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Le droit des biens est une branche du droit civil qui constitue la base du droit patrimonial (par
opposition au droit extra-patrimonial). Il a des liens par exemple avec le droit patrimonial de la
famille (régimes matrimoniaux, successions…) ou encore avec le droit des affaires et le droit
commercial.
Avant d’examiner ce que sont les biens et quels sont les droits qui portent sur ces biens, il est
nécessaire de définir ce qu’est un bien.
En effet, le droit procède toujours par catégories : il est constitué par un ensemble de concepts,
qui font l’objet d’une classification, ce qui permet de les regrouper au sein de catégories juridiques.
Au sein d’une même catégorie, les situations présentent une nature commune et un régime
identique. Afin de comprendre les différentes règles techniques applicables à la matière, il est au
préalable important de définir clairement ce que sont les notions de bien (Section 1) et de
patrimoine (Section
2) puis d’exposer les différentes classifications des biens (Section 3).
Sur un autre plan, la distinction entre choses et personnes pose des difficultés concernant l’animal.
L’animal est traité par le droit civil comme une chose ; mais il s’agit d’une chose particulière, d’un
être sensible qui mérite d’être protégé. Il existe par exemple une incrimination pénale pour les
mauvais traitements sur les animaux.
Remarque
Tout un courant se développe actuellement en faveur de la reconnaissance d’un statut juridique spécifique à
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Exemple
Certaines choses ne sont pas des biens car elles ne peuvent pas appartenir à l’homme, comme le soleil, la
Remarque
Mais parfois certaines parties de ces choses peuvent devenir des biens car elles peuvent être appropriées
Le bien n’existe que s’il peut avoir une valeur patrimoniale, ce qui renvoie à la notion de patrimoine.
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Section 2. La notion de patrimoine
La théorie du patrimoine a été développée en droit français par deux auteurs, Aubry et Rau, à la fin
du 19e siècle. Cette théorie traditionnelle a ensuite connu quelques évolutions, qui imposent
d’étudier d’abord la nature du patrimoine (§1) puis ses fondements (§2).
Le patrimoine comprend à la fois un aspect actif, correspondant aux biens que l’on détient et aux
créances que l’on nous doit (c’est l’avoir) ET un aspect passif, lié aux obligations dont on est tenu
à l’égard d’autrui, aux dettes. Cet ensemble forme une universalité de droit : l’actif et le passif sont
indissolublement
Exemple liés puisque le passif répond de l’actif et inversement.
L’ précise que « quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses bie
A. La personne
Pour Aubry et Rau, c’est l’unité qui fonde le patrimoine et cette unité, c’est la personne même.
Le patrimoine est une émanation de la personne juridique. Le fondement du patrimoine est la
personne : seule une personne juridique peut détenir un patrimoine.
Jurisprudence
Le lien entre patrimoine et personnalité fait l’objet de discussions, non pas quant au fondement
réel du patrimoine, mais quant à ses liens avec le droit à la protection de la vie privée. Ainsi, la
Cour de cassation énonce, dans un arrêt de la première chambre civile du 20 octobre 1993 (Civ.
1ère, 20 octobre 1993, Bull. civ. I n°295 ; R.T.D.civ. 1994, p.77, obs. J. Hauser ; D. 1994, juris.
p.595, note Y. Picod) que « la publication de renseignements d’ordre purement patrimonial,
exclusifs de toute allusion à la vie et à la personnalité des intéressés, ne porte pas atteinte à
l’intimité de leur vie privée », censurant l’arrêt d’appel qui avait retenu que « la fortune
personnelle est un élément de la vie privée et (…) elle ne peut être portée à la connaissance du
public ».
Dire que le patrimoine est l’émanation de la personne revient à poser deux principes essentiels :
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• tout d’abord, le principe d’inaliénabilité du patrimoine : le patrimoine est indissociable de
la personne, physique ou morale, et ne peut être transmis de son vivant. Le patrimoine est
intransmissible entre vifs, il n’est transmissible qu’à cause de mort, lorsque la personne
juridique n’existe plus. Le patrimoine dure donc aussi longtemps que dure la personne ;
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Remarque
Ces règles ont plusieurs conséquences :
puisqu’une personne a un seul patrimoine, si elle désire monter un commerce juridique, elle sera obligée de c
lorsqu’une personne décède, pour que son héritier puisse recueillir le patrimoine, il faut considérer que le
B. La finalité
La théorie classique, considérée comme trop rigide et étroite, a été remise en cause au 20e siècle
par la théorie du patrimoine d’affectation, développée en Allemagne : le patrimoine est un
ensemble de biens affectés à des buts particuliers. La personne n’est plus le support du patrimoine
: une personne peut avoir plusieurs patrimoines et le patrimoine peut être cédé entre vifs.
L’élément fondateur est la finalité, l’affectation des biens. Le patrimoine est lié à sa finalité,
on parle de patrimoine d’affectation.
L’évolution de la société, dans les domaines des échanges et de l’économie, a obligé le législateur
à adopter une voie médiane, permettant de remédier à la rigidité de la théorie classique sans
toutefois entériner complètement la théorie du patrimoine d’affectation. En conséquence, le droit
français a adopté quelques exceptions aux principes de l’unicité et de l’indivisibilité du patrimoine.
Plusieurs exemples de ces « subterfuges du droit français » (selon les termes de N. Reboul-
Maupin,
« Droit des biens », Hypercours Dalloz, 3e éd., 2010, n°32) peuvent être identifiés dans la
Exemple contemporaine.
législation
La fondation, issue de la loi n°87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat, au sein de laquelle
La fiducie, introduite par la loi n°2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie et dont le régime est codifié a
En définitive, quelque soit le fondement retenu, le patrimoine est composé des biens détenus par
une personne. Ces biens font l’objet de diverses classifications qui permettent de préciser le
régime juridique applicable.
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Section 3. Les classifications des biens
Il existe différentes classifications des biens. La distinction principale entre meubles et immeubles
(§1) est complétée par des distinctions complémentaires ou secondaires (§2).
Il s’agit de la summa divisio des biens, la distinction essentielle. L’article 516 c.civ. est très clair sur
ce point : « tous les biens sont meubles ou immeubles ». Ainsi, tous les droits patrimoniaux
sont meubles ou immeubles. C’est une affirmation de principe, péremptoire, qui constitue la
distinction majeure du droit civil en la matière, à tel point qu’elle n’appartient qu’à la loi et non à la
convention des parties.
Jurisprudence
Les parties ne peuvent décider ni d’enlever aux meubles ou aux immeubles leur qualité, ni de
créer de nouvelles catégories : « la nature, immobilière ou mobilière, d’un bien est définie par la
loi et (…) la convention des parties ne peut avoir d’incidence à cet égard » (Civ. 3ème, 26 juin
1991, Bull. civ. III n°197 ; J.C.P. éd. G. 1992, II, 21825, note J.-F. Barbieri ; R.T.D.civ. 1992,
p.144, obs. F. Zénati).
Remarque
Cette rigidité apparente doit cependant être nuancée car si la volonté des parties ne peut pas suffire à elle seu
Jurisprudence
Dans un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 7 avril 1998, la Haute
juridiction réaffirme que « la seule volonté du propriétaire ne pouvait faire perdre aux machines en
cause leur qualité d’immeubles par destination, laquelle, en l’absence d’enlèvement effectivement
réalisé, ne disparaissait qu’après la vente ». Un raisonnement a contrario permet de penser que
si la volonté du propriétaire avait été combinée avec l’acte matériel de séparation du bien de son
fonds, la qualification du bien aurait pu être différente (Civ. 1ère, 7 avril 1998, Bull. civ. I n°143 ;
J.C.P. éd. G. 1998, I, 171, n°1, obs. H. Périnet-Marquet ; D. 1998, somm. p.344, obs. A. Robert).
La distinction entre meubles et immeubles trouve son origine dans le droit romain, qui tenait
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compte du critère de fixité et de stabilité de l’immeuble pour lui accorder une valeur supérieure à
celle du
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meuble, caractérisé par son aptitude physique à se déplacer. On utilisait à cette époque l’adage
suivant : « res mobilis, res vilis » (meuble, chose vile). Le Code civil de 1804 reprendra cette
distinction fondée sur la valeur, mais en la faisant évoluer et en redonnant de l’importance au
critère physique.
La distinction entre meubles et immeubles présente des intérêts majeurs, par exemple en matière
de possession, de publicité, de compétence territoriale des juridictions, de capacité, de saisie…
Cette distinction est critiquée à l’heure actuelle car la frontière entre meubles et immeubles ne
cesse, selon certains auteurs, de s’estomper. Elle est également remise en cause par le
changement des réalités économiques et de l’industrie, qui font que des meubles peuvent avoir
une grande valeur. Mais elle perdure dans le Code civil malgré ses insuffisances et conserve un
rôle important.
Quels sont les critères de distinction entre meubles et immeubles ? La règle est simple : TOUT
CE QUI N’EST PAS IMMEUBLE EST MEUBLE. Cela signifie que la catégorie des meubles est
potentiellement ouverte et illimitée (si un nouveau droit est créé, il entre dans la catégorie des
meubles). En revanche, la catégorie des immeubles est strictement définie et limitée. Il faut définir
ce qu’est un immeuble (A) avant d’étudier la catégorie des meubles (B).
A. Les immeubles
Selon l’article 517 c.civ : « Les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination,
ou par l’objet auquel ils s’appliquent ». Il existe trois catégories strictement limitées d’immeubles :
les immeubles par nature (1), les immeubles par destination (2) et les immeubles par l’objet auquel
ils s’appliquent (3).
Le critère principal est le fonds de terre et ce qui s’y incorpore, la fixité, l’immobilité du bien :
ce sont des « portions de territoire ». Selon le Doyen Carbonnier, « ce qui fait l’irréductible nature
de l’immeuble, c’est la terre ». Ainsi, le sol est le bien immeuble par nature par excellence,
accompagné de ce qui y est planté, incorporé ou construit et englobant le sous-sol.
Le Code civil évoque ainsi les bâtiments, les moulins à vent ou à eau fixés sur piliers, les récoltes
pendantes par les racines, les fruits des arbres non encore recueillis…
Exemple
Avant d’être ramassé, un champignon des bois est un immeuble par nature ! Il se transforme en meuble dès
L’article 523 c.civ. ajoute spécifiquement dans la catégorie des immeubles par nature les
immeubles dits par incorporation, inséparables du bâtiment : les tuyaux servant à la conduite
des eaux dans une maison. La jurisprudence a étendu cette catégorie en ajoutant par exemple
les conduites de gaz, les ascenseurs, les canalisations d’électricité…
Dans cette hypothèse, dès que l’incorporation prend fin, le bien devient meuble, il ne peut pas
devenir immeuble par destination.
Les immeubles par destination sont énumérés aux articles 524 et 525 c.civ.
Selon l’article 524 al.1 c.civ., « les animaux et les objets que le propriétaire d’un fonds y a placés
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pour le service et l’exploitation de ce fonds sont immeubles par destination ». L’alinéa 2 énumère
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ensuite les biens dont il peut s’agir : les animaux attachés à la culture, les lapins de garenne, les
ruches à miel…
L’article 525 traite plus spécifiquement des effets mobiliers attachés à perpétuelle demeure : « le
propriétaire est censé avoir attaché à son fonds des effets mobiliers à perpétuelle demeure, quand
ils y sont scellés en plâtre ou à chaux ou à ciment, ou lorsqu’ils ne peuvent être détachés sans être
fracturés et détériorés, ou sans briser ou détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont attachés ».
Il existe deux sortes d’immeubles par destination : les biens affectés au service ou à
l’exploitation d’un fonds et les biens attachés au fonds à perpétuelle demeure.
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Cette qualification par l’accessoire présente une certaine part de fiction mais a un intérêt pratique
évident. Pour qu’un meuble puisse être qualifié d’immeuble par destination, plusieurs conditions
cumulatives doivent être remplies :
• il doit s’agir d’un meuble par nature ;
• le bien principal doit être lui-même un immeuble par nature ;
• le meuble et l’immeuble doivent appartenir au même propriétaire au moment où se
pose la question de leur qualification car la notion d’immeuble par destination est faite
pour donner un sort commun à tout l’ensemble (pour une vente, une saisie…). Il doit y
avoir « unité du maître », c’est-à-dire identité du propriétaire de l’immeuble et des objets
mobiliers (Civ.3e, 5 mars 1980, Bull. civ. III, n°51) ;
• il doit exister un rapport de destination (ou lien de destination) entre le meuble et
l’immeuble : le meuble doit être affecté au service de l’immeuble ou attaché à perpétuelle
demeure. L’utilisation du meuble est complémentaire de celle de l’immeuble.
Jurisprudence
Un célèbre arrêt dit « affaire des fresques de l’église de Casenoves » a été rendu en la matière
par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 15 avril 1988 (Ass. plén., 15 avril 1988, J.C.P.
éd. G. 1988, II, 21066, note J.-F. Barbiéri ; D. 1998, juris. p.325, note J. Maury ; R.T.D.civ. 1989,
p.345, obs. F. Zénati). Sous le visa de l’article 524 du Code civil, la Cour de cassation rappelle
que
« seuls sont immeubles par destination les objets mobiliers que le propriétaire d’un fonds y a
placé pour le service et l’exploitation de ce fonds ou y a attachés à perpétuelle demeure ». Des
fresques qui décoraient l’église désaffectée de Casenoves ont été vendues par deux propriétaires
indivis du bâtiment, sans l’accord des deux autres. Elles ont été détachées des murs par
l’acquéreur. La Cour de cassation en déduit que ces fresques sont devenues des meubles du fait
de leur détachement.
Cette affectation peut être objective et résulter de la loi, soit par l’affectation du meuble au service
ou à l’exploitation du fonds (ex : le tracteur utilisé par l’agriculteur pour l’exploitation de son
champ), soit par l’attache à perpétuelle demeure du bien au fonds (ex : une bibliothèque fabriquée
sur mesure aux dimensions d’un mur et fixée à ce mur). Le Code civil fixe un certain nombre de
présomptions d’attache à perpétuelle demeure, précisées à l’article 525 c.civ.
Jurisprudence
Sur la qualification d’un stock de cognac produit par un domaine agricole et viticole lors du
partage réalisé à la suite d’un divorce : Civ. 1ère, 1er décembre 1976, Bull. civ. I n°382 ; J.C.P.
éd. G. 1977, II, 18735, concl. Gulphe, note A. Dekeuwer ; R.T.D.civ. 1978, p.158, obs. C.
Giverdon).
Cette affectation peut également être subjective et résulter d’une destination conventionnelle
émanant de la volonté des parties, par exemple lors de l’acte de vente de l’immeuble. On parle
alors de destination conventionnelle, qui s’ajoute à la destination légale.
Dans tous les cas, il doit y avoir une réelle union du meuble et de l’immeuble : le meuble doit être
uni à l’immeuble et en accroître ou en améliorer les possibilités d’utilisation. L’objet doit soit être
indispensable à l’exploitation du fonds, soit présenter un lien matériel, une intégration (il y aurait
détérioration si le meuble était séparé de l’immeuble) ou un lien intellectuel (ornement esthétique
intégré à l’immeuble par le biais d’un aménagement spécial).
Là encore, la volonté des parties ne peut avoir d’incidence sur la qualification d’immeuble par
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destination, sauf si elle est accompagnée d’autres critères.
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Jurisprudence
Civ., 27 juin 1944, J.C.P. 1945, II, 2782, note M. Toujas ; R.T.D.civ. 1945, p.127, obs. H. Solus :
« attendu que la qualité d’immeuble par destination dépend de conditions fixées par la loi et que
la seule volonté du propriétaire, impuissante à créer arbitrairement des immeubles par
destination, ne saurait non plus suffire à leur faire perdre cette qualité s’il n’y a eu soit séparation
effective en l’immeuble par nature et l’immeuble par destination, soit aliénation de l’un ou de
l’autre ».
Il s’agit des droits portant sur l’immeuble, soit pour en jouir en concurrence avec le propriétaire
(usufruit, servitudes : cf. infra dans les démembrements de la propriété), soit pour en revendiquer
la propriété. Ce sont par définition des droits incorporels qui présentent un rapport étroit avec un
immeuble. Ces droits sont eux-mêmes considérés fictivement comme des immeubles.
Cette catégorie comprend les droits réels immobiliers : usufruit de choses immobilières (droit
réel qui confère à son titulaire l’usage et la jouissance de toutes sortes de biens appartenant à
autrui mais à charge d’en conserver la substance), servitudes (charge établie sur un immeuble
pour l’usage, l’utilité d’un autre immeuble appartenant à un autre propriétaire). Il peut également
s’agir du droit d’usage et d’habitation, des droits de superficie, du bail à construction, de
l’hypothèque…
Ce sont également les actions immobilières : action en revendication de l’immeuble, actions
pétitoires (action négatoire de servitude, action hypothécaire…), actions possessoires…
Si le bien étudié n’entre pas dans l’une de ces trois catégories, c’est qu’il doit être qualifié de
meuble.
B. Les meubles
Par définition, le meuble est ce qui est mobile : le critère est la mobilité. Mais il faut aussi
tenir compte de la règle essentielle selon laquelle ce qui n’est pas immeuble est meuble. En ce
sens, il faut faire entrer dans cette catégorie tout ce qui ne peut pas être immeuble : le critère de
mobilité passe parfois au second plan. Selon l’article 527 c.civ., « les biens sont meubles par leur
nature, ou par détermination de la loi ». Il existe deux catégories légales de meubles : les meubles
par nature
(1) et les meubles par détermination de la loi (2). La jurisprudence a ajouté une troisième
catégorie, celle des meubles par anticipation (3).
Dans la rédaction du Code civil issue de 1804, le critère de mobilité avait déjà une place
prépondérante : il permettait de distinguer les choses animées, correspondant aux animaux, et les
choses inanimées. Puis progressivement, même si le critère de mobilité est resté fondamental, il a
été choisi d’établir une distinction au sein même de la mobilité : soit le meuble a une faculté
intrinsèque de se déplacer (ce sont les animaux), soit le meuble n’a qu’une faculté extrinsèque de
se mouvoir, il doit être actionné par une force extérieure (ce sont les choses inanimées).
a) Les animaux
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Les animaux ne sont pas toujours des meubles : il ne faut pas oublier qu’en vertu de l’article 524
c.civ., ils peuvent être des immeubles par destination lorsqu’ils sont attachés au service et à
l’exploitation d’un fonds. Dans tous les autres cas, ils sont traités comme des biens meubles par
nature.
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En savoir plus : Le droit connaît d’importantes évolutions sur ce point
La véritable qualification juridique des animaux est parfois discutée :
A l’opposé, certains textes confirment que l’animal est un bien meuble par nature :
• la loi n°99-5 du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux ou errants a confirmé que les
animaux ont une nature mobilière (c’est elle qui a modifié la rédaction de l’article 528 c.civ.,
qui était inchangée depuis 1804) ;
• une directive européenne du 25 mai 1999 relative aux animaux domestiques, transposée en
droit français par l’ordonnance du 17 février 2005 confirme, au sein du code rural (art. L.213-
1
c. rural) que l’animal est un bien meuble corporel.
Cependant, la discussion n’est pas close. Le 10 mai 2005, un rapport sur le statut juridique de
l’animal a été remis par Mme Suzanne Antoine au Garde des Sceaux, proposant de prendre en
compte la qualité « d’être sensible » de l’animal. Pour la majorité des auteurs, il n’est pas
nécessaire de modifier les catégories existantes. Il suffirait soit d’inclure à l’article 516 c.civ. (qui
précise que tous les biens sont meubles ou immeubles) un alinéa spécifique aux organismes
vivants (v. par ex. N. Reboul-Maupin, « Droit des biens », HyperCours Dalloz, 3e éd., 2010, n°70),
soit de créer un droit des biens spéciaux parallèle à la théorie classique du droit des biens.
À l’heure actuelle, nonobstant ce débat doctrinal, les animaux sont des meubles par nature dans
tous les cas où ils ne sont pas immeubles par destination.
• les « meubles meublants » de l’article 534 c.civ. Ce sont ceux qui sont destinés à l’usage
et à l’ornement des appartements, par exemple les tapisseries, lits, sièges, glaces… et autres
objets de cette nature. L’alinéa 2 précise que les tableaux et les statues sont également des
meubles meublants, sauf lorsqu’ils forment des collections qui se trouvent dans des galeries
ou des pièces particulières ;
• les fluides, le gaz, le courant électrique… Il est ainsi possible de reconnaître le vol
d’électricité, ce qui suppose de reconnaître au préalable qu’il s’agit bien d’un meuble (Cass.
crim., 8 janvier 1958, J.C.P. éd. G. 1958, II, 10546, obs. Delpech) ;
• les meubles de l’article 531 c.civ. Il s’agit des engins flottants et des usines non fixées par
des piliers et ne faisant pas partie de la maison (par exemple les moulins, lavoirs, piscines
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flottantes). On assimile aux engins flottants les engins volants tels que les aéronefs, avions…
Ces engins font l’objet d’une immatriculation administrative obligatoire, afin de les localiser :
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on leur applique un régime particulier de saisie et de publicité, mais ils conservent leur statut
mobilier ;
• les meubles de l’article 532 c.civ. Ce sont « les matériaux provenant de la démolition d’un
édifice, ceux assemblés pour en construire un nouveau » : ils sont meubles jusqu’à ce qu’ils
soient employés par l’ouvrier dans la construction. Mais si la démolition est programmée dans
un avenir certain (par exemple une démolition judiciairement ordonnée), les matériaux, qui
forment encore un immeuble par nature, deviennent des meubles par anticipation.
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2. Les meubles par détermination de la loi
Ils sont désignés aux articles 529 et 530 c.civ. : ce sont des biens qui sont « ameublis » par la loi
et qui constituent des créances, comme les « obligations et actions qui ont pour objet des sommes
exigibles ou des effets mobiliers, les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de
commerce ou d’industrie (…) rentes perpétuelles ou viagères, soit sur l’Etat, soit sur les
particuliers ». Ce sont des biens incorporels, qui constituent des créances portant sur un
meuble. On trouve ainsi les droits et actions portant sur un meuble, les créances de somme
d’argent, les actions et parts sociales, les droits intellectuels tels que les droits d’auteur ou les
fonds de commerce…
Pour que l’immeuble soit considéré comme un meuble par anticipation, trois conditions doivent
être remplies :
• il faut l’intention des parties de séparer le bien du sol ou du bâtiment, autrement dit de
mobiliser l’immeuble et de l’en séparer distinctement du support ;
• il faut démontrer le caractère sérieux et réel de cette intention : la volonté doit être certaine
et non fictive, car elle réaliserait peut-être alors une fraude aux droits des créanciers inscrits
sur l’immeuble. L’intention anticipe une séparation certaine ;
• la séparation devra se faire dans un bref délai, court et déterminé.
Si l’immeuble remplit ces conditions et peut être considéré comme un meuble par anticipation,
alors les opérations juridiques portant sur ce bien suivent la même qualification.
Exemple
La vente d’arbres à abattre est une vente mobilière.
Cette distinction principale entre immeuble et meuble est nécessaire afin de fixer le régime
juridique applicable, mais elle n’est pas suffisante. C’est pourquoi elle doit être complétée par des
classifications secondaires.
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Puis progressivement, la catégorie des biens incorporels a « explosé », avec l’ère du virtuel,
de l’immatériel, la montée en puissance des actions de sociétés, des fonds de commerce,… qui
constituent parfois des biens de grande valeur. Aujourd’hui la distinction tend à acquérir, à côté de
la distinction entre meuble et immeuble, un statut de distinction essentielle. Qu’en est-il en pratique
?
• les biens corporels sont les biens qui peuvent être appréhendés physiquement par
l’homme : on peut les voir, les toucher, les saisir. Ce sont les biens tangibles, qui peuvent
être saisis par l’homme ;
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Exemple
Une table, une assiette, un fauteuil…
• les biens incorporels sont nécessairement des créations humaines, qui ne peuvent
être concrètement, physiquement appréhendées. Un bien incorporel n’existe que par le
droit et est lui-même un droit.
Il n’existe que par son utilité économique, acquise grâce aux droits qu’une personne exerce sur
le bien. Concrètement, les biens incorporels sont tous les droits portant sur des biens corporels
(par exemple l’usufruit, l’hypothèque…), les actions en justice et les droits détachés de tout
support matériel, c’est-à-dire les propriétés intellectuelles ou industrielles qui n’ont pas pour objet
une chose physique.
Exemple
Les actions et parts de société, les offices ministériels, les fonds de commerce, les droits sur la clientèle civ
On parle de bien fongible ou de chose de genre lorsque les choses sont équivalentes entre
elles, lorsqu’elles sont interchangeables.
Exemple
On peut indifféremment prendre n’importe quel livre d’une même édition dans une pile à la librairie, ou n’impo
La monnaie est le bien fongible par excellence. Selon l’article 1585 c.civ., les choses de genre sont
celles d’une espèce, non individualisée, qu’il faudra isoler avant de les vendre (les compter, les
peser, les mesurer : une stère de bois, 10 litres d’huile…).
On parle à l’inverse de bien non fongible ou de corps certain lorsque le bien est particulier,
individualisé par sa nature ou par le choix qui est fait.
Exemple
Il s’agit par exemple d’une œuvre d’art, d’un cheval choisi et individualisé par son acheteur…
Mais il est parfois possible de tenir compte de la volonté des parties : elles peuvent rendre
fongibles des choses qui naturellement ne le sont pas, en faisant abstraction de certaines de leurs
qualités. Par exemple, les animaux peuvent être individualisés ou fongibles selon l’intention des
parties.
Les biens consomptibles sont ceux qu’on ne peut utiliser qu’en les détruisant,
physiquement ou juridiquement, et qui vont faire l’objet d’un usage unique. Ce sont les biens
périssables.
La destruction peut être physique, comme pour les produits alimentaires, ou juridique : l’argent est
détruit, aliéné par son usage.
Les biens non consomptibles sont ceux qui supportent l’usage, l’utilisation, sans se
détruire, une utilisation répétée même s’ils s’abîment peu à peu et perdent de leur valeur, tels un
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appartement ou une voiture. Ce sont les biens persistants.
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Une catégorie intermédiaire a progressivement émergé, celle des biens dits de consommation,
qui se dévalorisent par l’usage et la vétusté, sans qu’il y ait une destruction immédiate. Cette
qualité est prise en compte par le droit fiscal, avec la notion d’amortissement. Le Code civil y fait
également allusion à l’article 589 en mentionnant l’usufruit des « choses qui, sans se consommer
de suite, se détériorent peu à peu par l’usage ».
L’intérêt de la distinction réside dans le droit des restitutions : les choses consomptibles, qui
ont été consommées, doivent faire l’objet d’une restitution en valeur, tandis que les choses non
consomptibles, qui ont été prêtées ou louées, pourront être restituées en nature.
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D. Les biens publics et les biens privés
Le critère de distinction est ici l’appropriation des biens. La distinction entre droit privé et droit
public est applicable aux biens, comme le précisent les articles 537 à 542 c.civ. La libre disposition
gouverne les biens appartenant aux personnes privées, tandis que les biens publics, appartenant
à l’Etat, aux collectivités publiques et aux personnes publiques sont en principe indisponibles.
Le domaine public comprend les biens meubles et immeubles affectés à un intérêt général sur
lesquels les personnes publiques ont un droit particulier de propriété. Le critère essentiel est
l’intérêt général, ou une activité d’intérêt général. Les biens du domaine public sont en principe
indisponibles, inaliénables et imprescriptibles. Il s’agit des biens qui font l’objet d’une affectation
actuelle à l’usage public (musées, stations de métro, hôpitaux publics) et des biens qui font l’objet
d’un aménagement pour l’exploitation actuelle d’un service public, comme les voies routières,
voies ferrées, cimetières… (Civ., 7 novembre 1952, S.1952, I, p.173).
Le domaine public comprend le domaine maritime naturel (sol et sous-sol de la mer territoriale,
rivage de la mer…), le domaine fluvial, le domaine aérien, les voies terrestres, les ouvrages
affectés à l’usage public et les biens affectés aux services publics.
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Les res nullius Les res communes Les res derelictae
Ce sont les choses Choses communes, elles Ce sont des choses qui
qui n’ont jamais été sont à tous et nul ne peut ont été appropriées mais
appropriées mais qui se les approprier, mais qui ne le sont plus car
sont susceptibles d’avoir l’usage en est commun à elles ont été
un propriétaire un jour, tous, en vertu de l’article abandonnées, avec
comme les animaux 714 c.civ. Il s’agit de l’air, de l’intention de s’en séparer
sauvages, les poissons, l’eau de la mer, de la (les détritus). Ce ne sont
l’eau pluviale… Ce sont des lumière, de la chaleur donc pas les choses
choses sans maître, qui solaire… perdues, pour lesquelles
peuvent faire l’objet d’une il n’existe pas d’intention
appropriation dès lors que de les abandonner.
ces choses ne sont pas Certains abandons sont
dans une propriété privée interdits par la loi dans
ou qu’elles ne sont pas l’intérêt public : objets
attribuées à l’Etat. polluants ou dangereux.
L’abandon est alors source
de responsabilité, en
application des règles du
droit de l’environnement.
Conclusion : l’avant-projet de réforme du droit des biens
Avant d’entamer l’étude proprement dite des droits portant sur ces biens, il est important d’examiner rapideme
À l’heure actuelle, ce projet n’a pas encore été adopté mais il est en cours d’étude. Il est donc impératif d’e
Le projet vise à réformer le Livre II du Code civil, intitulé « Les biens ». L’un des objectifs poursuivis a été de p
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Il existe trois grandes lignes directrices :
29
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Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 2 : La propriété individuelle : la notion de droit de propriété
Section 1. Propos introductifs................................................................................................................ p. 2
1
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Les biens sont les choses susceptibles d’appropriation : ils peuvent faire l’objet de droits, qui
permettent à la personne d’avoir sur eux un pouvoir direct et immédiat.
Après quelques propos introductifs (Section 1), cette notion de droit de propriété devra être
précisée à travers trois points successifs : quels sont les attributs du droit de propriété ? (Section
2) ; quels sont les caractères du droit de propriété ? (Section 3) ; et enfin quelle est l’étendue
du droit de propriété ? (Section 4).
• Le droit réel : il peut être défini comme le droit qui met immédiatement et directement
une personne en relation avec une chose ; il relève du droit des biens. C’est un lien entre
une personne, sujet de droit, et un bien, objet de droit. Le droit réel principal est le droit de
propriété. Le droit réel a un caractère absolu : il est opposable à toute personne, erga omnes
(sous réserve de l’accomplissement de certaines formalités, notamment de publicité). Le
nombre de droits réels est en téhorie défini, limité : seule la loi peut créer et reconnaître de
Remarque
nouveaux droits réels.
La Cour de Cassation adopte une position plus ouverte quant à la délimitation du nombre de droits réels. Ains
°11-16304, D.2012, 2596 : droit réel conférant le bénéfice d'une jouissance spéciale de son bien).
Avant-projet de réforme du droit des biens, proposition d’ : « le droit réel est celui qui confère à une personne
• Le droit personnel : il s’agit du droit qu’a une personne, appelée créancier, d’exiger une
prestation d’une autre personne, appelée débiteur, et qui peut être une obligation de
donner, une obligation de faire ou une obligation de ne pas faire ; il relève du droit des
obligations. C’est donc un droit de créance pour le créancier, une obligation pour le débiteur :
par exemple l’obligation pour le locataire de verser le loyer au bailleur. Le lien est ici noué
entre deux personnes, deux sujets de droit (et non entre une personne et un bien). Le droit
personnel a un caractère relatif : il ne produit d’effets obligatoires qu’à l’égard du débiteur de
la prestation, c’est-à-dire à l’égard d’une personne précise et non à l’égard de tous. Les
droits personnels sont multipliables à l’infini, il n’y a pas besoin de l’intervention de la loi tant
que la prestation respecte l’ordre public et les bonnes mœurs.
Droit réel Droit personnel
2
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Remarque
Avant-projet de réforme du droit des biens, proposition d’ : « Le droit personnel est celui du créancier d’une ob
3
UNJF - Tous droits
La distinction entre droit réel et droit personnel est critiquée par la doctrine, depuis le 19e
siècle. De manière très schématique, les principales critiques peuvent se résumer en plusieurs
mouvements :
En savoir plus : Critiques de la distinction
• 1ère critique : PLANIOL, théorie personnaliste ou subjective (fin 19e s) : tous les
droits sont personnels, il n’existe pas de rapport de droit entre une personne et un bien,
seuls deux sujets de droit peuvent nouer un lien juridique. Dès lors, les droits réels ne sont
qu’une variété des droits personnels ;
• 2ème critique : SALEILLES, théorie réaliste ou objective (fin 19e s) : tous les droits
sont réels, soit ils portent sur la valeur des choses (droit réel au sens classique), soit ils
portent sur la valeur de la prestation due par une personne à une autre personne (droit
personnel au sens classique) ;
• 3ème critique : GINOSSAR, nouvelle définition du droit de propriété (1960) : le droit
de propriété n’est pas le pouvoir d’une personne sur un bien mais une relation
d’appartenance, par laquelle un bien appartient à une personne. L’auteur parle de propriété
des créances : on est propriétaire de ce droit personnel à l’égard d’autrui ;
• 4ème critique : F.ZENATI, la propriété n’est pas un droit réel (1981) : la propriété n’est
pas un bien, c’est seulement une technique par laquelle une personne établit un rapport
privatif sur tous les biens lui appartenant.
À l’heure actuelle, certains auteurs proposent de conserver la distinction entre droit réel et droit
personnel mais d’ajouter une troisième catégorie, qui permettrait de tenir compte de situations
intermédiaires : la catégorie des droits intellectuels, comprenant les activités de l’esprit et les
activités professionnelles. Par exemple, le droit d’un auteur sur une œuvre n’est ni vraiment un
droit réel, car c’est un droit moral, ni vraiment un droit personnel, car aucune prestation n’est
exigée d’autrui. Il pourrait alors être qualifié de droit intellectuel.
Cette leçon porte uniquement sur le droit réel principal qu’est le droit de propriété, qu’il faut
aborder de manière générale avant d’étudier des points spécifiques.
Selon l’article 544 c.civ., « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la
plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par la loi ou par les règlements ».
Jurisprudence
Le droit de propriété est un droit fondamental de valeur constitutionnelle (Cons. const., 16 janvier
1982, D.1983, p.169, note L. Hamon ; Civ. 1ère, 4 janvier 1995, Bull. civ. I n°4 ; D. 1995, somm.
p.328, obs. M. Grimaldi ; J.C.P. éd. G. 1996, I, 3921, n°1, obs. H. Périnet-Marquet ; R.T.D.civ.
1996, p.932, obs. F. Zénati).
4
UNJF - Tous droits
Remarque
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 juin 2011 par la Cour de cassation d'une question prioritaire d
Il est une garantie essentielle de la liberté et des droits de l’homme ; dès lors, les limitations
apportées par le législateur ne peuvent être faites que dans l’intérêt général.
Le droit de propriété est également protégé au niveau européen : la Cour européenne des droits
de l’homme a admis qu’en reconnaissant à chacun le droit au respect de ses biens, l’article 1er de
la Convention européenne des droits de l’homme garantit en substance le droit de propriété.
Remarque
Avant-projet de réforme, proposition d’ : « la propriété est le droit exclusif et perpétuel d’user, de jouir et
Cette définition générale du droit de propriété soulève une première question : celle des attributs
du droit de propriété.
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UNJF - Tous droits
Section 2. Les attributs du droit de propriété
La propriété est un droit inviolable et sacré. Il est défini par l’article 544 c.civ. précité et précisé par
l’article 545 c.civ. : « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité
publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
Même si l’article 544 c.civ. ne mentionne que deux attributs, le droit de jouir de la chose et le droit
de disposer de la chose, il existe en réalité trois attributs qui sont réunis entre les mains du
propriétaire : le droit d’usage, l’usus (§1), le droit de jouissance, le fructus (§2) et le droit de
disposition, l’abusus (§3). Ces trois éléments sont réunis que le droit de propriété porte sur un
meuble ou un immeuble, sur un bien corporel ou incorporel.
La proposition d’article 534 c.civ. issu de l’avant-projet de réforme du droit des biens prend en
compte cet oubli et mentionne clairement les trois attributs.
6
UNJF - Tous droits
Le droit d’usage du bien connaît cependant certaines limites, c’est un droit relatif : il doit respecter
les lois et les règlements. Le propriétaire ne peut pas faire un usage du bien contraire à l’ordre
public ou à l’intérêt de la société. De plus, le droit d’usage peut parfois être restreint, comme par
exemple en cas de réquisition de logements vacants.
Exemple
Pour un exemple d'usage de la force motrice de l'eau faisant obstacle à une action en revendication de la pro
Les fruits sont tout ce que la chose produit à intervalles périodiques, sans destruction de sa
propre substance. L’article 582 c.civ. distingue trois sortes de fruits :
• les fruits naturels : ceux qui proviennent directement de la chose sans intervention de
l’homme, spontanément.
Exemple
Récoltes naturelles des prairies, fruits des arbres fruitiers
• les fruits industriels : ceux qui proviennent de l’industrie ou du travail des hommes.
Exemple
Récoltes des champs, coupes de bois, pêches des étangs…
• les fruits civils : revenus périodiques dus par des tiers auxquels le propriétaire a cédé la
jouissance de la chose moyennant rémunération.
Exemple
Loyers, intérêts des capitaux prêtés…
Les produits sont tout ce qui provient de la chose sans périodicité et qui en altèrent la substance,
comme les matériaux extraits des carrières.
7
UNJF - Tous droits
Exemple
Pierres, sable, etc.
Remarque
Avant-projet de réforme du droit des biens, proposition d’, qui clarifie les définitions :
« sauf lorsque la loi en dispose autrement : les fruits sont ce que génère un bien, périodiquement ou non, spo
8
UNJF - Tous droits
Le fructus comporte également 2 aspects :
C’est le droit de faire fructifier son bien, d’en C’est le droit inverse, celui de ne pas faire
percevoir les fruits et produits et de disposer fructifier le bien ou de ne pas percevoir les
de ces fruits et produits. fruits et produits du bien.
Exemple
Mettre un appartement en location, cultiver
un champ, etc.
En ce qui concerne les immeubles, les articles 547 à 550 c.civ. précisent que tous les fruits et les
produits du bien appartiennent au propriétaire : il s’agit d’un droit d’accession par production, qui
est une conséquence du droit de propriété.
9
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Civ. 1ère, 10 mars 1999, affaire du « café Gondrée », Bull. civ. I n°87 ; G.A.J.C. n°63 ; D. 1999,
juris. p.319, rapp. Sainte-Rose & note Agostini ; somm. p. 247, obs. Tournafond ; J.C.P. éd. G.
1999, II, 10078, note P.-Y. Gautier ; R.T.D.civ. 1999, p.859, obs. F. Zénati : « le propriétaire a
seul le droit d’exploiter son bien, sous quelque forme que ce soit » (…) « l’exploitation du bien
sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire ».
Civ. 1ère, 2 mai 2001, aff. « Assoc. Comité régional de tourisme de Bretagne », J.C.P. éd. G.
2001, II, 10553, note C. Caron ; D. 2001, juris. p.1973, note J.-P. Gridel ; R.T.D.civ. 2001, p.618,
note Th. Revet : pour accueillir la demande d’un propriétaire en interdiction de reproduction de
l’image d’un de ses biens, les juges doivent préciser « en quoi l’exploitation de la photographie
(…) portait un trouble certain au droit d’usage ou de jouissance du propriétaire ».
Ass. plén., 7 mai 2004, J.C.P. éd. G. 2004, II, 10085, note C. Caron ; D. 2004, juris. p.1545, notes
J.-M. Bruguière et E. Dreyer ; D. 2004, somm. p.2406, obs. N. Reboul-Maupin : « le propriétaire
d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; (…) il peut toutefois
s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal
». Ainsi, un propriétaire peut empêcher la diffusion de l’image de son bien, s’il réussit à
prouver que cette utilisation lui cause un trouble anormal.
Civ.1ère, 5 juillet 2005, D. 2006, juris. p.2363 : la Cour de cassation précise la notion de trouble
anormal, en exigeant que le propriétaire prouve que sa tranquillité et son intimité ont été
perturbées.
Remarque
La notion de trouble anormal peut être difficile à définir et à prouver. Un arrêt récent permet d'illustrer ce
Le propriétaire peut faire des actes matériels Le propriétaire peut conserver son bien,
de destruction et des actes juridiques de ne pas le détruire ni l’aliéner, sauf
disposition. exception dans quelques hypothèses
spécifiques (expropriation, destruction forcée
de bâtiments menaçant ruine, abattre un
Exemple animal dangereux…).
Tels qu’une vente, une donation, le choix de
son successeur…
10
UNJF - Tous droits
Il existe des limites assez importantes au droit de disposer de la chose : limites tirées du droit
de l’urbanisme, nécessité d’autorisations administratives, insertion de clauses d’inaliénabilité (par
exemple lors d’une libéralité), ou jugement d’inaliénabilité (par exemple lors d’une procédure
concernant une entreprise en difficulté), ou encore inaliénabilité légale (part successorale).
11
UNJF - Tous droits
Section 3. Les caractères du droit de propriété
Le droit de propriété permet au propriétaire d’avoir la maîtrise de la chose, à travers trois
caractères principaux : le caractère absolu (§1), le caractère exclusif (§2) et la vocation à la
perpétuité (§3).
Mais absolu ne veut pas dire illimité : l’article 544 c.civ. fait référence à ces limites car le
caractère absolu du droit de propriété est soumis à la condition de ne pas en faire « un usage
prohibé par la loi ou les règlements ». Le pouvoir de maîtrise du propriétaire sur la chose n’est pas
sans restrictions : il ne peut faire que les actes matériels ou juridiques qui ne sont pas interdits.
Dans ce contexte, la multiplication des interdictions ou des restrictions imposées soit dans
l’intérêt personnel du propriétaire (régimes de protection des mineurs et des majeurs), soit dans
l’intérêt des tiers (troubles anormaux du voisinage, abus de droit), soit encore pour des raisons
d’utilité publique et d’intérêt général (urbanisme, environnement, droits des locataires), a conduit
une partie de la doctrine à se demander si l’on ne s’acheminait pas vers une réduction de ce
caractère absolu voire même vers un « décès » du droit de propriété. Il est vrai que les limites
apportées au droit de propriété font qu’il est aujourd’hui impossible d’affirmer que ce droit est
réellement un droit absolu. Il faut retenir l’idée générale, liée au caractère absolu, mais rester
conscient de ses limites en raison de la multiplication des restrictions et interdictions.
Jurisprudence
Cour européenne des droits de l’homme, 29 avril 1999, « Chassagnou et autres c. France », D.
1999, I.R. p.163 ; R.T.D.civ. 1999, p.913, obs. J.-P. Marguenaud ; R.T.D.civ. 2000, p.360, obs.
Th.
Revet ; J.C.P. éd. G. 1999, II, 10172, note J. de Malafosse ; J.C.P. éd. G. 1999, I, 175, n°3, obs.
H. Périnet-Marquet : le propriétaire dispose d’un pouvoir complet et d’un monopole sur la chose.
Dès lors, on ne peut pas imposer aux propriétaires d’une commune de laisser passer les
chasseurs sur leurs terrains.
L’exclusivité du droit de propriété signifie également que le propriétaire pourra se défendre contre
tout empiètement d’autrui sur son terrain, même si cet empiètement est minime.
Exemple
Pour un mur qui dépasse de 0,5 cm sur la propriété d’autrui : Civ. 3ème, 20 mars 2002, D. 2002, juris. p.2075
Jurisprudence
Un propriétaire peut toujours se défendre contre l’empiètement et cette action ne constitue jamais
un abus (Civ. 3ème, 7 novembre 1990, Bull. civ. III n°226) : « la défense du droit de propriété
12
UNJF - Tous droits
contre un empiètement ne saurait dégénérer en abus », même si cet empiètement peut être
qualifié de minime par les juges du fond.
13
UNJF - Tous droits
Les seules restrictions possibles sont soit acceptées par le propriétaire par un contrat, soit issues
de la loi, comme les servitudes, les règles du droit de l’environnement ou de l’urbanisme…
Une partie de la doctrine souhaite relativiser ce caractère exclusif, précisant qu’il ne vaut que pour
la propriété individuelle et entière. En effet, lorsqu’il y a une propriété collective ou un
démembrement de propriété, ce caractère disparaît.
14
UNJF - Tous droits
§3. La vocation à la perpétuité
Il est traditionnel d’affirmer que le droit de propriété est perpétuel. Cette règle n’est pas tout
à fait vraie, c’est pourquoi il est préférable de dire que le droit de propriété a une vocation à
durer perpétuellement, même si parfois ce n’est pas le cas. En effet, ce caractère entraîne trois
conséquences :
• 1ère conséquence : le droit de propriété se transmet aux héritiers : il ne s’éteint pas à la
mort du propriétaire. La propriété a donc un caractère héréditaire et non viager ;
• 2ème conséquence : la propriété est imprescriptible :
Elle ne se perd pas par le non-usage, si prolongé soit-il (Req., 12 juillet 1905). Le caractère
imprescriptible du droit de propriété a fait l’objet d’une consécration légale au sein de l’article 2227
du Code civil, issu de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription. Cette
imprescriptibilité fait exception au droit commun, selon lequel les droits s’éteignent par la
prescription trentenaire : ce caractère distingue le droit de propriété de tous les autres droits
patrimoniaux. La prescription extinctive, qui entraîne une extinction du droit par l’écoulement du
temps, ne s’applique pas au droit de propriété.
Jurisprudence
Civ. 1ère, 2 juin 1993, Bull. civ. I n°197 ; D. 1993, somm. p.306, obs. A. Robert : « la propriété
ne s’éteignant pas par le non-usage, l’action en revendication n’est pas susceptible de
prescription extinctive ». V. également Civ. 3ème, 5 juin 2002, D. 2003, juris. p.1461, note G.
Pillet ; D. 2003, somm. p.2044, obs. N. Reboul-Maupin ; R.T.D.civ. 2003, p.316, obs. Th. Revet ;
J.C.P. éd. G. 2003, I, 117, n°1, obs. H. Périnet-Marquet.
En réalité, cette affirmation doit être nuancée. Ce n’est pas le droit lui-même qui est
imprescriptible, mais l’action en revendication immobilière ouverte au propriétaire qui ne s’éteint
pas au bout de 30 ans. Cependant, cette position jurisprudentielle traditionnelle semble être
remise en question depuis l’adoption de la loi précitée du 17 juin 2008 portant réforme de la
prescription. Si l’article 2227 du Code civil affirme tout d’abord le caractère imprescriptible du droit
de propriété, il poursuit ainsi : « sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent
par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui
permettant de l’exercer ». Dans le même temps, l’article 2224 du même code précise que « les
actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire
d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Désormais, les
actions liées à la propriété immobilière, telles que les actions en revendication de la propriété, les
actions en bornage ou encore les actions en reconnaissance d’un droit réel (servitude, usufruit…),
sont susceptibles d’être prescrites au bout de trente ans, tandis que les actions liées à la propriété
mobilière sont enfermées dans un délai encore plus court de cinq ans. Ces nouvelles règles
suscitent une critique grandissante de la doctrine ; il reviendra aux juges de décider de leurs
applications concrètes, mais une clarification sera en tous les cas nécessaire.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens prévoit non seulement de rappeler le caractère imprescript
16
UNJF - Tous droits
Il est cependant possible de concevoir des propriétés temporaires : vente à réméré (le contrat de
vente contient une clause par laquelle le vendeur se réserve le droit de racheter la chose dans un
délai maximum de cinq ans, en remboursant à l’acquéreur le prix et les frais) ou vente sous
condition résolutoire. Ces trois caractères confèrent au propriétaire du bien une maîtrise étendue
de ce bien.
17
UNJF - Tous droits
Section 4. L’étendue du droit de propriété
L’étendue du droit de propriété doit être précisée à l’égard des meubles (§1) et des immeubles (§2).
Quelle est l’hypothèse visée, dans laquelle ces règles relatives au droit d’accession sont appliquées
?
Trois conditions doivent être réunies :
les deux biens mobiliers, appartenant à deux propriétaires différents, doivent s’incorporer ;
cette incorporation ne doit pas résulter d’une convention ;
les règles de l’, relatives à la possession mobilière (cf. leçon 4), ne doivent pas s’appliquer.
Exemple
Il s’agit par exemple de l’hypothèse dans laquelle une personne est propriétaire de pierres précieuses, qu’une
18
UNJF - Tous droits
L’accession par L’accession par L’accession par mélange
adjonction spécification
Prévue aux articles 566 Prévue aux articles 570 à Prévue à l’article 573
à 569 c.civ., elle régit 572 c.civ., elle s’applique c.civ., elle concerne la
l’hypothèse dans laquelle au cas dans lequel une réunion de plusieurs choses
deux choses appartenant personne créée une chose appartenant à des maîtres
à deux maîtres ont été mobilière nouvelle avec différents, pour en former
unies pour former un tout un matériau appartenant une autre, sans que la
mais restent séparables, à autrui, ce qui rejoint séparation soit possible.
comme dans l’hypothèse l’exemple du menuisier Chacun est alors propriétaire
précédemment énoncée des précédemment cité. Alors, du bien, en proportion de
pierres précieuses et du la propriété revient au la quantité, de la qualité et
collier. Dans ce cas, le tout propriétaire du matériel, sauf de la valeur des matières
appartient au propriétaire de si le travail a été plus appartenant à chacun d’eux.
la chose qui forme la partie important, à charge pour le Il s’agit d’un cas de propriété
principale, à charge pour propriétaire de dédommager collective (cf. leçon 8).
lui de payer à l’autre la l’autre.
valeur de la chose qui a été
unie, estimée à la date du
paiement. Pour savoir quelle
est la chose principale, les
critères d’utilité, de valeur ou
de quantité sont mobilisés.
En revanche des précisions importantes sont nécessaires en ce qui concerne les immeubles.
19
UNJF - Tous droits
§2. L’étendue du droit de propriété sur les immeubles
L’article 552 al.1 c.civ. précise que « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du
dessous
» (A). Les articles suivants donnent des précisions à propos de l’incorporation de choses à
l’immeuble en attribuant au propriétaire un droit d’accession sur ces choses (B).
Il existe cependant une limite à la propriété du dessus : l’espace est un domaine qui résiste à la
propriété individuelle.
Le propriétaire peut légalement creuser son terrain, par exemple pour faire des fouilles, ou
construire une cave, des conduits… sous réserve de respecter les règles spécifiques relatives
aux mines et les règles de police.
Remarque
Avant-projet de réforme du droit des biens, proposition de nouvel : « la propriété du sol emporte, dans les lim
Le législateur distingue deux types d’accession immobilière par incorporation au sein de l’article
546 c.civ., précité : l’incorporation est soit naturelle (1), soit artificielle (2).
1. L’incorporation naturelle
Le propriétaire du sol devient le propriétaire par accession naturelle de ce qui s’y incorpore ou s’y
dépose. Le Code civil envisage spécifiquement le cas des accroissements de terrains aux articles
556 à 563 c.civ. : les alluvions (dépôts de sédiments, tels que le sable ou des graviers, au bord
d’une rivière ou d’un fleuve), les îles ou îlots qui se forment au milieu d’un cours d’eau… Il faut
également ajouter le cas des animaux sauvages, qui passent et viennent s’installer sur le fonds du
propriétaire, à condition qu’il ne les ait pas attirés frauduleusement (article 564 c.civ.).
2. L’incorporation artificielle
20
UNJF - Tous droits
Ce type d’accession par incorporation résulte du travail de l’homme, qui par exemple construit
une maison, plante des arbres… L’article 553 c.civ. pose alors une présomption simple, qui peut
être renversée par la preuve contraire : « toutes constructions, plantations et ouvrages sur un
terrain ou dans l’intérieur, sont présumés faits par le propriétaire à ses frais et lui appartenir, si
le contraire n’est prouvé (…) ». Ainsi, tout ce qui est construit ou planté est présumé appartenir au
propriétaire du sol. Ce principe ne pose aucune difficulté lorsque le propriétaire a utilisé ses
propres matériaux et a bien construit sur son terrain. Mais deux cas de figure problématiques sont
envisagés par le Code civil : le cas dans lequel le propriétaire du sol a utilisé des matériaux ou des
plants qui appartiennent à autrui (1ère hypothèse) et le cas dans lequel le propriétaire a
construit ou planté sur le terrain d’autrui (2nde hypothèse).
21
UNJF - Tous droits
• 1e hypothèse : propriété du terrain, absence de propriété des matériaux ou des plants :
La difficulté réside ici dans un risque d’enrichissement du propriétaire aux dépens d’autrui. Selon
l’article 554 c.civ., le propriétaire du terrain doit payer la valeur des matériaux à leur propriétaire,
estimée à la date du paiement. Il peut également être condamné à des dommages et intérêts.
Dans tous les cas, le propriétaire des matériaux n’a pas le droit de les enlever : il ne peut pas
demander la démolition de l’ouvrage ou des plantations.
En conséquence, le propriétaire du sol devient propriétaire de la construction et des matériaux, qui
ne lui appartenaient pas. Il importe peu qu’il soit de bonne ou de mauvaise foi, c’est-à-dire qu’il
sache ou non que les matériaux ne lui appartenaient pas. Il ne doit cependant pas s’enrichir au
détriment d’autrui : pour éviter un tel enrichissement, il devra verser une indemnité et
éventuellement des dommages et intérêts, s’il est de mauvaise foi et qu’il a causé un préjudice
au propriétaire des matériaux.
Il existe bien un droit d’accession du propriétaire (on dit que la construction ou la plantation accède
au sol), qui fait naître corrélativement un droit d’indemnisation au profit des propriétaires des
matériaux ou des plants qui ont été utilisés. C’est la « force d’absorption du sol ».
• 2nde hypothèse : absence de propriété du terrain, propriété des matériaux ou des plants
:
Dans cette hypothèse, un tiers a construit ou planté sur le terrain d’autrui (par exemple le mari
construit une maison sur un terrain appartenant à sa femme…). Alors, si l’on faisait jouer la règle
précédente, « la force d’absorption du sol », il faudrait considérer que la construction appartient
à ce tiers sur le terrain duquel on a construit (la maison appartient à la femme), à charge pour
lui d’indemniser le constructeur. Mais cette règle a un inconvénient : le tiers n’a peut-être pas du
tout désiré cette construction et on l’obligerait à indemniser le constructeur même s’il ne veut pas
réellement devenir propriétaire ! Le législateur a donc adopté des règles spécifiques afin de tenter
de concilier les intérêts du propriétaire du sol et les intérêts du constructeur. Ces règles varient
selon que celui qui a construit est de bonne ou de mauvaise foi (en vertu de l’article 550
c.civ., est considéré comme étant de bonne foi celui qui possède comme propriétaire en vertu
d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices).
22
UNJF - Tous droits
Pour clore cette question, il est utile de donner quelques précisions sur le domaine et les
modalités d’application de l’article 555 c.civ. :
• 1ère précision : le choix entre les deux indemnités à verser appartient toujours au propriétaire
du sol. Le juge ne peut pas lui imposer un autre choix ; mais si le propriétaire ne se prononce
pas, le juge peut laisser la décision au constructeur ;
Remarque
La Cour de cassation rappelle que lorsque le constructeur est de bonne foi, l'article 555 du Code civil ne prévo
• 2ème précision : l’article 555 c.civ. ne s’applique qu’aux constructions entièrement réalisées
sur le terrain d’autrui et non aux simples empiètements. Ainsi, tout empiètement, aussi
minime soit-il, engendre la destruction, que le constructeur soit de bonne ou de mauvaise
foi. Cette solution radicale, adoptée par la Cour de cassation, est cependant critiquée par une
Remarque
partie de la doctrine, qui propose de s’appuyer sur la théorie de l’abus de droit pour limiter
Dans
le l’avant-projet de réforme
droit de démolition lorsquedu droit des biens,
l’empiètement le groupe
est minime ; de travail a pris position sur la jurispruden
Proposition d’ : « par dérogation aux articles précédents, le propriétaire victime d’un empiètement non inten
Jurisprudence
Une convention entre les parties peut régler le sort de ces constructions : Civ. 3e, 4 avril 2002,
Bull. civ. III n°82 ; D. 2002, somm. p.2507, obs. B. Mallet-Bricout ; R.T.D.civ. 2003, p.114, obs.
Th. Revet ; J.C.P. éd. G. 2003, II, 10122, note M. Keita.
Ce n’est qu’à la fin du bail que le droit d’accession joue au profit du bailleur, mais ce principe tend
à être remis en cause par une partie de la doctrine et la jurisprudence semble divisée (Civ. 3ème,
23
UNJF - Tous droits
10 novembre 2004, J.C.P. éd. G. 2005, II, 10119, note F.Roussel : le bailleur acquiert
immédiatement
24
UNJF - Tous droits
la propriété des constructions faites par le preneur. Contra : Civ.3e, 5 janvier 2012, n°10-26965,
D.2012, 217 ; D. 2012, 2129, obs. B.Mallet-Bricout ; A.J.D.I. 2012, 441, obs. A.Lévy & 504, obs.
N.Damas : pendant la durée de la location, le preneur reste propriétaire des constructions qu'il a
régulièrement édifiées sur le terrain loué. La résiliation anticipée du bail du fait de l'expropriation ne
le prive pas de son droit à indemnité pour ces constructions).
La notion de droit de propriété étant ainsi précisée quant à ses attributs, ses caractères et son
étendue, il faut ensuite en étudier les limites, objet de la leçon III.
25
UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 3 : La propriété individuelle : les limites du droit de propriété
1
UNJF - Tous droits
Le droit de propriété est présenté comme un droit absolu, exclusif et ayant une vocation à la
perpétuité. Mais il a été montré que ce droit connaît des limites, des restrictions, qui empêchent
le propriétaire d’avoir une maîtrise totale de la chose. Son pouvoir n’est donc pas absolu et il est
même, selon certains auteurs, de plus en plus réduit.
Concrètement, le droit de propriété reste un droit fort, mais limité. Il faut donc étudier ces limites. Il
est bien évident qu’il existe des limites conventionnelles : le propriétaire peut, par contrat, choisir
de limiter son droit : il loue son bien, il le partage avec d’autres, il le vend… Ces limites relèvent
soit de la propriété collective, qui sera étudiée dans les leçons 6 à 8, soit du droit des contrats
spéciaux et non du droit des biens (exemple : le bail).
Il existe deux autres types de limites : celles posées en vertu de lois ou de règlements, donc légales
(Section 1) et celles « inventées », créées par la jurisprudence dans l’intérêt des voisins (Section
2).
Remarque
Dans l’avant-projet de réforme du droit des biens, la proposition d’ reprend également cette notion : « … sous
Ces limitations légales peuvent poursuivre deux buts : soit l’intérêt général, ce sont les limites
légales d’utilité publique (§1), soit l’intérêt privé (celui des voisins), ce sont les limites légales
d’utilité privée (§2).
3
UNJF - Tous droits
B. Les limitations à la conservation des biens
L’article 545 c.civ. affirme que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour
cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
Remarque
Une rédaction identique est conservée dans l’avant-projet de réforme du droit des biens.
Le recours à cette cause d’utilité publique a justifié l’émergence de nombreux procédés qui
apportent des limites à la conservation des biens. Il y a en la matière un fort interventionnisme de
l’Etat, qui dispose de diverses voies d’action :
• Expropriation pour cause d’utilité publique : dès lors qu’il existe une cause d’utilité
publique et moyennant une juste et préalable indemnité, calculée par le juge de
l’expropriation, l’Etat et les collectivités publiques peuvent acquérir des biens privés ;
Exemple
Construction d’une autoroute, d’une voie de chemin de fer…
• Nationalisations : l’Etat s’approprie des biens ou des entreprises privées pour des raisons
de politique économique ;
• Droits de préemption : une collectivité publique peut acquérir en priorité un bien que le
propriétaire souhaite céder.
Dans tous les cas, un intérêt général doit exister pour que ces mesures puissent être utilisées.
Mais la loi prévoit également des limites d’utilité privée.
4
UNJF - Tous droits
Exemple
servitude de passage pour cause d’enclave () : lorsque le propriétaire d’un fonds ne dispose d’aucun accè
distance des plantations : ;
servitude d’égoût des toits : = le toit doit être construit de telle façon que les eaux pluviales s’écoulent sur
vues sur la propriété des voisins : = un voisin ne peut pas, sans le consentement de l’autre, pratique
La loi peut également imposer des obligations réciproques aux voisins, comme le bornage.
B. Le bornage
Le bornage se définit comme la délimitation territoriale de la propriété : il permet de matérialiser
la séparation entre deux fonds. Il n’existe pas de réelle définition donnée par le législateur.
5
UNJF - Tous droits
Remarque
Avant-projet de réforme du droit des biens, proposition de définition du bornage dans l’ : « le bornage est l
Selon l’article 646 c.civ., « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés
contiguës. Le bornage se fait à frais communs ».
Remarque
Au sein de l’avant-projet de réforme du droit des biens, la proposition d’ reprend le même principe mais ajou
Cette obligation disparaît lorsque les fonds sont séparés par une frontière naturelle : rivière, fossé.
Le bornage n’est pas obligatoire en tant que tel ; simplement, dès que le propriétaire d’un fonds le
demande, le propriétaire du fonds contigu doit procéder au bornage : le droit donne alors
naissance à une véritable obligation. Le bornage nécessite impérativement des fonds contigus
(Civ. 3ème, 16 janvier 2002, Bull. civ. III n°8). Les frais sont partagés.
Le bornage peut être amiable (par convention) ou judiciaire. Dans les deux cas, il est seulement
déclaratif : ce n’est pas un acte translatif de propriété, il se contente de fixer la séparation entre
deux fonds ; mais il est définitif. Le bornage ne permet pas de faire la preuve de la propriété
immobilière (Civ. 3ème, 27 novembre 2002, Bull. civ. III n°242 ; D. 2003, somm. p.2405, obs. N.
Reboul-Maupin) et il ne fait pas obstacle à l’action en revendication immobilière (Civ. 3ème, 10
novembre 2009, Bull. civ. III n°249 ; D. 2009, 2806 ; J.C.P. éd. G. 2010, 336, n°6, obs. H. Périnet-
Marquet) (cf. leçon 5).
Remarque
Le procès-verbal signé par une seule des indivisaires, usufruitière du fonds objet de la délimiation, vaut borna
°11-24602, D.2012, 2657.
C. La clôture
La clôture permet la délimitation matérielle de la propriété immobilière. Elle est en principe
facultative, mais elle peut devenir obligatoire en milieu urbain.
Il existe un droit de clôture énoncé à l’art. 647 c.civ. : « tout propriétaire peut clore son héritage »,
sauf exception en cas de servitude légale. La rédaction de ce texte qui parle « d’héritage » montre
l’origine rurale et individualiste de la propriété. Ce droit de clôture ne doit pas être utilisé en vue
de nuire à autrui et ne doit pas constituer un trouble de voisinage (sinon, le juge peut ordonner sa
destruction).
Il existe parfois une obligation de clôture, en milieu urbain, énoncée à l’art.663 c.civ. : « Chacun
peut contraindre son voisin, dans les villes et faubourgs (…) » à se clore. Le texte précise la
hauteur de la clôture, sauf convention, règlements et usages locaux contraires.
En principe, les frais incombent au propriétaire actuel. Mais la clôture peut être édifiée à frais
communs, lorsqu’elle est mitoyenne : elle appartient alors aux deux propriétaires (cf. leçon 7).
6
UNJF - Tous droits
Remarque
Avant-projet de réforme du droit des biens, proposition d’ qui reprend ces principes en actualisant leur rédactio
7
UNJF - Tous droits
Les limites prévues par le législateur sont nombreuses, mais elles sont parfois insuffisantes pour
régler correctement les conflits entre voisins. C’est pourquoi la jurisprudence a créé de nouvelles
limites à l’usage du droit de propriété.
8
UNJF - Tous droits
Section 2. Les limites jurisprudentielles
En-dehors de ces limites textuelles, les juges, poussés par la doctrine, ont développé des théories
qui permettent d’imposer des limites au propriétaire dans l’usage de son droit. Ils ont fait en
sorte de punir « la désinvolture et l’absence d’éducation dans les rapports de voisinage »
(G.Mémeteau,
« Droit des biens », Paradigme, 3e éd., 2005, p.83), ce qui revient à consacrer dans ce domaine
particulier le devoir de respect d’autrui et de bienséance. Le propriétaire sera responsable des
dommages qu’un exercice excessif ou abusif de son droit de propriété peut causer à autrui.
Deux limitations ont été retenues : l’une en vertu de la théorie de l’abus de droit (§1) et la seconde
fondée sur les troubles anormaux de voisinage (§2).
Une définition célèbre de l’abus de droit a été donnée par Carbonnier : « sous sa forme la plus
générale, la théorie de l’abus de droit revient à dire que l’exercice d’un droit n’est pas permis et
constitue une faute, quand il ne peut avoir d’autre but que de causer à autrui un dommage » (J.
Carbonnier, « Droit civil. Tome 3. Les biens (Monnaie, immeubles, meubles) », 19e éd., Collec.
Thémis, PUF, 2000, n°167).
En théorie, le sujet est titulaire de droits. Il peut les exercer conformément à la loi, mais il
peut aussi les exercer fautivement, en commettant un abus et en nuisant à autrui : il doit
alors réparer le dommage causé par cet abus de droit.
La théorie de l’abus de droit a fait l’objet d’un débat doctrinal important. La jurisprudence ne s’est
pas embarassée de ces polémiques et a depuis longtemps entériné cette théorie.
Même s’il existait déjà des décisions des juges du fond qui appliquaient la théorie de l’abus de
droit, sa réception en jurisprudence par la Cour de cassation date de 1915.
Exemple
Colmar, 2 mai 1855 : sanction du voisin qui construit sur son toit une fausse cheminée, en face et presque co
Jurisprudence
Civ., 3 août 1915, « affaire Clément Bayard », G.A.J.C. n°62 ; D.1917, 1, 79 ; S.1920, I, p.300 :
Clément Bayard était un passionné de ballons dirigeables, qu’il construisait dans son hangar.
Pour les faire décoller, il avait besoin d’un grand espace et il était obligé de les faire passer sur le
terrain de son voisin. Celui-ci a alors construit sur son fonds des socles de bois sur lesquels il a
monté des piquets acérés à la seule fin de crever ces ballons. Clément Bayard a saisi les
tribunaux, faisant valoir que son voisin n’utilisait son droit de propriété que pour lui nuire et que
cette utilisation était anormale. La Cour de cassation a retenu ce raisonnement et a condamné le
voisin. Elle a souligné que le voisin n’utilisait les attributs de son droit de propriété que dans
l’unique but de nuire à un tiers et sans aucune utilité pour sa propriété.
9
UNJF - Tous droits
En savoir plus : Reproduction de l’arrêt « Clément Bayard »
Violation des articles 544 et suiv. et 552 du code civil, des règles du droit de propriété, violation par
fausse application des articles 1382 et suiv. du code civil ,violation de l'article 7 de la loi du 20 Avril
1810, défaut de motifs et de base légale,
En ce que d'une part, l'arrêt attaqué a considéré comme un abus du droit de propriété le fait par un
propriétaire de construire sur son terrain une clôture élevée, destinée à empêcher le propriétaire
du fonds voisin de pénétrer chez lui ou de tirer de son fonds un usage quelconque destiné à
rendre sa jouissance plus commode, sous le prétexte que cette construction avait été faite
uniquement dans une intention malveillante, alors qu'un propriétaire a le droit absolu de construire
sur son terrain tels ouvrages de défense ou de clôture qu'il lui plait pour éviter toute incursion sur
son terrain, et qu'il ne peut y avoir abus de droit que si le propriétaire exécute chez lui, sans aucun
profit pour lui même, un acte qui apporte un trouble au propriétaire du fonds voisin restant dans les
limites de sa propriété, ce qui n'était aucunement le cas.
Et en ce que d'autre part, l'arrêt n'a rien répondu à la théorie de droit ainsi formulée dans le
dispositif des conclusions d'appel. PAR CES MOTIFS et tous autres à produire, déduire ou
suppléer, l'exposant conclut à ce qu'il plaise à la Cour de Cassation : Casser l'arrêt attaqué avec
toutes les conséquences de droit. LA COUR :
Sur le moyen de pourvoi pris de la violation des articles 544 et suivants, 552 et suivants du code
civil, des règles du droit de propriété et plus spécialement du droit de clore, violation par fausse
application des articles 1388 et suivants du code civil, violation de l'article 7 de la loi du 20 avril
1810, défaut de motifs et de base légale.
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué que Coquerel a installé sur son terrain attenant à celui de
Clément-Bayard, des carcasses en bois de seize mètres de hauteur surmontées de tiges de fer
pointues ; que le dispositif ne présentait pour l'exploitation du terrain de Coquerel aucune utilité et
n'avait été érigée que dans l'unique but de nuire à Clément-Bayard, sans d'ailleurs, à la hauteur à
laquelle il avait été élevé, constituer au sens de l'article 647 du code civil, la clôture que le
propriétaire est autorisé à construire pour la protection de ses intérêts légitimes ; que, dans cette
situation des faits, l'arrêt a pu apprécier qu'il y avait eu par Coquerel abus de son droit et, d'une
part, le condamner à la réparation du dommage causé à un ballon dirigeable de Clément-Bayard,
d'autre part, ordonner l'enlèvement des tiges de fer surmontant les carcasses en bois.
Attendu que, sans contradiction, l'arrêt a pu refuser la destruction du surplus du dispositif dont la
suppression était également réclamée, par le motif qu'il n'était pas démontré que ce dispositif eût
jusqu'à présent causé du dommage à Clément-Bayard et dût nécessairement lui en causer dans
l'avenir.
Attendu que l'arrêt trouve une base légale dans ces constatations ; que, dûment motivé, il n'a
point, en statuant ainsi qu'il l'a fait, violé ou faussement appliqué les règles de droit ou les textes
visés au moyen.
Par ces motifs, rejette la requête, condamne le demandeur à l'amende.
Ainsi fait jugé et prononcé par la Cour de Cassation, Chambre des Requêtes, en son audience
Jurisprudence
publique du trois août mil neuf cent quinze.
Plusieurs décisions ont ensuite retenu la théorie de l’abus de droit.
Exemple
A propos d’un rideau de fougères placé devant une fenêtre dans l’intention de nuire à son voisin : Civ. 1ère,
10
UNJF - Tous droits
Remarque
Pour une illustration plus récente : un propriétaire a besoin, pour réaliser des travaux sur le toit de sa maison,
La Cour de cassation a précisé que pour qu’il y ait abus de droit, 2 conditions cumulatives
devaient être réunies :
À l’heure actuelle, la jurisprudence facilite la preuve de l’intention de nuire, qui peut être
difficile à apporter s’agissant d’un critère psychologique : elle déduit l’existence de cette intention
de nuire du caractère nuisible de l’acte et de son absence d’intérêt légitime et sérieux, autrement
dit d’utilité, pour le propriétaire.
L’abus de droit est sanctionné par la mise en jeu de la responsabilité de son auteur,
conformément au droit commun de l’art. 1382 c.civ. : il faut démontrer une faute, un
préjudice et un lien de causalité entre eux. Le propriétaire pourra donc être condamné à une
réparation en nature, comme la destruction des ouvrages gênants et/ou en valeur.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens consacre cette jurisprudence sur l’abus de droit et propose la
L’utilisation de la théorie de l’abus de droit par la jurisprudence s’est parfois révélée insuffisante
pour régler les conflits entre voisins. Les juges ont donc élaboré une autre théorie, celle des
troubles anormaux de voisinage.
Au départ, cette théorie était fondée sur l’article 1382 c.civ., selon lequel « tout fait quelconque de
l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer
». C’est le principe de la responsabilité délictuelle.
Jurisprudence
Deux arrêts de principe ont été rendus en ce sens : Civ. 3ème, 4 février 1971, Bull. civ. III n°78&80
;
G.A.J.C. n°74-75 ; J.C.P. éd. G. 1971, II, 16781, note R.Lindon : le propriétaire ne peut pas
causer à autrui un « dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage ». La victime
est en droit d’exiger une réparation dès lors que les inconvénients excèdent cette limite.
Mais l’exigence d’une faute aurait rapidement condamné la théorie, dont l’intérêt est justement, à
l’inverse de l’abus du droit de propriété, de pouvoir sanctionner des troubles qui ne sont pas
fautifs.
Jurisprudence
La jurisprudence a donc progressivement abandonné le fondement de l’article 1382 c.civ. et a
posé un principe général du droit selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de
voisinage
» : Civ. 2ème, 19 novembre 1986, Bull. civ. II n°172.
Il s’agit d’une création jurisprudentielle, ce principe général n’est pas inscrit dans la loi. La théorie
des troubles anormaux du voisinage est désormais indépendante du droit commun de la
responsabilité civile, qu’il s’agisse de la responsabilité pour faute, de la responsabilité sans faute
du fait des choses que l’on a sous sa garde ou des personnes dont on doit répondre ou encore de
la responsabilité du fait des produits défectueux.
Jurisprudence
Sur l’indépendance vis-à-vis des autres régimes de responsabilité : Civ. 2ème, 20 juin 1990, Bull.
civ. II n°140.
La Cour de cassation a récemment rappelé que la mise en œuvre de la théorie des troubles
anormaux de voisinage n’était pas conditionnée par l’existence d’une faute : Civ. 2ème, 23
octobre 2003, Bull. civ. II n°318 ; D. 2004, somm. p.2467, obs. B. Mallet-Bricout ; J.C.P. éd. G.
2004, I, 125, note H. Périnet-Marquet : « le droit de propriété, tel que défini par l’article 544 du
code civil et protégé par l’article 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne
des droits de l’homme, est limité par le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble
anormal de voisinage ; (…) cette restriction ne constitue pas une atteinte disproportionnée
au droit protégé par la convention précitée ». Le caractère absolu du droit de propriété est une
fois de plus remis en cause : il peut être limité si cette atteinte est proportionnée.
La doctrine contemporaine n’est pas fixée quant au réel fondement de ce principe selon lequel nul
12
UNJF - Tous droits
ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage : est-ce la responsabilité sans faute fondée
sur la théorie du risque (celui qui tire profit d’une activité dommageable doit réparer les dommages
causés) ? est-ce une obligation légale de voisinage ? est-ce la théorie de la garantie (chacun a
droit à la sécurité et à une certaine qualité de vie) ? est-ce le rattachement au seul droit des biens
13
UNJF - Tous droits
en prenant en compte le rapport entre deux fonds ? La question n’est pas tranchée et continue de
susciter la controverse.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens prend en compte cette création jurisprudentielle et propose d’i
Le principe étant fixé, la jurisprudence a ensuite défini les caractères que devait remplir ce trouble
anormal pour pouvoir être pris en compte et faire l’objet d’une sanction.
14
UNJF - Tous droits
• 2ème conséquence : la qualité de l’auteur du trouble est indifférente : il peut s’agir du
propriétaire du fonds, d’un copropriétaire (Civ. 3ème, 20 février 1973, R.T.D.civ. 1974, p.610,
obs. G. Durry), du locataire de l’immeuble (Civ. 2ème, 19 février 2009, Bull. civ. II n°56 ;
J.C.P. éd. G. 2009, II, 10053, note O. Salati) ou encore de l’entrepreneur qui effectue des
travaux sur le fonds du propriétaire voisin (il est alors « voisin occasionnel »). Il peut
également s’agir de l’auteur direct : celui qui fait du bruit, qui pollue…, ou de l’auteur indirect :
par exemple, le propriétaire d’un appartement donné en location peut être condamné à
réparer le dommage résultant d’un trouble de voisinage créé par son locataire, et ce même
s’il a mis en demeure son locataire de cesser les nuisances (Civ. 3ème, 17 avril 1996, Bull.
civ. III n°108 ; J.C.P. éd.
G. 1996, I, 3972, n°7, obs. H. Périnet-Marquet ; R.T.D.civ. 1996, p. 638, obs. P. Jourdain). Le
propriétaire peut de même être condamné solidairement avec l’entrepreneur qui réalise des
travaux sur son fonds (Civ. 3ème, 11 mai 2000, D. 2001, somm. p. 2231, obs. P. Jourdain).
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend cette jurisprudence et l’entérine au sein de la propositi
Les juges exigent également que le trouble dépasse les inconvénients normaux de voisinage. Ils
doivent identifier un trouble anormal : comment le définir ?
2. Un trouble anormal
Il est difficile de cerner ce qu’est un trouble anormal : où commence l’anormalité ? N’importe quelle
nuisance ne suffit pas, il existe des inconvénients normaux de voisinage que tout le monde doit
supporter et subir sans pouvoir en demander réparation. Ce n’est que si le trouble devient anormal
15
UNJF - Tous droits
que le juge peut s’en saisir pour indemniser la victime.
16
UNJF - Tous droits
Le principe est que l’appréciation du caractère anormal du trouble relève du pouvoir souverain des juges
17
UNJF - Tous droits
Pour apprécier le caractère anormal du trouble, les juges utilisent 2 critères cumulatifs :
• un critère de fréquence : les troubles de voisinage supposent une certaine répétition (Civ.
2ème, 5 février 2004, Bull. civ. II n°49, D. 2004, somm. p.2468, obs. N. Reboul-Maupin). Les
exemples sont nombreux : bruit, privation d’ensoleillement, obstruction de la vue, chant d’un
coq… Il doit s’agir de troubles durables, persistants, ou se produisant à intervalles réguliers,
mais pas forcément permanents ;
• un critère de gravité : le trouble doit être suffisamment grave, en tenant compte des
circonstances de temps et de lieu : par exemple, le bruit est-il produit la nuit ou le jour ?
s’agit-il d’un environnement urbain ou rural ? La pollution a-t-elle lieu en zone résidentielle ou
industrielle ? Ces éléments doivent permettre de constater un dépassement de la norme de
tolérance.
Jurisprudence
Une perte d’ensoleillement notable entraînant, selon l’expert, une diminution de la valeur du bien
d’environ 25% est un trouble grave (Civ. 3ème, 14 janvier 2004, Bull. civ. III n°9 ; D. 2004, juris.
p.2410, obs. B. Mallet-Bricout).
En pratique, les faits retenus comme causant des troubles de voisinage sont très divers. De plus
en plus se développe un droit à la qualité de la vie, à la protection de l’environnement, et même
un droit au repos et un droit à l’esthétique environnementale avec la notion de préjudice visuel ou
esthétique, surtout en milieu rural. Il existe également un impératif de protection du paysage, qui
prend une dimension internationale.
La jurisprudence est abondante et parfois pittoresque ! A titre d’illustration, deux arrêts concernant
le bruit émis par des poules ou des coqs peuvent être cités, en raison notamment de l’humour dont
les juges ont fait preuve en la matière…
18
UNJF - Tous droits
Exemple
Exemple contraire : CA Bordeaux, 29 février 1996 = « le chant d’un coq qui s’exerce sans discontinue
Au-delà de l’aspect pittoresque de ces décisions, on voit bien quelles difficultés rencontrent les
juges pour évaluer le caractère normal ou anormal du trouble. Ce n’est que dans le second cas
que ce trouble pourra faire l’objet d’une sanction.
Le juge ordonne des travaux pour réparer Le juge octroie à la victime des dommages
le trouble, la cessation des activités et intérêts, lorsque la réparation en nature
dommageables, voire la démolition de n’est pas possible ou insuffisante. Il ne répare
l’ouvrage. Exemples : travaux d’isolation que ce qui est anormal, au-delà du seuil de
phonique, démolition d’un mur… normalité.
Il existe une cause d’exonération possible spécifique (en plus du cas traditionnel de force
majeure) : la « pré-occupation » ou occupation antérieure. Le trouble est-il anormal lorsque le
voisin victime s’est mis en situation de le subir en venant s’installer à proximité de la source du
dommage ? Pour la jurisprudence, lorsque l’activité potentiellement nuisible s’exerce et se poursuit
conformément aux lois et règlements et qu’elle préexiste à l’installation de la victime, elle ne
constitue pas un trouble anormal de voisinage : celui qui vient s’installer dans une zone créatrice
de nuisances sait à quoi il s’expose.
Exemple
Proximité d’un aéroport, d’une usine bruyante…
Les juges retiennent cependant une appréciation restrictive de la théorie de la pré-occupation (cf.
article L.112-16 du code de la construction et de l’habitation).
19
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Civ. 3ème, 27 avril 2000, Bull. civ. III n°92 : les nuisances provoquées par une scierie qui était
déjà en activité lorsque les nouveaux propriétaires se sont installés à proximité ne constituent
pas un trouble anormal de voisinage.
Remarque
Le Conseil constitutionnel a validé la constitutionnalité de l'article L.112-16 du Code de la construction et de l'h
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens prend en compte, de manière partielle, cette théorie de la pré-oc
La jurisprudence semble avoir créé une nouvelle limite au droit de propriété, en utilisant le principe
de précaution.
20
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Civ. 3ème, 3 mars 2010 (Bull. civ. III n°53 ; J.C.P. éd. G. 2010, n°24, p.1229, note D. Tapinos ;
J.C.P. éd. G. 2010, chron.1162, n°9, obs. H. Périnet-Marquet ; D. 2010, p.2186, obs. N. Reboul-
Maupin ; D. 2010, p.706, obs. G. Forest).
L’affaire soumise à la Cour de cassation était la suivante : une personne est propriétaire d’un
terrain riverain d’une source d’eaux minérales naturelles exploitée par une société d’économie
mixte. Elle fait réaliser un forage sur son terrain pour l’arrosage de son jardin. La société qui
exploite la source agit en justice pour obtenir la fermeture du forage. Elle agit sur un double
fondement : l’abus du droit de propriété et la violation du principe de précaution.
Dans son arrêt, la Cour de cassation rejette les deux fondements. Mais sur le plan des principes,
cela signifie qu’elle accepte d’appliquer le fondement de la violation du principe de précaution,
même si c’est ensuite pour le rejeter en pratique, eu égard aux circonstances de l’espèce. Le
principe de précaution est en théorie susceptible de constituer une nouvelle limite au droit de
propriété.
La Cour de cassation rejette l’abus de droit car il n’y a aucune intention de nuire, en l’absence de
dommage causé à l’exploitant.
Elle rejette ensuite le principe de précaution après avoir examiné son application directe à
l’espèce. Pour que ce principe puisse être retenu, quatre conditions doivent être réunies en vertu
de l’article L.110-1, II, 1° du code de l’environnement : un risque de dommage, une incertitude
scientifique pesant sur sa réalisation, la gravité du dommage encouru et le caractère irréversible
du dommage encouru. Or en l’espèce, les juges estiment qu’il n’y avait pas de risque avéré ni
même suspecté car l’expert avait formellement exclu tout risque de pollution des eaux.
L’apport de cet arrêt est le suivant : les juges acceptent désormais de contrôler l’application
du principe de précaution et ce principe pourrait devenir une nouvelle limite importante au
droit de propriété. « Après l’abus et l’excès, c’est le danger potentiel qui viendrait limiter l’usage
du droit de propriété » (N. Reboul-Maupin, note sous Civ.3e, 3 mars 2010, D. 2010, p. 2187). Il
faudra surveiller sur ce point l’évolution de la jurisprudence.
L’étude de la propriété individuelle doit maintenant être poursuivie par l’examen des modes
d’acquisition du droit de propriété, sujet de la leçon n°4.
21
UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 4 : La propriété individuelle : les modes d’acquisition de la propriété
1
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Le Code civil consacre un livre entier, le livre 3e, aux « différentes manières dont on acquiert la
propriété ». Ainsi, les articles 711 et 712 c.civ. précisent que la propriété des biens s’acquiert et se
transmet par succession, par donation entre vifs ou testamentaires, par l’effet des obligations, ainsi
que par accession, incorporation et prescription. L’énumération est précise et technique.
Deux modes d’acquisition de la propriété sont encore à examiner : l’acquisition par convention, en
vertu d’un acte juridique (Section 1) et l’acquisition par prescription, liée à la possession du bien
pendant une certaine durée (Section 2).
Avant d’étudier ces deux modes d’acquisition, il faut apporter quelques précisions quant à un
mode d’acquisition originaire de la propriété, lorsque la personne devient propriétaire sans
l’intermédiaire d’un ayant droit, qui est l’occupation. Il est possible d’acquérir la propriété d’une
chose en l’occupant. L’occupation se définit alors comme l’appréhension effective d’une chose qui
n’appartient à personne. Il s’agit d’un cas particulier, lorsque la chose n’est pas ou plus appropriée.
L’occupant prend alors le statut de propriétaire.
Le droit d’occupation ne peut s’appliquer qu’aux meubles, dans 2 hypothèses :
1ère hypothèse : meubles non encore appropriés : il est possible d’acquérir par l’occupation la
propriété des choses sans maître, les res nullius. Cela ne vaut que pour les meubles : il n’existe
pas d’immeuble sans maître. En effet, lorsqu’il n’y a pas de propriétaire, l’immeuble appartient à
l’Etat : on dit que la succession est dévolue à l’Etat. Cette règle vaut aussi pour les meubles qui
font partie d’une succession vacante. Le domaine d’application est donc assez restreint.
Exemple
En pratique, il s’agit le plus souvent des produits de la chasse ou de la pêche. Le chasseur ou le pêcheur acq
2nde hypothèse : meubles ayant cessé d’être appropriés : il est également possible d’acquérir
par l’occupation les meubles qui ont cessé d’être appropriés. Concrètement, cela concerne trois
cas de figure :
Comme indiqué précédemment, deux modes d’acquisition doivent être étudiés : l’acquisition de la
propriété en vertu d’un acte juridique (Section 1) et l’acquisition de la propriété par l’effet d’une
possession (Section 2).
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Section 1. L’acquisition de la propriété par un acte juridique
Il est possible d’acquérir la propriété d’un bien par convention : vente, échange, apport en
société, donation… Cette convention peut être à titre onéreux ou à titre gratuit. Deux règles
s’appliquent dans ce cas de figure : le principe nemo plus juris, en vertu duquel on ne peut pas
transférer plus de droit qu’on en a soi-même (A) et le principe du transfert solo consensus, qui
implique le transfert immédiat de la propriété dès l’échange des consentements (B).
Ainsi, seules les choses aliénables, qui sont dans le commerce juridique, peuvent être acquises
par un acte juridique : c’est le principe (A) ; il existe cependant une exception liée à la théorie
de la propriété apparente (B).
A. Le principe
Seuls les biens faisant partie du commerce juridique peuvent être acquis.
Cependant, certains biens, par principe aliénables, font parfois l’objet d’une clause d’inaliénabilité.
Si le bien est un immeuble, il faudra effectuer des mesures de publicité afin que la clause soit
opposable
Exemple aux tiers.
Une personne consent une libéralité à un enfant, sous condition que le bien soit plus tard transmis par cet enf
Pour que cet adage soit appliqué, deux conditions cumulatives doivent être réunies :
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L’acquéreur doit être de bonne foi L’erreur doit être commune et invincible
Il faut qu’au moment de l’acquisition, il Il faut une croyance générale que le vendeur
ait réellement cru traiter avec le véritable était le véritable propriétaire. Les juges ne se
propriétaire. Cette bonne foi est présumée : contentent pas d’une croyance individuelle,
c’est au propriétaire originaire de prouver la l’erreur doit être invincible, légitime et
mauvaise foi s’il veut récupérer son bien. partagée entre le vendeur lui-même et
l’acheteur.
Exemple
Civ. 1ère, 1er avril 1963 : une personne reçoit un immeuble en donation. Pour garantir un prêt, elle concède u
Un second principe doit être appliqué lors de l’acquisition de la propriété par un acte juridique : le
principe du transfert de propriété solo consensus.
A. Le principe
Le principe est celui d’instantanéité du transfert de propriété : par le seul échange des consentements, il y a tr
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Remarque
Cette règle n’a pas toujours existé en droit français. À l’origine, l’échange des consentements n’était pas suffis
Ce sont les rédacteurs du Code civil qui ont adopté cette règle en 1804 et qui l’ont intégrée à l’art. 1138 : « l’o
La question qui se pose alors est de savoir sur qui pèsent les risques, car le principe est que
les risques sont transférés en même temps que la propriété. En effet, selon l’article 1138 al.2
c.civ., l’obligation de livrer la chose « rend le propriétaire créancier et met la chose à ses risques
dès l’instant où elle a dû être livrée, encore que la tradition n’en ait point été faite, à moins que le
débiteur ne soit en demeure de la livrer ; auquel cas la chose reste aux risques de ce dernier ». La
« tradition », issue de l’Ancien droit, désigne la remise de la chose qui fait l’objet du contrat.
Exemple
En matière de vente, l’article 1583 c. civ. précise que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété es
Cette règle soulève de nombreuses difficultés, notamment parce que l’acheteur supporte le risque
de détérioration, de destruction ou de perte de la chose. De plus, c’est l’acheteur qui sera
responsable si la chose a causé un dommage, alors même qu’elle ne lui a pas encore été livrée.
D’où l’existence de nombreux tempéraments à ce principe d’instantanéité du transfert.
B. Les limites
Il existe deux types de limites au transfert de propriété solo consensus : tout d’abord, des limites
qui jouent dans les rapports entre les parties au contrat (1), ensuite, des limites qui jouent dans les
rapports avec les tiers au contrat (2).
Lorsque la vente porte sur une chose fongible, c’est-à-dire sur une chose interchangeable, qui
peut indifféremment se remplacer par une autre, le transfert de propriété n’est plus immédiat mais
il est retardé jusqu’à l’individualisation de la chose. Il faut que la chose soit identifiée, spécifiée,
isolée de l’ensemble. Cela vaut pour tout ce qui concerne « les ventes à la mesure » (au poids…)
et pour les choses qu’il est d’usage de goûter avant de les acquérir (huile, vin… art. 1587 c.civ.).
Il existe un autre cas particulier dans lequel la nature de la chose est à prendre en compte : c’est le
cas de la vente d’immeubles à construire. Il peut s’agir :
• soit d’une « vente à terme », auquel cas le transfert de propriété a lieu seulement lors de
l’achèvement des travaux de l’immeuble, avec un effet rétroactif au jour du contrat ;
• soit d’une « vente en l’état futur d’achèvement », qui opère un transfert immédiat de la
propriété du sol et des constructions existantes puis un transfert progressif des constructions
au fur et à mesure de leur réalisation.
Il est toujours possible pour les parties de prévoir des clauses qui permettent de retarder le
transfert de propriété, par exemple à la livraison de la chose, ou de prévoir un transfert de
propriété sous condition. Il existe en ce domaine deux types principaux de clauses :
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Les clauses de réitération Les clauses de réserve de propriété
Il existe également des limites dans les rapports avec les tiers au contrat.
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En matière immobilière En matière mobilière
Ce mode d’acquisition par acte juridique soulève en pratique peu de difficultés, excepté dans les
quelques hypothèses indiquées précédemment. En revanche, l’acquisition de la propriété par
l’effet d’une possession est souvent plus complexe.
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Section 2. L’acquisition de la propriété par l’effet d’une
possession
La possession occupe une place considérable en droit des biens car elle a de nombreuses
conséquences juridiques. Elle conserve d’ailleurs cette importance dans l’avant-projet de réforme
du droit des biens. C’est pourquoi il faut dans un premier temps définir ce qu’est la possession, ce
qui n’est pas toujours aisé (§1), avant d’en étudier les qualités nécessaires pour qu’elle soit dite
utile (§2) puis les effets juridiques lorsqu’il s’agit effectivement d’une possession utile (§3).
La possession est une relation de fait entre une personne et un bien, tandis que la propriété est
une véritable relation de droit entre une personne et un bien. La personne se comporte comme si
elle était propriétaire du bien alors que, en réalité, juridiquement, elle ne l’est pas.
Remarque
Souvent, le fait et le droit se rejoignent : le possesseur est aussi le propriétaire du bien. Mais ce n’est pas to
De manière générale, la possession peut être définie comme la « maîtrise de fait exercée sur
une chose corporelle et correspondant, dans l’intention du possesseur, à l’exercice d’un droit
réel » (Lexique des termes juridiques, Dalloz, V° « possession »). Le législateur a donné une
définition de la possession au sein de l’article 2255 c.civ. : « la possession est la détention ou la
jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou
par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom ». Face à l’imprécision de la notion, la
doctrine a proposé plusieurs définitions de la possession, dont l’avant-projet de réforme du droit
des biens tente de faire la synthèse.
La notion de possession peut être précisée à travers la présentation de ses éléments constitutifs
(A) mais également en la distinguant de ce qu’elle n’est pas, la détention précaire (B).
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Comme l’affirme le Code civil, il faut effectuer soit des actes de détention (exemple : habiter un
appartement), soit des actes de jouissance (exemple : recueillir les loyers d’un appartement).
Jurisprudence
La Cour de cassation impose de relever l’existence d’actes matériels de possession. (Civ. 3ème
30 juin 1999, Bull. civ. III n°159 ; J.C.P. éd. G. 2000, II, 10399, note L. Celerien & I, 211, n°2, obs.
H. Périnet-Marquet. V. aussi Civ.3e, 4 mai 2011, n°09-10831, J.C.P. éd. G.2011, 1298, n°5, obs.
H.Périnet-Marquet).
Ce constat appartient au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond : Civ. 3ème, 13
janvier 1999, Bull. civ. III n°12 ; J.C.P. éd. G. 1999, I, 175, obs. H. Périnet-Marquet.
Remarque
La question s’est posée de savoir si la possession pouvait s’exercer sur une chose immatérielle, sur un bien in
Cet élément matériel est nécessaire mais pas suffisant : il doit être cumulé avec un élément
psychologique, appelé l’animus.
Il est très important de bien distinguer l’animus de la bonne ou mauvaise foi, car ces deux
éléments sont totalement indépendants.
Exemple
Le voleur d’une chose est forcément de mauvaise foi, mais il peut avoir l’animus s’il a la volonté et l’intention d
La bonne ou la mauvaise foi jouera seulement pour donner ou refuser à la possession une qualité
nécessaire pour la rendre utile et lui faire produire des effets juridiques : le possesseur peut être de
mauvaise foi, mais alors il manquera une qualité nécessaire pour produire des effets de droit.
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En savoir plus : La controverse doctrinale autour du rôle de l’élément psychologique
Le rôle de cet élément psychologique a fait l’objet d’une importante controverse doctrinale. Deux théories éta
une théorie subjective, défendue par SAVIGNY (1803) : pour cet auteur, l’élément souverain et déterminant
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Il oppose l’animus domini à l’animus detinendi, intention de détenir pour autrui, qui réduit le possesseur à un
une théorie objective, défendue par IHERING (Allemand, 1891) : cet auteur fait abstraction au maximum de
Cette controverse entre doctrine française et doctrine allemande a subsisté pendant plus d’un siècle mais elle
S’agissant d’un élément psychologique, l’animus est difficile à prouver. Le législateur a souhaité
faciliter cette preuve et a mis en place des présomptions simples, qui permettent de présumer
l’intention d’agir comme propriétaire. Ces présomptions sont précisées à l’article 2256 c.civ. : « on
est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s’il n’est prouvé qu’on a
commencé à posséder pour un autre ». Ce texte implique en réalité deux présomptions simples :
Ainsi, l’animus est présumé, seul le corpus est à prouver : les juges du fond n’ont pas à
caractériser spécialement l’élément intentionnel de la possession. L’intention est déduite des
actes matériels effectués. Il s’agit cependant d’une présomption simple, qui peut être
renversée par la preuve contraire.
Il faut relier cette présomption avec celle de l’article 2257 c.civ. : « quand on a commencé à
posséder pour autrui, on est toujours présumé posséder au même titre, s’il n’y a preuve du
contraire ».
Exemple
Un locataire commence à posséder pour le propriétaire : il est présumé continuer à posséder pour celui-ci sau
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend le même principe dans sa proposition d’ : « on peut poss
Ces éléments constitutifs permettent de cerner de manière positive la notion de possession. Celle-
ci peut également être précisée en passant par une définition négative qui permet de distinguer
possession et détention précaire.
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• la possession se distingue des actes de pure faculté ou de simple tolérance : si une
personne accomplit des actes avec la permission du propriétaire par exemple, il reconnaît le
droit de ce propriétaire et ne devient pas possesseur.
Il faut étudier la définition de la détention précaire (1) avant de montrer qu’elle peut, parfois,
bénéficier de certains effets de la possession (2).
Ainsi, la personne a la détention de la chose par contrat, comme un contrat de bail ou un contrat
de dépôt. Ce contrat montre que non seulement la détention est toujours temporaire, mais
également que le détenteur reconnaît le droit de propriété d’un autre. Il détient un pouvoir de fait
sur la chose en vertu d’un titre juridique qui reconnaît le pouvoir juridique d’un autre : il ne peut y
avoir aucun animus. Ce contrat, s’il ne fait pas de la personne un possesseur, lui confère
cependant certains droits.
Exemple
Le locataire peut invoquer son contrat de bail pour s’opposer au propriétaire qui voudrait troubler sa détention
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens tente de faire entrer une définition de la détention dans le c.civ. da
Une fois le détenteur précaire identifié, encore faut-il préciser quels sont les effets juridiques
potentiels de cette détention précaire.
Exceptions : il existe deux exceptions à cette absence d’effets juridiques de la détention précaire :
l’interversion de titre et le jeu de la protection possessoire issue de l’article 2278 al. 2 c.civ.
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• 1er cas de figure : interversion de titre par une cause émanant d’un tiers : ce cas de
figure suppose que le détenteur précaire a acquis la chose d’un tiers qui se prétendait
propriétaire alors qu’il ne l’était pas. Par exemple, un locataire achète l’appartement à un tiers
qui se prétend le véritable propriétaire. Il faut, pour que ce mécanisme juridique puisse jouer,
que le détenteur précaire (l’acheteur de l’appartement) soit de bonne foi et qu’il ait modifié
son comportement (par exemple, le locataire ne paye plus les loyers). Il croit réellement être
le nouveau propriétaire alors qu’en réalité le titre de propriété n’est pas valable : il ne lui
transfère pas la propriété car il n’émane pas du véritable propriétaire. En revanche, cela lui
permet d’être considéré comme un véritable possesseur et il bénéficiera de la protection
possessoire ;
Jurisprudence
La Haute juridiction a précisé que le simple fait de ne pas payer ses loyers pendant plusieurs
dizaines d’années ne suffit pas à caractériser l’interversion de titre : Civ. 3ème, 27 septembre
2006, Bull. civ. III n°191 ; D. 2007, pan. 2494, obs. B. Mallet-Bricout ; J.C.P. éd. G. 2007, I, 117,
n°6, obs.
H. Périnet-Marquet & II, 10100, note Forest.
Dans tous les cas, c’est l’immobilisme du propriétaire, l’absence de réponse qui conduit à
l’interversion de titre et à la possibilité, pour le détenteur, de commencer à prescrire, à compter de
la date à laquelle l’interversion de titre a été portée à la connaissance du propriétaire (Civ.
3ème, 17 octobre 2007, Bull. civ. III n°180 ; J.C.P. éd. G. 2008, II, 10011, note J.-Y. Maréchal & I,
127, obs. H. Périnet-Marquet ; D. 2008, pan.2459, obs. B. Mallet-Bricout). Il est bien évident que le
propriétaire peut agir en justice pour s’opposer à cette transformation, ce qui empêche
l’interversion de titre et la transformation de la détention en possession.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend une solution identique, dans la suite de la proposition
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• 2nde exception : la protection possessoire
Depuis la loi du 9 juillet 1975, reprise par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de
la prescription en matière civile, l’article 2278 al.2 c.civ. prévoit que la protection possessoire dont
bénéficie le possesseur « est pareillement accordée au détenteur contre tout autre que celui de qui
il tient ses droits ».
Ainsi, le détenteur n’a plus à passer par le propriétaire pour mettre fin à un trouble causé par un
tiers. Cette règle permet de dépasser l’effet relatif des contrats.
Exemple
Le contrat de bail ayant un effet relatif à l’égard des tiers, le locataire ne pourrait pas l’invoquer directemen
La réunion des éléments constitutifs de la possession ne suffit pas à lui faire produire des effets
juridiques ; pour cela, il faut que la possession présente certaines qualités permettant de la
qualifier de possession utile.
Ces qualités sont énoncées à l’article 2261 c.civ. : « Pour pouvoir prescrire, il faut une possession
continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire ».
L’appréciation de ces caractéristiques relève du pouvoir souverain des juges du fond. Lorsque l’un
de ces caractères fait défaut, on dit que la possession est viciée : elle ne peut plus être qualifiée de
possession utile et ne peut plus produire d’effets de droit.
L’article 2261 c.civ. énonce six qualités : continue, non interrompue, paisible, publique, non
équivoque et à titre de propriétaire. En réalité, les conditions de non-interruption et de possession
à titre de propriétaire sont de véritables conditions d’existence de la possession. Ce ne sont pas
de simples qualités, elles font partie des éléments constitutifs mêmes et non des qualités : elles ne
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UNJF - Tous droits
sont pas traitées comme telles. Ainsi, quatre qualités doivent être étudiées : possession continue
(A), paisible (B), publique (C) et non équivoque (D).
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Jurisprudence
La possession est continue lorsqu’elle a été exercée dans toutes les occasions et à tous les
moments où elle devait l’être, d’après la nature de la chose possédée, sans intervalles anormaux
assez prolongés pour constituer des lacunes et rendre la possession discontinue (Civ., 11 janvier
1950, D.1950, p.125, note R. Lenoan ; Civ. 1ère, 3 mai 1960, Bull. civ. I n°230 ; D.1960, somm.
p.113 ; R.T.D.civ. 1960, p.689, obs. H. Solus).
Le caractère de continuité est apprécié souverainement par les juges du fond, qui tiennent
compte de la nature de la chose et procèdent au cas par cas.
Exemple
S’il s’agit d’un pâturage de haute montagne, il est normal qu’il ne soit utilisé que quelques mois par an ; de
Cette règle doit être conciliée avec le principe selon lequel la possession se conserve solo animo,
c’est-à-dire par la seule intention, même en l’absence d’actes matériels. Cependant, il a été jugé
que la possession solo animo subsiste tant qu’elle n’est pas volontairement abandonnée par le
possesseur, ni détruite par la possession contraire d’un tiers (Civ., 27 mars 1929, D.H. 1929, 250).
La violence est appréciée lors de l’entrée en possession de la chose puis pendant son cours (Civ.
3ème, 15 février 1995, Bull. civ. III n°53). Si jamais la violence cesse, la possession utile pourra
commencer. La violence peut donc n’être qu’un vice temporaire. La jurisprudence a précisé que la
violence ultérieure mise en œuvre pour défendre la possession en cours ne vicie pas la
possession (Civ. 3ème, 15 février 1968, Bull. civ. III n°54 ; D. 1968, 453 ; R.T.D.civ. 1968, p.74,
note J.-D. Bredin).
Le vice de violence est un vice relatif : il ne peut être invoqué que par celui qui en est victime et
non par les tiers, à l’égard desquels la possession demeure utile.
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Jurisprudence
Il ne doit pas y avoir de volonté de dissimulation matérielle ou juridique : Civ. 1ère, 8 mars 2005,
Bull. civ. I n°123 ; J.C.P. éd. G. 2005, I, 181, obs. H. Périnet-Marquet.
Le vice de clandestinité est un vice temporaire car il cesse dès que la possession devient
publique. C’est également un vice relatif qui ne peut être invoqué que par la personne à laquelle la
possession a été dissimulée.
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D. Une possession non équivoque
La possession doit être non équivoque : le comportement du possesseur doit manifester
clairement son intention de se conduire en propriétaire. Les tiers doivent comprendre l’intention
évidente du possesseur de se comporter en propriétaire. Une attitude équivoque affecte l’animus :
si l’on ne sait pas si la personne agit comme propriétaire, copropriétaire ou indivisaire, la
possession est viciée dans son élément intellectuel.
Exemple
C’est le cas par exemple lorsque celui qui agit est un copropriétaire, un époux marié sous le régime de la com
Jurisprudence
Civ. 1ère, 14 mai 1996, Bull. civ. I n°199 ; J.C.P. éd. G. 1996, I, n°2, obs. H. Périnet-Marquet ;
R.T.D.civ. 1998, p.408, obs. F. Zénati : la personne qui accepte d’acquérir des voitures sans se
faire remettre les cartes grises ou sans vérifier que les vendeurs les détiennent ne peut invoquer
une possession dépourvue d’équivoque.
Le vice d’équivoque est temporaire et absolu. C’est le vice le plus souvent invoqué devant les
tribunaux.
Lorsque la possession présente l’ensemble de ces qualités, elle est qualifiée de possession utile et
peut produire des effets de droit.
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Jurisprudence
L’usucapion ne s’applique qu’aux droits réels principaux : Civ. 3ème, 24 octobre 2007, Bull. civ. III
n°183 ; J.C.P. éd. G. 2008, I , 127, obs. H. Périnet-Marquet ; D.2008, pan. p.2458, obs. B. Mallet-
Bricout.
C’est le possesseur qui doit se prévaloir de l’usucapion : pour pouvoir en bénéficier, il doit
l’invoquer en justice, soit comme demandeur, soit comme défendeur. En effet, selon l’article 2247
c.civ., « les juges ne peuvent pas suppléer d’office le moyen résultant de la prescription » : ils ne
peuvent pas décider de l’appliquer eux-mêmes, ce moyen doit impérativement être invoqué par
l’une des parties.
Remarque
La doctrine évoque diverses justifications à cette « novation », à cette métamorphose d’une possession
Quelle que soit la justification retenue, il faut étudier les conditions de l’usucapion (1) puis ses
effets (2).
La prescription de droit commun est envisagée à l’article 2272 al.1 c.civ. : « le délai de
prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans ». Cette prescription
peut être invoquée par tout possesseur, même s’il est de mauvaise foi, par exemple une personne
qui aurait volé le bien pour entrer en possession. Elle ne nécessite pas de titre et permet d’acquérir
la propriété. C’est un délai long mais qui ne dépend ni de la bonne ou mauvaise foi, ni de
l’existence d’un titre.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend le même principe dans la proposition de futur : « le posse
La prescription abrégée est quant à elle envisagée à l’article 2272 al.2 c.civ. : « toutefois, celui
qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans ». Ainsi,
la prescription peut être abrégée lorsque le possesseur est a non domino, c’est-à-dire qu’il croit,
de bonne foi, avoir acquis l’immeuble du véritable propriétaire et posséder un juste titre, alors que
ce n’est pas le cas. La prescription est écourtée si deux conditions sont réunies : la bonne foi et
l’existence d’un juste titre.
La 1ère condition est la bonne foi : le possesseur doit avoir cru, lors de l’acquisition, qu’il tenait
21
UNJF - Tous droits
l’immeuble de son véritable propriétaire. L’article 2274 c.civ. précise que « la bonne foi est toujours
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UNJF - Tous droits
présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver ». Il s’agit d’une présomption
simple, qui admet la preuve contraire.
Remarque
Dans l’avant-projet de réforme du droit des biens, la proposition d’ énonce qu’ « est de bonne foi le possesseu
La 2nde condition est le juste titre : le juste titre invoqué par le possesseur de bonne foi est l’acte
juridique à l’origine de la possession dont le vice réside en ce qu’il n’a pas été constitué par le
véritable propriétaire (sur la notion de juste titre : B.Mallet-Bricout, "Le juste titre", in "Le monde du
droit. Ecrits rédigés en l'honneur de Jacques Foyer", Economica, 2008, p.696).
Jurisprudence
La Cour de cassation a défini le juste titre comme l’« acte propre à conférer la propriété à la partie
qui invoque la prescription ». Cet acte serait de nature à transférer la propriété s’il avait été conclu
avec le propriétaire réel : vente, donation, apport en société… Exemples : Civ. 3ème, 29 février
1968, Bull. civ. III n°83 ; plus récemment : Civ. 3ème, 25 juin 2008, Bull. civ. III n°115 ; D.2008,
A.J. p.1899 ; J.C.P. éd. N. 2008, I, 1328, n°3, obs. H. Périnet-Marquet (un acte de succession
notarié n’a qu’un caractère déclaratif) - Civ.3e, 30 mai 2012, n°11-13571, D. 2012, 2130, obs.
B.Mallet-Bricout.
Pour que le titre soit qualifié de juste, la jurisprudence a dégagé trois critères cumulatifs :
• 1er critère : le titre doit être réel : il doit réellement exister. Il ne doit pas s’agir d’un titre
putatif, qui n’existe que dans l’imagination de son auteur (par exemple, une personne prétend
qu’elle possède un titre de propriété sur un immeuble issu d’un testament, mais ce testament
avait en réalité été révoqué : Civ.1ère, 6 novembre 1963, Bull. civ. I n°483) ;
• 2ème critère : le titre doit sembler valable : il ne doit pas s’agir d’un titre nul. Mais la
jurisprudence distingue entre les causes de nullité absolue (comme la non-conformité à
l’ordre public), qui enlèvent au titre sa qualité de titre juste, et les causes de nullité relative
(par exemple un vice du consentement), qui n’empêchent pas de qualifier l’acte de titre
juste. L’art. 2273 c.civ. précise, depuis la réforme du 17 juin 2008, que « le titre nul par défaut
de forme ne peut servir de base à la prescription de dix ans » ;
• 3ème critère : le titre doit être un acte translatif de propriété à titre particulier au moins
doté d’une date certaine à l’égard du véritable propriétaire : il faut une idée de transfert
de propriété, ce qui exclut le bail, le prêt, ou les actes déclaratifs de partage (Civ. 3ème, 25
juin 2008, précité). Sans les vices dont il est atteint, le titre serait de nature à transférer la
propriété.
23
UNJF - Tous droits
Lorsque ces deux conditions de bonne foi et de juste titre sont réunies, la durée de prescription
est abrégée : elle est alors de 10 ans. Depuis la réforme du 17 juin 2008 relative au droit de la
prescription, il n’existe plus la distinction antérieure de 10 ou 20 ans selon que le véritable
propriétaire est ou non domicilié dans le ressort de la Cour d’appel dans l’étendue de laquelle
l’immeuble est situé, ce qui était devenu un critère archaïque.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens met également fin à cette distinction entre les ressorts de Cour d’
Quelle que soit la durée exigée, 10 ou 30 ans, il existe des règles communes aux deux prescriptions.
L’étude des règles communes à cette condition d’écoulement du temps implique l’examen de trois
points : le point de départ du délai de prescription, la jonction des possessions et les incidents
affectant la durée de la possession.
24
UNJF - Tous droits
• 1er point : le point de départ du délai de prescription
Quand le délai de prescription commence-t-il à courir ? La règle est que ce délai court à compter
du jour de l’entrée en possession par le possesseur ou par son auteur. Le délai se compte
jour entier par jour entier (de « quantièmes à quantièmes »), sans compter le dies a quo, c’est-à-
dire le jour à partir duquel la possession a commencé, mais en comptant le dies ad quem, jour
jusqu’auquel la possession a duré jusqu’à minuit.
Selon l’article 2265 c.civ., « pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle
de son auteur, de quelque manière qu’on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à
titre lucratif ou onéreux ». Juridiquement, il s’agit d’une jonction des possessions : celui qui
prétend prescrire peut ajouter à son temps de prescription le temps pendant lequel son
Exemple
auteur a possédé et donc prescrit. C’est une addition, une réunion des possessions.
Une personne possède un appartement depuis cinq ans. Elle décède et transmet l’appartement à un héritier q
Remarque
Une règle identique est reprise dans l’avant-projet de réforme du droit des biens, qui propose un futur ainsi ré
Le délai de possession peut être allongé soit par interruption, soit par suspension.
Il y a interruption du délai lorsqu’il y a arrêt de la prescription acquisitive pour des causes soit
naturelles, soit civiles. Dans ce cas, le délai déjà écoulé est anéanti et il faudra le reprendre au
début si la cause d’interruption disparaît. Il existe deux causes d’interruption :
• l’interruption naturelle : selon l’article 2271 c.civ., « la prescription acquisitive est
interrompue lorsque le possesseur d’un bien est privé pendant plus d’un an de la jouissance
de ce bien soit par le propriétaire, soit même par un tiers ». Soit le possesseur a été privé
contre son gré de la possession de l’immeuble, soit il a volontairement abandonné l’immeuble
: dans les deux cas, si cette privation dure au moins un an, la prescription est interrompue ;
• l’interruption civile : les causes d’interruption civile sont prévues par les art. 2240 et s. c.civ.
Il s’agit d’une demande en justice, d’un acte d’exécution forcée…
Ainsi, il y aura interruption de la prescription dès qu’une demande en justice est faite, même
si l’action est engagée devant un juge incompétent. En revanche, il n’y aura pas d’interruption
(l’interruption est non avenue) si le demandeur se désiste de l’instance, s’il laisse se périmer
l’instance ou si sa demande est définitivement rejetée.
Enfin, il existe une autre cause d’interruption civile prévue par l’article 2240 c.civ. selon
lequel : « la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait
interrompt le délai de prescription ». Le possesseur peut faire l’aveu du droit du
revendiquant, c’est-à- dire reconnaître qu’il existe un véritable propriétaire. Il perd alors
l’élément psychologique de la possession, l’animus domini.
25
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Une citation en justice interrompt la prescription ; ce n’est pas le cas de « l’assignation en
bornage, qui tend exclusivement à la fixation de la ligne divisoire entre les fonds » : Civ.
3ème, 13 mars 2002, Bull. civ. III n°67 ; J.C.P. éd. G. 2002, I ; 176, n°3, obs. H. Périnet-
Marquet ; D.2002, somm. p.2510, obs. N. Reboul-Maupin.
La loi réglemente ces causes de suspension. Il s’agit de prendre en compte la situation particulière
de certaines personnes. En ce sens, l’article 2234 c.civ. précise que « la prescription ne court pas
ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement
résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». Par exemple, la prescription est
suspendue quand elle court contre un incapable (mineur non émancipé et majeur sous tutelle) ou
entre époux ou partenaires liés par un Pacs. La suspension en cas de force majeure,
antérieurement prévue par la jurisprudence, est désormais intégrée au sein des causes légales
depuis la réforme de la prescription du 17 juin 2008. Le législateur prend ici en compte les
circonstances de fait plutôt que les circonstances tenant à la personne.
Lorsque les conditions relatives à l’écoulement du temps sont remplies, soit en vertu de la
prescription de droit commun, soit en vertu de la prescription allégée, l’usucapion peut
produire ses effets juridiques.
Pour que l’usucapion produise cet effet, il faut obligatoirement que le possesseur en réclame le
bénéfice : l’usucapion n’est pas automatique, il ne se produit pas de plein droit. Ainsi, l’acquisition
de la propriété se révèle lorsque l’usucapion est opposée au revendiquant. Hormis le cas de la
renonciation par le possesseur une fois le délai écoulé (la renonciation anticipée est nulle), le
possesseur doit revendiquer l’usucapion pour qu’il produise effet, soit par une action en justice
(voie d’action), soit par une défense en justice si l’action est faite par le propriétaire initial (voie
d’exception).
Lorsque la propriété est acquise par prescription, elle est opposable à tous sans formalités de
publicité obligatoires, car elle vient de la loi. Le possesseur devenu propriétaire peut cependant
choisir de faire publier le jugement ou de faire établir un acte de notoriété acquisitive.
Jurisprudence
L’usucapion produit ses effets erga omnes : Civ. 3ème, 13 novembre 1984, Bull. civ. III n°188 ;
D.1985, juris. p.345, note C. Aubert ; R.T.D.civ. 1985, p.747, obs. C. Giverdon & P. Salvage-
Gerest :
« l’acquisition par prescription (est) opposable à tous sans avoir été publiée ».
Enfin, la propriété est acquise de manière rétroactive : les effets de l’usucapion remontent au jour
de l’entrée en possession. Le possesseur est considéré comme ayant été propriétaire depuis le
26
UNJF - Tous droits
premier jour de la possession. Cela permet de valider les actes passés par le possesseur
(exemple : hypothèque) et à l’inverse d’annuler les actes éventuels faits par le propriétaire initial.
27
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Cet effet rétroactif n’est pas prévu par la loi, mais il a été largement soutenu par la doctrine et
entériné par la jurisprudence : Civ. 3ème, 10 juillet 1996, D.1996, juris. p.510, note N. Reboul-
Maupin.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens intègre cet effet rétroactif dans la loi et entérine la jurispruden
La possession utile pendant un certain délai permet ainsi au possesseur d’un immeuble d’en
devenir propriétaire. Dans le même sens, la possession utile peut permettre l’acquisition de la
propriété mobilière.
Jurisprudence
C’est à celui qui conteste la possession de rapporter la preuve contraire : Civ. 1ère, 20 octobre
1982, Bull. civ. I n°298 ; R.T.D.civ. 1983, p.559, obs. C. Giverdon (en l’absence de preuve d’un
contrat de dépôt par le demandeur, la possession vaut titre).
28
UNJF - Tous droits
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend et précise ce principe dans sa proposition d’ : « le posse
a) Le principe
La règle de l’article 2276 al.1e c.civ. joue comme une règle de fond, véritable mode d’acquisition
de la propriété, sous réserve de réunir trois conditions cumulatives :
• 1ère condition relative à la nature du bien : il doit s’agir d’un meuble corporel, non
immatriculé et susceptible d’appropriation ;
Jurisprudence
La possession ne permet pas l’acquisition d’un meuble incorporel : Com., 7 mars 2006, Bull. IV n
°62 ; D.2006, juris. p.2897, note C. Kuhn ; J.C.P. éd. G. 2006, II, 10143, note G. Loiseau ;
R.T.D.civ. 2006, p.348, obs. Th. Revet.
• 2ème condition relative au possesseur : il doit s’agit d’une possession et non d’une
simple détention, qui existe au moment où le propriétaire agit. De plus, le possesseur doit
être de bonne foi, au moins au moment de l’entrée en possession (là encore la bonne foi est
présumée mais la preuve contraire peut être apportée) ;
• 3ème condition tenant à la possession : la possession doit être utile, mais cette utilité
est appréciée de manière particulière puisque le caractère de continuité est inopérant. La
possession mobilière vaut titre de propriété instantanément, dès lors qu’elle est effective,
c’est- à-dire paisible, publique et non équivoque.
Lorsque ces conditions sont réunies, selon l’appréciation des juges du fond dans l’exercice de leur
pouvoir souverain, le possesseur de bonne foi prime le propriétaire initial dépossédé. Il
possède la chose et bénéficie en même temps d’un titre de propriété né de la possession utile : le
propriétaire initial ne peut plus exercer contre lui d’action en revendication de son meuble.
Remarque
Si le propriétaire initial souhaite revendiquer la propriété de son meuble, il doit prouver soit l'existence
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens développe cette idée dans sa proposition d’ : « le possesseur
29
UNJF - Tous droits
b) Les exceptions
La mauvaise foi : le principe de l’acquisition immédiate de la propriété mobilière ne joue pas
lorsque le possesseur est de mauvaise foi, par exemple lorsqu’il sait qu’il a acquis le meuble d’une
personne qui n’est pas le véritable propriétaire ou s’il sait que le meuble avait été perdu ou volé.
Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il ne pourra jamais acquérir la propriété du meuble.
Simplement, l’action en revendication du propriétaire demeure ouverte pendant trente ans et il
pourra récupérer le bien sans avoir à rembourser le possesseur. Après écoulement du délai de
trente ans, la prescription acquisitive peut être revendiquée à condition d’avoir une possession
utile.
Jurisprudence
La bonne ou la mauvaise foi s’apprécie au jour de l’entrée en possession : Civ. 1ère, 27
novembre 2001, Bull. civ. I n°295 ; D.2002, juris. p.671, note J.-P. Gridel ; D.2002, somm.
p.2505, obs. B. Mallet-Bricout.
Le vol ou la perte du meuble : l’al.2 de l’article 2276 c.civ. précise que « néanmoins, celui qui a
perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans, à compter du jour
de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours
contre celui duquel il la tient ». Ce texte vise le cas d’une dépossession involontaire : perte par
négligence du propriétaire ou d’un tiers (exemple : colis égaré) ou par événement de force
majeure, vol. Dans cette hypothèse, le propriétaire pourra agir en revendication :
30
UNJF - Tous droits
Contre le voleur ou l’inventeur Contre l’acquéreur de bonne foi
(celui qui a trouvé la chose) qui est encore en L’action en revendication est possible
possession du bien : il est de mauvaise foi, pendant trois ans. Si la chose a été
l’action peut être exercée pendant trente ans. acquise dans un marché, une foire ou une
vente publique, le véritable propriétaire devra
rembourser à l’acquéreur le prix qu’il lui a
coûté, en vertu de l’art. 2277 al.1e c.civ.
Jurisprudence
Civ. 1ère, 16 mai 2006, Bull. civ. I n°242 ; D.2006, I.R. p.1486, Pan. 2365, obs. B. Mallet-Bricout ;
D.2007, juris. p.132, note V. Valette : « l'appréhension par l'autorité de police ou de justice d'un
objet volé, classé au titre des monuments historiques, n'en fait pas perdre la possession par
l'acquéreur de bonne foi qui a droit au remboursement de son prix d'acquisition ».
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprent la même idée dans sa proposition d’ in fine : « Cepend
Une fois la propriété acquise, quel que soit le mode d’acquisition, celle-ci doit pouvoir être
défendue contre les tiers. Il faut donc étudier les règles de protection de la propriété, objet de la
leçon 5.
31
UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 5 : La propriété individuelle : la protection de la propriété et de la possession
1
UNJF - Tous droits
Une fois la propriété acquise, par quelque mode d’acquisition que ce soit, encore faut-il pouvoir la
défendre et la protéger contre l’intrusion ou les revendications d’éventuels tiers. Cette protection
du droit de propriété implique de pouvoir faire la preuve de la propriété (Section 1) pour être en
mesure d’exercer les actions en justice offertes pour protéger la possession et la propriété (Section
2).
A. L’acquisition a domino
L’hypothèse est la suivante : le possesseur prétend par exemple que le propriétaire lui a donné le bien, t
La question est alors de savoir quelle est la véritable nature du titre, de l’acte en vertu duquel le
bien a été transmis au possesseur.
L’article 2276 c.civ. peut être utilisé dans sa fonction probatoire : la possession vaut titre, c’est-
à-dire qu’elle permet de présumer que le titre en question est bien un titre transférant la propriété.
Autrement dit, le possesseur est présumé être le véritable propriétaire du bien.
Jurisprudence
Il suffit au possesseur d’apporter la preuve de sa possession. Par exemple, la personne qui
détient une somme sur son compte en banque, issue de ce qu’elle prétend être un don manuel,
n’a pas à prouver l’intention libérale de l’auteur du virement bancaire : Civ.1ère, 30 mars 1999,
Bull. civ. I n°112 ; J.C.P. éd. G. 2000, II, 10274, note P. Cagnoli ; J.C.P. éd. G. 2000, I, 278, n°7,
obs. R. Le
Guidec ; D.2000, somm. p.457, obs. D. Martin ; R.T.D.civ. 1999, p.677, obs. J. Patarin.
Mais il s’agit d’une présomption simple : le propriétaire initial peut prouver qu’il est toujours le
propriétaire du meuble, même si la possession a été transmise à un tiers. Pour cela, il peut utiliser
deux moyens de preuve :
• il peut prouver qu’il existe un vice dans la possession : le possesseur « non utile » ne peut
plus bénéficier de la fonction probatoire de l’article 2276 al.1er c.civ.
• il peut prouver que le possesseur n’est en réalité qu’un détenteur précaire : il détient le bien
sous condition de restitution.
2
UNJF - Tous droits
Exemple
Il produit en justice la preuve de l’existence d’un contrat de bail ou de dépôt.
3
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Sur le renversement de la présomption qui résulte de la possession par la preuve de la détention
précaire : Civ.1ère, 20 octobre 1982, Bull. civ. I n°298 ; R.T.D.civ. 1983, p.559, obs. C. Giverdon.
Les règles de preuve sont sensiblement identiques lorsque le possesseur a acquis le meuble d’une
personne autre que le propriétaire.
4
UNJF - Tous droits
B. L’acquisition a non domino
L’hypothèse est la suivante : une première personne est propriétaire d’un meuble. Elle le confie à un
Dans cette hypothèse, l’article 2276 al.1er c.civ. ne s’applique que si la personne qui détient le
meuble corporel est un véritable possesseur, qu’elle est de bonne foi et que la possession est
utile. C’est alors au propriétaire initial de démontrer une possession antérieure : cette preuve
peut être établie par tout moyen, s’agissant d’un fait juridique.
A. Le système de preuve
L’objet de la preuve La charge de la preuve Les modes de preuve
Jurisprudence
La preuve de la propriété immobilière peut se faire par tout moyen : Civ.1ère, 11 janvier 2000,
Bull. civ. I n°5 ; J.C.P. éd. G. 2000, I, 265, n°2, obs. H. Périnet-Marquet ; D. 2001, juris. p.890,
note A. Donnier ; R.T.D.civ. 2002, p.121, obs. Th. Revet.
5
UNJF - Tous droits
Or, comme il n’existe aucun moyen de preuve direct et irréfutable de la propriété, seuls des modes
de preuve indirects et par essence imparfaits peuvent être utilisés. Le législateur ne décrit pas ces
modes de preuve, mais l’étude de la jurisprudence montre qu’en pratique, trois modes de preuve
peuvent être utilisés :
• les titres de propriété possèdent la plus grande force probante : ce sont les actes translatifs
de propriété (exemples : vente, donation…) ou les actes déclaratifs de propriété (exemple :
partage de succession). Mais ces titres ne sont pas une preuve irréfutable, même s’ils ont un
poids important, car il n’existe pas de titres officiels de propriété conférés par l’Etat. Ils
rendent le droit de propriété vraisemblable en ce qu’ils révèlent l’origine du droit prétendu ;
• la possession peut ensuite servir de mode de preuve, mais sa force probante est variable.
Si la possession est viciée, elle constitue un simple indice ; si elle est utile et qu’elle remplit
les conditions de durée exigées, elle permet de faire la preuve de la propriété par usucapion.
Dans ce second cas, elle devient le meilleur des moyens de preuve de la propriété
immobilière ;
• divers indices peuvent enfin servir de mode de preuve mais avec une force probante moins
Exemple
grande.
Il s’agit par exemple du paiement des impôts fonciers, des indications du cadastre (le cadastre est un sim
Ce sont les juges du fond qui apprécient souverainement la valeur de ces indices, sans que
la Cour de cassation ne puisse exercer son contrôle sur cette question.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens n’apporte pas beaucoup d’indices en la matière, puisque la propo
La diversité des modes de preuve admissibles, ainsi que l’absence de moyen absolu de preuve du
droit de propriété, génèrent par la force des choses des conflits entre les modes de preuve.
Comment ces conflits sont-ils résolus ?
7
UNJF - Tous droits
En pratique, quatre situations peuvent soulever des difficultés :
1ère situation : les deux parties produisent un titre (« titre contre titre ») :
• si les deux titres émanent du même auteur (par exemple du même vendeur), on applique
le cas échéant les règles de la publicité foncière. Soit les titres ont été tous les deux
publiés : la primauté est accordée au titre qui a été publié le premier ; soit un seul titre a été
publié : la primauté est accordée à ce seul titre ; soit aucun titre n’a été publié : la priorité
est accordée au titre qui a date certaine antérieure ;
• si les deux titres émanent d’auteurs différents, la priorité est accordée à celui que le juge
considère comme le meilleur et le plus probable, compte tenu des autres indices,
documents et circonstances.
2ème situation : les deux parties invoquent une possession (« possession contre
possession
Exemple ») :
Celui qui se prétend le propriétaire initial de l’immeuble invoque sa possession antérieure, tandis que le défen
Ce conflit ne peut avoir lieu que si la possession n’a pas encore abouti à l’usucapion, qui l’emporte
dans tous les cas de manière indiscutable.
3ème situation : une partie invoque un titre, l’autre une possession (« titre contre
possession ») : en pratique, il faut imaginer que le demandeur, qui revendique la propriété
de l’immeuble, possède un titre, tandis que le défendeur ne possède aucun titre mais a la
possession actuelle de l’immeuble. Dans cette hypothèse, les juges font traditionnellement
prévaloir le critère de l’antériorité. Ainsi, le demandeur l’emporte lorsque son titre est antérieur à
la date de commencement de la possession du défendeur, sauf évidemment s’il y a usucapion. À
l’inverse,
Remarque le défendeur a la priorité si sa possession est antérieure au titre du demandeur.
Cette position jurisprudentielle a fait l’objet de critiques doctrinales. On peut citer par exemple le Doyen Carb
La jurisprudence récente semble cependant plus complexe et incertaine, car elle n’applique pas de manière s
4ème situation : il n’y a ni titre, ni possession utile : dans ce cas, le juge forme son opinion
à partir des autres indices que les parties peuvent amener en justice en fonction de son pouvoir
souverain d’appréciation.
8
UNJF - Tous droits
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend ces règles doctrinales et jurisprudentielles au sein de la p
La résolution des conflits entre les différents modes de preuve demeure complexe, sauf en cas
d’usucapion acquis par l’une des parties. Dans tous les cas, la question de la preuve sera tranchée
par le juge lors d’une action en justice, fondée sur la possession ou la propriété.
9
UNJF - Tous droits
Section 2. Les actions en justice
La question de la preuve n’a d’intérêt que lors d’une action en justice engagée par une personne
qui prétend à la possession ou à la propriété d’un bien, meuble ou immeuble. Il faut distinguer
deux catégories d’actions : les actions possessoires (§1) et l’action en revendication de la propriété
(§2).
L’action possessoire peut être définie comme « l’action en justice ouverte devant le Tribunal de
grande instance, pendant l’année du trouble possessoire, en vue d’obtenir la protection
possessoire, à toute personne qui possède paisiblement un immeuble et au simple détenteur
précaire » (V. N.Reboul-Maupin, « Droit des biens », Hypercours Dalloz, 3e éd., 2010, p.210).
Cette action tend à protéger le fait juridique que constitue la possession, mais elle s’étend
également à la détention précaire.
Les meubles sont exclus du champ d’application de la protection possessoire, ce qui est
une solution logique. En effet, la protection possessoire est inutile en matière mobilière, dans la
mesure où le possesseur du meuble est tenu par la loi pour le propriétaire du bien, en vertu de
l’article 2276 al.1er c.civ. Il pourra se défendre en invoquant sa qualité de propriétaire : il n’a pas
besoin d’utiliser la notion de possession. Cependant, plusieurs auteurs penchent en faveur d’une
extension des actions possessoires aux meubles, certains meubles ayant aujourd’hui une grande
valeur.
Jurisprudence
La protection possessoire ne peut bénéficier qu’aux immeubles : Civ.1ère, 6 février 1996, Bull.
civ. I n°57 ; D. 1996, somm. p.331, obs. R. Libchaber ; J.C.P. éd. G. 1996, I, 3972, obs. H.
Périnet- Marquet ; R.T.D.civ. 1996, p.943, obs. F. Zénati.
Selon l’article 2279 c.civ., il existe plusieurs actions possessoires : « les actions possessoires sont
ouvertes dans les conditions prévues par le code de procédure civile à ceux qui possèdent ou
détiennent paisiblement ».
Quelle que soit l’action utilisée, elle est conditionnée par l’existence d’un trouble, c’est-à-dire par
l’existence de faits ou d’actes qui contredisent la possession et qui sont contraires au pouvoir de
fait exercé par le possesseur ou le détenteur sur la chose. Le trouble possessoire est défini
comme « tout fait matériel ou tout acte juridique qui, soit directement et par lui-même, soit
indirectement et par voie de conséquence, constitue ou implique une prétention contraire à la
possession d’autrui » (Civ. 11 janvier 1910, D.P. 1911, 1, 311). Le trouble doit être un acte
volontaire, même s’il n’est pas forcément intentionnel ou même s’il a été accompli de bonne foi.
Dans tous les cas, il doit entraîner une contestation de la possession : si le trouble cause
simplement un préjudice au possesseur sans atteindre spécifiquement sa possession, il devra
utiliser l’action en responsabilité délictuelle de droit commun fondée sur l’article 1382 c.civ.
Exemple
Le chien du voisin cause des dégâts sur mon terrain : ce n’est pas un trouble possessoire mais un préjudice ju
10
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Le possesseur a le choix entre l’utilisation des actions possessoires et la voie du référé pour
trouble manifestement illicite : Ass. Plén., 28 juin 1996, Bull. Ass. plén. n°6 ; D. 1996, juris. p.447,
concl. J.-F. Weber, note J.-M. Coulon ; R.T.D.civ. 1996, p.216, obs. J.Normand ; R.T.D.civ. 1996,
p.429, obs. F. Zénati.
Il existe donc différentes catégories d’actions possessoires (A), qui obéissent à des règles de
procédure particulières (B) et peuvent faire l’objet de sanctions prononcées par le juge (C).
11
UNJF - Tous droits
A. Les catégories d’actions possessoires
Plusieurs actions sont prévues en fonction des troubles subis : la complainte (1), la dénonciation
de nouvel œuvre (2) et l’action en réintégration (3).
LaExemple
complainte est ouverte qu’il s’agisse d’un trouble de fait...
Percement d’une vue, travaux réalisés sur le fonds d’autrui, pose d’une barrière laissant un passage insuffisan
...Exemple
ou d’un trouble de droit.
Sommation de payer des loyers adressée au possesseur, réclamation d’un droit de passage qui n’a pas lieu
La complainte n’est ouverte que si la possession est utile et paisible au sens de l’article 1264 du
Code de procédure civile (CPC), en vertu duquel la possession est paisible lorsqu’elle a duré au
moins un an. L’action est dirigée contre l’auteur du trouble, même s’il prétend avoir agi pour le
compte d’un tiers. Si l’action est reçue par le juge, celui-ci doit faire cesser le trouble : il prononce
alors une
« maintenue possessoire ». Il peut également ordonner une remise en l’état antérieur (exemple :
destruction des constructions) et éventuellement le versement de dommages et intérêts en cas de
préjudice.
Remarque
La Cour de cassation a expressément rappelé que l'action possessoire peut être intentée contre l'auteur maté
°11-10177, D.2012, 811 ; D.2012, 1528, note M.Jaouen ; D. 2012, 2135, obs. N.Reboul-Maupin ;
A.J.D.I. 2012, 365, obs. F. de la Vaissière ; J.C.P. éd. G. 2012, 465, n°4, obs. H.Périnet-Marquet.
La particularité de cette action est de pouvoir être utilisée à titre préventif, pour éviter un trouble
éventuel et futur.
12
UNJF - Tous droits
Comme la complainte, l’action en dénonciation de nouvel œuvre est soumise à l’article 1264 CPC :
il est nécessaire d’avoir une possession utile et paisible, ayant duré au moins un an.
Dans cette hypothèse, il existe plus qu’un trouble, il y a une véritable voie de fait, justifiant « une
réaction énergique du droit » (Ph. Malaurie, L. Aynès, « Les biens », Defrénois, 4e éd., 2010,
n°508).
13
UNJF - Tous droits
L’action n’est ouverte que si la possession est utile ; elle doit également avoir été paisible au
moment de la violence ou de la voie de fait mais la durée d’un an n’est pas exigée ici (article
1264 in fine CPC : « (…) toutefois, l’action en réintégration contre l’auteur d’une voie de fait peut
être exercée alors même que la victime de la dépossession possédait ou détenait depuis moins
d’un an »).
Quelle que soit l’action possessoire exercée, le législateur a prévu des règles de procédure
spécifiques.
14
UNJF - Tous droits
Les possesseurs Les détenteurs précaires
15
UNJF - Tous droits
2. Le délai d’action
Selon l’article 1264 CPC, les actions possessoires sont ouvertes « dans l’année du trouble » subi
par le possesseur ou le détenteur. À partir du jour de la réalisation des actes qui constituent le
trouble ou le risque de trouble pour la dénonciation de nouvel œuvre, le possesseur ou le
détenteur a une année pour agir en justice.
Ce délai est court mais logique car si le possesseur attend plus d’un an pour agir, c’est que le
trouble n’est pas réellement grave et ne justifie pas le prononcé de sanctions particulières.
• s’il s’agit d’une complainte : le juge ordonne la modification ou la suppression des travaux
accomplis, au besoin sous astreinte.
Exemple
La démolition de la barrière laissant un passage insuffisant.
Dans tous les cas, la partie éventuellement condamnée au possessoire pourra ensuite intenter une
action pétitoire en revendication, fondée sur le droit de propriété, à condition d’avoir mis fin au
trouble possessoire.
16
UNJF - Tous droits
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens propose de modifier en profondeur le dispositif des actions pos
Le législateur n’a pas seulement prévu des actions destinées à protéger la possession. Il existe
bien évidemment une possibilité de protéger son droit de propriété, par une action pétitoire
appelée action en revendication, relative au fond du droit.
Dans ces hypothèses, celui qui revendique le bien doit prouver son propre droit de propriété.
Remarque
La jurisprudence estimait que l’action en revendication de la propriété mobilière était imprescriptible, sauf hypo
18
UNJF - Tous droits
titre de propriété, une possession, des indices, etc.). Or, le propriétaire préfère en général exercer
une action possessoire, lorsqu’il est troublé dans sa possession ou lorsqu’il en a été évincé, ou
encore une action sur le terrain contractuel s’il est en conflit avec un tiers détenteur qui lui doit
restitution du bien.
L’action doit être formée devant le Tribunal de grande instance dans le ressort duquel
l’immeuble est situé, qui bénéficie d’une compétence exclusive.
Jurisprudence
Le délai de prescription de l’action en revendication mobilière a fait l’objet d’une évolution
importante.
En effet, si l’article 2262 c.civ. précisait, dans sa version antérieure à la réforme de la prescription
civile opérée par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, que « toutes les actions, tant réelles que
personnelles, sont prescrites par trente ans », la Cour de cassation affirmait au contraire que
l’action en revendication de la propriété était imprescriptible (v. pour un exemple récent :
Jurisprudence : Civ. 3ème 5 juin 2002, Bull. civ. III n°129 ; D. 2003, juris. p.1461, note G.
Pillet ; J.C.P. éd.
G. 2002, II, 10190, note M. Du Rusquec : « la propriété ne se perdant pas par le non-usage,
l’action en revendication n’est pas susceptible de prescription extinctive ».). En pratique, l’action
en revendication de la propriété était considérée comme imprescriptible, avec une seule limite : la
possession par un tiers pendant trente ans entraîne l’usucapion et éteint l’action, à condition de
réclamer l’application de cet usucapion.
Cependant, depuis la réforme précitée de 2008, le législateur semble avoir clairement mis fin à
cette interprétation divergente de la jurisprudence. L’article 2227 c.civ. dispose en ce sens que «
Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se
prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître
les faits lui permettant de l’exercer ». A l’heure actuelle, l’action en revendication de la propriété
immobilière est donc enfermée dans un délai de prescription de trente ans.
La décision rendue par les juges est soumise au principe de l’autorité de la chose jugée.
L’autorité de la chose jugée est absolue entre les parties mais elle n’est que relative à l’égard
des tiers. Cependant, la décision rendue est opposable aux tiers : il s’agit d’un acte juridique que
le propriétaire peut invoquer à l’égard des tiers. Mais cela n’empêche pas qu’un tiers fasse une
nouvelle action en justice pour revendiquer l’immeuble : la décision n’est pas une preuve
irréfutable de la propriété, même si elle est un élément de preuve important. Un tiers qui
apporterait des preuves faisant état du droit le meilleur et le plus probable pourrait être
considéré comme le propriétaire le plus vraisemblable.
Les effets les plus importants sont toutefois ceux qui sont produits entre les parties : le demandeur est recon
Cette restitution peut parfois soulever des difficultés car le propriétaire doit récupérer son bien libre
de toute charge et le bien doit lui être restitué avec ses produits et ses accessoires. À l’inverse, le
possesseur a pu faire des dépenses pour réparer l’immeuble ou l’améliorer et le propriétaire ne
doit pas bénéficier d’un enrichissement sans cause de ce fait. Dans ce cas, il va être procédé à
une opération que l’on appelle « le règlement des comptes » entre les deux parties. Il s’agit de
faire un inventaire et de calculer d’un côté ce qui est dû au propriétaire nouvellement reconnu, et
19
UNJF - Tous droits
de l’autre côté ce qui est dû au possesseur évincé. La jurisprudence a développé en ce domaine
des règles
20
UNJF - Tous droits
spécifiques qui permettent de distinguer entre les prestations dues au propriétaire nouvellement
reconnu et les prestations dues au possesseur évincé.
• les produits de l’immeuble : ce sont ceux qui altèrent la substance du bien, selon la
définition déjà étudiée. Ils doivent être rendus avec l’immeuble, que le possesseur
évincé ait été de bonne ou de mauvaise foi. S’il n’est pas possible de les rendre en nature,
ils doivent être restitués en valeur ;
• les fruits de l’immeuble : il faut distinguer ici deux cas de figure, envisagés par l’article 549
c.civ. : « le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne
foi » ;
• si le possesseur est de bonne foi, il n’a pas à restituer les fruits. La bonne foi est
présumée et il appartient au propriétaire revendiquant de prouver la mauvaise foi du
possesseur (art. 2274 c.civ.) ;
• si le possesseur est de mauvaise foi, il doit restituer les fruits. L’article 548 c.civ. dispose
dans ce cas que « les fruits produits par la chose n’appartiennent au propriétaire qu’à la
charge de rembourser les frais de labour, travaux et semences faits par des tiers et dont la
valeur est estimée à la date du remboursement ». Les fruits doivent être restitués,
déduction faite des dépenses engagées pour les obtenir : on parle de « profit net » (Civ.
3ème, 12 février 2003, Bull. civ. III n°36 ; D. 2003, somm. p.2040, obs. B. Mallet-Bricout).
21
UNJF - Tous droits
Là encore, il faut distinguer deux cas de figure :
• si le possesseur est de bonne foi, il n’a pas à répondre des détériorations subies par
l’immeuble, soit de son fait, soit par cas fortuit, au moins jusqu’à la demande en justice. Pour
la vente d’objets mobiliers accessoires, il doit en restituer le prix sauf si la cession a eu lieu
à titre gratuit ;
• si le possesseur est de mauvaise foi, il répond de toutes les détériorations, quelle que
soit leur origine sauf s’il arrive à prouver que les mêmes détériorations auraient probablement
eu lieu si l’immeuble avait été possédé par le propriétaire. En cas de vente, il doit restituer le
prix du bien même s’il a été cédé à titre gratuit.
Il faut ensuite examiner quelles sont les prestations dues au possesseur évincé.
Les règles varient en fonction de la qualification des dépenses, classées en trois catégories :
22
UNJF - Tous droits
• les impenses ou dépenses nécessaires : ce sont les dépenses indispensables à la
conservation du bien (exemples : réparation de la toiture, réparation d’un mur qui menaçait
ruine,etc.). Les impenses nécessaires sont intégralement remboursées au possesseur
évincé, sauf si elles entrent dans les dépenses d’entretien courant (exemple : remplacement
d’une vitre cassée). Le propriétaire nouvellement reconnu devra rembourser le coût des
travaux à l’ancien possesseur. Les articles 861 al.2 & 1381 c.civ. apportent des détails sur
ces points ;
• les impenses ou dépenses utiles : ce sont les dépenses qui, sans être nécessaires,
ont permis une amélioration de l’immeuble (exemples : installation d’un ascenseur, d’un
chauffage central, etc). Les impenses utiles sont remboursées au possesseur évincé dans
la limite de la plus-value conférée à l’immeuble, appréciée au jour de l’admission de la
revendication, en application des articles 861 al. 1er 1381 c.civ.. Il s’agit ici de travaux
effectués sur des constructions déjà existantes. S’il s’agit de constructions ou de plantations
nouvelles, il faut appliquer le dispositif particulier de l’article 555 c.civ. (cf. supra., leçon 2
relative à la notion de droit de propriété) ;
Lorsque cet inventaire a été fait, entre ce que doit le propriétaire et ce que doit le possesseur
évincé, un compte est établi qui permet d’établir un solde :
Il doit restituer l’immeuble et les sommes Il bénéficie d’un droit de rétention, qui
dues, calculées en fonction des règles signifie qu’il peut retenir l’immeuble tant
précédemment énoncées. qu’il n’a pas été payé : il n’a pas à
restituer l’immeuble tant que le propriétaire
revendiquant n’a pas réglé sa dette. La
jurisprudence a toujours reconnu ce droit au
possesseur de bonne foi, mais elle refusait
de l’admettre pour le possesseur de
mauvaise foi. Les choses semblent
différentes à l’heure actuelle, car le nouvel
article 2286 c.civ., issu d’une ordonnance du
23 mars 2006 relative aux sûretés, reconnaît
ce droit de rétention à « celui dont la
créance impayée est née à l’occasion de la
détention de la chose », sans distinguer
entre la bonne et la mauvaise foi.
Cet examen des règles de protection du droit de propriété a permis de mettre en évidence
l’existence de nombreux moyens d’action à la disposition du possesseur ou du propriétaire afin
de défendre leur pouvoir, de fait ou de droit, sur la chose. Il permet de clore l’étude du droit
individuel de propriété, lorsque tous les pouvoirs sont réunis entre les mains d’une seule
personne. La notion de propriété collective doit maintenant être abordée, à travers l’une de ses
modalités principales qui est l’indivision.
23
UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 6 : La propriété collective : le régime de l’indivision ordinaire
1
UNJF - Tous droits
Le droit de propriété est en principe individuel et exclusif : il a été conçu comme tel lors de son
affirmation après la Révolution française et dans le Code civil rédigé en 1804. Il y a, en principe,
un maître de la chose qui détient l’usus, le fructus et l’abusus, c’est-à-dire les trois attributs de la
propriété. Très peu d’articles traitaient alors de la propriété collective et l’on trouvait quelques rares
dispositions relatives à l’indivision et à la copropriété des immeubles bâtis. Les rédacteurs du Code
civil étaient en effet hostiles à la propriété collective pour des raisons politiques et économiques et
parce qu’ils craignaient la puissance des groupements.
Mais depuis 1804, la propriété collective a connu un essor important, notamment en raison de la
construction de nombreux immeubles dans les zones urbaines (qui sont souvent des copropriétés)
et du développement de la multipropriété et des loisirs (jouissance à temps partagé)… La
multiplication de ces situations de dérogation au principe de la propriété individuelle et exclusive
entraîne un risque de confusion.
Il devient essentiel de bien différencier la propriété collective, dans laquelle une chose est attribuée simultaném
Il existe deux types principaux de propriété collective : l’indivision, qui sera l’objet de cette leçon, et
la copropriété qui sera étudiée dans la leçon 8.
L’indivision peut être définie comme une forme de propriété commune, d’origine légale ou conventionnelle, qu
Il existe deux formes d’indivision : une indivision ordinaire, issue d’une proximité de personnes,
qui sera la seule envisagée dans ce thème 6 et une indivision spéciale, la mitoyenneté, issue
d’une proximité des biens (mitoyenneté des murs, des haies…) et donc des rapports entre les
propriétaires de deux fonds voisins. Cette notion de mitoyenneté sera étudiée dans la leçon 7.
Pour certains auteurs, la mitoyenneté est plutôt une forme de copropriété de voisinage ; la
distinction n’a d’intérêt que théorique car le régime est identique quelle que soit la catégorie
utilisée. D’ailleurs indivision et copropriété sont à l’origine des synonymes, ce n’est que par
convention de langage que l’indivision désigne en général une propriété collective qui a vocation à
prendre fin par un partage alors que la copropriété organise une propriété collective conçue
comme un état définitif.
L’indivision est donc un concours, une concurrence de droits de même nature sur un même bien, droits déten
Il n’est pas possible d’identifier, au sein de ces droits, quelle partie appartient à telle personne :
chacun a une part du tout sans qu’il soit possible d’effectuer une division matérielle de ces parts.
Le Code civil actuel ne donne aucune définition de l’indivision ordinaire. L’ensemble des règles est
traité ailleurs dans le Code, dans les règles relatives aux relations familiales et successorales.
Remarque
Le groupe de travail consacré à la réforme du droit des biens n’a pas voulu réintégrer ces règles dans le droit
2
UNJF - Tous droits
L’architecture générale actuelle du Code civil oppose un régime légal, applicable de plein droit à
toute indivision, quelle qu’en soit l’origine, à un régime qui pourra être organisé par convention
entre les indivisaires. Il faut donc s’intéresser au régime légal de l’indivision, également appelé
l’indivision subie (Section 1) puis aux règles applicables à l’indivision conventionnelle, c’est-à-dire
cette fois à l’indivision voulue et non imposée (Section 2).
3
UNJF - Tous droits
Section 1. L’indivision subie : le régime légal de l’indivision
Le régime légal de l’indivision fait l’objet des articles 815 à 815-18 c.civ., réformés par la loi du 23
juin 2006 précitée. C’est le droit commun de l’indivision, le régime applicable à défaut de précision
contraire par les indivisaires et de dispositions spécifiques propres par exemple aux indivisions
successorales ou post-communautaires. Ce régime légal traite successivement de plusieurs
aspects concernant les droits des indivisaires (§1), la gestion de l’indivision (§2) et la situation des
créanciers (§3).
A. Le droit au partage
Par principe, l’indivision a un caractère précaire et provisoire (1), mais ce principe connaît des
exceptions qui permettent le maintien dans l’indivision (2).
La conséquence essentielle de ce principe est que l’action en partage est toujours ouverte et
ne peut jamais être prescrite. De plus, la demande de partage des biens ne peut jamais être
considérée comme abusive, quel que soit l’objectif poursuivi par l’indivisaire qui le demande, que
ce soit un objectif légitime ou une intention malicieuse.
Lorsque le partage est prononcé, il n’a pas un effet translatif de droits mais un effet déclaratif, car
il est rétroactif. Cela signifie que chaque ex-indivisaire est réputé propriétaire des biens qui lui
sont attribués dans le partage, de manière rétroactive, comme s’il en avait été le seul propriétaire
dès le début de l’indivision (par exemple, dès le décès de l’auteur). Il est censé avoir eu dès
l’origine un droit de propriété plein et entier sur les biens qui se retrouveront dans son lot lors du
partage. C’est une sorte de fiction juridique, qui conduit à se comporter comme si l’indivision
n’avait jamais existé. Ainsi, tous les actes accomplis par un indivisaire seul, sans pouvoir suffisant,
sont validés rétroactivement s’ils portent sur des biens qui font partie de son lot. A contrario, de
tels actes sont rétroactivement nuls si, lors du partage, les biens ne font pas partie du lot de
l’indivisaire qui a conclu seul ces actes.
4
UNJF - Tous droits
toujours provoquer le partage. Ces cas sont prévus aux articles 820 à 824 c.civ. Il existe
également une hypothèse dans laquelle le maintien de l’indivision peut être conventionnel (b),
c’est-à-dire décidé entre les parties.
Cette hypothèse est envisagée à l’article 820 c.civ. : « à la demande d’un indivisaire, le tribunal
peut surseoir au partage pour deux années au plus si sa réalisation immédiate risque de porter
atteinte à la valeur des biens indivis ou si l’un des indivisaires ne peut reprendre l’entreprise
agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dépendant de la succession qu’à
l’expiration de ce délai. Ce sursis peut s’appliquer à l’ensemble des biens indivis ou à certains
d’entre eux seulement. S’il y a lieu, la demande de sursis au partage peut porter sur les droits
sociaux ».
Ainsi, il est possible de repousser le partage pour une durée maximale de deux ans, non
renouvelables, pour les causes suivantes : soit un risque de perte de valeur immédiate des
biens, soit la nécessité de bénéficier d’un délai pour reprendre l’exploitation de l’entreprise.
Exemple
L’un des indivisaires termine ses études avant de reprendre l’entreprise.
Ces cas de figure sont prévus par les articles 821 à 823 c.civ. Les bénéficiaires de ce maintien
dans l’indivision sont limitativement énumérés : il s’agit du conjoint survivant, des héritiers ou
des représentants légaux des héritiers mineurs. De plus, s’agissant des locaux d’habitation ou
professionnels et des instruments de travail, il faut que ces biens, qui appartenaient au défunt,
aient été effectivement utilisés par le défunt ou le conjoint survivant pour son habitation ou sa
profession. Enfin, en l’absence d’accord amiable, c’est le tribunal qui statue en fonction des
intérêts en présence. Le maintien dans l’indivision peut être prononcé pour cinq ans maximum,
délai renouvelable jusqu’à la majorité du plus jeune héritier ou jusqu’au décès du conjoint
survivant.
Selon l’article 824 c.civ., « si des indivisaires entendent demeurer dans l’indivision, le tribunal peut,
à la demande de l’un ou de plusieurs d’entre eux, en fonction des intérêts en présence et sans
préjudice de l’application des articles 831 à 832-3, attribuer sa part à celui qui a demandé le
partage. S’il n’existe pas dans l’indivision une somme suffisante, le complément est versé par
ceux des indivisaires qui ont concouru à la demande, sans préjudice de la possibilité pour les
autres indivisaires d’y participer, s’ils en expriment la volonté. La part de chacun dans
l’indivision est augmentée à proportion de son versement ».
Ainsi, si plusieurs personnes souhaitent rester dans l’indivision mais que l’une d’entre elles
veut en sortir, le juge peut décider de maintenir l’indivision entre ceux qui le souhaitent et
d’attribuer à celui qui le demande sa part de l’indivision. On parle d’attribution préférentielle
ou d’allotissement. Il peut y avoir une attribution en nature, ou une attribution en valeur, ou un
complément en valeur par les autres indivisaires dont la part est alors augmentée en fonction de
leur contribution.
5
UNJF - Tous droits
b) Le maintien conventionnel de l’indivision
En application des articles 1873-2 et 1873-3 c.civ., les coïndivisaires peuvent décider, à
l’unanimité, de demeurer dans l’indivision pendant une durée maximale de cinq ans. Ce
maintien dans l’indivision doit être décidé par tous les coïndivisaires et doit être constaté dans une
convention écrite, à peine de nullité. Dans cette hypothèse, aucun des indivisaires ne pourra
provoquer le partage dans ce délai, sauf s’il existe de justes motifs.
La convention peut également être prévue pour une durée indéterminée mais dans ce cas, le
partage pourra être provoqué plus facilement, à tout moment, à condition de ne pas être de
mauvaise foi ou à contretemps.
Enfin, le législateur précise que la convention signée entre tous les indivisaires pour une
durée déterminée peut être renouvelée par tacite reconduction, pour une durée déterminée ou
indéterminée.
Remarque
Ces exceptions, qu’elles soient judiciaires ou conventionnelles, montrent que le législateur contemporain est m
Tant que le partage n’a pas été prononcé, les biens demeurent en indivision. Chacun des
coïndivisaires dispose alors de droits propres sur ses parts indivises.
6
UNJF - Tous droits
1. Le droit exclusif et individuel sur les parts indivises
Chaque indivisaire possède un certain nombre de parts sur l’indivision ; elles peuvent être égales
ou inégales, exprimées en fraction ou en pourcentage. Elles seront déterminées en fonction de la
succession, du régime matrimonial… Il s’agit de parts abstraites : ces parts ne se rapportent
pas à chacun des biens mais à l’ensemble de la masse indivise.
Chaque indivisaire dispose d’un droit individuel et exclusif sur ses parts. Il peut disposer de sa
part comme un véritable propriétaire : il peut la vendre, la donner… ; il peut également exercer en
justice toutes les actions qui correspondent à ses parts. Il dispose d’un droit de propriété complet
sur les parts indivises qu’il possède.
Jurisprudence
Civ. 1ère, 4 octobre 2005, Bull. civ. I n°359 ; D. 2005, I.R. p.2771 « si les actes d'administration et
de disposition relatifs aux biens indivis requièrent le consentement de tous les indivisaires,
chacun d'eux peut librement disposer de sa quote-part de droits sur un bien indivis ».
Ce droit individuel et exclusif se double d’un second droit spécifique en cas de cession de parts
indivises.
Les indivisaires disposent d’un droit de préemption. L’art. 815-14 c.civ prévoit que celui
qui souhaite céder sa part doit informer les autres indivisaires, qui disposent d’un délai d’un
mois pour exercer leur droit de préemption et « racheter » la part indivise cédée, aux mêmes
conditions que celles prévues à la convention. L’acte de cession doit intervenir dans un délai
de deux mois après éventuelle mise en demeure, sous peine de nullité de la déclaration de
préemption.
7
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Seul le cédant peut se prévaloir de la nullité de la déclaration de préemption en cas de non
réalisation de la vente à l’expiration du délai imparti par l’article 815-14 c.civ. : Civ. 1ère, 12
décembre 2007, Bull. civ. I n°386 ; J.C.P. éd. G. 2008, I, 127, n°14, obs. H. Périnet-Marquet.
L’indivisaire peut toujours renoncer à la vente de ses parts, même s’il a déjà notifié aux autres
indivisaires son intention de vendre et même si l’un des indivisaires a déjà manifesté sa volonté
d’exercer son droit de préemption : Civ. 1ère, 5 juin 1984, Bull. civ. I n°183 « attendu qu'à défaut
de disposition le précisant dans l'article 815-14 du Code civil, qui a seulement pour but d'éviter
l'intrusion d'un tiers étranger à l'indivision, la notification faite au titulaire du droit de préemption de
l'intention de céder les droits indivis ne vaut pas offre de vente ; qu'il en résulte que l'indivisaire
qui a fait cette notification peut renoncer à son projet de vente malgré la manifestation de volonté
d'un autre indivisaire d'exercer le droit de préemption ».
A peine de nullité, l’indivisaire qui souhaite céder sa quote-part à une personne étrangère à
l’indivision doit notifier aux autres indivisaires les conditions de la cession : Civ. 1ère, 28 janvier
2009, Bull. civ. I n°18 ; D. 2009, A.J. p.430 ; J.C.P. éd. G. 2009, n°12, chron. 127, n°8, obs. H.
Périnet-Marquet ; J.C.P. éd. G. 2010, n°7, chron. 203, n°6, obs. Le Guidec « à peine de nullité de
la cession, l'indivisaire qui entend céder, à titre onéreux, à une personne étrangère à l'indivision,
tout ou partie de ses droits dans les biens indivis est tenu de notifier aux autres indivisaires le
nom, le domicile et la profession de la personne qui se propose d'acquérir ». Ainsi, l’acte de
vente est nul si l'identité de l'acquéreur n'avait pas été notifiée à l'indivisaire bénéficiaire du droit
de préemption.
Les indivisaires disposent d’un droit de substitution. L’art. 815-15 c.civ. dispose que
l’avocat ou le notaire informe les autres indivisaires qui disposent là aussi d’un délai d’un
mois pour exercer leur droit de substitution.
L’art. 815-16 c.civ. précise que lorsque ces règles ne sont pas respectées, la cession et
l’adjudication sont frappées d’une nullité relative. Il est donc essentiel, dans de telles
hypothèses, de bien notifier aux autres indivisaires le prix, les conditions de la cession envisagée
et l’identité de l’éventuel acquéreur.
Après avoir étudié les droits portant sur les parties indivises, il reste à examiner les droits des
indivisaires sur les biens indivis eux-mêmes.
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UNJF - Tous droits
En vertu de ce texte, un indivisaire peut, avec l’accord des autres ou sur décision du juge, avoir
l’usage et la jouissance exclusifs d’un bien indivis.
Exemple
Il peut, par exemple, occuper un immeuble : deux enfants qui héritent d’un appartement en bord de mer peuve
Dans tous les cas, l’indivisaire doit respecter la destination des biens, c’est-à-dire leur affectation,
et il ne doit pas porter atteinte au droit égal et concurrent de ses coïndivisaires.
Exemple
Un indivisaire ne peut pas installer une activité commerciale dans un immeuble destiné à l’habitation.
De plus, l’art. 815-9 al.2 c.civ. précise que « L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose
indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité ». Cette solution est logique car
l’indivision est privée des fruits de la chose.
Exemple
L'indivisaire qui habite l’immeuble est redevable des loyers à l'indivision.
Ce manque à gagner doit être compensé par le versement d’une indemnité, appelée indemnité
d’occupation ou indemnité de jouissance, qui a donné lieu à un abondant contentieux
jurisprudentiel.
Jurisprudence
Civ. 1ère, 5 février 1991, 2 arrêts, Bull. civ. I n°53&54 ; D. 1991, I.R. p.61 ; Defrénois 1991,
art.35018, obs.G. Champenois ; R.T.D.civ. 1992, p.615, obs.J.Patarin – Civ. 1ère, 14 juin 2000,
Bull. civ. I n
°186, J.C.P. éd. G. 2001, I, 305, n°2, obs. H. Périnet-Marquet.
L’indemnité est égale au montant du revenu que le bien indivis aurait pu produire et elle doit être
versée à l’indivision et non aux indivisaires, sauf convention entre les indivisaires qui peuvent
décider du versement à chacun de sa part d’indemnité.
10
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
L’indemnité d’occupation est due même lorsque l’indivisaire n’occupe pas effectivement les lieux,
si les coïndivisaires étaient « dans l’impossibilité de droit ou de fait (…) d’user de la chose » : Civ.
1ère, 8 juillet 2009, Bull. civ. I n°160 ; J.C.P. éd. G. 2009, n°31-35, 157, obs. H. Bosse-Platière.
L’art. 815-10 al.2 c.civ. apporte une autre précision : « les fruits et les revenus des biens indivis
accroissent à l’indivision, à défaut de partage provisionnel ou de tout autre accord établissant la
jouissance divise ». Ainsi, les fruits et les revenus viennent en principe augmenter la masse
indivise et s’insérer dans son actif : ils accroissent la masse indivise et ne reviennent pas
personnellement aux indivisaires.
Jurisprudence
Les bénéfices reviennent à l’indivision même s’ils résultent de l’exploitation d’un bien indivis par
un seul indivisaire (il a seulement droit à la rémunération de sa gestion). Par exemple, pour les
revenus d’un cabinet médical qui doivent être portés à l’actif de l’indivision postcommunautaire :
Civ. 1ère, 2 mai 2001, Bull. civ. I n°110 ; J.C.P. éd. G. 2001, IV, 2120.
Cependant, les fruits et revenus peuvent faire l’objet d’une répartition, amiable ou judiciaire,
pendant le temps de l’indivision, avant tout partage. Tout indivisaire peut demander sa part
annuelle des bénéfices, déduction faite des dépenses justifiées : il y a partage provisionnel du
bénéfice net.
Enfin, le législateur apporte plusieurs précisions aux articles 815-12 et 815-13 c.civ. quant aux
plus- values ou moins-values de l’indivision :
• 1ère précision : celui qui est chargé de la gestion de tout ou partie de l’indivision a le droit de
recevoir une rémunération de son activité, fixée soit à l’amiable, soit par décision de justice.
Il doit bien évidemment rendre les fruits et produits de la gestion à l’indivision ;
• 2ème précision : celui qui a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis a droit à une
indemnité. Cette indemnité est en principe égale au montant de la plus-value, mais le
législateur fait également référence à la notion d’équité, ce qui est assez rare en droit. Le
juge pourra, en cas de désaccord, s’appuyer sur cette notion pour fixer une autre somme qui
lui paraîtrait plus équitable ;
• 3ème précision : celui qui a effectué des dépenses nécessaires pour la conservation des
biens de l’indivision a droit au remboursement de ces dépenses. Ce droit existe même si la
valeur du bien n’a pas été augmentée ;
Jurisprudence
Ce sont les juges qui ont fixé le montant du remboursement : l’indivisaire a droit à une indemnité
égale à la plus forte des deux sommes entre la dépense faite par l’indivisaire et le profit subsistant
pour la masse indivise. Là aussi, le juge peut s’appuyer sur l’équité pour exercer un pouvoir
modérateur. Par exemple : Civ. 1ère, 4 mars 1986, Bull. civ. I n°51 ; J.C.P. éd. G. 1986, II, 20701,
note Ph. Simler.
Ces dernières règles se rapprochent des modes de gestion de l’indivision elle-même, qu’il faut
maintenant étudier.
12
UNJF - Tous droits
A. Les règles de gestion de l’indivision
Par principe, les indivisaires ont des droits concurrents sur les biens indivis. Aucun indivisaire ne
peut prendre de décision individuelle sur un bien de la masse indivise. Le principe de l’unanimité
domine : en théorie, il faut l’accord de tous les indivisaires pour décider de la gestion de
l’indivision. Ce qui a pour corollaire que, à l’inverse, chaque indivisaire peut s’opposer aux actes
accomplis par un autre indivisaire.
Exemple
Un indivisaire ne peut pas, sans l’accord des autres, utiliser seul un bien, le donner en location, constituer u
Mais le principe de l’unanimité n’est pas absolu car parfois, il peut paralyser la gestion de
l’indivision, même pour des décisions simples. La loi du 23 juin 2006 précitée a introduit un
principe de majorité qualifiée pour un certain nombre d’actes, tempérant ainsi l’exigence de
l’unanimité (qui était déjà atténuée dans le régime antérieur pour les actes conservatoires).
Le dispositif actuel est régi par les articles 815-2 à 815-13 c.civ. qui distinguent d’une part les actes
conservatoires (1) et d’autre part les actes d’administration et de disposition des biens indivis (2).
Certaines mesures particulières sont également prévues dans des hypothèses spécifiques (3).
L’art. 815-2 al.1e c.civ. prévoit que « tout indivisaire peut prendre les mesures nécessaires à la
conservation des biens indivis même si elles ne présentent pas un caractère d’urgence ».
En conséquence, chaque indivisaire peut décider, seul, des mesures conservatoires à prendre
: en matière d’actes conservatoires, il n’existe pas de principe d’unanimité ni même de principe de
majorité. Il peut s’agir soit de mesures matérielles (exemple : réparations), soit de mesures
Exemple
juridiques.
Mise en demeure de payer des loyers : Civ. 3ème, 15 juin 2005, Bull. civ. III n°132 ; action en nullité du bail po
°39, chron. 273, n°18, obs. Serinet & chron. 337, n°7, obs. H. Périnet-Marquet.
C’est la loi précitée du 23 juin 2006 qui a complété l’article 815-2 al.1e c.civ. en élargissant le
pouvoir des indivisaires : les mesures conservatoires peuvent être valablement prises par un
indivisaire seul même si elles ne présentent pas un caractère d’urgence. Cette affirmation a mis fin
à la jurisprudence antérieure, qui exigeait à la fois une mesure nécessaire et urgente.
Exemple
Civ. 1ère, 25 novembre 2003, Bull. civ. I n°241 ; D. 2004, I.R. p.33 ; J.C.P. éd. G. 2004, I, 125, n
°5, obs. H. Périnet-Marquet.
Pour réaliser ces mesures nécessaires à la conservation des biens, les alinéas 2 et 3 de l’art. 815-
2 c.civ. précisent que l’indivisaire peut employer les fonds de l’indivision qu’il détient et dont il est
réputé avoir la libre disposition à l’égard des tiers. Ainsi, les autres indivisaires ne pourront pas
13
UNJF - Tous droits
remettre
14
UNJF - Tous droits
en question le pouvoir d’agir de l’indivisaire à l’égard des tiers avec lesquels il contracte. Il peut
également obliger ses coïndivisaires à faire avec lui les dépenses nécessaires.
En matière d’actes conservatoires, l’idée est donc que l’indivisaire soustrait l’indivision à un péril
sans compromettre sérieusement les droits des autres indivisaires : il est autorisé à agir seul. Il
n’en va pas de même lorsqu’il s’agit d’actes d’administration ou d’actes de disposition.
15
UNJF - Tous droits
2. Les actes d’administration et de disposition
Ce sont les actes permettant de gérer les biens de l’indivision (exemple : mise en location d’un appartemen
Le régime de 1976 posait un principe d’unanimité puis des mesures dérogatoires ; le législateur de
2006 est allé plus loin car, tout en conservant ces dérogations nécessaires, il a mis en place un
système de majorité selon la gravité des actes et selon les circonstances. Ainsi, certains actes
sont soumis à un principe majoritaire (a), tandis que d’autres ne pourront être valablement conclus
qu’à l’unanimité des indivisaires (b).
Pour tous les actes pris à la majorité des 2/3, les autres indivisaires doivent être informés de
leur conclusion sous peine d’inopposabilité. Le ou les indivisaires majoritaires ont une obligation
d’information des coïndivisaires minoritaires. Cette information peut être donnée par tout moyen,
mais il est souvent conseillé de rédiger un écrit pour des questions de preuve.
La liste de l’ étant limitative, tous les actes de gestion qui ne sont pas mentionnés au sein de cette liste r
Exemple
Il en est notamment ainsi pour tous les actes qui ne correspondent pas à l’exploitation normale des biens,
Ainsi, la règle de l’unanimité reste le principe, le droit commun de la gestion des biens indivis. Ce
n’est que s’il existe un texte spécial que l’acte pourra être valablement adopté à la majorité des 2/3
; dans tous les autres cas, l’unanimité est requise.
16
UNJF - Tous droits
Il s’agit là des règles de droit commun, auxquelles le législateur a apporté des compléments dans
des hypothèses particulières.
De plus, la jurisprudence avait depuis longtemps accepté d’appliquer la gestion d’affaires aux
coïndivisaires. Rappelons que la gestion d’affaires se définit comme le fait pour une personne, le
gérant, d’accomplir des actes d’administration dans l’intérêt d’un tiers, le maître de l’affaire, sans
que ce dernier l’en ait chargé. Il s’agit d’un quasi-contrat, traité au sein du droit des obligations. En
ce domaine, l’art. 815-4 al.2 c.civ. précise désormais qu’« à défaut de pouvoir légal, de mandat ou
d’habilitation par justice, les actes faits par un indivisaire en représentation d’un autre ont effet à
l’égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d’affaires ». Il est possible d’appliquer le
régime de la gestion d’affaires entre coïndivisaires.
L’application de ces règles de gestion de l’indivision peut faire l’objet de contrôles, instaurés par le
législateur.
Exemple
Un indivisaire est atteint d’une altération de ses facultés mentales.
17
UNJF - Tous droits
Il pourrait y avoir une paralysie du dispositif car comme il n’y a pas de consentement possible,
l’idée de mandat même tacite est exclue. L’art. 815-4 al.1e c.civ. permet dans ce cas de recourir
au juge : un autre indivisaire « peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière
générale ou pour certains actes particuliers, les conditions et l’étendue de cette représentation
étant fixées par le juge ». Cet indivisaire bénéficie d’un mandat judiciaire qui désigne les actes
couverts, qui peuvent être tant des actes d’administration que des actes de disposition.
Selon l’article 815-5 al.1e c.civ., « un indivisaire peut être autorisé par justice à passer seul un acte
pour lequel le consentement d’un coïndivisaire serait nécessaire, si le refus de celui-ci met en péril
l’intérêt commun ». Le juge doit expressément désigner l’acte ou les actes spéciaux autorisés.
L’acte conclu sur autorisation judiciaire est opposable à l’indivisaire dont le consentement fait
défaut.
18
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Les juges du fond apprécient souverainement cet intérêt commun et en fonction de cette
appréciation, ils autorisent ou non la conclusion d’un ou plusieurs actes déterminés. Civ. 3ème,
10 mai 1983, Bull. civ. III n°113 ; R.T.D.civ. 1984, p.135.
Cette autorisation spéciale peut même concerner un acte de disposition, comme la vente d’un
bien indivis pour permettre d’acquitter des dettes : Civ. 1ère, 14 février 1984, Bull. civ. I n°62 ;
J.C.P. éd.
G. 1985, II, 20381, note de la Marnierre ; D. 1984, juris. p.453, note A. Breton ; R.T.D.civ. 1985,
p.189, obs. J. Patarin. Civ. 1ère, 6 novembre 1990, Bull. civ. I n°236 ; D. 1990, I.R. p.276 ; J.C.P.
éd. G. 1991, IV, 5 ; R.D.immo. 1991, p.33, obs. J.-L. Bergel.
Remarque
Le juge ne peut délivrer une autorisation d'agir qu'après avoir expressément recherché si le refus de l'indivisa
La loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit (loi n°2009-526 du 12 mai 2009
de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures) a introduit dans le code
civil un nouvel art. 815-5-1, en vertu duquel le juge peut autoriser l’aliénation d’un bien indivis « à
la demande de l’un ou des indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis ». Cette
possibilité disparaît cependant s’il existe un démembrement du droit de propriété sur le bien ou si
l’un des indivisaires est absent, hors d’état de manifester sa volonté par suite d’éloignement ou
placé sous un régime de protection.
L’intention d’aliéner doit être exprimée devant un notaire. Celui-ci doit ensuite faire signifier la
demande aux autres indivisaires dans un délai d’un mois, par acte d’huissier. Si l’un des
indivisaires s’oppose à l’aliénation ou si un ou plusieurs indivisaires ne répondent pas dans un
délai de trois mois, le notaire en dresse le constat. Le tribunal peut alors autoriser l’aliénation, à
condition qu’elle
« ne porte pas une atteinte excessive aux droits des autres indivisaires ». L’alinéation est
opposable à tous les indivisaires.
Selon l’art. 815-6 al.1 c.civ., « le Président du tribunal de grande instance peut prescrire ou
autoriser toutes les mesures urgentes que requiert l’intérêt commun ». La suite du texte donne des
exemples mais ce n’est pas une liste limitative car le législateur utilise le terme « notamment » : le
Président du tribunal de grande instance peut par exemple nommer un administrateur pour
l’indivision ou nommer un séquestre…
Jurisprudence
Au titre des mesures urgentes, le Président du Tribunal de grande instance peut autoriser la
vente de titres pour payer les frais de partage : Civ. 1ère, 16 février 1988, Bull. civ. I n°45 ;
R.T.D.civ. 1989, p.371, obs. J. Patarin ; R.T.D.civ. 1989, p.777, obs. F. Zénati.
19
UNJF - Tous droits
Au-delà du règlement judiciaire des situations de crise, le législateur a également prévu une
sanction des actes irréguliers.
Il faut alors procéder à un règlement des comptes, ce qui permet de connaître la situation de
chacun des indivisaires vis-à-vis de l’indivision.
Il reste une dernière question à envisager au sein de ce régime légal de l’indivision : celle de la
situation des créanciers.
20
UNJF - Tous droits
A. Les créanciers de l’indivision
Les créanciers de l’indivision ont pour gage la totalité de la masse indivise.
• ceux dont la créance est née avant l’indivision et qui auraient pu agir sur les biens indivis
avant que l’indivision ne prenne naissance ;
Exemple
Créanciers du défunt.
Jurisprudence
Civ. 1ère, 13 décembre 2005, Bull. civ. I n°494 ; D. 2006, Act. p.302, obs. Lienhard ; J.C.P. éd.
G. 2006, IV, 1087 : « les créanciers dont la créance est née antérieurement à la dissolution de
la communauté peuvent poursuivre la saisie et la vente des biens dépendant de l'indivision post-
communautaire ».
• ceux dont la créance est née de l’indivision, en raison d’actes de conservation ou de gestion
des biens indivis.
Exemple
Société d’assurance.
Jurisprudence
Civ. 1ère, 20 février 2001, Bull. civ. I n°41 ; D. 2001, I.R. p.906 ; J.C.P. éd. G. 2001, IV, 1685 ;
R.T.D.civ. 2001, p.642, obs. J. Patarin : « l'indivisaire titulaire d'une créance résultant de la
conservation des biens indivis peut poursuivre la saisie de certains de ces biens, sans être tenu
d'attendre l'issue des opérations de partage ».
Il faut également ajouter les créanciers qui ont pour débiteurs solidaires l’ensemble des indivisaires.
Ces créanciers de l’indivision ont un droit de gage général sur la masse indivise. Ils peuvent être
payés par prélèvement sur l’actif de l’indivision avant le partage. Ils peuvent également faire saisir
et vendre les biens indivis. Ils sont donc placés dans une situation plus avantageuse que les
créanciers personnels des indivisaires.
Jurisprudence
Civ.1ère, 15 juillet 1999, Bull. civ. I n°243 ; J.C.P. éd. G. 1999, IV, 2703 ; J.C.P. éd. N. 2001,
p.248,
n°6, obs. Le Guidec : « le créancier personnel d'un indivisaire ne peut saisir la part de son
débiteur dans les biens indivis, ni prendre aucune mesure ayant pour effet de rendre cette part
indisponible ».
22
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Civ.1ère, 1e décembre 1999, Bull. civ. I n°331 ; J.C.P. éd. G. 2000, IV, 1099 ; J.C.P. éd. N. 2001,
p.248, n°6, obs. Le Guidec : « les créanciers personnels d'un indivisaire ne peuvent saisir sa part
dans les biens indivis, meubles ou immeubles, ayant seulement la faculté de provoquer le partage
au nom de leur débiteur ».
• les créanciers personnels d’un indivisaire peuvent également prendre une surêté sur la part
indivise de leur débiteur.
Exemple
Hypothèque.
Remarque
La Cour de cassation a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitution
L’ensemble des règles étudiées jusqu’à présent est prévu à défaut de convention particulière entre
les parties. Il existe également des hypothèses dans lesquelles l’indivision, loin d’être subie et
imposée par la loi, est voulue et résulte d’un régime conventionnel.
23
UNJF - Tous droits
Section 2. L’indivision voulue : le régime conventionnel
Le régime conventionnel de l’indivision a été développé par la loi du 31 décembre 1976, codifiée
aux articles 1873-1 et s. c.civ., en rapport avec le droit des sociétés. L’indivision conventionnelle
a l’avantage de se rapprocher de la société, tout en évitant l’application du droit des sociétés, et
d’être plus souple que l’indivision légale, puisque la convention peut poser des règles particulières.
Ce régime est cependant peu utilisé en pratique.
La mise en place de ce régime nécessite la conclusion d’une convention entre les indivisaires
en vue d’organiser la gestion de l’indivision, ce qui implique bien évidemment la capacité à
contracter de chacun et un consentement valable. L’article 1873-2 c.civ. précise que cette
convention doit être conclue entre tous les coïndivisaires, sous réserve du droit de chacun de
demander le partage et de la possibilité pour les autres de demeurer conventionnellement dans
l’indivision. Cette convention doit être conclue par écrit et désigner les biens indivis ainsi que
les quotes-parts de chaque indivisaire. Le législateur ne prévoit pas de formalité de publicité
générale, mais il précise que si l’indivision comprend des créances, la convention doit être
signifiée aux débiteurs ; dans le même sens, si l’indivision comprend des immeubles, il est
nécessaire d’accomplir les formalités de publicité foncière.
Le législateur précise ensuite les règles relatives à la durée de l’indivision (§1) puis à son
organisation (§2).
L’article 1873-3 al.2 c.civ. permet cependant de conclure une indivision conventionnelle pour une
durée indéterminée, ce qui a peu d’intérêt en pratique car on retrouve le caractère précaire, sauf
exceptions, de l’indivision légale. Dans ce cas le partage peut être provoqué à tout moment, en
application du principe général du droit en vertu duquel une convention à durée indéterminée peut
toujours être résiliée unilatéralement. Mais le partage ne doit pas être provoqué « de mauvaise foi
ou à contretemps ». En pratique, les indivisions à durée indéterminée sont très rares.
Quelle que soit la durée choisie, l’indivision conventionnelle doit être organisée selon les règles de
principe indiquées par le législateur.
24
UNJF - Tous droits
• Tout d’abord, les règles de désignation et de révocation du ou des gérants peuvent être
prévues par la convention. À défaut, l’unanimité est requise pour la désignation du gérant ;
elle est également requise pour sa révocation si le gérant est un indivisaire. En revanche, la
révocation peut avoir lieu à la majorité si le gérant est un tiers à l’indivision. La révocation
peut également être judiciaire si le gérant met en péril les intérêts de l’indivision (art. 1875-
5 al.4 c.civ.);
• Ensuite, les pouvoirs du gérant sont précisés. Selon l’art.1873-6 c.civ., le gérant
représente les indivisaires, dans la mesure de ses pouvoirs, soit pour les actes de la vie
civile, soit pour les actions en justice. Il administre l’indivision avec les mêmes pouvoirs que
l’époux sur les biens communs. Il peut disposer des meubles corporels seulement pour les
besoins de l’exploitation normale de l’indivision ou s’il s’agit de choses difficiles à conserver
ou sujettes à dépérissement. Les pouvoirs conférés par la loi peuvent être restreints par la
convention mais à l’inverse, ils ne peuvent pas être étendus conventionnellement. Le gérant
a droit à une rémunération pour l’accomplissement de sa mission : le montant est fixé par les
indivisaires, à l’exclusion du gérant, ou à défaut par le Président du Tribunal de grande
instance. Le gérant répond des fautes commises dans sa gestion, comme tout mandataire;
• Puis le législateur s’intéresse aux droits et obligations des indivisaires. En principe,
selon l’art. 1873-8 c.civ, les décisions excédant les pouvoirs du gérant sont prises à
l’unanimité par les indivisaires, sauf disposition conventionnelle prévoyant la règle de la
majorité et sous réserve de capacité de tous les indivisaires. Le gérant rend compte au
moins une fois par an de sa gestion aux indivisaires. Pour la participation aux dépenses, aux
bénéfices et aux pertes, le système légal s’applique, comme pour la cession de droits indivis
et les droits de préemption et de substitution;
• Enfin, la situation des créanciers est abordée. Concernant les créanciers de l’indivision,
l’art. 1873-15 c.civ. renvoie au régime légal : ils disposent d’un droit de gage général sur la
masse indivise.
Concernant les créanciers personnels des indivisaires, le législateur renvoie également au
régime légal mais avec une spécificité. En effet, en matière d’indivision conventionnelle, les
créanciers personnels des indivisaires n’ont pas le droit de provoquer le partage lorsque la
convention est à durée déterminée. Il leur est en revanche possible de saisir et vendre la
quote- part de leur débiteur. Dans ce cas, les coïndivisaires peuvent se substituer au
débiteur pour éviter l’intrusion d’un tiers dans l’indivision.
Les règles prévues, soit par le régime légal, soit par la convention, ont vocation à s’appliquer
à l’indivision ordinaire, forme traditionnelle de propriété collective. Il existe également une forme
d’indivision spéciale, appelée mitoyenneté, qui découle des rapports de proximité entre les
propriétaires. L’étude de la mitoyenneté est l’objet de la leçon 7.
25
UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 7 : La propriété collective : la mitoyenneté
Section 1. L’acquisition de la mitoyenneté........................................................................................... p. 2
§1. Les modes d’acquisition généraux........................................................................................................................ .p.
2 Table des matières
§2. Les modes d’acquisition propres aux murs mitoyens............................................................................................ p.
4
A. L’acquisition forcée de la mitoyenneté d’un mur........................................................................................................................... p. 4
B. La cession forcée de la mitoyenneté d’un mur déjà construit....................................................................................................... p.
5 C. L’accession.....................................................................................................................................................................................
Section 2. La preuve de la mitoyenneté................................................................................................
p. 6
p. 7
§1. La preuve par titre................................................................................................................................................. .p.
7
§2. La preuve par prescription acquisitive................................................................................................................... p.
7
§3. La preuve par présomptions légales......................................................................................................................p.
7
A. Les présomptions de mitoyenneté................................................................................................................................................. p. 7
B. Les présomptions de non-mitoyenneté.......................................................................................................................................... p. 9
Section 3. Les droits et obligations issus de la mitoyenneté............................................................p. 11
§1. Les droits des propriétaires mitoyens.................................................................................................................. p.
11
1
UNJF - Tous droits
La mitoyenneté résulte de la proximité de deux fonds immobiliers.
Exemple
On peut par exemple avoir la mitoyenneté d’un mur, d’un fossé ou d’une clôture séparant deux fonds, c’es
• elle est parfois présentée comme une servitude car elle est évoquée dans le chapitre du
Code civil « des servitudes établies par la loi ». Mais ici, il n’y a pas réellement de fonds
servant et de fonds dominant, ce qui est un élément essentiel de définition de la servitude (cf.
infra., leçon 9) ;
• la mitoyennté est aussi présentée comme une copropriété de voisinage, forcée et perpétuelle ;
• enfin, elle peut être qualifiée d’indivision forcée, sorte de propriété indivise spéciale perpétuelle.
Quelle que soit la qualification retenue, il s’agit d’une forme de propriété collective, qui concerne
les clôtures communes à deux propriétaires fonciers voisins. Que l’on parle de copropriété
ou d’indivision, peu importe puisqu’en pratique les principes sont identiques. Les règles de la
mitoyenneté sont énoncées aux articles 653 à 673 c.civ.
Jurisprudence
La Cour de cassation définit la mitoyenneté comme « le droit de propriété dont deux personnes
jouissent en commun » : Civ. 3ème, 20 juillet 1989, Bull. civ. III n°173 ; R.T.D.civ. 1990, p.690,
obs. F. Zénati.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens propose une définition de la mitoyenneté, qui ne figure pas à l’heu
La mitoyenneté fait l’objet de règles spécifiques en matière d’acquisition (Section 1), de preuve
(Section 2), de droits et obligations des propriétaires mitoyens (Section 3) et enfin d’extinction
(Section 4).
2
UNJF - Tous droits
3
UNJF - Tous droits
L’acquisition par convention L’acquisition par prescription
Jurisprudence
Civ. 3ème, 8 décembre 1971, Bull. civ. III n°619 ; R.T.D.civ. 1972, p. 618, note J.-D. Bredin : «
le fait d’appuyer une construction contre un mur constitue un acte de possession caractérisé, car
le propriétaire de ladite construction se comporte comme si le mur était sa propriété exclusive ou
comme s’il était mitoyen ; (…) le maintien de cette situation pendant 30 ans peut donner lieu à
acquisition de la mitoyenneté par prescription ».
V. dans le même sens : Civ. 1ère, 10 mai 1965, Bull. civ. I n°307 ; D.1965, juris. p. 820 ; J.C.P.
éd. G. 1965, II, 14367, note H. Bulté.
Ces deux modes d’acquisition s’appliquent à tous les types de séparation des fonds. Il existe
également des modes d’acquisition de la mitoyenneté propres aux murs mitoyens.
On parle parfois de « clôture forcée », imposée par l’article 663 c.civ. : « Chacun peut contraindre
son voisin, dans les villes et les faubourgs, à contribuer aux constructions et réparations de la
clôture faisant séparation de leurs maisons, cours et jardins assis ès dites villes et faubourgs (…)
». Dans cette hypothèse, il peut ainsi y avoir acquisition forcée de la mitoyenneté car le voisin
devra payer la construction ou la réparation pour moitié.
Remarque
Ce principe ne peut pas fonctionner lorsque le mur mitoyen est déjà construit, sauf pour les réparations
4
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
L’acquisition forcée de la mitoyenneté ne peut pas jouer lorsque le mur séparatif est déjà construit
: Civ. 3ème, 9 juillet 1984, Bull. civ. III n°136 ; D.1985, juris. p.409, note H. Souleau ;
R.T.D.civ.1985,
p. 740, obs. C. Giverdon & P. Salvage-Gerest.
Civ. 3ème, 30 juin 1992, Bull. civ. III n°235 : « le constructeur d'un mur séparatif ne pouvant
contraindre son voisin à en acquérir la mitoyenneté, le Tribunal, qui a relevé que M. X... avait pris
l'initiative de faire construire un mur de clôture sans qu'ait été obtenu l'accord du propriétaire de la
parcelle limitrophe, tant sur le principe de la construction que sur l'acquisition de la mitoyenneté,
et qui en a justement déduit qu'il ne pouvait prétendre au remboursement de la moitié du coût de
la construction, a légalement justifié sa décision ».
La jurisprudence a offert au voisin une possibilité de ne pas acquérir la mitoyenneté : il peut alors,
s’il le souhaite, abandonner la mitoyenneté, c’est-à-dire abandonner la propriété de la bande de
terrain correspondant à la moitié de l’épaisseur du mur (cf.infra sur l’extinction de la mitoyenneté).
L’article 661 c.civ. offre à tout propriétaire joignant un mur « la faculté de le rendre mitoyen en tout
ou en partie, en remboursant au maître du mur la moitié de la dépense qu’il a coûté, ou la moitié
de la dépense qu’a coûté la portion du mur qu’il veut rendre mitoyenne et la moitié de la valeur du
sol sur lequel il est bâti. La dépense que le mur a coûté est estimée à la date de l’acquisition de sa
mitoyenneté, compte tenu de l’état dans lequel il se trouve ». Ce texte appelle plusieurs précisions
:
• il s’agit d’un véritable droit discrétionnaire et absolu : le propriétaire peut obliger son
voisin à céder la mitoyenneté. Il n’a pas à fournir les raisons de ce souhait. Il s’agit
d’une sorte d’expropriation pour cause d’utilité privée (v. A. Cheynet de Beaupré, «
L’expropriation pour cause d’utilité privée », J.C.P. éd. G. 2005, I, 144). Celui qui souhaite
acquérir la mitoyenneté peut soit acquérir la mitoyenneté de tout le mur, soit limiter la
mitoyenneté à une partie du mur ;
• le mur doit « joindre » le fonds voisin : cela signifie qu’il doit former une clôture entre les
deux fonds contigus, c’est-à-dire ne pas être construit en retrait de la limite du fonds.
Autrement dit, il ne doit pas y avoir d’empiètement sur le terrain d’autrui. Dans le même sens,
la jurisprudence a précisé que le droit d’acquérir la mitoyenneté disparaît lorsque le
propriétaire du mur a acquis, par titre ou par prescription, des servitudes qui sont
incompatibles avec la mitoyenneté.
Exemple
Des servitudes de vue.
Ce sont les juges du fond qui apprécient souverainement la question de l’incompatibilité entre
l’exercice d’une servitude et l’acquisition de la mitoyenneté ;
• si les conditions sont remplies, le juge ne peut pas s’opposer à la cession forcée : il a
l’obligation de prononcer la propriété mitoyenne du mur. Cette acquisition de la mitoyenneté
ne peut se faire que contre remboursement du prix de la part indivise du mur, c’est-à-
dire de la partie du mur devenant mitoyenne et de la partie du terrain sur laquelle repose le
5
UNJF - Tous droits
mur. Le juge peut seulement fixer le prix de cession à défaut d’accord entre les parties,
selon les indications fournies par le législateur. La jurisprudence a également précisé que le
moment du transfert de propriété est fixé à la date de la demande et non à la date du
jugement.
6
UNJF - Tous droits
Remarque
Le Conseil constitutionnel a retenu la constitutionnalité de l'article 661 c.civ. : la cession forcée de la mitoyenn
Ces deux modes d’acquisition sont spécifiques à la mitoyenneté. Il est également possible
d’utiliser le droit commun à travers le droit d’accession.
C. L’accession
La jurisprudence a été confrontée à un réel problème en pratique dans une hypothèse particulière.
Lorsqu’un propriétaire construit un mur mitoyen en empiétant sur le fonds voisin, volontairement ou
par erreur, il n’est pas possible d’appliquer l’article 661 c.civ. car il y a empiètement : le mur ne
joint pas le fonds voisin, il empiète sur celui-ci. Il y a alors une opposition entre la règle de
l’accession selon laquelle le voisin devient propriétaire par accession immobilière de la partie du
mur qui est sur son terrain (cf. leçon 2) et la règle de l’article 663 c.civ. qui permet de
contraindre le voisin à la construction d’un mur mitoyen. Il serait alors illogique de pouvoir
ordonner la destruction du mur, pour ensuite permettre au voisin de demander la reconstruction à
frais communs.
La jurisprudence a résolu la question en appliquant par analogie l’ : si le voisin réagit contre l’empiètem
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens entérine cette jurisprudence mais interdit l’allocation d’une indem
Une fois la mitoyenneté acquise, encore faut-il pouvoir la prouver. Quels sont les modes de preuve
de la mitoyenneté ?
7
UNJF - Tous droits
Section 2. La preuve de la mitoyenneté
La question se pose parfois de savoir si la séparation des deux fonds est mitoyenne. Les
propriétaires voisins peuvent être en désaccord sur ce point et la mitoyenneté devra être prouvée.
Il existe trois modes de preuve possibles de la mitoyenneté, prévus par le législateur. La preuve
peut être faite par titre (§1), par prescription (§2) ou par présomptions légales (§3).
Il ne peut pas constituer une preuve parfaite, irréfutable. Ce sont les juges qui en apprécient la
valeur et la portée, comme pour la preuve du droit de propriété lui-même (cf. leçon 5). Il peut
s’agir d’un acte translatif de propriété ou d’un acte déclaratif, d’un acte à titre onéreux ou à titre
gratuit, d’un acte sous seing privé ou d’un acte notarié…
Exemple
Un acte de vente ancien qui mentionne la mitoyenneté de la clôture.
En cas de contradiction entre plusieurs titres, le juge retiendra le titre estimé comme étant « le
meilleur et le plus probable ».
Il faut réunir des conditions identiques à celles exigées pour que l’usucapion produise ses effets :
la possession doit être constituée, elle doit être exempte de vices donc utile et elle doit avoir duré
au moins trente ans (par hypothèse, il n’y a pas de juste titre).
L’article 653 c.civ. pose également une présomption de mitoyenneté dans plusieurs situations : soit
pour tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu’à l’héberge, c’est-à-dire jusqu’à l’endroit
8
UNJF - Tous droits
où deux bâtiments d’inégale hauteur, séparés par un même mur, commencent à se séparer ; soit
entre cours et jardins ; soit entre enclos dans les champs.
Il existe une présomption légale de mitoyenneté pour les murs et les clôtures qui séparent deux
fonds, à défaut de titre ou de prescription contraire : cette présomption est simple et peut être
renversée par le titre ou la prescription contraire. Elle peut également être remise en question en
cas de « marque contraire », qui correspond en pratique aux présomptions de non-mitoyenneté.
9
UNJF - Tous droits
B. Les présomptions de non-mitoyenneté
À l’inverse, le législateur a également instauré des présomptions de non-mitoyenneté aux
articles 654 et 666 al.2 et 3 c.civ.
Dans tous les cas, les juges apprécient souverainement la valeur de ces présomptions, les
conditions devant exister lors de la construction ou depuis plus de trente ans. Ils peuvent
également utiliser d’autres indices, commes les usages locaux ou la situation des terrains voisins.
Jurisprudence
L’appréciation des marques de mitoyenneté relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges
du fond et l’énumération du législateur n’est pas limitative :
• Civ. 3ème, 18 février 1971, Bull. civ. III n°271.
• Civ. 3ème, 6 juillet 1976, Bull. civ. III n°299 : la présomption de propriété exclusive découlant
d’un titre, dont il n’est pas nécessaire qu’il soit commun aux deux parties, l’emporte sur la
présomption légale de mitoyenneté.
En définitive, le mode de preuve qui présente la plus grande force probante est, comme pour la preuve du d
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UNJF - Tous droits
Une fois prouvée, la mitoyenneté produit ses effets juridiques entre les propriétaires mitoyens,
créant à la fois des droits à leur profit et des obligations à leur charge.
11
UNJF - Tous droits
Section 3. Les droits et obligations issus de la mitoyenneté
Les propriétaires mitoyens de murs ou de clôtures jouissent de certains droits (§1) et sont soumis
à certaines obligations (§2).
1. Un droit d’usage
Chacun des propriétaires mitoyens dispose d’un droit d’usage sur le côté du mur qui se trouve sur son fonds.
Il peut ainsi s’en servir comme support sans avoir besoin du consentement de l’autre.
Remarque
Ce droit cesse cependant s’il s’agit de travaux particulièrement importants susceptibles de causer des trouble
• d’une part, chaque propriétaire mitoyen doit respecter la destination de la clôture, qui est
d’entourer un fonds. Il ne peut pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en
quelque manière que ce soit, sans le consentement de son voisin (article 675 c.civ.) ;
• d’autre part, aucun propriétaire ne doit nuire au droit d’usage corrélatif de son voisin. Les
juges pourront éventuellement ordonner la destruction des travaux effectués contrairement
à ces dispositions.
Sous réserve du respect de ces limites, le législateur prévoit trois hypothèses dans lesquelles ce
droit d’usage sur un mur mitoyen peut s’exercer :
• 1e hypothèse : chaque propriétaire mitoyen peut adosser contre le mur des constructions
(article 657 c.civ.) ;
• 2e hypothèse : chaque propriétaire mitoyen peut réaliser des plantations en espalier contre le
mur (article 671 al.2 c.civ.) ;
• 3e hypothèse : chaque propriétaire mitoyen peut placer dans le mur mitoyen des poutres ou
des solives sur lesquelles les constructions pourront prendre appui (article 657 c.civ.).
2. Un droit d’exhaussement
12
UNJF - Tous droits
En vertu de l’, « tout propriétaire peut faire exhausser le mur mitoyen (…) » : le droit d’exhaussement, qui co
L’exercice de ce droit est discrétionnaire : le propriétaire qui souhaite exhausser le mur n’a pas à
donner ses motifs ni à se justifier. Mais comme tout droit, son exercice ne doit pas être abusif : il
ne doit pas y avoir uniquement intention de nuire à son voisin.
13
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
La partie du mur sur laquelle s’appuie l’exhaussement doit elle-même être mitoyenne, sinon il
s’agit d’un empiètement qui fait obstacle à l’acquisition de la mitoyenneté : Civ. 3ème, 19
septembre 2007, Bull. civ. III n°147 ; J.C.P. éd. G. 2008, I, 127, n°6, obs. H. Périnet-Marquet.
L’article 658 c.civ. précise que le propriétaire qui fait exhausser le mur « doit payer seul la dépense
de l’exhaussement et les réparations d’entretien au-dessus de la hauteur de la clôture commune ;
il doit en outre payer seul les frais d’entretien de la partie commune du mur dus à l’exhaussement
et rembourser au propriétaire voisin toutes les dépenses rendues nécessaires à ce dernier par
l’exhaussement ». Deux conséquences découlent de ce texte :
Une dernière précision s’impose en application de l’article 659 c.civ. : « si le mur mitoyen n’est pas
en état de supporter l’exhaussement, celui qui veut l’exhausser doit le faire reconstruire en entier à
ses frais, et l’excédent d’épaisseur doit se prendre de son côté ».
Ces droits d’usage et d’exhaussement sont prévus pour les murs mitoyens ; les autres clôtures,
qui peuvent être de diverses natures (haie, grillage, rangée d’arbres, fossé…), font l’objet d’un
régime spécifique en raison même de cette diversité.
14
UNJF - Tous droits
ligne séparative des fonds. Il ne peut s’exercer que lorsqu’il ne porte pas atteinte à la destination
de la clôture.
15
UNJF - Tous droits
Exemple
Un fossé mitoyen qui sert également à l’écoulement des eaux ne peut pas être détruit et remplacé par un mur
L’article 670 al.2 c.civ. apporte une dernière précision : « chaque propriétaire a le droit d’exiger que
les arbres mitoyens soient arrachés ». Dans ce cas, ils sont partagés par moitié entre les
propriétaires mitoyens.
Les droits accordés aux propriétaires mitoyens, quel que soit le type de clôture en cause, sont
contrebalancés par des obligations imposées à ces propriétaires.
Les propriétaires mitoyens ont tout d’abord l’interdiction de pratiquer des ouvertures, jours ou
vues, sans le consentement du propriétaire voisin. Cette interdiction est énoncée à l’article 675
c.civ. : « l’un des voisins ne peut, sans le consentement de l’autre, pratiquer dans le mur mitoyen
aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant ». Il y aurait
en effet atteinte à la destination du mur mitoyen, qui est de clore à la fois les deux fonds, en même
temps qu’un risque d’indiscrétion. Cette atteinte ne peut être validée qu’en cas de consentement
des deux propriétaires mitoyens.
Ce principe entraîne une autre conséquence : les ouvertures faites lorsque le mur était privatif
doivent disparaître si le mur devient mitoyen, sauf acquisition d’une servitude par convention ou
prescription.
Exemple
Servitude de vue.
Cela explique d’ailleurs qu’en pratique, le voisin qui est gêné par ces ouvertures demande souvent
l’acquisition de la mitoyenneté dans le but principal de les faire disparaître. L’acquisition de la
mitoyenneté n’est alors qu’un moyen et non une fin en soi.
Il existe ensuite une obligation d’entretien et de conservation : le début de l’article 667 c.civ.
indique que « la clôture mitoyenne doit être entretenue à frais communs ». Cette obligation
s’impose quel que soit le type de séparation (mur, haie, fossé, etc.). Dans ce cas, l’article 655
c.civ. précise que les propriétaires mitoyens doivent contribuer pour moitié aux dépenses
d’entretien, de réparation ou de reconstruction de la clôture. Cette obligation ne vaut que si les
travaux sont nécessaires, compte tenu de la destination de la clôture, et s’ils n’ont pas leur origine
dans la faute d’un des propriétaires mitoyens, qui assume alors seul la charge des réparations. Il
en va de même lorsque les travaux sont entrepris dans l’intérêt d’un seul des voisins.
Il est possible de faire obstacle à cette obligation d’entretien et de conservation en abandonnant la
mitoyenneté, qui constitue un mode particulier d’extinction de la mitoyenneté.
16
UNJF - Tous droits
Section 4. L’extinction de la mitoyenneté (l’abandon de
mitoyenneté)
Comme tout droit réel, la mitoyenneté peut se perdre ou s’éteindre. On applique ici les causes
communes d’extinction : la cession du droit au propriétaire voisin, la réunion entre les mains d’un
seul propriétaire des fonds voisins…
Il existe cependant une cause d’extinction qui est particulière à la mitoyenneté : c’est l’abandon
de mitoyenneté, prévu aux articles 656 et 667 c.civ. Ce principe connaît cependant certaines
limitations.
• soit lorsque la clôture mitoyenne est un mur qui soutient un bâtiment appartenant à celui qui
voudrait l’abandonner ;
Jurisprudence
Civ. 3ème, 25 septembre 2002, Bull. civ. III n°182 ; D.2003, somm. p.2046, obs. B. Mallet-Bricout :
« attendu qu'il résulte de l'article 656 du Code civil que la faculté d'abandon de mitoyenneté ne
peut être exercée par l'un des propriétaires lorsqu'il retire du mur litigieux un avantage particulier ;
qu'ayant relevé que le mur retenait une terre dont la stabilité avait été modifiée par les
excavations effectuées pour procéder à la réalisation de l'immeuble "Résidence La Baronnie",
que la disparition de cet ouvrage entraînerait un glissement de terrain sur la propriété située en
contrebas que le nouveau mur en béton longeant le terrain de tennis ne serait pas en mesure de
contenir étant donné sa faible hauteur et que la présence de ce mur ancien était dès lors
indispensable au maintien de la plate-forme aménagée en terrain de tennis, la cour d'appel a
exactement déduit de ses constatations que le syndicat des copropriétaires retirait du mur
séparatif un avantage particulier et qu'il ne pouvait renoncer à son droit de propriété pour se
soustraire à d'éventuelles réparations rendues nécessaires non seulement par la vétusté de
l'ouvrage mais aussi par son fait en raison de la modification de l'état initial du sol ».
• soit lorsqu’il s’agit d’un fossé de séparation qui sert à l’écoulement des eaux ;
• soit enfin lorsque les travaux de réparation ou de reconstruction de la clôture sont imputables
à la faute ou au fait du copropriétaire qui voudrait se dispenser d’y contribuer.
18
UNJF - Tous droits
été réalisés, l’auteur de la renonciation à la mitoyenneté reste propriétaire mitoyen. Il n’y a en effet
aucune raison d’être, aucun intérêt à l’abandon de la mitoyenneté si les travaux ne sont pas
entrepris : l’exécution des travaux est une condition suspensive de l’efficacité de l’abandon.
Enfin, pour clore cette question, il est utile de préciser que l’abandon de la mitoyenneté ne prive
pas le propriétaire d’acquérir à nouveau la mitoyenneté de la séparation, si cela redevient utile
pour lui.
L’étude de la mitoyenneté a montré qu’elle pouvait valablement être rattachée soit à une forme
spéciale d’indivision, soit à un type particulier de copropriété. Il faut donc maintenant présenter
cette forme de propriété collective qu’est la copropriété des immeubles bâtis, objet de la leçon 8.
19
UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 8 : La propriété collective : la copropriété des immeubles bâtis
1
UNJF - Tous droits
Comme pour les autres formes de propriété collective, le droit s’est longtemps abstenu d’intervenir
dans ce domaine. Au-delà de la volonté de privilégier la propriété individuelle, il existe également
une explication d’ordre pratique : l’habitat a pendant longtemps été individuel. Il existait peu
d’immeubles au sein desquels la propriété était divisée par étage. C’est pourquoi les rédacteurs
du Code civil n’ont consacré en 1804 qu’un seul article au régime juridique applicable aux
immeubles divisés par étages : l’art. 664 c.civ., qui pour l’essentiel considérait cette hypothèse
comme une superposition de propriétés individuelles. Ce texte unique étant insuffisant pour régler
toutes les difficultés juridiques, la doctrine puis la jurisprudence ont progressivement fait appel à la
notion d’indivision forcée pour traiter les questions relatives aux parties essentielles de
l’immeuble ou aux équipements communs. Cette idée a donné l’impulsion à un mouvement de
rédaction de conventions entre les copropriétaires afin de prévenir les difficultés potentielles liées à
ces éléments communs. C’est ainsi que sont nés les premiers règlements de copropriété.
Face à la multiplication importante de ce type d’immeubles au cours du 19e puis du 20e siècle,
la nécessité d’une intervention du législateur a été mise en avant. La première loi donnant à la
copropriété un statut légal date du 28 juin 1938 ; elle abroge l’art. 664 c.civ. et propose différentes
solutions aux copropriétaires. Elle reste cependant d’une ambition modeste et sera rapidement
insuffisante pour régler l’ensemble des difficultés. Le dispositif est aujourd’hui réglementé par la loi
du 10 juillet 1965 (loi n°65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles
bâtis), modifiée notamment par une loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au
renouvellement urbain (dite loi « SRU » : loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000) et par une loi
du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (que l’on désigne parfois sous le
nom de loi « ENL »). La loi n’est pas codifiée mais elle est insérée dans le Code civil sous l’ancien
article 664.
Il est fondamental, avant d’entamer l’étude de la copropriété, de tenter d’en donner une définition. Il s’agit d’u
La propriété est répartie entre plusieurs personnes, chacune ayant une partie privative et une
quote- part de parties communes. C’est en substance la définition fournie par l’article 1e de la
loi du 10 juillet 1965. Chaque propriétaire a un droit de propriété exclusif et privatif sur son lot (par
exemple sur son appartement) et il exerce à ce titre tous les droits attachés à la propriété (l’usus,
le fructus et l’abusus). Il est en même temps copropriétaire indivis des parties communes de
l’immeuble : les sols, les murs porteurs, la toiture, les escaliers, les ascenseurs, les canalisations
communes...
La copropriété des immeubles bâtis mélange donc de la propriété individuelle et de la propriété commune o
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens propose d’insérer dans le c.civ. une définition de la copropriété
L’approche dualiste retenue par le législateur et par les juges (juxtaposition entre propriété
individuelle et propriété collective) imprime à la copropriété une coloration particulière, qui
s’exprime à travers son objet (Section 1), son organisation (Section 2) et au regard des droits et
obligations des copropriétaires (Section 3).
2
UNJF - Tous droits
Section 1. L’objet de la copropriété
L’objet de la copropriété est bien évidemment l’immeuble. C’est l’article 1er de la loi du 10 juillet
1965 qui détermine le champ d’application de la copropriété, c’est-à-dire l’objet auquel elle
s’applique (§1). Une fois ce champ d’application défini, il faudra préciser la structure de l’immeuble
soumis à la copropriété (§2).
Ainsi, le statut de la copropriété est appliqué impérativement si trois éléments sont présents :
• 1er élément : il s’agit d’un ou de plusieurs immeubles bâtis. Ce peut être soit un
immeuble unique divisé par étages ou appartements, on parle alors de « copropriété
verticale », soit un groupe d’immeubles bâtis, divisés en lots comportant une partie privative
et une quote-part des parties communes, et on parle alors de « copropriété horizontale ».
La copropriété ne s’applique pas lorsqu’il s’agit d’un lotissement pour lequel il y a une
véritable appropriation privative, sans parties communes.
La copropriété n’empêche pas de réaliser toutes les opérations potentiellement applicables
au droit de propriété : un démembrement en usufruit (cf. leçon 10), la prise de sûreté comme
une hypothèque ou encore la constitution d’une servitude (cf. leçon 9) ;
Jurisprudence
Il est possible d’admettre une servitude interne à la copropriété, soit entre les parties privatives,
soit entre une partie privative et une partie commune (par exemple, une partie privative peut être
grevée d’un droit de passage pour permettre à l’un des copropriétaires d’accéder à sa place de
parking) : Civ. 3ème, 30 juin 2004, Bull. civ. III n°140 ; D.2005, juris. p.1134, note C. Giverdon &
P. Capoulade ; R.T.D.civ. 2004, p.753, obs. Th. Revet : « le titulaire d'un lot de copropriété
disposant d'une propriété exclusive sur la partie privative de son lot et d'une propriété indivise
sur la quote part de partie commune attachée à ce lot, la division d'un immeuble en lots de
copropriété n'est pas incompatible avec l'établissement de servitudes entre les parties privatives
de deux lots, ces héritages appartenant à des propriétaires distincts ».
• 2ème élément : il doit y avoir plusieurs propriétaires : il faut au moins deux propriétaires,
sachant qu’il n’existe pas de limite supérieure. La copropriété résulte le plus souvent de la
vente de parts divises.
Exemple
Vente d'appartements au sein d’un même immeuble.
Il est utile de préciser que l’affectation de l’immeuble est indifférente : l’usage peut être
professionnel (commercial, artisanal, libéral ou industriel) et/ou à titre d’habitation ;
• 3ème élément : chaque copropriétaire a un lot de copropriété, qui comprend d’une part
une propriété exclusive sur la partie privative (logement et aux dépendances privées) et
3
UNJF - Tous droits
d’autre
4
UNJF - Tous droits
part une propriété indivise sur la quote-part de partie commune qui lui est attachée.
L’existence de parties communes est obligatoire.
Jurisprudence
La Cour de cassation qualifie le lot de copropriété d’immeuble par nature : Civ. 3ème, 15
novembre 1989, Bull. civ. III n°213 ; R.T.D.civ.1990, p.304, obs. F. Zénati : « attendu que,
retenant que chacun des lots saisis, placé par l'auteur de la division sous le régime de la
copropriété, comprenait, selon l'état descriptif, le droit exclusif d'utiliser une surface déterminée
du sol pour y édifier des constructions, conformément à un permis de construire délivré à M. X...,
ainsi qu'une quote-part de la propriété du sol et des parties communes, la cour d'appel a
exactement décidé, sans modifier l'objet du litige, que le " lot privatif " du débiteur constituait un
immeuble par nature pouvant faire l'objet d'une saisie immobilière ».
Lorsque ces éléments sont réunis, les immeubles ou l’immeuble sont impérativement soumis au
statut de la copropriété. Ce statut est également applicable à d’autres immeubles, sauf convention
contraire.
On retrouve ici l’idée d’un lotissement, à condition qu’il comprenne des parties communes. Dans
ce domaine, le critère est finalement celui de l’hétérogénéité des éléments constitutifs de
l’ensemble immobilier.
La loi du 10 juillet 1965 précise que dans cette hypothèse, le statut de la copropriété s’applique si
aucune organisation différente n’a été prévue par convention. C’est pour cette raison que l’on parle
de statut facultatif, puisqu’il existe une liberté d’organisation différente par convention.
Exemple
Les propriétaires pourront s’entendre pour mettre en place une union de syndicats ou encore une association
Cependant, ces cas sont rares en pratique et l’organisation collective choisie sera dans la majorité
des cas la copropriété.
5
UNJF - Tous droits
A. Les parties privatives
L’art. 2 de la loi du 10 juillet 1965 précise que « sont privatives les parties des bâtiments et des
terrains réservées à l’usage exclusif d’un copropriétaire déterminé.
Les parties privatives sont la propriété exclusive de chaque copropriétaire ».
De manière un peu paradoxale, c’est l’usage qui détermine la qualité de la partie de l’immeuble et
non l’inverse. La partie privative est celle dont l’un des copropriétaires peut faire un usage
exclusif.
Exemple
En pratique, il s’agit de l’intérieur des appartements : les cloisons intérieures, les équipements intérieurs,
Le propriétaire dispose d’une propriété exclusive sur ces éléments : il peut décider d’habiter
l’appartement ou de le louer, il peut faire des travaux d’intérieur…, à condition de se conformer à
la destination de l’immeuble.
Exemple
Si l’immeuble est à usage d’habitation, il ne pourra pas utiliser son appartement pour une activité professionn
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend une définition identique des parties privatives au sein de
Le législateur énumère également les droits qui sont réputés accessoires des parties
communes, qui correspondent aux prérogatives liées à l’exercice du droit de propriété sur les
parties communes : on trouve ainsi le droit de surélever un bâtiment affecté à l’usage commun ou
encore le droit d’édifier des bâtiments nouveaux dans les cours, parcs ou jardins constituant des
parties communes.
6
UNJF - Tous droits
Cependant, tant la définition que l’énumération des éléments en question ne s’imposent pas aux
copropriétaires, qui ont la liberté de donner une autre qualification aux parties de l’immeuble dans
le règlement de copropriété et dans l’état descriptif de division, sauf s’il s’agit d’une partie
commune par nature, comme le gros œuvre.
Exemple
Les combles sont en principe des parties communes mais il est possible de les qualifier de parties privatives e
Jurisprudence
Le droit d’usage exclusif d’une partie commune est un véritable droit réel accessoire au lot de
copropriété : il est donc perpétuel et ne peut être remis en cause sans le consentement de son
titulaire : Civ. 3ème, 4 mars 1992, Bull. civ. III n°73 ; D. 1992, juris. p.386, note Ch. Atias ;
R.T.D.civ. 1993, p.162, obs. F. Zénati : « le droit de jouissance exclusif et privatif sur une fraction
de la cour, partie commune, attribué par le règlement de copropriété aux lots n°s 2 et 3, dont
il constituait l'accessoire, avait un caractère réel et perpétuel, que l'usage effectif de ce droit était
sans incidence sur sa pérennité et que ce droit ne pouvait être remis en cause sans le
consentement de son bénéficiaire ».
L’art. 4 de la loi du 10 juillet 1965 énonce ensuite quels sont les droits des copropriétaires sur les
parties communes : « les parties communes sont l’objet d’une propriété indivise entre l’ensemble
des copropriétaires ou certains d’entre eux seulement ; leur administration et leur jouissance sont
organisées conformément aux dispositions de la présente loi ». Les droits et obligations de chaque
copropriétaire sur ces éléments seront précisés dans la dernière partie de cette étude.
7
UNJF - Tous droits
Remarque
Pour terminer sur ce point, au sein de la proposition d’, l’avant-projet de réforme du droit des biens donne une
« sont communes les parties des bâtiments et des terrains affectées à l’usage ou à l’utilité de tous les copropr
Les parties privatives et une quote-part des parties communes doivent être réparties par lots entre
les copropriétaires.
C. Le lot de copropriété
Le droit de propriété exclusif exercé sur les parties privatives et le droit de propriété indivis
applicable aux parties communes sont indissociablement liés. Ils sont en effet réunis au sein
d’une entité juridique propre, autonome, appelée le lot de copropriété. C’est d’ailleurs cette
entité qui est l’objet véritable du droit de propriété : la caractéristique essentielle de la copropriété
est de répartir la propriété par lots.
Chaque lot de copropriété comprend la propriété exclusive des parties privatives et une quote-part de la propr
La désignation des parties privatives soulève en général peu de difficultés et peut être modifiée
ultérieurement.
Exemple
Modification des parties privatives si de nouveaux locaux sont construits ou s’il y a un changement d’affectatio
En revanche, la détermination de la quote-part des parties communes est souvent plus complexe.
Elle correspond à une part abstraite, indivise, des parties communes. Elle est exprimée en
tantièmes, c’est-à-dire en une fraction de la totalité des parties communes. L’unité la plus souvent
utilisée est le millième.
Exemple
En pratique, on imagine que l’ensemble des parties communes représente 1.000. Ensuite, on attribue à
Cette répartition devra être faite dans le règlement de copropriété et dans l’état descriptif de division.
Quels sont les critères qui permettent de calculer cette quote-part ? L’art. 5 de la loi du 10 juillet
1965 donne un certain nombre d’indications, dans le silence ou la contradiction des titres : « la
quote-part des parties communes afférentes à chaque lot est proportionnelle à la valeur relative de
chaque partie privative par rapport à l’ensemble des valeurs desdites parties, telles que ces
valeurs résultent lors de l’établissement de la copropriété, de la consistance, de la superficie et de
la situation des lots, sans égard à leur utilisation ». Il est tenu compte à la fois de la superficie
des locaux et de leur situation : l’étage, l’exposition, la vue… En revanche, il ne doit pas être
tenu compte du critère de l’utilisation, qui aboutissait souvent à attribuer des tantièmes
excessifs aux locaux à usage professionnel.
Au-delà de son utilisation pour constituer les lots de copropriété, la répartition des tantièmes a
également une grande importance puisqu’elle détermine le nombre de voix dont dispose chaque
copropriétaire lors des votes en assemblée générale. Elle a donc un impact sur l’organisation de
la copropriété.
8
UNJF - Tous droits
Section 2. L’organisation de la copropriété
L’objectif de la loi du 10 juillet 1965 est de trouver un équilibre entre les droits et les intérêts de
tous les copropriétaires. Pour que la copropriété puisse fonctionner, il faut établir certains
documents (§1) et mettre en place des organes spécifiques (§2).
A. Le règlement de copropriété
Selon l’article 8 al.1er de la loi du 10 juillet 1965, « un règlement conventionnel de copropriété,
incluant ou non l’état descriptif de division, détermine la destination des parties tant privatives
que communes, ainsi que les conditions de leur jouissance ; il fixe également, sous réserve des
dispositions de la présente loi, les règles relatives à l’administration des parties communes ».
Il s’agit d’un document essentiel dans le fonctionnement de toute copropriété puisqu’il est destiné à organiser
Sa rédaction est obligatoire et son adoption ou sa modification doit être décidée en Assemblée
générale (v. pour un rappel : Civ.3e, 8 juin 2011, n°10-18220, J.C.P. éd. G. 2011, 1298, n°13,
obs. H.Périnet-Marquet : une décision même unanime des copropriétaires n'est pas suffisante
pour modifier le règlement de copropriété, il faut nécessairement une décision d'assemblée
générale).
Il faut étudier la nature juridique du règlement de copropriété (1) avant de s’intéresser à son contenu
(2) puis à ses effets juridiques (3).
Cependant, la qualification n’est pas aussi claire en doctrine et la majorité des auteurs relève la
nature hybride du règlement de copropriété, à la fois contrat et document statutaire ou
institutionnel. Cette qualification découle notamment des modes possibles d’élaboration du
règlement :
• 1ère situation : lorsqu’un promoteur immobilier construit un immeuble, qu’il le divise en lots
vendus à des acquéreurs, il revient à ce promoteur immobilier de rédiger unilatéralement le
règlement de copropriété. Celui-ci sera accepté par les acheteurs en même temps que l’acte
de vente du lot de copropriété : ils n’ont pas d’autre choix que d’adhérer au règlement ou de
renoncer à l’achat de l’immeuble. Peut-on alors réellement parler de contrat ? A minima il
s’agit d’un contrat d’adhésion ;
• 2ème situation : lorsqu’un immeuble est soumis au statut de la copropriété des immeubles
bâtis, le règlement de copropriété doit être rédigé et voté par l’assemblée générale des
copropriétaires. Mais dans ce cas, l’unanimité n’est pas requise : le règlement pourra être
imposé par la majorité des copropriétaires aux copropriétaires minoritaires : comment parler
de contrat puisque le consentement de toutes les parties n’est pas obtenu ?
10
UNJF - Tous droits
La jurisprudence, comme il a été indiqué précédemment, ne s’est pas embarrassée de ces
questions et a retenu, à la suite du législateur, la nature contractuelle du règlement de copropriété,
quel que soit son mode d’élaboration. La solution est discutable mais elle n’est pas remise en
cause en pratique.
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UNJF - Tous droits
Jurisprudence
Par exemple, sur la nature contractuelle du règlement de copropriété et de l’action en
responsabilité qui en découle : Civ. 3ème, 22 mars 2000, Bull. civ. III n°64 ; J.C.P. éd. G. 2000, I,
265, n°2, obs. H. Périnet-Marquet ; D.2001, somm. p.345, obs. J.-R. Bouyeure : « le règlement de
copropriété ayant la nature d'un contrat, chaque copropriétaire avait le droit d'en exiger le
respect par les autres et que l'action individuelle des consorts X... était recevable sans qu'ils
soient astreints à démontrer qu'ils subissaient un préjudice personnel et spécial distinct de
celui dont souffrait la collectivité des membres du syndicat, leur intérêt à agir trouvant sa source
dans le respect du règlement de copropriété ».
En tout état de cause, quelle que soit la qualification retenue, le règlement de copropriété a un
contenu minimal impérativement fixé par le législateur, auquel certaines dispositions pourront être
ajoutées.
Cet usage, soit des parties communes, soit des parties privatives, pourra être modifié par
l’assemblée générale des copropriétaires.
Dans tous les cas, l’article 8 al. 2 de la loi du 10 juillet 1965 définit une limite aux restrictions
qui peuvent être imposées aux copropriétaires : « Le règlement de copropriété ne peut
imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées
par la destination de l’immeuble, telle qu’elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa
situation ». La destination de l’immeuble doit être définie en fonction de l’affectation des parties
privatives principales (habitation, usage commercial…), du standing de l’immeuble ou encore de
son environnement économique (est-ce un quartier résidentiel ou un quartier commercial ?),
architectural ou social.
La destination de l’immeuble ne pourra être modifiée qu’à l’unanimité des copropriétaires. En cas
de litige, les juges du fond apprécient souverainement si le règlement de copropriété n’apporte pas
de restrictions injustifiées aux droits des copropriétaires et si les activités sont susceptibles d’être
pratiquées eu égard à ce qui est inscrit au règlement.
12
UNJF - Tous droits
Exemple
Une clause instituant un droit de préemption en faveur des copropriétaires en cas de vente de lots ne peut êtr
Le législateur lui-même intervient parfois afin de prohiber l’utilisation de certaines clauses, pour
des raisons de politique sociale ou économique.
Exemple
Il est illicite d’insérer une clause prohibant la présence d’animaux familiers (article 10 de la loi n
°70-598 du 9 juillet 1970, modifiée par l’ordonnance n°2010-462 du 6 mai 2010).
• 3ème mention obligatoire : le règlement de copropriété doit énoncer les règles relatives à
l’administration des parties communes. Il s’agit de préciser l’organisation collective de la
copropriété, essentiellement en application des dispositions impératives de la loi. On trouve
les règles relatives au fonctionnement des organes de la copropriété, celles applicables à la
conservation de l’immeuble et à l’administration des parties communes.
Remarque
Au-delà de ces mentions obligatoires, le règlement de copropriété peut contenir d’autres dispositions, par défi
13
UNJF - Tous droits
Un dernier élément doit être étudié, concernant les effets de ce règlement de copropriété.
Jurisprudence
Les locataires, ayants cause de copropriétaires, dûment informés des clauses du règlement,
doivent s’y conformer et peuvent être directement poursuivis par le syndic en cas d’inobservation
(exercice d’une activité commerciale dans des locaux d’habitation) : Civ. 3ème, 4 janvier 1991,
Bull. civ. III n°2 ; J.C.P. éd. G. 1991, IV, 73.
La nature juridique de l’état descriptif de division a fait l’objet d’une évolution jurisprudentielle. À
l’origine, les juges attribuaient à ce document une nature contractuelle, en lien avec le règlement
de copropriété. Mais depuis le début des années 1990, la Cour de cassation a opéré un revirement
de jurisprudence : elle s’est ralliée à l’opinion doctrinale majoritaire, estimant que l’état descriptif
de division est un simple document technique, sans aucune valeur contractuelle.
Jurisprudence
Civ. 3ème, 8 juillet 1992, Bull. civ. III n°241 ; D.1993, juris. p.1, note C. Giverdon & P. Capoulade :
l’état descriptif de division étant dressé seulement pour les besoins de la publicité foncière, il n’est
pas de nature contractuelle. V. aussi Civ.3e, 7 septembre 2011, n°10-14154, J.C.P. éd. G.2011,
1298, n°11, obs. H.Périnet-Marquet : la publication postérieurement au règlement de copropriété
d'un nouvel état descriptif de division non constesté ne lui donne pas valeur contractuelle.
Ces documents permettent d’appliquer aux situations particulières les règles prévues par la loi en
matière de fonctionnement des organes de la copropriété.
15
UNJF - Tous droits
Exemple
Action en recouvrement des charges communes, action en inobservation du règlement de copropriété ou ac
Pour exercer ses missions, le syndicat des copropriétaires passe par un organe délibératif :
l’assemblée générale.
Les règles de fonctionnement sont définies par le règlement de copropriété, sous réserve de
respecter le cadre général fixé par la loi :
• tout d’abord, l’assemblée générale des copropriétaires est convoquée au moins une fois
par an par le syndic. Une convocation doit être adressée à chaque copropriétaire par lettre
recommandée avec accusé de réception (ou par remise en mains propres contre signature)
au moins 15 jours avant la réunion. Elle doit indiquer l’ordre du jour (sachant cependant que
tout copropriétaire peut demander l’ajout de questions supplémentaires) et les date, heure et
lieu de la réunion ainsi que la possibilité pour chaque copropriétaire de se faire représenter
par un mandataire, membre ou non du syndicat. Il faut également joindre à l’ordre du jour les
documents soumis aux délibérations de l’assemblée.
Exemple
Comme le compte de gestion, le budget prévisionnel ou encore les devis pour travaux.
• enfin, la loi fixe les règles des majorités exigées en fonction des décisions :
- En principe, aux termes de l’art. 24 al.1er de la loi du 10 juillet 1965, les décisions sont prises à
la majorité simple des voix exprimées des copropriétaires présents ou représentés, sans
qu’aucun
Exemplequorum spécial ne soit requis.
Il s’agit par exemple du vote du budget prévisionnel ou d’une décision de réparation des parties communes
16
UNJF - Tous droits
- Par exception, prévue à l’art. 25 de la loi du 10 juillet 1965, certaines décisions ne pourront être
Exemple
prises qu’àdes
Il s’agit la décisions
majorité absolue, c’est-à-dire à lasur
portant essentiellement majorité des voixdedelatous
l’organisation les copropriétaires
copropriété, comme la révocation
qu’ils soient présents, représentés ou absents.
Si la majorité absolue ne peut être atteinte, le législateur prévoit, sous condition d’obtention du
tiers au moins des voix de tous les copropriétaires, la possibilité d’organiser un second vote au
cours de la même séance, qui aura lieu cette fois à la majorité simple des voix. La majorité
simple sera également requise pour ce vote, sans condition d’atteinte du tiers des voix, si une
nouvelle assemblée est convoquée dans un délai de 3 mois pour la même question.
- Ensuite, certaines décisions requièrent une double majorité, comme l’indique l’art.26 de la loi.
Elles ne peuvent être prises qu’en cumulant la majorité des copropriétaires et les 2/3 des voix
des copropriétaires présents ou représentés. Il s’agit de décisions relativement graves, qui ne
Exemple
correspondent pas au fonctionnement normal et courant de la copropriété.
Les actes d’acquisition immobilière, les modalités d’ouverture des portes d’accès aux immeubles ou encore la
- Enfin, d’autres décisions ne pourront être prises qu’à l’unanimité des voix, ce qui confère dans
ces hypothèses un véritable droit de véto à chaque copropriétaire. Il s’agit des décisions les plus
graves.
Exemple
La modification de la destination de l’immeuble ou la modification de la répartition des charges (hors le cas pr
Quelle que soit la majorité exigée, les décisions de l’assemblée générale régulièrement adoptées s’imposent à
Elles peuvent cependant faire l’objet de recours de la part des « copropriétaires opposants ou
défaillants » selon l’art. 42 al.2 de la loi du 10 juillet 1965. La jurisprudence est très stricte sur ce
point et par exemple, elle refuse d’admettre l’action des copropriétaires qui se sont abstenus ou
des locataires.
L’action en contestation de la décision doit être introduite dans un délai de deux mois à compter
de la réception de la notification du procès-verbal de réunion faite par le syndic (cette notification
devant elle-même intervenir dans les 2 mois de la tenue de l’assemblée). Il peut être demandé au
juge de prononcer la nullité de la décision ou son inopposabilité, ou même d’autoriser un acte qui a
été refusé en assemblée (par exemple la réalisation de travaux souhaités par un copropriétaire qui
affectent les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble tout en restant conformes à la
destination de l’immeuble), ou encore de décider lui-même d’une nouvelle répartition des charges.
Les décisions prises par l’assemblée générale doivent ensuite être exécutées : c’est le rôle du
deuxième organe de la copropriété, le syndic.
B. Le syndic
17
UNJF - Tous droits
Le syndic est l’organe exécutif de la copropriété, comme l’indique l’art. 18 de la loi. Il est
obligatoirement nommé et révoqué par l’assemblée générale des copropriétaires à la majorité
absolue des voix, ou par le Président du tribunal de grande instance en cas de litige. Il est nommé
pour une durée de trois ans et peut être révoqué ad nutum. Il existe une grande liberté de choix
dans la désignation du syndic : un professionnel, un des copropriétaires ou un tiers, une personne
physique ou une personne morale…
Ses fonctions sont énumérées à l’article 18 de la loi : il assure l’exécution des décisions de
l’assemblée générale des copropriétaires et des dispositions du règlement de copropriété. Il gère
la copropriété, administre les parties communes et assure la conservation et l’entretien de
l’immeuble. Il établit le budget prévisionnel et les comptes du syndicat. Il représente le syndicat
dans les actes de la vie civile et peut à ce titre exercer les actions en justice s’il a obtenu une
autorisation préalable spéciale de l’assemblée générale.
18
UNJF - Tous droits
Exemple
Sur autorisation, le syndic peut exercer une action en recouvrement des créances du syndicat.
Enfin, il est responsable des fautes commises dans l’exécution de ses fonctions, à l’égard du
syndicat,
Exemple des copropriétaires ou des tiers.
Lorsque des travaux ont été votés en assemblée générale mais que le coût final dépasse l'autorisation donné
Le syndic est contrôlé et assisté dans ses missions par le troisième organe de la copropriété, le
conseil syndical.
C. Le conseil syndical
Le conseil syndical est un organe d’assistance et de contrôle du syndic. L’art. 21 de la loi
prévoit en effet que « dans tout syndicat de copropriétaires, un conseil syndical assiste le syndic et
contrôle sa gestion ». Il est composé de plusieurs copropriétaires élus par l’assemblée générale
des copropriétaires pour trois ans, révocables à tout moment à la majorité absolue.
Le conseil syndical donne son avis sur toutes les questions de la compétence du syndic : il a
une fonction consultative. Il contrôle également la gestion du syndic en exerçant un contrôle de la
comptabilité, de la répartition des dépenses ou encore des conditions dans lesquelles sont passés
et exécutés les marchés et autres contrats. Le conseil syndical doit enfin rendre compte, chaque
année, de l’exécution de sa mission à l’assemblée générale des copropriétaires.
L’aspect collectif de la copropriété, qui nécessite une organisation particulière que l’on vient
d’étudier, ne doit pas masquer la dimension individuelle de la copropriété, qui confère des droits et
obligations à chacun des copropriétaires.
19
UNJF - Tous droits
Section 3. Les droits et obligations des copropriétaires
Chaque propriétaire dispose de droits et est tenu d’obligations spécifiques sur son lot de
copropriété (§1), sur les parties privatives (§2) et sur les parties communes (§3).
La difficulté essentielle est que le lot de copropriété n’a pas une assiette matériellement
déterminée : il y a les parties privatives et une quote-part des parties communes, qu’il est
impossible d’identifier précisément. Or l’usus nécessite une identification précise du bien, tandis
que le fructus et l’abusus peuvent être exercés sur l’entité abstraite qu’est le lot de copropriété.
Ce droit de propriété plein et exclusif connaît cependant des limites. En effet, chaque
copropriétaire doit respecter un formalisme rigoureux en cas de cession du lot de copropriété ou
de constitution d’un droit réel sur ce lot. Il existe notamment des obligations de publicité,
d’information du syndic et d’information du cessionnaire, qui doit connaître la superficie exacte, le
règlement de copropriété, l’état descriptif de division et la quote-part dans les charges.
Il peut également exercer toutes les actions en justice afférentes à son droit de propriété.
Exemple
Action possessoire, action contre les troubles anormaux de voisinage…
• tout d’abord, chaque copropriétaire doit respecter les obligations de voisinage issues de
l’importante proximité du voisinage. Il ne doit ni abuser de son droit d’usage, ni provoquer
des troubles anormaux de voisinage. Il peut d’ailleurs être responsable, à l’égard des autres
copropriétaires ou du syndicat, du fait de son locataire;
20
UNJF - Tous droits
Remarque
Le droit de chaque copropriétaire de faire un usage libre de ses parties privatives peut parfois se heurter à la n
Ce respect n’est bien évidemment exigé qu’à condition que l’interdiction imposée soit licite,
c’est-à-dire exprimée dans l’intérêt de la copropriété conformément à la destination de
l’immeuble, et qu’elle ne porte pas une restriction injustifiée aux droits des copropriétaires ;
• enfin, aux termes de l’art. 9 de la loi du 10 juillet 1965, aucun copropriétaire ne peut
s’opposer à l’exécution de travaux, même à l’intérieur de sa partie privative, décidés par
l’assemblée générale des copropriétaires pour l’intérêt collectif de la copropriété lorsque
les conditions l’exigent. Ce principe est posé sous réserve que ces travaux n’altèrent pas de
manière durable l’affectation, la consistance ou la jouissance des parties privatives. Le
copropriétaire peut recevoir dans ce cas une indemnité destinée à compenser l’éventuelle
diminution de valeur de son lot, une dégradation ou un trouble grave de jouissance, même
temporaire.
Pour terminer sur les parties privatives, chacun doit bien évidemment supporter seul les charges
afférentes à la fraction de l’immeuble qui lui appartient privativement.
Exemple
Payer les frais d’entretien, régler les différents impôts, etc.
Il faut enfin étudier les droits et obligations des copropriétaires sur les parties communes.
Dans certains cas, il est possible pour un copropriétaire d’utiliser ou d’aménager individuellement
une partie commune.
Exemple
Un copropriétaire qui exerce une activité libérale peut apposer une plaque sur la façade avec l’autorisatio
21
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
L’obtention d’un droit de jouissance exclusive par un copropriétaire sur une partie commune ne
peut pas entraîner la requalification de cette partie commune en partie privative : Civ. 3ème, 6 juin
2007, Bull. civ. III n°98 ; J.C.P. éd. G. 2007, I, 197, n°5, obs. H. Périnet-Marquet : « un droit de
jouissance exclusif sur des parties communes n'est pas un droit de propriété et ne peut constituer
la partie privative d'un lot ».
Les copropriétaires sont également tenus d’obligations envers les parties communes.
L’obligation essentielle est de contribuer aux charges communes de copropriété. Ces charges
peuvent être de deux ordres :
• il existe en second lieu des charges relatives aux services collectifs et éléments d’équipement
commun.
Exemple
Les frais d’entretien d’un ascenseur ou d’un interphone.
La répartition des charges est fixée par le règlement de copropriété. Cette répartition peut être
modifiée soit par une décision de l’assemblée générale des copropriétaires prise à l’unanimité, soit
par décision de justice lors d’une action en révision de la répartition des charges.
L’étude de la copropriété des immeubles bâtis permet de clore le thème général de la propriété
collective. Une dernière notion est à présenter : celle de démembrement du droit de propriété, en
commençant par l’exposé des servitudes, objet de la leçon 9.
22
UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 9 : Les démembrements de la propriété : les servitudes
1
UNJF - Tous droits
Tout ce que nous avons étudié jusqu’à maintenant concernait l’appropriation pleine des biens : le
titulaire du droit de propriété a des droits complets sur le bien, éventuellement partagés avec
d’autres. Or le droit de propriété, qui est un droit réel, est divisible : ses éléments
constitutifs peuvent être dévolus à des personnes différentes. Dans ce cas, les prérogatives du
propriétaire vont être réparties entre diverses personnes : on parle de démembrement de la
propriété ou de propriété démembrée, même si une partie de la doctrine critique cette
expression et préfère parler de droits sur la chose d’autrui. L’article 543 c.civ. évoque cette
possibilité : « on peut avoir sur les biens, ou un droit de propriété, ou un simple droit de jouissance,
ou seulement des services fonciers à prétendre ».
Il s’agit toujours de droits réels, même démembrés. Il existe deux droits réels principaux qui
traduisent une propriété démembrée : les servitudes, qui seront étudiées au sein de cette leçon
et l’usufruit, qui fera l’objet de la leçon suivante. Nous laisserons de côté d’autres droits tels que
l’emphytéose ou le bail à construction (s. ces points, v. not. F. Terré, Ph. Simler, « Droit civil. Les
biens », Précis Dalloz, 8e éd., 2010, n°927 et s.).
Il faut impérativement commencer par une définition de la notion de servitude. Aux termes de
l’article 637 c.civ., « une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l’usage et
l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire ». Le terme d’héritage date de 1804 : il
désigne, en réalité, un immeuble.
La servitude est une charge pesant sur un immeuble au profit d’un autre immeuble appartenant à un propriéta
Par définition, la servitude pèse sur un immeuble, elle est nécessairement foncière. La servitude
crée un rapport d’interdépendance matériel entre plusieurs immeubles. On dit qu’elle affecte un
fonds, appelé fonds servant, au service d’un autre fonds, appelé fonds dominant, de manière
perpétuelle. Il peut s’agir par exemple d’une servitude de passage : lorsque le propriétaire d’un
terrain ne bénéficie pas d’un accès à la voie publique, il dispose d’un droit de passage sur le
terrain de son voisin, dans des conditions définies.
Les rédacteurs du Code civil ont consacré un titre entier aux servitudes, soit plus de 70 articles, ce
qui en fait une partie conséquente du droit des biens. Les servitudes étaient en effet
particulièrement importantes dans la société rurale de la fin du 18e siècle et du début du 19e
siècle. Parfois qualifié de vétuste, voire même de néfaste, le droit des servitudes est cependant
encore utilisé de nos jours avec des efforts d’adaptation par la jurisprudence.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens a choisi d’actualiser et de préciser la définition. Il propose un
».
Le droit des servitudes est particulièrement riche. Après avoir précisé la notion de servitude
(Section 1), il faudra présenter les classifications de ces servitudes (Section 2) ainsi que
leurs modes d’établissement (Section 3), puis étudier le régime juridique applicable (Section 4) et
enfin l’extinction des servitudes (Section 5).
3
UNJF - Tous droits
A. Une pluralité de fonds
La servitude est forcément établie entre deux ou plusieurs fonds.
Il ne peut s’agir que d’immeubles, plus précisément des immeubles par nature, c’est-à-dire des
terrains non bâtis et des bâtiments, comme l’indique l’article 687 c.civ. Les immeubles par
destination et les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent sont exclus de ce domaine.
Il faut obligatoirement deux fonds différents, un fonds servant et un fonds dominant, sauf pour
quelques exceptions de servitudes d’utilité publique. Il peut y avoir plusieurs fonds servants ou
plusieurs fonds dominants.
La question s’est posée de savoir si une servitude pouvait affecter une copropriété : les parties
privées et les parties communes formant un tout, peut-il exister des servitudes entre elles ? La
réponse a longtemps parue négative mais la jurisprudence en a décidé autrement depuis Civ.
3ème, 30 juin 2004 (arrêt précité, cf. leçon 8) : la division d’un immeuble en lots de copropriété
n’est pas incompatible avec l’établissement de servitudes entre les parties privatives de deux lots,
immeubles appartenant à des propriétaires distincts. Il est désormais possible de reconnaître
l’existence d’une servitude au sein de la copropriété.
Remarque
Un réseau de distribution électrique ne peut pas constituer un fonds dominant pour l'établissement d'une servi
Jurisprudence
Lorsqu’un propriétaire unique réalise des aménagements entre différents immeubles qui lui
appartiennent, ces aménagements sont seulement l’expression de l’exercice de son droit de
propriété et ne relèvent pas du mécanisme des servitudes.
Ex : un droit de passage au sein d’une indivision ne constitue pas une servitude : Civ. 3ème, 27
mai 2009, Bull.civ. III n°125 ; D. 2009, pan. 2307, obs. B. Mallet-Bricout : « attendu qu'ayant
constaté que les parties à l'instance étaient propriétaires indivis de la parcelle B 1125 et
exactement retenu qu'une servitude étant une charge imposée sur un héritage pour l'usage et
l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire, il n'était pas possible de reconnaître à
des propriétaires indivis d'un fonds un droit de passage sur ce même fonds, la cour d'appel, qui
en a déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient
inopérante, que M. François X... ne pouvait se prévaloir d'une servitude de passage sur le fonds
indivis, a légalement justifié sa décision de ce chef ».
Enfin, la servitude doit imposer une charge pesant sur un fonds au profit d’un autre fonds.
4
UNJF - Tous droits
1. Une charge pesant sur le fonds servant
La servitude pèse sur un fonds : elle est attachée à l’immeuble et non à la personne.
Ce principe est rappelé par l’article 686 c.civ. : il est possible d’établir des servitudes « pourvu que
les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais
seulement à un fonds et pour un fonds (…) ».
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens confirme cette absence de création d’obligations personnelle
5
UNJF - Tous droits
Ce principe entraîne plusieurs conséquences (v. not. N. Reboul-Maupin, « Droit des biens »,
Hypercours Dalloz, 3e éd., 2010, n°572) :
• 2ème conséquence : le propriétaire du fonds servant ne peut accorder des droits que sur son
propre terrain, en aucun cas il ne peut empiéter sur le terrain d’autrui pour l’exercice de la
servitude ;
Jurisprudence
Une servitude ne peut avoir pour effet d’empiéter sur le terrain d’autrui : Civ. 3ème, 27 juin 2001,
Bull. civ. III n°87 ; J.C.P. éd. G. 2003, II, 10141, note J.-L. Elhoueiss : « la véranda litigieuse avait
été édifiée en surplomb du fonds du syndicat, alors qu'une servitude ne peut conférer le droit
d'empiéter sur la propriété d'autrui ».
• 3ème conséquence : le propriétaire du fonds servant ne peut pas constituer un droit qui lui
interdit toute jouissance de sa propriété ;
Jurisprudence
Civ. 3 ème, 24 mai 2000, Bull. civ. III n° 113 ; D.2001, juris. p.151, obs. R. Libchaber ; J.C.P. éd.
G. 2000, I, 265, n°21, obs. H. Périnet-Marquet : « une servitude ne peut être constituée par un
droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété ».
Le propriétaire du fonds servant ne peut pas constituer un droit qui interdit toute modification de
sa propriété conforme à son usage normal : Civ. 3ème, 19 juin 2002, Bull. civ. III n°147 ; D.2003,
juris. p.587, note B. de Bertier-Lestrade : « le droit conféré au concessionnaire bénéficiaire de la
déclaration d'utilité publique ne peut faire obstacle au droit du propriétaire d'opérer des
modifications de sa propriété conformes à son utilisation normale ».
Cette charge qui pèse sur le fonds servant doit profiter au fonds dominant, elle doit lui être utile.
6
UNJF - Tous droits
Ce principe d’utilité pour le fonds dominant et non pour la personne a posé problème en
matière de non-concurrence et de clause d’habitation bourgeoise, définie comme la clause qui
impose aux propriétaires d’utiliser leur immeuble uniquement à titre de résidence en l’habitant
bourgeoisement. La clause de non-concurrence n’est a priori pas une servitude, car elle profite
au
En fonds
savoirde commerce,
plus qui ou
: Servitude est obligation
un meuble,personnelle
et à des personnes, les vendeurs. De même pour la
clause d’habitation bourgesoise : on peut considérer soit que la clause profite uniquement aux
propriétaires, notamment pour leur tranquillité, soit qu’elle est utile pour l’immeuble auquel elle
confère une plus grande valeur. La doctrine est divisée (v. not. E. Moreau, « La servitude de
non-concurrence. Étude critique »,
D. 1994, chron. p.331 ; B. Grimonprez, « La part personnelle des servitudes réelles », Les
Petites Affiches du 5 mars 2008, p. 6) mais la quasi majorité de la jurisprudence, à l’heure
actuelle, penche en faveur de la qualification de ces clauses en servitude, considérant qu’elles
profitent à l’immeuble et non à la personne. En pratique, il reviendra aux juges d’interpréter l’acte
et de rechercher la volonté des cocontractants.
Jurisprudence
La clause qui interdit à l’acquéreur d’un fonds immobilier d’y exercer une activité de boulangerie
est une servitude de non-concurrence et non un engagement personnel : Civ. 3ème, 4 juillet
2001, Bull. civ. III n°94 ; D. 2002, juris. p.433, note R. Libchaber ; R.T.D.civ. 2002, p. 125,
noteTh. Revet ; J.C.P. éd. G. 2002, I, 126, n°17, obs. H. Périnet-Marquet : « l'interdiction faite
à l'acquéreur d'un fonds immobilier de l'affecter à un usage déterminé peut revêtir le caractère
Enfin, l’interprétation de l’utilité pour le fonds dominant varie selon la nature de la servitude. Les
servitudes légales peuvent avoir pour objet l’utilité publique, l’utilité communale ou l’utilité des
particuliers. Les servitudes établies par l’homme ont surtout une utilité économique, en permettant
de valoriser le fonds dominant.
Il reste que, une fois cette règle d’utilité respectée, l’article 686 c.civ. précise qu’« il est permis aux
propriétaires d’établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que
bon leur semble (…) ».
L’examen de ces éléments constitutifs permet de mieux identifier les caractéristiques essentielles
de la servitude.
• le caractère perpétuel : la servitude a, comme le droit de propriété dont elle est un accessoire,
une vocation à la perpétuité. Il existe cependant deux limites possibles :
• les propriétaires peuvent établir des servitudes temporaires par contrat.
Exemple
En prévoyant que la servitude est viagère ;
7
UNJF - Tous droits
• l’article 706 c.civ. précise que « la servitude est éteinte par le non-usage pendant trente
ans ». Cette hypothèse sera approfondie au sein des développements consacrés à
l’extinction des servitudes.
Jurisprudence
Une servitude de ne pas bâtir est éteinte en raison de l’existence d’une construction depuis trente
ans : Civ. 3ème, 27 février 2002, Bull. civ. III n°52 ; J.C.P. éd. G. 2002, I, 176, n°24, obs. H.
Périnet- Marquet.
8
UNJF - Tous droits
• le caractère indivisible : la servitude profite au fonds dominant dans son entier et pèse
sur le fonds servant dans son entier. Si les fonds sont divisés, la servitude porte sur toutes
les parties du fonds divisé aux termes de l’article 700 c.civ. Lorsque le fonds est indivis, il faut
le consentement de tous les propriétaires pour établir la servitude ou l’éteindre.
La notion de servitude est assez précisément définie mais il existe une grande variété de
servitudes, qui font l’objet de classifications diverses.
9
UNJF - Tous droits
Section 2. La classification des servitudes
Il existe de très nombreuses servitudes et, corrélativement, plusieurs possibilités de les classer.
Nous retiendrons ici deux types de classification : selon la source de la servitude (§1) et selon son
mode d’exercice (§2).
• 2ème type de servitude : les servitudes imposées par la loi. Les servitudes légales sont
prévues aux articles 649 à 685-1 c.civ. On distingue les servitudes d’utilité publique et les
servitudes d’intérêt privé :
- les servitudes légales d’utilité publique regroupent de très nombreuses servitudes, liées
notamment à l’urbanisation, au développement des moyens de communication. (ex : installation
d’antennes de communication hertzienne) et des loisirs (ex : pistes de ski) et à la protection de
l’environnement. Il existe désormais des servitudes liées à la prévention des risques, qu’ils
soient industriels (ex : interdiction d’implantation en cas de risques technologiques) ou naturels
(ex : déplacement des cours d’eau pour lutter contre les crues en zone urbaine) ;
- les servitudes légales d’intérêt privé sont strictement définies par le c.civ., dans le but de favoriser
les relations de voisinage. Il s’agit par exemple des distances à respecter pour les plantations
(article 671 c.civ.), des vues sur la propriété de son voisin (art. 675 et s. c.civ.), de l’égout des toits
(art. 681 c.civ.) ou encore de la servitude de passage pour cause d’enclave (art. 682 et s. c.civ.).
• 3ème type de servitude : les servitudes conventionnelles. Les servitudes « établies par le
fait de l’homme » sont prévues aux articles 686 à 710 c.civ. Il s’agit d’une catégorie ouverte
puisque les propriétaires sont libres de consentir et de créer des servitudes par contrat, sous
réserve de faire peser la servitude sur le fonds et non sur la personne et de respecter l’ordre
public. Portalis affirmait dans son Discours préliminaire que « les besoins de la société sont
si variés, la communication des hommes est si active, leurs intérêts sont si multipliés et leurs
rapports si étendus, qu’il est impossible au législateur de pourvoir à tout ».
Exemple
Servitude de tour d’échelle : droit de poser une échelle sur le fonds d’autrui pour construire ou réparer un
• 4ème type de servitude : les servitudes imposées par le juge. Elles ne figurent pas dans
le Code civil mais elles ont été créées par un décret du 4 décembre 1958, codifié au sein du
10
UNJF - Tous droits
Code de l’urbanisme (articles L. 471-1 et s.). Ce texte octroie la faculté au juge de créer des
servitudes de cour commune, c’est-à-dire des servitudes de ne pas bâtir ou des servitudes
interdisant de bâtir au-delà d’une certaine hauteur à laquelle est subordonnée l’autorisation
administrative de construire sur un terrain voisin, afin de respecter les règles d’urbanisme. Le
juge peut obliger le propriétaire du fonds servant à ne pas construire ou à ne pas dépasser
une certaine hauteur (exemple : ne pas réaliser un ensemble immobilier).
La seconde classification principale des servitudes peut être faite en fonction du mode d’exercice.
11
UNJF - Tous droits
§2. La classification selon le mode d’exercice
Ce mode de classification permet de distinguer les servitudes continues et discontinues (A), les
servitudes apparentes et non apparentes (B) et enfin les servitudes positives et négatives (C).
L’alinéa 2 définit ensuite les servitudes continues : ce sont « celles dont l’usage est ou peut être
continuel sans avoir besoin du fait actuel de l’homme : tels sont les conduites d’eau, les égouts, les
vues et autres de cette espèce ». Une servitude reste continue même si son exercice est
intermittent.
Exemple
Servitude d’eaux pluviales, servitude de vue, servitude de ne pas bâtir, etc.
Jurisprudence
Une servitude de vue est continue et apparente et ne change pas de caractère du fait qu’il s’agit
d’une fenêtre et que la vue ne s’exerce qu’au moment de son ouverture : Civ. 1ère, 22 février
1965, Bull. civ. I n°146 ; D. 1965, somm. p. 66.
L’alinéa 3 définit quant à lui les servitudes discontinues : ce sont « celles qui ont besoin du fait
actuel de l’homme pour être exercées : tels sont les droits de passage, puisage, pacage, et autres
semblables ».
La différence réside dans la nécessité d’une action humaine ou dans son absence.
La deuxième distinction se fait ensuite entre servitudes apparentes et servitudes non apparentes.
Selon l’alinéa 2, « les servitudes apparentes sont celles qui s’annoncent par des ouvrages
extérieurs, tels qu’une porte, une fenêtre, un aqueduc ». Ce sont les jours, les vues… Pour que la
servitude soit considérée comme apparente, il suffit qu’elle se manifeste sans équivoque à la vue
du propriétaire du fonds servant.
Selon l’alinéa 3, « les servitudes non apparentes sont celles qui n’ont pas de signe extérieur de
leur existence, comme, par exemple, la prohibition de bâtir sur un fonds, ou de ne bâtir qu’à une
hauteur déterminée ».
• Les deux classifications peuvent se combiner. Par exemple, une servitude de vue peut être
continue et apparente alors qu’un droit de passage peut être discontinu et non apparent…
Cette classification a un intérêt car le régime juridique va varier selon le mode d’exercice.
Ainsi, les servitudes continues et apparentes sont les seules susceptibles d’une véritable
possession protégée par la loi et donc les seules à pouvoir être acquises par usucapion. De
12
UNJF - Tous droits
plus, elles ne s’éteignent pas par le non usage prolongé, à moins que leur exercice ait été
rendu impossible.
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UNJF - Tous droits
Exemple
Suppression de l’ouverture
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C. Les servitudes positives et négatives
Cette distinction n’est pas prévue par le Code mais elle est utilisée en doctrine et en jurisprudence.
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens propose de supprimer ces distinctions car elles ont peu d’impact e
Quelle que soit la classification retenue, toutes les servitudes obéissent aux mêmes modes
d’établissement, que nous allons étudier.
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UNJF - Tous droits
Section 3. Les modes d’établissement des servitudes
Les articles 690 et s. c.civ. présentent « comment s’établissent les servitudes ». Il existe des
servitudes naturelles ou légales : elles sont créées par des dispositions législatives ou des
réglementations spéciales (ex: règles d’urbanisme).
C’est le principe de la liberté contractuelle qui domine. La servitude peut être constituée par
contrat, à titre gratuit ou à titre onéreux, ou par testament. La constitution d’une servitude par titre
est soumise à la publicité foncière ; à défaut, elle est en principe inopposable aux tiers mais la
jurisprudence fait preuve d’une certaine souplesse et prend en compte la connaissance expresse
par le tiers de cette servitude, même en l’absence de publication.
La question des modalités d’opposabilité des servitudes agite régulièrement la jurisprudence. Sur
ce point, deux arrêts récents ont précisé que :
• si la servitude n’est pas publiée et n’est pas mentionnée dans l’acte de vente, l’acquéreur
d’un bien ne peut pas se voir opposer cette servitude. En conséquence, puisque la servitude
lui est inopposable, il ne peut s’en servir pour justifier l’exception d’inexécution du contrat.
Voir pour une servitude de puisage réclamée par un voisin quelques temps après la
signature de l’acte authentique de vente : Civ. 3ème, 26 janvier 2011, n°10-10376, D.2011,
441 ; R.T.D.civ. 2011, p. 373, obs. Th. Revet ; J.C.P. éd. G. 2011, 323, n°15, obs. H. Périnet-
Marquet ; D.2011, 2304, obs. N. Reboul-Maupin . A contrario, une servitude non publiée est
opposable aux acquéreurs si elle a été mentionnée dans l'acte de vente : Civ.3e, 16 mars
2011, n°10-13771, J.C.P. éd.
G. 2011, 1298, n°16, obs. H.Périnet-Marquet.
• pour être opposable à un tiers, par exemple à l’acquéreur d’un bien, une servitude
conventionnelle établie antérieurement doit en principe être publiée à la conservation des
hypothèques. Ce principe est cependant apprécié au cas par cas par la Cour de cassation.
Exemple
Par exemple, pour une servitude conventionnelle de passage : lorsque la servitude est
mentionnée à l’acte de vente et qu’un protocole d’accord entre le vendeur et le propriétaire du
fonds dominant est annexé à cet acte, cette servitude est opposable à l’acquéreur même en
l’absence de publication
= Civ. 3ème, 16 mars 2011, n°10-13771, D.2011, 2305, obs. N. Reboul-Maupin = la connaissance
expresse de la servitude est nécessaire et suffisante.
La servitude établie par titre doit respecter les deux conditions générales précisées par l’article 686
c.civ. :
Selon les art. 690 et 691 c.civ., tous les types de servitudes peuvent être établis par titre, qu’il
s’agisse de servitudes continues ou discontinues et apparentes ou non apparentes, quelle que
soit la combinaison entre ces critères. Ce n’est pas le cas pour les autres modes d’établissement,
notamment en cas de servitude établie par usucapion ou prescription acquisitive.
• il faut une possession utile de trente ans, ce qui signifie que la prescription abrégée de dix
ans ne peut pas fonctionner et que la possession ne doit pas être viciée ;
Jurisprudence
Civ. 3ème, 21 mai 1979, Bull. civ. III n°111 : « la seule prescription applicable aux servitudes
continues et apparentes telle une servitude de vue, est la prescription trentenaire ».
L’article 691 al.2 c.civ. précise que les autres servitudes ne peuvent pas être établies par « la
possession
Exemple même immémoriale ».
Servitude de passage non apparente, servitude de ne pas bâtir, etc. : elles ne peuvent pas être acquis
Lorsque les conditions sont réunies, le propriétaire du fonds dominant acquiert une servitude sur le
fonds servant, et non la propriété. Il s’agit d’un cas rare en pratique.
Enfin, le dernier mode d’établissement possible d’une servitude est la destination du père de
famille. Cette notion un peu obscure doit être éclaircie.
Le propriétaire a réalisé, entre deux parties Le propriétaire du fonds doit avoir divisé son
de son fonds, un aménagement tel que si les fonds, après l’aménagement et sans modifier
fonds avaient appartenus à deux propriétaires cet aménagement, qui doit être maintenu lors
différents, cet aménagement aurait constitué de la division.
une servitude.
Exemple
Exemple Il cède une parcelle de terrain (vente
Il a installé un système d’écoulement des ou donation), les héritiers procèdent à un
eaux, un passage, des fenêtres, etc. partage après le décès du propriétaire, etc.
Lorsque ces deux conditions sont réunies, l’aménagement réalisé par le propriétaire initial devient
une servitude lorsque le fonds est divisé ultérieurement entre plusieurs propriétaires. L’article 694
c.civ. précise alors que « si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe
apparent de servitude, dispose de l’un des héritages sans que le contrat contienne aucune
convention relative à la servitude, elle continue d’exister activement ou passivement en faveur du
fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ».
Lorsque le propriétaire cède une parcelle de terrain, il suffit que l’aménagement ait été apparent
pour que la servitude subsiste.
Le fondement d’une telle servitude est l’état de fait créé par le propriétaire unique.
Il faut une intention du propriétaire d’assujettir définitivement une parcelle au service d’une autre.
Cet état de fait est présumé perdurer et l’article 692 c.civ. précise alors que « la destination du
père de famille vaut titre (…) ». Il s’agit, en réalité, d’une forme particulière d’acquisition par titre.
Mais il est toujours possible, pour le propriétaire initial ou pour les parties à l’acte de cession, de
manifester, expressément ou tacitement, une volonté contraire à la présomption légale de
Exempleattachée à cet état de fait.
servitude
Un propriétaire de deux bâtiments contigus établit entre eux une communication. Si ces bâtiments sont vendu
Jurisprudence
Civ. 3ème, 28 mai 2003, Bull. civ. III n°117 ; J.C.P. éd. G. 2004, I, 125, n°13, obs. H. Périnet-
Marquet : « il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds
actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses
ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; que si le propriétaire de deux héritages,
entre lesquels il existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que
le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement
ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ». La Cour d’appel qui constate
l’existence de l’aménagement au moment de la vente et qui ne relève aucun élément « de nature
à démontrer la volonté de l'auteur d'écarter la présomption légale qui s'attachait à la situation de
fait constatée » doit retenir l’existence d’une servitude.
Une contradiction semble exister dans le Code civil quant à la nature des servitudes qui peuvent
être établies par destination du père de famille :
18
UNJF - Tous droits
Remarque
L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend l’idée générale mais actualise la rédaction dans une prop
Quel que soit le mode d’établissement des servitudes, elles obéissent toutes à un régime juridique
identique.
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UNJF - Tous droits
Section 4. Le régime juridique des servitudes
Il faut distinguer ici les situations du propriétaire du fonds dominant (§1) et du propriétaire du fonds
servant (§2).
Dans tous les cas, la servitude s’accompagne des droits accessoires et des ouvrages
nécessaires à son exercice. L’article 696 c.civ. énonce en effet que « quand on établit une
servitude, on est censé accorder tout ce qui est nécessaire pour en user ». Le texte donne ensuite
un exemple : « la servitude de puiser de l’eau à la fontaine d’autrui emporte nécessairement le
droit de passage ».
L’article 697 c.civ. précise que « celui auquel est due une servitude, a le droit de faire tous les
ouvrages nécessaires pour en user et pour la conserver ». Les frais d’ouvrage sont alors à la
charge du propriétaire du fonds dominant, sauf convention contraire, comme l’indique l’article 698
c.civ.
Exemple
Aménagement d’un chemin, installation de canalisations, installation d’une boîte aux lettres, etc.
Jurisprudence
Une servitude n’emporte pas le droit d’empiéter sur le terrain d’autrui : Civ. 3ème, 27 juin 2001,
n°98-15216, Bull. civ. III n°87 ; D.2001, 2182 ; J.C.P. éd. G. 2002, I, 126, n°18, obs. H. Périnet-
Marquet.
Ces droits sont limités par un principe fondamental qui est le principe de fixité de la servitude.
20
UNJF - Tous droits
Exemple
Le propriétaire du fonds dominant n'a pas le droit de rendre la servitude plus onéreuse.
Il ne peut l’utiliser que dans la limite des besoins pour lesquels elle a été établie. Ce principe est
imposé par l’article 702 c.civ. : « de son côté, celui qui a un droit de servitude ne peut en user que
suivant son titre, sans pouvoir faire ni dans le fonds qui doit la servitude, ni dans le fonds à qui elle
est due, de changement qui aggrave la condition du premier ». Il peut apporter des modifications
à la servitude, c’est-à-dire de simples adaptations, à condition qu’elles n’aggravent pas la condition
du fonds servant et qu’elles ne modifient pas l’assiette de la servitude.
21
UNJF - Tous droits
Exemple
Il n’est pas possible de transformer une servitude discontinue en servitude continue.
Ce principe connaît une exception : la servitude légale de passage pour cause d’enclave déroge à
ce principe puisqu’elle peut être modifiée afin de livrer un passage suffisant, compte tenu de
l’époque et de la destination du fonds dominant, qui peut être modifiée par son propriétaire.
Une servitude de prise d’eau constituée en vue de l’irrigation d’une propriété ne peut pas être utilisée à d
Dans leur appréciation, les juges tiennent compte de la nécessaire adaptation de la servitude aux
évolutions et besoins de la société contemporaine. La servitude peut être modifiée pour être
adaptée aux progrès techniques.
Jurisprudence
Voir, par exemple, pour l’élargissement d’une servitude de passage piétonnière aux besoins
de passage d’un véhicule : Civ. 3ème, 22 mars 2011, n°09-70533, D.2011, 2306, obs. N. Reboul-
Maupin = la Cour de cassation censure la décision des juges d’appel qui avaient refusé
l’élargissement du passage car cela aurait entraîné une aggravation de la servitude en
méconnaissance du principe de fixité des servitudes conventionnelles. La Cour d’appel devait
rechercher « si l’élargissement de la servitude piétonnière destinée à permettre d’accéder au
fonds était compatible avec l’usage pour lequel la servitude lui avait été consentie, à une
époque où l’utilisation d’un véhicule automobile était peu répandue à Basse-Terre, et si,
compte tenu des nécessités de la vie moderne, le passage était suffisant pour un accès
normal du propriétaire à son fonds ».
Cependant, l’adaptation de la servitude ne doit pas porter une atteinte trop forte au droit de
propriété et aux prérogatives du propriétaire sur son bien, notamment son droit de jouir et de
disposer de sa propriété de la manière la plus absolue.
Jurisprudence
Voir, par exemple, pour le légitime refus des propriétaires d’un fonds inférieur quant à
l’écoulement des eaux du fonds supérieur de réaliser des travaux sur leur propre fonds pour
remédier à une inondation de leur terrain, dû à des travaux réalisés sur le fonds inférieur : Civ.
3ème, 29 septembre 2010, n°09-69608, Bull. civ. III n°177 ; D.2010, 2362 ; D.2011, 1171, chron.
A.-C. Monge ; D.2011,
2306, obs. N. Reboul-Maupin.
22
UNJF - Tous droits
L’étude de la jurisprudence montre que les solutions sont souvent fondées sur l’appréciation des
juges en fonction du critère d’équité et non en fonction d’un critère réellement objectif. Elle est
parfois difficilement lisible.
Les droits conférés par la servitude, limités par le principe de fixité, peuvent être défendus en
justice.
23
UNJF - Tous droits
C. Les actions en justice conférées par la servitude
La servitude confère au propriétaire du fonds dominant trois sortes d’actions :
• les actions possessoires (cf. leçon 5). Les servitudes continues et apparentes peuvent
être acquises par prescription lorsque la possession a duré trente ans. Elles peuvent donc
être protégées contre le trouble de la possession, à condition qu’il s’agisse d’une possession
utile et qui a duré au moins un an. Le propriétaire du fonds dominant peut alors exercer
l’action en complainte ou l’action en dénonciation de nouvel œuvre ;
Jurisprudence
Civ. 3ème, 15 février 1995, Bull. civ. III n°45 ; R.T.D.civ. 1995, p.925, obs. F. Zénati (cas d’une
servitude de passage) : le propriétaire du fonds dominant peut également exercer une action en
réintégration : toutes les actions possessoires lui sont ouvertes.
Les servitudes discontinues et/ou non apparentes ne peuvent pas être acquises par prescription
et ne peuvent donc pas, en principe, être défendues par l’exercice d’actions possessoires. Mais la
jurisprudence a admis que même dans cette hypothèse, l’exercice d’une action possessoire est
possible dès lors que la servitude est fondée sur un titre (Civ., 14 avril 1893), ce qui inclut
aussi les servitudes légales.
Exemple
Servitude de passage pour cause d’enclave.
24
UNJF - Tous droits
En définitive, le propriétaire du fonds dominant bénéficie de droits importants issus de la servitude,
sous réserve de respecter le principe de fixité. À l’inverse, l’exercice de la servitude par le
propriétaire du fonds servant est plus contraignant.
Il conserve toutes les attributions liées à son droit de propriété, même sur la partie de son
fonds soumise à la servitude : il peut en user et en disposer, sous réserve de respecter le principe
de fixité. Ce sont les juges qui apprécient si l’exercice de ses prérogatives est conforme à la
servitude : tout dépend des circonstances de fait, de l’état des lieux, de l’interprétation des
conventions…
Exemple
Par exemple, le propriétaire d’un fonds grevé d’une servitude de passage peut se clore, à condition de donne
Le propriétaire du fonds servant est tenu, comme le propriétaire du fonds dominant, de respecter le
principe de fixité de la servitude.
Jurisprudence
Civ. 3ème, 10 novembre 1999, Bull. civ. III n°216 ; J.C.P. éd. G. 2000, I, 211, obs. H. Périnet-
Marquet : « Attendu que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui
tende à en diminuer l'usage ou le rendre plus incommode ; qu'il ne peut changer l'état des lieux,
ni transporter l'exercice où elle a été primitivement assignée ; que, cependant, si cette assignation
primitive était devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l'empêchait d'y
faire des réparations avantageuses, il pourrait offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit
aussi commode pour l'exercice de ses droits, et celui-ci ne pourrait pas le refuser ».
Cette modification est possible pour tous les types de servitudes. Ce sont les juges qui apprécient
souverainement les motifs de la demande, l’importance des inconvénients de l’assiette actuelle
et l’absence d’inconvénients sérieux pour le propriétaire du fonds dominant. Les juges sont
généralement assez souples dans cette appréciation. La jurisprudence a précisé que les dépenses
éventuelles du déplacement de la servitude sont à la charge du propriétaire du fonds servant (Civ.
3ème, 8 juin 1982, Bull. civ. III n°148).
Le propriétaire du fonds servant peut également exercer les actions possessoires pour se
défendre contre le trouble causé par la possession de la prétendue servitude, mais cela a peu
d’intérêt en pratique au regard de l’action négatoire.
Il peut enfin exercer des actions en dommages et intérêts si un préjudice lui est causé. Les
règles sont identiques à celles exposées pour le propriétaire du fonds dominant.
26
UNJF - Tous droits
Une fois le régime juridique des servitudes précisé, il reste un dernier point à étudier, celui de
l’extinction des servitudes.
27
UNJF - Tous droits
Section 5. L’extinction des servitudes
Les articles 703 à 710 c.civ. font partie d’une section intitulée « comment les servitudes s’éteignent
». Ils distinguent trois causes d’extinction majeures : l’impossibilité d’exercice de la servitude (§1),
la confusion par réunion des deux fonds entre les mains du même propriétaire (§2) et le non-usage
pendant trente ans (§3). Il s’agit des causes spécifiques aux servitudes.
Il faut leur ajouter toutes les causes communes d’extinction (ex : l’arrivée du terme extinctif si la
servitude est temporaire, l’annulation de la convention qui instaure la servitude, etc.). Parmi ces
causes communes d’extinction, deux situations méritent l’attention : la perte d’un fonds (§4) et la
renonciation (§5).
En principe, la cause de l’impossibilité est indifférente : elle peut être naturelle ou du fait de
l’homme. Mais ce principe connaît une limite : l’acte qui rend impossible l’exercice de la servitude
ne doit pas être un fait illicite du propriétaire du fonds servant ou d’un tiers.
Exemple
Propriétaire qui détourne la source d’eau.
Jurisprudence
Civ. 3ème, 10 mars 1999, Bull. civ. III n°64 ; J.C.P. éd. G. 2000, I, 211, n°22, obs. H. Périnet-
Marquet : « le non-respect de ses conditions d'exercice ne peut entraîner l'extinction d'une
servitude
».
L’article 704 c.civ. précise dans un second temps que les servitudes « revivent si les choses sont
rétablies de manière qu’on puisse en user ; à moins qu’il ne se soit déjà écoulé un espace de
temps suffisant pour faire présumer l’extinction de la servitude (…) ». L’extinction de la servitude
en raison de l’impossibilité d’exercice peut être temporaire.
Exemple
La source d’eau rejaillit quelques mois plus tard, le trottoir est détruit…
Dans ce cas, la servitude revit, elle retrouve une utilité et peut à nouveau être exercée. La seule
limite est que les conditions doivent être à nouveau réunies avant expiration d’un délai de trente
ans, sinon il y a prescription extinctive.
§2. La confusion
Selon l’article 705 c.civ., « Toute servitude est éteinte lorsque le fonds à qui elle est due, et celui
qui la doit, sont réunis dans la même main ».
28
UNJF - Tous droits
Ce texte envisage l’hypothèse de la réunion des deux fonds, le fonds servant et le fonds dominant, entre les m
29
UNJF - Tous droits
Or un propriétaire ne peut pas être titulaire d’une servitude sur sa propre chose : la servitude
s’éteint lorsqu’il y a confusion des deux fonds.
La cause de la réunion des deux fonds est indifférente : achat, donation, succession, prescription
acquisitive… Il peut aussi s’agir de ce que l’on appelle en droit un « déguerpissement » : le
propriétaire du fonds servant abandonne au propriétaire du fonds dominant la propriété de son
bien ou de la partie qui supporte la servitude.
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UNJF - Tous droits
L’extinction de la servitude peut, là aussi, n’être que temporaire : il est possible que les fonds
puissent être à nouveau divisés. Dans ce cas, il n’y a plus de confusion et la servitude renaît.
Mais deux hypothèses doivent être distinguées :
• si la cause de confusion n’est pas rétroactive, la servitude ne peut pas renaître sauf
hypothèse
Exemple de la servitude par destination du père de famille ou de la servitude légale.
L’acquéreur revend le bien, les fonds sont à nouveau séparés mais la servitude ne renaît pas automatiqu
La troisième et dernière cause d’extinction particulière aux servitudes est le non-usage trentenaire.
Il y a prescription extinctive trentenaire quel que soit le caractère de la servitude, apparente ou non
apparente, continue ou discontinue, alors que la prescription acquisitive ne peut jouer que pour les
servitudes continues et apparentes. Les principes ne sont pas symétriques.
Dans ce domaine, l’idée générale est que le propriétaire du fonds dominant qui reste pendant au
moins trente ans sans utiliser la servitude est censé y avoir renoncé. L’un des critères de définition
de la servitude est l’utilité pour le fonds dominant : si la servitude n’est pas utilisée de manière
prolongée, c’est qu’elle n’a pas d’utilité réelle. Elle est alors supprimée par la loi. Le non-usage
peut résulter d’un fait du propriétaire du fonds dominant, d’un cas fortuit ou d’un cas de force
majeure.
Trois précisions peuvent être apportées quant à l’application de cette cause d’extinction :
• il n’y a extinction de la servitude que si le non-usage est total. S’il s’agit seulement d’un
non-usage partiel (ex : le propriétaire du fonds dominant se contente de passer à pieds sur le
chemin objet d’une servitude de passage, alors qu’il a le droit d’y passer en voiture), l’article
708 c.civ. précise que « Le mode de la servitude peut se prescrire comme la servitude même,
et de la même manière ». Il n’y aura qu’une restriction de l’étendue de la servitude ;
• le délai de prescription est de trente ans d’après la loi. La jurisprudence applique ce délai
strictement et refuse de prendre en compte une prescription abrégée, même si le propriétaire
est de bonne foi et possède un juste titre (Req., 23 novembre 1875). Une partie de la doctrine
critique fortement cette position jurisprudentielle ;
• le point de départ du délai de prescription varie selon que la servitude est continue ou
discontinue, selon l’article 707 c.civ. :
• servitude discontinue (ex : servitude de passage) : le point de départ de la prescription
extinctive est fixé au jour où le titulaire a cessé d’en jouir, c’est-à-dire au jour du dernier
acte d’exercice (ex : jour du dernier passage sur le chemin) ;
• servitude continue (ex : ne pas construire, servitude de vue) : le point de départ de la
prescription extinctive est fixé au jour où est intervenu l’acte ou le fait, quelle qu’en soit
l’origine, qui met matériellement obstacle à l’exercice de la servitude, c’est-à-dire le jour
du premier acte contraire à la servitude (ex : jour du début des travaux pour la servitude
de ne pas construire, jour où les fenêtres ont été bouchées pour la servitude de vue,
31
UNJF - Tous droits
etc.).
32
UNJF - Tous droits
Jurisprudence
L’article 706 c.civ. ne permet pas au propriétaire d’un fonds bénéficiance d’une servitude
conventionnelle de passage de prescrire une assiette différente de celle convenue. Il n’est pas
possible de se prévaloir de l’acquisition par prescription du droit d’exercer la servitude sur une
assiette différente de celle prévue par le titre (sauf commun accord entre les propriétaires) : Civ.
3ème, 19 janvier 2011, n°10-10528, Bull. civ. III n°11 ; D.2011, 375 & 2306, obs. N. Reboul-
Maupin ;
J.C.P. éd. G. 2011, 323, n°16, obs. H. Périnet-Marquet.
§5. La renonciation
Le propriétaire du fonds dominant peut renoncer à la servitude, à titre gratuit ou à titre onéreux.
La renonciation ne se présume pas ; elle peut être expresse (ex : un écrit) ou tacite. Dans tous les
cas, la manifestation de la volonté de renoncer à la servitude doit être non équivoque (Civ. 3ème,
16 juillet 1987, D.1989, somm. p.33, obs. A. Robert).
Quelle est la situation lorsque le propriétaire du fonds servant fait construire un ouvrage qui fait
obstacle à la servitude ?
• si le propriétaire du fonds dominant donne son accord, il est censé renoncer à la servitude ;
• s’il garde le silence et ne s’oppose pas à la construction, cela ne vaut pas renonciation et il
peut toujours demander le rétablissement de la servitude pendant trente ans, délai à l’issue
duquel la servitude s’éteint par le non-usage.
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UNJF - Tous droits
34
UNJF - Tous droits
Le droit des servitudes constitue un droit complexe, parfois désuet et anachronique. Il pourrait être
actualisé grâce à l’avant-projet de réforme du droit des biens. Les servitudes ne sont pas la seule
hypothèse de démembrement de la propriété : on trouve également l’usufruit, qui doit être étudié
au sein de la leçon 10.
35
UNJF - Tous droits
Cours : Droit des biens
Auteur : Marion Girer
Leçon n° 10 : Les démembrements de la propriété : l’usufruit et les droits réels voisins.
1
UNJF - Tous droits
L’usufruit se distingue de la servitude sur trois points :
Comment peut-on définir l’usufruit ? Le législateur instaure une définition au sein de l’article 578
c.civ. : « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le
propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ». L’usufruitier a le droit d’user
et de jouir d’un bien comme le ferait le propriétaire, mais il n’a pas l’abusus, le droit de disposer de
la chose : il doit en conserver la substance.
Exemple
Par exemple, lors d’une succession, il est possible de laisser au conjoint survivant l’usufruit d’un appartemen
Il y a alors d’un côté l’usufruitier, qui a le droit d’user et de jouir de la chose (il a l’usus et le fructus) et de l’autr
Ils ont tous les deux des intérêts contradictoires, entre intérêt immédiat et consommation du bien
pour celui qui use et jouit du bien et intérêt à long terme et conservation du bien pour celui qui en
dispose. Il est d’ailleurs souvent reproché à l’usufruit d’être anti-économique. Ce constat conduit
de nombreux auteurs à se prononcer en faveur d’une modification du régime juridique de l’usufruit.
À l’heure actuelle, le régime de l’usufruit est fixé par les art. 578 à 624 c.civ. L’usufruit présente
deux caractères principaux :
• l’usufruit est un droit réel : il porte sur une chose et il est opposable à tous (cf. leçon 2). La
propriété, droit réel principal, est démembrée en deux droits réels : l’usufruit et la nue-
propriété ;
Jurisprudence
Le caractère perpétuel d’un droit s’oppose à sa qualification en usufruit (droit d’affichage) : Civ.
3ème, 18 janvier 1984, Bull. civ. III n°16 ; D.1985, juris. p. 504, note F. Zénati ; J.C.P. éd. G.
1986, II, 20547, note J.-F. Barbiéri.
Pour étudier l’usufruit, il faut préciser son domaine (Section 1) puis procéder par ordre
2
UNJF - Tous droits
chronologique : sa constitution (Section 2), ses effets (Section 3) et son extinction (Section 4). Il
restera à étudier certains droits voisins de l’usufruit (Section 5).
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Section 1. Le domaine de l’usufruit
Aux termes de l’art.581 c.civ., l’usufruit « peut être établi sur toute espèce de biens meubles ou
immeubles ». Tous les biens, quelle que soit leur qualification, peuvent faire l’objet d’un
usufruit. Le Code civil cite par exemple le linge et les meubles meublants, les bois et les arbres ou
encore les maisons et les bâtiments. Le domaine de l’usufruit est très large. Certains biens
soulèvent cependant des difficultés particulières : les biens consomptibles (A), les universalités (B)
et les droits incorporels (C), pour ne citer que les principaux domaines problématiques.
Cette difficulté n’a pas empêché les rédacteurs du Code civil de concevoir l’usufruit d’un bien
consomptible, au sein de l’art. 587 c.civ. : « si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire
usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en
servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et
qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ».
Dans cette hypothèse, on parle de quasi-usufruit : en pratique, l’usufruitier est placé dans la
situation d’un propriétaire « entier » tandis que le nu-propriétaire devient un créancier,
titulaire d’un droit personnel. Dire que l’usufruitier devient propriétaire est riche de sens : cela
signifie non seulement qu’il peut disposer comme il l’entend du bien, en le consommant ou en
l’aliénant, mais également qu’il supporte les risques de perte ou de destruction de la chose. Le nu-
propriétaire quant à lui devient créancier : il bénéficie, au terme de l’usufruit, d’une créance de
restitution
Remarque du bien par équivalent, soit en nature, soit en valeur.
Le titulaire d'un quasi-usufruit peut valablement consentir un prêt portant sur une somme d'argent dont il n'a q
Le projet de réforme du droit des biens envisage de consacrer expressément le quasi-usufruit au titre des usu
Ce n’est pas le seul cas qui soulève des difficultés : l’usufruit portant sur une universalité doit
également être précisé.
• l’usufruit peut porter sur une universalité de fait (ex : un fonds de commerce, composé
d’éléments corporels comme les marchandises et d’éléments incorporels comme la clientèle
ou le nom). Le législateur admet ce type particulier d’usufruit : l’usufruitier ne peut pas
disposer du fonds de commerce et il devra restituer l’entité juridique dans son ensemble à la
fin de l’usufruit ;
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• l’usufruit peut porter sur l’universalité de droit qu’est le patrimoine (cf. leçon 1). Il peut
concerner le patrimoine dans son intégralité, on parle d’usufruitier à titre universel (tel le
conjoint survivant), ou une partie de celui-ci et il s’agit d’un usufruitier à titre particulier. Le
législateur réglemente certains points particuliers. Par exemple, les art. 610 à 612 c.civ.
précisent que le principal d’une dette pèse sur le nu-propriétaire alors que les intérêts de la
dette pèsent sur l’usufruitier.
Jurisprudence
La Cour de cassation qualifie d’universalité le portefeuille de valeurs mobilières géré par une
usufruitière qui cède ses titres et les remplace afin de conserver la substance de ce portefeuille :
Civ. 1ère, 12 novembre 1998, Bull. civ. III n°315 ; G.A.J.C. n°71 ; D.1999, juris. p. 167, note L.
Aynès ; D.1999, juris. p. 633, note D. Fiorina ; J.C.P. éd. G. 1999, II, 10027, note S. Piédelièvre ;
R.T.D.civ. 1999, p. 422, obs. F. Zénati.
Remarque
Le projet de réforme du droit des biens consacre expressément l’usufruit « des biens formant un ensemble »,
Pour clore l’étude ce domaine de l’usufruit, il faut enfin examiner le cas de l’usufruit sur des droits
incorporels.
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§3. Les droits incorporels
Les droits incorporels, définis en introduction, correspondent aux droits sociaux, aux droits
intellectuels, aux créances… Est-il possible de concevoir un usufruit, droit réel, ayant pour assiette
un droit incorporel ? Si la réponse n’est pas évidente en théorie, la pratique ne s’est pas
embarrassée de cette difficulté et les juges acceptent de mettre en œuvre l’usufruit quelle que soit
la nature des droits sur lesquels il porte.
Jurisprudence
Il est possible de constituer un usufruit sur un droit d’usufruit ; un usufruitier peut valablement
grever son usufruit d’un droit d’usage et d’habitation : Civ. 1ère, 14 janvier 1997, Bull. civ. I n°22 ;
D.1997, juris. p. 607 ; R.T.D.civ. 1998, p. 414, obs. F. Zénati.
Le législateur lui-même a prévu le cas de l’usufruit d’une rente aux art. 584 et 588 c.civ. ou encore
le cas de l’usufruit de droits sociaux. Le régime de l’usufruit présentera toutefois des particularités
dans ces hypothèses.
Remarque
Le projet de réforme du droit des biens consacre l’usufruit des créances (proposition d’article 600) et des droit
Une fois le domaine de l’usufruit déterminé, il faut examiner ses modes de constitution possibles.
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Section 2. Les modes de constitution de l’usufruit
L’usufruit peut prendre naissance de plusieurs manières. Selon l’article 579 c.civ., « l’usufruit est
établi par la loi, ou par la volonté de l’homme ». Il faut ajouter à ces deux modes de constitution, loi
et volonté de l’homme, l’effet de la possession qui permet d’acquérir l’usufruit par prescription. En
conséquence, il existe trois modes d’acquisition possibles :
• 1er mode d’acquisition : l’usufruit légal. La loi instaure certaines situations dans lesquelles
elle désigne un ou plusieurs usufruitiers. Il existe en général dans ces hypothèses un intérêt
Exemple
successoral ou familial.
En présence d’enfants communs, le conjoint survivant peut bénéficier de la totalité des biens en usufruit
• 2ème mode d’acquisition : l’usufruit volontaire. L’usufruit peut être constitué par la
volonté de l’homme, soit par un acte juridique unilatéral, comme un testament, soit par une
convention, par exemple une vente ou une donation. Il s’agit en général soit de conserver le
bien et d’en céder l’usufruit à un tiers, soit de céder le bien tout en conservant soi-même
l’usufruit.
Exemple
Un parent donne à son enfant la nue-propriété du bien et en conserve l’usufruit jusqu’à son décès.
Lorsqu’il s’agit d’un immeuble, la constitution d’un usufruit conventionnel doit être soumise à
la publicité foncière.
• 3ème mode d’acquisition : l’usufruit acquis par la prescription. L’usufruit peut aussi
s’acquérir par l’effet d’une possession. Il faut alors distinguer selon la nature du bien :
- si le bien est un meuble, on applique par analogie l’art. 2276 c.civ. : il y a acquisition instantanée
de l’usufruit par le possesseur de bonne foi (cf. leçon 4) ;
- si le bien est un immeuble, on applique soit la prescription de droit commun, mais ce cas est
assez rare en pratique car au bout de trente ans, le possesseur pourra plutôt tenter de faire jouer
l’acquisition de la propriété pleine, soit la prescription abrégée de dix ans si les conditions sont
réunies (cf. leçon 4).
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Lorsque l’usufruit est correctement constitué, il produits des effets juridiques qu’il convient d’étudier.
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Section 3. Les effets de l’usufruit
En principe, l’usufruitier et le nu-propriétaire sont indépendants : ils ont des droits séparés même
s’ils portent sur le même bien. Mais il n’est pas possible d’ignorer totalement leur relation et
chacun doit pouvoir exercer ses prérogatives sur le bien sans être gêné par l’autre et sans gêner
l’autre. Il faut étudier la situation de l’usufruitier (§1) puis la situation du nu-propriétaire (§2).
• 1ère obligation : l’usufruitier doit faire dresser un inventaire des meubles et un état des
immeubles. Selon l’art. 600 c.civ., « l’usufruitier prend les choses dans l’état où elles sont,
mais il ne peut entrer en jouissance qu’après avoir fait dresser, en présence du propriétaire,
ou lui dûment appelé, un inventaire des meubles et un état des immeubles sujets à l’usufruit
». Les meubles doivent être répertoriés et énumérés (parfois ils peuvent estimés) ; les
immeubles font l’objet d’un état et doivent être décrits. Ces actes permettent de fixer, avant le
début de l’usufruit, quels sont les biens qui devront être restitués à la fin de l’usufruit. Cela
permet à chacun, usufruitier et nu-propriétaire, de connaître l’étendue de leurs droits
et obligations respectifs.
C’est à l’usufruitier de faire réaliser l’inventaire ou l’état à ses frais ; l’acte authentique n’est
pas exigé et un acte sous seing privé pourra suffire. L’acte constitutif d’usufruit peut prévoir
une clause de dispense d’inventaire ou d’état, ce qui est souvent le cas en matière de
libéralité en usufruit. Cette clause n’interdit pas au nu-propriétaire de faire dresser lui-même
les actes à ses frais.
Le défaut d’inventaire des meubles ou d’état des immeubles n’entraîne pas la déchéance de
l’usufruit ; simplement, le nu-propriétaire pourra refuser de délivrer les biens à l’usufruitier tant
que les documents n’ont pas été rédigés. Il pourra également demander le prononcé d’un
séquestre provisoire des biens si l’usufruitier est déjà entré en jouissance. À défaut
d’inventaire ou d’état, le nu-propriétaire pourra prouver par tout moyen la consistance des
biens à la fin de l’usufruit.
• 2nde obligation : l’usufruitier doit « donner caution de jouir en bon père de famille »
selon les termes de l’art. 601 c.civ. L’usufruitier s’engage à user et jouir de la chose en bon
père de famille. Mais les biens soumis à l’usufruit peuvent se détériorer, être détruits,
abîmés… À la fin de l’usufruit, l’usufruitier peut être débiteur de sommes importantes
envers le nu- propriétaire. Pour garantir le paiement de ces sommes, l’usufruitier doit
trouver une tierce personne, la caution, qui garantit au nu-propriétaire que l’usufruitier
se comportera en bon père de famille et qui prend l’engagement personnel
d’indemniser le nu-propriétaire, si l’usufruitier ne peut le faire lui-même. Cette caution
est rendue obligatoire par la loi. L’art. 2318 c.civ. prévoit cependant que si l’usufruitier ne
trouve pas de caution, il peut la remplacer par une hypothèque sur ses immeubles ou par la
remise en gage de biens mobiliers.
Si l’usufruitier tarde à trouver une caution, il n’y a pas déchéance de l’usufruit mais le nu-
propriétaire peut refuser la délivrance des biens soumis à l’usufruit. En cas d’impossibilité de
trouver une caution ou une garantie équivalente, les art. 602 et 603 c.civ. prévoient des
mesures conservatoires et d’administration pour sauvegarder les droits du propriétaire tout en
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permettant à l’usufruitier d’exercer son droit de jouissance.
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Enfin, il est possible d’insérer une clause de dispense de caution dans l’acte constitutif de
l’usufruit, ce qui est très fréquemment le cas en matière de libéralités. La loi prévoit
également une dispense de caution pour les père et mère ayant l’usufruit des biens de leur
enfant mineur en raison des liens familiaux qui les unissent et pour le propriétaire qui vend ou
donne la nue- propriété. La dispense de caution peut ne pas être définitive : les juges
peuvent intervenir, par exemple si l’usufruitier commet des abus de jouissance, et rétablir
l’exigence d’une caution
.
Lorsque ces conditions sont remplies, l’usufruitier peut exercer ses droits sur les biens soumis à
l’usufruit.
• 1er droit : le droit d’usage de la chose. L’usufruitier peut utiliser le bien et s’en servir à
condition d’en respecter la destination. Par exemple, il peut habiter l’appartement ou gérer le
fonds de commerce. Cet usage peut provoquer une usure qui est prise en compte par l’art.
589 c.civ. : « si l’usufruit comprend des choses qui, sans se consommer de suite, se
détériorent peu à peu par l’usage, comme du linge, des meubles meublants, l’usufruitier a le
droit de s’en servir pour l’usage auquel elles sont destinées, et n’est obligé de les rendre, à la
fin de l’usufruit, que dans l’état où elles se trouvent, non détériorées par son dol ou par sa
faute ». Le droit d’usage porte aussi sur les accessoires du bien grevé d’usufruit, comme les
servitudes.
Jurisprudence
Jurisprudence relative aux liens entre contrat de bail et usufruit :
Bail classique : Civ. 3ème, 7 juillet 1993, Bull. civ. III n°112.
Renouvellement du bail : il doit être traité comme la conclusion initiale du bail : Civ. 3ème, 24
mars 1999, Bull. civ. III n°78 ; J.C.P. éd. G. 1999, I, 175, n°23, obs. H. Périnet-Marquet :
l'article 595, alinéa 4, du Code civil « ne comporte aucune distinction entre renouvellement et
conclusion du bail initial ».
Autorisation en justice : Civ. 3ème, 29 novembre 1995, Bull. civ. III n°246 ; D.1997, somm. p. 22,
obs. A. Robert ; R.T.D.civ. 1996, p. 941, obs. F. Zénati ; J.C.P. éd. G. 1996, I, 3921, n°18
Bail commercial : Civ. 3ème, 9 décembre 2009, n°08-20.512, Bull. civ. III n°270 ; D. 2010, 14, obs.
Y. Rouquet ; J.C.P. éd. G. 2010, 336, n°10, obs. H. Périnet-Marquet
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• 3ème droit : le droit de disposer de l’usufruit et non de la chose. L’article 595 al.1er c.civ.
permet à l’usufruitier de « jouir par lui-même, donner à bail à un autre, même vendre ou
céder son droit à titre gratuit ». L’acte doit avoir lieu entre vifs et non à cause de mort car
c’est un droit temporaire, au maximum viager. L’usufruitier a le droit d’aliéner son usufruit.
Mais cette aliénation ne doit pas avoir pour effet de modifier la consistance de l’usufruit cédé,
notamment la durée initiale de l’usufruit. L’usufruitier ne peut pas céder plus de droits qu’il
n’en a lui-même.
Pour défendre ses droits, l’usufruitier peut utiliser l’action confessoire d’usufruit, qui est une action pétitoire p
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C. Les obligations de l’usufruitier
Pendant le temps de l’usufruit, l’usufruitier a trois obligations :
1ère obligation : l’obligation de jouissance en bon père de famille. L’usufruitier doit utiliser la
chose en bon père de famille, selon sa destination naturelle, comme un propriétaire normalement
soigneux et diligent. Il doit conserver la chose, l’entretenir, éviter de la détériorer. Aux termes de
l’art. 614 c.civ., il doit également dénoncer au nu-propriétaire toute usurpation du bien par un tiers.
Il répond des dégradations ou du dépérissement qu’il cause.
2ème obligation : l’obligation de respect de la destination des lieux. L’usufruitier ne doit pas
modifier la manière d’être du bien. Il doit jouir de la chose comme le propriétaire lui-même, c’est-à-
dire se conformer à la manière dont le propriétaire utilisait le bien avant le démembrement du droit
de propriété. L’usufruitier doit respecter la destination du bien (est-ce une habitation ? un garage ?)
sauf circonstances économiques nouvelles ou changement d’urbanisme.
Remarque
Si un usufruitier réalise des constructions sur un terrain démembré, l'accession n'opère pas immédiatement au
• il y a tout d’abord les charges traditionnelles liées au bien : soit les charges périodiques
comme les impôts, prévues à l’art. 608 c.civ., soit les charges extraordinaires qui seront
divisées entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, comme l’indique l’art. 609 c.civ. : le nu-
propriétaire devra s’acquitter du capital tandis que l’usufruitier devra régler les intérêts ;
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Jurisprudence
Si l’usufruitier n’effectue pas les réparations d’entretien, le nu-propriétaire peut les faire réaliser à
ses frais puis demander le remboursement à l’usufruitier (à propos du recrépissement d’une
façade financé par le nu-propriétaire) : Civ. 1ère, 21 mars 1962, Bull. civ. I n°175 ; R.T.D.civ.
1962, p. 527, obs. H. Solus ; J.C.P. éd. G. 1963, II, 13272, note H.G. : « le nu-propriétaire peut,
pendant la durée de l'usufruit, contraindre l'usufruitier à effectuer les réparations d'entretien
tendant à la conservation de l'immeuble ou de la partie de l'immeuble grevée d'usufruit » ; si
l’usufruitier ne procède pas à ces réparations, le nu-propriétaire peut agir sans son accord
préalable et il pourra ensuite obtenir le remboursement des frais engagés.
L’usufruitier dispose de droits assez étendus, sous réserve d’entretenir correctement le bien.
Quelle est la situation du nu-propriétaire ?
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UNJF - Tous droits
Quels sont les droits du nu-propriétaire ? Quelles sont les obligations du nu-
propriétaire ?
Après les effets de l’usufruit, l’évolution chronologique implique l’étude des modes d’extinction de
l’usufruit.
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UNJF - Tous droits
Section 4. L’extinction de l’usufruit
Il faut étudier les causes d’extinction de l’usufruit (§1) avant d’en exposer les effets (§2).
L’usufruit s’éteint à l’arrivée du terme initialement prévu : soit la mort de la personne physique,
même si l’usufruit a été cédé ou s’il était à durée déterminée car il est intransmissible à cause de
mort, soit la mort du dernier titulaire s’il existait une pluralité d’usufruitiers, soit encore l’écoulement
du temps initialement prévu par la loi ou par la convention.
La perte du bien entraîne l’extinction de l’usufruit, à condition qu’il s’agisse d’une perte totale ou si
la chose est devenue totalement impropre à l’usage auquel elle était destinée.
Exemple
Si un bâtiment est détruit, l’usufruit qui portait sur le fonds bâti continue sur le sol et les matériaux mais si l’usu
L’extinction de l’usufruit n’est possible que si la perte n’est pas imputable à l’usufruitier ou au nu-
propriétaire.
Dans le même sens, l’usufruit s’éteint par le non-usage trentenaire de son droit par l’usufruitier,
à condition qu’il s’agisse d’un défaut complet d’exercice. La prescription extinctive ne joue pas
lorsque l’usage a été exercé par un tiers, par exemple par un locataire.
Ensuite, l’usufruit s’éteint par la consolidation, c’est-à-dire la réunion sur la tête d’une même
personne de l’usufruit et de la nue-propriété.
Exemple
Le nu-propriétaire recueille l’usufruit par héritage, au décès du conjoint survivant.
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d’entretien ». L’usufruitier est déchu de son droit. Les juges du fond disposent d’un pouvoir
souverain d’appréciation de l’abus de jouissance et d’un choix de la sanction : ils peuvent
prononcer l’extinction de l’usufruit par la déchéance ou le paiement d’une indemnité pour donner
de nouvelles garanties au nu-propriétaire.
Il existe ainsi plusieurs causes d’extinction de l’usufruit, qui ont toutes les mêmes effets.
En principe, l’usufruitier qui a apporté des améliorations à la chose ne peut pas demander
d’indemnités, ce qui le place dans une situation différente du possesseur. L’art. 599 al.2
c.civ. prévoit en ce sens que « de son côté, l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit,
réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la
valeur de la chose en fût augmentée ». La jurisprudence a réagi face à cette règle sévère qui
n’encourage pas l’usufruitier à investir et qui permet un enrichissement sans cause du nu-
propriétaire. Elle applique le régime traditionnel des améliorations « dès lors qu’il s’agit de
constructions nouvelles s’ajoutant au fonds et augmentant sa valeur ou ayant pour effet
d’achever un bâtiment commencé, ou bien d’agrandir un édifice existant ». À l’inverse, l’usufruitier
qui a détérioré le bien sera tenu d’indemniser le nu-propriétaire.
Enfin, l’usufruitier a l’obligation d’établir les comptes. Un règlement des comptes est en effet
exigé à la fin de l’usufruit, pour rétablir un équilibre entre les situations de l’usufruitier et du nu-
propriétaire.
L’étude de l’usufruit doit s’achever par l’examen de cas spécifiques d’usufruit restreint, regroupés
sous la dénomination de droits voisins de l’usufruit.
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UNJF - Tous droits
Section 5. Les droits réels voisins de l’usufruit
Certains droits spécifiques sont considérés comme des diminutifs ou des substituts de
l’usufruit. Ce sont des usufruits restreints, soit parce qu’ils accordent seulement à leur titulaire un
droit d’usage ou d’habitation (§1), soit parce qu’ils entraînent une séparation en plusieurs
propriétés superposées, distinguant le « tréfonds » et la « superficie » (§2).
Jurisprudence
Civ. 3ème, 14 novembre 1996, Bull. civ. III n°218 : « si l'usager absorbe tous les fruits du fonds,
ou s'il occupe la totalité de la maison, il est assujetti aux frais de culture, aux réparations
d'entretien et au paiement des contributions comme l'usufruitier ; (que) s'il ne prend qu'une partie
des fruits, ou s'il n'occupe qu'une partie de la maison, il contribue au prorata de ce dont il jouit ».
En pratique, une personne aura la propriété du sous-sol (le tréfoncier) tandis qu’un tiers aura la
propriété du sol, accompagné de tous les ouvrages ou plantations qui s’y trouvent. Le droit de
superficie est généralement instauré par un titre, parmi lesquels on trouve le bail emphytéotique,
par lequel le titulaire, s’engageant à faire des travaux sur le fonds moyennant le versement d’un
loyer modéré, bénéficie pendant une longue durée d’un droit de superficie.
Le droit de superficie se distingue de l’usufruit en ce qu’il porte exclusivement sur des immeubles
; il s’en rapproche dans la mesure où le tréfoncier et le superficiaire exercent des droits
concurrents sur un même bien. L’intérêt essentiel du droit de superficie est de conférer au
superficiaire, en général de manière temporaire, un droit de propriété sur tous les ouvrages,
plantations et constructions réalisés sur le fonds. Il est transmissible à cause de mort et librement
cessible entre vifs.
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