copropriété, soit entre les parties privatives,
soit entre une partie privative et une partie commune (par exemple, une partie privative peut être
grevée d’un droit de passage pour permettre à l’un des copropriétaires d’accéder à sa place de
parking) : Civ. 3ème, 30 juin 2004, Bull. civ. III n°140 ; D.2005, juris. p.1134, note C. Giverdon &
P. Capoulade ; R.T.D.civ. 2004, p.753, obs. Th. Revet : « le titulaire d'un lot de copropriété
disposant d'une propriété exclusive sur la partie privative de son lot et d'une propriété indivise
sur la quote part de partie commune attachée à ce lot, la division d'un immeuble en lots de
copropriété n'est pas incompatible avec l'établissement de servitudes entre les parties privatives
de deux lots, ces héritages appartenant à des propriétaires distincts ».

• 2ème élément : il doit y avoir plusieurs propriétaires : il faut au moins deux propriétaires,
sachant qu’il n’existe pas de limite supérieure. La copropriété résulte le plus souvent de la
vente de parts divises.
Exemple
Vente d'appartements au sein d’un même immeuble.

Il est utile de préciser que l’affectation de l’immeuble est indifférente : l’usage peut être
professionnel (commercial, artisanal, libéral ou industriel) et/ou à titre d’habitation ;

• 3ème élément : chaque copropriétaire a un lot de copropriété, qui comprend d’une part
une propriété exclusive sur la partie privative (logement et aux dépendances privées) et
3
UNJF - Tous droits
d’autre

4
UNJF - Tous droits
part une propriété indivise sur la quote-part de partie commune qui lui est attachée.
L’existence de parties communes est obligatoire.

Jurisprudence
La Cour de cassation qualifie le lot de copropriété d’immeuble par nature : Civ. 3ème, 15
novembre 1989, Bull. civ. III n°213 ; R.T.D.civ.1990, p.304, obs. F. Zénati : « attendu que,
retenant que chacun des lots saisis, placé par l'auteur de la division sous le régime de la
copropriété, comprenait, selon l'état descriptif, le droit exclusif d'utiliser une surface déterminée
du sol pour y édifier des constructions, conformément à un permis de construire délivré à M. X...,
ainsi qu'une quote-part de la propriété du sol et des parties communes, la cour d'appel a
exactement décidé, sans modifier l'objet du litige, que le " lot privatif " du débiteur constituait un
immeuble par nature pouvant faire l'objet d'une saisie immobilière ».

Lorsque ces éléments sont réunis, les immeubles ou l’immeuble sont impérativement soumis au
statut de la copropriété. Ce statut est également applicable à d’autres immeubles, sauf convention
contraire.

B. Les immeubles facultativement soumis au statut de la copropriété


Aux termes de l’article 1er al.2 de la loi du 10 juillet 1965, le statut de la copropriété s’applique
de manière facultative, c’est-à-dire « à défaut de convention contraire, aux ensembles immobiliers
qui, outre des terrains, des aménagements et des services communs, comportent des parcelles,
bâties ou non, faisant l’objet de droits de propriété privatifs ». On parle généralement d’ensembles
immobiliers complexes, qui seront traités comme des copropriétés horizontales s’ils sont soumis
à ce régime.
Exemple
Il existe par exemple des maisons individuelles, faisant l’objet d’un droit de propriété exclusif et privatif, et

On retrouve ici l’idée d’un lotissement, à condition qu’il comprenne des parties communes. Dans
ce domaine, le critère est finalement celui de l’hétérogénéité des éléments constitutifs de
l’ensemble immobilier.

La loi du 10 juillet 1965 précise que dans cette hypothèse, le statut de la copropriété s’applique si
aucune organisation différente n’a été prévue par convention. C’est pour cette raison que l’on parle
de statut facultatif, puisqu’il existe une liberté d’organisation différente par convention.
Exemple
Les propriétaires pourront s’entendre pour mettre en place une union de syndicats ou encore une association

Cependant, ces cas sont rares en pratique et l’organisation collective choisie sera dans la majorité
des cas la copropriété.

Que l’immeuble ou l’ensemble immobilier soit obligatoirement ou facultativement soumis au statut


de la copropriété, il est impératif dans tous les cas qu’il présente une structure particulière.

§2. La structure de l’immeuble en copropriété


Un immeuble en copropriété doit impérativement comprendre des parties privatives (A) et des
parties communes (B), divisées en plusieurs lots de copropriété (C).

5
UNJF - Tous droits
A. Les parties privatives
L’art. 2 de la loi du 10 juillet 1965 précise que « sont privatives les parties des bâtiments et des
terrains réservées à l’usage exclusif d’un copropriétaire déterminé.
Les parties privatives sont la propriété exclusive de chaque copropriétaire ».
De manière un peu paradoxale, c’est l’usage qui détermine la qualité de la partie de l’immeuble et
non l’inverse. La partie privative est celle dont l’un des copropriétaires peut faire un usage
exclusif.
Exemple
En pratique, il s’agit de l’intérieur des appartements : les cloisons intérieures, les équipements intérieurs,

Le propriétaire dispose d’une propriété exclusive sur ces éléments : il peut décider d’habiter
l’appartement ou de le louer, il peut faire des travaux d’intérieur…, à condition de se conformer à
la destination de l’immeuble.
Exemple
Si l’immeuble est à usage d’habitation, il ne pourra pas utiliser son appartement pour une activité professionn

Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend une définition identique des parties privatives au sein de

Aux parties privatives s’ajoutent des parties communes, combinaison indispensable de la


copropriété.

B. Les parties communes


Aux termes de l’art. 3 de la loi du 10 juillet 1965, « sont communes les parties des bâtiments et des
terrains affectées à l’usage ou à l’utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d’entre eux » :
elles supposent un usage collectif. Le législateur énumère ensuite une liste des parties de
l’ensemble immobilier qui seront considérées comme des parties communes, dans le silence des
copropriétaires
Exemple ou en cas de contradiction de titre.
Le sol, les voies d’accès, les parcs (les cours, les jardins), le gros œuvre des bâtiments (les fondations,

Le législateur énumère également les droits qui sont réputés accessoires des parties
communes, qui correspondent aux prérogatives liées à l’exercice du droit de propriété sur les
parties communes : on trouve ainsi le droit de surélever un bâtiment affecté à l’usage commun ou
encore le droit d’édifier des bâtiments nouveaux dans les cours, parcs ou jardins constituant des
parties communes.

6
UNJF - Tous droits
Cependant, tant la définition que l’énumération des éléments en question ne s’imposent pas aux
copropriétaires, qui ont la liberté de donner une autre qualification aux parties de l’immeuble dans
le règlement de copropriété et dans l’état descriptif de division, sauf s’il s’agit d’une partie
commune par nature, comme le gros œuvre.
Exemple
Les combles sont en principe des parties communes mais il est possible de les qualifier de parties privatives e

Il est également possible d’attribuer à un ou plusieurs copropriétaires un droit d’utilisation


exclusive de certaines parties communes.
Exemple
Un garage peut être qualifié de partie commune tout en étant réservé à l’usage exclusif d’un des copropriétair

Jurisprudence
Le droit d’usage exclusif d’une partie commune est un véritable droit réel accessoire au lot de
copropriété : il est donc perpétuel et ne peut être remis en cause sans le consentement de son
titulaire : Civ. 3ème, 4 mars 1992, Bull. civ. III n°73 ; D. 1992, juris. p.386, note Ch. Atias ;
R.T.D.civ. 1993, p.162, obs. F. Zénati : « le droit de jouissance exclusif et privatif sur une fraction
de la cour, partie commune, attribué par le règlement de copropriété aux lots n°s 2 et 3, dont
il constituait l'accessoire, avait un caractère réel et perpétuel, que l'usage effectif de ce droit était
sans incidence sur sa pérennité et que ce droit ne pouvait être remis en cause sans le
consentement de son bénéficiaire ».

L’art. 4 de la loi du 10 juillet 1965 énonce ensuite quels sont les droits des copropriétaires sur les
parties communes : « les parties communes sont l’objet d’une propriété indivise entre l’ensemble
des copropriétaires ou certains d’entre eux seulement ; leur administration et leur jouissance sont
organisées conformément aux dispositions de la présente loi ». Les droits et obligations de chaque
copropriétaire sur ces éléments seront précisés dans la dernière partie de cette étude.

7
UNJF - Tous droits
Remarque
Pour terminer sur ce point, au sein de la proposition d’, l’avant-projet de réforme du droit des biens donne une
« sont communes les parties des bâtiments et des terrains affectées à l’usage ou à l’utilité de tous les copropr

Les parties privatives et une quote-part des parties communes doivent être réparties par lots entre
les copropriétaires.

C. Le lot de copropriété
Le droit de propriété exclusif exercé sur les parties privatives et le droit de propriété indivis
applicable aux parties communes sont indissociablement liés. Ils sont en effet réunis au sein
d’une entité juridique propre, autonome, appelée le lot de copropriété. C’est d’ailleurs cette
entité qui est l’objet véritable du droit de propriété : la caractéristique essentielle de la copropriété
est de répartir la propriété par lots.

Chaque lot de copropriété comprend la propriété exclusive des parties privatives et une quote-part de la propr

La désignation des parties privatives soulève en général peu de difficultés et peut être modifiée
ultérieurement.
Exemple
Modification des parties privatives si de nouveaux locaux sont construits ou s’il y a un changement d’affectatio

En revanche, la détermination de la quote-part des parties communes est souvent plus complexe.
Elle correspond à une part abstraite, indivise, des parties communes. Elle est exprimée en
tantièmes, c’est-à-dire en une fraction de la totalité des parties communes. L’unité la plus souvent
utilisée est le millième.
Exemple
En pratique, on imagine que l’ensemble des parties communes représente 1.000. Ensuite, on attribue à

Cette répartition devra être faite dans le règlement de copropriété et dans l’état descriptif de division.

Quels sont les critères qui permettent de calculer cette quote-part ? L’art. 5 de la loi du 10 juillet
1965 donne un certain nombre d’indications, dans le silence ou la contradiction des titres : « la
quote-part des parties communes afférentes à chaque lot est proportionnelle à la valeur relative de
chaque partie privative par rapport à l’ensemble des valeurs desdites parties, telles que ces
valeurs résultent lors de l’établissement de la copropriété, de la consistance, de la superficie et de
la situation des lots, sans égard à leur utilisation ». Il est tenu compte à la fois de la superficie
des locaux et de leur situation : l’étage, l’exposition, la vue… En revanche, il ne doit pas être
tenu compte du critère de l’utilisation, qui aboutissait souvent à attribuer des tantièmes
excessifs aux locaux à usage professionnel.

Au-delà de son utilisation pour constituer les lots de copropriété, la répartition des tantièmes a
également une grande importance puisqu’elle détermine le nombre de voix dont dispose chaque
copropriétaire lors des votes en assemblée générale. Elle a donc un impact sur l’organisation de
la copropriété.
8
UNJF - Tous droits
Section 2. L’organisation de la copropriété
L’objectif de la loi du 10 juillet 1965 est de trouver un équilibre entre les droits et les intérêts de
tous les copropriétaires. Pour que la copropriété puisse fonctionner, il faut établir certains
documents (§1) et mettre en place des organes spécifiques (§2).

§1. Les documents de la copropriété


La copropriété est organisée autour de deux documents : le règlement de copropriété (A) et l’état
descriptif de division (B).

A. Le règlement de copropriété
Selon l’article 8 al.1er de la loi du 10 juillet 1965, « un règlement conventionnel de copropriété,
incluant ou non l’état descriptif de division, détermine la destination des parties tant privatives
que communes, ainsi que les conditions de leur jouissance ; il fixe également, sous réserve des
dispositions de la présente loi, les règles relatives à l’administration des parties communes ».
Il s’agit d’un document essentiel dans le fonctionnement de toute copropriété puisqu’il est destiné à organiser

Sa rédaction est obligatoire et son adoption ou sa modification doit être décidée en Assemblée
générale (v. pour un rappel : Civ.3e, 8 juin 2011, n°10-18220, J.C.P. éd. G. 2011, 1298, n°13,
obs. H.Périnet-Marquet : une décision même unanime des copropriétaires n'est pas suffisante
pour modifier le règlement de copropriété, il faut nécessairement une décision d'assemblée
générale).

Il faut étudier la nature juridique du règlement de copropriété (1) avant de s’intéresser à son contenu
(2) puis à ses effets juridiques (3).

1. La nature juridique du règlement de copropriété


En utilisant l’expression de « règlement conventionnel de copropriété », le législateur indique que
le règlement de copropriété a une nature contractuelle.

Cependant, la qualification n’est pas aussi claire en doctrine et la majorité des auteurs relève la
nature hybride du règlement de copropriété, à la fois contrat et document statutaire ou
institutionnel. Cette qualification découle notamment des modes possibles d’élaboration du
règlement :

• 1ère situation : lorsqu’un promoteur immobilier construit un immeuble, qu’il le divise en lots
vendus à des acquéreurs, il revient à ce promoteur immobilier de rédiger unilatéralement le
règlement de copropriété. Celui-ci sera accepté par les acheteurs en même temps que l’acte
de vente du lot de copropriété : ils n’ont pas d’autre choix que d’adhérer au règlement ou de
renoncer à l’achat de l’immeuble. Peut-on alors réellement parler de contrat ? A minima il
s’agit d’un contrat d’adhésion ;

• 2ème situation : lorsqu’un immeuble est soumis au statut de la copropriété des immeubles
bâtis, le règlement de copropriété doit être rédigé et voté par l’assemblée générale des
copropriétaires. Mais dans ce cas, l’unanimité n’est pas requise : le règlement pourra être
imposé par la majorité des copropriétaires aux copropriétaires minoritaires : comment parler
de contrat puisque le consentement de toutes les parties n’est pas obtenu ?

• 3ème situation : si l’immeuble en copropriété est dépourvu de règlement en raison de la


carence des copropriétaires ou d’une impossibilité (par exemple aucune majorité suffisante
n’émerge lors du vote), le règlement de copropriété peut être établi et imposé par le juge,
9
UNJF - Tous droits
qui statue en pratique après avoir eu recours à une expertise. Comment peut-on qualifier de
contrat un document imposé par décision de justice ?

10
UNJF - Tous droits
La jurisprudence, comme il a été indiqué précédemment, ne s’est pas embarrassée de ces
questions et a retenu, à la suite du législateur, la nature contractuelle du règlement de copropriété,
quel que soit son mode d’élaboration. La solution est discutable mais elle n’est pas remise en
cause en pratique.

11
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Par exemple, sur la nature contractuelle du règlement de copropriété et de l’action en
responsabilité qui en découle : Civ. 3ème, 22 mars 2000, Bull. civ. III n°64 ; J.C.P. éd. G. 2000, I,
265, n°2, obs. H. Périnet-Marquet ; D.2001, somm. p.345, obs. J.-R. Bouyeure : « le règlement de
copropriété ayant la nature d'un contrat, chaque copropriétaire avait le droit d'en exiger le
respect par les autres et que l'action individuelle des consorts X... était recevable sans qu'ils
soient astreints à démontrer qu'ils subissaient un préjudice personnel et spécial distinct de
celui dont souffrait la collectivité des membres du syndicat, leur intérêt à agir trouvant sa source
dans le respect du règlement de copropriété ».

En tout état de cause, quelle que soit la qualification retenue, le règlement de copropriété a un
contenu minimal impérativement fixé par le législateur, auquel certaines dispositions pourront être
ajoutées.

2. Le contenu du règlement de copropriété


Aux termes des articles 8 et 10 de la loi du 10 juillet 1965, le règlement de copropriété doit
impérativement comprendre quatre mentions obligatoires :

• 1ère mention obligatoire : le règlement de copropriété doit indiquer la destination des


parties privatives et des parties communes ainsi que les conditions de leur jouissance.
Il faut en ce sens préciser l’affectation des différentes parties de l’immeuble à des usages
divers. Pour les parties privatives, principales ou accessoires, l’affectation des locaux n’est
pas laissée à l’entière disposition du copropriétaire qui en a la propriété exclusive : elle doit
être précisée par le règlement.
Exemple
Pour les parties communes, il faut indiquer si ce sont des espaces verts, des parkings, des locaux techniques…

Cet usage, soit des parties communes, soit des parties privatives, pourra être modifié par
l’assemblée générale des copropriétaires.

• 2ème mention obligatoire : le règlement de copropriété doit définir la destination de


l’immeuble. Cette notion n’est pas définie par le législateur, qui fait seulement référence aux
caractères et à la situation de l’immeuble. L’exposé des motifs de la loi du 10 juillet 1965
décrit la destination de l’immeuble comme « l’ensemble des conditions en vue desquelles un
copropriétaire a acquis son lot, compte tenu de divers éléments, notamment de l’ensemble
des clauses des documents contractuels, des caractères physiques et de la situation de
l’immeuble, ainsi que de la situation sociale de ses occupants ».

Dans tous les cas, l’article 8 al. 2 de la loi du 10 juillet 1965 définit une limite aux restrictions
qui peuvent être imposées aux copropriétaires : « Le règlement de copropriété ne peut
imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées
par la destination de l’immeuble, telle qu’elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa
situation ». La destination de l’immeuble doit être définie en fonction de l’affectation des parties
privatives principales (habitation, usage commercial…), du standing de l’immeuble ou encore de
son environnement économique (est-ce un quartier résidentiel ou un quartier commercial ?),
architectural ou social.

La destination de l’immeuble ne pourra être modifiée qu’à l’unanimité des copropriétaires. En cas
de litige, les juges du fond apprécient souverainement si le règlement de copropriété n’apporte pas
de restrictions injustifiées aux droits des copropriétaires et si les activités sont susceptibles d’être
pratiquées eu égard à ce qui est inscrit au règlement.

12
UNJF - Tous droits
Exemple
Une clause instituant un droit de préemption en faveur des copropriétaires en cas de vente de lots ne peut êtr

Le législateur lui-même intervient parfois afin de prohiber l’utilisation de certaines clauses, pour
des raisons de politique sociale ou économique.
Exemple
Il est illicite d’insérer une clause prohibant la présence d’animaux familiers (article 10 de la loi n
°70-598 du 9 juillet 1970, modifiée par l’ordonnance n°2010-462 du 6 mai 2010).

• 3ème mention obligatoire : le règlement de copropriété doit énoncer les règles relatives à
l’administration des parties communes. Il s’agit de préciser l’organisation collective de la
copropriété, essentiellement en application des dispositions impératives de la loi. On trouve
les règles relatives au fonctionnement des organes de la copropriété, celles applicables à la
conservation de l’immeuble et à l’administration des parties communes.

• 4ème mention obligatoire : le règlement de copropriété mentionne la répartition des


charges communes. En application de l’art. 10 al.3 de la loi du 10 juillet 1965, « le
règlement de copropriété fixe la quote-part afférente à chaque lot dans chacune des
catégories de charges ». En pratique, il existe deux catégories de charges. D’une part, les
charges engendrées par les services collectifs et les équipements communs, auxquelles
les copropriétaires doivent contribuer en fonction de l’utilité que ces services et éléments
présentent à l’égard de chaque lot. D’autre part, les charges relatives à la conservation,
à l’entretien et à l’administration des parties communes, pour lesquelles la contribution
de chaque copropriétaire est proportionnelle aux valeurs relatives des parties privatives
comprises dans son lot. La loi détermine le mode de calcul utilisé pour fixer les quotes-parts
des différents copropriétaires.
Exemple
On peut ainsi citer des exemples de clauses licites de règlements de copropriété : « l’immeuble est destiné

Remarque
Au-delà de ces mentions obligatoires, le règlement de copropriété peut contenir d’autres dispositions, par défi

13
UNJF - Tous droits
Un dernier élément doit être étudié, concernant les effets de ce règlement de copropriété.

3. Les effets du règlement de copropriété


Le règlement de copropriété a, pour la loi et la jurisprudence au moins, une nature contractuelle :
la violation de ce règlement engage la responsabilité contractuelle des copropriétaires (v. arrêt
précité, Civ. 3ème, 22 mars 2000). Mais le règlement de copropriété n’est pas un simple contrat :
il s’applique de manière particulière puisqu’il s’impose par exemple aux acquéreurs successifs. On
parle souvent de contrat d’adhésion.

Le règlement de copropriété, à condition d’être licite, s’impose à tous les copropriétaires : il a


une force obligatoire à leur égard. Ils doivent respecter les obligations imposées par le règlement
et à l’inverse, ils peuvent se prévaloir des droits issus de ce document.
Le règlement de copropriété s’impose également aux ayants cause à titre universel des
copropriétaires, c’est-à-dire aux héritiers et légataires universels. En revanche, il ne sera
opposable aux ayants droit à titre particulier (par exemple l’acheteur d’un appartement ou un
donataire) qu’à compter de sa publication au fichier immobilier, sauf s’ils en ont eu connaissance
préalablement et qu’ils ont adhéré aux obligations qui en découlent (article 13 de la loi du 10 juillet
1965 et article 4 al.3 du décret du 17 mars 1967).
Enfin, la jurisprudence puis le législateur ont étendu les effets du règlement de copropriété aux
locataires, à condition que ceux-ci aient été dûment informés des clauses du règlement.

Jurisprudence
Les locataires, ayants cause de copropriétaires, dûment informés des clauses du règlement,
doivent s’y conformer et peuvent être directement poursuivis par le syndic en cas d’inobservation
(exercice d’une activité commerciale dans des locaux d’habitation) : Civ. 3ème, 4 janvier 1991,
Bull. civ. III n°2 ; J.C.P. éd. G. 1991, IV, 73.

Le règlement de copropriété constitue le document principal pour l’organisation de la copropriété.


Il est accompagné d’un second document, l’état descriptif de division, la plupart du temps annexé
au règlement lui-même.

B. L’état descriptif de division


14
UNJF - Tous droits
L’état descriptif de division est un document établi pour les besoins de la publicité foncière.

Il doit identifier l’immeuble ou l’ensemble immobilier concerné (sa nature, sa situation, sa


désignation cadastrale), opérer une division en lots en attribuant un numéro à chaque lot et
identifier chaque lot par son emplacement dans l’immeuble (quel étage, quel côté ?).

La nature juridique de l’état descriptif de division a fait l’objet d’une évolution jurisprudentielle. À
l’origine, les juges attribuaient à ce document une nature contractuelle, en lien avec le règlement
de copropriété. Mais depuis le début des années 1990, la Cour de cassation a opéré un revirement
de jurisprudence : elle s’est ralliée à l’opinion doctrinale majoritaire, estimant que l’état descriptif
de division est un simple document technique, sans aucune valeur contractuelle.

Jurisprudence
Civ. 3ème, 8 juillet 1992, Bull. civ. III n°241 ; D.1993, juris. p.1, note C. Giverdon & P. Capoulade :
l’état descriptif de division étant dressé seulement pour les besoins de la publicité foncière, il n’est
pas de nature contractuelle. V. aussi Civ.3e, 7 septembre 2011, n°10-14154, J.C.P. éd. G.2011,
1298, n°11, obs. H.Périnet-Marquet : la publication postérieurement au règlement de copropriété
d'un nouvel état descriptif de division non constesté ne lui donne pas valeur contractuelle.

Ces documents permettent d’appliquer aux situations particulières les règles prévues par la loi en
matière de fonctionnement des organes de la copropriété.

§2. Les organes de la copropriété


Il existe trois organes entre lesquels sont répartis les pouvoirs du groupement de copropriétaires :
le syndicat des copropriétaires (A), le syndic (B) et le conseil syndical (C).

A. Le syndicat des copropriétaires


Le syndicat des copropriétaires, organe obligatoire de la copropriété, est un groupement qui
dispose de la personnalité morale. Il faut étudier la manière dont il est structuré (1) ainsi que son
organe essentiel : l’assemblée générale des copropriétaires (2).

1. L’organisation du syndicat des copropriétaires


Selon l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965, « la collectivité des copropriétaires est constituée en
un syndicat qui a la personnalité civile ». Ce n’est ni une société (il n’y a pas d’apports, pas de
parts), ni une association, ni un syndicat au sens d’une organisation représentant une profession. Il
a une nature particulière qui le différencie des formes traditionnelles de groupements juridiques (en
ce sens, le syndicat des copropriétaires ne peut pas faire l’objet d’une procédure de redressement
ou de liquidation judiciaire). Il est obligatoire et impérativement composé de tous les
copropriétaires.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens prévoit simplement d’actualiser la définition, proposée à l’ : « la co

La mission essentielle du syndicat des copropriétaires est d’assurer « la conservation de


l’immeuble et l’administration des parties communes » (article 14 de la loi du 10 juillet 1965).
Pour ce faire, il peut établir et modifier le règlement de copropriété ; il peut agir en justice contre
les copropriétaires ou contre les tiers.

15
UNJF - Tous droits
Exemple
Action en recouvrement des charges communes, action en inobservation du règlement de copropriété ou ac

Le syndicat des copropriétaires possède un patrimoine. L’actif de ce patrimoine réside


essentiellement dans les sommes versées par les copropriétaires pour assumer les charges
communes de l’immeuble. Il peut également exister un passif et des dettes, puisqu’aux termes de
l’article 14 al. 4 de la loi, le syndicat est responsable « des dommages causés aux copropriétaires
ou aux tiers par le vice de la construction ou le défaut d’entretien des parties communes, sans
préjudice de toutes actions récursoires ».

Pour exercer ses missions, le syndicat des copropriétaires passe par un organe délibératif :
l’assemblée générale.

2. L’assemblée générale des copropriétaires


L’assemblée générale des copropriétaires est l’organe de décision du syndicat, comme l’indique
l’art. 17 de la loi du 10 juillet 1965. C’est elle qui détient le pouvoir de délibération et prend
les décisions, qui devront être suivies par les autres organes de la copropriété. À l’inverse, les
copropriétaires ne peuvent prendre aucune décision en-dehors de l’assemblée générale, même
s’ils sont unanimes.

Les règles de fonctionnement sont définies par le règlement de copropriété, sous réserve de
respecter le cadre général fixé par la loi :

• tout d’abord, l’assemblée générale des copropriétaires est convoquée au moins une fois
par an par le syndic. Une convocation doit être adressée à chaque copropriétaire par lettre
recommandée avec accusé de réception (ou par remise en mains propres contre signature)
au moins 15 jours avant la réunion. Elle doit indiquer l’ordre du jour (sachant cependant que
tout copropriétaire peut demander l’ajout de questions supplémentaires) et les date, heure et
lieu de la réunion ainsi que la possibilité pour chaque copropriétaire de se faire représenter
par un mandataire, membre ou non du syndicat. Il faut également joindre à l’ordre du jour les
documents soumis aux délibérations de l’assemblée.
Exemple
Comme le compte de gestion, le budget prévisionnel ou encore les devis pour travaux.

Le règlement de copropriété a la possibilité d’augmenter la fréquence des réunions;


• ensuite, l’assemblée générale des copropriétaires élit un président, qui ne peut pas être le
syndic, et peut former un bureau. Elle dresse un procès-verbal de réunion qui détaille les
décisions votées. Chaque copropriétaire dispose d’un nombre de voix en fonction de la
quote- part détenue dans les parties communes mais pour éviter l’existence d’une majorité de
blocage, aucun copropriétaire ne peut détenir à lui seul plus de la moitié de la totalité des voix
(article 22 al.2 de la loi du 10 juillet 1965 : dans ce cas, le nombre de voix est réduit à la
somme des voix des autres copropriétaires) ;

• enfin, la loi fixe les règles des majorités exigées en fonction des décisions :

- En principe, aux termes de l’art. 24 al.1er de la loi du 10 juillet 1965, les décisions sont prises à
la majorité simple des voix exprimées des copropriétaires présents ou représentés, sans
qu’aucun
Exemplequorum spécial ne soit requis.
Il s’agit par exemple du vote du budget prévisionnel ou d’une décision de réparation des parties communes

16
UNJF - Tous droits
- Par exception, prévue à l’art. 25 de la loi du 10 juillet 1965, certaines décisions ne pourront être
Exemple
prises qu’àdes
Il s’agit la décisions
majorité absolue, c’est-à-dire à lasur
portant essentiellement majorité des voixdedelatous
l’organisation les copropriétaires
copropriété, comme la révocation
qu’ils soient présents, représentés ou absents.

Si la majorité absolue ne peut être atteinte, le législateur prévoit, sous condition d’obtention du
tiers au moins des voix de tous les copropriétaires, la possibilité d’organiser un second vote au
cours de la même séance, qui aura lieu cette fois à la majorité simple des voix. La majorité
simple sera également requise pour ce vote, sans condition d’atteinte du tiers des voix, si une
nouvelle assemblée est convoquée dans un délai de 3 mois pour la même question.

- Ensuite, certaines décisions requièrent une double majorité, comme l’indique l’art.26 de la loi.
Elles ne peuvent être prises qu’en cumulant la majorité des copropriétaires et les 2/3 des voix
des copropriétaires présents ou représentés. Il s’agit de décisions relativement graves, qui ne
Exemple
correspondent pas au fonctionnement normal et courant de la copropriété.
Les actes d’acquisition immobilière, les modalités d’ouverture des portes d’accès aux immeubles ou encore la

- Enfin, d’autres décisions ne pourront être prises qu’à l’unanimité des voix, ce qui confère dans
ces hypothèses un véritable droit de véto à chaque copropriétaire. Il s’agit des décisions les plus
graves.
Exemple
La modification de la destination de l’immeuble ou la modification de la répartition des charges (hors le cas pr

Quelle que soit la majorité exigée, les décisions de l’assemblée générale régulièrement adoptées s’imposent à

Elles peuvent cependant faire l’objet de recours de la part des « copropriétaires opposants ou
défaillants » selon l’art. 42 al.2 de la loi du 10 juillet 1965. La jurisprudence est très stricte sur ce
point et par exemple, elle refuse d’admettre l’action des copropriétaires qui se sont abstenus ou
des locataires.
L’action en contestation de la décision doit être introduite dans un délai de deux mois à compter
de la réception de la notification du procès-verbal de réunion faite par le syndic (cette notification
devant elle-même intervenir dans les 2 mois de la tenue de l’assemblée). Il peut être demandé au
juge de prononcer la nullité de la décision ou son inopposabilité, ou même d’autoriser un acte qui a
été refusé en assemblée (par exemple la réalisation de travaux souhaités par un copropriétaire qui
affectent les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble tout en restant conformes à la
destination de l’immeuble), ou encore de décider lui-même d’une nouvelle répartition des charges.

Les décisions prises par l’assemblée générale doivent ensuite être exécutées : c’est le rôle du
deuxième organe de la copropriété, le syndic.

B. Le syndic

17
UNJF - Tous droits
Le syndic est l’organe exécutif de la copropriété, comme l’indique l’art. 18 de la loi. Il est
obligatoirement nommé et révoqué par l’assemblée générale des copropriétaires à la majorité
absolue des voix, ou par le Président du tribunal de grande instance en cas de litige. Il est nommé
pour une durée de trois ans et peut être révoqué ad nutum. Il existe une grande liberté de choix
dans la désignation du syndic : un professionnel, un des copropriétaires ou un tiers, une personne
physique ou une personne morale…

Ses fonctions sont énumérées à l’article 18 de la loi : il assure l’exécution des décisions de
l’assemblée générale des copropriétaires et des dispositions du règlement de copropriété. Il gère
la copropriété, administre les parties communes et assure la conservation et l’entretien de
l’immeuble. Il établit le budget prévisionnel et les comptes du syndicat. Il représente le syndicat
dans les actes de la vie civile et peut à ce titre exercer les actions en justice s’il a obtenu une
autorisation préalable spéciale de l’assemblée générale.

18
UNJF - Tous droits
Exemple
Sur autorisation, le syndic peut exercer une action en recouvrement des créances du syndicat.

Enfin, il est responsable des fautes commises dans l’exécution de ses fonctions, à l’égard du
syndicat,
Exemple des copropriétaires ou des tiers.
Lorsque des travaux ont été votés en assemblée générale mais que le coût final dépasse l'autorisation donné

Le syndic est contrôlé et assisté dans ses missions par le troisième organe de la copropriété, le
conseil syndical.

C. Le conseil syndical
Le conseil syndical est un organe d’assistance et de contrôle du syndic. L’art. 21 de la loi
prévoit en effet que « dans tout syndicat de copropriétaires, un conseil syndical assiste le syndic et
contrôle sa gestion ». Il est composé de plusieurs copropriétaires élus par l’assemblée générale
des copropriétaires pour trois ans, révocables à tout moment à la majorité absolue.

Le conseil syndical donne son avis sur toutes les questions de la compétence du syndic : il a
une fonction consultative. Il contrôle également la gestion du syndic en exerçant un contrôle de la
comptabilité, de la répartition des dépenses ou encore des conditions dans lesquelles sont passés
et exécutés les marchés et autres contrats. Le conseil syndical doit enfin rendre compte, chaque
année, de l’exécution de sa mission à l’assemblée générale des copropriétaires.

L’aspect collectif de la copropriété, qui nécessite une organisation particulière que l’on vient
d’étudier, ne doit pas masquer la dimension individuelle de la copropriété, qui confère des droits et
obligations à chacun des copropriétaires.

19
UNJF - Tous droits
Section 3. Les droits et obligations des copropriétaires
Chaque propriétaire dispose de droits et est tenu d’obligations spécifiques sur son lot de
copropriété (§1), sur les parties privatives (§2) et sur les parties communes (§3).

§1. Sur le lot de copropriété


Le principe est que chaque copropriétaire dispose d’un droit de propriété plein et exclusif sur son lot de copro

Il a un droit d’usage et de jouissance exclusif et il peut disposer librement de son lot.


Exemple
Il peut louer ou vendre son lot à un tiers, il peut effectuer les travaux d’aménagement et les modificatio

La difficulté essentielle est que le lot de copropriété n’a pas une assiette matériellement
déterminée : il y a les parties privatives et une quote-part des parties communes, qu’il est
impossible d’identifier précisément. Or l’usus nécessite une identification précise du bien, tandis
que le fructus et l’abusus peuvent être exercés sur l’entité abstraite qu’est le lot de copropriété.

Ce droit de propriété plein et exclusif connaît cependant des limites. En effet, chaque
copropriétaire doit respecter un formalisme rigoureux en cas de cession du lot de copropriété ou
de constitution d’un droit réel sur ce lot. Il existe notamment des obligations de publicité,
d’information du syndic et d’information du cessionnaire, qui doit connaître la superficie exacte, le
règlement de copropriété, l’état descriptif de division et la quote-part dans les charges.

§2. Sur les parties privatives


Chaque copropriétaire a un droit de libre usage de ses parties privatives (en considérant que
la jouissance et la disposition s’appliquent au lot de copropriété), puisque ces parties privatives
sont la propriété exclusive de chaque copropriétaire. Il peut les aménager ou les modifier à
condition de ne pas porter atteinte à la destination de l’immeuble.
Exemple
Il peut abattre des cloisons intérieures, modifier le revêtement du sol, aménager des placards, etc.

Il peut également exercer toutes les actions en justice afférentes à son droit de propriété.
Exemple
Action possessoire, action contre les troubles anormaux de voisinage…

Ce droit connaît cependant certaines limites, liées à la spécificité de la copropriété :

• tout d’abord, chaque copropriétaire doit respecter les obligations de voisinage issues de
l’importante proximité du voisinage. Il ne doit ni abuser de son droit d’usage, ni provoquer
des troubles anormaux de voisinage. Il peut d’ailleurs être responsable, à l’égard des autres
copropriétaires ou du syndicat, du fait de son locataire;

20
UNJF - Tous droits
Remarque
Le droit de chaque copropriétaire de faire un usage libre de ses parties privatives peut parfois se heurter à la n

• ensuite, chaque copropriétaire doit respecter les dispositions du règlement de copropriété


et notamment les restrictions qui en résultent.
Exemple
Par exemple l’interdiction de l’exercice d’une profession commerciale ou industrielle ou encore l’interdict

Ce respect n’est bien évidemment exigé qu’à condition que l’interdiction imposée soit licite,
c’est-à-dire exprimée dans l’intérêt de la copropriété conformément à la destination de
l’immeuble, et qu’elle ne porte pas une restriction injustifiée aux droits des copropriétaires ;

• enfin, aux termes de l’art. 9 de la loi du 10 juillet 1965, aucun copropriétaire ne peut
s’opposer à l’exécution de travaux, même à l’intérieur de sa partie privative, décidés par
l’assemblée générale des copropriétaires pour l’intérêt collectif de la copropriété lorsque
les conditions l’exigent. Ce principe est posé sous réserve que ces travaux n’altèrent pas de
manière durable l’affectation, la consistance ou la jouissance des parties privatives. Le
copropriétaire peut recevoir dans ce cas une indemnité destinée à compenser l’éventuelle
diminution de valeur de son lot, une dégradation ou un trouble grave de jouissance, même
temporaire.

Pour terminer sur les parties privatives, chacun doit bien évidemment supporter seul les charges
afférentes à la fraction de l’immeuble qui lui appartient privativement.
Exemple
Payer les frais d’entretien, régler les différents impôts, etc.

Il faut enfin étudier les droits et obligations des copropriétaires sur les parties communes.

§3. Sur les parties communes


Les copropriétaires ont un droit de propriété indivis sur les parties communes : chacun use et jouit des parties

Dans certains cas, il est possible pour un copropriétaire d’utiliser ou d’aménager individuellement
une partie commune.
Exemple
Un copropriétaire qui exerce une activité libérale peut apposer une plaque sur la façade avec l’autorisatio

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UNJF - Tous droits
Jurisprudence
L’obtention d’un droit de jouissance exclusive par un copropriétaire sur une partie commune ne
peut pas entraîner la requalification de cette partie commune en partie privative : Civ. 3ème, 6 juin
2007, Bull. civ. III n°98 ; J.C.P. éd. G. 2007, I, 197, n°5, obs. H. Périnet-Marquet : « un droit de
jouissance exclusif sur des parties communes n'est pas un droit de propriété et ne peut constituer
la partie privative d'un lot ».

Les copropriétaires sont également tenus d’obligations envers les parties communes.

L’obligation essentielle est de contribuer aux charges communes de copropriété. Ces charges
peuvent être de deux ordres :

• il y a en premier lieu les charges relatives à l’entretien, à la conservation et à l’administration


des parties communes, décrites à l’art. 10 al. 2 de la loi.
Exemple
Les frais de nettoyage des allées et de l’entrée, les dépenses de réfection de la toiture ou de la rémunér

La contribution de chaque copropriétaire est fonction de sa quote-part dans les parties


communes ;

• il existe en second lieu des charges relatives aux services collectifs et éléments d’équipement
commun.
Exemple
Les frais d’entretien d’un ascenseur ou d’un interphone.

La contribution de chaque copropriétaire dépend ici de l’utilité qu’il retire du service ou de


l’équipement.

La répartition des charges est fixée par le règlement de copropriété. Cette répartition peut être
modifiée soit par une décision de l’assemblée générale des copropriétaires prise à l’unanimité, soit
par décision de justice lors d’une action en révision de la répartition des charges.

L’étude de la copropriété des immeubles bâtis permet de clore le thème général de la propriété
collective. Une dernière notion est à présenter : celle de démembrement du droit de propriété, en
commençant par l’exposé des servitudes, objet de la leçon 9.

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UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 9 : Les démembrements de la propriété : les servitudes

Table des matières


Section 1. La notion de servitude.......................................................................................................... p. 2
§1. Les éléments constitutifs de la servitude............................................................................................................... p. 2
A. Une pluralité de fonds....................................................................................................................................................................p. 4
B. Une pluralité de propriétaires.........................................................................................................................................................p. 4
C. L’existence d’une charge pesant sur un fonds au profit d’un autre fonds.....................................................................................p. 4
1. Une charge pesant sur le fonds servant.................................................................................................................................................................... p. 4
2. Une charge profitant au fonds dominant.................................................................................................................................................................... p. 6
§2. Les caractères de la servitude.............................................................................................................................. .p. 7
Section 2. La classification des servitudes......................................................................................... p. 10
§1. La classification selon la source.......................................................................................................................... p. 10
§2. La classification selon le mode d’exercice...........................................................................................................p. 12
A. Les servitudes continues et discontinues.................................................................................................................................... p. 12
B. Les servitudes apparentes et non apparentes............................................................................................................................ p. 12
C. Les servitudes positives et négatives.......................................................................................................................................... p. 14
Section 3. Les modes d’établissement des servitudes...................................................................... p. 15
§1. L’établissement de la servitude par titre.............................................................................................................. p. 15
§2. L’établissement de la servitude par prescription acquisitive................................................................................ p. 16
§3. L’établissement de la servitude par destination du père de famille..................................................................... p. 16
Section 4. Le régime juridique des servitudes....................................................................................p. 19
§1. L’exercice de la servitude par le propriétaire du fonds dominant........................................................................ p. 19
A. Les droits du propriétaire du fonds dominant.............................................................................................................................. p. 19
B. Le principe de fixité de la servitude.............................................................................................................................................p. 19
C. Les actions en justice conférées par la servitude....................................................................................................................... p. 23
§2. L’exercice de la servitude par le propriétaire du fonds servant........................................................................... p. 24
A. Les obligations du propriétaire du fonds servant.........................................................................................................................p. 24
B. Le principe de fixité de la servitude.............................................................................................................................................p. 24
C. Les actions en justice conférées par la servitude....................................................................................................................... p. 25
Section 5. L’extinction des servitudes................................................................................................. p. 27
§1. L’impossibilité d’exercice...................................................................................................................................... p. 27
§2. La confusion......................................................................................................................................................... p. 27
§3. Le non-usage trentenaire..................................................................................................................................... p. 29
§4. La perte d’un fonds.............................................................................................................................................. p. 30
§5. La renonciation..................................................................................................................................................... p. 30

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UNJF - Tous droits
Tout ce que nous avons étudié jusqu’à maintenant concernait l’appropriation pleine des biens : le
titulaire du droit de propriété a des droits complets sur le bien, éventuellement partagés avec
d’autres. Or le droit de propriété, qui est un droit réel, est divisible : ses éléments
constitutifs peuvent être dévolus à des personnes différentes. Dans ce cas, les prérogatives du
propriétaire vont être réparties entre diverses personnes : on parle de démembrement de la
propriété ou de propriété démembrée, même si une partie de la doctrine critique cette
expression et préfère parler de droits sur la chose d’autrui. L’article 543 c.civ. évoque cette
possibilité : « on peut avoir sur les biens, ou un droit de propriété, ou un simple droit de jouissance,
ou seulement des services fonciers à prétendre ».

Il s’agit toujours de droits réels, même démembrés. Il existe deux droits réels principaux qui
traduisent une propriété démembrée : les servitudes, qui seront étudiées au sein de cette leçon
et l’usufruit, qui fera l’objet de la leçon suivante. Nous laisserons de côté d’autres droits tels que
l’emphytéose ou le bail à construction (s. ces points, v. not. F. Terré, Ph. Simler, « Droit civil. Les
biens », Précis Dalloz, 8e éd., 2010, n°927 et s.).

Il faut impérativement commencer par une définition de la notion de servitude. Aux termes de
l’article 637 c.civ., « une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l’usage et
l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire ». Le terme d’héritage date de 1804 : il
désigne, en réalité, un immeuble.
La servitude est une charge pesant sur un immeuble au profit d’un autre immeuble appartenant à un propriéta

Par définition, la servitude pèse sur un immeuble, elle est nécessairement foncière. La servitude
crée un rapport d’interdépendance matériel entre plusieurs immeubles. On dit qu’elle affecte un
fonds, appelé fonds servant, au service d’un autre fonds, appelé fonds dominant, de manière
perpétuelle. Il peut s’agir par exemple d’une servitude de passage : lorsque le propriétaire d’un
terrain ne bénéficie pas d’un accès à la voie publique, il dispose d’un droit de passage sur le
terrain de son voisin, dans des conditions définies.

Les rédacteurs du Code civil ont consacré un titre entier aux servitudes, soit plus de 70 articles, ce
qui en fait une partie conséquente du droit des biens. Les servitudes étaient en effet
particulièrement importantes dans la société rurale de la fin du 18e siècle et du début du 19e
siècle. Parfois qualifié de vétuste, voire même de néfaste, le droit des servitudes est cependant
encore utilisé de nos jours avec des efforts d’adaptation par la jurisprudence.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens a choisi d’actualiser et de préciser la définition. Il propose un
».

Le droit des servitudes est particulièrement riche. Après avoir précisé la notion de servitude
(Section 1), il faudra présenter les classifications de ces servitudes (Section 2) ainsi que
leurs modes d’établissement (Section 3), puis étudier le régime juridique applicable (Section 4) et
enfin l’extinction des servitudes (Section 5).

Section 1. La notion de servitude


Pour essayer de cerner cette notion, il faut en étudier les éléments constitutifs (§1) et les
caractères (§2).

§1. Les éléments constitutifs de la servitude


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La servitude est un accessoire attaché à un bien. D’après la définition donnée à l’article 637
c.civ. précité, il est possible d’identifier trois éléments constitutifs cumulatifs : la servitude suppose
l’existence de deux ou plusieurs fonds (A) ; ces immeubles doivent appartenir à des propriétaires
différents (B) ; enfin, elle est une charge pesant sur un immeuble, le fonds servant, au profit d’un
autre immeuble, le fonds dominant (C).

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UNJF - Tous droits
A. Une pluralité de fonds
La servitude est forcément établie entre deux ou plusieurs fonds.

Il ne peut s’agir que d’immeubles, plus précisément des immeubles par nature, c’est-à-dire des
terrains non bâtis et des bâtiments, comme l’indique l’article 687 c.civ. Les immeubles par
destination et les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent sont exclus de ce domaine.

Il faut obligatoirement deux fonds différents, un fonds servant et un fonds dominant, sauf pour
quelques exceptions de servitudes d’utilité publique. Il peut y avoir plusieurs fonds servants ou
plusieurs fonds dominants.

La question s’est posée de savoir si une servitude pouvait affecter une copropriété : les parties
privées et les parties communes formant un tout, peut-il exister des servitudes entre elles ? La
réponse a longtemps parue négative mais la jurisprudence en a décidé autrement depuis Civ.
3ème, 30 juin 2004 (arrêt précité, cf. leçon 8) : la division d’un immeuble en lots de copropriété
n’est pas incompatible avec l’établissement de servitudes entre les parties privatives de deux lots,
immeubles appartenant à des propriétaires distincts. Il est désormais possible de reconnaître
l’existence d’une servitude au sein de la copropriété.

Remarque
Un réseau de distribution électrique ne peut pas constituer un fonds dominant pour l'établissement d'une servi

Le deuxième élément constitutif est l’existence de propriétaires différents.

B. Une pluralité de propriétaires


Les immeubles doivent appartenir à des propriétaires différents. Il ne peut pas exister de
servitude entre des immeubles matériellement distincts mais appartenant au même propriétaire, en
vertu de l’adage selon lequel « on ne peut avoir de servitude sur sa propre chose ». Une servitude
peut naître si le propriétaire décide de partager les biens car on retrouve alors une pluralité de
propriétaires.

Jurisprudence
Lorsqu’un propriétaire unique réalise des aménagements entre différents immeubles qui lui
appartiennent, ces aménagements sont seulement l’expression de l’exercice de son droit de
propriété et ne relèvent pas du mécanisme des servitudes.
Ex : un droit de passage au sein d’une indivision ne constitue pas une servitude : Civ. 3ème, 27
mai 2009, Bull.civ. III n°125 ; D. 2009, pan. 2307, obs. B. Mallet-Bricout : « attendu qu'ayant
constaté que les parties à l'instance étaient propriétaires indivis de la parcelle B 1125 et
exactement retenu qu'une servitude étant une charge imposée sur un héritage pour l'usage et
l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire, il n'était pas possible de reconnaître à
des propriétaires indivis d'un fonds un droit de passage sur ce même fonds, la cour d'appel, qui
en a déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient
inopérante, que M. François X... ne pouvait se prévaloir d'une servitude de passage sur le fonds
indivis, a légalement justifié sa décision de ce chef ».

Enfin, la servitude doit imposer une charge pesant sur un fonds au profit d’un autre fonds.

C. L’existence d’une charge pesant sur un fonds au profit d’un autre


fonds
La servitude est, par définition, une charge qui pèse sur le fonds servant (1) et qui profite au fonds
dominant (2).

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1. Une charge pesant sur le fonds servant

La servitude pèse sur un fonds : elle est attachée à l’immeuble et non à la personne.

Ce principe est rappelé par l’article 686 c.civ. : il est possible d’établir des servitudes « pourvu que
les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais
seulement à un fonds et pour un fonds (…) ».

Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens confirme cette absence de création d’obligations personnelle

5
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Ce principe entraîne plusieurs conséquences (v. not. N. Reboul-Maupin, « Droit des biens »,
Hypercours Dalloz, 3e éd., 2010, n°572) :

• 1ère conséquence : le propriétaire du fonds servant transfère certaines prérogatives de son


droit de propriété au propriétaire du fonds dominant ;
Exemple
Une servitude de passage permet au propriétaire d’un terrain enclavé de bénéficier d’un droit de passage sur

• 2ème conséquence : le propriétaire du fonds servant ne peut accorder des droits que sur son
propre terrain, en aucun cas il ne peut empiéter sur le terrain d’autrui pour l’exercice de la
servitude ;

Jurisprudence
Une servitude ne peut avoir pour effet d’empiéter sur le terrain d’autrui : Civ. 3ème, 27 juin 2001,
Bull. civ. III n°87 ; J.C.P. éd. G. 2003, II, 10141, note J.-L. Elhoueiss : « la véranda litigieuse avait
été édifiée en surplomb du fonds du syndicat, alors qu'une servitude ne peut conférer le droit
d'empiéter sur la propriété d'autrui ».

• 3ème conséquence : le propriétaire du fonds servant ne peut pas constituer un droit qui lui
interdit toute jouissance de sa propriété ;

Jurisprudence
Civ. 3 ème, 24 mai 2000, Bull. civ. III n° 113 ; D.2001, juris. p.151, obs. R. Libchaber ; J.C.P. éd.
G. 2000, I, 265, n°21, obs. H. Périnet-Marquet : « une servitude ne peut être constituée par un
droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété ».

Le propriétaire du fonds servant ne peut pas constituer un droit qui interdit toute modification de
sa propriété conforme à son usage normal : Civ. 3ème, 19 juin 2002, Bull. civ. III n°147 ; D.2003,
juris. p.587, note B. de Bertier-Lestrade : « le droit conféré au concessionnaire bénéficiaire de la
déclaration d'utilité publique ne peut faire obstacle au droit du propriétaire d'opérer des
modifications de sa propriété conformes à son utilisation normale ».

• 4ème et dernière conséquence : la servitude se transmet de plein droit et de manière


indissociable avec le fonds : elle s’impose aux propriétaires successifs du fonds, quel que
soit leur statut (héritier, acquéreur…) et sans limite de temps.

Cette charge qui pèse sur le fonds servant doit profiter au fonds dominant, elle doit lui être utile.

2. Une charge profitant au fonds dominant

La servitude doit être utile pour le fonds dominant.

Elle profite au fonds et non à la personne elle-même.


Exemple
Un droit de chasse n’est pas une servitude car il profite à la personne et non au terrain.

6
UNJF - Tous droits
Ce principe d’utilité pour le fonds dominant et non pour la personne a posé problème en
matière de non-concurrence et de clause d’habitation bourgeoise, définie comme la clause qui
impose aux propriétaires d’utiliser leur immeuble uniquement à titre de résidence en l’habitant
bourgeoisement. La clause de non-concurrence n’est a priori pas une servitude, car elle profite
au
En fonds
savoirde commerce,
plus qui ou
: Servitude est obligation
un meuble,personnelle
et à des personnes, les vendeurs. De même pour la
clause d’habitation bourgesoise : on peut considérer soit que la clause profite uniquement aux
propriétaires, notamment pour leur tranquillité, soit qu’elle est utile pour l’immeuble auquel elle
confère une plus grande valeur. La doctrine est divisée (v. not. E. Moreau, « La servitude de
non-concurrence. Étude critique »,
D. 1994, chron. p.331 ; B. Grimonprez, « La part personnelle des servitudes réelles », Les
Petites Affiches du 5 mars 2008, p. 6) mais la quasi majorité de la jurisprudence, à l’heure
actuelle, penche en faveur de la qualification de ces clauses en servitude, considérant qu’elles
profitent à l’immeuble et non à la personne. En pratique, il reviendra aux juges d’interpréter l’acte
et de rechercher la volonté des cocontractants.

Jurisprudence
La clause qui interdit à l’acquéreur d’un fonds immobilier d’y exercer une activité de boulangerie
est une servitude de non-concurrence et non un engagement personnel : Civ. 3ème, 4 juillet
2001, Bull. civ. III n°94 ; D. 2002, juris. p.433, note R. Libchaber ; R.T.D.civ. 2002, p. 125,
noteTh. Revet ; J.C.P. éd. G. 2002, I, 126, n°17, obs. H. Périnet-Marquet : « l'interdiction faite
à l'acquéreur d'un fonds immobilier de l'affecter à un usage déterminé peut revêtir le caractère

Enfin, l’interprétation de l’utilité pour le fonds dominant varie selon la nature de la servitude. Les
servitudes légales peuvent avoir pour objet l’utilité publique, l’utilité communale ou l’utilité des
particuliers. Les servitudes établies par l’homme ont surtout une utilité économique, en permettant
de valoriser le fonds dominant.

Il reste que, une fois cette règle d’utilité respectée, l’article 686 c.civ. précise qu’« il est permis aux
propriétaires d’établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que
bon leur semble (…) ».

L’examen de ces éléments constitutifs permet de mieux identifier les caractéristiques essentielles
de la servitude.

§2. Les caractères de la servitude


Les servitudes présentent quatre caractères essentiels :

• le caractère immobilier : la servitude ne peut concerner que des immeubles et encore


seulement certains immeubles. Elle constitue un droit réel immobilier, qui peut être invoqué
par tout propriétaire et qui est opposable aux tiers sous réserve d’une publicité foncière, sauf
pour les servitudes légales qui n’ont pas besoin de publicité ;

• le caractère accessoire : la servitude est un accessoire indissociable du fonds


dominant. Cela signifie qu’« elle ne peut être détachée de cette propriété, être cédée, saisie
ou hypothéquée indépendamment de ce fonds » (F. Terré, Ph. Simler, « Droit civil. Les biens
», Précis Dalloz, 8e éd., 2010, n°873). Elle profite à tous les propriétaires successifs ;

• le caractère perpétuel : la servitude a, comme le droit de propriété dont elle est un accessoire,
une vocation à la perpétuité. Il existe cependant deux limites possibles :
• les propriétaires peuvent établir des servitudes temporaires par contrat.
Exemple
En prévoyant que la servitude est viagère ;

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UNJF - Tous droits
• l’article 706 c.civ. précise que « la servitude est éteinte par le non-usage pendant trente
ans ». Cette hypothèse sera approfondie au sein des développements consacrés à
l’extinction des servitudes.

Jurisprudence
Une servitude de ne pas bâtir est éteinte en raison de l’existence d’une construction depuis trente
ans : Civ. 3ème, 27 février 2002, Bull. civ. III n°52 ; J.C.P. éd. G. 2002, I, 176, n°24, obs. H.
Périnet- Marquet.

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UNJF - Tous droits
• le caractère indivisible : la servitude profite au fonds dominant dans son entier et pèse
sur le fonds servant dans son entier. Si les fonds sont divisés, la servitude porte sur toutes
les parties du fonds divisé aux termes de l’article 700 c.civ. Lorsque le fonds est indivis, il faut
le consentement de tous les propriétaires pour établir la servitude ou l’éteindre.

La notion de servitude est assez précisément définie mais il existe une grande variété de
servitudes, qui font l’objet de classifications diverses.

9
UNJF - Tous droits
Section 2. La classification des servitudes
Il existe de très nombreuses servitudes et, corrélativement, plusieurs possibilités de les classer.
Nous retiendrons ici deux types de classification : selon la source de la servitude (§1) et selon son
mode d’exercice (§2).

§1. La classification selon la source


Il faut se reporter à l’article 639 c.civ. qui distingue trois sources des servitudes : la servitude «
dérive ou de la situation naturelle des lieux, ou des obligations imposées par la loi, ou des
conventions entre les propriétaires ». Le juge s’est également vu octroyer la faculté de créer des
servitudes. En définitive, il existe quatre modes d’établissement des servitudes qui permettent de
distinguer quatre types de servitudes :

• 1er type de servitude : les servitudes naturelles ou dérivant de la situation naturelle


des lieux. Elles sont prévues aux articles 640 à 648 c.civ. On les appelle les servitudes
naturelles car elles sont liées à la configuration des lieux.
Exemple
La servitude d’écoulement des eaux prévue à l’ : lorsque le terrain est en pente, le propriétaire du fonds supér

• 2ème type de servitude : les servitudes imposées par la loi. Les servitudes légales sont
prévues aux articles 649 à 685-1 c.civ. On distingue les servitudes d’utilité publique et les
servitudes d’intérêt privé :

- les servitudes légales d’utilité publique regroupent de très nombreuses servitudes, liées
notamment à l’urbanisation, au développement des moyens de communication. (ex : installation
d’antennes de communication hertzienne) et des loisirs (ex : pistes de ski) et à la protection de
l’environnement. Il existe désormais des servitudes liées à la prévention des risques, qu’ils
soient industriels (ex : interdiction d’implantation en cas de risques technologiques) ou naturels
(ex : déplacement des cours d’eau pour lutter contre les crues en zone urbaine) ;

- les servitudes légales d’intérêt privé sont strictement définies par le c.civ., dans le but de favoriser
les relations de voisinage. Il s’agit par exemple des distances à respecter pour les plantations
(article 671 c.civ.), des vues sur la propriété de son voisin (art. 675 et s. c.civ.), de l’égout des toits
(art. 681 c.civ.) ou encore de la servitude de passage pour cause d’enclave (art. 682 et s. c.civ.).

• 3ème type de servitude : les servitudes conventionnelles. Les servitudes « établies par le
fait de l’homme » sont prévues aux articles 686 à 710 c.civ. Il s’agit d’une catégorie ouverte
puisque les propriétaires sont libres de consentir et de créer des servitudes par contrat, sous
réserve de faire peser la servitude sur le fonds et non sur la personne et de respecter l’ordre
public. Portalis affirmait dans son Discours préliminaire que « les besoins de la société sont
si variés, la communication des hommes est si active, leurs intérêts sont si multipliés et leurs
rapports si étendus, qu’il est impossible au législateur de pourvoir à tout ».

Exemple
Servitude de tour d’échelle : droit de poser une échelle sur le fonds d’autrui pour construire ou réparer un

• 4ème type de servitude : les servitudes imposées par le juge. Elles ne figurent pas dans
le Code civil mais elles ont été créées par un décret du 4 décembre 1958, codifié au sein du
10
UNJF - Tous droits
Code de l’urbanisme (articles L. 471-1 et s.). Ce texte octroie la faculté au juge de créer des
servitudes de cour commune, c’est-à-dire des servitudes de ne pas bâtir ou des servitudes
interdisant de bâtir au-delà d’une certaine hauteur à laquelle est subordonnée l’autorisation
administrative de construire sur un terrain voisin, afin de respecter les règles d’urbanisme. Le
juge peut obliger le propriétaire du fonds servant à ne pas construire ou à ne pas dépasser
une certaine hauteur (exemple : ne pas réaliser un ensemble immobilier).

La seconde classification principale des servitudes peut être faite en fonction du mode d’exercice.

11
UNJF - Tous droits
§2. La classification selon le mode d’exercice
Ce mode de classification permet de distinguer les servitudes continues et discontinues (A), les
servitudes apparentes et non apparentes (B) et enfin les servitudes positives et négatives (C).

A. Les servitudes continues et discontinues


L’article 688 al.1 c.civ. énonce que « Les servitudes sont ou continues, ou discontinues ».

L’alinéa 2 définit ensuite les servitudes continues : ce sont « celles dont l’usage est ou peut être
continuel sans avoir besoin du fait actuel de l’homme : tels sont les conduites d’eau, les égouts, les
vues et autres de cette espèce ». Une servitude reste continue même si son exercice est
intermittent.
Exemple
Servitude d’eaux pluviales, servitude de vue, servitude de ne pas bâtir, etc.

Jurisprudence
Une servitude de vue est continue et apparente et ne change pas de caractère du fait qu’il s’agit
d’une fenêtre et que la vue ne s’exerce qu’au moment de son ouverture : Civ. 1ère, 22 février
1965, Bull. civ. I n°146 ; D. 1965, somm. p. 66.

L’alinéa 3 définit quant à lui les servitudes discontinues : ce sont « celles qui ont besoin du fait
actuel de l’homme pour être exercées : tels sont les droits de passage, puisage, pacage, et autres
semblables ».

La différence réside dans la nécessité d’une action humaine ou dans son absence.

La deuxième distinction se fait ensuite entre servitudes apparentes et servitudes non apparentes.

B. Les servitudes apparentes et non apparentes


L’article 689 al.1 c.civ. indique que « les servitudes sont apparentes ou non apparentes ».

Selon l’alinéa 2, « les servitudes apparentes sont celles qui s’annoncent par des ouvrages
extérieurs, tels qu’une porte, une fenêtre, un aqueduc ». Ce sont les jours, les vues… Pour que la
servitude soit considérée comme apparente, il suffit qu’elle se manifeste sans équivoque à la vue
du propriétaire du fonds servant.

Selon l’alinéa 3, « les servitudes non apparentes sont celles qui n’ont pas de signe extérieur de
leur existence, comme, par exemple, la prohibition de bâtir sur un fonds, ou de ne bâtir qu’à une
hauteur déterminée ».

• L’apparence et la non apparence ne sont pas des caractères intrinsèques et invariables :


elles dépendent des circonstances dans lesquelles la servitude s’exerce. Une même
servitude, par exemple de passage, peut être apparente ou non apparente selon qu’elle se
manifeste ou non par des signes extérieurs.

• Les deux classifications peuvent se combiner. Par exemple, une servitude de vue peut être
continue et apparente alors qu’un droit de passage peut être discontinu et non apparent…
Cette classification a un intérêt car le régime juridique va varier selon le mode d’exercice.
Ainsi, les servitudes continues et apparentes sont les seules susceptibles d’une véritable
possession protégée par la loi et donc les seules à pouvoir être acquises par usucapion. De
12
UNJF - Tous droits
plus, elles ne s’éteignent pas par le non usage prolongé, à moins que leur exercice ait été
rendu impossible.

13
UNJF - Tous droits
Exemple
Suppression de l’ouverture

La dernière classification dépend du caractère positif ou négatif de la servitude.

14
UNJF - Tous droits
C. Les servitudes positives et négatives
Cette distinction n’est pas prévue par le Code mais elle est utilisée en doctrine et en jurisprudence.

La servitude positive La servitude négative

Donne le droit d’accomplir des actes Impose seulement une abstention : le


empiétant sur le fonds d’autrui : le propriétaire propriétaire du fonds dominant bénéficie
du fonds dominant peut agir sur le fonds d’une abstention du propriétaire du fonds
servant. servant.
Exemple Exemple
Droit de passage. Servitude de ne pas construire.

Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens propose de supprimer ces distinctions car elles ont peu d’impact e

Quelle que soit la classification retenue, toutes les servitudes obéissent aux mêmes modes
d’établissement, que nous allons étudier.

15
UNJF - Tous droits
Section 3. Les modes d’établissement des servitudes
Les articles 690 et s. c.civ. présentent « comment s’établissent les servitudes ». Il existe des
servitudes naturelles ou légales : elles sont créées par des dispositions législatives ou des
réglementations spéciales (ex: règles d’urbanisme).

Elles ne nécessitent pas de développements particuliers. Il en va de même pour les servitudes


établies par le juge, qui dépendront de la décision judiciaire elle-même.
Il faut en revanche étudier les servitudes constituées par le fait de l’homme, c’est-à-dire créées
par l’homme. Le Code civil prévoit trois modes d’établissement : par titre (§1), par usucapion ou
prescription (§2) et par destination du père de famille (§3).

§1. L’établissement de la servitude par titre


Le principe est celui de la liberté : l’, déjà cité, précise qu’ « il est permis aux propriétaires d’établir sur leu

C’est le principe de la liberté contractuelle qui domine. La servitude peut être constituée par
contrat, à titre gratuit ou à titre onéreux, ou par testament. La constitution d’une servitude par titre
est soumise à la publicité foncière ; à défaut, elle est en principe inopposable aux tiers mais la
jurisprudence fait preuve d’une certaine souplesse et prend en compte la connaissance expresse
par le tiers de cette servitude, même en l’absence de publication.

En savoir plus : Les modalités d’opposabilité des servitudes

La question des modalités d’opposabilité des servitudes agite régulièrement la jurisprudence. Sur
ce point, deux arrêts récents ont précisé que :

• si la servitude n’est pas publiée et n’est pas mentionnée dans l’acte de vente, l’acquéreur
d’un bien ne peut pas se voir opposer cette servitude. En conséquence, puisque la servitude
lui est inopposable, il ne peut s’en servir pour justifier l’exception d’inexécution du contrat.
Voir pour une servitude de puisage réclamée par un voisin quelques temps après la
signature de l’acte authentique de vente : Civ. 3ème, 26 janvier 2011, n°10-10376, D.2011,
441 ; R.T.D.civ. 2011, p. 373, obs. Th. Revet ; J.C.P. éd. G. 2011, 323, n°15, obs. H. Périnet-
Marquet ; D.2011, 2304, obs. N. Reboul-Maupin . A contrario, une servitude non publiée est
opposable aux acquéreurs si elle a été mentionnée dans l'acte de vente : Civ.3e, 16 mars
2011, n°10-13771, J.C.P. éd.
G. 2011, 1298, n°16, obs. H.Périnet-Marquet.

• pour être opposable à un tiers, par exemple à l’acquéreur d’un bien, une servitude
conventionnelle établie antérieurement doit en principe être publiée à la conservation des
hypothèques. Ce principe est cependant apprécié au cas par cas par la Cour de cassation.
Exemple
Par exemple, pour une servitude conventionnelle de passage : lorsque la servitude est
mentionnée à l’acte de vente et qu’un protocole d’accord entre le vendeur et le propriétaire du
fonds dominant est annexé à cet acte, cette servitude est opposable à l’acquéreur même en
l’absence de publication
= Civ. 3ème, 16 mars 2011, n°10-13771, D.2011, 2305, obs. N. Reboul-Maupin = la connaissance
expresse de la servitude est nécessaire et suffisante.

La servitude établie par titre doit respecter les deux conditions générales précisées par l’article 686
c.civ. :

• elle doit être conforme à l’ordre public ;


16
UNJF - Tous droits
• elle ne doit pas être imposée à une personne, ni être faite en faveur d’une personne,
Exemple
mais elle doit porter sur le fonds lui-même.
Le droit de chasse ou de pêche n’est pas une servitude car il ne profite qu’au propriétaire et n’a aucune

Selon les art. 690 et 691 c.civ., tous les types de servitudes peuvent être établis par titre, qu’il
s’agisse de servitudes continues ou discontinues et apparentes ou non apparentes, quelle que
soit la combinaison entre ces critères. Ce n’est pas le cas pour les autres modes d’établissement,
notamment en cas de servitude établie par usucapion ou prescription acquisitive.

§2. L’établissement de la servitude par prescription acquisitive


L’article 690 c.civ. énonce que « les servitudes continues et apparentes s’acquièrent par titre, ou
par la possession de 30 ans ». Pour l’étude des notions de possession et d’usucapion, il faut se
reporter à la leçon 4.

En ce domaine, deux conditions cumulatives doivent être réunies :

• il faut une possession utile de trente ans, ce qui signifie que la prescription abrégée de dix
ans ne peut pas fonctionner et que la possession ne doit pas être viciée ;

Jurisprudence
Civ. 3ème, 21 mai 1979, Bull. civ. III n°111 : « la seule prescription applicable aux servitudes
continues et apparentes telle une servitude de vue, est la prescription trentenaire ».

• la servitude doit être continue et apparente


Exemple
Servitude de vue, d’aqueduc, etc.

L’article 691 al.2 c.civ. précise que les autres servitudes ne peuvent pas être établies par « la
possession
Exemple même immémoriale ».
Servitude de passage non apparente, servitude de ne pas bâtir, etc. : elles ne peuvent pas être acquis

Lorsque les conditions sont réunies, le propriétaire du fonds dominant acquiert une servitude sur le
fonds servant, et non la propriété. Il s’agit d’un cas rare en pratique.

Enfin, le dernier mode d’établissement possible d’une servitude est la destination du père de
famille. Cette notion un peu obscure doit être éclaircie.

§3. L’établissement de la servitude par destination du père de famille


Il faut combiner ici les articles 692 à 694 c.civ. La définition figure à l’article 693 c.civ. : « il n’y a
destination du père de famille que lorsqu’il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont
appartenu au même propriétaire, et que c’est par lui que les choses ont été mises dans l’état
duquel résulte la servitude ». La notion de père de famille n’a aucun connotation familiale :
l’expression désigne simplement le propriétaire unique initial des fonds divisés.

En ce domaine, deux conditions cumulatives doivent être réunies :


17
UNJF - Tous droits
il faut un aménagement Il faut une division ultérieure

Le propriétaire a réalisé, entre deux parties Le propriétaire du fonds doit avoir divisé son
de son fonds, un aménagement tel que si les fonds, après l’aménagement et sans modifier
fonds avaient appartenus à deux propriétaires cet aménagement, qui doit être maintenu lors
différents, cet aménagement aurait constitué de la division.
une servitude.
Exemple
Exemple Il cède une parcelle de terrain (vente
Il a installé un système d’écoulement des ou donation), les héritiers procèdent à un
eaux, un passage, des fenêtres, etc. partage après le décès du propriétaire, etc.

Il faut un propriétaire unique, auteur d’un


aménagement.

Lorsque ces deux conditions sont réunies, l’aménagement réalisé par le propriétaire initial devient
une servitude lorsque le fonds est divisé ultérieurement entre plusieurs propriétaires. L’article 694
c.civ. précise alors que « si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe
apparent de servitude, dispose de l’un des héritages sans que le contrat contienne aucune
convention relative à la servitude, elle continue d’exister activement ou passivement en faveur du
fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ».
Lorsque le propriétaire cède une parcelle de terrain, il suffit que l’aménagement ait été apparent
pour que la servitude subsiste.

Le fondement d’une telle servitude est l’état de fait créé par le propriétaire unique.

Il faut une intention du propriétaire d’assujettir définitivement une parcelle au service d’une autre.
Cet état de fait est présumé perdurer et l’article 692 c.civ. précise alors que « la destination du
père de famille vaut titre (…) ». Il s’agit, en réalité, d’une forme particulière d’acquisition par titre.
Mais il est toujours possible, pour le propriétaire initial ou pour les parties à l’acte de cession, de
manifester, expressément ou tacitement, une volonté contraire à la présomption légale de
Exempleattachée à cet état de fait.
servitude
Un propriétaire de deux bâtiments contigus établit entre eux une communication. Si ces bâtiments sont vendu

Jurisprudence
Civ. 3ème, 28 mai 2003, Bull. civ. III n°117 ; J.C.P. éd. G. 2004, I, 125, n°13, obs. H. Périnet-
Marquet : « il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds
actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses
ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; que si le propriétaire de deux héritages,
entre lesquels il existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que
le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement
ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ». La Cour d’appel qui constate
l’existence de l’aménagement au moment de la vente et qui ne relève aucun élément « de nature
à démontrer la volonté de l'auteur d'écarter la présomption légale qui s'attachait à la situation de
fait constatée » doit retenir l’existence d’une servitude.

Une contradiction semble exister dans le Code civil quant à la nature des servitudes qui peuvent
être établies par destination du père de famille :

18
UNJF - Tous droits
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend l’idée générale mais actualise la rédaction dans une prop

Quel que soit le mode d’établissement des servitudes, elles obéissent toutes à un régime juridique
identique.

19
UNJF - Tous droits
Section 4. Le régime juridique des servitudes
Il faut distinguer ici les situations du propriétaire du fonds dominant (§1) et du propriétaire du fonds
servant (§2).

§1. L’exercice de la servitude par le propriétaire du fonds dominant


La servitude confère au propriétaire du fonds dominant certains droits (A) limités par le principe de
fixité de la servitude (B). Ces droits peuvent être défendus en justice (C).

A. Les droits du propriétaire du fonds dominant


Le propriétaire du fonds dominant peut user librement du droit lié à la servitude. Les droits
conférés par la servitude sont fonction du mode d’établissement de la servitude. Plusieurs
situations doivent être distinguées :

• servitude légale : l’étendue est fixée par le texte législatif ou réglementaire ;


• servitude résultant d’un titre : l’étendue est fixée par le titre, c’est-à-dire la convention, au
besoin interprétée par le juge ;
• servitude résultant de l’usucapion : la possession détermine la nature et l’étendue de la
servitude (Req., 4 juillet 1872) ;
• servitude par destination du père de famille : l’aménagement réalisé par le propriétaire avant
la division du fonds détermine la nature et l’étendue de la servitude.

Dans tous les cas, la servitude s’accompagne des droits accessoires et des ouvrages
nécessaires à son exercice. L’article 696 c.civ. énonce en effet que « quand on établit une
servitude, on est censé accorder tout ce qui est nécessaire pour en user ». Le texte donne ensuite
un exemple : « la servitude de puiser de l’eau à la fontaine d’autrui emporte nécessairement le
droit de passage ».
L’article 697 c.civ. précise que « celui auquel est due une servitude, a le droit de faire tous les
ouvrages nécessaires pour en user et pour la conserver ». Les frais d’ouvrage sont alors à la
charge du propriétaire du fonds dominant, sauf convention contraire, comme l’indique l’article 698
c.civ.
Exemple
Aménagement d’un chemin, installation de canalisations, installation d’une boîte aux lettres, etc.

Jurisprudence
Une servitude n’emporte pas le droit d’empiéter sur le terrain d’autrui : Civ. 3ème, 27 juin 2001,
n°98-15216, Bull. civ. III n°87 ; D.2001, 2182 ; J.C.P. éd. G. 2002, I, 126, n°18, obs. H. Périnet-
Marquet.

Ces droits sont limités par un principe fondamental qui est le principe de fixité de la servitude.

B. Le principe de fixité de la servitude


Quelle que soit la servitude, il existe un principe de fixité : le propriétaire du fonds dominant n’a pas le droit d’a

20
UNJF - Tous droits
Exemple
Le propriétaire du fonds dominant n'a pas le droit de rendre la servitude plus onéreuse.

Il ne peut l’utiliser que dans la limite des besoins pour lesquels elle a été établie. Ce principe est
imposé par l’article 702 c.civ. : « de son côté, celui qui a un droit de servitude ne peut en user que
suivant son titre, sans pouvoir faire ni dans le fonds qui doit la servitude, ni dans le fonds à qui elle
est due, de changement qui aggrave la condition du premier ». Il peut apporter des modifications
à la servitude, c’est-à-dire de simples adaptations, à condition qu’elles n’aggravent pas la condition
du fonds servant et qu’elles ne modifient pas l’assiette de la servitude.

21
UNJF - Tous droits
Exemple
Il n’est pas possible de transformer une servitude discontinue en servitude continue.

Ce principe connaît une exception : la servitude légale de passage pour cause d’enclave déroge à
ce principe puisqu’elle peut être modifiée afin de livrer un passage suffisant, compte tenu de
l’époque et de la destination du fonds dominant, qui peut être modifiée par son propriétaire.

Le principe de fixité de la servitude, c’est-à-dire l’interdiction d’aggravation de la servitude, est apprécié pa

Ils peuvent valider l’aggravation de la servitude en allouant en contrepartie une indemnité au


propriétaire du fonds servant, ou interdire l’aggravation en ordonnant la destruction de l’ouvrage.
Le principe de fixité ne s’oppose cependant pas à ce que les propriétaires se mettent d’accord, par
convention, pour modifier la servitude si elle a été constituée par le fait de l’homme. Cet accord ne
Exemple
peut pas concerner les servitudes légales.
Une servitude de passage accordée au profit d’une maison ne peut être exercée au profit de deux autre

Une servitude de prise d’eau constituée en vue de l’irrigation d’une propriété ne peut pas être utilisée à d

Dans leur appréciation, les juges tiennent compte de la nécessaire adaptation de la servitude aux
évolutions et besoins de la société contemporaine. La servitude peut être modifiée pour être
adaptée aux progrès techniques.

Jurisprudence
Voir, par exemple, pour l’élargissement d’une servitude de passage piétonnière aux besoins
de passage d’un véhicule : Civ. 3ème, 22 mars 2011, n°09-70533, D.2011, 2306, obs. N. Reboul-
Maupin = la Cour de cassation censure la décision des juges d’appel qui avaient refusé
l’élargissement du passage car cela aurait entraîné une aggravation de la servitude en
méconnaissance du principe de fixité des servitudes conventionnelles. La Cour d’appel devait
rechercher « si l’élargissement de la servitude piétonnière destinée à permettre d’accéder au
fonds était compatible avec l’usage pour lequel la servitude lui avait été consentie, à une
époque où l’utilisation d’un véhicule automobile était peu répandue à Basse-Terre, et si,
compte tenu des nécessités de la vie moderne, le passage était suffisant pour un accès
normal du propriétaire à son fonds ».

Cependant, l’adaptation de la servitude ne doit pas porter une atteinte trop forte au droit de
propriété et aux prérogatives du propriétaire sur son bien, notamment son droit de jouir et de
disposer de sa propriété de la manière la plus absolue.

Jurisprudence
Voir, par exemple, pour le légitime refus des propriétaires d’un fonds inférieur quant à
l’écoulement des eaux du fonds supérieur de réaliser des travaux sur leur propre fonds pour
remédier à une inondation de leur terrain, dû à des travaux réalisés sur le fonds inférieur : Civ.
3ème, 29 septembre 2010, n°09-69608, Bull. civ. III n°177 ; D.2010, 2362 ; D.2011, 1171, chron.
A.-C. Monge ; D.2011,
2306, obs. N. Reboul-Maupin.

22
UNJF - Tous droits
L’étude de la jurisprudence montre que les solutions sont souvent fondées sur l’appréciation des
juges en fonction du critère d’équité et non en fonction d’un critère réellement objectif. Elle est
parfois difficilement lisible.

Les droits conférés par la servitude, limités par le principe de fixité, peuvent être défendus en
justice.

23
UNJF - Tous droits
C. Les actions en justice conférées par la servitude
La servitude confère au propriétaire du fonds dominant trois sortes d’actions :

• l’action confessoire. Il s’agit d’une action spécifique réservée au bénéficiaire d’une


servitude qui a besoin de faire reconnaître son droit : elle a pour objet la reconnaissance de
la servitude. Elle s’apparente à une action en revendication et appartient à la catégorie des
actions pétitoires, puisque la contestation porte sur l’existence même du droit. Cette action
est intentée par le propriétaire du fonds dominant contre le propriétaire du fonds servant. Elle
permet de rétablir l’existence d’une servitude ; elle est également souvent utilisée pour
rétablir les conditions d’exercice d’une servitude;
Exemple
Prononcé d’une astreinte, destruction d’un ouvrage qui empêche l’exercice de la servitude, etc.

• les actions possessoires (cf. leçon 5). Les servitudes continues et apparentes peuvent
être acquises par prescription lorsque la possession a duré trente ans. Elles peuvent donc
être protégées contre le trouble de la possession, à condition qu’il s’agisse d’une possession
utile et qui a duré au moins un an. Le propriétaire du fonds dominant peut alors exercer
l’action en complainte ou l’action en dénonciation de nouvel œuvre ;
Jurisprudence
Civ. 3ème, 15 février 1995, Bull. civ. III n°45 ; R.T.D.civ. 1995, p.925, obs. F. Zénati (cas d’une
servitude de passage) : le propriétaire du fonds dominant peut également exercer une action en
réintégration : toutes les actions possessoires lui sont ouvertes.

Les servitudes discontinues et/ou non apparentes ne peuvent pas être acquises par prescription
et ne peuvent donc pas, en principe, être défendues par l’exercice d’actions possessoires. Mais la
jurisprudence a admis que même dans cette hypothèse, l’exercice d’une action possessoire est
possible dès lors que la servitude est fondée sur un titre (Civ., 14 avril 1893), ce qui inclut
aussi les servitudes légales.
Exemple
Servitude de passage pour cause d’enclave.

• les actions en dommages et intérêts. Il ne s’agit plus de protéger un droit mais de


demander réparation d’un préjudice causé par le fait du propriétaire du fonds servant ou par
le fait d’un tiers. L’action en responsabilité sera délictuelle ou contractuelle selon les
circonstances. Cette action peut aboutir à une obligation de remise en état prononcée par le
juge ou à l’allocation de dommages et intérêts, les deux sanctions pouvant être cumulées.
La voie du référé est également ouverte en cas de trouble manifestement illicite.

24
UNJF - Tous droits
En définitive, le propriétaire du fonds dominant bénéficie de droits importants issus de la servitude,
sous réserve de respecter le principe de fixité. À l’inverse, l’exercice de la servitude par le
propriétaire du fonds servant est plus contraignant.

§2. L’exercice de la servitude par le propriétaire du fonds servant


La servitude impose au propriétaire du fonds servant un certain nombre d’obligations (1)
encadrées elles aussi par le principe de fixité de la servitude (2). Le propriétaire du fonds servant
dispose malgré tout d’actions en justice ouvertes par la servitude (3).

A. Les obligations du propriétaire du fonds servant


Le propriétaire du fonds servant est essentiellement tenu d’une obligation passive de respecter
la servitude, imposée par l’article 701 al.1 c.civ. : « le propriétaire du fonds débiteur de la
servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l’usage ou à le rendre plus incommode ».
Exemple
Il ne doit pas faire obstacle au passage, au puisage, ou il ne doit pas construire…

Il conserve toutes les attributions liées à son droit de propriété, même sur la partie de son
fonds soumise à la servitude : il peut en user et en disposer, sous réserve de respecter le principe
de fixité. Ce sont les juges qui apprécient si l’exercice de ses prérogatives est conforme à la
servitude : tout dépend des circonstances de fait, de l’état des lieux, de l’interprétation des
conventions…
Exemple
Par exemple, le propriétaire d’un fonds grevé d’une servitude de passage peut se clore, à condition de donne

Le propriétaire du fonds servant est tenu, comme le propriétaire du fonds dominant, de respecter le
principe de fixité de la servitude.

B. Le principe de fixité de la servitude


25
UNJF - Tous droits
Il est interdit au propriétaire du fonds servant de modifier la servitude, c’est-à-dire de changer l’état des lieux o

Il s’agit seulement d’assurer un exercice paisible de la servitude et non d’empêcher toute


modification : il est toujours possible aux propriétaires de s’accorder sur une modification par
convention. Il existe aussi une autre limite, prévue par l’article 701 al.3 c.civ. : « mais cependant, si
cette assignation primitive était devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle
empêchait d’y faire des réparations avantageuses, il pourrait offrir au propriétaire de l’autre fonds
un endroit aussi commode pour l’exercice de ses droits, et celui-ci ne pourrait pas le refuser ».
L’idée est qu’il ne faut pas qu’un immobilisme abusif du propriétaire du fonds dominant paralyse
toute modification. Il est possible au propriétaire du fonds servant de demander le déplacement
de l’assiette de la servitude, à condition que l’assiette actuelle de la servitude représente une
gêne sérieuse pour lui et que l’assiette proposée de la servitude soit sans inconvénient réel pour le
propriétaire du fonds dominant.

Jurisprudence
Civ. 3ème, 10 novembre 1999, Bull. civ. III n°216 ; J.C.P. éd. G. 2000, I, 211, obs. H. Périnet-
Marquet : « Attendu que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui
tende à en diminuer l'usage ou le rendre plus incommode ; qu'il ne peut changer l'état des lieux,
ni transporter l'exercice où elle a été primitivement assignée ; que, cependant, si cette assignation
primitive était devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l'empêchait d'y
faire des réparations avantageuses, il pourrait offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit
aussi commode pour l'exercice de ses droits, et celui-ci ne pourrait pas le refuser ».

Cette modification est possible pour tous les types de servitudes. Ce sont les juges qui apprécient
souverainement les motifs de la demande, l’importance des inconvénients de l’assiette actuelle
et l’absence d’inconvénients sérieux pour le propriétaire du fonds dominant. Les juges sont
généralement assez souples dans cette appréciation. La jurisprudence a précisé que les dépenses
éventuelles du déplacement de la servitude sont à la charge du propriétaire du fonds servant (Civ.
3ème, 8 juin 1982, Bull. civ. III n°148).

Enfin, comme le propriétaire du fonds dominant, le propriétaire du fonds servant dispose de


certaines actions en justice.

C. Les actions en justice conférées par la servitude


Le propriétaire du fonds servant bénéficie d’une action spécifique appelée action négatoire. Elle
permet au propriétaire d’un fonds sur lequel un tiers prétend exercer une servitude de s’opposer à
cette prétention. Celui qui prétend que son fonds est libre de toute servitude n’a qu’à prouver son
titre de propriété, à charge pour l’autre partie de prouver l’existence de la servitude. Il existe en
effet une présomption de liberté du fonds, présomption selon laquelle il n’est pas grevé d’une
servitude. Celui qui s’estime bénéficiaire d’une servitude doit prouver son existence.

Le propriétaire du fonds servant peut également exercer les actions possessoires pour se
défendre contre le trouble causé par la possession de la prétendue servitude, mais cela a peu
d’intérêt en pratique au regard de l’action négatoire.

Il peut enfin exercer des actions en dommages et intérêts si un préjudice lui est causé. Les
règles sont identiques à celles exposées pour le propriétaire du fonds dominant.

26
UNJF - Tous droits
Une fois le régime juridique des servitudes précisé, il reste un dernier point à étudier, celui de
l’extinction des servitudes.

27
UNJF - Tous droits
Section 5. L’extinction des servitudes
Les articles 703 à 710 c.civ. font partie d’une section intitulée « comment les servitudes s’éteignent
». Ils distinguent trois causes d’extinction majeures : l’impossibilité d’exercice de la servitude (§1),
la confusion par réunion des deux fonds entre les mains du même propriétaire (§2) et le non-usage
pendant trente ans (§3). Il s’agit des causes spécifiques aux servitudes.
Il faut leur ajouter toutes les causes communes d’extinction (ex : l’arrivée du terme extinctif si la
servitude est temporaire, l’annulation de la convention qui instaure la servitude, etc.). Parmi ces
causes communes d’extinction, deux situations méritent l’attention : la perte d’un fonds (§4) et la
renonciation (§5).

§1. L’impossibilité d’exercice


Aux termes de l’article 703 c.civ., « Les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent en tel état
qu’on ne peut plus en user ».
Exemple
Une servitude de puisage est éteinte si la source d’eau est tarie ; une servitude de passage est éteinte si u

En principe, la cause de l’impossibilité est indifférente : elle peut être naturelle ou du fait de
l’homme. Mais ce principe connaît une limite : l’acte qui rend impossible l’exercice de la servitude
ne doit pas être un fait illicite du propriétaire du fonds servant ou d’un tiers.
Exemple
Propriétaire qui détourne la source d’eau.

Jurisprudence
Civ. 3ème, 10 mars 1999, Bull. civ. III n°64 ; J.C.P. éd. G. 2000, I, 211, n°22, obs. H. Périnet-
Marquet : « le non-respect de ses conditions d'exercice ne peut entraîner l'extinction d'une
servitude
».

L’article 704 c.civ. précise dans un second temps que les servitudes « revivent si les choses sont
rétablies de manière qu’on puisse en user ; à moins qu’il ne se soit déjà écoulé un espace de
temps suffisant pour faire présumer l’extinction de la servitude (…) ». L’extinction de la servitude
en raison de l’impossibilité d’exercice peut être temporaire.
Exemple
La source d’eau rejaillit quelques mois plus tard, le trottoir est détruit…

Dans ce cas, la servitude revit, elle retrouve une utilité et peut à nouveau être exercée. La seule
limite est que les conditions doivent être à nouveau réunies avant expiration d’un délai de trente
ans, sinon il y a prescription extinctive.

La deuxième cause particulière d’extinction d’une servitude est la confusion.

§2. La confusion
Selon l’article 705 c.civ., « Toute servitude est éteinte lorsque le fonds à qui elle est due, et celui
qui la doit, sont réunis dans la même main ».

28
UNJF - Tous droits
Ce texte envisage l’hypothèse de la réunion des deux fonds, le fonds servant et le fonds dominant, entre les m

29
UNJF - Tous droits
Or un propriétaire ne peut pas être titulaire d’une servitude sur sa propre chose : la servitude
s’éteint lorsqu’il y a confusion des deux fonds.

La cause de la réunion des deux fonds est indifférente : achat, donation, succession, prescription
acquisitive… Il peut aussi s’agir de ce que l’on appelle en droit un « déguerpissement » : le
propriétaire du fonds servant abandonne au propriétaire du fonds dominant la propriété de son
bien ou de la partie qui supporte la servitude.

30
UNJF - Tous droits
L’extinction de la servitude peut, là aussi, n’être que temporaire : il est possible que les fonds
puissent être à nouveau divisés. Dans ce cas, il n’y a plus de confusion et la servitude renaît.
Mais deux hypothèses doivent être distinguées :

• si la cause de confusion disparaît de manière rétroactive, la servitude renaît telle quelle.


Exemple
L’acte de vente du fonds est annulé et la nullité est rétroactive.

• si la cause de confusion n’est pas rétroactive, la servitude ne peut pas renaître sauf
hypothèse
Exemple de la servitude par destination du père de famille ou de la servitude légale.
L’acquéreur revend le bien, les fonds sont à nouveau séparés mais la servitude ne renaît pas automatiqu

La troisième et dernière cause d’extinction particulière aux servitudes est le non-usage trentenaire.

§3. Le non-usage trentenaire


L’article 706 c.civ. énonce expressément que « La servitude est éteinte par le non-usage pendant
trente ans ».
Cette règle ne s’applique pas aux servitudes naturelles ni aux servitudes légales, mais seulement aux servitud

Il y a prescription extinctive trentenaire quel que soit le caractère de la servitude, apparente ou non
apparente, continue ou discontinue, alors que la prescription acquisitive ne peut jouer que pour les
servitudes continues et apparentes. Les principes ne sont pas symétriques.

Dans ce domaine, l’idée générale est que le propriétaire du fonds dominant qui reste pendant au
moins trente ans sans utiliser la servitude est censé y avoir renoncé. L’un des critères de définition
de la servitude est l’utilité pour le fonds dominant : si la servitude n’est pas utilisée de manière
prolongée, c’est qu’elle n’a pas d’utilité réelle. Elle est alors supprimée par la loi. Le non-usage
peut résulter d’un fait du propriétaire du fonds dominant, d’un cas fortuit ou d’un cas de force
majeure.

Trois précisions peuvent être apportées quant à l’application de cette cause d’extinction :

• il n’y a extinction de la servitude que si le non-usage est total. S’il s’agit seulement d’un
non-usage partiel (ex : le propriétaire du fonds dominant se contente de passer à pieds sur le
chemin objet d’une servitude de passage, alors qu’il a le droit d’y passer en voiture), l’article
708 c.civ. précise que « Le mode de la servitude peut se prescrire comme la servitude même,
et de la même manière ». Il n’y aura qu’une restriction de l’étendue de la servitude ;
• le délai de prescription est de trente ans d’après la loi. La jurisprudence applique ce délai
strictement et refuse de prendre en compte une prescription abrégée, même si le propriétaire
est de bonne foi et possède un juste titre (Req., 23 novembre 1875). Une partie de la doctrine
critique fortement cette position jurisprudentielle ;
• le point de départ du délai de prescription varie selon que la servitude est continue ou
discontinue, selon l’article 707 c.civ. :
• servitude discontinue (ex : servitude de passage) : le point de départ de la prescription
extinctive est fixé au jour où le titulaire a cessé d’en jouir, c’est-à-dire au jour du dernier
acte d’exercice (ex : jour du dernier passage sur le chemin) ;
• servitude continue (ex : ne pas construire, servitude de vue) : le point de départ de la
prescription extinctive est fixé au jour où est intervenu l’acte ou le fait, quelle qu’en soit
l’origine, qui met matériellement obstacle à l’exercice de la servitude, c’est-à-dire le jour
du premier acte contraire à la servitude (ex : jour du début des travaux pour la servitude
de ne pas construire, jour où les fenêtres ont été bouchées pour la servitude de vue,

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etc.).

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UNJF - Tous droits
Jurisprudence
L’article 706 c.civ. ne permet pas au propriétaire d’un fonds bénéficiance d’une servitude
conventionnelle de passage de prescrire une assiette différente de celle convenue. Il n’est pas
possible de se prévaloir de l’acquisition par prescription du droit d’exercer la servitude sur une
assiette différente de celle prévue par le titre (sauf commun accord entre les propriétaires) : Civ.
3ème, 19 janvier 2011, n°10-10528, Bull. civ. III n°11 ; D.2011, 375 & 2306, obs. N. Reboul-
Maupin ;
J.C.P. éd. G. 2011, 323, n°16, obs. H. Périnet-Marquet.

La servitude peut également prendre fin en cas de perte d’un fonds.

§4. La perte d’un fonds


La servitude s’éteint en cas de disparition de l’un des fonds. La nature de la disparition est
indifférente. Il peut s’agir d’une disparition matérielle avec une destruction complète et impossibilité
de remise en état (ex : érosion fluviale qui absorbe le fonds) mais ce cas est exceptionnel. La
disparition peut être juridique : c’est le cas de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Les
biens du domaine public ne peuvent pas être grevés de servitudes de droit privé : la servitude
s’éteint.

Enfin, la dernière cause d’extinction présentée de la servitude est la renonciation.

§5. La renonciation
Le propriétaire du fonds dominant peut renoncer à la servitude, à titre gratuit ou à titre onéreux.

La renonciation ne se présume pas ; elle peut être expresse (ex : un écrit) ou tacite. Dans tous les
cas, la manifestation de la volonté de renoncer à la servitude doit être non équivoque (Civ. 3ème,
16 juillet 1987, D.1989, somm. p.33, obs. A. Robert).

Quelle est la situation lorsque le propriétaire du fonds servant fait construire un ouvrage qui fait
obstacle à la servitude ?
• si le propriétaire du fonds dominant donne son accord, il est censé renoncer à la servitude ;
• s’il garde le silence et ne s’oppose pas à la construction, cela ne vaut pas renonciation et il
peut toujours demander le rétablissement de la servitude pendant trente ans, délai à l’issue
duquel la servitude s’éteint par le non-usage.

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Le droit des servitudes constitue un droit complexe, parfois désuet et anachronique. Il pourrait être
actualisé grâce à l’avant-projet de réforme du droit des biens. Les servitudes ne sont pas la seule
hypothèse de démembrement de la propriété : on trouve également l’usufruit, qui doit être étudié
au sein de la leçon 10.

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Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 10 : Les démembrements de la propriété : l’usufruit et les droits réels voisins.

Section 1. Le domaine de l’usufruit....................................................................................................... p. 3


Table des matières
§1. Les biens consomptibles........................................................................................................................................ p.
3
§2. Les universalités.................................................................................................................................................... .p.
3
§3. Les droits incorporels............................................................................................................................................. p.
5
Section 2. Les modes de constitution de l’usufruit..............................................................................p. 6
Section 3. Les effets de l’usufruit.......................................................................................................... p. 8
§1. La situation de l’usufruitier..................................................................................................................................... p.
8
A. Les conditions d’entrée en jouissance de l’usufruitier................................................................................................................... p. 8
B. Les droits de l’usufruitier................................................................................................................................................................ p. 9
C. Les obligations de l’usufruitier..................................................................................................................................................... p. 11
§2. La situation du nu-propriétaire............................................................................................................................. p.
12
Section 4. L’extinction de l’usufruit..................................................................................................... p. 14
§1. Les causes d’extinction de l’usufruit.................................................................................................................... p.

1
UNJF - Tous droits
L’usufruit se distingue de la servitude sur trois points :

l’usufruit peut porter sur un meuble ou un immeuble ;


l’usufruit est constitué au profit d’une personne de manière temporaire et non au profit d’un fonds ;
l’usufruit n’est pas un accessoire inséparable du fonds : il peut être cédé, saisi ou hypothéqué indépendam

L’avant-projet de réforme du droit des biens propose d’importantes dispositions novatrices


relatives à l’usufruit :

Comment peut-on définir l’usufruit ? Le législateur instaure une définition au sein de l’article 578
c.civ. : « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le
propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ». L’usufruitier a le droit d’user
et de jouir d’un bien comme le ferait le propriétaire, mais il n’a pas l’abusus, le droit de disposer de
la chose : il doit en conserver la substance.
Exemple
Par exemple, lors d’une succession, il est possible de laisser au conjoint survivant l’usufruit d’un appartemen

Il y a alors d’un côté l’usufruitier, qui a le droit d’user et de jouir de la chose (il a l’usus et le fructus) et de l’autr

Ils ont tous les deux des intérêts contradictoires, entre intérêt immédiat et consommation du bien
pour celui qui use et jouit du bien et intérêt à long terme et conservation du bien pour celui qui en
dispose. Il est d’ailleurs souvent reproché à l’usufruit d’être anti-économique. Ce constat conduit
de nombreux auteurs à se prononcer en faveur d’une modification du régime juridique de l’usufruit.

À l’heure actuelle, le régime de l’usufruit est fixé par les art. 578 à 624 c.civ. L’usufruit présente
deux caractères principaux :

• l’usufruit est un droit réel : il porte sur une chose et il est opposable à tous (cf. leçon 2). La
propriété, droit réel principal, est démembrée en deux droits réels : l’usufruit et la nue-
propriété ;

• l’usufruit a un caractère temporaire : l’usufruitier dispose du bien pendant une période


déterminée, au maximum jusqu’à son décès, comme l’indique l’art. 617 al.2 c.civ. L’usufruit
est un droit viager, qui dure tout au long de la vie et s’éteint à la mort de l’usufruitier. Le nu-
propriétaire retrouve alors le droit d’usage et le droit de jouissance et la propriété pleine et
entière est reconstituée. En revanche, si le nu-propriétaire décède avant l’usufruitier, l’usufruit
continue d’exister car il est opposable aux ayants droit du nu-propriétaire. Si l’usufruitier est
une personne morale, la durée maximale est fixée à trente ans (article 619 c.civ.). Ce
caractère temporaire permet de distinguer l’usufruit du droit de propriété, qui a vocation à la
perpétuité.

Jurisprudence
Le caractère perpétuel d’un droit s’oppose à sa qualification en usufruit (droit d’affichage) : Civ.
3ème, 18 janvier 1984, Bull. civ. III n°16 ; D.1985, juris. p. 504, note F. Zénati ; J.C.P. éd. G.
1986, II, 20547, note J.-F. Barbiéri.

Pour étudier l’usufruit, il faut préciser son domaine (Section 1) puis procéder par ordre
2
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chronologique : sa constitution (Section 2), ses effets (Section 3) et son extinction (Section 4). Il
restera à étudier certains droits voisins de l’usufruit (Section 5).

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Section 1. Le domaine de l’usufruit
Aux termes de l’art.581 c.civ., l’usufruit « peut être établi sur toute espèce de biens meubles ou
immeubles ». Tous les biens, quelle que soit leur qualification, peuvent faire l’objet d’un
usufruit. Le Code civil cite par exemple le linge et les meubles meublants, les bois et les arbres ou
encore les maisons et les bâtiments. Le domaine de l’usufruit est très large. Certains biens
soulèvent cependant des difficultés particulières : les biens consomptibles (A), les universalités (B)
et les droits incorporels (C), pour ne citer que les principaux domaines problématiques.

§1. Les biens consomptibles


Ce sont les biens dont on ne peut user sans les consommer, comme l’argent ou les denrées
alimentaires (cf. leçon 1). Or si l’usufruitier a un droit d’usage et de jouissance du bien, il a
également l’obligation de conserver la substance de la chose afin de la restituer. Comment peut-on
concevoir un usufruit sur un bien consomptible, dans la mesure où le droit d’usage conduit à la
destruction du bien et entraîne un manquement à l’obligation de conservation ? Utiliser le bien,
c’est le détruire et seul le nu-propriétaire dispose de l’abusus.

Cette difficulté n’a pas empêché les rédacteurs du Code civil de concevoir l’usufruit d’un bien
consomptible, au sein de l’art. 587 c.civ. : « si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire
usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en
servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et
qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ».

Dans cette hypothèse, on parle de quasi-usufruit : en pratique, l’usufruitier est placé dans la
situation d’un propriétaire « entier » tandis que le nu-propriétaire devient un créancier,
titulaire d’un droit personnel. Dire que l’usufruitier devient propriétaire est riche de sens : cela
signifie non seulement qu’il peut disposer comme il l’entend du bien, en le consommant ou en
l’aliénant, mais également qu’il supporte les risques de perte ou de destruction de la chose. Le nu-
propriétaire quant à lui devient créancier : il bénéficie, au terme de l’usufruit, d’une créance de
restitution
Remarque du bien par équivalent, soit en nature, soit en valeur.
Le titulaire d'un quasi-usufruit peut valablement consentir un prêt portant sur une somme d'argent dont il n'a q

Le projet de réforme du droit des biens envisage de consacrer expressément le quasi-usufruit au titre des usu

Ce n’est pas le seul cas qui soulève des difficultés : l’usufruit portant sur une universalité doit
également être précisé.

§2. Les universalités


Il faut distinguer selon que l’universalité est de fait ou de droit :

• l’usufruit peut porter sur une universalité de fait (ex : un fonds de commerce, composé
d’éléments corporels comme les marchandises et d’éléments incorporels comme la clientèle
ou le nom). Le législateur admet ce type particulier d’usufruit : l’usufruitier ne peut pas
disposer du fonds de commerce et il devra restituer l’entité juridique dans son ensemble à la
fin de l’usufruit ;
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UNJF - Tous droits
• l’usufruit peut porter sur l’universalité de droit qu’est le patrimoine (cf. leçon 1). Il peut
concerner le patrimoine dans son intégralité, on parle d’usufruitier à titre universel (tel le
conjoint survivant), ou une partie de celui-ci et il s’agit d’un usufruitier à titre particulier. Le
législateur réglemente certains points particuliers. Par exemple, les art. 610 à 612 c.civ.
précisent que le principal d’une dette pèse sur le nu-propriétaire alors que les intérêts de la
dette pèsent sur l’usufruitier.

Jurisprudence
La Cour de cassation qualifie d’universalité le portefeuille de valeurs mobilières géré par une
usufruitière qui cède ses titres et les remplace afin de conserver la substance de ce portefeuille :
Civ. 1ère, 12 novembre 1998, Bull. civ. III n°315 ; G.A.J.C. n°71 ; D.1999, juris. p. 167, note L.
Aynès ; D.1999, juris. p. 633, note D. Fiorina ; J.C.P. éd. G. 1999, II, 10027, note S. Piédelièvre ;
R.T.D.civ. 1999, p. 422, obs. F. Zénati.

Remarque
Le projet de réforme du droit des biens consacre expressément l’usufruit « des biens formant un ensemble »,

Pour clore l’étude ce domaine de l’usufruit, il faut enfin examiner le cas de l’usufruit sur des droits
incorporels.

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§3. Les droits incorporels
Les droits incorporels, définis en introduction, correspondent aux droits sociaux, aux droits
intellectuels, aux créances… Est-il possible de concevoir un usufruit, droit réel, ayant pour assiette
un droit incorporel ? Si la réponse n’est pas évidente en théorie, la pratique ne s’est pas
embarrassée de cette difficulté et les juges acceptent de mettre en œuvre l’usufruit quelle que soit
la nature des droits sur lesquels il porte.

Jurisprudence
Il est possible de constituer un usufruit sur un droit d’usufruit ; un usufruitier peut valablement
grever son usufruit d’un droit d’usage et d’habitation : Civ. 1ère, 14 janvier 1997, Bull. civ. I n°22 ;
D.1997, juris. p. 607 ; R.T.D.civ. 1998, p. 414, obs. F. Zénati.

Le législateur lui-même a prévu le cas de l’usufruit d’une rente aux art. 584 et 588 c.civ. ou encore
le cas de l’usufruit de droits sociaux. Le régime de l’usufruit présentera toutefois des particularités
dans ces hypothèses.
Remarque
Le projet de réforme du droit des biens consacre l’usufruit des créances (proposition d’article 600) et des droit

Une fois le domaine de l’usufruit déterminé, il faut examiner ses modes de constitution possibles.

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UNJF - Tous droits
Section 2. Les modes de constitution de l’usufruit
L’usufruit peut prendre naissance de plusieurs manières. Selon l’article 579 c.civ., « l’usufruit est
établi par la loi, ou par la volonté de l’homme ». Il faut ajouter à ces deux modes de constitution, loi
et volonté de l’homme, l’effet de la possession qui permet d’acquérir l’usufruit par prescription. En
conséquence, il existe trois modes d’acquisition possibles :

• 1er mode d’acquisition : l’usufruit légal. La loi instaure certaines situations dans lesquelles
elle désigne un ou plusieurs usufruitiers. Il existe en général dans ces hypothèses un intérêt
Exemple
successoral ou familial.
En présence d’enfants communs, le conjoint survivant peut bénéficier de la totalité des biens en usufruit

• 2ème mode d’acquisition : l’usufruit volontaire. L’usufruit peut être constitué par la
volonté de l’homme, soit par un acte juridique unilatéral, comme un testament, soit par une
convention, par exemple une vente ou une donation. Il s’agit en général soit de conserver le
bien et d’en céder l’usufruit à un tiers, soit de céder le bien tout en conservant soi-même
l’usufruit.
Exemple
Un parent donne à son enfant la nue-propriété du bien et en conserve l’usufruit jusqu’à son décès.

Lorsqu’il s’agit d’un immeuble, la constitution d’un usufruit conventionnel doit être soumise à
la publicité foncière.

• 3ème mode d’acquisition : l’usufruit acquis par la prescription. L’usufruit peut aussi
s’acquérir par l’effet d’une possession. Il faut alors distinguer selon la nature du bien :

- si le bien est un meuble, on applique par analogie l’art. 2276 c.civ. : il y a acquisition instantanée
de l’usufruit par le possesseur de bonne foi (cf. leçon 4) ;
- si le bien est un immeuble, on applique soit la prescription de droit commun, mais ce cas est
assez rare en pratique car au bout de trente ans, le possesseur pourra plutôt tenter de faire jouer
l’acquisition de la propriété pleine, soit la prescription abrégée de dix ans si les conditions sont
réunies (cf. leçon 4).

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UNJF - Tous droits
Lorsque l’usufruit est correctement constitué, il produits des effets juridiques qu’il convient d’étudier.

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Section 3. Les effets de l’usufruit
En principe, l’usufruitier et le nu-propriétaire sont indépendants : ils ont des droits séparés même
s’ils portent sur le même bien. Mais il n’est pas possible d’ignorer totalement leur relation et
chacun doit pouvoir exercer ses prérogatives sur le bien sans être gêné par l’autre et sans gêner
l’autre. Il faut étudier la situation de l’usufruitier (§1) puis la situation du nu-propriétaire (§2).

§1. La situation de l’usufruitier


Après avoir rempli des conditions relatives à son entrée en jouissance (A), l’usufruitier disposera
d’un certain nombre de droits (B) et sera tenu de certaines obligations (C).

A. Les conditions d’entrée en jouissance de l’usufruitier


L’usufruitier est tenu de deux obligations essentielles avant de pouvoir entrer en jouissance de
l’usufruit :

• 1ère obligation : l’usufruitier doit faire dresser un inventaire des meubles et un état des
immeubles. Selon l’art. 600 c.civ., « l’usufruitier prend les choses dans l’état où elles sont,
mais il ne peut entrer en jouissance qu’après avoir fait dresser, en présence du propriétaire,
ou lui dûment appelé, un inventaire des meubles et un état des immeubles sujets à l’usufruit
». Les meubles doivent être répertoriés et énumérés (parfois ils peuvent estimés) ; les
immeubles font l’objet d’un état et doivent être décrits. Ces actes permettent de fixer, avant le
début de l’usufruit, quels sont les biens qui devront être restitués à la fin de l’usufruit. Cela
permet à chacun, usufruitier et nu-propriétaire, de connaître l’étendue de leurs droits
et obligations respectifs.

C’est à l’usufruitier de faire réaliser l’inventaire ou l’état à ses frais ; l’acte authentique n’est
pas exigé et un acte sous seing privé pourra suffire. L’acte constitutif d’usufruit peut prévoir
une clause de dispense d’inventaire ou d’état, ce qui est souvent le cas en matière de
libéralité en usufruit. Cette clause n’interdit pas au nu-propriétaire de faire dresser lui-même
les actes à ses frais.

Le défaut d’inventaire des meubles ou d’état des immeubles n’entraîne pas la déchéance de
l’usufruit ; simplement, le nu-propriétaire pourra refuser de délivrer les biens à l’usufruitier tant
que les documents n’ont pas été rédigés. Il pourra également demander le prononcé d’un
séquestre provisoire des biens si l’usufruitier est déjà entré en jouissance. À défaut
d’inventaire ou d’état, le nu-propriétaire pourra prouver par tout moyen la consistance des
biens à la fin de l’usufruit.

• 2nde obligation : l’usufruitier doit « donner caution de jouir en bon père de famille »
selon les termes de l’art. 601 c.civ. L’usufruitier s’engage à user et jouir de la chose en bon
père de famille. Mais les biens soumis à l’usufruit peuvent se détériorer, être détruits,
abîmés… À la fin de l’usufruit, l’usufruitier peut être débiteur de sommes importantes
envers le nu- propriétaire. Pour garantir le paiement de ces sommes, l’usufruitier doit
trouver une tierce personne, la caution, qui garantit au nu-propriétaire que l’usufruitier
se comportera en bon père de famille et qui prend l’engagement personnel
d’indemniser le nu-propriétaire, si l’usufruitier ne peut le faire lui-même. Cette caution
est rendue obligatoire par la loi. L’art. 2318 c.civ. prévoit cependant que si l’usufruitier ne
trouve pas de caution, il peut la remplacer par une hypothèque sur ses immeubles ou par la
remise en gage de biens mobiliers.

Si l’usufruitier tarde à trouver une caution, il n’y a pas déchéance de l’usufruit mais le nu-
propriétaire peut refuser la délivrance des biens soumis à l’usufruit. En cas d’impossibilité de
trouver une caution ou une garantie équivalente, les art. 602 et 603 c.civ. prévoient des
mesures conservatoires et d’administration pour sauvegarder les droits du propriétaire tout en
9
UNJF - Tous droits
permettant à l’usufruitier d’exercer son droit de jouissance.

10
UNJF - Tous droits
Enfin, il est possible d’insérer une clause de dispense de caution dans l’acte constitutif de
l’usufruit, ce qui est très fréquemment le cas en matière de libéralités. La loi prévoit
également une dispense de caution pour les père et mère ayant l’usufruit des biens de leur
enfant mineur en raison des liens familiaux qui les unissent et pour le propriétaire qui vend ou
donne la nue- propriété. La dispense de caution peut ne pas être définitive : les juges
peuvent intervenir, par exemple si l’usufruitier commet des abus de jouissance, et rétablir
l’exigence d’une caution
.

Lorsque ces conditions sont remplies, l’usufruitier peut exercer ses droits sur les biens soumis à
l’usufruit.

B. Les droits de l’usufruitier


Ces droits peuvent être divisés essentiellement en trois domaines :

• 1er droit : le droit d’usage de la chose. L’usufruitier peut utiliser le bien et s’en servir à
condition d’en respecter la destination. Par exemple, il peut habiter l’appartement ou gérer le
fonds de commerce. Cet usage peut provoquer une usure qui est prise en compte par l’art.
589 c.civ. : « si l’usufruit comprend des choses qui, sans se consommer de suite, se
détériorent peu à peu par l’usage, comme du linge, des meubles meublants, l’usufruitier a le
droit de s’en servir pour l’usage auquel elles sont destinées, et n’est obligé de les rendre, à la
fin de l’usufruit, que dans l’état où elles se trouvent, non détériorées par son dol ou par sa
faute ». Le droit d’usage porte aussi sur les accessoires du bien grevé d’usufruit, comme les
servitudes.

• 2ème droit : le droit de jouissance de la chose. Ce droit de jouissance comporte deux


aspects :
• l’usufruitier acquiert les fruits du bien : aux termes de l’art. 582 c.civ., « l’usufruitier a
le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que
peut produire l’objet dont il a l’usufruit ». La date d’acquisition varie avec la nature des
fruits : l’usufruitier acquiert les fruits naturels et les fruits industriels par perception, c’est-
à-dire au moment où il les recueille, tandis que les fruits civils sont acquis jour par jour.
L’usufruitier n’a pas droit aux produits : ils appartiennent au nu-propriétaire, sauf
exceptions législatives prévues aux art. 591 et 598 c.civ. selon les circonstances pour
les produits émanant de la forêt ou des carrières.
• l’usufruitier a le droit d’effectuer des actes sur le bien en vertu d’un pouvoir
d’administration sur la chose d’autrui. Il peut faire tous les actes de conservation
nécessaires ainsi que les actes d’administration et les actions en justice afférentes aux
biens en usufruit.
En ce qui concerne la location du bien, l’usufruitier peut conclure seul un bail classique
dont la durée sera limitée pour ne pas porter trop atteinte aux droits du nu-propriétaire.
En revanche, il devra obtenir l’accord du nu-propriétaire pour la conclusion des baux
ruraux, industriels, artisanaux et commerciaux, en application de l’art. 595 al.4 c.civ. En
l’absence d’accord, il y a nullité relative du bail.

Jurisprudence
Jurisprudence relative aux liens entre contrat de bail et usufruit :

Bail classique : Civ. 3ème, 7 juillet 1993, Bull. civ. III n°112.
Renouvellement du bail : il doit être traité comme la conclusion initiale du bail : Civ. 3ème, 24
mars 1999, Bull. civ. III n°78 ; J.C.P. éd. G. 1999, I, 175, n°23, obs. H. Périnet-Marquet :
l'article 595, alinéa 4, du Code civil « ne comporte aucune distinction entre renouvellement et
conclusion du bail initial ».
Autorisation en justice : Civ. 3ème, 29 novembre 1995, Bull. civ. III n°246 ; D.1997, somm. p. 22,
obs. A. Robert ; R.T.D.civ. 1996, p. 941, obs. F. Zénati ; J.C.P. éd. G. 1996, I, 3921, n°18
Bail commercial : Civ. 3ème, 9 décembre 2009, n°08-20.512, Bull. civ. III n°270 ; D. 2010, 14, obs.
Y. Rouquet ; J.C.P. éd. G. 2010, 336, n°10, obs. H. Périnet-Marquet
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UNJF - Tous droits
• 3ème droit : le droit de disposer de l’usufruit et non de la chose. L’article 595 al.1er c.civ.
permet à l’usufruitier de « jouir par lui-même, donner à bail à un autre, même vendre ou
céder son droit à titre gratuit ». L’acte doit avoir lieu entre vifs et non à cause de mort car
c’est un droit temporaire, au maximum viager. L’usufruitier a le droit d’aliéner son usufruit.
Mais cette aliénation ne doit pas avoir pour effet de modifier la consistance de l’usufruit cédé,
notamment la durée initiale de l’usufruit. L’usufruitier ne peut pas céder plus de droits qu’il
n’en a lui-même.

Pour défendre ses droits, l’usufruitier peut utiliser l’action confessoire d’usufruit, qui est une action pétitoire p

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UNJF - Tous droits
C. Les obligations de l’usufruitier
Pendant le temps de l’usufruit, l’usufruitier a trois obligations :

1ère obligation : l’obligation de jouissance en bon père de famille. L’usufruitier doit utiliser la
chose en bon père de famille, selon sa destination naturelle, comme un propriétaire normalement
soigneux et diligent. Il doit conserver la chose, l’entretenir, éviter de la détériorer. Aux termes de
l’art. 614 c.civ., il doit également dénoncer au nu-propriétaire toute usurpation du bien par un tiers.
Il répond des dégradations ou du dépérissement qu’il cause.

2ème obligation : l’obligation de respect de la destination des lieux. L’usufruitier ne doit pas
modifier la manière d’être du bien. Il doit jouir de la chose comme le propriétaire lui-même, c’est-à-
dire se conformer à la manière dont le propriétaire utilisait le bien avant le démembrement du droit
de propriété. L’usufruitier doit respecter la destination du bien (est-ce une habitation ? un garage ?)
sauf circonstances économiques nouvelles ou changement d’urbanisme.
Remarque
Si un usufruitier réalise des constructions sur un terrain démembré, l'accession n'opère pas immédiatement au

3ème obligation : l’obligation au paiement des charges de l’usufruit. L’usufruitier doit


supporter les charges usufructuaires, c’est-à-dire les charges qui résultent de l’usage et de la
jouissance normale du bien. Celles-ci peuvent être de deux sortes :

• il y a tout d’abord les charges traditionnelles liées au bien : soit les charges périodiques
comme les impôts, prévues à l’art. 608 c.civ., soit les charges extraordinaires qui seront
divisées entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, comme l’indique l’art. 609 c.civ. : le nu-
propriétaire devra s’acquitter du capital tandis que l’usufruitier devra régler les intérêts ;

• il y a ensuite les réparations d’entretien : le législateur distingue les réparations d’entretien


des grosses réparations. Les premières sont à la charge de l’usufruitier, les secondes à la
charge du nu-propriétaire sauf si elles résultent de négligences de l’usufruitier. L’art. 606
c.civ. énumère les grosses réparations, telles que les réparations des gros murs, des voûtes
ou des murs de soutènement. A contrario, toutes les autres réparations seront qualifiées de
réparation d’entretien : elles correspondent aux dépenses courantes.
Exemple
La Cour de cassation a rappelé que la liste des grosses réparations issue de l'article 606 c.civ. est limitative. U

Pendant l’usufruit, le nu-propriétaire peut contraindre l’usufruitier à effectuer les réparations


d’entretien et même demander la cessation de l’usufruit en cas d’inaction (déchéance pour abus
de jouissance, cf. infra). En revanche, l’usufruitier ne peut pas obliger le nu-propriétaire à réaliser
les grosses réparations : celles-ci peuvent être faites par l’usufruitier, qui dispose à la fin de
l’usufruit d’un recours en indemnisation contre le nu-propriétaire.

13
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Si l’usufruitier n’effectue pas les réparations d’entretien, le nu-propriétaire peut les faire réaliser à
ses frais puis demander le remboursement à l’usufruitier (à propos du recrépissement d’une
façade financé par le nu-propriétaire) : Civ. 1ère, 21 mars 1962, Bull. civ. I n°175 ; R.T.D.civ.
1962, p. 527, obs. H. Solus ; J.C.P. éd. G. 1963, II, 13272, note H.G. : « le nu-propriétaire peut,
pendant la durée de l'usufruit, contraindre l'usufruitier à effectuer les réparations d'entretien
tendant à la conservation de l'immeuble ou de la partie de l'immeuble grevée d'usufruit » ; si
l’usufruitier ne procède pas à ces réparations, le nu-propriétaire peut agir sans son accord
préalable et il pourra ensuite obtenir le remboursement des frais engagés.

L’usufruitier dispose de droits assez étendus, sous réserve d’entretenir correctement le bien.
Quelle est la situation du nu-propriétaire ?

§2. La situation du nu-propriétaire


Le nu-propriétaire a également certains droits et il est tenu d’un certain nombre d’obligations.

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Quels sont les droits du nu-propriétaire ? Quelles sont les obligations du nu-
propriétaire ?

Le nu-propriétaire n’a pas la pleine propriété Le nu-propriétaire a une obligation de ne


de la chose mais seulement l’abusus, le droit pas faire énoncée par l’art. 599 al.1 c.civ. :
de disposer du bien : il peut le vendre, le « le propriétaire ne peut, par son fait, ni
donner, l’hypothéquer, l’apporter en société… de quelque manière que ce soit, nuire aux
Dans ce cas, selon l’article 621 al.2 c.civ., « la droits de l’usufruitier ». Il ne doit pas troubler
vente du bien grevé d’usufruit, sans l’accord l’usufruitier dans l’exercice de son droit et doit
de l’usufruitier, ne modifie pas le droit de ce s’abstenir de toute ingérence. En résumé, il
dernier, qui continue à jouir de son usufruit sur ne doit pas nuire aux droits de l’usufruitier.
le bien s’il n’y a pas expressément renoncé ». Le nu-propriétaire est également tenu d’une
L’acquéreur ne reçoit que la nue-propriété. obligation de faire : il doit effectuer les
Le nu-propriétaire peut également faire grosses réparations énumérées par l’art. 606
les actes conservatoires nécessaires si c.civ., déjà cité. S’il n’agit pas, l’usufruitier ne
l’usufruitier n’agit pas. peut pas le contraindre en justice : il peut
seulement faire exécuter les travaux à ses
frais et obtenir un remboursement à la fin de
Exemple l’usufruit, lors de l’apurement des comptes.
Il peut interrompre la prescription acquisitive
d’un tiers.

D’autre part, le nu-propriétaire perçoit les


produits du bien et il peut exercer les actions
pétitoires et possessoires comme simple
détenteur. Il dispose enfin d’un droit général
de surveillance sur les biens grevés
d’usufruit.

Après les effets de l’usufruit, l’évolution chronologique implique l’étude des modes d’extinction de
l’usufruit.

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Section 4. L’extinction de l’usufruit
Il faut étudier les causes d’extinction de l’usufruit (§1) avant d’en exposer les effets (§2).

§1. Les causes d’extinction de l’usufruit


Il existe de nombreuses causes d’extinction de l’usufruit, prévues par l’art. 617 c.civ. : la mort de
l’usufruitier, l’arrivée du terme, le non-usage pendant trente ans, la perte de la chose ou la réunion
sur la même tête de l’usufruit et de la nue-propriété. L’art. 618 c.civ. prévoit également la
déchéance pour abus de jouissance.
Ces causes d’extinction sont schématiquement liées à trois événements :

• 1er événement : l’arrivée du terme.

L’usufruit s’éteint à l’arrivée du terme initialement prévu : soit la mort de la personne physique,
même si l’usufruit a été cédé ou s’il était à durée déterminée car il est intransmissible à cause de
mort, soit la mort du dernier titulaire s’il existait une pluralité d’usufruitiers, soit encore l’écoulement
du temps initialement prévu par la loi ou par la convention.

• 2ème événement : la disparition d’une condition d’existence.

La perte du bien entraîne l’extinction de l’usufruit, à condition qu’il s’agisse d’une perte totale ou si
la chose est devenue totalement impropre à l’usage auquel elle était destinée.
Exemple
Si un bâtiment est détruit, l’usufruit qui portait sur le fonds bâti continue sur le sol et les matériaux mais si l’usu

L’extinction de l’usufruit n’est possible que si la perte n’est pas imputable à l’usufruitier ou au nu-
propriétaire.
Dans le même sens, l’usufruit s’éteint par le non-usage trentenaire de son droit par l’usufruitier,
à condition qu’il s’agisse d’un défaut complet d’exercice. La prescription extinctive ne joue pas
lorsque l’usage a été exercé par un tiers, par exemple par un locataire.
Ensuite, l’usufruit s’éteint par la consolidation, c’est-à-dire la réunion sur la tête d’une même
personne de l’usufruit et de la nue-propriété.
Exemple
Le nu-propriétaire recueille l’usufruit par héritage, au décès du conjoint survivant.

Enfin, l’usufruitier peut renoncer à l’usufruit, en général par convention.


Exemple
Il peut juger que les dépenses d’entretien du bien sont trop importantes par rapport aux avantages qu’il en ret

• 3ème événement : la déchéance pour abus de jouissance.

L’extinction de l’usufruit peut être la sanction d’un comportement abusif de l’usufruitier,


sanction prévue par l’art. 618 al. 1er c.civ. : « L’usufruit peut aussi cesser par l’abus que
l’usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le
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laissant dépérir faute

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UNJF - Tous droits
d’entretien ». L’usufruitier est déchu de son droit. Les juges du fond disposent d’un pouvoir
souverain d’appréciation de l’abus de jouissance et d’un choix de la sanction : ils peuvent
prononcer l’extinction de l’usufruit par la déchéance ou le paiement d’une indemnité pour donner
de nouvelles garanties au nu-propriétaire.

Il existe ainsi plusieurs causes d’extinction de l’usufruit, qui ont toutes les mêmes effets.

§2. Les effets de l’extinction de l’usufruit


À la fin de l’usufruit, l’usufruitier doit en principe restituer la chose en nature, dans l’état où
elle se trouve, non détériorée par son dol ou sa faute comme l’indique l’art. 589 c.civ. C’est
le nu- propriétaire qui subit l’usure normale du temps. La propriété pleine et entière est alors
reconstituée au profit de l’ancien nu-propriétaire, qui réunit l’usus, le fructus et l’abusus. La
restitution se fait en valeur s’il s’agit d’une chose consomptible, comme il a été vu précédemment.

En principe, l’usufruitier qui a apporté des améliorations à la chose ne peut pas demander
d’indemnités, ce qui le place dans une situation différente du possesseur. L’art. 599 al.2
c.civ. prévoit en ce sens que « de son côté, l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit,
réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la
valeur de la chose en fût augmentée ». La jurisprudence a réagi face à cette règle sévère qui
n’encourage pas l’usufruitier à investir et qui permet un enrichissement sans cause du nu-
propriétaire. Elle applique le régime traditionnel des améliorations « dès lors qu’il s’agit de
constructions nouvelles s’ajoutant au fonds et augmentant sa valeur ou ayant pour effet
d’achever un bâtiment commencé, ou bien d’agrandir un édifice existant ». À l’inverse, l’usufruitier
qui a détérioré le bien sera tenu d’indemniser le nu-propriétaire.

Enfin, l’usufruitier a l’obligation d’établir les comptes. Un règlement des comptes est en effet
exigé à la fin de l’usufruit, pour rétablir un équilibre entre les situations de l’usufruitier et du nu-
propriétaire.

L’étude de l’usufruit doit s’achever par l’examen de cas spécifiques d’usufruit restreint, regroupés
sous la dénomination de droits voisins de l’usufruit.

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Section 5. Les droits réels voisins de l’usufruit
Certains droits spécifiques sont considérés comme des diminutifs ou des substituts de
l’usufruit. Ce sont des usufruits restreints, soit parce qu’ils accordent seulement à leur titulaire un
droit d’usage ou d’habitation (§1), soit parce qu’ils entraînent une séparation en plusieurs
propriétés superposées, distinguant le « tréfonds » et la « superficie » (§2).

§1. Les droits d’usage et d’habitation


Les droits d’usage et d’habitation sont spécifiquement prévus par le législateur aux art. 625 à 636
c.civ. Leur mode de fonctionnement est calqué sur celui de l’usufruit, avec desrestrictions assez
importantes s’agissant de leurs effets.
Le titulaire d’un droit d’usage n’a que le droit d’user et de jouir de la chose « pour ses besoins et
ceux de sa famille », comme il est indiqué à l’art. 630 c.civ. Dans le même sens, l’art. 632 c.civ.
prévoit que
« celui qui a un droit d’habitation dans une maison, peut y demeurer avec sa famille (…) ». Dans le
droit d’usage, l’usus et le fructus sont limités aux besoins familiaux, tandis que le droit
d’habitation confère seulement à son titulaire le droit d’habiter et de demeurer dans la maison avec
sa famille.

Jurisprudence
Civ. 3ème, 14 novembre 1996, Bull. civ. III n°218 : « si l'usager absorbe tous les fruits du fonds,
ou s'il occupe la totalité de la maison, il est assujetti aux frais de culture, aux réparations
d'entretien et au paiement des contributions comme l'usufruitier ; (que) s'il ne prend qu'une partie
des fruits, ou s'il n'occupe qu'une partie de la maison, il contribue au prorata de ce dont il jouit ».

Il s’agit, comme l’usufruit, de droits temporaires, au maximum viagers, soumis à un inventaire et


à une caution de jouir en bon père de famille et impliquant le règlement des charges usufructuaires
au prorata de ce dont l’usager jouit. Cependant, contrairement à l’usufruit, les droits d’usage et
d’habitation connaissent des limites énoncées par l’art. 631 c.civ. et par la jurisprudence : ils ne
peuvent être ni cédés, ni loués, ni saisis, ni hypothéqués.

§2. Le droit de superficie


Le droit de superficie peut être défini comme le droit réel qu’un propriétaire, appelé superficiaire, exerce sur la

En pratique, une personne aura la propriété du sous-sol (le tréfoncier) tandis qu’un tiers aura la
propriété du sol, accompagné de tous les ouvrages ou plantations qui s’y trouvent. Le droit de
superficie est généralement instauré par un titre, parmi lesquels on trouve le bail emphytéotique,
par lequel le titulaire, s’engageant à faire des travaux sur le fonds moyennant le versement d’un
loyer modéré, bénéficie pendant une longue durée d’un droit de superficie.

Le droit de superficie se distingue de l’usufruit en ce qu’il porte exclusivement sur des immeubles
; il s’en rapproche dans la mesure où le tréfoncier et le superficiaire exercent des droits
concurrents sur un même bien. L’intérêt essentiel du droit de superficie est de conférer au
superficiaire, en général de manière temporaire, un droit de propriété sur tous les ouvrages,
plantations et constructions réalisés sur le fonds. Il est transmissible à cause de mort et librement
cessible entre vifs.

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