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nUNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR

Faculté des Sciences Juridiques et Politiques

Licence II

Année Académique 2020-2021

El Hadji Samba NDIAYE


Maître de Conférences en droit privé
Agrégé des facultés de droit

DROIT DES BIENS

Introduction générale
I – Considérations générales sur le droit des biens

Définition du droit des biens. Le droit des biens appréhende des problématiques
essentielles de la vie quotidienne même pour des profanes du droit qu’il s’agisse de la
propriété, de l’usufruit ou de la copropriété etc. Il est généralement défini comme l’ensemble
des règles relatives aux modalités d’appropriation et d’exploitation des richesses. Cette
définition met en vue deux dynamiques.
1ère dynamique. La première insiste sur l’appropriation des richesses au sein
desquelles on compte les biens. La richesse est souvent caractérisée par la valeur vénale du
bien alors que dans l’absolu, le bien demeure avant tout une chose appropriée. Les
considérations tenant à sa valeur économique, valeur d’échange ou valeur vénale restent pour
le moins accessoires. Une chose peut donc être considérée comme un bien sans avoir pour
autant une valeur économique nécessairement. Appréhender le bien comme une richesse c’est
donc l’inscrire déjà dans une dynamique interrelationnelle ou interpersonnelle et en faire le
produit ou l’objet d’un échange. C’est oublier cependant que le bien sert avant tout à
satisfaire les besoins de l’individu qui est en le propriétaire. Celui-ci ne tire pas uniquement
un avantage ou une utilité du bien en le vendant ou en l’échangeant. Il peut l’utiliser
également pour ses besoins personnels en le consommant par exemple. Il peut tout aussi
abdiquer à en tirer profit. Le cas échéant, il peut le donner ou le détruire. Néanmoins par de
tels actes, dans les sociétés modernes où les relations sociales sont davantage impactées par
l’avoir, il diminuerait considérablement la consistance de son patrimoine si de telles actions
se répétaient. Fort de ce constat, on a fini par fondre la notion de bien dans l’acception
richesses utilisée ci-dessus pour définir le droit des biens.
Seconde dynamique. L’autre dynamique met en vue l’idée d’exploitation des
richesses. Un individu peut librement exploiter les choses qu’il a appropriées. On peut
cependant exploiter les biens d’autrui, des choses appropriées par une autre personne que
celle qui les exploite, par des procédés contractuels les plus divers et variés : la location, le
prêt, l’usufruit… On peut tout aussi exploiter des choses qui appartiennent à plusieurs
personnes. Peuvent notamment être cités en exemple les biens en indivision. Pour rendre
possible une telle exploitation, une convention existera souvent entre le propriétaire de la
chose et l’exploitant. A travers ces nombreux exemples, on place le curseur sur l’un des
facteurs de méconnaissance du droit des biens. En effet, l’une des raisons de la
marginalisation du droit des biens en tant que discipline juridique est liée à l’interconnexion
de son objet avec des disciplines plurielles ; d’où la transversalité du droit des biens.
Transversalité du droit des biens. Le droit des biens appréhende essentiellement la
relation stricte entre la personne et un bien. Son objet déborde cependant cette logique
verticale d’où sa transversalité. Cette transversalité profite davantage aux institutions
encadrées par des disciplines qui gravitent autour du droit des biens. De ce fait, on insistera
davantage sur le contrat de vente qui permet d’accéder à la propriété d’un meuble ou d’un
immeuble, objet de la transaction, plutôt que les droits qui sont reconnus à l’acquéreur une
fois la transaction réalisée. Dans un contentieux portant sur la liquidation d’un régime
matrimonial, institution qui encadre les effets patrimoniaux du mariage entre époux et entre
eux et les tiers, on préférera également mettre en évidence le régime matrimonial applicable
plutôt que le régime juridique des biens pris ut singuli qui composent la masse des biens du
couple.
Si ces différentes disciplines (le droit des contrats, le droit des régimes matrimoniaux
mais il en existe d’autres, le droit des successions, la responsabilité civile…) mettent en
exergue la relation entre les personnes et les biens, elles y arrivent cependant de façon
indirecte. Les biens sont appréhendés à partir d’institutions telles que le contrat et le mariage.
Or, la théorie générale du droit des biens appréhende de façon directe le rapport entre la
personne et les biens. Dans les exemples ci-dessus, le droit des régimes matrimoniaux ou le
droit des contrats insiste davantage sur la relation à l’origine de l’appropriation du bien ou de
son transfert de propriété. Ils ne déterminent pas cependant le régime juridique initial ou final
du bien objet de la relation.
Illustrations en droit des contrats. Si un bien a pu être vendu ou donné par son
propriétaire à une tierce personne, c’est bien en raison de certaines prérogatives qui lui sont
reconnues par le droit des biens à travers l’institution du droit de propriété ou quelques fois
même la possession ou une simple détention.
Illustrations en droit des régimes matrimoniaux. Dans un couple, l’utilisation des
biens des époux et leur sort en cas de dissolution du lien matrimonial restent la préoccupation
du droit des régimes matrimoniaux. Cette dernière discipline n’encadre que la gestion des
biens des époux ce qui en fait et un droit spécial des biens, celui des époux.
L’essence du droit des biens. Le droit des biens appréhende donc directement la
relation individuelle qu’une personne physique ou morale a avec un bien.
Droit des biens et étude de la théorie générale. Lorsqu’est envisagée la relation entre
une personne physique ou une personne morale de droit privé et un bien faisant partie de son
patrimoine, on aborde la théorie générale du droit des biens qui fera l’objet du présent cours.
Celle-ci est constituée de l’ensemble des règles générales qui s’appliquent en toute hypothèse
et sont communes à toutes les situations particulières dont l’objet porte sur un bien, qu’elles
soient contractuelles ou personnelles.
Exclusions droit administratif des biens, droit foncier…Y sont toutefois exclues les
problématiques attenantes au rapport entre les personnes morales de droit public et les biens
faisant partie du domaine public ou privé de l’État. Ces questions ressortissent du droit
administratif des biens dont les principes fondamentaux s’inspirent de la théorie générale du
droit des biens sans pour autant s’y fondre intégralement.
Ces constatations faites, il convient de mettre en lumière certains angles de réflexion
qu’offre l’étude du droit des biens dans un contexte africain en général et sénégalais en
particulier à travers la polysémie de la notion de bien (II), l’histoire du droit des biens en
Afrique (III) et les sources du droit des biens au Sénégal (IV).

II – Polysémie de la notion de bien

Bien, chose, marchandise… Ces différents concepts entretiennent davantage un


rapport de synonymie que de comparaison. Ils comportent cependant un sens irréductible de
façon respective.
Le bien. La définition la plus simple du bien consisterait à s’attacher à son sens
courant. Deux définitions s’opposeraient. La première supposerait d’envisager la notion de
bien au sens moral. On l’opposerait alors au mal. Pour autant, cette définition paraît
inadéquate dans une étude consacrée au droit des biens. La seconde paraît plus pertinente.
Celle-ci désigne le bien comme ce qui est utile, qui satisfait les besoins matériels de la
personne. Elle paraît cependant restreinte. En ce sens, cette définition requiert d’être affinée.
Notion de bien, distinction entre langage courant et langage juridique. On avait
coutume de considérer le bien comme une chose. Aujourd’hui, la doctrine a plutôt tendance à
distinguer les deux notions. Au sens classique, si on confère à la chose une signification
physique ou matérielle, le bien recueille une signification plutôt juridique. Il constituerait en
quelque sorte « l’image juridique des choses »1. Ce prisme d’appréciation du bien semble
pourtant réducteur. Du moins, il ne permet de prendre en considération que les biens
corporels, ceux-là qui auraient une matérialité que peuvent cerner ou appréhender les sens de
l’homme. Toutefois, la catégorie des biens n’embrasse plus uniquement les choses. On n’y
compte dorénavant des droits. Cet élargissement noté de la catégorie des biens aux choses
retiendra notre attention dans les développements postérieurs.
Le bien en tant que notion juridique. Il insiste sur le lien d’appropriation entre une
personne juridique et une chose. Ce rapport découle d’un droit réel. Le droit réel définit les
prérogatives d’une personne juridique sur une chose. C’est un droit souvent exclusif dans la
mesure où il dénie souvent à des personnes qui n’en sont pas titulaires des prérogatives
reconnues au titulaire. Le rapport entre personnes et choses est déterminé ainsi par ce
caractère exclusif. Ne dit-on pas d’ailleurs souvent le bien ou la chose d’une personne pour
caractériser l’existence de ce droit réel ? Envisagé de ce point de vue, le bien serait la
couverture juridique d’une chose. Mais, il peut également viser un droit dont une personne
serait titulaire. Ce qui semble alors décisif pour considérer l’existence d’un bien reste le
rattachement d’une chose ou d’un droit à une personne. Cette hybridité de la notion de bien
fonde de nos jours l’opposition entre les propriétés corporelles et les propriétés incorporelles,
summa divisio qui revendique une hégémonie croissante en droit des biens.
La chose. Celle-ci constitue davantage un objet d’observation perceptible par les
différents sens de l’homme. La chose contrairement au bien est un concept physique et
matériel. Dans de nombreux cas de figures, les choses constituent cependant des biens du fait
de leur appropriation par une personne juridique, qu’elle soit une personne morale ou une
personne physique.
Mais il existe des choses qui n’accèdent jamais à la qualité de bien car l’appropriation
fait défaut (voir les développements en rapport avec la catégorie des choses sans maître).
La marchandise ou le produit. A côté des termes bien et chose utilisés de façon
synonymique par commodité de langage, on peut également relever l’usage fréquent des
termes marchandise ou produit. Contrairement au bien caractérisé par le rapport
d’appropriation, les notions de marchandise place le curseur sur un objet qui se destine à la
1
S. SCHILLER, « Droit des biens », Cours, Dalloz, 4ème éd., 2004, n° 12, p. 14.
vente. On fera cependant regarder que le sens de produit peut se dédoubler. Le produit peut
également renvoyer en droit des biens aux revenus qui se distinguent des fruits (voir la
distinction des choses frugifères et non frugifères).
Ces précisions liminaires révèlent une polysémie du mot bien qui se double d’une
imprécision lorsque l’on le place dans une perspective historique (A) ou contemporaine (B).

A - Ce que nous enseigne le passé à travers l’esclavage

Esclavage et chosification de certains « individus » ou « personnes


individualisées ». Un philosophe d’une renommée universelle, dans une boutade célèbre et
triviale, avançait avec assurance « L'esclave est un outil animé et l'outil est un esclave
inanimé »2. La période où il avait pu l’avancer plaider sa cause certainement. Durant une
certaine époque3, l’esclavage entrainait principalement une chosification des individus de race
noire ou arabe permettant ainsi à certaines personnes de revendiquer un titre de propriété sur
ceux-ci (des individus). À ce titre, les esclaves noirs, considérés comme des individus et non
des personnes au sens du droit, étaient assimilés à des choses plus exactement des biens
mobiliers4. Dans le système juridique français, quoique le Code civil ne le précisât 5, ils
pouvaient dès lors être saisis, vendus ou mis en communauté en vertu d’une législation
coloniale6. Lorsque l’esclave était affecté à la culture de la plantation, il devait être assimilé à
un immeuble par destination7.
Esclavage et personnification de certaines « choses ». La chosification des
personnes qui peut sembler aujourd’hui grossière et offensante n’en cachait pas moins
certains traitements qui semblaient conférer à l’esclave certains droits de la personne,
personne plutôt entendue alors au sens du « droit naturel », du « droit religieux » ou plus

2
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque,VIII, 13.
3
Pour cerner les fluctuations de l’admission de l’esclavage dans le temps, v. N. REBOUL-MAUPIN, Droit des
biens, D. 2016, Coll. Hypercours, 6ème éd., n° 15.
4
« L’articulation de l’esclavage sur les principes du Code Napoléon soulevait un problème fondamental :
l’esclave était-il une chose ou une personne ? L’idée première, assurément, aurait été d’en faire une chose.
C’était l’idée très solide du droit romain avant que les progrès de la philosophie et du christianisme n’y eussent
mélangé, plus par sentiment que par logique juridique, une personnalité de droit naturel » ; J. CARBONNIER,
« Scolie sur le non-sujet de droit, L’esclavage sous le régime du Code civil » in, Le Flexible droit, 10ème éd.,
2001, p. 251.
5
Sur ce silence, J. CARBONNIER, op. cit., p. 247 et s.
6
Article 44 du Code noir : « Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté,
n'avoir point de suite par hypothèque. se partager également entre les cohéritiers, sans préciput et droit
d'aînesse, n'être sujets au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux,
aux formalités des décrets, ni au retranchement des quatre quints, en cas de disposition à cause de mort et
testamentaire » ; sur le Code noir, v. V.-V. PALMER, « Essai sur les origines et les auteurs du Code noir »,
RIDC 1998, pp. 111-140.
7
V. G. MEMETEAU, « L’esclave, meuble ou immeuble par destination », RRJ 2015-2, p. 503 et s.
exactement au sens du « droit canonique »8. A titre d’exemples, le maître qui tuait son
esclave commettait un crime et non un délit ; l’esclave qui mourait devait être enseveli dans
un cimetière commun ; il pouvait exiger à son maître d’être nourri en portant plainte au
procureur général ; postérieurement, si l’esclave venait à être affranchi, il recouvrait aussi
l’ensemble des droits qui étaient reconnus à une personne. Toute cette bienveillance
n’équivalait pas cependant à leur reconnaitre le statut de personne au sens du droit civil. Il a
fallu attendre que l’esclavage soit officiellement aboli pour que l’égalité présomptive entre
individus soit restaurée par l’adoption du décret de Victor SCHOELCHER du 27 avril 1848.
Depuis, des textes ont été adoptés sur le plan interne 9 et international10 pour rendre plus
vigoureuse la prohibition. Celle-ci est d’ailleurs élargie à la pratique dite de l’esclavage
moderne11. Dès lors, « il ne s’agit plus de s’approprier la personne dans son entier, il faut et

8
Toutes ces expressions sont du Doyen Carbonnier.
9
Article 7 de la Constitution du Sénégal : « La personne humaine est sacrée. Elle est inviolable. L’État a
l’obligation de la respecter et de la protéger.
Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité, au libre développement de sa personnalité, à
l’intégrité corporelle notamment à la protection contre toutes mutilations physiques.
Le peuple sénégalais reconnaît l’existence des droits de l’homme inviolables et inaliénables comme
base de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde.
Tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Les hommes et les femmes sont égaux en droit.
Il n’y a au Sénégal ni sujet, ni privilège de lieu de naissance, de personne ou de famille ».
10
Article 2 de la Convention internationale relative à l’esclavage de Genève du 25 septembre 1926 : « Les
Hautes Parties contractantes s'engagent, pour autant qu'elles n'ont pas déjà pris les mesures nécessaires, et
chacune en ce qui concerne les territoires placés sous sa souveraineté, juridiction, protection, suzeraineté ou
tutelle :
a) A prévenir et réprimer la traite des esclaves;
b) A poursuivre la suppression complète de l'esclavage sous toutes ses formes, d'une manière progressive et
aussitôt que possible ».
11
La traite des personnes est définie comme le commerce illégal d’êtres humains par enlèvement, menace de
recours ou recours à la force, tromperie, fraude ou « vente » à des fins d’exploitation sexuelle ou de travaux
forcés. Le commerce contemporain d’esclaves opère avec des faux passeports et des tickets d’avion. Plusieurs
Conventions internationales sont applicables dans ce domaine. Dans le combat contre la traite des êtres humains,
en particulier la traite des femmes et des petites filles, quatre conventions ont été négociées au début du XXème
siècle : l’Arrangement international du 18 mai 1904 pour la répression de la traite des blanches, la Convention
internationale du 4 mai 1910 relative à la répression de la traite des blanches, la Convention internationale du 30
septembre 1921 pour la répression de la traite des femmes et des enfants et la Convention internationale du 11
octobre 1933. Après la Deuxième guerre mondiale, la Convention pour la répression de la traite des êtres
humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, esclavage, travail forcé, trafic de personnes du 2
décembre 1949 a été élaborée et est entrée en vigueur le 25 juillet 1951. Elle a été reconnue par 81 États. Dans
le cadre du protocole additionnel de l’ONU sur la « Convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée», un nouvel élan a été apporté pour combattre la traite des êtres humains dans un but
d’esclavage ou de prostitution. C’est la première fois que de telles mesures de protection des victimes ont été
exigées par les États. La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée du 15
novembre 2000 est entrée en vigueur le 29 décembre 2003. 179 États l'ont ratifiée. Le « Protocole additionnel à
la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et
punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants» du 15 novembre 2000 est entré en
vigueur le 25 décembre 2003. Jusqu’à maintenant 159 États l’ont ratifiée. Malgré l’abondance des instruments
internationaux, on répertorie pourtant de nombreux réseaux mafieux qui font de l’esclavage moderne un
véritable business.
il suffit de s’approprier de l’usage, ou les fruits, ou les produits »12 de la personne pour que
l’atteinte soit corroborée.

B - Ce que révèle le présent…

Exemples choisis. L’ambivalence de la notion de bien se manifeste en des termes


variés de nos jours. Ses traits les plus décisifs s’illustrent par l’entrisme de plus en plus
remarqué du corps humain dans le commerce marchand à côté du statut toujours discuté des
enfants à naître (embryons et fœtus) et des cadavres. On peut y ajouter également l’évolution
perceptible du statut juridique de l’animal. Antérieurement considéré comme une chose, un
bien par conséquent lorsqu’il faisait l’objet d’appropriation, l’animal migre dans les droits
occidentaux, vers une catégorie non identifiée, en construction.

1 – Exemple n° 1 : La réification de la personne humaine, expression contemporaine de


l’ambivalence de la notion de bien

La « chosification » des éléments ou des produits du corps humain. Au-delà des


considérations générales sur la réification de la personne humaine, les illustrations les plus
symptomatiques sont révélées par le régime juridique des éléments ou organes (a) puis des
produits du corps humain (b) pour en déceler les manifestations saillantes.
Il en est ainsi lorsque certains produits ou éléments du corps humain ont été détachés
de celui-ci sans que la vie, la santé ou la dignité de la personne ne soit remise en cause. Le
régime juridique applicable à ces éléments et à ces produits du corps humain n’est pas sans
rappeler celui appliqué aux choses. Le régime juridique applicable aux éléments du corps
humain, c’est à dire ses organes, mérite d’être dissocié de celui des produits du corps humain.

a - Eléments ou organes du corps humain : d’une indisponibilité à leur non-


patrimonialité.
Convergence des droits positifs. Les droits positifs français et sénégalais partagent
sur ce point la même politique législative à quelques nuances près.
Droit français. Saisissant l’occasion de l’adoption de la loi n° 94-653 du 29 juillet
1994 relative au respect du corps humain, le législateur français retint le principe de la non-
patrimonialité du corps humain13. Exit celui de l’indisponibilité du corps humain ! Il n’est
12
N. REBOUL-MAUPIN, Droit des biens, préc., n° 15, p. 18.
13
Article 16-1 du Code civil français : « Chacun a droit au respect de son corps.
Le corps humain est inviolable.
Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial. »
plus question que de limiter les dérives susceptibles de faire du corps humain l’objet de
conventions tout azimut. Dès lors qu’elles ont pour objet les organes du corps humain, les
conventions doivent être à titre gratuit et poursuivre exclusivement un but médical ou
thérapeutique14.
Interdiction de la GPA en droit français. La gestation pour le compte d’autrui (GPA)
a été proscrite sur cette base dès lors qu’elle faisait d’un organe du corps humain l’objet d’un
contrat de louage15. Avec l’admission du mariage pour tous en France, cette interdiction reste
aujourd’hui très contestée voire même relative face au droit excipé par les personnes de
même sexe d’avoir une progéniture au même titre que les couples hétérosexuels16.
Droit sénégalais. La même philosophie prohibitionniste, celle d’affirmer la non-
patrimonialité du corps humain, prévaut dans la loi sénégalaise n° 2015-22 du 8 décembre
2015 relative aux dons, aux prélèvements et à la transplantation d’organes et aux greffes de
tissus humains.
Admission des prélèvements, dons et transplantations d’organes et de tissus humains
en droit sénégalais. L’article 6 de cette réglementation dispose :
« Le don d’un organe ou de tissus humains est gratuit et ne peut, en aucun cas, et sous
aucune forme, faire l’objet d’une transaction.
Seuls sont dus à l’établissement de santé les frais inhérents aux interventions exigées
par les opérations de prélèvement, de transplantation d’organes et de greffe de tissus
humains, ainsi que les frais d’hospitalisation y afférents ».
Encadrement restrictif des prélèvements, dons et transplantations d’organes et de
tissus humains en droit sénégalais. Il n’en demeure pas moins cependant que l’admission des

Article 16-5 du Code civil : « Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps
humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles ».
Article 16-6 du Code civil : « Aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une
expérimentation sur sa personne, au prélèvement d'éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-
ci ».
14
V. P.-A.-S. BADJI, « Le législateur sénégalais face à la bioéthique », Rev. Droit sénégalais, 2013, n° 11,
Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, pp. 74-75.
15
Article 16-7 du Code civil : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte
d'autrui est nulle ». De telles conventions ont d’abord été proscrites dans la jurisprudence avant que cette
proscription légale n’intervint. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation française a pu décider : « La
convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour
l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain
qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes » ; Ass. plén. 31 mai 1991, GAJC Tome 1, 12 ème édition,
arrêt n° 50, p. 351 s.
16
Il n’est pas exclu d’ailleurs que le droit français évolue sur ces questions dans la mesure où de nombreux pays
étrangers admettent les conventions portant sur les mères porteuses. Ainsi, les français désireux de recourir à de
telles transactions n’hésitent pas à aller les passer à l’étranger et revendiquent, une fois de retour en France,
l’établissement de la filiation à l’égard du parent biologique en demandant la transcription de l’acte d’état civil
délivré à l’étranger ; v. Ass. plén. 3 juillet 2015, 15-50.002, publié au bulletin ; plus récemment, v. les 5 arrêts
rendus par la Cour de cassation le 5 juillet 2017, arrêts publiés au bulletin.
prélèvements, dons et transplantations d’organes et de tissus humains est aménagée en droit
sénégalais avec plus de réserve qu’en droit français. Fussent-ils par exemple gratuits et admis
seulement pour des raisons thérapeutiques17 comme en droit français, les dons et
transplantations d’organes ou de tissus ne sont possibles qu’entre membres très proches de la
famille18. En outre, ils ne peuvent être faits que du vivant du donneur 19 avec son
consentement dûment attesté.
Ces nombreuses limitations portant sur les conventions relatives aux organes du corps
humain ne tarissent pas pour autant l’idée d’une réification du corps humain. Quid de ses
produits ?

b - La non-patrimonialité relative des produits du corps humain


Fondement de la relativité. Contrairement aux organes humains dont il est possible
d’affirmer de façon absolue qu’ils ne doivent pas faire l’objet de conventions à titre onéreux,
l’encadrement des produits du corps humain fait montre d’une rigueur plus élastique. Ces
produits ont été « fabriqués » par le corps dans une quantité non négligeable et souvent de
façon permanente dans une durée assez étendue de la vie. On peut citer en guise d’exemples
les cheveux, les ongles, le sang, le lait maternel, le sperme… A l’origine, ces « choses » ne
pouvaient faire l’objet que d’actes juridiques à titre gratuit. Pour une panoplie de produits, la
règle demeure sans doute à l’heure actuelle. Pour certains d’entre eux cependant, on constate
une amorce de monétarisation qui ne suscite pas la réprobation du législateur. On peut
notamment se référer au commerce très prisé au Sénégal de cheveux dits « naturels » et qui

17
Article 3 de la loi préc. : « Le don, le prélèvement ou la transplantation d’organes et de tissus humains ne
peuvent avoir lieu que dans un but thérapeutique ».
18
Article 9 de la loi n° 2015-22 du 08 décembre 2015 relative aux dons, aux prélèvements et à la transplantation
d’organes et aux greffes de tissus humains : « Le prélèvement d’un organe ou de tissus humains sur une
personne vivante, qui en fait le don, ne peut être effectué que dans l’intérêt thérapeutique direct d’un receveur.
Le donneur doit nécessairement être :
I° le père, la mère ou l’enfant ;
2° le frère ou la sœur germain, consanguin ou utérin, I ‘oncle, la tante, le neveu ou la nièce en ligne collatérale
du 3e degré, le cousin ou la cousine en ligne collatérale du 4e degré ;
3° l’époux ou l’épouse après au moins deux années de mariage.
Le lien de parenté entre le donneur et le receveur prévu au 1er et au 2ème du présent article se prouve selon les
modalités prévues par le Code de la Famille ».
19
Seule la cornée échappe à pareille proscription ; v. l’article 2 de la loi préc. : « Le don, le prélèvement ainsi
que la transplantation d’organes et la greffe de tissus humains s’effectuent dans le respect de l’intégrité
physique de la personne humaine et dans les conditions fixées par la présente loi.
Le prélèvement d’organe n’est autorisé que sur une personne vivante suivant les procédures prévues par la
présente loi.
Toutefois, le prélèvement de la cornée est autorisé sur une personne décédée suivant des modalités qui seront
fixées par décret ».
le sont pour une bonne partie ainsi que des ongles, sils etc. En France, l’Etat est autorisé
également à vendre le sang20.
Bilan d’étape. Le corps humain et ses éléments ou produits sont-ils détachables de la
personne ? L’analyse juridique et le droit positif semblent de plus en plus l’admettre. Le
postulat jadis admis selon lequel la personne humaine serait hors du commerce juridique
(à distinguer du commerce marchand) a connu une érosion continue. Il s’est d’abord
transmuté en principe d’indisponibilité du corps humain. Cette transmutation matérialise
l’entrée du corps humain, ses éléments humains ou produits dans le commerce juridique et de
manière progressive dans le commerce marchand. De là à assimiler le corps humain, ses
organes ou produits à des choses, il n’y a qu’un pas ! La fulgurance de l’érosion du postulat
originel a justifié par la suite sa transformation en principe de non-patrimonialité afin de
limiter les effets pernicieux de la « chosification » contemporaine de la personne humaine.
En tout état de cause, la distinction entre personne et chose paraît de plus en plus sibylline à
considérer toute cette évolution. Si de telles déviations conceptuelles concernent la personne
humaine de son vivant, quid de ses états préexistants et post-existants ?

2 - Exemple n° 2 : les embryons et les fœtus

Les embryons et fœtus, choses ou personnes ? Le droit a tendance à appréhender les


deux concepts sous une même appellation, l’enfant à naître. Cette définition instaure une
certaine tautologie dans la mesure où la définition juridique de l’enfant est la personne
humaine née vivante. La naissance demeure ainsi un élément incontournable de ce qui
détermine juridiquement l’enfant.
Les embryons et fœtus sont des êtres vivants. L’embryon et le fœtus ne sont pas
considérés juridiquement du moins de façon conceptuelle comme des personnes. Le droit
positif fait dériver exceptionnellement certaines conséquences de tels états sans pour autant
négliger la portée déterminante que la naissance a dans toute reconnaissance d’une
personnalité juridique à un être humain21. Ce que la médecine réprouve en général.
En médecine, l’embryon correspond au développement d’un œuf ou zygote jusqu’à la
naissance d’un certain nombre de tissus et d’organes spécifiques (deux premiers mois de
grossesse). La période fœtale correspond à une autre étape marquant le développement de ces
20
Article L1221-9 du Code français de la santé publique.
21
Article 1er du Code la famille : « La personnalité commence à la naissance et cesse au décès.
Cependant l’enfant peut acquérir des droits du jour de sa conception s’il naît vivant.
La date de la conception d’un enfant est fixée légalement et de façon irréfragable entre le 180e et le 300e jour
précédant sa naissance ».
tissus et organes ainsi que la croissance rapide du corps. Les embryons et les fœtus entrent
donc dans une catégorie plus large connue des êtres vivants par la biologie. Celle-ci s’y
intéresse du moins dans le processus de formation de l’être humain.
Tous les êtres vivants (les embryons et fœtus notamment) ne sont pas des personnes
juridiques. Toutefois, le droit ne connait pas d’une définition juridique de l’être humain qui
se détournerait ou se différencierait de la personne juridique. Or en considérant les êtres
humains comme étant des personnes physiques, personnes dotées de la personnalité juridique,
toute assimilation des fœtus ou des embryons aux personnes juridiques paraît contre-
indiquée. Sont-ils pour autant des choses ? Une hésitation demeure.
Les embryons et fœtus subissent presque le traitement des choses : vérité ailleurs
(en France par exemple). Deux arguments d’inégale portée permettent de rapprocher le
statut des embryons et fœtus du statut des choses en droit français. .
Transfert et insémination possibles des embryons. Dans de nombreux pays
occidentaux, les embryons peuvent être cultivés en laboratoire aux fins de favoriser une
assistance médicale à la procréation. Le cas échéant, ils sont à destination en général de
femmes stériles qui ne peuvent pas procréer naturellement. Dans l’hypothèse aussi d’une
fécondation in vitro, les embryons qui n’ont pas été inséminés peuvent être congelés pour être
transférés dans l’utérus de la femme lorsque le désir d’un nouvel enfant du couple se
matérialisera. Ces embryons sont appelés « surnuméraires »22. S’ils ne venaient pas à être
utilisés durant une période limitative (en général cinq ans), les embryons « surnuméraires »
pourraient être donnés à un autre couple ou à la recherche 23. Le couple considéré comme
« propriétaire » des embryons congelés peut également décider de leur destruction qui
procèdera de l’arrêt de la conservation24.

3 - Exemple n° 3 : Les cadavres

Les cadavres, des choses sacrées. À l’instar des fœtus et des embryons, les cadavres
semblent également exclus de la catégorie des personnes physiques, donc juridiques en dépit

22
En 2016 en France, on a répertorié près de 210000 embryons humains par le Centre de Conservation des Œufs
et du Sperme humain (CECOS). A leur propos, on a pu décider en droit français que « le principe de respect de
tout être humain dès le commencement de sa vie n’est pas applicable aux embryons surnuméraires » ; Conseil
Constitutionnel français 27 juillet 1994, DC n° 94-344, DC n° 94-345.
23
Sur cette dernière hypothèse, cf. l’article 2151-5 du Code de la santé publique.
24
La CEDH ne semble pas être de cet avis ; cf. CEDH 27 août 2015, arrêt Parrillo c/. Italie, n°46470/11). Sur la
question du droit de propriété invoqué par une citoyenne italienne pour donner son embryon à la recherche,
projet remis en cause par la loi italienne qui interdisait la destruction des embryons, la CEDH a eu à énoncer que
« les embryons humains ne sauraient être réduits à des biens » (v. §215 de l’arrêt).
du fait qu’ils furent celles-ci. Le droit les assimile plutôt à des choses « sacrées » en dépit du
silence du législateur sur ladite qualification.
A la recherche de base textuelle en droit positif sénégalais. Aucune disposition du
droit positif sénégalais n’énonce de façon explicite que les cadavres relèvent de la catégorie
des choses. L’arrière-plan de certaines dispositions de règlementations existantes peut
cependant sous-tendre une telle qualification. A ce propos, pourrait être excipé l’article 1 er de
l’Acte Uniforme sur les Contrats de Transport de Marchandises par Route (AUCTMR) 25.
Cette disposition, à s’attacher son objet, détermine le champ spatial d’application du droit
uniforme dans son alinéa 1er ; il décline aussi, dans son alinéa 2, son champ matériel
d’application. Saisissant ce dernier prétexte, il exclut les « transports funéraires » de son
objet. Une telle exclusion laisse présumer la qualification juridique du cadavre dans la mesure
où la prise en compte des « transports funéraires » dans l’objet de l’AUCTMR qui vise de
manière expresse le transport de « marchandises » amène à conférer à celui-ci le statut de
choses qui semble consubstantielle à la nature des « marchandises ». Il faut dès lors
comprendre que l’exclusion est justifiée par la nature spécifique de cette « marchandise »
qu’est le cadavre et non une impression contraire, c'est-à-dire que le cadavre ne soit point une
marchandise, une chose per se26.
Cette précision faite, il convient néanmoins de souligner que le cadavre n’est pas
considéré comme n’importe quelle chose. Le droit positif aménage un certain encadrement
pour éviter une marchandisation post-mortem des organes du corps humain et préserver la
dignité de la personne humaine que fut le cadavre.
Interdiction de toute marchandisation post-mortem des organes du corps humain et
dignité de la personne humaine. La non-patrimonialité des organes du corps humain
demeure un dogme après même le décès de la personne humaine. Au prétexte donc que le
cadavre est une chose, le droit positif interdit en principe toute atteinte à l’intégrité du corps
humain. Ainsi, la marchandisation post-mortem de ses organes est proscrite. On explique
cette restriction par un débordement de la dignité accordée à la personne humaine de son
vivant. C’est cette dignité qui confère au cadavre son caractère sacré.

25
« 1) Le présent Acte uniforme s’applique à tout contrat de transport de marchandises par route lorsque le
lieu de prise en charge de la marchandise et le lieu prévu pour la livraison, tels qu’ils sont indiqués au contrat,
sont situés soit sur le territoire d’un État membre de l’OHADA, soit sur le territoire de deux États différents
dont l’un au moins est membre de l’OHADA. L’Acte uniforme s’applique quels que soient le domicile et la
nationalité des parties au contrat de transport.
2) L’Acte uniforme ne s’applique pas aux transports de marchandises dangereuses, aux transports funéraires,
aux transports de déménagement ou aux transports effectués en vertu de conventions postales internationales ».
26
V. S. CARRE, « Le transport de corps, un ectoplasme juridique », RRJ 2005-1, p. 2033.
Interdiction principielle du don d’organes post-mortem. Possible en droit sénégalais
du vivant de la personne, le don d’organes post-mortem est interdit a contrario à l’exclusion
de la cornée.
Don post-mortem au bénéfice d’un particulier limité à la cornée. La loi n° 2015-22 du
08 décembre 2015 relative aux dons, aux prélèvements et à la transplantation d’organes et
aux greffes de tissus humains en dispose déjà ainsi pour la cornée27. La cornée reste donc
l’unique organe à pouvoir faire l’objet d’un don à un proche après le décès du donateur.
Don post-mortem du cadavre au bénéfice de la science. La loi portant Code
d’Ethique pour la Recherche en Santé du 9 mars 2009 autorise le don post-mortem du
cadavre à la recherche ou à la science dans des conditions drastiquement encadrées 28.

4 – Exemple n° 4 : Les animaux

Pourquoi l’animal ? La mise en exergue de l’animal dans ces développements


laisserait penser qu’ils cessent d’être des choses, qualifications qui continuent pourtant de
prévaloir encore de nos jours dans une majorité de systèmes juridiques en ce compris celui
sénégalais. Notre parti-pris procède davantage d’une logique dynamique liée à l’observation
d’une métamorphose de plus en plus croissante des catégories du droit. Cette métamorphose
est perceptible chez l’animal dans ses rapports avec le Droit. Dans certains systèmes
juridiques, l’animal a cessé d’être une chose tout en continuant d’être un bien.
Constat d’une attention progressive des juristes portée sur le statut des animaux.
Contrairement aux végétaux, l’attention des juristes s’est cristallisée sur d’autres êtres vivants
qui partagent avec l’homme le fait d’être une création de la Nature ; il s’agit des animaux29.
Cette sollicitude contemporaine à l’égard des animaux concrétisée en France par une
protection juridique de plus en plus renforcée amène à l’appréhender sous un prisme nouveau
en droit des biens. Cette protection renforcée et ce renouveau de la catégorisation juridique
des animaux qui ne trouvent guère écho au Sénégal ont eu tendance à rapprocher le statut des
ceux-ci des personnes sans pour autant que la fusion ne soit complète. L’arrière-plan d’un tel

27
Article 2 dernier alinéa : « Toutefois, le prélèvement de la cornée est autorisé sur une personne décédée
suivant des modalités qui seront fixées par décret ».
28
Article 12 de ladite Loi : « La recherche en santé ne peut s’effectuer sur une personne en état de mort
cérébrale qu’avec son consentement préalablement exprimé par écrit ou par celui de sa famille ou de ses ayant
droits ».
Article 13 : « L’utilisation du corps d’une personne décédée à des fins de recherche ne peut se faire qu’avec le
consentement préalablement exprimé par le sujet de son vivant ou par celui de ses ayant droits ».
29
V. J.-P. MARGUENAUD, L'animal en droit privé, Préf. Cl. LOMBOIS, PUF, 1992.
rapprochement part du constat selon lequel l’animal, contrairement aux autres biens, demeure
une chose animée et sensible.
A l’origine, l’animal était une chose. Malgré les controverses actuelles, l’unique
catégorie susceptible de recueillir les animaux reste les choses. Au Sénégal, cette évidence
demeure et c’est bien aussi le cas en France malgré l’évolution amorcée. Sur la question, le
Code civil a pris position de manière très nette 30. PORTALIS considéré comme le père du
Code civil, dans son Discours préliminaire du premier projet du Code civil 31, partageait une
conviction qui reprenait semble-t-il cette croyance. Ne disait-il pas que « L’homme naît avec
des besoins ; il faut qu’il puisse se nourrir et se vêtir : il a donc droit aux choses nécessaires
à sa subsistance et à son entretien. Voilà l’origine du droit de propriété »32 ?
Convergence entre la Religion et le Droit. D’ailleurs, en droit des biens, c’est l’une
des rares convergences à relever entre le Droit et la Religion. En effet, dans l’Islam tout
comme le Christianisme, l’animal est susceptible de faire l’objet d’une appropriation par
l’homme. Ceci l’exclut de la catégorie des personnes. Dans l’ordre des créations divines, le
fait qu’ils aient été créés avant l’Homme n’y change rien. Dieu pris d’une adoration et d’une
estime incommensurable pour les êtres humains a créé les animaux, d’autres êtres vivants,
pour la satisfaction de leurs besoins essentiels33.

30
Article 528 du Code civil.
31
Discours prononcé le 21 janvier 1801 et le Code civil promulgué le 21 mars 1804, Préface de Michel
MASSENET, Bordeaux : Éditions Confluences, 2004, 78 pp. Collection : Voix de la Cité. L’intégralité du
Discours est accessible sur http://classiques.uqac.ca/collection_documents/portalis/discours_1er_code_civil/
discours_1er_code_civil.pdf. Dernière consultation, le 18 avril 2016 à 9h.
32
Discours préc., p. 65.
33
La Sainte Bible, Ancien Testament, Version Louis SECOND 1910, traduite sur les textes originaux hébreu et
grec, éd. The Bible League, 2001, Genèse, Chapitre I : « 23 Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le
cinquième jour.
24 Dieu dit : Que la terre produise des animaux vivants selon leur espèce, du bétail, des reptiles et des animaux
terrestres, selon leur espèce. Et cela fut ainsi.
25 Dieu fit les animaux de la terre selon leur espèce, le bétail selon son espèce, et tous les reptiles de la terre
selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon.
26 Puis Dieu dit : Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de
la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre.
27 Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme.
28 Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez ; et dominez
sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.
29 Et Dieu dit : Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre,
et tout arbre ayant en lui du fruit d'arbre et portant de la semence : ce sera votre nourriture.
30 Et à tout animal de la terre, à tout oiseau du ciel, et à tout ce qui se meut sur la terre, ayant en soi un souffle
de vie, je donne toute herbe verte pour nourriture. Et cela fut ainsi ».
Le Saint Coran, Sourate 16 AN-NAHL (Les abeilles) : « 5. Et les bestiaux, Il les a créés pour vous; vous en
retirez des [vêtements] chauds ainsi que d'autres profits. Et vous en mangez aussi.6. Ils vous paraissent beaux
quand vous les ramenez, le soir, et aussi le matin quand vous les lâchez pour le pâturage. 7. Et ils portent vos
fardeaux vers un pays que vous n'atteindriez qu'avec peine. Vraiment, votre Seigneur est Compatissant et
Miséricordieux. 8. Et les chevaux, les mulets et les ânes, pour que vous les montiez, et pour l'apparat. Et Il crée
ce que vous ne savez pas ».
Amorce d’une évolution du statut juridique des animaux dans les pays
occidentaux. Initialement, seuls les animaux domestiques semblaient être dignes d’une
protection juridique. L’objet de l’attention des juristes a porté initialement sur la souffrance
que l’homme faisait subir aux animaux, pas n’importe lesquels, ceux domestiques. C’est
essentiellement sous l’angle du droit pénal qu’était donc envisagée leur protection. Bien que
cette politique criminelle existe au Sénégal 34, ses manifestations sont plus illustratives en
France35. Il faut néanmoins préciser que de telles politiques répressives n’avaient nullement
pour ambition de doter l’animal d’un statut juridique. La protection qu’elles procuraient à
l’animal était médiate. En sanctionnant l’infracteur, c’est bien la paix publique que le Droit
objectif voulait garantir. Une telle protection bénéficiait ainsi directement aux personnes, les

34
V. pour le Sénégal,
Code pénal,
Article 424 : « Quiconque aura empoisonné des chevaux ou autres bêtes de voiture, de monture ou de charge,
des bestiaux à cornes, des moutons, chèvres ou porcs, ou des poissons dans des étangs, viviers ou réservoirs,
sera puni d’un emprisonnement d'un an à cinq ans, et d'une amende de 20.000 à 100.000 francs.
Il pourra, en outre, être interdit de séjour pendant une durée de deux ans au moins et cinq ans au plus » ;
Article 425 : « Ceux qui, sans nécessité, auront tué ou mutilé l'un des animaux mentionnés au précédent article,
seront punis ainsi qu'il suit:
Si le délit a été commis dans les bâtiments, enclos et dépendances ou sur les terres dont le maître de l'animal
tué, ou mutilé était propriétaire, locataire, colon ou fermier, la peine sera un emprisonnement d'un mois à un
an;
S'il a été commis dans tout autre lieu, l'emprisonnement sera d'un à six mois.
Le maximum de la peine sera toujours prononcé en cas de violation de clôture » ;
Article 426 : « Quiconque aura, sans nécessité, tué ou mutilé un animal domestique dans un lieu dont celui à
qui cet animal appartient est propriétaire, locataire, colon ou fermier, sera puni d'un emprisonnement d'un
mois à six mois.
S'il y a eu violation de clôture, le maximum de la peine sera prononcé » ;
Code des contraventions, Loi n° 65-557 du 21 juillet 1965,
Article 12 : « Seront punis des peines prévues aux articles 2 et 3 ou de l'une de ces deux peines seulement:
1) Ceux qui, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, auront
involontairement causé la mort ou la blessure des animaux ou bestiaux appartenant à autrui;
2) Ceux qui auront exercé sans nécessité, publiquement ou non, de mauvais traitements envers un animal
domestique ou apprivoisé, ou tenu en captivité; en cas de condamnation du propriétaire de l'animal ou si le
propriétaire est inconnu, le tribunal pourra décider que l'animal sera remis à une œuvre de protection animale
reconnue d'utilité publique ou déclarée, laquelle pourra librement en disposer ».
35
V. Loi du 2 juillet 1850 dite GRAMMONT sur les mauvais traitements envers les animaux domestiques,
JORF du 20 août 1944, p. 299. Cette protection juridique s’est accentuée avec la Loi n° 76-629 du 10 juillet
1976 relative à la protection de la nature.
Article 9 de la loi du 10 juillet 1976 (article L 214-1 du code rural) : « Tout animal étant un être sensible doit
être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ».
Article 10 de la loi du 10 juillet 1976 (article L 214-2 du code rural) : « Tout homme a le droit de détenir des
animaux dans les conditions définies à l'article 9 ci-dessus et de les utiliser dans les conditions prévues à l'article
276 du code rural, sous réserve des droits des tiers et des exigences de la sécurité et de l'hygiène publique et des
dispositions de la présente loi.
Les établissements ouverts au public pour l'utilisation d'animaux sont soumis au contrôle de l'autorité
administrative qui peut prescrire des mesures pouvant aller jusqu'à la fermeture de l'établissement,
indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées au titre de la présente loi. Un décret en
Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent article ».
V. J.-P. MARGUENAUD, « L'animal dans le nouveau code pénal », D. 1995, p. 187 ss. ; M. DANTI-JUAN,
« La contribution du nouveau code pénal au débat sur la nature juridique de l'animal », RD rur. 1996, pp. 477.
propriétaires de telles bêtes plutôt qu’à celles-ci. La même lecture peut être faite à propos des
animaux sauvages.
L’extension de la protection aux animaux sauvages avec la prise en compte des
impératifs écologiques. Une initiative similaire a été élargie aux animaux sauvages face au
constat de la disparition alarmante de certaines espèces animales 36. Le développement de
l’écologie a fait prendre conscience aux hommes que, de la préservation de la nature,
dépendait aussi celle de la vie humaine. Le 20ème siècle demeure l’époque où les grands
problèmes écologiques commencent à préoccuper le destin commun de l’humanité. Il a
semblé donc nécessaire d’élargir les préoccupations liées à la protection juridique des
animaux à la faune. L’objectif poursuivi reste encore pour le moins égoïste car c’est en
voulant assurer sa propre survie que les êtres humains souhaitent préserver la diversité
biologique.
Changement de paradigme ? Toutes ces actions législatives n’avaient pas pour
ambition de changer la catégorie juridique des animaux en droit des biens. Néanmoins, elles
faisaient prendre conscience que la catégorisation des animaux en choses était sur le point
d’évoluer ; du moins, sans pouvoir être assimilé à une personne, on devait progressivement
admettre que l’animal était bien plus qu’une chose37 !
Au plan international. Une telle préoccupation a été relayée au plan supranational
avec l’adoption dans la très solennelle organisation internationale, l’UNESCO, de la
Déclaration Universelle des Droits de l’Animal en date du 15 octobre 197838.
Les droits internes. Certains systèmes juridiques à l’instar du droit allemand 39,
suisse40 et autrichien ont abandonné la qualification de l’animal en chose. Le droit français
arpente une voie indirecte. Sans abandonner formellement la qualification de choses, les
différentes réformes envisagées ces dernières années semblent doter l’animal « d'une
personnalité juridique technique, limitée notamment à ses besoins de défense »41. Cet élan
s’est matérialisé par le socle législatif forgé à cette fin. Outre la loi du 10 juillet 1976 relative

36
V. le Code sénégalais de la chasse et de la protection de la faune, Loi n° 86-04 du 24 janvier 1986 et son
décret d’application n° 86-844 du 14 juillet 1986.
37
En ce sens, R. LIBCHABER, « Perspectives sur la situation juridique de l’animal », RTD. Civ. 2001, p. 239
ss.
38
V. R. BABADJI, « L’animal et le droit : à propos de la Déclaration Universelle des Droits de l’Animal »,
Revue Juridique de l’Environnement, 1999, pp. 9-22.
39
Article 90 du Code civil allemand : « Les animaux ne sont pas des choses. Ils sont protégés par des lois
spécifiques. Les dispositions s’appliquant aux choses ne leur sont appliquées que dans la mesure où il n’existe
pas de dispositions contraires ».
40
Article 641 du Code civil suisse : « Les animaux ne sont pas des choses. Sauf dispositions contraires, les
dispositions s’appliquant aux choses sont également valables pour les animaux ».
41
J.-P. MARGUENAUD, « La personnalité juridique des animaux », D. 1998, p. 205.
à la protection de la nature, une loi du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et à la
protection des animaux a d’abord remanié l’article 528 du Code civil en distinguant l’animal
de la chose inanimée42. La loi du 16 février 2015 a parachevé le mouvement amorcé en
insérant un article nouveau dans le Code civil 43 tout en en modifiant d’autres qui encadraient
le régime juridique des animaux44.
Perspectives. La réflexion semble évoluer vers des considérations théoriques plus
controversées45 qui tendraient plus à reconnaître des droits subjectifs aux animaux alors que
jusqu’à ce jour, seules les personnes au sens juridique, les personnes physiques et morales, en
sont pourvues. On doit cette évolution de la pensée en partie aux travaux des généticiens qui
ont découvert de grandes capacités cognitives chez certains animaux comme les singes. Dans
les manifestations pratiques d’une telle tendance, on remarquera tout particulièrement une
décision topique du TGI de Lille qui n’a pas manqué dans un jugement en date du 16 mars
1999 de qualifier le chien d’un aveugle de « personne par destination »46. De là à franchir les

42
Article 528 du Code civil : « Sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter
d'un lieu à un autre, soit qu'ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu'ils ne puissent changer de place que par
l'effet d'une force étrangère ». C’est nous qui soulignons. L’ancien article 528 disposait : « Sont meubles par
leur nature les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes,
comme les animaux, soit qu’ils ne puissent changer de place que par l’effet d’une force étrangère comme les
choses inanimées ».
43
Article 515-14 : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les
protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ».
44
Article 524 nouveau du Code civil : « Les objets que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et
l'exploitation de ce fonds sont immeubles par destination.
Les animaux que le propriétaire d'un fonds y a placés aux mêmes fins sont soumis au régime des immeubles par
destination.
Ainsi, sont immeubles par destination, quand ils ont été placés par le propriétaire pour le service et
l'exploitation du fonds :
Les ustensiles aratoires ;
Les semences données aux fermiers ou métayers ;
Les ruches à miel ;
Les pressoirs, chaudières, alambics, cuves et tonnes ;
Les ustensiles nécessaires à l'exploitation des forges, papeteries et autres usines ;
Les pailles et engrais.
Sont aussi immeubles par destination tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle
demeure».
Article 528 du Code civil : « Sont meubles par leur nature les biens qui peuvent se transporter d'un lieu à un
autre ».
D’autres dispositions ont connu des modifications formelles : articles 533, 564, 2500 et 2501 du Code civil.
45
V. A.-M. SOHM-BOURGEOIS, « La personnification de l'animal : une tentation à repousser », D. 1990, p.
33 ss.
46
V. X. LABBEE, « Le chien-prothèse », D. 1999, p. 350 et s. L’auteur qui a commenté cette décision n’a pas
manqué de relever ceci : « La présente espèce pose le problème de l'indemnisation du dommage causé au chien
accompagnant un aveugle piéton victime d'un accident de la circulation. Un chien est un meuble : il ne peut
être « victime » d'un accident de la circulation au sens de la loi de 1985. En va-t-il de même du chien d'aveugle
tenu en laisse ? La loi dispose que le piéton victime d'un accident est indemnisé des dommages causés « à sa
personne sans que puisse lui être opposée sa faute », faute qui peut avoir « pour effet de limiter ou d'exclure
l'indemnisation des dommages aux biens » subis par la victime. La loi ajoute toutefois en son art. 5 que « les
fournitures et appareils délivrés sur prescription médicale donnent lieu à une indemnisation selon les règles
applicables à la réparation des atteintes à la personne ». L'indemnisation du dommage causé au chien-prothèse
bornes de la distinction entre animaux et personnes, il n’y a qu’un pas. Aucun texte législatif
n’a de nous jours envisagé une refonte des catégories juridiques existantes. Le droit lege
ferenda pourrait néanmoins leur faire accéder à la personnalité juridique.

Nonobstant les observations liminaires qui permettent d’expliquer la polysémie de la


notion de bien dans les systèmes romano-germaniques, le droit des biens se particularise
autrement au Sénégal et partout ailleurs en Afrique. On dénote un faible intérêt porté à cette
discipline charnière du droit privé. L’histoire du droit africain semble livrer sa part de vérité
sur cette situation. Elle converge cependant avec celle d’autres continents à l’instar de
l’Europe.

III - Histoire du droit et droit des biens.

Un mouvement alternatif. L’acception actuelle que le droit positif a de la propriété


des biens n’a pas été de tout temps. Dans toutes les aires géographiques, la propriété a
d’abord connu une conception sociale avant d’évoluer vers une conception individualiste. La
définition contemporaine de la propriété reste donc le fruit d’une longue évolution ponctuée
par des discussions et des controverses philosophiques, économiques, sociales et juridiques.
Elle procède aussi d’un fait historique.
Analyse de la conception « sociale » de la propriété à partir de la terre. La
propriété privée a de tout temps existé pour les choses mobilières. Pour rendre compte de la
conception originelle de la propriété, l’angle privilégié d’étude reste la terre. En effet, la
première fortune qui soit en Afrique comme en Europe a toujours été la terre. L’importance
qu’elle avait pour des économies essentiellement tournées vers l’agriculture et l’élevage se
présumait. La première déclinaison de la propriété pour ce qui est de la terre reste donc son
trait collectif et non individuel. La terre appartenait à la communauté la plus large qui soit
durant cette période, la tribu ou le clan. Ce trait est partagé par l’histoire européenne comme
africaine de la propriété. En Europe, cette propriété collective a existé dans l’Antiquité non
romaine tandis qu’en Afrique, c’est cette conception qui était la plus répandue avant que
d’autres conceptions ne se soient propagées du fait de la colonisation 47. Par la suite, la

suivra-t-elle les règles relatives à l'indemnisation du piéton, ou à celle de ses biens ? Le coût d'un chien
d'aveugle n'est pas négligeable en raison de sa longue éducation. Mais un chien d'aveugle - même s'il peut
(pourquoi pas ?) être prescrit par un médecin au même titre qu'un médicament de confort - ne fait pas partie de
l'appareillage pris en charge par la sécurité sociale. Il nous semble pourtant qu'en application de la théorie
générale de la personne par destination on puisse appliquer les règles relatives aux personnes. Mais le
problème ne mériterait-il pas d'être clairement réglé par les textes ? C'est ce que nous pensons ».
47
V. KOUASSIGAN, L’homme et la terre, Droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, op. cit.
conception africaine de la propriété foncière a subi les influences des conceptions en vigueur
dans les systèmes juridiques des puissances colonisatrices sans pour autant qu’elle n’ait
complètement disparu48. Pour les Etats africains francophones en général et le Sénégal en
particulier, il s’agit du droit français49. Pour autant, la conception française du droit de
propriété héritée par les systèmes juridiques africains est le fruit d’une longue évolution.

A– L’évolution du statut de la terre en France depuis l’Ancien droit

Moyen Âge (Ancien droit) et propriété. Le droit français a hérité la propriété


collective du droit romain. Par la suite, avec la féodalité, il a connu la propriété individuelle
au bénéfice exclusif des seigneurs locaux. Mais à compter du Moyen âge, la France
commence à faire l’expérience d’une division du droit de propriété en matière immobilière.
Sur la terre, se juxtaposaient deux prérogatives. Le suzerain avait le domaine éminent tandis
que le tenancier détenait le domaine utile. Pour autant, entre les deux, la qualité de véritable
propriétaire devait être reconnue au titulaire du domaine éminent. En effet, le suzerain,
propriétaire d’un domaine foncier très important au titre de la féodalité qu’il n’arrivait pas à
exploiter, concédait en général le domaine utile à des tenanciers en contrepartie du paiement
d’une redevance. Vers le 18ème siècle, le rapport de force s’est inversé dans la mesure où les
prérogatives des tenanciers ont commencé à avoir plus d’importance sur celles des suzerains
étant donné qu’ils exerçaient les prestations les plus essentielles sur les terres concédées. De
la sorte, « les droits féodaux finirent par être considérés comme des atteintes intolérables à
la propriété »50. La grande particularité de cette époque reste toutefois la création et la
prolifération des droits réels démembrés grevant les fonds de terre encore connus à notre
époque qu’il s’agisse de l’hypothèque, de l’emphytéose…
Révolution de 1789 et propriété. Avec la Révolution française, on assiste à la
consolidation des droits des exploitants sur les terres qui leur furent concédées.
Formellement, les tenanciers deviennent les propriétaires au détriment des suzerains. La
48
« C’est surtout au sujet du régime juridique de la terre que se manifeste l’originalité des droits africains.
Traditionnellement, la terre n’est pas considérée comme étant susceptible d’appropriation privée ; en cela, elle
est davantage traitée comme peut l’être la mer ou l’air dans les droits européens. Plus exactement, et si l’on
tient absolument à relever une relation d’appartenance, il convient alors de dire que la terre appartient à la
divinité, aux fétiches ou aux ancêtres, qu’elle a été affectée à la communauté plus ou moins large qui en use et
tire profit des produits qu’elle fournit. La colonisation, accompagnée à des degrés très variables selon les
puissances conquérantes par une tendance à l’impérialisme juridique, a généralement suscité la coexistence
des régimes des terres variant selon qu’il s’agissait ou non de régions urbaines. Puis la décolonisation a mis en
lumière les inconvénients que pouvait entrainer, dans la perspective du développement des pays considérés, la
persistance des concepts traditionnels imprégnant et dominant la propriété africaine » ; F. TERRE & Ph.
SIMLER, ouvr. préc., pp. 102-103, n° 90.
49
V. F. ZEITOUN, « Le droit immobilier au Sénégal » préc., pp. 21-22.
50
F. TERRE & Ph. SIMLER, ouvr. préc. p. 94.
révolution érige par la même occasion le droit de propriété en droit de l’homme. En outre, il
devient un pendant sine qua none de la liberté.
Code Napoléon et propriété. L’étiolement de la conception sociale de la propriété
connait son apogée avec l’adoption du Code Napoléon qui dispose en son article 544 que :
« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue,
pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».
L’individualisme apparent dans cette proclamation formelle de l’article 544 du Code
Napoléon, maintenu dans le Code civil et sur lequel nous reviendrons substantiellement pour
étudier les composantes du droit de propriété, est topique de l’ère contemporaine. Elle
prévaut aussi dans le système juridique sénégalais.

B – La réception de la conception individualiste dans le système juridique sénégalais

Sociologie africaine. Le contexte sociologique se prête mal aussi à une vulgarisation


du droit des biens. Les justifications ressortissent essentiellement de la tradition personnaliste
négro-africaine. Cette tradition privilégiait les rapports personnels sur ceux patrimoniaux.
Ceci se manifestait par le désintérêt notoire des populations par rapport aux mécanismes
d’appropriation des biens et d’accumulation des richesses 51. Ce désintérêt notoire est accentué
par le trait solidariste et communautariste des sociétés négro-africaines faisant que le groupe
primait sur l’individu. Ainsi, la prééminence du groupe était exaltée au détriment de celle des
individus. Or, il est une évidence ordinaire de remarquer que le droit des biens ne peut se
développer dans une société et un environnement économique qu’autant que le statut
juridique de l’individu soit reconnu et exalté. La relation directe entre le bien et la personne
pour être encadrée suppose nécessairement que l’autonomie de la personne juridique soit
érigée en postulat. Cette dernière considération faisait étonnamment défaut dans les droits
traditionnels africains (1) justifiant l’importation des concepts français du droit civil des biens
par le canal du droit colonial (2).

1 – Droit traditionnel et propriété

Traduction de la communautarisation en droit des biens dans les droits


traditionnels. En droit des biens, cette communautarisation des rapports sociaux avait deux
déclinaisons particulières. Les biens essentiels au développement des échanges étaient

51
En ce sens, M.-B. TRAORE, « Système juridique et régulation sociale chez les Mandeng du Mali », Penant
1986, p. 261 ; S.-S. DIALLO, « L’évolution du droit traditionnel, fondement de la dualité des juridictions en
Haute-Volta », Penant 1977, p. 327.
généralement frappés d’inaliénabilité. Dans ces conditions, le droit de propriété qui avait une
conception particulière dans les sociétés négro-africaines ne pouvait recouvrir qu’un domaine
réduit52. Pour un certain nombre de biens, le droit de propriété était résolument collectif, fort
éloigné donc des considérations individualistes et privatistes qui inspirent celui encadré par le
Code civil53.
Naturelle collective de la terre. Les biens les plus importants à l’instar des terres
étaient exclus de la commercialité juridique en raison de leur nature collectiviste. C’est ce
que KOUASSIGAN a brillamment démontré dans sa thèse sur le régime juridique de la terre
en Afrique noire54. Ces biens considérés comme indispensables à la survie de la famille ou du
groupe, ne pouvaient dès lors faire l’objet de transactions commerciales. Dans la logique des
africains, « il y a alliance de l’homme avec la terre qui est au-delà d’un droit propriété : on
ne peut rien céder »55. Les terres constituant l’assiette substantielle du patrimoine du groupe,
leur inaliénabilité était justifiée par la fonction essentielle qu’ils avaient sur la pérennité du
lien social56.
Nature collective de biens accessoires. Cette impossibilité transactionnelle pouvait
occasionnellement frapper le cheptel et certains biens mobiliers tels les bijoux familiaux.
Appropriation individuelle des biens produits par le travail créateur. L’accession
à la propriété pour les autres catégories de biens ne pouvait résulter que d’un travail
créateur57. Ainsi, l’importance des biens mobiliers était résiduelle car l’accumulation de
richesses n’était pas l’apanage des sociétés négro-africaines. En outre, ces sociétés étaient
essentiellement agricoles et véhiculaient ainsi une économie de subsistance plutôt qu’une
économie de production et de consommation58.
52
En ce sens, P. MEYER, « La structure dualiste du droit au Burkina : problèmes et perspectives », Penant 1986,
p. 79 ; D. SARR, « La Cour d’appel de l’AOF », Thèse mult., UCAD 1963, p. 490.
53
Les modes acquisitifs de propriété tels que l’usucapion ou l’accession étaient inconnus des droits coutumiers ;
en ce sens, R. DAVID, « La refonte du code civil dans les États africains », Penant 1962, p. 355.
54
KOUASSIGAN, thèse préc.
55
J.-J. NAMBO, op. cit., p. 53 ss. ; M. LANDRAUD, « Justice indigène et politique coloniale (…) », Penant
1978, p. 218 ss.
56
« On ne pouvait imaginer à l’époque que la terre puisse faire l’objet d’appropriation personnelle parce que
d’une part, elle s’appartient à elle-même, et d’autre part, le groupe clanique ou tribal demeurait nécessaire
pour permettre aux individus de subsister au milieu d’une nature hostile où les invasions se succédaient, les
empires naissaient, se répandaient, et s’écroulaient » ; S.-S. DIALLO, « L’évolution du droit traditionnel,
fondement de la dualité des juridictions en Haute-Volta » préc., p.327.
57
KOUASSIGAN, op. cit., p.9.
58
Un auteur a pu avancer ceci : « L’affirmation sous-jacente à tous les discours ethno-économistes, selon
laquelle l’économie des primitifs est une économie de subsistance permettant tout juste d’échapper à la famine
et à la misère au prix d’efforts de chaque instant, ne résiste pas aux statistiques et ne rend pas compte de la
signification de leur attitude économique. Les chasseurs collecteurs dont l’activité économique a été mesurée
par les ethnologues satisfont leurs besoins en consacrant par jour en moyenne de trois à cinq heures seulement
à cette activité. Il en va de même des agriculteurs primitifs qui ne produisent pas pour échanger mais pour
consommer. Les uns et les autres pourraient travailler plus, mais ils limitent volontairement leur activité, ce qui
2 – La réception du droit civil des biens en Afrique par le canal du droit colonial

Domaine restrictif de la propriété individuelle dans l’Afrique précoloniale.


Puisque « le droit de propriété et le droit des contrats sont indispensables au circuit de la
production et de la circulation des biens au sein du système capitaliste »59, les autorités
coloniales se sont essayées à une refondation des structures économiques des sociétés
traditionnelles. Nonobstant l’application des principes Codes français dans les colonies de
l’AOF60, l’intérêt que suscitaient les immenses domaines fonciers à l’égard des autorités
coloniales allait être à l’origine d’une réforme ambitieuse du régime juridique de la terre 61 qui
n’a pas manqué d’ailleurs de provoquer certaines incongruités auprès des « indigènes »62.
Les principales règlementations coloniales. Le décret du 24 juillet 1906 complété
par celui du 26 juillet 1932 commence par instituer la propriété privée foncière tenue dans les
livres fonciers en permettant aux « occupants » d’y accéder par le biais d’une procédure
d’immatriculation. Par la suite, la succession des droits fonciers reconnus aux chefs
traditionnels au profit des autorités coloniales a été décidée sur le fondement très contestable
de la subrogation63. Enfin, le décret du 15 novembre 1935 a retenu le principe de

implique qu’à la différence des occidentaux ils refusent à la fois la croissance indéfinie de leurs besoins, la
production de surplus et la constitution de stocks. Attitude hostile à l’échange qui ne permet pas la naissance
d’un champ économique autonome dont la signification également doit être soulignée : si ces sociétés
primitives ont horreur du profit, c’est qu’elles craignent pour elles-mêmes la division entre riches et pauvres et
l’asservissement des uns par les autres et peut-être aussi les risques de guerre avec les sociétés voisines qui
convoiteraient leurs stocks. En maintenant volontairement leur activité économique au niveau correspondant
aux besoins qu’elles ont choisi de satisfaire, elles réalisent la première économie d’abondance leur assurant
des ressources supérieures à leur consommation, et elles atteignent l’objectif d’indépendance collective et
individuelle qu’elles se sont fixé » ; M. ALLIOT, « Un droit nouveau est-il en train de naître en Afrique » in,
Gérard CONAC, (dir.), « Dynamiques et finalités des droits africains », Actes du colloque de la Sorbonne, La
vie du droit en Afrique, Economica, 1980, pp. 469-495, spéc. pp. 470-471.
59
A.-C. PAPACHRISTOS, « La réception des droits privés étrangers comme phénomène de sociologie
juridique », Préface de Jean CARBONNIER, LGDJ, 1975, p. 11.
60
Ils ont d’abord été appliqués dans les quatre communes, Dakar, Gorée, Saint-Louis et Rufisque. Ces
communes constituaient les principaux lieux d’établissement des occidentaux et de l’administration coloniale
mais également les lieux d’implantation des comptoirs commerciaux en Afrique. Les dispositions du Code civil
y ont trouvé application depuis 1830 sans distinction de personnes tandis que le Code du commerce y a été
localement promulgué le 7 décembre 1870 ; cf. P. LAMPUE, « Les conflits de lois interrégionaux et
interpersonnels dans le système juridique français », RCDIP 1954, pp. 286-287. Le Code de procédure civile a
trouvé application dans la colonie Sénégal et dépendances indirectement mais de façon illégale. Un arrêté local
en date du 22 juin 1933 avait repris les grands axes du Code de procédure civile mais les juges se referaient
majoritairement à celui-là ; en ce sens, D. SARR, thèse préc., p. 262.
61
Au Sénégal, sa portée a été toutefois relativisée ; en ce sens, M. DEBENE, « Regard sur le droit foncier
sénégalais : un seul droit pour deux rêves », RIDC 1986, pp. 80-81.
62
V. J.-J. NAMBO, « Le contrat de vente immobilière entre citoyens français et indigènes en Afrique noire
coloniale (Sénégal, Gabon, Cameroun) » préc., p. 53.
63
La formule utilisée par la Cour d’appel de l’AOF pour accréditer la thèse de la subrogation était la suivante :
« Ayant hérité, conformément aux principes du droit international public, des droits et prérogatives qui étaient
l’apanage des souverains des pays annexés… », citée par Dominique SARR, thèse préc., p. 496. L’attribution
d’un droit de propriété aux chefs traditionnels a été très contestée. Comment pouvait-on leur reconnaître ainsi
des droits de propriété que ne leur reconnaissaient pas leurs propres coutumes ? Cf. à ce sujet KOUASSIGAN,
thèse préc., p. 126. L’incohérence d’une telle argumentation a justifié l’abandon de la thèse de la subrogation
l’appropriation des biens vacants et sans maîtres par les autorités coloniales 64. Ces actions
conjuguées ont permis de doter potentiellement la puissance coloniale d’un immense
domaine foncier65. Elles ont également provoqué le délitement progressif de la conception
traditionnelle de la propriété66. On le mesure davantage en convoquant les écrits du
Professeur Blanc qui affirmait que « l’évolution du droit foncier africain n’a pas tant pour
résultat de faire passer les paysans du régime de la propriété collective à celui de la
propriété individuelle mais d’un système statutaire à un système contractuel, de distendre les
liens entre l’individu et la terre, en mobilisant en quelque sorte cette dernière, ramenée, ou
portée, au rôle d’outil, analogue à d’autres, voué comme eux à la fabrication d’un produit,
vivrier ou non, aliénable »67.
Pluralisme juridique en matière foncière durant la période coloniale. La mise en
branle de toutes ces nouveautés a instauré en Afrique un pluralisme juridique durant la
période coloniale et même postcoloniale. Cette dualité des règles applicables était davantage
perceptible en matière foncière. Elle se caractérisait notamment par l’application conjointe de
deux régimes fonciers, l’un étant conforme à la conception négro-africaine du droit de
propriété d’essence collectiviste, l’autre s’attachant à la conception individualiste et romaine
du droit de propriété. La conception collective de la propriété foncière justifiait son
inaliénabilité et son intransmissibilité hors du groupe. Cette conception s’opposait à celle
consacrée par le Code napoléon et les réglementations coloniales ouvrant à son propriétaire
un titre individuel et renforçant la commercialité juridique des immeubles. Dans le pluralisme
juridique colonial, c’est par la procédure de l’immatriculation des terres que la conception
romaine du droit de propriété a pu être reçue en Afrique noire. De nombreux systèmes
juridiques africains le connaissent toujours en raison du désinvestissement sans précédent du
droit des biens par le législateur.
Subsistance résiduelle de la conception collective du droit de propriété. En effet,
cette dernière conception subsiste dans des proportions résiduelles au sein de certaines
collectivités68. Sur un autre registre, la loi sur le domaine national pérennise au plan formel la

par la même Cour ; cf. son arrêt du 10 mars 1933, Penant 1933, I, p. 252.
64
Cette situation était théoriquement impossible en Afrique noire, où la terre a toujours été considérée comme
appartenant à une collectivité fut-elle inconnue.
65
En ce sens, M. CAVERIVIERE, « Incertitudes et devenir du droit foncier sénégalais », RIDC 1986, p. 99.
66
Le rôle joué par la colonisation sur l’effritement de la conception africaine du droit de propriété peut toutefois
être tempéré. Certains auteurs font remarquer que si ce résultat a été atteint, l’attitude innovante des populations
africaines en matière foncière y a été pour beaucoup ; en ce sens, KOUASSAGAN, thèse préc., p. 225.
67
P. BLANC, « Le problème des allogènes en Cote d’ivoire et en Afrique de l’Ouest », Penant 1962, p. 114.
68
Les lébous notamment.
propriété collective. Quand bien même c’est l’Etat qui en assure la gestion, elle le fait au nom
et pour le compte de la collectivité nationale.

IV – Sources du droit des biens au Sénégal

Défaut de codification juridique et éclatement des sources du droit sénégalais des


biens. On peine à trouver au sein du système juridique sénégalais et partout ailleurs en
Afrique, des règlementations qui encadrent la théorie générale du droit des biens, et son
institution phare à savoir le droit de propriété. En effet, très peu d’États africains ont mis fin
au dualisme juridique de la période coloniale et postcoloniale. Ainsi, de nombreux systèmes
juridiques continuent encore d’importer directement les institutions du Code civil relatives au
droit des biens. Aujourd’hui encore, les dispositions du Code civil applicables en droit des
biens font partie de l’arsenal juridique applicable dans de nombreux États africains, le
Sénégal y compris. Des règlementations périphériques et parcellaires évitent cependant le
spectre d’un vide juridique et d’une référence globale au droit français.
Propriété et Constitution du Sénégal. Le droit de propriété jouit d’une protection
constitutionnelle au Sénégal. Contrairement à la France où il a fallu attendre qu’une décision
de justice enlève tout doute sur la valeur constitutionnelle du droit de propriété 69, la
Constitution du Sénégal dans son article 15 a érigé la propriété en un droit fondamental. Cet
article dispose notamment : « Le droit de propriété est garanti par la présente Constitution.
Il ne peut y être porté atteinte que dans le cas de nécessité publique légalement constatée,
sous réserve d’une juste et préalable indemnité.
L’homme et la femme ont également le droit d’accéder à la possession et à la
propriété de la terre dans les conditions déterminées par la loi ». Nonobstant que son
Préambule qui a valeur constitutionnelle renvoie à la Déclaration des Droits de l’Homme et
du Citoyen (DDHC) de 178970, le Constituant sénégalais a préféré cette proclamation somme
toute formelle.

69
« (…), que si postérieurement à 1789 et jusqu’à nos jours, les finalités et les conditions d’exercice du droit de
propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable extension de son champ d’application à
des domaines individuels nouveaux et par des limitations exigées par l’intérêt général, les principes énoncés
par la Déclaration des droits de l’homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le
caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique,
et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression, qu’en ce qui concerne les
garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique » ; C. Cons. français,
16 janvier 1982, GAJC préc., arrêt n° 2. Dans le même sens, Civ. 1 ère, 4 janvier 1995, RTD civ. 1996, F.
ZENATI, p. 932 ss.
70
Le caractère sacré du droit de la propriété y est affirmé dans ses articles 2 et 17.
Propriété et engagements internationaux du Sénégal. La protection
constitutionnelle du droit de propriété se double d’une protection au plan international et
régional au regard des engagements internationaux souscrits par le Sénégal. A ce propos, de
nombreuses Conventions ratifiées par le Sénégal érigent le droit de propriété en droit
fondamental et restent donc dans le sillage de la DDHC. Il s’agit pour l’essentiel de certains
instruments internationaux de protection des droits de l’homme adoptés par l’ONU ou l’UA
que le Préambule de la Constitution du Sénégal intègre dans le bloc de constitutionnalité 71.
Loi n° 64-46 du 17 juin 1964 sur le domaine national. En effet, la loi sur le
domaine national vise deux objectifs essentiels: la socialisation de la propriété foncière et le
développement économique du pays. Les terres qui sont placées sous l’égide de cette loi ne
font pas l'objet d'une appropriation individuelle. Au contraire, la législation domaniale
s'inspire plutôt de la propriété collective du système négro-africain qui reconnaît aux
individus de simples droits d'usage sur la terre. Le domaine national n'est pas non plus la
propriété de l'État qui en est simplement le détenteur. En vertu de l'article 2 de la loi de 1964,
l'État « détient les terres du domaine national en vue d'assurer leur utilisation et leur mise en
valeur rationnelles, conformément aux plans de développement et aux programmes
d'aménagement ».
Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant Régime de la propriété foncière. À
l’instar de la loi sur le domaine national, la loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant Régime
de la propriété foncière, d’une manière générale, se contente de règlementer les opérations
portant sur des immeubles. Elle emploie les catégories du droit civil français qu’elle se garde
cependant de définir. En ce sens, elle renvoie de manière implicite aux définitions consacrées
par le Code civil français. Si une intention manifeste de rompre cette extraversion juridique
se décèle dans cette loi, il convient néanmoins de relever en droit des biens que le vide
juridique qu’instaurerait l’inapplication du Code civil ne pourrait être comblé par l’existence
de textes règlementaires et législatifs sénégalais. Pour autant, on ne saurait considérer qu’il y
a une absence totale de textes.
Règlementations fragmentaires et variées : Code de la famille, COCC… Les
textes existent inéluctablement mais il s’agit plutôt de règlementations fragmentaires qui
n’appréhendent que des problématiques résiduelles du droit des biens. On peut citer le COCC
qui dans des dispositions éparses prévoient des règles susceptibles d’interférer avec le droit
des biens, notamment celles applicables au transfert de propriété des choses mobilières

71
La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) du 10 décembre 1948 (article 17) et la Charte
Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples du 27 juin 1981 (article 14).
(articles 261-263 du COCC) ou immobilières (articles 379 ss.). L’exemple du Code de la
famille peut également être cité. Ses dispositions organisent notamment l’indivision de façon
sommaire (articles 449 ss.). D’autres Codes peuvent être cités pour caractériser davantage cet
éclatement des sources du droit des biens : la loi sur la copropriété et son décret
d’application, la loi n° 2008-43 du 20 août 2008 portant Code de l’urbanisme (Décret
d’application n° 2009-1450 du 30 décembre 2009), la loi n° 2009-23 du 8 juillet 2009 portant
Code de la construction (Décret d’application n° 2010-99 du 27 janvier 2010) , la loi n° 86-
04 portant Code de la chasse et de la protection de la faune (Décret d’application n° 86-
844 du 14 juillet 1986), la loi n° 2015‐18 du 13 juillet 2015 portant Code de la Pêche
maritime (Décret d’application n°2016‐1804 du 22 novembre 2016), la loi n° 81-13 du 4
mars 1981 portant Code de l’Eau, la loi n° 2001-01 du 15 janvier 2001 portant Code de
l’environnement (Décret d’application n° 2001-282 du 12 avril 2001), la loi n° 2018-15 du
12 novembre 2018 portant Code forestier, la loi n° 2016-32 du 8 novembre 2016 portant
Code minier, la loi n°2019‐03 du 1er février 2019 portant Code pétrolier, la loi sur les dons,
les transplantations, les greffes de cellules, tissus et organes, la loi sylvo-agro-pastorale, la loi
sur le droit d’auteur…S’y ajoutent de nombreux textes de l’OHADA dont l’objet interpelle
les biens72.
Réception informelle du Code civil français. Ces règlementations ponctuelles
n’épuisent pas donc l’intérêt d’une réception des règles du Code civil dont la positivité au
Sénégal reposait naguère sur le principe de la continuité législative prévu par les
Constitutions73. À l’origine provisoire, le principe de la continuité législative fonde dans
beaucoup d’États africains toujours l’application du Code civil alors même que son
fondement constitutionnel a disparu. Ainsi, de nombreuses dispositions du Livre II du Code
civil français intitulé Les biens et les différentes modifications du droit de propriété
s’appliquent encore dans le système juridique sénégalais.
Droit positif sénégalais et Code civil. Pour l’illustrer, il convient de mentionner, en
dépit de la controverse relative à l’applicabilité du Code civil au Sénégal depuis l’adoption de
la loi encadrant la propriété foncière de 2011, que les juridictions sénégalaises continuent à se
référer de façon expresse au Code civil français 74. S’y ajoute le fait que des composantes de

72
V. notamment l’Acte Uniforme Portant Organisation des Sûretés (AUPOS).
73
V. Constitution de la République du Sénégal du 26 août 1960 (article 70).
74
V. Cour suprême du Sénégal, 6 mai 2015, aff. A. N. c/. F.-G. M., arrêt n° 45, Bull. des arrêts de la Cour
suprême n°6-7, année judiciaire 2015, pp. 91-92 ; Cour suprême du Sénégal, 2 mars 2016, aff. B. D. c/. C. R.,
arrêt n° 15, Bull. des arrêts de la Cour suprême n°11-12, année judiciaire 2016, pp. 89-91.
l’ensemble législatif sénégalais se réfèrent de façon explicite au Livre II du Code civil
français. Il est possible de citer l’exemple du Code de l’eau75.
Plan du cours. Une fois que le contexte sociologique et le cadre législatif et
réglementaire ont été présentés, il convient à présent d’appréhender l’objet du droit des biens.
Cette étude sera réalisée en trois parties. Dans un premier chapitre, il conviendra d’étudier la
propriété et dans le second chapitre, ses démembrements. Au préalable, il conviendra de
présenter les différentes classifications des biens.

Chapitre I : Les classifications courantes des biens


Les critères classiques d’appréciation d’un bien. Trois critères sont souvent
avancés pour définir classiquement ce qu’est un bien : l’appropriation, l’utilité et la valeur
économique.
L’utilité. Jadis, on assimilait les biens « aux choses qui servent à l’usage de l’homme
et permettent à celui-ci de satisfaire à ses besoins, en les utilisant ou en les échangeant »76.
On prend alors conscience des utilités que peut procurer un bien à son propriétaire en
détaillant toutes les prérogatives qu’il a sur la chose. C’est s’intéresser toutefois au droit de
propriété et à ses composantes classiques (l’usus, le fructus et l’abusus). Des développements
fournis seront consacrés à ces différents attributs du droit de propriété. L’utilité, jusqu’à une
époque récente englobait la valeur d’échange à côté de la valeur d’usage. La monétarisation
des échanges a accéléré l’autonomisation de la valeur d’échange au point de l’ériger en
critère indépendant d’appréciation d’un bien.
L’appropriation. Approprier une chose, c’est en devenir propriétaire. Avant, le mode
d’appropriation courant demeurait l’occupation. Il était et reste possible pour les choses sans
maître77. Ce mode originaire d’appropriation a perdu cependant de son influence en raison de
la prédominance du mode transactionnel d’appropriation des biens. L’essentiel des choses
utiles à notre existence a déjà fait l’objet d’appropriation. C’est pour cette raison que les
techniques de démembrements du droit de propriété ont essaimé permettant à certaines
personnes de jouir de la chose toute en réservant la propriété à une autre personne.
75
Article 82 du Code de l’eau : « Sous réserve des dispositions des articles 637 et suivants du Code civil, les
servitudes prévues au présent Code sont les suivantes :
- Les servitudes d’exploitation ;
- Les servitudes de passage des eaux utiles ;
- Les servitudes de passage des eaux d’écoulement ;
- Les servitudes de passage des eaux usées ;
- Les servitudes d’appui ».
76
F. TERRE & Ph. SIMLER, « Droit civil, les biens », Dalloz, 7ème éd., 2006, n° 27, p. 32.
77
V. infra.
La valeur économique. Le critère de la valeur économique semble aujourd’hui décisif
dans l’identification d’un bien à cause de l’influence de l’analyse économique sur le Droit.
En effet, c’est la valeur économique qui sous-tend l’échange marchand des biens. A
considérer cela, l’idée d’appropriation ne serait pas totalement absente de celle de valeur
économique du bien. En général, on échange ce qui est appropriable si bien qu’il existe à
notre sens une certaine difficulté à distinguer la valeur économique ou marchande du bien de
l’idée d’appropriation.
L’adjonction du critère tiré de la valeur économique à l’utilité, permet cependant
d’exclure un certain nombre de « choses » que l’on considère comme des biens dans
l’imaginaire de tout un chacun ; ce qui donne à ce critère un rôle fonctionnaliste. Dans
l’absolu, de telles « choses » ne sont pas dépourvues de valeur économique. La
déconsidération de leur valeur économique procède du fait que le législateur pose en général
des restrictions à leur appropriation. Les exemples ci-dessous illustrent le fonctionnalisme du
critère de la valeur économique.
Indisponibilité des organes du corps humain. La conclusion qui procède des
développements précédents a révélé que les organes du corps humain sont exclus du
commerce marchand. Pourtant quiconque ne doute qu’ils soient utiles à l’homme et dès lors
peuvent avoir un coût. Pour décourager leur appropriation par le biais de transactions, le
législateur a proclamé leur défaut de patrimonialité. Si une telle solution dérive plus
sérieusement de la difficulté à considérer les organes du corps comme des « choses », le déni
de toute valeur économique rend la prohibition plus adéquate.
Il en est d’autres choses qui n’ont pas de valeur économique en raison d’une
prohibition du législateur.
Les souvenirs de famille. Ce sont des objets mobiliers ayant appartenu à un ancêtre et
auxquels est attachée une signification symbolique et affective. Ils sont hors commerce et
soustrait à tout acte juridique les concernant ; leur propriété appartient à la famille. Or, la
famille n’est pas une personne morale mais un groupe qui n’est pas structuré. Un membre de
la famille est spontanément désigné comme le gardien. La conséquence est que si un acte
juridique est conclu à leur propos, il est nul. Il n’y a que les choses dans le commerce qui
peuvent faire l’objet d’une convention.
Les biens contrefaits. Ce sont des choses qui sont reproduites par l’imitation illicite
d’un autre bien, c'est-à-dire une contrefaçon. Pour protéger les propriétaires de ces modèles,
on a érigé en infraction pénale la contrefaçon qui est en réalité une manifestation du vol.
V. aussi les développements relatifs aux res communis et au statut juridique des
éléments et produits du corps humain.
Emploi cumulatif ou alternatif des critères sus-évoqués. En dépit de la confusion
qui peut se constater entre le critère tiré de la valeur économique et celui de l’appropriation,
chaque critère respectif préserve un intérêt. Les développements qui suivront le démontreront
à suffisance dans l’étude de la catégorie des choses sans maître notamment.

Ces précisions faites, il convient de présenter les classifications les plus courantes en
droit des biens. Il conviendra pour ce faire d’étudier la catégorie des choses sans maître
(Section I), la distinction entre les biens patrimoniaux et extrapatrimoniaux (Section II), la
distinction entre biens corporels et incorporels (Section III) avant d’étudier en dernier instant
la catégorie sui generis des propriétés intellectuelles (Section IV).

Section I : La catégorie des choses sans maître

Catégorie en recul dans la classification des biens. La catégorie des choses sans
maître n’a plus son importance d’antan à cause de la prévalence du critère économique dans
la détermination de ce qu’est qu’un bien de nos jours. Elle n’en continue pas moins de
procurer cependant une fonction pédagogique évidente et de nouveaux champs
d’investigation au regard de l’importance croissance des préoccupations environnementalistes
et écologiques78. De fait, on assiste à un amoindrissement continuel de son contenu. La
catégorie des choses sans maître embrasse les res nullius (§II), les res derelictae (§II) et les
res communis (§I) qu’il convient d’étudier distinctement.

§ I : Les res communes ou les choses communes

Utilisation des choses communes79 non subordonnée à une appropriation. Les res
communes constituent le statut donné aux choses qui « sont si abondantes que l’usage en est
commun à tous les hommes »80. Elles sont en nombre limité : l’air, l’eau de pluie, l’eau de
mer, la lumière du jour…Ces choses sont soustraites à l’appropriation afin d’en réserver
l’usage à tous sans distinction. L’article 714 du Code civil français le rappelle : « Il est des
choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous ». Du moins, faut-il
convenir que l’appropriation de telles choses n’est pas une condition à leur usage ou leur
utilisation par l’homme. Un mécanisme d’appropriation n’est cependant pas à exclure.
78
A. SÉRIAUX, La notion de choses communes, nouvelles considérations juridiques sur le verbe avoir, Droit et
environnement, propos pluridisciplinaires sur un droit en construction, 1994, PUAM.
79
V. M.-A. CHARDEAUX, Les choses communes, thèse, Paris I, 2006.
80
Ph. MALAURIE & L. AYNES, Les biens, Defrénois, 2ème éd., 2005, n° 164.
Appropriation possible mais limitée de l’eau de mer ou de l’eau de pluie. Des
quantités d’eau résiduelles peuvent être appropriées. C’est le cas lorsqu’une personne a puisé
une certaine quantité d’eau de mer aux fins d’en avoir un usage. Les eaux de pluies qui sont
tombées dans un fonds privé81 ou recueillies dans des réceptacles pour une utilisation
appropriative échappent à la catégorie des res communes. L’emploi de telles eaux sans
autorisation du propriétaire est qualifiable de vol.
Appropriation possible des res communes par transformation. La lumière du jour
peut être transformée en énergie solaire ; le sel peut être extrait de l’eau de mer ; l’air peut
être comprimé en substance liquide (air liquide). Leur substance aura alors nécessairement
été modifiée. Le cas échéant, les choses procédant d’une telle transformation cessent d’être
communes. Pour autant, les transformations dont les res communis sont susceptibles de faire
l’objet à travers ces exemples n’implique pas leur requalification en res nullius, c'est-à-dire,
des choses qui sont susceptibles d’avoir des maîtres. On continuera donc de considérer leur
état initial (la lumière du jour, l’eau de mer, l’air...) comme relevant de la catégorie des res
communes. Leur abondance en fait des choses intarissables et inépuisables pour l’humanité. Il
importe peu dès lors qu’elles puissent faire l’objet d’appropriation de façon ponctuelle. En
l’absence de possibilité d’une appropriation privative et exclusive des res communes, celles-
ci sont condamnées à demeurer dans le monde des choses.
Res communes et biens publics. Il y a un intérêt à distinguer de nos jours les res
communes et les biens publics82. De nombreux ouvrages publics peuvent être utilisés par les
populations en l’absence de toute appropriation privée. L’inaliénabilité et l’insaisissabilité
des biens publics renforcent la confusion. Cet attribut ne les fait pas pour autant basculer dans
la catégorie des res communes. Les ouvrages publics, les routes, les ponts, les fleuves, les
plages publiques, la mer etc. appartiennent à l’Etat. Ils sont donc totalement appropriés par ce
dernier. Il en laisse un libre accès seulement aux populations à la différence des res
communes qui sont des choses sans maître.

§ II : Les res nullius ou les choses appropriables

Res nullius et occupation. Elles sont topiques des sociétés primitives et sont souvent
associées à l’occupation, mécanisme classique par lequel on en devient propriétaire. Quel que

81
Article 3 du Code de l’eau : « L’utilisation ou l’accumulation artificielle des eaux pluviales tombant sur fonds
privé, à condition que ces eaux demeurent sur ce fond, est autorisée ».
82
V. A. DANIS-FATOME, « Biens publics, choses communes ou biens communs ? Environnement et
domanialité » in, Bien public, bien commun. Mélanges en l'honneur d'Etienne FATOME, Dalloz, 2010, pp. 24-
54.
soit cependant le degré d’organisation d’une société, il y aura toujours des res nullius. Ces
choses sans maître laissent penser qu’elles pourraient appartenir sous certaines conditions à
une ou plusieurs personnes. Elles sont considérées sans maître jusqu’à leur appropriation.
Jusqu’à ce que cette condition se réalise, elles ne sont pas considérées comme des biens au
sens juridique. Cela en fait donc des corps ou des objets en transition entre les choses et les
biens.
Les res nullius, une qualification transitoire entre les choses et les biens. Choses à
l’état initial, elles deviendront probablement des biens après leur appropriation. A la
différence des res communes, les res nullius ne sont pas condamnées à demeurer dans le
monde des choses dès lors qu’elles peuvent être appropriées et devenir ainsi des biens. A la
différence des autres biens, l’appropriation originelle se réalise exclusivement par occupation.
Les res nullius ou choses appropriables se cantonnent souvent à l’étude des gibiers (A) et des
poissons des mers et eaux courantes (B).

A – Le gibier

Exclusion des animaux domestiques des res nullius. Les animaux domestiques ne
peuvent pas constituer des gibiers. Ils font déjà l’objet d’une appropriation. Leur capture et
leur chasse sont constitutives de vol qui est une incrimination pénale protectrice du droit de
propriété. Ceci explique que s’ils sont même en divagation dans les parcs nationaux ou
réserves naturelles, la loi autorise uniquement les agents des eaux et forêts à pouvoir les tuer
ou capturer83.
Les animaux sauvages terrestres principalement visés par les res nullius. Les res
nullius visent aussi bien les gibiers terrestres que les gibiers d’eau. Ils constituent ensemble
les animaux sauvages terrestres. Ceux-ci se meuvent dans un espace qui n’est pas séparable
du territoire sur lequel s’exerce la souveraineté de l’Etat. Ils peuvent en principe être
librement appropriés. Des mesures de police peuvent cependant en administrer la chasse ou la
capture sur le territoire sénégalais. Le chasseur ou tout particulier qui aurait tué ou capturé un
animal en violation de telles lois de police devient néanmoins propriétaire mais il risque de
s’exposer à des confiscations, des amendes ou des mesures privatives de liberté.
Chasse et capture de plus en plus encadrées des animaux terrestres sauvages.
L’article L1 alinéa 5 dudit Code définit l’acte de chasse comme « tout acte visant à tuer un
83
Article L 25 du Code de la chasse et de la protection de la faune : « Les animaux trouvés en divagation dans
1es Parcs Nationaux et réserves naturelles sont abattus par les agents des services compétents des Eaux, Forêts
et Chasses et des parcs nationaux. Leurs dépouilles sont transférées suivant leur état dans les hôpitaux, prisons,
parcs zoologiques ou enterrées ».
animal sauvage ou à le capturer vivant ». A cette fin, le Code de la chasse et de la protection
de la faune du Sénégal exige divers permis pour la pratique de la chasse d’animaux sauvages.
Semblent juste affranchis d’une telle formalité les propriétaires terriens ou les titulaires de
droit sur un fonds se livrant à une telle activité sur des animaux sauvages qui y sont
localisés84. En dépit du silence du Code de la chasse et de la protection de la faune, une telle
habilitation n’est cependant concevable que pour les espèces non protégées.
Interdiction formelle de la chasse. En outre, il interdit dans les réserves naturelles
intégrales et les parcs nationaux toute activité de chasse. Dans tout autre espace aussi lorsque
les autorités ont aménagé des périodes d’autorisation de chasse. Outre ces interdictions,
certaines espèces sont protégées et toute chasse ou capture les concernant demeure proscrite
en tout lieu et tout instant. Sauf motif tiré de la légitime défense, tout acte de chasse les visant
est interdit85.
Animaux sauvages terrestres intégralement protégés. Ledit Code interdit
parallèlement que certaines espèces animales puissent faire l’objet de capture et de chasse au
risque de tomber sous le coup du délit de braconnage 86. A cette fin, la chasse et la capture de
certains animaux sont par ailleurs formellement interdites en raison de la protection intégrale
dont ils bénéficient sur toute l’étendue du territoire sénégalais 87. Leur chasse et leur capture
ne sont autorisées qu’aux détenteurs de permis de chasse scientifique. On peut dès lors penser
que même ceux qui sont dispensés d’un permis de chasse au regard de l’article L1 alinéa 2 du
Code précité sont visés par cette interdiction.
Animaux aquatiques intégralement protégés. Il existe des mammifères, des reptiles,
des oiseaux marins et des poissons dont la chasse, la capture ou la pêche est interdite
formellement. Ils ne peuvent pas à ce titre faire l’objet d’appropriation. Le Code de la pêche
en décline l’identité88.
84
Article L1 alinéa 1er et 2 du Code de la chasse et de la protection de la faune : « Nul ne peut se livrer à aucun
mode de chasse s'i1 n'est détenteur d'un permis de1ivré par une autorité compétente.
Toutefois 1e propriétaire ou possesseur peut chasser en tout temps, sans permis de chasse, dans ses possessions
attenant ou non à une habitation et entourées d'une clôture faisant obstacle à toute communication avec 1es
fonds voisins et empêchant complétement 1e passage de l'homme et celui du gibier à poi1 ».
85
Article L5 du Code de la chasse et de la protection de la faune.
86
V. les articles L26 et L27 du Code susvisé.
87
Nous pouvons citer dans la catégorie des mammifères, l’hippopotame, le lamantin d’Afrique, le chimpanzé,
l’éléphant d’Afrique, la girafe, la gazelle, le léopard, le guépard etc. ; dans la catégorie des oiseaux, il s’agit du
pélican, du flamand rose, de la cigogne, du calao ; dans la catégorie des reptiles, les tortues, les crocodiles etc.
Pour plus de détails, v. article D. 36 du décret d’application du Code susvisé.
88
V. notamment Article 67 du Code de la pêche : « Sont interdits en tout temps et en tous lieux :
(a) la pêche, la détention et la commercialisation de toutes les espèces de mammifères marins ;
(b) la pêche, la capture, la détention et la commercialisation de toutes les espèces de tortues marines ainsi que le
ramassage de leurs œufs ;
(c) la chasse, la capture, la détention et la commercialisation de toutes les espèces d’oiseaux marins ainsi que le
ramassage des œufs ;
Espèces partiellement protégées. En revanche, d’autres espèces sont partiellement
protégées. Toutefois, leurs femelles bénéficient d’une protection intégrale pour des raisons
évidentes tenant à la préservation de ladite espèce. Les espèces partiellement protégées
peuvent le cas échéant et sous réserve d’une habilitation règlementaire, être tuées ou
capturées. Une liste en est dressée par l’article D 37 du décret d’application du Code de la
chasse et de la protection de la faune (lions89, buffles, certaines familles d’oies et de
perroquets, les pythons…).
Libre disponibilité des produits de chasse ? L’autorisation de chasser n’emporte pas
cependant pour ceux qui se livrent à de telles activités la disposition intégrale des produits de
chasse. Une distinction doit être faite entre la viande de chasse et les dépouilles ou trophées
de chasse qui ensemble constituent les produits de chasse.
Disponibilité encadrée de la viande de chasse. Contrairement aux titulaires de permis
de petite chasse, ceux détenteurs de permis de grande chasse 90 ne peuvent disposer de la
viande des animaux tués qu’à hauteur de ce qui est nécessaire à leur alimentation. Ils doivent
laisser le surplus aux populations des terres de chasse. En aucun cas, sauf habilitation
règlementaire, ils ne peuvent céder, échanger ou commercialiser la viande de chasse.
Libre disponibilité des dépouilles et trophées de chasse. Tout détenteur de permis de
chasse peut cependant approprier les dépouilles et trophées des animaux tués (crânes, sabots,
pieds, queues, cornes, pieds des mammifères, les plumes des oiseaux, la peau des reptiles)91.
Indisponibilité des dépouilles et trophées d’animaux sauvages trouvés morts ou tués
sans autorisation. Il faut également relever que les dépouilles des animaux sauvages trouvés
morts échappent à l’appropriation. Des précautions sanitaires pourraient sous-tendre une telle
interdiction.
Quid des poissons des eaux courantes ou de la mer ?

B – Les poissons des eaux courantes ou de la mer

Les poissons des eaux courantes ou de la mer, des choses appropriables pour les
titulaires d’un droit de pêche. A l’instar des activités de chasse, la pêche des ressources
halieutiques est organisée par l’Etat. L’Etat ne pouvant revendiquer un droit de propriété sur
(d) la pêche, la détention et la commercialisation du poisson-scie ».
89
On fera observer que le lion est une espèce partiellement protégée mais pour pouvoir le tuer, outre l’exigence
d’un permis de grande chasse, il faut une autorisation du Président de la République. Emblème nationale, une
telle dérogation peut aisément s’imaginer.
90
Ils sont autorisés à chasser les animaux partiellement protégés contrairement aux détenteurs de permis de
petite chasse. Ceux-là sont autorisés à pratiquer la chasse sur des animaux sauvages non protégés (cailles,
pintades, lièvres, phacochères…).
91
Article D 31 alinéa 2 du Décret d’application du Code de la chasse.
les ressources halieutiques par définition fluctuantes et insaisissables, il peut cependant
régenter les activités de pêche qui se déroulent sur son espace maritime ainsi que les eaux
faisant partie de son domaine public. Le droit de pêche appartient à l’Etat dans les eaux
faisant partie de son domaine public. A contrario, pour les eaux de pêche exclues de son
domaine public et faisant partie des propriétés privées, le droit de pêche appartient en
principe auxdits propriétaires. Les ressources halieutiques qui s’y trouvent ne peuvent alors
être assimilées à des res nullius.
L’appropriation faite seulement en conformité de l’encadrement prévu par l’Etat fait
tomber les ressources halieutiques dans l’escarcelle des biens. Elles pourront alors faire
l’objet d’un commerce à cause de leur valeur économique ou de l’utilité qu’elles procurent.
De nos jours, c’est leur valeur économique qui requerra bien souvent leur appropriation en
raison pour l’essentiel de leur destination transactionnelle.
Finalités de l’encadrement étatique. Illustrations à partir du Code de la pêche
maritime. Pour donc des raisons liées à la souveraineté et à la gestion du patrimoine
halieutique que regorgent ses eaux marines, l’Etat exige souvent des licences et des permis de
pêche aux personnes souhaitant se livrer à une telle activité qu’il s’agisse de pêche artisanale
commerciale, de pêche industrielle, sportive ou de pêche aux fins d’aquaculture… Ne sont
semble-t-il exonérées de cette formalité que les personnes se livrant à la pêche artisanale à
but non lucratif, limitée a priori donc qu’aux besoins stricts de leur consommation. Mais il
s’agit d’une mesure de tolérance car même pour exercer une pêche à pied, un permis est
exigé.
Régulation des ressources halieutiques. A cette fin, des licences ou des permis de
pêche sont délivrés par les autorités compétentes. Pour autant, les bénéficiaires d’un droit de
pêche n’ont pas des prérogatives absolues et illimitées sur les ressources halieutiques dans la
mesure où les activités de pêche sont de nos jours fortement régulées en raison de
l’amenuisement des stocks. Le droit de pêche des bénéficiaires est limité de façon continue ce
aux fins de protéger la biodiversité marine. Ainsi, l’autorité peut interdire la pêche à certaines
périodes. Des zones maritimes protégées peuvent être érigées dans lesquelles la pêche
demeure interdite. S’y ajoute l’interdiction faite de pêcher avec certains matériaux pouvant
avoir une incidence sur le renouvellement des stocks (matières explosives, substances
toxiques, nappes ou filets en nylons…)92. L’appropriation des poissons et crustacés par les

92
Article 65 du Code de la pêche maritime.
bénéficiaires d’un droit de pêche en contravention de telles interdictions les exposent à des
sanctions prononcées93.
Exclusion de certaines prises du commerce marchand. Les poissons susceptibles
de faire l’objet de pêche sportive ne peuvent être commercialisés pour assurer leur pérennité
(espadons, thons…)94. Les prises faites aussi en fraude des règles prescrites peuvent être
saisies ou confisquées95. En raison de leur caractère consomptible, l’autorité saisissante les
vendra aux enchères publiques. La somme tirée sera déposée à la Caisse des Dépôts et des
Consignations dans l’attente d’une décision administrative ou judiciaire.

Conclusion générale sur les res nullius : constat d’un infléchissement


contemporain de l’importance des res nullius. L’importance des res nullius tend
naturellement à s’amoindrir dans les sociétés organisées. La raison procède de la
reconnaissance de leur importance économique grandissante face à la rareté des ressources.
Les motivations les plus influentes à cet infléchissement restent cependant la préservation de
la biodiversité animale et végétale justifiant des prohibitions fréquentes. Ceci justifie de nos
jours l’intégration progressive dans la catégorie des res nullius les res dereclitae qui
partagent avec celles-ci leur libre appropriabilité.

§ III : Les res derelictae ou les choses désappropriées

Les res derelictae ou les choses désappropriées. Les res derelictae confirment
également le rapport qui existe entre l’appropriation et la valeur économique d’une chose. Du
moins, elles l’illustrent en inversant le procédé que mettent en lumière les res nullius.
Les res derelictae, souvent des meubles abandonnés volontairement. Cette autre
composante de la catégorie des choses sans maître, les res derelictae, renvoie souvent aux
meubles abandonnés. Le procédé d’appropriation est ici anéanti du fait de l’abandon
volontaire de la chose par l’ancien maître qui ce faisant perd tout corpus. Il sera alors
question de désappropriation avec une conséquence non moins importante : le premier
occupant deviendra propriétaire de la chose abandonnée. Sur ce point, les res derelictae se
distinguent donc des trésors. Elles se différencient également des épaves et des choses
abandonnées pour cas de force majeure, en cas de guerre par exemple.
Implications de la distinction entre épaves et res derelictae. La distinction entre les
épaves et les res derelictae cache en arrière-plan l’étude de leurs conditions appropriatives. A
93
Articles 125, 126, 127 et 128 du Code de la pêche maritime.
94
Article 60 alinéa 1er du Code de la pêche maritime.
95
Article 113 du Code de la pêche.
la différence des épaves où il subsiste quelques incertitudes en droit sénégalais à propos de
leur régime juridique (A), les res derelictae sont appropriables dès la première occupation
(A).

A – Appropriation des res dereclitae par le premier occupant

Distinction envisagée du point de vue du rapport d’appropriation. Les épaves et


les res derelictae convergent sur la dépossession dont elles font l’objet. Contrairement aux
res derelictae, les épaves ont un maître. Le propriétaire de celles-ci n’a pas matérialisé son
intention d’en laisser la propriété au premier occupant à l’inverse des res derelictae96. A la
différence des épaves, celui-ci en devient ainsi propriétaire du seul fait de l’occupation.
L’abandon cependant, ne se présumant point, une certaine attention portée sur la valeur
économique de l’objet, aide à départir les res derelictae des épaves. Le lieu de l’abandon peut
également être un indice prépondérant.
Le lieu de l’abandon, un indice prépondérant pour identifier les res derelictae ?
Le lieu de l’abandon constitue un indice prépondérant d’identification des res derelictae.
Jadis la désappropriation des choses pouvait se faire par simple ou libre abandon. De nos
jours, les déchets sont cependant de plus en plus régulés pour des raisons tenant aux
impératifs liés au droit de l’environnement. Le Code de l’environnement du Sénégal pose à
cet effet des restrictions empêchant des désappropriations sauvages 97. Nonobstant
l’interdiction absolue de dépôt des déchets sur le domaine public 98, on constate
malheureusement de nos jours de nombreuses incivilités de cette nature.
La valeur économique des res derelictae, un indice délicat. En général, la
désappropriation par l’abandon dont font l’objet les res derelictae formalise le sentiment
d’une perte de la valeur économique du bien. Cette impression doit pourtant être nuancée. Ce
n’est pas parce qu’elles ont été abandonnées qu’une chose est forcément dépourvue de valeur
marchande ou cesse d’exister pour ensuite arborer le caractère d’une res derelictae. Le cas
échéant, la difficulté de considérer de tels biens comme des res derelictae réside dans le fait
que la désappropriation de certains biens est de plus en plus encadrée.
Les meubles immatriculés abandonnés et plus généralement les meubles dont les
propriétaires sont identifiables, des épaves. Les choses dont les propriétaires sont
identifiables à l’instar des véhicules, des bateaux ou tout engin soumis à l’immatriculation
96
V.-C. BEAUCOURT, « Le « secret de l'épave » ou l'étrange évolution du régime de sa propriété », DMF
1986, p. 451.
97
V. le Chapitre III du Code de l’environnement intitulé Gestion des déchets.
98
Article L35 alinéa 2 du Code de l’environnement.
échappent aux possibilités d’appropriation par simple occupation. Ainsi, les meubles
immatriculés sont présumés appartenir aux personnes dont les noms figurent sur les titres
jusqu’à preuve du contraire. Seules celles-ci peuvent alors attester de l’abandon. Il peut s’agir
également d’autres objets ou à tout le moins, leur propriétaire reste identifiable par un
système quelconque le permettant.
Les meubles ayant une valeur économique, des épaves aussi. Si le bien présente une
valeur économique considérable, il y a lieu de considérer qu’il constitue surement une épave.
Il s’agira probablement de pertes résultant d’un vol ou d’abandon pour causes de force
majeure qu’il s’agisse d’épaves terrestres (bijoux, pièces de monnaie trouvés sur les plages,
montres, clés, lunettes ramassées dans la rue ou enfouies dans le sable sans intention de
dissimulation dûment attestée…), d’épaves maritimes ou fluviales (bateaux abandonnés pour
cause de guerre ou naufrage…). Il peut s’agir de moult raisons sans exclure nécessairement la
perte de la valeur économique de la chose : détérioration partielle, vieillissement, caractère
dispendieux de son entretien... De telles circonstances laissent présumer une perte de
possession par leur propriétaire plutôt que le souhait de les abandonner.
Les res derelictae, des choses présumées détruites, viles, usagées. Les choses viles,
détruites, usagées seront par contre présumées être des res derelictae. Elles peuvent
cependant garder une utilité résiduelle. Il n’est pas à exclure donc qu’une autre personne
considère la chose autrement. Pour matérialiser l’intérêt qu’elle porte à la chose abandonnée,
celle-ci la réappropriera par occupation pour en user ou alors pour la réintroduire dans le
commerce marchand. Si une réappropriation s’opère, c’est parce que souvent la chose a gardé
une certaine utilité fut-elle dépendante d’un recyclage ou d’une réparation. Ainsi, les choses
abandonnées sans valeur économique certaine, parce que détériorées intégralement, usagées
ou viles sont réputées être des res derelictae.
Dérogations au principe de l’appropriation des res derelictae résultant de
l’occupation : les œuvres intellectuelles. En vertu du droit moral de l’auteur de continuer, de
modifier ou de détruire son œuvre, les œuvres détruites par lui ne sont pas appropriables par
occupation. Elles sont dès lors exclues de la catégorie des res derelictae. Le premier occupant
de l’œuvre détruite commet ainsi un vol en l’appropriant ou en le plaçant dans le circuit des
échanges.
A la différence des res derelictae pour lesquelles l’occupation confère un titre de
propriété, l’appropriation des épaves pose quelques mystères en droit sénégalais.

B – Propriété des épaves


Clarté des solutions en droit français et ambiguïté des réponses en droit
sénégalais. Sur cette question, celle du moins des épaves terrestres, le droit positif sénégalais
apporte très peu de réponses lisibles contrairement en France où on ne peine pas à reconnaître
la propriété du bien trouvé au découvreur ou à l’inventeur selon un délai allant de 3 ans à 30
ans et suivant que la règlementation municipale en vigueur exige un système de dépôt du bien
ou une simple déclaration de la découverte. Les rares pistes de réflexions en droit sénégalais
sont fournies par le Code des obligations civiles et commerciales (1) et le Code du domaine
public de l’Etat (2) et le Code de la marine marchande (3).

1 – Propriété des épaves terrestres et COCC

Glose de l’article 262 du COCC. Le COCC à son article 262 99 propose un dispositif
qui permet de réfléchir sur la propriété des objets perdus ou volés fut-il de façon indirecte. Il
est vrai que le prétexte de cette disposition est d’encadrer les conventions visant la cession
d’objets vendus ou volés en mettant notamment en exergue les prétendues prérogatives de
l’acquéreur de bonne ou de mauvaise foi. On aura compris cependant que l’inventeur, le
découvreur ou le voleur ne devient pas propriétaire lorsqu’il entre en possession de la
chose. En ne pouvant occulter l’idée d’une dépossession involontaire (vol ou perte), le
découvreur ou l’inventeur est nécessairement un possesseur de mauvaise foi. Toute la
difficulté demeure alors de savoir à l’instar du tiers acquéreur de bonne foi, s’il peut en
devenir propriétaire au bout de trois ans à tenir compte de la déchéance du délai nécessaire
pour mettre en œuvre l’action en revendication dans l’hypothèse où l’appropriation par un
tiers acquéreur s’est réalisée. Une réponse de pure technique juridique pourrait le laisser
penser mais elle ferait une promotion assez singulière de la mauvaise foi dans la mesure où
elle insinuerait que toute chose volée ou perdue devient la propriété du voleur ou de
l’inventeur au bout de trois ans en l’absence de revendication du véritable propriétaire 100. Fort
de cela, il convient plutôt de considérer que l’alinéa 2 de l’article 262 du COCC ait été
aménagé pour les seuls besoins de la sécurité juridique du tiers acquéreur de bonne foi d’une

99
« En matière mobilière, l'acquéreur de la chose d'autrui en devient propriétaire lorsqu'il a reçue de bonne foi.
Le propriétaire de la chose perdue ou volée peut néanmoins la revendiquer dans le délai de trois ans à compter
du jour de la perte ou du vol.
Lorsque la chose perdue ou volée a été achetée dans le commerce ou dans une vente publique, le propriétaire
doit en restituer le prix à l'acquéreur ».
100
Le droit français réserve à la question des objets perdus un régime juridique particulier.
V. Article 717 du Code civil : « Les droits sur les effets jetés à la mer, sur les objets que la mer rejette, de
quelque nature qu'ils puissent être, sur les plantes et herbages qui croissent sur les rivages de la mer, sont aussi
réglés par des lois particulières.
Il en est de même des choses perdues dont le maître ne se représente pas ».
chose volée ou perdue. A l’encontre du voleur ou du découvreur, devrait courir un délai plus
long à défaut de faire bénéficier au véritable propriétaire du caractère imprescriptible du droit
de propriété.
Conclusion sur l’appropriation des épaves. On peut dès lors penser que le
découvreur pourrait devenir propriétaire au bout d’une certaine durée (30 ans) à l’exclusion
des biens mobiliers faisant partie d’une succession en déshérence. L’exercice d’une action en
revendication dans ce délai devrait a contrario exclure toute portée acquisitive à la
possession du découvreur.

2 – Propriété des épaves et droit administratif

Les épaves, des biens publics virtuels ? La tentation d’une mainmise de l’Etat sur
les biens est croissante et la problématique qu’il puisse revendiquer une propriété sur les
choses sans maître n’est pas à exclure. Puisque les épaves sont cependant exclues de cette
catégorie, l’interrogation perd un peu de sa pertinence. Les épaves sont néanmoins sujettes à
appropriation lorsque leur propriétaire ne les revendique pas dans le délai imparti légalement.
Les prétentions du détenteur peuvent dès lors entrer en conflit avec ceux de l’Etat d’autant
que certains biens font l’objet d’une appropriation à son bénéfice dans des cas relativement
similaires.
Meubles faisant partie d’une succession vacante. Les meubles faisant partie d’une
succession vacante (en déshérence ou sans successeurs) échappent également à toute
appropriation par un particulier. De tels biens intègrent la masse mobilière des successions
vacantes que l’Etat hérite au titre de la règlementation sénégalaise. Ils intègrent la propriété
de l’Etat une fois qu’elles ont fait l’objet d’une liquidation 101. Cette solution doit être
rapprochée de l’encadrement dont font l’objet les immeubles immatriculés abandonnés 102.
Objets présentant une valeur historique ou culturelle découverts à l’occasion d’une
construction d’ouvrages dans un fonds. Lors de la construction d’ouvrages, des objets
spécifiques peuvent être découverts dans le tréfonds du fonds de terre visé. Lorsqu’ils
présentent une certaine valeur historique, culturelle, archéologique, l’inventeur ou le

101
Article 448 du Code de la famille : « Les successions des personnes décédées sans laisser d’exécuteur,
testamentaire ou dont les ayants droits ne sont pas présents ou représentés ou ont renoncé, sont administrées,
liquidées et remises aux Domaines par le curateur aux successions et biens vacants dans les conditions fixées par
le Code de Procédure civile, 2e partie livre Il titre VIII ».
102
V. infra.
propriétaire du fonds en sont dépossédés au profit de l’Etat. Il en est décidé ainsi par l’article
L 45 du Code de construction103.
Sommes et valeurs visées par l’article 30 du Code du domaine public de l’Etat. Il
s’agit de fonds et valeurs dont les banques sont détentrices parce que placés ou déposés par
leurs clients. L’Etat en devient propriétaire au bout d’une durée allant de 5 à 10 ans en
général. Le délai de prescription ainsi arrêté a été considérablement revu à la hausse par un
dispositif communautaire UMOA104 transposé en droit sénégalais par la loi n° 2014-01 en
date du 6 janvier 2014, Loi relative au traitement des Comptes dormants dans les livres des
organismes financiers des Etats membres de l’Union Monétaire Ouest africaine (UMOA). Il
faut dorénavant un délai de 30 ans avant que de tels avoirs ne soient intégrés au patrimoine de
l’Etat via le Trésor public105.
Les immeubles abandonnés. L’usucapion en matière immobilière au Sénégal
bénéficie exclusivement à l’Etat. Il devient propriétaire des immeubles abandonnés au bout
de 30 ans par prescription acquisitive106.

103
« Lorsque, par suite de travaux ou d'un fait quelconque, des monuments, des ruines, substructions, mosaïques,
éléments de canalisation antique, vestiges d'habitation ou de sépulture anciennes, des inscriptions ou
généralement des objets pouvant intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art, l'archéologie ou la numismatique sont
mis à jour, le découvreur de ces vestiges ou objets et le propriétaire de l'immeuble où ils ont été découverts sont
tenus d'en faire la déclaration immédiate, avant le déplacement desdits objets, au représentant de l’Etat au
niveau de la circonscription administrative concernée. Celui-ci avise le Ministre chargé du Patrimoine historique
ou son représentant. Le propriétaire de l'immeuble est responsable de la conservation provisoire des monuments,
substructions ou vestiges de caractère immobilier découverts sur ses terrains. Le dépositaire des objets assume à
leur égard la même responsabilité ».
104
Loi uniforme relative au traitement des comptes dormants dans les livres des organismes financiers des Etats
membres de l’Union Monétaire Ouest-Africaine. Cette loi uniforme a été adoptée dans le cadre de l’exécution
de la Décision n° CM/UMOA/005/05/2012 en date du 10 mai 2012. Elle est complétée par l’instruction de la
BCEAO n° 005-06-2014 relatives aux conditions et modalités de recherche des titulaires de compte demeurés
dans intervention depuis huit ans.
105
Article 14 de la loi susdite : « Le délai de prescription des avoirs dormants est de trente (30) ans, à compter
de la date de la dernière intervention du titulaire du compte ou de ses ayants droit ».
Article 15 : Au terme du délai visé à l'article 14 de la présente loi, la BCEAO transfère les avoirs dormants non
réclamés au Trésor public de l'Etat d'implantation de l'organisme dépositaire initial, dans le délai maximum de
trois (3) mois. Ce transfert éteint tous les droits sur les avoirs concernés qui sont définitivement acquis audit
Trésor public ».
Article 22 : « Les dispositions de la loi n° 76-66 du 02 juillet 1976 portant Code du Domaine de l'Etat
s'appliquent aux organismes financiers, tels que définis à l'article premier de la présente loi, jusqu'au 31
décembre 2013.
Toutes réclamations ou contestations concernant les avoirs utilisés ou gérés par l'Etat sous l'empire de la loi n°
76-66 du 02 juillet 1976 portant Code du Domaine de l'Etat sont de la responsabilité de la République du
Sénégal.
Toutes les dispositions nécessaires sont prises par l'Etat du Sénégal, pour la gestion des comptes dormants dont
il a reçu les ressources ».
106
Article 33 Loi propriété foncière : « La prescription ne peut, en aucun cas, constituer un mode d’acquisition
de droits réels sur des immeubles immatriculés ou de libération des charges grevant les mêmes immeubles.
Toutefois, un immeuble immatriculé abandonné pendant trente années consécutives par ses propriétaires ou
occupants légitimes est considéré comme vacant et incorporé au domaine de l’Etat dans les formes et conditions
fixées par décret ».
Extension de l’appropriation publique aux épaves ? L’interrogation n’est pas aussi
anodine qu’elle apparaît. Il existe en effet des dispositions du Code du domaine de l’Etat qui
fonderaient une telle expectative. L’énumération faite par l’article 21 dudit Code pour
déterminer le domaine privé de l’Etat intègre dans celui-ci « Les biens vacants et sans
maître ». Les épaves terrestres comme il a été relevé ne peuvent pas être assimilées à des
« biens vacants et sans maître » à proprement parler. On pourrait penser que sous le bénéfice
de cette disposition que les épaves obéissent au même régime que « les biens vacants et sans
maître ». A vrai dire, une telle orientation paraît biaisée. La raison procèderait de la difficulté
à reconnaître à l’Etat une propriété même sur les « biens vacants et sans maître ». Le Code
civil contient une disposition analogue à celle de l’article 21 du Code du domaine de l’Etat en
ce sens que son article 713 confère la propriété des « biens vacants et sans maître » à l’Etat
ou à ses démembrements107. Mais cette disposition au même titre que l’article 539 du Code
civil108 ont toujours été interprétés comme excluant en principe les choses mobilières.

3 – Propriété des épaves et Code de la marine marchande

Encadrement des épaves maritimes109. Le Code de la marine marchande demeure le


seul instrument normatif à disposer d’un encadrement intelligible du sort des épaves en droit
sénégalais. Un certain nombre de dispositions permet d’en prendre la mesure 110. Un équilibre
107
Article 713 du Code civil :
« Les biens qui n'ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés. Par
délibération du conseil municipal, la commune peut renoncer à exercer ses droits, sur tout ou partie de son
territoire, au profit de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elle est
membre. Les biens sans maître sont alors réputés appartenir à l'établissement public de coopération
intercommunale à fiscalité propre.
Si la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre renonce à exercer ses
droits, la propriété est transférée de plein droit :
1° Pour les biens situés dans les zones définies à l'article L. 322-1 du code de l'environnement, au Conservatoire
de l'espace littoral et des rivages lacustres lorsqu'il en fait la demande ou, à défaut, au conservatoire régional
d'espaces naturels agréé au titre de l'article L. 414-11 du même code lorsqu'il en fait la demande ou, à défaut, à
l'Etat ;
2° Pour les autres biens, à l'Etat ».
108
Article 250 du Code de la marine marchande : « Les biens des personnes qui décèdent sans héritiers ou dont
les successions sont abandonnées appartiennent à l'Etat ».
109
Sous réserve des dispositions des conventions internationales en vigueur, constituent des épaves maritimes
soumises à l’application du présent code :
- Les navires de mer et aéronefs abandonnés en état d’innavigabilité et leurs cargaisons ;
- Les embarcations, machines, agrès, ancres, chaînes, engins de pêche abandonnés et les débris des navires et
des aéronefs ;
- Les marchandises jetées ou tombées à la mer, et généralement tous objets, y compris ceux d’origine antique,
dont le propriétaire a perdu la possession et qui sont échoués sur le rivage dépendant du domaine public
maritime, soit trouvés flottants ou tirés du fond de la mer et ramenés dans les eaux territoriales ou sur le
domaine public maritime.
Ne sont pas considérés comme épaves au sens du présent code, les marchandises et objets volontairement
abandonnés ou jetés en mer ou sur le rivage en vue de les soustraire à l’action de la douane ».
110
Cf. les articles 250 à 267 de la loi n° 2002-22 du 16 Août 2002 portant Code de la Marine Marchande.
semble avoir été trouvé autour d’un système reconnaissant une propriété à l’Etat et octroyant
une récompense à l’éventuel découvreur.
Propriété de l’Etat et récompense due éventuellement à un tiers découvreur. Le
Code de la marine marchande retient le principe d’une reconnaissance à l’Etat d’un droit de
propriété sur les épaves maritimes. Il prévoit néanmoins une procédure qui instruit au
découvreur de telles épaves de procéder à leur publicité aux fins d’informer le propriétaire de
leur découverte. Cette notification dépend des circonstances attenantes à la découverte
desdites épaves et ses procédés varient selon qu’elle a été faite par l’Autorité Maritime ou par
un tiers. Le propriétaire est astreint également à l’obligation de suivre une procédure
formalisant une déclaration en cas de perte d’une épave sous peine d’être déchue de son droit
de propriété après le cours d’un certain délai 111. En tout état de cause, les droits de l’Etat sur
les épaves maritimes sont consolidés au bout d’un certain temps après ladite notification.
Passé ce délai pouvant aller de 6 mois à une durée convenue entre le propriétaire des épaves
et l’Autorité Maritime mais qui ne doit pas excéder en principe une année, celle-ci peut
procéder à leur vente publique après notification à l’intéressé de la déchéance de son droit de
propriété. Le produit de leur cession sera versé au fonds d’appui à la marine marchande après
soustraction des frais occasionnés par leur sauvetage ou conservation ainsi que la
rémunération éventuellement due au tiers découvreur112.

Section II : Biens patrimoniaux et biens extrapatrimoniaux

Le patrimoine, le réceptacle des biens évaluables en argent. Essayer de saisir la


notion juridique du bien à partir du patrimoine reste tentant. Le patrimoine n’est-il pas le
contenant de tous les biens d’une personne juridique ? La réponse apportée à cette
interrogation n’est pas aussi systématique que sa formulation trop abrupte l’induit. Le
patrimoine ne serait que le réceptacle des droits évaluables en argent que ceux-ci portent sur
des choses ou des personnes. Appréhendés à partir du patrimoine, les biens se fondraient dans
la catégorie des droits essentiellement patrimoniaux obligeant à en exclure ceux qui sont
considérés comme extrapatrimoniaux. Cette entreprise ne révélerait point de complexité si le
patrimoine n’était pas lui-même au centre d’une controverse qui a traversé tout le 20 ème siècle
et continue d’étendre ses tentacules aux débats doctrinaux de ce 21 ème siècle. Un retour sur
cette notion de patrimoine s’impose (§I). Une fois cette présentation faite, les
développements mettront en exergue la partie du patrimoine qui recueille les biens évaluables

111
V. les articles 252 et 253 de la loi précitée.
112
V. les articles 262, 263, 264 et 265 de la loi précitée.
en argent d’une personne juridique. Il s’agit de l’actif dans lequel se fondent les droits
patrimoniaux, ceux-là même évaluables en argent (§II).

§ I : Retour sur la notion de patrimoine

Le patrimoine, une notion créée par la doctrine au 19 ème siècle. La théorie


classique du patrimoine est l’œuvre d’AUBRY113 et RAU114, deux auteurs français très
célèbres. Cette conception est aujourd’hui au centre d’une controverse qui justifie que son
étude soit faite conjointement à celle des atteintes dont elle fait l’objet. Après un rappel de la
théorie classique (A), on exposera succinctement les différentes atténuations qui l’ont gagnée
(B).

A – La théorie classique du patrimoine

Etudier la théorie classique du patrimoine invite au rappel des principes dérivant de la


théorie d’AUBRY et RAU. Cela amène à l’appréhender comme une universalité juridique.

1 - Rappel des principes dérivant de la théorie d’AUBRY et RAU.

Ces auteurs définissent le patrimoine comme une émanation et une expression


juridique de la personne115. On leur reconnait ainsi la paternité de la conception subjective du
patrimoine, le « patrimoine-personne »116. En découle un certain nombre de principes
formulables en deux règles.
1ère règle. Seules les personnes pourvues d’une personnalité juridique peuvent
disposer d’un patrimoine. Cette règle insiste sur la corrélation qui existe entre la personne
juridique et le patrimoine à travers une réalité double. Seule une personne juridique peut
avoir un patrimoine ; il n’existe pas de patrimoine sans personnalité juridique. La
personnalité juridique ne bénéficiant qu’à deux personnes juridiques, seules donc les
personnes physiques et morales ont un patrimoine. Cette règle a pour finalité la protection du
créancier et à travers lui, le crédit. Les personnes juridiques étant les seules à pouvoir engager
le crédit public, ses biens futurs comme ses biens actuels sont concernés par les obligations
souscrites, les dettes contractées. L’autre conséquence qui dérive d’une telle règle est
113
De prénom Charles, (1803-1883).
114
De prénom également Charles, (1803-1887).
115
« Le patrimoine est l’ensemble des biens d’une personne envisagés comme formant une universalité de droit,
c'est-à-dire une masse de biens qui, de nature et d’origine diverses, et matériellement séparés, ne sont réunis
par la pensée qu’en considération du fait qu’ils appartiennent à une même personne. L’idée de patrimoine est
le corollaire de l’idée de personnalité » ; AUBRY & RAU, Droit civil français, Tome IX, par P. ESMEIN, §
573.
116
J. ROCHFELD, Les grandes notions du droit privé, PUF, 2013, v° Notion n° 6, Le patrimoine, p. 343, n° 2.
l’incessibilité du patrimoine du vivant de son titulaire. Par conséquent, le patrimoine ne peut
pas être aliéné, sauf transmission pour cause de mort, par voie donc de succession.
2ème règle. Une personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine : c’est le principe de
l’unicité du patrimoine. Comme on le verra, cette règle est davantage concernée par les
atteintes contemporaines dont fait l’objet la théorie classique 117. A titre principiel,
l’impossibilité pour une seule personne de disposer de deux patrimoines demeure pourtant en
droit positif. A l’instar de la 1ère règle, la règle de l’unicité du patrimoine protège aussi les
créanciers qui nouent des relations avec le titulaire du patrimoine. Elle évite que celui-ci ne
refuse de payer sa dette au prétexte que c’est l’actif insuffisant d’un prétendu second
patrimoine qui devrait la supporter.
De cette présentation sommaire, on peut retenir que le patrimoine demeure une
universalité de droit, la seule qui existe d’ailleurs dans les systèmes romano-germaniques.

2 – Le patrimoine, une universalité de droit

Le patrimoine comprend l’actif et le passif. Les profanes du droit ont tendance à


considérer que le patrimoine d’une personne se résume à la somme de ses biens ou de ses
avoirs. Cette croyance populaire considérée comme la conception objective du patrimoine
n’est pas sanctionnée par le droit positif. En général, le patrimoine est défini plutôt comme un
ensemble de biens, de droits et d’obligations appartenant à une personne et évaluables en
argent118. À l’actif, on retrouve l’ensemble des biens corporels et des droits d’une personne
évaluables en argent. Au passif, on retrouve les dettes, les obligations donc du titulaire du
patrimoine.
Le mécanisme de la subrogation réelle et sa fonction dans la théorie du
patrimoine classique. Au cours de la vie, le contenu de chaque compartiment du patrimoine
est changeant. Même s’il aliène tous ses biens, une personne n’en a pas moins un
patrimoine119. Ce n’est pas toutefois le plus important. Les biens présents, futurs comme
virtuels renforcent la substance de l’actif tandis que ceux qui sont donnés ou cédés en
réduisent la consistance. Inversement, les dettes et obligations éteintes ou exécutées
diminuent la valeur du passif tandis que celles nouvellement souscrites ou contractées en
relèvent le seuil. On appelle ce remplacement continuel des droits et des obligations par
117
V. J. ROCHFELD, Les grandes notions du droit privé, op. cit., p. 341, n° 1.
118
Pour une critique contemporaine d’un tel compartimentage et considérant que le patrimoine ne comporte que
l’actif, v. A. SERIAUX, « La notion juridique de patrimoine. Brèves notations civilistes sur le verbe avoir »,
RTD civ. 1994, p. 801 et s., spéc., p. 803.
119
Il n’en a pas toutefois ainsi tout le temps. En droit français, on a pu considérer que les esclaves en étaient
dépourvus ainsi que les personnes déclarées civilement mortes (mort civile).
d’autres au sein du patrimoine la subrogation réelle. Cette subrogation réelle est un élément
caractéristique du patrimoine à côté du lien indissoluble qui existe entre l’actif et le passif.
Le lien indissoluble entre l’actif et le passif distingue le patrimoine d’une
universalité de fait. Ainsi, l’existence d’un patrimoine ne repose pas sur le constat d’une
universalité de fait car celle-ci est dépourvue de passif. L’existence d’une universalité de fait
dépend de la volonté du propriétaire de donner une certaine individualité à un ensemble de
biens qu’il soumet à un régime global. Exemple : un troupeau de bœufs, le fonds de
commerce, une bibliothèque... Ce trait l’oppose au patrimoine qui reste la seule universalité
juridique connue du droit positif en raison du lien indissoluble qui existe entre le passif et
l’actif. L’universalité juridique est définie comme « un ensemble d’éléments composés de
droits et d’obligations soumis à un système juridique global »120.
La portée du lien entre l’actif et le passif par rapport au droit de gage général
reconnu aux créanciers. Le patrimoine englobe alors tous les biens présents et à venir de la
personne. C’est pour cette raison que les créanciers peuvent lui faire crédit en considérant que
son patrimoine connaîtra un accroissement. On dit que le patrimoine d’une personne est le
gage général de tous les créanciers121. En droit et en fait, les biens et les droits d’une personne
répondent de ses obligations ou de ses dettes122.
Le patrimoine reste donc la seule universalité de droit connue par le Droit. Cela
n’exclut pas toutefois que le patrimoine puisse comporter en son sein des masses distinctes de
biens.
L’existence possible au sein du patrimoine de deux masses distinctes de biens en
cas d’acceptation sous bénéfice d’inventaire. Ces masses distinctes de biens ressemblent à
des universalités de droit sans l’être. A ce titre, elles ne remettent pas fondamentalement en
cause la règle de l’unicité du patrimoine énoncée ci-dessus. Il s’agit plutôt de règles spéciales
édictées par le législateur pour régir certaines masses de biens. En droit sénégalais, le droit
des successions donne l’occasion de s’imprégner d’une telle situation en cas d’acceptation
d’une succession sous bénéfice d’inventaire. Le droit des successions a pour finalité de
transmettre le patrimoine d’un de cujus, le défunt, à ses héritiers. Pour ce faire, il prévoit des
mécanismes pour faciliter la transmission de l’actif et du passif du patrimoine de la personne
décédée naturellement ou judiciairement. Ayant perdu la personnalité juridique du fait de son

120
R. GUILLIEN, J. VINCENT, S. GUINCHARD & G. MONTAGNIER, Lexique des termes juridiques,
Dalloz, 16ème éd., 2007, v° Universalité de droit.
121
Article 200 COCC.
122
Article 2284 Code civil : « Quiconque s’est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur
tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ».
décès, celui-ci ne dispose plus d’un patrimoine. Le contenu du patrimoine qu’il laisse doit
ainsi être transmis à ses héritiers. Ces derniers ont le choix entre trois options : accepter
purement et simplement la succession, y renoncer ou l’accepter sous bénéfice d’inventaire.
Contrairement à l’hypothèse d’une acceptation pure et simple 123, le patrimoine de l’héritier ne
se confond plus avec celui du de cujus lorsqu’il exige un bénéfice d’inventaire. L’héritier va
plutôt « se trouver à la tête de deux patrimoines qui ne communiquent pas entre eux »124. Au
regard des effets prêtés à l’acceptation bénéficiaire 125, l’héritier va ainsi se retrouver entre
deux masses de biens le temps que la succession du de cujus soit liquidée.
Pour autant, l’existence ponctuelle de telles masses de biens en droit des successions
ne peut être conçue comme une atteinte à la théorie d’AUBRY et RAU : les biens du de cujus
ne sont pas techniquement sous la maîtrise de l’héritier comme c’est le cas dans les autres
options successorales le tant que l’inventaire du patrimoine successoral se fasse d’une part ;
cette situation est provisoire d’autre part 126. Il existe d’autres circonstances qui vident
substantiellement la théorie classique de son lustre. Celles-ci sont plus sérieusement
considérées comme des atteintes.

B – Les différentes atteintes à la théorie classique

Le fondement théorique. AUBRY et RAU ont élaboré la théorie du patrimoine


autour de la personne. Les remises en cause doctrinales que cette approche a suscitées ont
insisté sur le fait que la personne n’apparaissait pas sur la scène juridique sous une apparence
unitaire. Ces activités pouvaient être individuelles, collectives, familiales et professionnelles.
Dès lors, la règle de l’unicité du patrimoine n’était pas en parfaite convergence avec la
diversité des activités que pourrait nouer son titulaire. Intervenant sous diverses facettes dans
la sphère juridique, la divisibilité du patrimoine d’une personne devrait être envisagée et

123
En ce sens, S. GUINCHARD, Le droit patrimonial de la famille au Sénégal (Régimes matrimoniaux-
Libéralités-Successions), LGDJ-NEA, 1980, n° 1267.
124
J. MAURY, Successions et libéralités, Litec, 2ème édition, 1999, n° 151.
125
Article 430 CF : « L’effet du bénéfice d’inventaire est de donner à l’héritier l’avantage:
1° De n’être tenu du paiement des dettes de la succession que jusqu’à concurrence de la valeur des biens qu’il
a recueillis;
2° De ne pas confondre ses biens personnels avec ceux de la succession.
Hors les cas prévus à l’article 438, les créanciers du défunt n’ont pas d’action sur les biens personnels de
l’héritier.
L’héritier conserve tous les droits qu’il avait antérieurement sur les biens du défunt et aucune exception ne peut
lui être opposée du chef de ce dernier ».
126
« De la sorte, l’héritier bénéficiaire a effectivement deux patrimoines. Cependant, la portée de cette
exception doit être considérablement limitée ; d’une part, l’héritier bénéficiaire ne jouit pas, sur les biens de la
succession, de la maîtrise qu’il a de ses propres biens ; d’autre part, et surtout, la situation créée par le
bénéfice d’inventaire est essentiellement provisoire » ; J.-L. AUBERT, Introduction au droit et thèmes
fondamentaux du droit civil, Armand Colin, 7ème éd., pp. 213-214.
admise par le droit positif127. Dans cet élan, la protection du crédit public et celle de la
confiance du créancier ont semblé moins impérieuses. Si décisive pourtant dans la théorie du
« patrimoine-personne », la fonction de responsabilisation ou de garantie du patrimoine à
l’égard des créanciers de son titulaire s’est amenuisée progressivement. Le droit devait
davantage être sensible à la situation économique du débiteur, le titulaire du patrimoine donc.
Comment ? Il fallait cantonner la fonction de responsabilisation du patrimoine à certains
biens justifiant des atteintes progressives à la règle de l’unicité du patrimoine. Ce mouvement
devait se concrétiser par une réception timide du patrimoine d’affectation qui était déjà
applicable dans les pays anglo-saxons et en Allemagne.
La réception partielle du patrimoine d’affectation. Le patrimoine d’affectation
consiste à réserver un but à une masse de biens sans que celle-ci ne soit nécessairement liée à
une personne. Une réception édulcorée voire partielle en est faite en France et au Sénégal. En
réalité, dans ces systèmes juridiques, aucune réglementation n’est allée jusqu’à désunir
complètement le patrimoine de la personnalité juridique comme la théorie du patrimoine
d’affectation semble l’insinuer. En revanche, on y recense certaines manifestations de
l’altération des principes d’unité et d’indivisibilité du patrimoine qui s’infèrent de la théorie
d’AUBRY et RAU128. Ainsi, ces systèmes juridiques permettent qu’une personne puisse
disposer d’un patrimoine général comme dans la théorie classique et d’un patrimoine spécial
réalisant l’affectation d’une masse de biens à une destination particulière. Par ailleurs, ladite
masse de biens à laquelle répond une masse de dettes, telle une universalité juridique, peut
être transmise entre vifs à titre universel.

1 – Réception du patrimoine d’affectation en droit sénégalais

Réception timide. Le patrimoine d’affectation a fait l’objet d’une réception timide en


droit sénégalais à travers la fondation et les figures unipersonnelles sociétaires. A travers ces
exemples, des personnes physiques ou des personnes morales, titulaires donc d’un patrimoine

127
« Plus largement, le patrimoine n'est pas perçu de la même manière selon les « sphères » de vie de la
personne, vie professionnelle ou vie personnelle, privée, familiale. Le patrimoine professionnel, le rattachement
privilégié de certains biens, comme le logement, à la personne ou à la famille, le patrimoine personnel de
l'entrepreneur individuel, la distinction de dettes professionnelles et non professionnelles du débiteur
surendetté, tout cela témoigne d'une divisibilité du contenu du patrimoine » ; E. PUTMANN, Compte rendu
thèse de Anne-Laure THOMAT-RAY NAUD, L'unité du patrimoine, essai critique, Préface D. TOMASIN,
Defrénois, coll. Thèses Doctorat et Notariat (dir. B. BEIGNIER), t. 25, 541 pages, RTD civ. 2008, p. 375.
128
« On constate l’existence positive d’un patrimoine d’affectation chaque fois que le droit permet, en nuance
aux principes d’unité et d’indivisibilité du patrimoine, qu’une masse de biens soit détachée du patrimoine d’une
personne et réponde d’une masse de dettes distinctes » ; J. ROCHFELD, Les grandes notions du droit privé,
op. cit., p. 361.
en vertu de la personnalité juridique qu’on leur confère, matérialisent leur souhait de séparer
leur patrimoine respectif d’autres masses de biens affectées à une destination particulière.
Les fondations d’utilité publique. C’est la loi n° 95-11 du 7 avril 1995 qui a institué la
fondation d’utilité publique au Sénégal129. Elle définit la fondation comme « une personne
morale de droit privé qui possède une dénomination, un siège social, une nationalité et un
patrimoine d’affectation qui lui sont propres »130. Selon l’article 1er de la loi précitée, elle est
constituée par « l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources par une ou plusieurs
personnes physiques ou morales appelées fondateurs à une œuvre d’intérêt général dans un
but non lucratif ».
Les figures sociétaires unipersonnelles. Les actes uniformes du droit OHADA,
l’AUSCGIE131 notamment, sont applicables au Sénégal. Les dispositions de l’AUSCGIE
prévoient que les sociétés commerciales puissent être constituées sous une forme
unipersonnelle132. Il peut s’agir d’une Société A Responsabilité Limitée Unipersonnelle
(SARLU)133, d’une Société Anonyme Unipersonnelle (SAU) 134 ou d’une Société par Actions
Simplifiée Unipersonnelle (SASU)135.
Le patrimoine transféré à un agent de sûretés aux fins de constitution d’une sûreté. Il
s’agit d’une innovation de l’Acte Uniforme Portant Organisation des Sûretés (AUPOS) révisé
qui semble reproduire timidement le schéma de la fiducie française. La formulation de
l’article 9 alinéa 1er du texte susvisé amène à penser que l’agent de sûretés peut disposer de

129
JORS du 10 juin 1995, p. 253 ss.
130
Article 2 alinéa 2 de la loi n° 95-11 du 7 avril 1995.
131
Acte Uniforme sur les Sociétés Commerciales et les Groupements d’Intérêt Economique.
132
Article 5 AUSCGIE : « La société commerciale peut être également créée, dans les cas prévus par le
présent Acte uniforme, par une seule personne, dénommée « associe unique », par un acte écrit ». Pour une vue
d’ensemble, v. F. MEMAN, « La société unipersonnelle dans le droit des sociétés commerciales OHADA, une
législation à parfaire », Penant n° 868, p. 312 ss.
133
Article 309 AUSCGIE : « La société à responsabilité limitée est une société dans laquelle les associes ne
sont responsables des dettes sociales qu'a concurrence de leurs apports et dont les droits sont représentés par
des parts sociales.
Elle peut être instituée par une personne physique ou morale, ou entre deux ou plusieurs personnes
physiques ou morales ». C’est nous qui soulignons.
134
Article 385 AUSCGIE : « La société anonyme est une société dans laquelle les actionnaires ne sont
responsables des dettes sociales qu'à concurrence de leurs apports et dont les droits des actionnaires sont
représentés par des actions.
La société anonyme peut ne comprendre qu’un seul actionnaire ». C’est nous qui soulignons.
135
Article 853-1 AUSCGIE : « La société par actions simplifiée est une société instituée par un ou plusieurs
associés et dont les statuts prévoient librement l'organisation et le fonctionnement de la société sous réserve des
règles impératives du présent livre. Les associés de la société par actions simplifiée ne sont responsables des
dettes sociales qu'à concurrence de leurs apports et leurs droits sont représentés par des actions.
Lorsque cette société ne comporte qu’une seule personne, celle-ci est dénommée « associé unique ». L'associé
unique exerce les pouvoirs dévolus aux associés lorsque le présent livre prévoit une prise de décision collective.
Toutes les décisions prises par l'associé unique et qui donneraient lieu à publicité légale si elles étaient prises
par une assemblée doivent être publiées dans les mêmes formes ». C’est nous qui soulignons.
deux patrimoines, l’un personnel, l’autre relatif au patrimoine affecté qu’il tient séparé du
premier136.
Qu’il s’agisse donc des fondations, des figures sociétaires unipersonnelles ou du
patrimoine affecté aux fins de sûreté, l’affectation de biens à une destination particulière
concrétise une réception partielle du patrimoine d’affectation. Le droit français a poussé le
bouchon un peu plus loin.

2 – Réception du patrimoine d’affectation en droit français

Réception significative. Les atteintes à la théorie classique du patrimoine sont plus


illustratives en France. Les manifestations du recul du « patrimoine-personne » s’observent à
travers la loi du 19 juillet 2007 instituant la fiducie et plus concrètement à travers la loi du 15
juin 2010 relative à l’Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée (EIRL).
La fiducie. L’article 2011 du Code civil définit la fiducie comme « l'opération par
laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un
ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires
qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit
d'un ou plusieurs bénéficiaires »137. Les dettes de la gestion de l’actif fiduciaire ne sont
garanties que par cet actif. La vraisemblance d’une séparation entre le patrimoine fiduciaire et
le patrimoine principal qui peut s’inférer de l’opération de fiducie doit néanmoins être
relativisée.
Le constituant, propriétaire véritable du patrimoine fiduciaire. Si on l’appréhende à
partir du constituant qui peut être une personne physique ou une personne morale, il se trouve
en réalité à la tête d’un unique patrimoine. Le patrimoine fiduciaire séparé du patrimoine
personnel du constituant appartient toujours à ce dernier car dans les hypothèses les plus
fréquentes, il sera le bénéficiaire à la fin de l’opération 138. Seul le droit de gage général des
créanciers personnels du constituant est en fait limité étant donné que les biens fiduciaires
sont en principe exclus de l’assiette sur lesquels ils peuvent réaliser leurs créances. En
revanche, les créanciers du patrimoine fiduciaire peuvent réaliser leurs créances en cas
d’insuffisance de l’actif sur le patrimoine personnel du constituant.

136
Article 9 alinéa 1er : « Lorsque la constitution ou la réalisation d'une sûreté entraîne un transfert de propriété
au profit de l'agent des sûretés, le ou les biens transférés forment un patrimoine affecté à sa mission et doivent
être tenus séparés de son patrimoine propre par l'agent des sûretés (…) ».
137
NOTA : Loi 2007-211 du 19 février 2007 art. 12 : « les éléments d'actif et de passif transférés dans le cadre
de l'opération mentionnée à l'article 2011 forment un patrimoine d'affectation. Les opérations affectant ce
dernier font l'objet d'une comptabilité autonome chez le fiduciaire ».
138
La durée maximale de la fiducie est de 99 ans.
Le fiduciaire, propriétaire temporaire du patrimoine fiduciaire. Envisagé du point de
vue du fiduciaire, celui qui recueille les biens, on peut concevoir qu’il dispose formellement
de deux patrimoines, son propre patrimoine et le patrimoine fiduciaire, celui qu’il recueille et
gère pour le compte du bénéficiaire. Toutefois, il n’est pas techniquement le propriétaire du
patrimoine fiduciaire car ses créanciers personnels ne peuvent en principe réaliser leurs
créances sur les biens fiduciaires. Concrètement, il n’a pas donc deux patrimoines.
L’Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée (EIRL). En droit français, si le
rejet du patrimoine d’affectation reste le principe, en fait cette exclusion est considérablement
infléchie par l’accueil de l’EIRL. L’EIRL présente la spécificité de réduire de manière
drastique la responsabilité de l’entrepreneur individuel. Sans qu’il s’agisse d’isoler des biens
exploités par le biais de la création d’une personne morale comme dans les figures sociétaires
unipersonnelles, l’entrepreneur individuel a la possibilité de séparer son patrimoine en deux
parties distinctes, un patrimoine privé réalisant une fonction de garantie pour ses créanciers
privés139 et le patrimoine professionnel par inscription à un registre représentant la garantie
destinée aux créanciers de l’EIRL. Si l’activité de l’entrepreneur individuel est plurielle, il
peut créer autant de patrimoines professionnels que d’activités. Le patrimoine professionnel
est également cessible entre vifs ou à cause de mort.
Avec l’EIRL, l’indivisibilité du patrimoine telle que proclamée dans la théorie
classique est considérablement infléchie. Celle-ci continue néanmoins à irradier le droit
positif au point que la définition du bien s’en départit difficilement. En effet, une
classification des biens se fonde sur le critère de la patrimonialité. Elle fonde la distinction
entre les biens extrapatrimoniaux et les biens patrimoniaux. Ceux-ci renvoient en général à la
consistance de l’actif du patrimoine.

§ II : La consistance de l’actif du patrimoine, contenant des biens patrimoniaux

Contingence du critère de la patrimonialité. La patrimonialité d’un bien peut être


appréhendée à partir de certains caractères classiquement avancés (A). Il s’agit néanmoins
d’un critère contingent. En effet, la patrimonialité ne se confond pas avec la commercialité 140,

139
Par exemple, la banque qui a accordé un prêt à l’entrepreneur individuel pour l’acquisition de sa résidence
principale non affectée à son EIRL.
140
Qualité d’une chose qui peut faire l’objet d’un acte juridique quelconque. Le sang, par exemple, peut faire
l’objet d’un don. Il est dans le commerce juridique mais il est un bien extrapatrimonial.
l’aliénabilité141 encore moins la saisissabilité142. En outre, le critère de la patrimonialité ne
permet pas d’exclure de façon hermétique d’autres biens qualifiés par exemple
d’extrapatrimoniaux (B).

A – Les caractères de la patrimonialité

Patrimonialité d’une chose ou d’un droit rime souvent avec saisissabilité de nos
jours. On définit la patrimonialité à travers trois caractères : la vénalité, la cessibilité et la
transmissibilité. Le cumul de ces trois caractères rend en principe possible la saisissabilité du
bien. Mais il existe une pluralité de biens qui bien que remplissant ces critères peuvent être
déclarés perpétuellement ou temporairement insaisissables. Revêtus d’un tel trait, ils
n’intéresseront plus les créanciers durant toute la période d’insaisissabilité 143. Sont souvent
cités en exemple les objets mobiliers corporels indispensables à la vie du débiteur, les
créances alimentaires, les pensions civiles, les indemnités ou rentes perçues en vertu de la
règlementation sur les accidents de travail, les prestations familiales, les salaires pour la
fraction fixée par la loi, les immeubles et les objets mobiliers nécessaires aux réunions des
syndicats
La vénalité. Ce caractère sous-tend la valeur économique ou pécuniaire du bien. Ici,
le bien est considéré comme patrimonial parce qu’il est évaluable en argent et a une certaine
valeur monétaire au regard du marché.
La cessibilité. Parce que le bien a une valeur vénale, ce caractère permet d’en faire
l’objet d’opérations de vente ou d’achat du vivant de son propriétaire s’il s’agit d’une chose
ou du vivant de son titulaire s’il s’agit d’un droit.
Longtemps dans la jurisprudence française, la patrimonialité de la clientèle civile des
professionnels libéraux144 a été mise en doute sous l’angle de sa cessibilité. Cela amenait à
s’interroger sur la cessibilité du fonds libéral (le fonds exploité par les professions libérales)

141
L’aliénabilité reflète deux formes. Elle peut être à titre gratuit ou à titre onéreux. Lorsque le bien est aliénable
à titre gratuit seulement, il n’est pas un bien patrimonial. La patrimonialité est une aliénation à titre onéreux. Le
sang, par exemple, est dans le commerce juridique puisqu’il peut faire l’objet d’un don. Il est donc aliénable.
Pour autant, il est exclu des biens patrimoniaux.
142
Un bien peut avoir une valeur économique et être frappé pour autant d’insaisissabilité par le législateur. On
peut donner en exemple une partie du salaire. V. aussi à propos des personnes morales, F.-M. SAWADOGO,
« La question de la saisissabilité ou de l’insaisissabilité des biens des entreprises publiques en droit OHADA (A
propos de l’arrêt de la CCJA du 7 juillet 2005, affaire Aziablévi YOVO et autres contre Société TOGO
TELECOM) », Ohadata D-07-16, disponible sur www.ohada.com.
143
Article 50 alinéa 1er de l’Acte Uniforme Portant Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et
des Voies d’Exécution : « Les saisies peuvent porter sur tous les biens appartenant au débiteur alors même qu’ils
seraient détenus par des tiers, sauf s’ils ont été déclarés insaisissables par la loi nationale de chaque Etat-
partie ».
144
Médecins, avocats, notaires…
comme l’était du moins le fonds de commerce (le fonds exploité par les commerçants) avec
tous ses éléments constitutifs, la clientèle commerciale comprise 145. Le caractère trop
personnel des relations entre les clients et les professionnels libéraux a longtemps prévalu
pour que la clientèle civile soit considérée comme incessible en dépit de leur valeur
économique avérée. La liberté de choix des prestataires reconnue aux clients ne devait pas
être embrigadée dans une logique économique voire commerciale 146. Depuis le début des
années 2000, l’équivoque sur la cessibilité des clientèles civiles semble définitivement
levée147.
La transmissibilité. Ce caractère de la patrimonialité d’un bien suppose que la chose
ou le droit puisse être transmis à cause de mort. Pour ce faire, il faut qu’il puisse survivre au
décès du propriétaire de la chose ou du titulaire du droit pour qu’il puisse être recueilli dans
sa succession. Souvent ce critère justifie que les droits de la personnalité d’une personne, les
droits politiques notamment, soient exclus des biens patrimoniaux. On peut citer également
comme exemple la pension alimentaire qui n’est ni cessible ni transmissible.

Lorsque ces caractères sont cumulativement réunis par un bien, on n’hésite pas à le
compter dans la catégorie des biens patrimoniaux. En revanche, lorsqu’un caractère fait
défaut, la patrimonialité du bien ne saurait être admise. Il en est cependant des biens
caractérisés d’extrapatrimoniaux dont la protection a pourtant des incidences pécuniaires ;
d’où le constat d’une « patrimonialisation » croissante des biens extrapatrimoniaux.

B – La patrimonialisation croissante des biens extrapatrimoniaux

Les biens extrapatrimoniaux, en principe, des droits sans valeur économique. Les
biens extrapatrimoniaux sont en général définis de manière négative par opposition aux biens

145
Article 136 Acte Uniforme sur le Droit Commercial Général (AUDCG) révisé : « Le fonds de commerce
comprend nécessairement la clientèle et l'enseigne ou la clientèle et le nom commercial, sans préjudice du
cumul de la clientèle avec l’enseigne et le nom commercial ». Néanmoins, quand la loi vise la clientèle comme
élément du fonds de commerce, ce n’est pas pour faire des clients une composante du fonds. Par ce terme, il faut
entendre que pour qu’un fonds de commerce existe, il faut que les autres éléments, les marchandises en stock, le
matériel, le mobilier, les installations…(voir la liste énoncée par l’article 137 AUDCG révisé), soient unis dans
un but commun qui est celui d’attirer la clientèle.
146
« (…) les clients ou patients d’un professionnel libéral s’attachaient aux qualités spécifiques de celui-ci
(techniques et humaines) et développaient à son égard une confiance. Or, ce sentiment n’était pas regardé
comme pouvant faire l’objet d’un échange économique » ; J. ROCHFELD, « Les grandes notions du droit
privé » préc., v° Notion n° 4, Le bien, p. 235.
147
« Si la cession de la clientèle médicale, à l’occasion de la constitution ou de la cession d’un fonds libéral
d’exercice de la profession, n’est pas illicite, c’est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix d’un
client » ; Civ. 1ère, 7 novembre 2000, IR, p. 290. Jusqu’à cette décision, la Cour de cassation estimait nulle toute
cession au titre de la liberté de choix du client. Dorénavant, la liberté de choix du patient devient une condition
de validité (alors qu’il s'agissait auparavant d’une cause de nullité).
patrimoniaux. Il s’agirait des biens, choses ou droits, qui sont déconsidérés de toute valeur
économique. Il est rare toutefois qu’une chose soit extrapatrimoniale. C’est ce qui justifie très
souvent que l’on cite essentiellement comme exemple de biens extrapatrimoniaux, des droits
attachés à la personne appelés plus communément les droits de la personnalité. Les droits de
la personnalité sont les droits civils assurant au sujet la maîtrise de sa personnalité physique,
morale, individuelle ou sociale. Ils comportent tout un panel de droits hétéroclites,
notamment les droits à l’intégrité physique et morale (le droit à l’honneur, le droit au respect
de la vie, droit à l’image), le droit au nom, les libertés (d’aller et venir, de penser, de
s’exprimer…), le droit à la nationalité, les droits de nature politique (le droit de vote…), et
des droits à valeur familiale (la puissance paternelle…). Ainsi, l’actif du patrimoine d’une
personne exclut donc en principe les droits de la personnalité.
Constat d’une valorisation pécuniaire indirecte des droits de la personnalité. Le
caractère non pécuniaire des droits de la personnalité n’est pas un obstacle à ce qu’ils
puissent produire des conséquences d’ordre patrimonial. Souvent, le contentieux que suscite
leur violation ouvre droit à une réparation pécuniaire par l’allocation de dommages et intérêts
au titulaire des droits susvisés. L’atteinte à l’intégrité physique d’une personne donne lieu en
général à une réparation par équivalent. Il en est de même de la réparation d’un préjudice
moral consécutif à la violation par exemple du droit à l’image d’une personne.

Section III : La distinction entre biens corporels et incorporels


Ce que cache la binarité biens corporels et incorporels. Insister sur la distinction biens
corporels et incorporels consiste à revenir sur la division présentant le bien comme pouvant
tantôt renvoyer à une chose (§I) ou un droit (§II).

§ I : Les choses

Pluralité de prisme d’appréciation des choses. Il est possible de distinguer les


choses en s’attachant des critères objectifs. Il peut s’agir du critère physique (A), du critère
consomptible (B), du critère fongible (C), du critère frugifère (D).

A – Choses mobilières et choses immobilières

La mobilité, critère distinctif. La classification des meubles et des immeubles


demeure la distinction la plus ancienne. Elle se fonde sur la mobilité. Sont immeubles, les
choses dont la situation physique est immobile par opposition aux meubles. Cette
classification se prévaut d’un certain nombre d’intérêts pratiques justifiés semble t-il par la
prédominance économique traditionnelle des immeubles sur les meubles.
Intérêts de la distinction.
Compétence territoriale et lésion. Si la distinction garde toute son utilité pour
déterminer le tribunal territorialement compétent à cause du primat reconnu au lieu de
localisation de l’immeuble (article 34 CPC alinéa 5), en droit sénégalais, cette différence ne
se mesure point en matière de lésion. La vente d’un immeuble est rescindable pour lésion en
droit français. Il en est autrement en droit sénégalais. En effet, l’article 31 de la Loi n°2011-
07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière dispose : « Les actions en nullité
pour défaut de forme, en résiliation pour éviction partielle, existence de servitudes non
apparentes, lésions du quart ou des sept douzièmes ou constitution de droits réels par un
failli dans les dix jours qui ont précédé la cessation de ses payements, sont irrecevables sur
immeubles immatriculés »148.
Publicité. Par ailleurs, la publicité n’est pas organisée de la même manière selon que
la chose est mobilière149 ou immobilière150.
Sûretés. En outre, cette classification justifie que les meubles soient les seuls à
pouvoir faire l’objet d’un gage151. Les immeubles, insusceptibles d’une dépossession, sont
concernés par l’hypothèque. Une simple inscription de celle-ci au livre foncier supplée à
toute dépossession.
Régimes matrimoniaux. Par ailleurs, la distinction meubles-immeubles garde tout son
sens en droit sénégalais des régimes matrimoniaux, lorsque les époux choisissent le régime
communautaire de participation aux meubles et acquêts. Le cas échéant, il y a matière à

148
C’est nous qui soulignons.
149
Hormis les meubles immatriculés et certains meubles incorporels, le fonds de commerce notamment, dont le
régime de publicité se rapproche des immeubles, la publicité des meubles s’effectue en général par leur remise à
l’acquéreur rendant possible leur possession.
150
Tous les droits qui concernent les immeubles font souvent l’objet d’une publicité foncière ; v. les articles 46
et suivants de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière.
151
Aujourd’hui, cette assertion est fortement à nuancer. Certaines sûretés mobilières font dorénavant l’objet de
publicité au RCCM. C’est l’Acte Uniforme Portant Organisation des Sûretés (AUPOS) qui l’organise (v. les
articles 50 et s.). En droit OHADA, la distinction qui semble dorénavant s’être imposée reste celle qui oppose le
gage de meubles corporels du nantissement de meubles incorporels. La corporalité des biens reste donc le critère
décisif. L’utilisation du vocable nantissement concerne dorénavant les sûretés mobilières portant sur des biens
incorporels. Quant au gage, il renvoie aux sûretés mobilières relatives aux biens corporels. L’une des
nouveautés introduites par le droit OHADA reste l’abandon de la dépossession comme effet caractéristique du
gage. En effet, de nos jours, le gage peut s’opérer sans dépossession ou avec dépossession. En général, lorsque
le débiteur a besoin des biens susceptibles de faire l’objet d’un gage, une inscription au RCCM supplée de nos
jours la nécessité antérieure d’une dépossession au profit du créancier gagiste ou d’un tiers. L’existence de ces
gages sans dépossession assure ainsi au débiteur la pérennité de son activité économique. En guise
d’illustrations, peuvent être cités le gage de matériel professionnel, le gage de stock ou le gage de véhicules ; sur
toutes ces questions, cf. K.-M. BROU, « Le nouvel Acte uniforme portant organisation des sûretés et l’accès au
crédit dans l’espace OHADA », OHADATA D-12-09.
distinguer meubles et immeubles pour déterminer la masse des biens communs qui feront
l’objet d’un partage entre époux à la dissolution de leur lien matrimonial. Les biens communs
se distinguent des biens propres des époux. Ceux-ci sont exclus de la liquidation du régime
matrimonial. En effet, à la différence des meubles considérés comme des biens communs,
qu’ils soient acquis antérieurement ou postérieurement au mariage, les immeubles acquis par
les époux en sont exclus sous certaines modalités152.
Possession. Enfin, le dernier intérêt pratique de la distinction meubles-immeubles se
mesure au niveau de l’effet de la possession. Contrairement aux immeubles 153, la possession
de bonne foi des meubles vaut titre154.

1 - Les immeubles

Trilogie des immeubles. La loi distingue trois catégories d’immeubles. Etant donné
que les textes législatifs sénégalais155 ne définissent pas le terme immeuble qu’ils empruntent,
c’est en contemplation du droit français, du Code civil donc, que cette catégorisation se fait.
Il s’agit des immeubles par nature, des immeubles par destination et des immeubles par
l’objet auxquels il s’applique.
Les immeubles par nature. Ils comprennent le sol, les fonds de terre, et tout ce qui est
fixé ou incorporé et adhère au sol, qu’on nomme de façon imagée les immeubles par
incorporation (sous-entendu incorporés au sol), les végétaux et les bâtiments notamment156.

152
Article 393 CF : « A la dissolution du régime résultant du décès, du divorce ou de la séparation de corps, il
est procédé à la liquidation des droits des époux ou de leurs ayants cause.
Sont exclus de la liquidation les immeubles immatriculés dont chacun des époux était propriétaire avant le
mariage, ceux qui leur sont advenus par mariage, par succession ou libéralités, les biens qui par leur nature ou
leur destination ont un caractère personnel, les droits exclusivement attachés à la personne (…) ».
153
La possession d’un immeuble, fut-elle de bonne foi, ne fait pas acquérir la propriété aux particuliers en droit
sénégalais. La prescription acquisitive ne bénéficie qu’à l’Etat. En effet, l’article 33 de la Loi n° 2011-07 du 30
mars 2011 portant régime de la Propriété foncière dispose :
« La prescription ne peut, en aucun cas, constituer un mode d’acquisition de droits réels sur des
immeubles immatriculés ou de libération des charges grevant les mêmes immeubles.
Toutefois, un immeuble immatriculé abandonné pendant trente années consécutives par ses
propriétaires ou occupants légitimes est considéré comme vacant et incorporé au domaine de l’Etat dans les
formes et conditions fixées par décret ». C’est nous qui soulignons.
154
Article 262 COCC alinéa 1er. Cependant, le propriétaire de la chose mobilière volée ou perdue peut exercer
une action en revendication d’une durée de trois ans à compter de la perte ou du vol (article 262 COCC alinéa
2). Son droit est en outre protégé par le Code pénal dans ses dispositions qui encadrent le vol (meubles
corporels) et la contrefaçon (meubles incorporels).
155
V. Code de famille (dispositions applicables aux régimes matrimoniaux et aux successions), AUPOS
(dispositions applicables aux sûretés réelles), Acte Uniforme portant organisation des Procédures Simplifiées de
Recouvrement et des Voies d’Exécution (AUPSRVE) (dispositions applicables aux saisies immobilières), Loi
n° 2009-23 du 8 juillet 2009 portant Code de la construction, Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de
la Propriété foncière, Loi n° 64-46 du 17 Juin 1964 relative au Domaine National…
156
Aussi, les ponts, digues, barrages, canalisations d’eau et d’électricité, portes et fenêtres d’un bâtiment, les
ascenseurs, les convecteurs électriques…
Les immeubles par destination. Dans l’arsenal législatif sénégalais, seul le Code de
construction emprunte la terminologie, immeubles par destination en faisant référence aux
ascenseurs157. Cette qualification est pour le moins curieuse dans la mesure où l’ascenseur
doit plutôt être considéré comme un meuble incorporé à l’immeuble dont il facilite l’accès
aux différents étages. A ce titre, l’ascenseur semble davantage relever de la catégorie des
immeubles par nature. D’autres règlementations s’y réfèrent de façon implicite 158.
En effet les immeubles par destination sont plus communément considérés comme
des meubles par nature entretenant avec un immeuble par nature un lien si particulier qu’ils
finissent par recueillir le qualificatif d’immeubles par destination 159. Il peut s’agir de meubles
affectés à l’exploitation économique d’un immeuble ou de meubles attachés à un fonds à
perpétuelle demeure. Si la raison économique fonde l’immobilisation par destination pour les
premiers cités, la finalité est davantage ornementale ou somptuaire pour les seconds.
Critères de l’immobilisation. Dans les deux cas de figure, l’unité de propriété entre les
meubles et le fonds s’impose au même titre que l’intention du propriétaire de placer les
meubles sous la dépendance du fonds. Pour les choses associées à un immeuble aux fins
d’une exploitation économique, c’est l’utilité voire leur caractère indispensable qui fera
présumer l’intention du propriétaire. Pour ce qui des meubles attachés à perpétuelle demeure,
l’intention du propriétaire doit se manifester plus concrètement. Il doit recourir à des
procédés d’attache ou de scellement à chaux ou à ciment pour manifester son intention d’unir
le régime juridique des meubles concernés et du fonds160.
Droit français et immobilisation par destination. En droit français, cette unité de
régime juridique se mesure à un triple point de vue et réalise concrètement les effets de la
règle de l’accessoire : l’aliénation de l’immeuble par nature englobera souvent les immeubles

157
V. le Chapitre IV intitulé Sécurité de certains équipements d’immeubles par destination du Titre II de la
partie législative du Code).
158
V. article 40 alinéa 1 er du Code pétrolier : « Sont considérés comme biens immeubles au sens du présent
Code, outre les bâtiments, les machines, les équipements et matériels utilisés pour l’exploitation des gisements
d’hydrocarbures, le stockage et le transport des produits bruts ».
159
Seuls les meubles par nature peuvent devenir des immeubles par destination. Ne peuvent donc être assimilés
à des immeubles par destination des immeubles par nature ; en ce sens, Ass. Plén., 15 avril 1988, aff. DES
FRESQUES CATALANES, RTD civ. 1989, ZENATI, p. 345 et s. La Cour d’appel de Montpellier avait retenu
que les fresques arrachées à leur support étaient devenues des immeubles par destination. La Cour de cassation a
cassé la décision aux motifs que les fresques étant des immeubles par nature ne peuvent devenir du fait de leur
arrachement que des meubles par nature et non des immeubles par destination.
160
Rappelons que les choses mobilières susvisées sont simplement attachées au fonds. En ce sens, elles
continuent d’exister en tant que biens meubles. C’est ce qui les distingue des immeubles par nature appelés de
façon imagée immeubles par incorporation. Ceux-là perdent leur individualité originelle en tant que meubles tels
les carreaux ou briques…Pour ainsi dire, la caractéristique principale des meubles attachés à perpétuelle
demeure, c’est que « le lien exigé est plus fort qu’une simple mise en place et moins fort qu’une
incorporation » ; F. TERRE & Ph. SIMLER, « Droit civil, les biens », Dalloz, 8ème éd., 2010, p. 43.
par destination ; l’hypothèque de l’immeuble par nature inclura souvent les immeubles par
destination ; en cas de saisie immobilière, les immeubles par destination sont intégrés à
l’objet de la saisie.
Droit sénégalais et immobilisation par destination. En droit sénégalais, ces
conséquences semblent remises en cause du moins dans certains domaines. En raisonnant
spécifiquement sur les sûretés réelles telles que l’hypothèque, le droit OHADA exclut les
immeubles par destination de l’assiette d’une hypothèque alors même que celle-ci porterait
sur l’immeuble par nature dont ils constitueraient pourtant des accessoires 161. En matière
d’hypothèque, la fiction de l’immobilisation par destination ne semble donc produire aucune
conséquence. Il semble en aller de même en matière de saisie immobilière. L’élargissement
de l’assiette de la saisie immobilière aux immeubles par destination semble subordonné à une
double volonté exprimée et non présumée : celle du créancier et celle du débiteur162.
Les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent. Ces immeubles ne sont pas
qualifiés ainsi sur la base d’un critère matériel ou physique. Il s’agit plutôt de droits réels que
la loi qualifie d’immeubles. La loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété
foncière en fait une énumération détaillée mais non exhaustive. Son article 19 cite la
propriété des immeubles, l’usufruit des biens immobiliers, les droits d’usage et d’habitation,
l’emphytéose, le droit de superficie, les servitudes et services fonciers, les privilèges et
hypothèques. La référence de l’article 19 à la propriété des immeubles ne doit pas instaurer
une certaine confusion justifiant de fondre le droit de propriété dans la catégorie des
immeubles par l’objet auquel il s’applique. L’opinion majoritaire dans la doctrine classique
tend à confondre le droit de propriété à l’objet auquel il s’applique. Ainsi la propriété est
souvent considérée comme un immeuble par nature et non un immeuble par l’objet auquel il
s’applique163. Intègrent aussi les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent les actions en
revendication portant sur les droits réels immobiliers.
Innovation du droit sénégalais minier. Nonobstant une qualification explicite, le Code
minier a porté en germes de nouveaux types d’immeubles par l’objet auxquels ils

161
Article 192 AUPOS : « Sauf disposition contraire, seuls les immeubles présents et immatriculés peuvent
faire l'objet d'une hypothèque.
Peuvent faire l'objet d'une hypothèque :
1°) les fonds bâtis ou non bâtis et leurs améliorations ou constructions survenues, à l'exclusion des meubles qui
en constituent l'accessoire ;
2°) les droits réels immobiliers régulièrement inscrits selon les règles de l’Etat Partie ».
162
Article 251 AUPRSVE : « Le créancier ne peut poursuivre la vente des immeubles qui ne lui sont pas
hypothéqués que dans le cas d’insuffisance des immeubles qui lui sont hypothéqués, sauf si l’ensemble de ces
biens constitue une seule et même exploitation et si le débiteur le requiert ».
163
En ce sens, F. TERRE & Ph. SIMLER, ouvr. préc., p. 45.
s’appliquent. Peuvent être cités à titre d’exemple les titres miniers d’exploitation qui rebutent
en toute logique les qualifications d’immeubles par destination ou par nature. La particularité
de tels immeubles par l’objet auxquels ils s’appliquent reste qu’ils ne peuvent être détenus
que par des sociétés commerciales de droit sénégalais. A ce propos, il importe peu qu’ils
procèdent de permis de recherches attribués à une personne morale étrangère. En cas de
découvertes de mines, aux fins de l’exploitation, une société commerciale de droit sénégalais
devra être créée. Elle subrogera alors dans les droits du titulaire du permis de recherche 164.
V° également les développements portant sur l’étendue de la propriété immobilière et
les nombreux droits réels immobiliers créés par le Code minier.

2 - Les meubles

Code civil et extension jurisprudentielle. Le Code civil identifie deux catégories de


meubles. Il s’agit des meubles par leur nature et des meubles par détermination de la loi. La
jurisprudence française y a ajouté les meubles par anticipation.
Les meubles par leur nature. Cette catégorie comporte toutes les choses qui peuvent
se déplacer par un dynamisme propre ou par le fait d’une force physique extérieure. On y
compte notamment les animaux165, les meubles meublants166, les meubles immatriculés167 et
toute autre chose inanimée exclue de la catégorie des immeubles par nature
Les meubles par détermination de la loi. Le contenu de cette catégorie des meubles
renvoie pour l’essentiel aux titres sociaux, les actions ou les obligations des sociétés. De nos
jours, avec la dématérialisation progressive notée des titres sociaux, cette catégorie comporte
pour l’essentiel des biens incorporels. Les propriétés intellectuelles et autres biens incorporels
(fonds de commerce, fonds de placement, fonds de spéculation…) en vogue au 21 ème siècle
intègrent résolument cette catégorie en dépit du silence du Code Napoléon. Le Code minier a
intégré dans la catégorie des meubles certaines catégories de droits. Peuvent être citées
notamment l’autorisation de prospection168 et l’autorisation d’exploitation de carrières169.
Les meubles par anticipation. Cette catégorie a été élaborée par la jurisprudence 170.
Elle déroge à la classification établie par le législateur qui ne considère la nature mobilière ou
immobilière que sur une base objective, un critère physique. Le critère qui sous-tend
164
Article 23 du Code minier.
165
Article 528 du Code civil.
166
L’article 534 du Code civil cite notamment « tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines et
autres objets de cette nature ».
167
Navires, aéronefs…
168
Article 15 alinéa 1er du Code minier.
169
Article 63 du Code minier.
170
Req. 14 février 1899, DP, 1899, p. 246 et s.
l’existence des meubles par anticipation reste par conséquent subjectif dans la mesure où les
choses qui tombent dans cette catégorie, bien qu’étant physiquement des immeubles par
nature, sont considérées comme mobilières par la convention des parties en raison de leur état
futur171. On cite classiquement l’exemple des récoltes vendues sur pied mais on peut l’élargir
à la vente d’arbres ou de bâtiments destinés à être abattus ou démolis, à la vente de matériaux
à extraire d’une mine ou d’une carrière172.
Difficultés éventuelles résultant de la mobilisation par anticipation. Un conflit peut
néanmoins exister entre les parties au contrat et les tiers. Meubles pour les parties, la chose
demeure immeuble pour les tiers au contrat. Ainsi, si une carrière a été concédée à une
personne, une question préalable se pose de savoir s’il s’agit d’une vente mobilière ou
immobilière173. Entre les parties, si la vente est assurément mobilière, à l’égard des tiers, elle
demeure immobilière. Par conséquent, pour qu’elle soit opposable aux tiers, la publicité
foncière d’une telle concession s’impose174.

B – Choses consomptibles et choses non consomptibles

La disparition par l’usage, critère distinctif. Est consomptible une chose qui
disparait lors d’un seul usage175. Il y a alors une fusion entre l’usus et l’abusus que confère le
droit de propriété à son titulaire.
L’intérêt de la distinction. Il tient au fait que seules les choses non consomptibles
sont susceptibles de faire l’objet d’un usufruit et d’un prêt à usage (appelé aussi commodat) 176
alors que les choses consomptibles ne peuvent faire l’objet que de quasi-usufruit 177 et de prêt
de consommation178. Pour autant, à l’instar de la mobilisation par anticipation ou de
171
V. M. MESTROT, « Le rôle de la volonté dans la distinction des biens meubles et immeubles », RRJ 1995, p.
809 et s.
172
V. infra, la rubrique de ce cours qui étudie les biens frugifères et non frugifères.
173
La qualification bail est naturellement exclue.
174
En droit français, cf. Civ. 28 novembre 1949, RTD civ. 1950, H. SOLUS, p. 203 et s. Il a été décidé dans
cette affaire que : « Une telle mobilisation, anticipée et fictive, ne saurait prévaloir, à l’égard des tiers, contre
la nature réelle, immobilière de la cession, laquelle comporte une aliénation partielle du sol, désormais
diminué dans sa masse, et dépouillé irrévocablement de ce qui lui donnait tout ou partie de sa valeur ; en
décidant qu’une telle cession de droit, immobilier à l’égard des tiers, ne pouvait, faute de transcription, être
opposée à l’acquéreur postérieur du fonds ayant régulièrement transcrit son titre d’acquisition, l’arrêt attaqué,
loin d’avoir violé les dispositions de la loi du 23 mars 1855 et les autres textes visés au moyen, en a fait, au
contraire, une exacte application ».
175
Aliments de toute sorte, bois de chauffe, monnaie, canette de boisson ou de jus de fruit…
176
V. article 529 et s. du COCC.
177
En pareille circonstance, « l’usufruitier devient propriétaire avec charge de rendre, à l’expiration de
l’usufruit, soit des choses de même qualité et en même quantité, soit une somme d’argent représentative de leur
valeur » ; F. TERRE & Ph. SIMLER, ouvr. préc., p. 14, n° 10.
178
Le prêt d’une chose consomptible opère transfert de propriété en raison du lien indissociable entre l’usus et
l’abusus. La restitution d’une chose consomptible ne se faisant pas en nature, elle porte sur des choses
équivalentes ; v. articles 535 et s. du COCC.
l’immobilisation par destination, la volonté des parties peut faire perdre à une chose son
caractère consomptible. Ainsi, lorsque le prêteur d’une chose non consomptible impose à
l’emprunteur de la lui restituer en valeur, le bien considéré devient consomptible.

C – Choses fongibles et choses non fongibles

L’interchangeabilité des choses, critère distinctif. La fongibilité se distingue de la


consomptibilité même s’il s’agit en apparence de deux qualités qui se fondent 179. La
fongibilité caractérise l’interchangeabilité d’une chose avec une autre. Est donc fongible, une
chose interchangeable avec une autre (appelée également chose de genre) 180 ; demeure non
fongible, une chose non interchangeable avec une autre (appelée également corps certain) 181.
Les choses fongibles se définissent donc par l’espèce à laquelle elles appartiennent. Elles sont
qualifiables ainsi en référence à une unité de mesure, le poids, le volume, le nombre...
Toutefois, la volonté peut exercer une certaine influence sur la qualification 182.
L’intérêt de la distinction. L’intérêt est graduel selon que l’inscrit en droit sénégalais
et français.
Transfert de propriété. Décisive en droit français pour la détermination du moment
du transfert de propriété, la qualification fondée sur la fongibilité l’est moindre en droit
sénégalais.
Intérêt réel en droit français. L’intérêt classique invoqué en droit français tient à la
détermination du moment du transfert de propriété. Le transfert de propriété des choses non
fongibles existe en principe dès l’accord de volonté des parties. En revanche, lorsque la vente
porte sur des choses fongibles, le transfert de propriété est retardé au moment de leur
individualisation.
Intérêt mineur en droit sénégalais. En droit OHADA, cette disparité de traitement
fondée sur la fongibilité de la chose est atténuée dans la mesure où le transfert de propriété
s’opère au moment de la prise de livraison par l’acheteur 183. Ainsi, il n’y a en principe aucun
intérêt à qualifier les marchandises vendues de fongibles ou pas en vue de déterminer le
moment où s’opère le transfert de propriété.
179
En général, les choses consomptibles sont des choses fongibles. Il n’en est pas cependant toujours ainsi.
Ainsi, un vin Bordeaux d’un cru exceptionnel de 1854 est consomptible mais n’est pas fongible.
180
Exemple : des téléphones portables neufs d’une même série ; des cd de Youssou NDOUR d’un album neuf.
181
Exemple : un tableau de PICASSO ; une voiture de collection.
182
« Les choses qui ne sont pas fongibles par leur nature peuvent devenir telles par la convention des parties » ;
Req. 30 mars 1926, GP 1926, II, p. 26 et s. L’achat d’un habit ayant appartenu à une illustre personnalité ne
pourrait être échangé avec un autre habit fut il de la même série.
183
Article 275 AUDCG révisé : « La prise de livraison opère transfert à l’acheteur de la propriété des
marchandises vendues ».
Compensation. Un autre intérêt de la qualification des biens patrimoniaux corporels
en choses fongibles ou choses non fongibles reste la compensation. La compensation entre
obligations n’est possible qu’autant que leur objet respectif est fongible.
Restitution. Par ailleurs, l’obligation de restitution incluse dans un contrat porte sur la
chose individualisée elle-même s’il s’agit d’un bien non fongible et sur une chose équivalente
s’il s’agit d’un bien fongible184.

D – Choses frugifères et choses non frugifères

La production de revenus, critère distinctif. Les biens non frugifères185 ne


produisent pas de revenus à l’opposé des biens frugifères 186. Ces derniers produisent deux
types de revenus, les fruits et les produits.
Les fruits. Les fruits sont produits avec une certaine périodicité par des choses sans
que s’ensuive une altération ou une diminution du capital. On distingue les fruits naturels,
industriels et civils. A la différence des fruits industriels 187, les fruits naturels sont produits
périodiquement par des choses sans intervention de l’homme188. Les fruits civils constituent
la rémunération que des tiers donnent en contrepartie de la jouissance d’une chose189.
Les produits. Les produits résultent, sans périodicité, d’une chose mais leur
perception altère même la substance de celle-ci. En guise d’exemple, on peut citer les
matières extraites d’une carrière, les arbres coupés…
Rôle de la volonté dans la qualification fruit et produit. Pour autant, la volonté peut
jouer un certain rôle sur la qualification. Ainsi, les arbres sont des fruits si leur exploitation
est régulière. En revanche, ils doivent être considérés comme des produits s’ils font l’objet
d’une coupe définitive.
L’intérêt de la distinction. L’intérêt principal d’une classification des biens
patrimoniaux corporels fondés sur le critère frugifère se perçoit dans les distinctions
subsidiaires. Ainsi, dans un usufruit, l’usufruitier a droit aux fruits 190 et non aux produits qui

184
Dans le même sens, cf. l’obligation de remplacement pesant sur le vendeur encadrée par le COCC ; article
285 COCC : « Lorsque le défaut de délivrance porte sur une chose de genre, l’acquéreur peut acheter chez un
tiers la chose non délivrée et exiger du vendeur le remboursement du prix de remplacement ». Par contre, si
l’objet de la vente porte sur une chose non fongible, cette faculté de remplacement devient impossible à réaliser.
185
Collier d’or, bague de diamant…
186
Champs, bétail, mines…
187
Des cultures récoltées (Arachide, Riz, Mil, Coton…). Ils sont industriels parce que pour être produits, ils
requièrent le travail de l’homme. Rien à voir donc avec l’industrie telle que couramment comprise.
188
Fruits d’arbres sauvages (Maad, Sideem, Ditakh, Pain de singe…).
189
Les loyers que le bailleur perçoit du locataire d’un immeuble.
190
Il en est de même du possesseur de bonne foi.
appartiennent toujours au nu-propriétaire. Dans la mobilisation par anticipation 191, le critère
frugifère joue aussi un rôle non négligeable.

A la différence des choses qui renvoient aux biens corporels, les droits visent les biens
incorporels. Leur attribut n’est donc pas physique.

§II : Les droits

Binarité des droits. Il existe deux catégories de droits. Il s’agit des droits réels et des
droits personnels (A). Il est vrai qu’aujourd’hui cette classification bipartite est de plus en
plus contestée par l’émergence fulgurante des droits intellectuels qui ne sont ni fongibles
dans la catégorie des droits réels ni dans celle des droits personnels. Les droits intellectuels
sont d’ailleurs présentés comme des biens mixtes 192. En dépit de cet argument, la distinction
entre droits réels et droits personnels est cependant de plus en plus critiquée (B).

A – Les critères de distinction des droits réels et des droits de créance

Trilogie de critères. La nature, les effets et l’objet sont souvent invoqués aux fins de
distinguer les droits réels et les droits personnels. Il convient de revenir sur chaque critère.

1 - Distinction fondée sur la nature des droits réels et des droits de créance

Définition des droits réels. Le droit réel peut être défini comme le droit liant de façon
immédiate et directe une personne, un sujet de droit, avec une chose, un objet de droit. Cette
relation existe de façon complète sans que cela ne dépende du concours d'une autre personne.
L’étude du droit réel relève incontestablement du droit civil des biens. Le droit positif

191
V. supra, la rubrique de ce cours réservée aux meubles par anticipation.
192
V. infra.
connait, en théorie tout au moins, une série limitée de droits réels étant donné que la
prérogative de créer de nouveaux droits réels revient en principe au législateur193.
Binarité des droits réels. Est entretenue une distinction entre les droits réels
principaux et les droits réels accessoires.
Les droits réels principaux. Ils supposent un accès direct à la chose. Le droit de propriété
en est l’étendard parce qu’il permet d’accéder à la plénitude de la chose (usus, fructus,
abusus). Les démembrements du droit de propriété constituent également des droits réels
principaux puisqu’ils permettent d’accéder à certaines utilités ou prérogatives attachées au
droit de la propriété qu’il s’agisse par exemple de l’usufruit, de la nue-propriété, des
servitudes, du droit d’usage et d’habitation, du droit de superficie, de l’emphytéose…
Droits réels accessoires. On recourra a contrario à la qualification de droits réels
accessoires pour des droits portant sur la chose mais en tant qu’ils constituent l’accessoire
d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir. Peuvent être donnés en exemple les
sûretés réelles. Pour l’essentiel, il s’agit de droits consentis à un créancier sur un bien
déterminé en garantie d’une dette (le gage, le nantissement, l’hypothèque).
Définition des droits personnels. Les droits de créances appelés aussi droits personnels
sont de toute autre nature. Ils renvoient aux droits qu’une personne appelée créancier détient
sur une autre personne appelée débiteur. Envisagé du point de vue du créancier, ce lien de
droit crée un droit personnel, une créance à son profit. Appréhendée du point de vue du
débiteur, cette relation crée à son encontre une obligation qui peut être une obligation de
faire, de ne pas faire ou de donner. Contrairement au droit réel qui relève du droit civil des

193
Cette précision a tout son sens. En effet, l’article 543 du Code civil dispose : « On peut avoir sur les biens,
ou un droit de propriété, ou un simple droit de jouissance, ou seulement des services fonciers à prétendre ». A
considérer l’interprétation littérale d’une telle disposition, il semblerait que les droits réels ainsi énoncés soient
les seuls connus du droit civil des biens. Deux arrêts coupent court avec cette interprétation qui ne résistait pas
d’ailleurs à la qualification du droit de superficie, de l’emphytéose, l’hypothèque en des droits réels non listés
par l’article précité. Dans le 1 er arrêt, il a été disposé que « les articles 544, 546 et 552 du Code civil sont
déclaratifs du droit commun relativement à la nature et aux effets de la propriété, mais ne sont pas
prohibitifs » ; Req. 13 février 1834, arrêt CAQUELARD, arrêt n° 65, GAJC, tome 1, Dalloz, 13ème éd., 2015, pp.
403-404. Cette décision est confirmée par un arrêt plus récent qui dispose « qu’il résulte des articles 544 et
1134 du Code civil que le propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d’ordre public, un droit réel
conférant le bénéfice de jouissance spéciale de son bien » ; Civ. 3ème 31 octobre 2012, arrêt LA MAISON DE
POESIE c/. SADC, arrêt n° 66, GAJC préc., pp. 405-406. Ainsi sur la base de telles décisions, il faut convenir
qu’il existe des droits réels sui generis à coté d’autres plus connus en droit civil des biens tels que la propriété,
les servitudes, l’usufruit, l’emphytéose, le droit de superficie, l’hypothèque…Les parties ont la latitude de créer
d’autres droits réels sous réserve qu’elles se conforment à l’ordre public. En pratique toutefois, ce pouvoir
prétorien qui est reconnu aux parties n’est pas exercé si bien que la catégorie des droits réels n’a pas connu une
véritable extension. Sur la question, v. les études doctrinales suivantes, L. PFISTER, « Les particuliers peuvent-
ils au gré de leur volonté créer des droits réels ? Retour sur la controverse doctrinale au XIXe siècle », RDC
2013, p. 1261 et s. ; D. SIZAIRE, « Division en volumes et copropriété des immeubles bâtis », JCP 1988, I, p.
3367 et s.
biens, l’étude des droits de créance relève du droit des obligations puisque le lien est noué
entre deux personnes et non entre une personne et une chose.

2 - Distinction entre droits de créance et droits réels suivant leurs effets

Effets des droits réels. Les droits réels intègrent la catégorie des droits absolus. En ce
sens, ils confèrent un pouvoir exclusif, illimité ou partiel sur la chose qui en est l’objet. En
outre, ils sont opposables erga omnes. Cette vigueur est confirmée par le fait que leur titulaire
dispose d’un droit de suite et d’un droit de préférence. Le droit de suite permet au titulaire du
droit réel de le faire valoir en quelques mains que se trouverait la chose qui en constitue
l’objet (acquéreur ou possesseur peu importe). Quant au droit de préférence, il permet au
titulaire du droit réel d’être désintéressé en priorité contre et outre d’autres créanciers si la
chose constituant l’objet de son droit venait à être vendue. Il institue donc une discrimination
entre créanciers rompant avec l’égalité qui est censée prévaloir entre eux. Tels sont les effets
attachés prima facie aux droit réels.
Effets des droits personnels. Contrairement à ceux-là, les droits de créance
consistent en une prestation déterminée et ne s’exercent qu’à l’encontre d’une personne
déterminée, celle juridiquement tenue, le débiteur en l’occurrence 194. Il n’est déchargé de
cette prestation qu’en cas de force majeure dûment caractérisée. Par ailleurs, le droit du
créancier n’atteint le patrimoine du débiteur que dans sa consistance au moment des
poursuites. Lorsque le débiteur s’est engagé auprès de plusieurs créanciers, l’égalité prévaut
entre eux. En cas d’insuffisance de l’actif du patrimoine du débiteur pour faire face aux
dettes, la répartition de la perte se fait au marc le franc (distribution proportionnelle) entre
tous ses créanciers sans que l’antériorité de leur créance respective ne puisse être un critère
salvateur.
Comparaison entre droits réels et droits personnels en termes de vigueur.
Comparées aux prérogatives dont dispose le titulaire d’un droit réel, celles conférées au
titulaire d’un droit de créance paraissent plutôt résiduelles. Cela justifie souvent que le
créancier assortit son droit de créance d’un droit réel accessoire (souvent des sûretés réelles)
pour garantir celui-ci et ce aux fins d’échapper à la concurrence que lui opposeraient d’autres
créanciers de son débiteur. Le jeu de ces droits réels accessoires fera prévaloir son droit de
créance sur ceux détenus par d’autres créanciers du débiteur à l’encontre de celui-ci.

194
Occasionnellement ses successeurs universels ou à titre universel dans l’hypothèse où le débiteur venait à
décéder.
3 - Distinction tenant à l’objet des droits réels et des droits personnels

Objet respectif des droits réels et personnels. A la différence des droits de créance
qui ont pour objet un acte, un fait ou une abstention escomptée du débiteur, le droit réel a
nécessairement pour objet une chose matérielle existante et individualisée.
Difficultés en cas de vente de choses futures. Semble-t-il, cette distinction serait
relativisée par l’admission par le législateur de la vente de choses futures 195. Il n’en est rien
pourtant. En effet, tant que la chose n’est pas livrée, l’acheteur n’est titulaire que d’un droit
personnel.

La distinction qui est généralement faite entre droits de créance et droits réels n’en
cache pas moins de nombreux rapports qu’il convient à présent d’étudier. L’existence de tels
rapports justifie les critiques de leur distinction.

B – La critique de la distinction entre droits de créance et droits réels

Arguments avancés. La critique formulée à l’encontre de la distinction droits de


créance et droits réels se fonde sur un condensé d’arguments théoriques et pratiques. Les
premiers font état de la remise en cause doctrinale tandis que les seconds mettent en avant la
difficulté de distinguer avec une certaine netteté requise droits de créance et droits personnels
dans certaines circonstances.

1 - La remise en cause doctrinale

Trilogie de thèses. Les critiques doctrinales sur la distinction entre droits réels et
droits de créance ont commencé à être formulées depuis le 19 ème siècle. Trois thèses se sont
succédées.
La thèse de PLANIOL196. PLANIOL est l’auteur d’une thèse dite personnaliste ou
subjective. Selon lui, tous les droits seraient personnels dans la mesure où il conteste qu’une
relation juridique puisse exister entre une personne et un bien. Seuls deux sujets de droit
peuvent nouer un lien juridique alors que le bien n’est pas un sujet de droit mais plutôt un

195
Article 267 COCC : « La chose vendue doit exister au moment du contrat.
Néanmoins la vente de choses qui n’existent pas encore est conclue sous la condition résolutoire qu’elles
existeront et seront délivrées ».
196
De prénom Marcel Ferdinand (1853-1931), il est un jurisconsulte et Professeur de droit français et d'histoire
du droit à l'Université de Rennes. Avec Raymond SALEILLES (1855-1912) et François GENY, il est l'un des
trois rénovateurs du droit civil français à la Belle Époque (période marquée par les progrès sociaux,
économiques, technologiques et politiques en Europe, s'étendant de la fin du XIXe siècle au début de la Première
Guerre mondiale en 1914). Il est l'auteur du Traité élémentaire de droit civil (sur la question ici discutée, v.
Tome 1, 4ème éd., LGDJ, 1906, p. 673 et s., n° 2153).
objet de droit. Le droit de créance tel qu’il a été défini dans ce cours est conforme au postulat
avancé par PLANIOL. Selon lui, le droit réel serait aussi un droit de créance dans la mesure
où il mettrait en rapport un sujet actif (le titulaire du droit réel) et un sujet passif qui serait
représenté par l’ensemble de la société tenu au respect de ce droit concrétisé par le fait que
tous ses membres soient débiteurs d’une obligation de ne pas faire, celle de ne pas entraver
l’exercice du droit du titulaire sur sa chose. A ce propos, il a théorisé l’idée d’« obligation
passive universelle ». En vertu donc de cette thèse, les droits réels ne seraient qu’une variété
de droits personnels. Cette thèse n’a pas été jugée convaincante dans la mesure où on a pu
reprocher à PLANIOL de confondre l’objet du droit réel et l’opposabilité de ce droit aux
tiers. Cette opinion a été par la suite remise en cause par la thèse réaliste ou objective portée
par SALEILLES197.
La thèse de SALEILLES. L’école réaliste pose un postulat inverse à la thèse
personnaliste. Selon SALEILLES, tous les droits seraient réels en ce qu’ils portent soit sur la
valeur des choses soit sur la valeur de la prestation due par une personne à une autre
personne. Ainsi, le droit de créance comme le droit réel s’exerceraient sur un rapport
patrimonial considéré comme un bien. Un tel postulat d’analyse a pu néanmoins être
contesté. Le reproche formulé à l’encontre d’une telle thèse est d’ignorer que l’effet
énergique des droits réels déconsidère la solvabilité du débiteur alors que celle-ci reste une
donnée essentielle des droits de créance198.
Les thèses de GINOSSAR199et de ZENATI200. A l’instar de SALEILLES,
GINOSSAR et ZENATI considèrent que tous les droits sont des droits réels. Pour étayer ce
postulat, un raisonnement triple est proposé.
Premier temps du raisonnement : le droit de propriété ne serait plus un droit réel et
les droits réels démembrés seraient identiques aux droits de créance. Les auteurs sus-
évoqués commencent par proposer une nouvelle définition du droit de propriété. On connait
la théorie classique de la propriété qui relève l’hétérogénéité du droit de propriété en insistant
sur la constellation de prérogatives qu’il offre à son titulaire : l’usus, le fructus et l’abusus201.
Outre qu’elle élève le droit de propriété en étendard des droits subjectifs, son principal intérêt
est de favoriser la technique du démembrement (l’usufruit principalement). Une théorie

197
V. note de bas de page précédente.
198
V. la distinction entre droits réels et droits de créance tenant aux effets.
199
De prénom Shalev. Juriste, il a enseigné à l’Université de Jérusalem. Par ailleurs, il a été juge au district de
Tel Aviv.
200
De prénom Fréderic. Professeur à l’Université de Lyon, plusieurs ouvrages de droit en co-rédaction avec
Thierry REVET sont à mettre à son actif.
201
V. infra.
moderne existe aussi202. Attachée à l’œuvre de GINOSSAR203, celle-ci mettrait plutôt le droit
de propriété au-dessus des droits subjectifs : « celle-ci (la propriété) ne pouvant évidemment
être d’une même nature que son objet »204.
Deuxième temps du raisonnement : rapprochement entre les droits de créances et les
droits réels démembrés. Ceci passe par une forme d’extériorisation du droit subjectif de la
personne (intrinsèquement considéré comme un rapport entre deux personnes ou entre une
personne ou une chose) pour en faire un objet appropriable. Pour ce faire, GINOSSAR
considère que le droit de propriété peut avoir pour objet un droit subjectif. Au regard de ladite
thèse « les droits réels démembrés ne sont donc pas de même nature que le droit de
propriété, seul droit à porter directement sur une chose, mais de même nature que les droits
de créance »205. Les droits réels permettraient plutôt l’exploitation de certaines fonctions ou
utilités propres au bien. Pour ce faire, le propriétaire s’obligerait à l’égard du titulaire de ces
divers droits réels démembrés (usufruit, servitude, droit d’usage et d’habitation...) au même
titre que le débiteur à l’égard du créancier.
Troisième temps du raisonnement : l’appropriation d’un droit de créance est
possible. Ensuite, ils défendent l’opinion selon laquelle il est possible de détenir la propriété
d’un droit de créance. Selon eux, en étant titulaire d’un droit de créance, on en devient
équivalemment propriétaire. Ils considèrent que le droit de propriété ne matérialise pas le
pouvoir d’une personne sur un bien mais une relation d’appartenance par laquelle un bien
appartient à une personne. On peut dès lors être propriétaire d’une chose comme d’une
créance (on est propriétaire de ce droit personnel à l’égard d’autrui). Cela se matérialise par la
possibilité notamment reconnue au créancier de céder son droit.
A ces arguments théoriques de la réfutation d’une distinction entre droits réels et
droits de créance, se joignent des arguments pratiques.

2 - Argument pratiques

Les principaux arguments pratiques. On en recense principalement trois.

202
V. notamment pour les critiques, W. DROSS, « Une approche structurale de la propriété », RTD civ. 2012, p.
419 ss. ; G. LARDEUX, « Qu’est-ce que la propriété ? Réponse de la jurisprudence récente éclairée par
l’histoire », RTD civ. 2013, p. 741 ss.
203
V. S. GINOSSAR, Droit réel, propriété et créance : élaboration d'un système rationnel des droits
patrimoniaux, Paris, éd. LGDJ R. PICHON & R. DURAND-AUZIAS, 1960 ; F. ZENATI, Essai sur la nature
juridique de la propriété. Contribution à la théorie du droit subjectif, Université Lyon III, Thèse mult., 1981.
204
W. DROSS, Droit des biens, op. cit., p. 400, n° 490.
205
W. DROSS, ibidem.
Le droit de créance, préliminaire obligé du droit réel. Jadis, on acquerrait la
propriété en appréhendant spontanément des choses sans maître. Si ce mode originaire
d’acquisition de la propriété existe toujours, il faut néanmoins convenir qu’elle s’est
considérablement amenuisée. Dorénavant, l'acquisition d'un droit réel, la propriété
notamment, requiert en général sa transmission à une personne par une autre. Cette
transmission est souvent actée par un contrat qui on le sait reste le canevas de prédilection des
droits de créance206.
L’atténuation de la portée attachée aux effets respectifs des droits de créance et des
droits réels. On a coutume de considérer que le droit de créance, droit dit relatif, a pour objet
une prestation déterminée, exigible d'une seule personne, le débiteur tandis que le droit réel,
droit dit absolu, a pour objet une obligation interdisant à tous de troubler le titulaire du droit
dans l'exercice de celui-ci. Pour autant, de telles affirmations méritent tour à tour d’être
relativisées. Dans les droits de créance, si la prestation incombe seulement au débiteur, elle
s’impose néanmoins à tous en vertu du principe de l’opposabilité des conventions 207. Pour ce
qui est des droits réels, lorsqu’ils sont démembrés, ils mettent plus particulièrement en
rapport le titulaire du droit et le propriétaire de la chose sur laquelle s'exerce ce droit 208.
Rapprochement entre droits réels et droits de créance. Les exemples qui seront cités
ci-après ne sont pas exhaustifs pour rendre compte du rapprochement entre droits réels et
droits de créance. En effet, en fonction de certaines circonstances, il est difficile de les
distinguer.
Exemple 1. Lorsqu’un créancier chirographaire saisit le bien d’un débiteur insolvable,
sa situation se rapproche de celle d’un titulaire d’un droit réel lorsqu’il respecte les formalités
de publication du commandement aux fins de saisie (lorsqu’il s’agit d’un immeuble). Il en est
de même lorsque le créancier souscrit des sûretés réelles pour garantir sa créance.
Exemple 2. Certains droits personnels épousent une certaine réalité. Cela tend à les
confondre avec les droits réels. Il en est ainsi des droits de jouissance à l’instar du droit du
locataire commun, du droit du titulaire d’un bail commercial. Sur un autre registre, les
obligations réelles soulèvent une problématique identique.

206
V. les dispositions du COCC encadrant les contrats translatifs de propriété (Livre 1 er Partie II du COCC,
articles 262 et s.).
207
Exemple : La tierce complicité ou la responsabilité pour faute d'un tiers peut être engagée lorsqu'il a participé
avec le débiteur à la violation d'une obligation contractuelle de celui-ci.
208
Exemple : la convention qui lie l’usufruitier et le propriétaire de la chose.
Section IV : Les créations intellectuelles ou la catégorie sui generis

Importance contemporaine des créations intellectuelles. Ces droits sont des œuvres
de l’esprit. Ils connaissent un développement croissant en raison des TIC 209. On distingue en
leur sein les propriétés littéraires et artistiques de celles industrielles.
Propriétés littéraires et artistiques. Elles expriment souvent la personnalité de leur
auteur dans le domaine de l’art pris dans un sens général et de la littérature 210. Elles confèrent
souvent à la personne créatrice un droit d’auteur. Pour bénéficier d’une protection, l’œuvre
doit juste être créée et être originale.
Propriétés industrielles. Quant aux propriétés industrielles, elles sont également des
œuvres de l’esprit dans le domaine de la science, de l’industrie et du commerce toutes
encadrées directement par le Traité instituant l’OAPI 211. Un dépôt ou un enregistrement est en
général exigé en sus de la nouveauté.
Droit de la propriété intellectuelle comme le droit spécial des biens applicable aux
créations intellectuelles. Les problématiques attenantes à ces créations intellectuelles sont
généralement appréhendées par une discipline spécialisée du droit des biens, le droit de la
propriété intellectuelle.
Les créations intellectuelles, une catégorie mixte. Il existe des biens qui ne sont
classables ni dans les biens patrimoniaux, ni dans ceux extrapatrimoniaux encore moins dans
les droits réels et personnels. Il s’agit des créations intellectuelles.
Difficulté à classer les créations intellectuelles dans la catégorie des droits réels et
des droits personnels. Pour se limiter à l’exemple du droit d’auteur, il n’est ni vraiment un
droit réel, car il comporte un droit moral dépourvu de toute corporalité, ni vraiment un droit
personnel, car aucune prestation n’est exigée d’autrui pour attester de l’existence du droit.

209
V. A.-A. DIOUF, « Essai sur le régime juridique des noms de domaine », Orléans, Thèse mult., 2009.
210
Elles sont encadrées par la loi n°2008-09 du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins et
son décret d’application n° 2015-682 du 26 mai 2015, JORS n° 6855 du samedi 13 juin 2015. Cette loi
transpose au Sénégal l’Annexe VII de l’Accord portant révision de l’Accord de Bangui du 2 mars 1977
instituant une Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle ; v. F. SIIRIAINEN, « L’harmonisation du
droit de la propriété littéraire et artistique au sein de l’OAPI : regard extérieur d’un juriste français », Revue de
l’ERSUMA : Droit des affaires - Pratique Professionnelle, N° 1 - Juin 2012, Études, p. 252 ss. ; L.-Y.
NGOMBE, « À propos de la supranationalité de la législation de l’organisation africaine de la propriété
intellectuelle (OAPI) sur le droit d’auteur », R.D.P.I., 2005, p. 8 ss. ; du même auteur, « Le droit d’auteur dans
les États membres de l’Organisation Africaine de le Propriété Intellectuelle (OAPI) : une harmonisation
inachevée? », e.Bulletin du droit d’auteur, janvier-mars 2005, p. 1 ss.
211
V. Brevets d’invention (Annexe I), Modèles d’utilité (Annexe II), Marques de produits et services (Annexe
III), Dessins et modèles industriels (Annexe IV), Noms commerciaux (Annexe V), Indications géographiques
(Annexe VI), Protection contre la concurrence déloyale (Annexe VIII), Schémas de configuration des circuits
intégrés (Annexe IX) et Protection des obtentions végétales (Annexe X).
Difficulté à classer les créations intellectuelles dans la catégorie des biens
patrimoniaux ou extrapatrimoniaux. L’importance des créations intellectuelles fonde
aujourd’hui la percée de la distinction entre les biens corporels et ceux incorporels ou entre
les propriétés corporelles et incorporelles qui tend même à s’imposer en droit positif comme
la classification la plus en vue. Pour autant, si les droits de la propriété intellectuelle
retiennent notre attention dans ces développements, c’est pour mettre en lumière la relativité
du critère de la patrimonialité. Les créations intellectuelles présentent en effet la spécificité
d’être conjointement patrimoniales et extrapatrimoniales. Pour ce faire, limitons la
démonstration par exemple au droit d’auteur.
Illustrations à partir du droit d’auteur. Le droit d’auteur donne à son titulaire un droit
de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous 212. Pour autant, il a un contenu
bicéphale qui amène à distinguer le droit moral qu’il comporte, au caractère extrapatrimonial
prononcé, du droit d’exploitation qui a un caractère patrimonial.
Manifestations du caractère patrimonial du droit d’auteur. Le droit d’auteur
comporte un droit d’exploitation213. Le droit d’exploitation a une valeur vénale incontestable.
Dès lors, il est cessible entre vifs214 et transmissible à cause de mort215. Ce droit est néanmoins
temporaire216.
Manifestations du caractère extrapatrimonial du droit d’auteur. L’extra-
patrimonialité du droit d’auteur prend appui sur le droit moral qu’il comporte 217. Bien qu’il
212
Article 1er de la loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 préc. Cette propriété incorporelle existe indépendamment
de la propriété corporelle qui en constitue le support en général, qu’il s’agisse d’un ouvrage, d’un disque, d’une
cassette…A ce propos, l’article 4 de la même loi marque la lisière entre la propriété corporelle, support de la
propriété incorporelle et celle-ci. Elle dispose :
« 1. La propriété incorporelle définie par l'article 1er est indépendante de la propriété de l'objet matériel.
2. Le propriétaire de cet objet n'est investi, du fait de cette propriété, d'aucun des droits prévus par la présente
loi.
3. Symétriquement, le titulaire du droit d’auteur n’est investi, du fait de cette titularité, d’aucun droit de
propriété sur cet objet.
4. Le titulaire du droit d’auteur peut être autorisé par le tribunal, aux conditions que celui-ci détermine, à
accéder à l’objet matériel dans la mesure nécessaire à l’exercice de ses droits ».
213
En vertu de l’article 33 de la loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 préc., ce droit d’exploitation comprend le
droit de communication au public, le droit de reproduction, le droit de distribution et le droit de location.
Certaines œuvres littéraires ou artistiques, outre ce droit d’exploitation, font bénéficier aux héritiers de l’auteur,
un droit de suite. L’article 47 de la loi préc. cite comme exemple les œuvres graphiques, les œuvres plastiques,
et les manuscrits d’originaux. Il consiste dans le prélèvement d’un pourcentage de 5% du prix de vente au profit
de l’auteur (article 48 de la même loi).
214
Article 60 de la loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 préc. : « Le droit d’exploitation est cessible en totalité ou
en partie selon les règles édictées ci-après ».
215
Article 57 de la loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 préc. : « Le droit moral et les droits patrimoniaux sont
transmissibles aux héritiers et légataires de l’auteur selon les règles du droit commun successoral ».
216
Article 51 de la loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 préc. : « Les droits patrimoniaux d'auteur durent
pendant toute la vie de l'auteur et pendant les soixante-dix années suivant son décès ».
217
Ce droit moral a des manifestations plurielles qu’il s’agisse du droit de divulgation, du droit de repentir, du
droit de paternité, du droit au respect de l’œuvre…
soit transmissible à cause de mort218, ce droit moral est considéré comme un droit de la
personnalité, attaché donc à la personne de l’auteur 219. Ainsi, à supposer que le droit
d’exploitation fasse l’objet d’une cession, les droits du cessionnaire continueront à subir
certaines limites inhérentes au droit moral de l’auteur cédant. La raison procède du monopole
d’exploitation que le droit moral institue au profit de l’auteur. Pour preuve, le droit moral est
inaliénable220 et imprescriptible221.

L’étude de la classification des biens présente un intérêt théorique indéniable. Ses


intérêts pratiques restent toutefois plus pénétrants lorsqu’ils sont appréhendés à partir de la
relation entre les personnes et les biens. L’un des liens de droit qui magnifie le plus cette
relation reste la propriété.

Chapitre II : La propriété
La propriété, l’institution étendard de la théorie générale du droit des biens. La
propriété constitue une institution phare du droit privé. CARBONNIER, considéré comme le
civiliste français le plus influent de l’époque contemporaine, la considère comme l’un des
trois piliers du droit à côté de la famille et des contrats 222. Ainsi, la propriété reste au cœur des
problématiques les plus essentielles du droit des biens. Elle est au droit des biens ce que le
mariage est au droit de la famille ou ce que la vente est au droit des contrats. A ce titre,
plusieurs questions du droit des biens sont appréhendées à l’aune du droit de propriété
présenté comme le droit réel de prédilection.
Encadrement du droit de propriété et droit positif sénégalais. Conformément à ce
qui a été précisé dans l’introduction de ce cours pour présenter les sources du droit des
biens223, on cherchera vainement en droit sénégalais des fondements législatifs pour réaliser
une étude systémique de la propriété en dépit de l’existence dans le corpus sénégalais d’une
loi sur la copropriété. Pour rappel, le droit des biens reste une discipline à ne pas avoir fait
l’objet d’une codification. La réforme récente du régime de la propriété foncière s’est gardée
de bonifier le droit positif sénégalais d’un encadrement du droit de propriété. Pour l’essentiel,
218
Article 27 de la loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 préc. : « 2. Toutefois, le droit moral est transmissible à
cause de mort selon les règles édictées au titre VII de la première partie de la présente loi ».
219
Article 27 de la loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 préc. : « 1. Le droit moral, qui est l’expression du lien
entre l’œuvre et son auteur, est attaché à la personne de celui-ci ».
220
Article 27 de la loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 préc. : « 3. Le droit moral est inaliénable et subsiste
même après la cession des droits patrimoniaux. Il ne peut être l’objet d’une renonciation anticipée ».
221
Article 27 de la loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 préc. : « 4. Le droit moral est perpétuel ».
222
V. J. CARBONNIER, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 10ème éd., 2014, pp.
345-290.
223
V. supra.
le législateur a opéré un renvoi implicite aux notion et régime courants du droit français 224.
Les textes législatifs antérieurement entrés en vigueur étaient également dans ce sillage 225.
Nonobstant des réformes en cours d’adoption en matière foncière 226, la codification
d’ensemble du droit des biens ne semble point être d’actualité. Pour autant, une telle
approche semble dépourvue de pertinence. En plus d’encourager un émiettement des sources
du droit des biens par des interventions désorganisées et plurisectorielles du législateur, elle
décourage toute étude systémique du droit des biens. Pour pallier cette carence, les juristes
sénégalais font avec une solution d’infortune consistant à se référer au Code civil. Ce qui en
fait une source de référence pour l’étude du droit de propriété en droit sénégalais227.
Référence au droit français Le Code civil consacre à la propriété de nombreuses
dispositions dans son Livre II intitulé Des biens et des différentes modifications de la
propriété ainsi que son Livre III intitulé Des différentes manières dont on acquiert la
propriété. Cette règlementation a résisté au temps puisque les dispositions relatives au droit
de propriété sont restées pour l’essentiel inchangées depuis le Code Napoléon. La réforme
récente du Code civil228 a par ailleurs épargné la réglementation de la propriété en dépit de
l’existence d’un avant-projet de réforme du droit des biens dont l’étude et ses discussions
sont placées sous la direction du Professeur Hugues PERINET-MARQUET229.

224
V. Loi de 2011 préc.
225
Code de la famille (exemples non exhaustifs).
Article 132 alinéa 2 (en matière de dot) : « Elle (la dot) est propriété exclusive de la femme qui en a la libre
disposition ». (C’est nous soulignons).
Article 164 alinéa 4 (en matière de divorce) : « Pendant ce délai calculé à compter de l’accomplissement de la
dernière en date de ces formalités, l’accord n’est pas opposable aux créanciers de l’époux commerçant qui
exercent leurs poursuites sur les biens meubles qu’ils estiment lui appartenir, à charge par eux de faire la preuve
du droit de propriété de leur débiteur devant le juge chargé des poursuites (…) ». (C’est nous qui soulignons).
Article 381 alinéa 1er (en matière de régimes matrimoniaux) : « Tant à l’égard de son conjoint que des tiers, un
époux peut prouver qu’il a la propriété d’un bien par tous moyens, sous réserve des dispositions spéciales aux
immeubles immatriculés ». (C’est nous qui soulignons).
Article 382 (en matière de régimes matrimoniaux) : « En l’absence de preuve de la propriété exclusive d’un
bien, celui-ci appartiendra indivisément aux époux, à chacun pour moitié, et sera partagé entre eux ou leurs
ayants cause, à la dissolution du régime matrimonial ». (C’est nous qui soulignons).
Article 647 (en matière de successions) : « De la masse des biens constituée ainsi qu’il est dit à l’article 507, il
est distrait notamment dans l’ordre suivant :
1°) Les biens dont le défunt n’était pas propriétaire et qu’il détenait en qualité de dépositaire, de créancier
gagiste ou à tout autre titre, ceux dont le défunt avait la propriété mais qui, de son vivant, s’étaient trouvés
grevés de droit réels au profit de tierces personnes (…) ». (C’est nous qui soulignons)
Article 655 : « La donation entre vifs est un contrat par lequel le donateur transfère à titre gratuit, au donataire
qui l’accepte, la propriété ou l’usufruit d’un bien ». (C’est nous qui soulignons).
226
V. les travaux en cours de la Commission Nationale de Réforme. Cette commission a été créée par le
décret n° 2012-1419 du 6 décembre 2012 du Président de la République.
227
V. F. ZEITOUN, Le droit immobilier au Sénégal, Préface de Mamadou BADJI, L’Harmattan 2015, pp. 80-
81.
228
Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général
et de la preuve des obligations, JORF n° 0035 du 11 février 2016, texte n° 26.
229
V. http://www.henricapitant.org/node/70. Dernière consultation, le 17-07-2016, 11h 00.
Avant de s’imprégner des différents mécanismes d’acquisition de la propriété sans
qu’il s’agisse pour autant de se référer aux successions, libéralités et contrats visés par le
Livre III précité230 (Section II), il n’est pas inintéressant au préalable de présenter ses
éléments notionnels (Section I).

Section I : La notion de propriété

Pluralités d’approches pour définir la propriété. Différentes approches


concurrentes peuvent être conciliées pour saisir la notion de propriété. Si une définition
positive de la propriété peut être avancée, on ne s’en contentera pas pour autant. En effet,
l’étude des réalités complexes entourant ladite notion ne peut être épuisée totalement par une
définition de la propriété limitée à sa signification conceptuelle. Au demeurant la définition
de la propriété est le fruit d’une longue évolution historique 231. Pour autant, cette approche
n’est pas exclusive d’autres. Ainsi, la notion de propriété peut tout aussi être précisée à partir
soit de ses différentes composantes (§I), soit de ses caractères (§ II) soit de son étendue (III).

§ I : Les composantes du droit de propriété

Inventaire des attributs ou composantes du droit de propriété : le fameux


triptyque usus, fructus, abusus. Avec la sacralisation contemporaine des droits subjectifs,
on voit essentiellement dans la propriété les prérogatives qu’elle procure à l’homme. A la
lecture de l’article 544 du Code civil, ces prérogatives sont au nombre de deux ; il s’agit de la
jouissance (droit de jouir de la chose appropriée) et de la disposition (droit de disposer de la
chose appropriée). Sans avoir été visée de façon expresse par le législateur, une troisième
utilité, consubstantielle à la jouissance de la chose, peut s’ajouter aux attributs énoncés par
l’article 544 du Code civil. Il s’agit de l’usage de la chose. Si l’interprétation proposée de
l’article 544 précité semble établir une corrélation entre la jouissance et le fructus, une telle
assimilation tirant prétexte de la définition de la jouissance qui insiste sur l’idée de s’en
arroger un bénéfice, un avantage matériel, une satisfaction de la chose, il aurait été plus
logique cependant de lier la jouissance à l’usus. D’abord, l’idée de jouir n’exclut pas
irrémédiablement celle d’user de la chose, l’usage de celle-ci résultant nécessairement de sa
possession (on use de la chose parce qu’on la possède matériellement) 232. Par ailleurs, le

230
En vérité, c’est l’acquisition des droits et non seulement de la propriété qui demeure l’objet de ce Livre ; en
ce sens, F. TERRE & Ph. SIMLER, ouvr. préc., n° 75.
231
V. supra.
232
Jouir : avoir la possession d’un bien, Larousse, v° Jouir.
propriétaire peut profiter des fruits de la chose à la condition qu’elle en produise, ce qui n’est
pas toujours garanti. Le fructus, contrairement à l’usus, est un attribut que n’offrent guère
toutes les choses233.
Cette précision faite, l’ « équation fameuse »234 est reconstituée : usus (droit d’user de
la chose) + fructus (droit de jouir de la chose) + abusus (droit de disposer de la chose) =
DROIT DE PROPRIETE (droit subjectif de prédilection). Chaque composante du droit de
propriété mérite d’être présentée tour à tour.

A – L’usage de la chose (l’usus ou le droit d’en user)

Constellations de prérogatives et de limites. A l’instar de toutes les composantes,


l’usus confère au propriétaire des prérogatives (1). Cependant, cet attribut du droit de
propriété connait des limites croissantes (2).

1 – Les prérogatives fondant l’usus

Dédoublement du sens de l’usus. Qu’il porte sur un meuble ou un immeuble, le droit


de propriété confère à son titulaire la prérogative d’en user. Même si on insiste souvent sur
cette déclinaison qu’il faut considérer comme positive, l’usus admet aussi une déclinaison
négative. Il implique également pour le titulaire du droit de propriété la prérogative de ne pas
user de sa chose.
Déclinaison positive de l’usus. Toute chose, pour être considérée comme un bien,
comporte en principe une valeur d’échange et surtout une valeur d’usage 235. L’usage est le
premier avantage que procure la chose à la personne qui en est propriétaire. Il permet au
propriétaire de se servir de sa chose, de modifier sa structure mais également de déterminer la
manière dont il compte l’utiliser. En vérité, une telle assertion doit être doublement limitée.
Les biens consomptibles ne comportent pas d’usus. Certaines choses sont dépourvues
d’une valeur d’usage en ce sens que l’usus se confond avec l’abusus. C’est la caractéristique
principale des biens consomptibles236. A y regarder de près pourtant, l’usus existe bel et bien
en tant qu’attribut. Il reste toutefois insignifiant pour de tels biens car, au même titre que
l’abusus, il disparaît dès la première utilisation. Ces biens ne procurent pas à leur propriétaire

233
Il n’est pas dans l’ordre naturel des choses que les biens puissent tous procurer des fruits ; v. supra.
234
W. DROSS, « Une approche structurale de la propriété » préc., n° 2.
235
En ce sens, W. DROSS, op. cit., n° 7.
236
V. supra.
une valeur d’usage appréciable car ils sont rebelles à toute utilisation répétée, l’usage ne
survivant pas en général à leur disposition.
Les propriétés incorporelles itou. Les propriétés incorporelles comportent la faiblesse
identique d’être réfractaire à toute possibilité d’une dissociation nette du triptyque d’attributs
qu’est censé conférer le droit de propriété à son titulaire. L’article 544 du Code civil n’a pas
été rédigé en contemplation desdites propriétés dont l’utilité pratique est couramment relevée
dans les analyses contemporaines s’intéressant au droit des biens. On peut comprendre alors
que les prérogatives qu’il décline aient du mal à s’appliquer aux propriétés incorporelles qui
sont dépourvues de corpus quoiqu’on veuille bien les considérer, par l’emploi d’une figure
oxymorique, comme des choses « incorporelles ».
Déclinaison négative de l’usus. Corrélativement à la possibilité d’user de la chose,
existe pour son propriétaire le pouvoir de ne pas l’utiliser et d’en interdire l’utilisation à
autrui. Cette déclinaison de l’usus est si évidente qu’elle est souvent passée sous silence.
Pourtant, la jurisprudence française a récemment mis en éclat tout l’intérêt et toute l’étendue
de la problématique qu’elle soulève. Elle l’a fait à l’occasion d’une série contentieuse qui
avait pour objet le droit à l’image sur un bien, le pendant serait-on tenté de dire du droit à
l’image reconnu à la personne. Ce feuilleton jurisprudentiel est souvent étudié en parallèle du
fructus et du caractère exclusif du droit de propriété, thématiques auxquelles il est non moins
lié237.

2 – Les limites à l’usus

Limites à l’usage ou au non usage de la chose. Comme tout droit subjectif, le droit
de propriété a comme limite l’ordre public et l’intérêt général. Dans ces considérations
finales, l’article 544 du Code civil le rappelle du reste : « (…) pourvu qu’on en fasse pas (du
droit de jouir ou de disposer) un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Envisagé
comme une composante du droit de propriété, l’usus, au même titre que le fructus et l’abusus,
doivent se concilier avec les limites qu’impose la loi ou les règlements.

a – Les limites à la déclinaison positive de l’usus

Variétés des limites. Elles interdisent l’usage de la chose de façon absolue.


L’absolutisme du droit de propriété ne rime pas alors avec l’exercice de pouvoirs illimités sur

237
V. infra.
la chose. Des limites croissantes aux causes diverses sont de nos jours apportées au pouvoir
du propriétaire.
L’abus des droits. Le propriétaire d’un fonds, sous prétexte de l’usus, ne peut nuire à
autrui en abusant de son droit de propriété. En dépassant les limites objectives des droits qui
lui sont conférés, il commettrait une faute susceptible d’engager sa responsabilité sur le
fondement de l’article 118 du COCC238. L’article 122 du COCC incline en ce sens. Il
dispose : « Commet une faute par abus de droit celui qui use de son droit dans la seule
intention de nuire à autrui, ou qui en fait un usage contraire à sa destination ».
Quadruple conditions. Appliqué au droit de propriété, quatre conditions qui
transparaissent dans l’article sus-évoqué permettent d’engager la responsabilité du
propriétaire sur le fondement de l’abus de droit. L’exercice de son droit doit causer un
dommage à un voisin. Ces deux conditions sont nécessaires mais insuffisantes dans la mesure
où aucune faute ne peut procéder de l’usage que l’on fait de son bien même si cela engendre
un dommage à autrui. Il faut en outre que le propriétaire du fonds ait eu l’intention de nuire
son voisin. Cette condition traduit la malveillance du propriétaire du fonds. Une telle preuve
corrobore le caractère fautif de l’usage en sus du défaut d’intérêt sérieux et légitime de l’acte
à l’origine du dommage. Cette dernière condition réalise le détournement de finalité du droit
de propriété. Pour autant, malgré des jurisprudences tonitruantes et célèbres 239, les décisions
judiciaires qui se fondent sur la théorie de l’abus des droits sont rares en partie à cause de la
place occupée par les troubles anormaux du voisinage, au régime juridique plus clément, dans
les rapports de voisinage.
Les troubles anormaux du voisinage. Avoir des voisins en Afrique en général et au
Sénégal est souvent considéré comme une bénédiction tant et si bien que les pratiques
cultuelles et culturelles prodiguent de cultiver les rapports de bon voisinage. Il n’en est pas
ainsi de toute société. Au Sénégal, se fait jour de façon progressive une perception différente
des rapports de voisinage avec surtout la mutation des formes d’habitat. Avec le
développement du marché de la location d’immeubles, la construction en hauteur (division
des fonds de terre en lots d’appartements) et l’alternative qu’offre la copropriété face aux
difficultés d’acquérir un patrimoine immobilier dans les zones urbaines au Sénégal, l’absence
de décentrement des activités industrielles et économiques, les rapports de voisinage
238
« Est responsable celui qui par sa faute cause un dommage à autrui ».
239
Colmar, 2 mai 1855, aff. DOERR, D. 1965, n° 2, p. 9 (sanction du voisin qui construit sur son toit une fausse
cheminée, en face et presque contre la fenêtre de son voisin, lui enlevant la quasi-totalité du jour) ; Civ. 3 août
1915, aff. CLEMENT BAYARD, GAJC arrêt n°62 ; D. 1917, 1, 79 ; S. 1920, I, p. 300 (sanction du voisin qui a
érigé dans la cour de sa propriété des piquets de bois uniquement dans le but de crever les ballons gonflables de
son voisin qui survolaient son fonds).
deviennent de plus en plus conflictuels. Dans les rapports avec le droit des biens et
particulièrement le droit de jouissance du propriétaire, les rapports de voisinage sont le lit de
nombreux troubles appréhendés comme des limites potentielles au droit d’user de sa chose.
Procédant d’une activité licite et potentiellement utile au propriétaire du fonds, celle-ci
pouvait résolument être considérée comme gênante ou excessive par ses voisins en l’absence
de tout abus dans l’utilisation du fonds. Concrètement, les troubles du voisinage empêchent le
propriétaire du fonds qui en est victime de tirer le maximum de profit des utilités de celui-ci.
Cela ne pouvait que justifier l’attention progressive du législateur voire des juges sur ces
troubles sonores ou pollutions occasionnées par les rapports de voisinage.
TAV et droit sénégalais. Le droit sénégalais ne comporte pas un arsenal détaillé qui
encadre les TAV. Il n’empêche que le Code de la construction offre un fondement textuel
pour punir certains troubles particuliers du voisinage. En effet, l’article L 51 dudit Code
dispose : « Les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des
activités agricoles, industrielles, artisanales ou commerciales, n'entraînent pas droit à
réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été
demandé ou l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail établi postérieurement
à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s'exercent en conformité
avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies
dans les mêmes conditions ». On l’aura compris, cet article vise des cas particuliers de
nuisances résultant d’activités économiques réalisées dans le voisinage proche. Il reste
silencieux sur ceux plus fréquemment notés et qui proviennent des activités domestiques
entre voisins. Pour autant, l’article L 51 précité présente une importance certaine. Cependant,
sa portée peut difficilement être saisie en faisant fi du droit français qu’il semble codifier à
cette occasion240, les faits justificatifs en rapport notamment avec les TAV.
Théorie des troubles anormaux de voisinage et jurisprudence française. En France,
c’est de la jurisprudence qu’a procédée la théorie des troubles anormaux de voisinage pour
mettre hors du champ de la responsabilité du propriétaire, ceux considérés comme normaux.
Cette immixtion du principe de responsabilité en droit des biens visait à sanctionner le
dommage que subissait un propriétaire du fait des nuisances occasionnées par le voisinage et
qui s’analysait en une perte ou une diminution partielle des utilités qu’offrait le fonds de
terre.

240
Cet article est du reste identique à tout point de vue à l’article L112-16 du Code français de construction et de
l’habitation.
Fondement autonome de responsabilité des TAV. Originellement, les troubles du
voisinage ont pu être appréhendés au détour de la théorie de l’abus de droit justifié par
l’utilisation des utilités de la propriété aux fins uniquement de nuire à autrui. Le parti pris a
été très tôt de la dissocier du principe de responsabilité fondé sur la faute pour le faire
dépendre d’un principe général du droit : « Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de
voisinage »241.
Diversité des facteurs du trouble. Déconsidérant tout fait fautif, plusieurs
circonstances peuvent attester alors de l’existence de TAV : bruits, odeurs, fumées, perte
d’ensoleillement242, perte de valeur considérable de l’immeuble, pollutions sonores ou
olfactives dues à une exploitation, chants ou cris intempestifs d’animaux domestiques (coqs,
chiens, moutons, chèvres…). Le cas échéant, le propriétaire du fonds demeure responsable de
plein droit des troubles anormaux du voisinage, l’anormalité étant appréciée de manière
souveraine par les juges du fond en tenant compte de la fréquence des nuisances, de leur
durabilité, de leur gravité et de leur caractère inhabituel en tenant compte notamment des
circonstances de lieu et du moment de la révélation du trouble.
La préoccupation, fait justificatif des TAV. La seule limite échafaudée par la
jurisprudence demeure l’hypothèse de la préoccupation lorsque l’anormalité du trouble
allégué est antérieure à l’établissement de la victime dans le voisinage et qu’elle reste
conforme aux lois et règlements en vigueur243. Cette limite donne un peu de répit à la
présomption de responsabilité du propriétaire mais semble davantage adaptée aux troubles du
voisinage occasionnés par la réalisation d’activités économiques dans le fonds à l’origine des
nuisances. L’idée qui lui est sous-jacente consiste à présumer le cas échéant que le voisin
plaignant ne pouvait ignorer l’existence d’un tel trouble au moment d’occuper les lieux. Une
telle limitation de responsabilité semble être le prétexte de l’article L 51 du Code sénégalais
de construction précité. En revanche, pour ce qui est des troubles du voisinage réalisés dans
le cadre des activités domestiques, la jurisprudence restera la principale source de
détermination du seuil de sanctionnabilité des nuisances occasionnées.
Sanction des TAV. Les TAV engagent la responsabilité de plein droit du voisin auteur
des nuisances. La réparation peut être de deux ordres. La nature des TAV donnerait une

241
Civ. 2ème, 19 novembre 1986, Bull. civ. II n°172.
242
Civ. 3ème, 14 janvier 2004, Bull. civ. III n°9 ; D. 2004, juris. p. 2410, obs. B. MALLET-BRICOUT (Une
perte d’ensoleillement notable engendrant une diminution de la valeur du bien d’environ 25% est un trouble
grave).
243
Civ. 3ème, 27 avril 2000, Bull. civ. III n°92 (les nuisances provoquées par une scierie qui était déjà en activité
lorsque les nouveaux propriétaires se sont installés à proximité ne constituent pas un trouble anormal de
voisinage).
certaine préséance à la réparation en nature. Celle-ci postulerait de privilégier la cessation du
trouble. Cette sanction reste cependant marginale dans l’hypothèse où les nuisances
résulteraient de l’usage d’un fonds aux fins d’activités économiques ou industrielles dans la
mesure où le défendeur aura souvent requis des autorisations en bonne et due forme. Dans
tous les cas où la persistance du trouble est inévitable, la réparation par équivalent offrira une
alternative crédible par l’allocation de dommages et intérêts aux victimes.
Approche dynamique dans la détermination du responsable : conception large du
voisinage. Le dommage sanctionné sur le fondement des TAV est lié à la jouissance de
l’immeuble d’où l’extension de la responsabilité du propriétaire en tant qu’auteur du trouble à
toutes les hypothèses où il n’occupe pas personnellement la propriété lorsque le trouble est
notamment l’œuvre d’un locataire, d’un entrepreneur réalisant des travaux, d’un squatteur…
Progressivement le rapport de contiguïté du voisinage a été dépassé pour laisser place à celle
de proximité. De façon symétrique, la qualité du voisin victime du trouble restait indifférente,
qu’il fût propriétaire, locataire ou occupant à titre précaire de l’immeuble.
Les servitudes légales d’utilité publique. Appelées également servitudes
administratives, elles visent la propriété immobilière et matérialisent souvent une atteinte au
droit d’user de sa chose. Faussement considérées comme des servitudes en l’absence de fonds
dominants, elles constituent davantage des restrictions légales à l’emploi de toutes les utilités
procurées par la chose.
Illustrations en droit sénégalais. Le droit positif sénégalais comporte des exemples
les plus variés mis en éclat à titre principal par le Code de l’urbanisme : l’impossibilité de
construire son fonds en raison d’une suspension temporaire de la délivrance des permis de
construire dans certaines zones, interdiction de bâtir sur la surface globale de la propriété en
raison de limites minimales ou maximales imposées (les coefficients d’occupation du sol),
spécification de la destination des immeubles sans possibilité pour les propriétaires de la
changer, interdictions totales ou partielles de construire sur des zones « non aedificandi » ou
réservées244. Les servitudes d’utilité publique peuvent viser en outre des interdictions de
construire en raison de l’existence de servitudes aéronautiques, radioélectriques ou
phoniques245.
Versement exceptionnel d’indemnités en présence de servitudes d’utilité publique.
Les servitudes d’utilité publique n’ouvrent exceptionnellement droit à des indemnités que si

244
V. plus en détail l’article 11 du Code de l’urbanisme.
245
V. Article R218 du Code de l’urbanisme.
elles ont modifié l’état antérieur des lieux duquel procède un préjudice actuel, direct, certain,
matériel à l’encontre du propriétaire du fonds qu’elles grèvent246.
Les servitudes légales de voisinage. La servitude se définit comme une charge
imposée à un fonds (fonds servant) au bénéfice d’un autre fonds (fonds dominant). Les
servitudes de voisinage constituent des servitudes d’utilité privée dans la mesure où elles
visent à rendre paisible la cohabitation entre propriétaires dans un même voisinage.
Contrairement aux servitudes d’utilité publique, elles profitent donc au voisinage proche et
non à l’intérêt général. Le Code sénégalais de la construction aménage un certain nombre de
servitudes légales de voisinage. Pour l’essentiel, cet aménagement instaure des servitudes de
vue qui peuvent s’interpréter en une limite à la déclinaison positive de l’usus dès lors qu’elles
interdisent à un voisin d’utiliser sa propriété de la manière qui lui sied. Ainsi, il est par
exemple interdit aux voisins de construire des fenêtres sur des murs non mitoyens qui
permettent la vue sur la propriété d’autrui. S’il lui est loisible de pratiquer des jours et
ouvertures sur un tel mur247, cette prérogative demeure toutefois encadrée de façon
drastique248.

b – Les limites à la déclinaison négative de l’usus

Limites à la déclinaison négative de l’usus. Le droit de ne pas user de sa chose ou


d’en interdire l’usage à autrui peut également connaitre des restrictions.
Les réquisitions. Pour rappel, la déclinaison négative de l’usus s’entend de la
possibilité donnée au propriétaire de ne pas user de son bien et d’interdire à autrui d’en user
en l’absence même d’utilisation de sa part. Les réquisitions contreviennent à une telle
déclinaison de l’usus.
Origines militaires, expressions civiles contemporaines des réquisitions.
Originellement, elles avaient une destination militaire et bénéficiaient essentiellement à
l’armée dans les circonstances de guerre. Elles arpentent de nos jours une nature civile dès
246
Article 13 du Code de l’urbanisme : « Les servitudes et obligations établies en application des articles
précédents peuvent donner lieu à une indemnité s’il résulte de ces servitudes et obligations une modification de
l’état antérieur des lieux déterminant un préjudice actuel, direct, matériel et certain. Les conditions et montants
de ces indemnités sont précisés dans la partie réglementaire du Code ».
247
Article L48 alinéa 1er du Code de construction : « Le propriétaire d'un mur non mitoyen joignant
immédiatement l’immeuble d'autrui peut pratiquer dans ce mur des jours ou ouvertures telles que claustras ou
impostes à fer maillé et à verre dormant ».
248
Article L48 alinéa 2 du Code de construction : « Ces ouvertures doivent être garnies d'un treillis de fer dont
les mailles auront un décimètre d'ouverture au plus et d'un châssis à verre dormant ».
Article L49 du Code de construction : « Les ouvertures telles que claustras, impostes ou jours prévus aux
articles L 48 ne peuvent être aménagées qu'à deux mètres dix au-dessus du plancher ou du sol de la chambre à
éclairer, si c'est à rez-de-chaussée, et à un mètre quatre vingt dix au-dessus du plancher, pour les étages
supérieurs ».
l’instant qu’elles permettent la mise à disposition de meubles ou d’immeubles non utilisés ou
faiblement utilisés par leurs propriétaires à des personnes tierces. Le Sénégal n’offre pas
d’illustrations patentes d’une pratique des réquisitions civiles quoique à l’occasion
d’inondations antérieures survenues dans certaines zones, les autorités avaient eu à
réquisitionner certains espaces publics tels que les écoles, les foyers culturels pour abriter les
victimes de telles intempéries. De telles réquisitions visaient alors le cas échéant des biens
publics. Rien n’empêche cependant de les élargir aux biens privés quand certaines
circonstances le requièrent (situations de pénurie, de catastrophe…).
Réquisitions civiles en droit français. En France, les autorités ont souvent recours à
des réquisitions civiles en matière de locaux à usage d’habitation pour assurer l’hébergement
des exclus sociaux c'est-à-dire des personnes expulsées de leurs appartements pour défaut de
paiement des loyers et qui risquent de se retrouver à la rue. Ainsi, les services sociaux
peuvent réquisitionner au profit de celles-ci des immeubles répondant aux caractères sus-
évoqués pour une durée déterminée (5 ans en général) moyennant le paiement d’une
indemnité d’occupation allouée aux propriétaires. En cas de non-paiement du montant
convenu, la dette échoira aux autorités publiques (préfet) qui subrogent dans les droits du
bénéficiaire. En contrepartie, l’exclu social bénéficiera d’un titre d’occupation précaire et
personnelle.
Rapport entre les réquisitions civiles et l’usus. En cas de réquisitions, les
propriétaires dans l’exemple précité ne perdent l’usage de leur chose que de façon
momentanée moyennant le versement d’une indemnité d’occupation qui n’est pas remise de
façon préalable. Ceci les distingue de l’expropriation pour cause d’utilité publique 249. Elles se
distinguent également des confiscations qui n’ouvrent droit à aucune restitution250.
Les servitudes légales d’utilité privée. Les servitudes légales d’utilité privée
appelées également servitudes civiles organisent pour l’essentiel les rapports de voisinage.
Elles procèdent de la loi et visent exclusivement les immeubles détenus par les personnes
privées, plus exactement les fonds de terre. Malgré l’absence d’un Code de droit des biens au
Sénégal, on retrouve en droit positif sénégalais de nombreuses servitudes de voisinage
aménagées par le législateur.
Servitudes de voisinage et Code de l’eau. Le Code sénégalais de l’eau (Loi n° 81-13
du 4 mars 1981) a fait une immersion poussée dans l’aménagement de servitudes en rapport
avec son objet. Ses articles 82 à 88 prévoient un encadrement mesuré d’un certain nombre de

249
V. infra.
250
V. infra.
servitudes : les servitudes d’exploitation251, les servitudes de passage des eaux utiles, les
servitudes de passage des eaux d’écoulement 252, les servitudes de passage des eaux usées 253,
les servitudes d’appui254. A l’exception des servitudes naturelles des eaux d’écoulement 255, de
telles servitudes permettent au propriétaire du fonds dominant d’utiliser une partie du fonds
servant pour aménager des installations pour l’approvisionnement en eau potable, pour
l’exploitation et l’écoulement des eaux artificielles (eaux utiles ou usées) des propriétés
enclavées. Il en est ainsi des servitudes d’écoulement visées par l’article 85 alinéa 2 du Code
de l’eau256. Elles peuvent dès lors être présentées comme des entorses à la déclinaison
négative de l’usus dès lors qu’elles dénient au propriétaire du fonds servant le pouvoir
d’interdire aux propriétaires des fonds enclavés l’atteinte à son droit de propriété. Pour
l’essentiel, elles ne s’admettent pas néanmoins sans versement préalable d’une indemnité.

B – La jouissance de la chose (le fructus ou le droit de jouir de la chose)

Constellations de prérogatives et de limites. A l’instar de l’usus, le fructus donne


droit à de nombreuses prérogatives qui peuvent tout aussi connaitre des limitations.

1 – Les prérogatives arrimées au fructus

251
Article 83 du Code de l’eau : « Toute personne physique ou morale qui veut user pour l’alimentation en eau
potable, pour les besoins de son exploitation, des eaux dont elle a le droit de disposer, peut obtenir les passages
des lignes électriques des chemins de servitude ou tout autre accès routier sur les fonds intermédiaires, à charge
d’une juste et préalable indemnité.
Les habitations, leurs cours, et dépendances attenantes sont, en tout cas, exclus de cette servitude ».
Article 84 du Code de l’eau : « Dans les mêmes conditions et obligations de l’article 86, toute personne morale
ou physique peut obtenir le passage par conduite souterraine des eaux utiles à son exploitation, sur les fonds
intermédiaires ».
252
Article 85 du Code de l’eau.
253
Article 86 du Code de l’eau : « Les eaux usées provenant des habitations et des exploitations desservies
peuvent être acheminées par canalisations souterraines vers les ouvrages de collecte ou d’épuration sous les
mêmes conditions et réserves fixées aux articles 83,84 et 85 ».
254
Article 87 du Code de l’eau : « Tout bénéficiaire d’une autorisation pour l’irrigation de ses terres par des
eaux naturelles ou artificielles peut appuyer sur les terres du riverain opposé, les ouvrages d’art nécessaires à sa
prise d’eau, à charge d’une juste et préalable indemnité.
Les habitations, leurs cours, jardins et dépendances attenantes, ne peuvent être grevés de cette servitude ».
255
Les servitudes énoncées par ledit Code dépassent ainsi le cadre strict de l’acheminement des eaux artificielles
(eaux utiles et usées). Est également visée la servitude naturelle d’écoulement des eaux (sources, pluies…). Par
ce biais, l’article 85 alinéa 1 er dudit Code enjoint les propriétaires des fonds inférieurs de recevoir les eaux qui
s’écoulent naturellement des fonds supérieurs. Contrairement aux autres servitudes énoncées par l’article 82 du
Code de l’eau, cette servitude ne requiert aucun acte matériel sur les fonds inférieurs considérés comme des
fonds servants. Elles constituent donc des restrictions naturelles aux droits du propriétaire du fonds servant et à
ce titre n’ouvrent pas droit à une indemnité lorsque l’action de l’homme n’a pas aggravé le volume
d’écoulement d’eaux pluviales et ne sont pas justifiables de troubles anormaux de voisinage. Les servitudes
naturelles d’écoulement des eaux se distinguent ainsi des autres servitudes énoncées par l’article 85 alinéa 2 du
Code de l’eau.
256
« Le passage des drains, des conduites d’écoulement, des colatures peut donner lieu à une juste et préalable
indemnité ».
Dédoublement du sens du fructus. A l’instar de l’usus, le fructus a deux
déclinaisons.
Déclinaison positive. Elle consiste à jouir des fruits de la chose appropriée 257. Le
fructus offre par ailleurs au titulaire du droit de propriété la possibilité de déterminer le mode
de fructification. S’il en est ainsi, c’est parce que la propriété s’étend à tout ce que le bien
produit naturellement (fruits naturels) ou par le travail de l’homme (fruits industriels) 258. Dans
ces deux hypothèses, l’on fait référence à la jouissance matérielle. Outre cette forme de
jouissance, il existe aussi la jouissance juridique. En pareilles circonstances, le propriétaire
entend jouir de la chose en percevant les fruits civils. Ce sera le cas s’il loue par exemple la
chose pour percevoir des loyers.
Déclinaison négative. Le versant négatif du droit de jouissance consiste pour le
propriétaire de la chose à ne pas faire fructifier le bien ou ne pas percevoir les fruits. Par
ailleurs, il consiste pour le propriétaire à empêcher qu’une tierce personne puisse jouir de son
bien sans son autorisation (v. développements relatifs à la déclinaison négative de l’usus).

2 – Les limites au fructus

Retour sur la propriété de l’image de la chose d’autrui. Cette problématique


permet de revenir sur l’épisode jurisprudentiel sus-évoqué interprété par ailleurs comme une
limite à la déclinaison négative de l’usus. Mis en éclat par l’affaire Café Gondrée, il a permis
à la jurisprudence de considérer que la photographie de l’image de la chose d’autrui n’était
pas constitutive d’une atteinte à la déclinaison de l’usus. Dans l’affaire Café Gondrée, les
faits de l’espèce étaient les suivants. Une personne voulait empêcher la photographie non
autorisée de son café puis son exploitation par vente de cartes postales par un tiers. Il faut
ajouter, pour être exhaustif, que le propriétaire exploitait également les photographies de son
café à des fins commerciales, café classé monument historique. La Cour de cassation était
invitée à se prononcer sur la question de savoir si le propriétaire d’un bien pouvait s’opposer
à l’exploitation de celui-ci par un tiers ? La Cour de cassation décida sans équivoque : « (…)
l’exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du
propriétaire (…) »259. La mention de l’expression « droit de jouissance » paraît toutefois
ambigüe. En empruntant cette expression, la Cour de cassation a-t-elle voulu conférer au
257
V. le critère frugifère de classification des choses ; v. supra.
258
Article 546 du Code civil : « La propriété d'une chose soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout
ce qu'elle produit, et sur ce qui s'y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement.
Ce droit s'appelle "droit d'accession" ».
259
Civ. 1ère, 10 mars 1999, GAJC préc., CAFE GONDREE, arrêt 70-71.
propriétaire un droit d’opposition sur l’usus, le fructus ou les deux composantes combinées ?
Pour certains auteurs, c’est bien l’usus (le fait de prendre des photos) et non uniquement le
fructus (son exploitation) que la Cour de cassation a voulus protéger dans un premier
temps260. Elle a précisé par la suite sa jurisprudence. Sous cette bannière, l’utilisation de
l’image d’un bien appartenant à autrui n’est pas interdite. Ce faisant, le droit d’usage du
propriétaire (l’usus) du bien se trouve limité. En tout état de cause, cette solution vaudrait
uniquement pour les hypothèses d’utilisation d’un bien appartenant à autrui ne nécessitant
aucune appréhension matérielle (une simple photographie) comme il en était du reste
question dans le présent arrêt. En revanche, son exploitation à des fins commerciales qui
mettrait en péril le droit de jouissance (le fructus) le serait. D’ailleurs, l’étendue du droit de
jouissance dans de telles hypothèses a été restreinte par l’Assemblée plénière dans un arrêt
postérieur261.

C – La disposition du bien (l’abusus ou le droit de disposer de la chose)

Élément caractéristique du droit de propriété. Le droit de disposer du bien reste


l’élément le plus caractéristique des composantes de la propriété en ce sens que celle-ci ne
peut exister sans l’abusus. Ainsi, l’abusus fonde la reconnaissance d’un droit de propriété
alors même que l’usus et le fructus feraient défaut. Ce n’est pas le seul attribut de l’abusus. Il
permet aussi de distinguer la propriété des autres droits réels envisagés comme des
démembrements du droit de propriété. En effet, les autres droits réels permettent de jouir de
la chose qu’autant que leurs propriétaires en préservent la substance262.

1 – Les prérogatives attachées à l’abusus

Dédoublement du sens de l’abusus. A l’instar de l’usus et du fructus, l’abusus


comporte une déclinaison positive et une déclinaison négative.
Déclinaison positive. En vertu des prérogatives que lui confère l’abusus, le
propriétaire peut aliéner matériellement la chose afin d’en altérer la substance. A cet effet, il a
le pouvoir de détruire la chose. Il peut aussi l’aliéner juridiquement en l’abandonnant, en le
cédant ou en le donnant.

260
En ce sens, J. ROCHFELD, « Les grandes notions du droit privé » préc., pp. 276-277.
261
« Le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; qu’il peut toutefois
s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal » ; Ass. Plén. 7
mai 2004, GAJC préc., HÔTEL GIRANCOURT, arrêt 70-71.
262
Article 578 du Code civil : « L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le
propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance ».
Déclinaison négative. L’abusus permet aussi au propriétaire de conserver son bien. A
cet effet, ce dernier peut s’opposer à la destruction ou à la cession de la chose. Comme on
s’en rendra compte, la déclinaison négative de l’abusus connait toutefois de nos jours le plus
grand nombre d’entorses.

2 – Les limites au droit de disposer

Limites plurielles. En tant qu’élément caractéristique du droit de propriété, l’on


devrait logiquement penser que les atteintes au droit de disposer doivent en principe être
rares. Les réalités contemporaines ne permettent pas malheureusement de vérifier un tel
postulat. Les entorses notées sont plurielles au point même de vider la substance de l’abusus.
Cela se mesure dans les deux versants de celui-ci qu’il s’agisse des prérogatives conférées au
propriétaire de disposer (déclinaison positive de l’abusus) ou de ne pas disposer de la chose
appropriée (déclinaison négative de l’abusus).

a – Atteintes à la déclinaison positive de l’abusus

Atteintes à la déclinaison positive de l’abusus ou les propriétés amoindries. En


raison de la protection constitutionnelle conférée à la propriété, une loi et un règlement ne
pourraient pas totalement entamer le droit de disposer, attribut principal du droit de propriété.
Des entorses existent pourtant bel et bien. A ce titre, on recourt à l’expression propriétés
amoindries pour les caractériser. Sans prétendre à l’exhaustivité, une série d’exemples peut
en être dressée. Il en est ainsi des biens considérés comme inaliénables par la loi ou par la
jurisprudence. On en citera quelques exemples.
Les substitutions fidéicommissaires. Il s’agit d’une libéralité testamentaire ou
contractuelle par laquelle le grevé devait conserver sa vie durant le bien et le transmettre à sa
mort à un tiers qui lui est substitué et qu’on nomme appelé. Le droit sénégalais connait ce
type de libéralités et l’encadre dans les articles 790 et suivants du Code de la famille. Il
l’autorise dans les circonstances où de telles libéralités bénéficieraient soit aux petits
enfants263 soit aux descendants des frères et sœurs de l’auteur dans les circonstances où
l’auteur ne peut point avoir d’enfants264. L’atteinte que provoque ce type d’institutions au
263
Article 790 du Code de la famille : « Les biens dont les père et mère ont la faculté de disposer peuvent être
par eux donnés, en tout ou partie, à un ou plusieurs de leurs enfants, par actes entre vifs ou testamentaires,
avec la charge de rendre ces biens aux enfants nés et à naître desdits donataires ou légataires ».
264
Article 791 du Code de la famille : « Est valable, en cas de mort sans enfants, la disposition que le défunt
aura faite, par acte entre vifs ou testamentaire, au profit d’un ou plusieurs de ses frères ou sœurs, de tout ou
partie de ses biens disponibles, avec la charge de rendre ces biens aux enfants nés et à naître desdits frères ou
sœurs donataires ou légataires ».
regard de l’abusus est qu’elle instaure une inaliénabilité du bien. Même s’il est tenu de
remettre le bien à l’appelé (les petits fils ou les neveux et nièces dans les hypothèses
considérées par le législateur sénégalais), le grevé (celui à qui il est remis le temps que la
condition se réalise), n’en est pas moins considéré comme le propriétaire. Toutefois, en raison
de la charge de conserver et l’interdiction qui lui faite d’en disposer (cession entre vifs,
transmission à cause de mort), il est dépourvu de l’abusus.
Les biens dotaux dans les régimes matrimoniaux. L’article 384 alinéa 2 du
Code de la famille pose le principe de l’inaliénabilité des biens dotaux lorsque les époux ont
choisi comme régime matrimonial applicable le régime dotal. Il s’agit des immeubles
immatriculés, des valeurs mobilières déposées dans une banque à un compte spécial appelé
« compte dotal » et des animaux formant un cheptel ainsi que leur croît offerts à la femme par
d’autres personnes que son conjoint. S’agissant de la disposition des biens soumis au régime
dotal, l’article 386 al. 1 er du Code de la famille concernant les immeubles, pose le principe de
leur inaliénabilité en ces termes : « l’application du régime dotal à un immeuble doit être
mentionnée au registre foncier. Cet immeuble ne peut être aliéné ou hypothéqué ni par le
mari, ni par la femme, ni par les deux conjointement (…) ». Le mobile de cette disposition
s’admet aisément en partant du principe que les biens susvisés sont en principe affectés à la
famille pour lui permettre de subvenir à ses besoins. L’inaliénabilité légale des biens
immeubles dotaux n’est pas toutefois absolue. Elle comporte des atténuations qui sont au
nombre de deux. D’abord, en vertu de l’article 386-1°, la « la femme peut, avec le
consentement du mari, donner ses immeubles pour l’établissement des enfants communs ».
Ensuite, le principe de l’inaliénabilité des immeubles dotaux peut être autorisé par le juge
prenant appui sur l’intérêt de la famille (article 386- 2° du Code de la famille). Dans une telle
perspective, chacun des époux du Code de la famille pourra saisir le juge aux fins de vente
d’un immeuble dotal.
Les clauses conventionnelles d’inaliénabilité. Ces clauses entretiennent une tension
plus marquante avec le droit de disposer. En général, les clauses d’inaliénabilité sont prévues
dans des donations, des testaments ou des actes de cession contraignant le légataire, le
donataire ou le cessionnaire à l’obligation de ne pas vendre ou de ne pas céder le bien.
Historiquement, la jurisprudence française regardait ce type de biens avec beaucoup de
défiance. Originellement décidait-elle de la nullité de telles conventions afin de garantir la
libre circulation des biens. Avec le temps, elle est revenue à une solution plus respectueuse de
la volonté des parties dont il fallait admettre qu’elles puissent elles-mêmes limiter les
prérogatives que leur confère le droit de propriété 265. Il n’empêche, la liberté d’insérer des
clauses d’inaliénabilité ne devait pas se muer en fardeau rendant plausibles des engagements
perpétuels que le droit considère avec défaveur. Ainsi, il était impérieux de trouver un juste
équilibre se traduisant par l’admissibilité des clauses d’inaliénabilité et l’interdiction des
engagements perpétuels. Pour qu’elle soit donc admise, faudrait-il que la clause
d’inaliénabilité soit temporaire et qu’elle poursuive un intérêt légitime (familial, celui du
disposant, celui du bénéficiaire…).
Les restrictions légales ou conventionnelles au droit de disposer. Le pouvoir de
disposer peut être limité par la loi.
Droit de préemption légal au profit d’une personne publique. Il peut être limité et
directement placé sous le contrôle de l’État lorsque par exemple la cession du droit de
propriété est subordonnée à un contrôle administratif. Les atteintes peuvent également être
indirectes lorsqu’un droit de préemption a été conféré à des personnes par l’effet d’une loi266.
Promesses de contrat. Des atteintes au droit de disposer peuvent également être
rendues possibles par la convention des parties 267. L’admission des promesses de vente
participe de cet élan d’ouverture étant entendu que le promettant en décidant de vendre son
bien dans un certain délai à une personne déterminée restreint contractuellement son droit de
disposer.
Démolition d’ouvrages subordonnée à une autorisation administrative. Le pouvoir
matériel de disposition peut enfin être conditionné. Il en sera ainsi lorsque la démolition d’un
immeuble est subordonnée à une autorisation administrative.

b – Atteintes à la déclinaison négative de l’abusus.

265
En ce sens, Civ. 20 avril 1858, GAJC préc., arrêt n° 75, arrêt CREMIEUX. Dans cette décision, la Cour de
cassation française a pu décider que « Le père de famille qui fait donation de ses biens à ses enfants peut s’en
réserver l’usufruit et, soit dans l’intérêt de son droit comme usufruitier, soit pour assurer l’exercice du droit de
retour qui peut un jour lui appartenir, imposer à ses enfants la condition de ne pas aliéner ou hypothéquer de
son vivant les biens donnés ».
266
Article 48 du Code sénégalais de l’urbanisme : « Le droit de préemption destiné notamment à permettre la
mise en œuvre d’une politique d’urbanisme et d’habitat peut être exercé pour les opérations suivantes :
􀁺 réalisation de logements sociaux ou d’équipements collectifs ;
􀁺 restauration de bâtiments, rénovation urbaine ou restructuration ;
􀁺 création d’espaces verts ;
􀁺 constitution de réserves foncières ;
􀁺 sauvegarde des sites et monuments historiques classés ».
267
Article 318 du COCC : « Quelle qu'en soit la source, le droit de préemption donne à une personne la faculté
de se porter acquéreur d'un bien de préférence à toute autre.
Ce droit peut s'exercer dans toute espèce de vente ».
Article 319 du COCC : « Le promettant est tenu de faire connaître au bénéficiaire sa décision d'aliéner et les
conditions du contrat qu'il projette de passer avec un tiers ».
Atteintes multiples à la déclinaison négative de l’abusus. La déclinaison négative
de l’abusus, pour rappel, s’entend du droit du propriétaire de conserver son bien. Une telle
prérogative du propriétaire s’admet en toute logique et n’a pas besoin en principe d’être mise
en exergue. De nombreuses circonstances mettent toutefois en relief cette évidence et l’on
compte aujourd’hui en droit positif la floraison de limites existantes qui n’en sont pas moins
justifiées. S’il en est ainsi, c’est parce que dans les situations susvisées, le caractère
individualiste du droit de propriété entre en tension avec l’intérêt général 268. L’arbitrage entre
l’intérêt individuel du propriétaire s’exprimant dans la possibilité qui lui est reconnue de
conserver sa chose et l’intérêt collectif de la société requérant que celle-ci soit cédée se fait au
détriment du premier. L’atteinte au droit de conserver sa chose ne s’admet pas néanmoins de
manière délibérée. Ainsi, est-il opportun de dissocier les circonstances dans lesquelles
l’indemnité compensatoire s’impose des autres situations où cela semble exclu.
Circonstances excluant le versement d’une indemnité. On peut citer deux exemples
non limitatifs à savoir les destructions obligatoires et les confiscations obligatoires de biens.
Destructions obligatoires de biens. Certaines circonstances peuvent exiger la
destruction du bien contre l’assentiment du propriétaire. C’est le cas lorsque la dangerosité de
la chose le requiert. De telles hypothèses sont nombreuses : bâtiments en ruine, biens
impropres à la consommation, animaux dangereux…
Confiscations. L’Etat peut confisquer certains biens à la suite de condamnations
fiscales ou pénales269. De telles atteintes au droit de conserver son bien constituent souvent
des sanctions accessoires à la peine principale infligée à l’infracteur.
Circonstances requérant le versement d’une indemnité. La limite apportée au droit
de conserver sa chose ne saurait être délibérée. C’est pour cela que certaines circonstances
justifiant une telle atteinte sont strictement encadrées. A ce propos, l’article 545 du Code civil
pose un principe général en la matière en disposant que : « Nul ne peut être contraint de
céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et
préalable indemnité ». En dépit du fait que la lettre de cette disposition circonscrit une telle
obligation aux cas d’expropriation pour cause d’utilité publique, l’exigence d’une indemnité
juste et préalable s’admet aussi dans les hypothèses où surviennent des nationalisations. Dans

268
Dans des cas limités, il peut s’agir aussi d’un intérêt privé.
269
Article 30 du Code pénal du Sénégal : « Dans tous les cas où une condamnation est prononcée pour une
infraction prévue aux articles 56, 57, 58, 59, 79, 80, 152, 153, 158, 160, 161 et 163 bis, les juridictions
compétentes pourront prononcer la confiscation au profit de la Nation de tous les biens présents du condamné
de quelque nature qu'ils soient, meubles, immeubles, divis ou indivis, suivant les modalités ci-après ».
ces deux cas, les limites portées à l’abusus sont compensées par le paiement d’une juste et
préalable indemnité au propriétaire dépossédé de sa chose ou de son droit.
Expropriations de la chose pour cause d’utilité publique. En droit sénégalais,
l’expropriation pour cause d’utilité publique est encadrée par la loi n° 76-67 du 2 juillet 1976.
Son article 1er dispose : « l’expropriation pour cause d’utilité publique est la procédure par
laquelle l’Etat peut, dans un but d’utilité publique et sous réserve d’une juste et préalable
indemnité, contraindre toute personne à lui céder la propriété d’un immeuble ou un droit
réel immobilier. L’expropriation ne peut être prononcée qu’autant que l’utilité publique a été
déclarée et qu’ont été accomplies les formalités présentes par le chapitre II du présent
titre ». Au regard de cette disposition, l’expropriation pour cause d’utilité publique dépouille
totalement ou partiellement le propriétaire de son immeuble moyennant une juste et préalable
indemnité calculée par le juge de l’expropriation. Par ce biais, l’Etat et les collectivités
publiques peuvent acquérir des biens privés dans le but de réaliser certaines politiques
publiques. Principe posé par l’article 545 précité du Code civil et repris par l’article 15 alinéa
1er de la Constitution précité, de nombreuses réglementations sénégalaises en portent aussi la
trame270.
Nationalisations. Par le biais des nationalisations271, l’Etat procède à une forme
d’expropriation des propriétaires ou actionnaires de firmes industrielles pour des raisons de
politique économique. Ces pratiques étaient très à la mode au lendemain de l’accession à la
souveraineté internationale des Etats africains du fait des indépendances. Durant cette
époque, le droit au développement était le fondement juridique qui en autorisait la pratique.
Entre autres raisons, le postulat avancé par les Etats du tiers-monde pour justifier les
nationalisations partait du constat que l’économie des pays sous-développés était possédée
par des entreprises étrangères, essentiellement celles des pays qui les avaient antérieurement
colonisés. Au même titre que les expropriations pour cause d’utilité publique, les
nationalisations ouvrent droit à une indemnité, une sorte de compensation à l’atteinte portée
au droit de conserver les droits des actionnaires et les biens sociaux. Elles se conçoivent alors
comme des cessions forcées.
Ces exemples non exhaustifs matérialisent les nombreuses atteintes que subit à
l’époque contemporaine le droit de propriété au nom de l’intérêt général à travers une de ces
composantes à savoir l’abusus. Ces restrictions apportées aux attributs du droit de propriété
ne sauraient cependant être assimilées à une négation de son existence et de sa toute

270
Outre la loi susvisée, v. notamment le Code de l’urbanisme.
271
Sur la nationalisation, v. A.-E.-K BOYE, L’acte de nationalisation, NEA, Paris, 1979.
puissance. On s’en rend compte en explorant une autre trajectoire de la définition du droit de
propriété qui n’insiste pas sur ses attributs mais plutôt sur ses caractères.

§ II : Les caractères du droit de la propriété

Le droit de propriété, triptyque d’attributs mais aussi triptyque de caractères.


Comme droit réel principal, on avance classiquement que la propriété confère à son titulaire
un usus, un fructus et un abusus. Cette démarche classique définit alors le droit de propriété
par son contenu et les pouvoirs absolus qu’il confère à son titulaire. La théorie moderne
envisage plutôt le droit de propriété comme le pouvoir d’exclure autrui. Envisagé sous ce
rapport, la seule véritable prérogative qui caractérise le droit du propriétaire est celle
d’exclure les autres. Cette prérogative sous-tend d’ailleurs le caractère exclusif le droit de
propriété (B) qu’il faut tout de même étudier en combinaison avec le caractère absolu (A) et
le caractère perpétuel (C).

A – Le caractère absolu

Sens pluriel de l’absolutisme. L’absolutisme du droit de propriété est le seul


caractère qui résulte de manière explicite des dispositions du Code civil. En effet, l’article
544 du Code civil dispose que : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de
la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par
les règlements »272. La référence à ce qualificatif peut être interprétée de plusieurs façons. On
peut d’abord y voir le rejet formel des propriétés simultanées de l’Ancien droit divisant la
propriété entre le domaine éminent et le domaine utile 273. Par ailleurs, l’absolutisme, sans
nécessairement exclure toute référence aux attributs du droit de propriété, sous-tendrait que le
propriétaire soit maître non seulement de la chose mais aussi de son dessus comme de son
dessous274. Enfin, le sens non moins discutable qu’il convient de donner à l’absolutisme est de
réputer que le droit propriété est illimité. Nonobstant le risque de faire doublon avec le
caractère perpétuel du droit de propriété275, cette dernière interprétation semble même
impropre à la formulation de l’article 544 du Code civil dans la mesure où cette disposition
prévoit dans ses considérations finales que la loi ou les règlements peuvent limiter les
prérogatives du propriétaire sur son bien.

272
C’est nous qui soulignons.
273
V. supra.
274
V. les développements en rapport avec l’étendue du droit de propriété.
275
V. infra.
L’absolutisme fait que le droit de propriété est le plus complet des droits réels.
Le caractère absolu spécifie le droit de propriété par rapport à tout autre droit réel et de
manière plus générale par rapport à tous les autres droits subjectifs. En tant que droit réel, le
droit de propriété en arbore d’abord toutes les empreintes : il est opposable erga omnes et on
reconnait également à son titulaire un droit de suite et un droit de préférence. Sans être
spécifiques au droit de propriété car communs à tous les droits réels 276, ces traits n’en
manifestent pas moins son caractère absolu 277. Toutefois, sous le prisme toujours de
l’absolutisme, le droit de propriété présente un caractère plus complet que tous les autres
droits réels en raison notamment des prérogatives qu’il confère à son titulaire. Le caractère
absolu du droit de propriété explique que le titulaire de celui-ci réunit entre ses mains toutes
les prérogatives propres aux droits réels démembrés, notamment l’usufruit, la nue-propriété,
les servitudes... De même, il explique que les effets du droit de propriété ne changent pas
qu’importe la chose qui en constitue l’objet278 et qu’importe aussi l’identité de son titulaire279.
Limites à l’absolutisme. V. les développements en rapport avec les limites apportées
à l’usus, le fructus ou à l’abusus280. Elles peuvent être transposées mutatis mutandis à cette
démonstration. Naguère, en droit français, on se fier aux lois et aux règlements par
conformisme à l’article 544 du Code civil pour envisager les limites pouvant être opposées à
l’absolutisme du droit de propriété. De nos jours, la jurisprudence, sous le sceau de l’abus de
droit et des troubles anormaux de voisinage281, apportent aussi de nombreuses limites à cet
absolutisme.

B – Le caractère exclusif du droit de propriété

L’exclusivisme du droit de propriété, un versant du caractère absolu vu des tiers.


Le caractère exclusif du droit de propriété insinue deux réalités connexes ; d’une part, il rend
compte du fait que le propriétaire est le seul maitre de son bien ; d’autre part, que ce dernier
exerce un monopole sur ce bien excluant toute concurrence tierce sur celui-ci. Entendu ainsi,
l’exclusivisme du droit de propriété confère des pouvoirs absolus au propriétaire
essentiellement à l’encontre des tiers. Cette précision engendre un soupçon de confusion

276
V. les développements du cours sur la distinction entre droits réels et droits personnels.
277
En ce sens, Y. BUFFELAN-LANORE, « Droit civil Première année », Armand Colin, 14ème éd., 2005, n°
1006.
278
Meubles ou immeubles…
279
Personnes physiques ou personnes morales ; personnes majeures ou mineures. Les différences qui peuvent
exister tiennent moins à la modification des effets du droit de propriété qu’à une limitation des conséquences
attachées à la personnalité.
280
V. supra.
281
V. supra.
entre le caractère exclusif et le caractère absolu du droit de propriété. Toutefois, un tel
recoupement ne semble guère préjudiciable dans la mesure où l’exclusivisme exprime un
prolongement de l’absolutisme du droit de propriété 282. Envisagé sous ce prisme, le caractère
exclusif justifie que le propriétaire ne puisse subir aucune forme de concurrence sur son bien
étant entendu qu’une même chose, dans sa totalité, ne peut être l’objet de plusieurs droits de
propriété complets. Les manifestations du caractère exclusif sont alors purement négatives et
paraissent rappeler certaines déclinaisons des composantes du droit de propriété déjà
présentées dans ce cours283. Ce caractère s’exprime en fait par une constellation
d’interdictions : celle d’user, celle de jouir, celle d’empiéter sur la propriété d’autrui. Bien
entendu, pour que telles manifestations puissent être appréhendées à leur juste mesure, il
faudrait faire intervenir les tiers dans le rapport qu’entretient le propriétaire avec son bien.
Ainsi envisagé, le caractère exclusif de la propriété signifierait la négation de tout droit
d’autrui sur la chose du propriétaire284.
Atteintes au caractère exclusif. Le caractère exclusif semble donc prémunir le
propriétaire contre toute forme d’atteintes sur son droit. En pratique, cette affirmation
emporte une certaine part d’artifices au regard des nombreuses limites dont le droit de
propriété peut faire l’objet de nos jours. Si certaines limites peuvent néanmoins être
appréciées comme de fausses atteintes à l’exclusivisme du droit de propriété, d’autres, en
revanche, pourraient en constituer de véritables.
Fausses atteintes. Sans prétendre à l’exhaustivité, peuvent être citées en exemple les
servitudes légales de voisinage et les propriétés conditionnelles.
Servitudes légales de voisinage. Elles sont prévues par la loi sur la base de situations
de fait. A ce titre, elles se distinguent des servitudes de fait consenties par convention par un
propriétaire sur son fonds. En présence d’une servitude légale, on ne peut pas à vrai dire
parler d’atteintes au caractère exclusif dans la mesure où c’est la technique du
démembrement qui impose un tel empiétement. Ce constat vaut également pour l’usufruit et
en principe pour tous les droits réels démembrés.
Les propriétés conditionnelles. La propriété conditionnelle correspond au cas où une
propriété est transférée sous condition. Deux hypothèses peuvent se présenter. La propriété
peut être transférée sous condition suspensive (je te donne la voiture si je me marie) ou sous
condition résolutoire (je reprends la voiture si tu te maries avant un an). Lorsque la condition

282
En ce sens, F. TERRE & Ph. SIMLER, ouvr. préc., n° 143 ; S. SCHILLER, ouvr. préc., n° 87.
283
V. supra.
284
En ce sens, J. ROCHFELD, « Les grandes notions du droit privé » préc., p. 292.
se réalise, la propriété est transférée. La rétroactivité de l’acquisition de la propriété qui en
résulte a été alors présentée comme une exception au caractère exclusif dans la mesure où
deux personnes sont présumées détenir un droit de propriété sur une chose identique. Dans
l’hypothèse d’une condition suspensive, la propriété n’est pas transférée tant que la condition
ne s’est pas réalisée. Pendant la période pendente conditione, le donateur reste donc
propriétaire. Lorsqu’elle se réalise, la propriété est censée avoir été transférée au donataire au
jour de la conclusion du contrat. En présence d’une condition résolutoire, la propriété est, en
revanche, transférée au donataire pendant la période pendente conditione. Si la condition se
réalise, le bien retourne dans le patrimoine du donateur.
Cette dualité de propriétaires n’est pourtant qu’apparente dans la mesure où le droit de
propriété qu’ils peuvent invoquer respectivement s’alterne dans le temps. Ainsi, ils ne
peuvent revendiquer en même temps un droit de propriété sur la chose ce qui préserve le
caractère exclusif du droit de propriété. En réalité, la rétroactivité anéantit dans le temps le
droit de propriété que pouvait revendiquer l’un des propriétaires. Pour s’en convaincre, le
propriétaire sous condition résolutoire, doit le cas échéant, restituer les fruits qui ont été
produits pendant que la condition était pendante. En effet, il ne peut prétendre les conserver
ni comme propriétaire, ni comme possesseur de bonne foi.
Véritables atteintes. On en compte un certain nombre.
La jouissance de l’image d’un bien appartenant à autrui (v. développements
précédents en référence à l’usus et le fructus).
Propriétés collectives (indivision, copropriété…). Les circonstances mettant en
évidence des propriétés collectives renvoient généralement à l’indivision et à la copropriété.
Dans le cadre de ces développements, on parle d’indivision lorsque plusieurs individus sont
titulaires simultanément de droits identiques et concurrents (un droit de propriété) sur une
chose (en général un immeuble) ou un ensemble de choses (une communauté de biens
dissoute ou une succession). La copropriété vise quant à elle une organisation consistant à
répartir la propriété d’un immeuble entre plusieurs personnes par lots comprenant chacun une
partie privative et une quote-part des parties communes. Ces propriétés collectives sont
souvent présentées comme des atteintes au caractère exclusif du droit de propriété. Pourtant,
elles ne le seraient qu’en apparence. L’atteinte n’existe que si l’on veut bien rapprocher la
situation des propriétaires susvisés (propriétaires indivis ou copropriétaires) de celle du
propriétaire unique. Il est vrai cependant que comparé au propriétaire unique, le caractère
exclusif se trouve limité dans les rapports entre propriétaires indivis et entre copropriétaires.
S’il en est ainsi, c’est parce le sens attribué au caractère exclusif du droit de propriété laisse
penser « qu’il n’y a pas de propriété privée sans propriétaire unique et que, s’il y a plusieurs
propriétaires d’une même chose, le groupe que forment ces propriétaires n’est pas autant
protégé que le propriétaire unique face aux tiers »285.

C – Le caractère perpétuel

Les implications du caractère perpétuel. Le caractère perpétuel de la propriété


embrasse deux réalités qui sont de nos jours consolidées par le droit positif français. Il
signifie d’abord que le droit de propriété ne s’éteint pas par le non-usage. Ensuite que le droit
de propriété dure aussi longtemps que dure la chose.
Le droit de propriété ne s’éteint pas par le non-usage. La compréhension de cette
assertion s’admet sans difficulté majeure lorsque l’on répute que l’usus confère au
propriétaire la prérogative de ne pas utiliser la chose et donc ne pas tirer profit de sa valeur
d’usage286. Il est heureux d’ailleurs qu’il en soit ainsi, faute de quoi, l’inertie du propriétaire
profiterait surtout à l’Etat. Le non-usage de la chose doit toutefois être étudié à l’aune de la
prescription acquisitive et de la prescription extinctrice.
Non-usage de la chose et prescription acquisitive. Dire que le non-usage de la chose
ne fait pas perdre le droit de propriété à son titulaire n’insinue pas pour autant qu’un
possesseur du bien ne puisse pas acquérir la propriété. La prescription acquisitive ou
usucapion est un moyen d’acquérir la propriété par son exercice continu pendant une certaine
longue durée. En matière mobilière, la possession (même instantanée) vaut en principe
titre287. En matière immobilière, il en va de même, du moins, en droit français si elle dure en
principe trente ans288. En droit sénégalais, la solution est toute autre. En effet, la possession
d’un immeuble, fut-elle de bonne foi, ne fait pas acquérir la propriété au possesseur. La
prescription acquisitive ne bénéficie qu’à l’Etat. En effet, l’article 33 de la Loi n° 2011-07 du
30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière dispose :
« La prescription ne peut, en aucun cas, constituer un mode d’acquisition de droits
réels sur des immeubles immatriculés ou de libération des charges grevant les mêmes
immeubles.
285
F. TERRE & Ph. SIMLER, ouvr. préc., n° 144.
286
V. les développements du cours relatifs à la déclinaison négative de l’usus.
287
Article 262 COCC alinéa 2 : « En matière mobilière, l'acquéreur de la chose d'autrui en devient propriétaire
lorsqu'il a reçue de bonne foi ».
Article 2276 alinéa 1er du Code civil (ancien article 2279) : « En fait de meubles, la possession vaut titre ».
288
Article 2272 du Code civil : « Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de
trente ans.
Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix
ans ».
Toutefois, un immeuble immatriculé abandonné pendant trente années consécutives
par ses propriétaires ou occupants légitimes est considéré comme vacant et incorporé au
domaine de l’Etat dans les formes et conditions fixées par décret »289.
Non-usage de la chose et prescription extinctive. Contrairement à la prescription
acquisitive, la prescription extinctive fait perdre un droit consécutivement à l’inaction de son
titulaire290. Elle entretient donc une tension plus marquante avec l’affirmation du caractère
perpétuel du droit de propriété. La jurisprudence française a néanmoins précisé les rapports
susceptibles de caractériser les rapports entre le non-usage de la chose et la prescription
extinctrice à l’époque où l’ancien article 2262 du Code civil réputait que toutes les actions,
tant réelles que personnelles, se prescrivaient par trente ans. Par le biais d’une jurisprudence
qui a fait date, la Cour de cassation avait d’abord disposé que « l’article 2262 du Code civil
ne s’applique pas à l’action en revendication intentée par le propriétaire dépossédé de son
immeuble ; que la propriété ne se perdant pas par le non usage, l’action en revendication,
qui sanctionne et protège, peut être exercée aussi longtemps que le défendeur ne justifie pas
être lui-même devenu propriétaire de l’immeuble revendiqué par le résultat d’une possession
contraire, réunissant tous les caractères exigés pour la prescription acquisitive (…) »291.
L’imprescriptibilité de l’action en revendication se trouva ainsi proclamée bien avant même
que le législateur prît le soin de l’affirmer à l’occasion de la réforme du 17 juin 2008 sur le
droit de la prescription : « Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les
actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire
d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer »292. La seule
limite à l’imprescriptibilité de l’action en revendication reste que le défendeur à l’action ne
puisse pas opposer au propriétaire l’usucapion lui conférant une propriété identique sur la
chose.
Le droit de propriété dure aussi longtemps que dure la chose. L’absence de terme
extinctif du droit de propriété signifie que le législateur n’a pas limité ce droit dans sa durée.
La propriété dure autant que la chose et ne se perd que par la destruction de la chose. Ceci est
du reste constamment rappelé par la Cour de cassation qui précise que la propriété dure aussi

289
C’est nous qui soulignons..
290
Article 218 COCC alinéa 1er : « L'inaction du créancier pendant le délai fixé pour la prescription extinctrice
libère le débiteur de son obligation ».
291
Req. 12 juillet 1905, GAJC préc., arrêt n° 68, arrêt MORVAN.
292
Article 2227.
longtemps que la chose293. De même, des héritiers ont pu revendiquer, plus de trois siècles
après, la propriété d’écus d’or trouvés par des ouvriers d’un chantier de démolition294.
Existence de propriétés dites temporaires. Malgré cette dernière manifestation du
caractère perpétuel du droit de propriété, il existe des propriétés qui sont qualifiées de
temporaires. Elles existent en droit sénégalais qu’il s’agisse des ventes à réméré 295, du droit
de superficie296 ou de l’emphytéose297. Par ailleurs, en France, la loi n°2007-211 du 19 février
2007 a institué la fiducie, laquelle est une propriété temporaire298.

A côté de ses composantes, les caractères du droit de propriété donnent une


impression sur le trait plus au moins abouti de ce droit subjectif. L’étendue du droit de
propriété convainc on ne peut plus de cet absolutisme.

§ III : L’étendue de la propriété

Distinction de l’étendue de la propriété mobilière de celle de la propriété


immobilière. Il est de coutume dans les développements relatifs à l’étendue de la propriété
de s’attarder davantage sur les immeubles. Cette orientation n’est pas dépourvue de mérite.
En effet, l’immeuble est dans l’absolu le bien qui peut se prêter à une telle étude sans
difficultés majeures : il est à la fois un bien non consomptible, non fongible aussi dans les
circonstances les plus fréquentes, frugifère... En outre, sa nature physique indéboulonnable
justifie de souvent déterminer ses limites. Inféodé au sol et à tout ce que recouvre celui-ci, il
293
Ass. Plén., 23 juin 1972 aff. l’étang de Napoléon. Dans cette décision, en vertu de la théorie de la
continuation de la personne du défunt, la Cour de cassation déduit que la propriété ne cesse pas au décès du
propriétaire, mais qu’elle est automatiquement transmise à ses héritiers (affaire de l’étang submergé par la mer
qui s’est retirée des dizaines d’années après).
294
Trib. Civ. de la Seine, 1er juin 1949, affaire du TRESOR DE LA RUE MOUFFETARD. Le trésor est, selon
l’article 716 du Code civil, une chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété. Or,
puisque la propriété ne se perd pas par le non-usage, les héritiers peuvent toujours en justifier.
295
Article 334 COCC : « Le vendeur peut, par une stipulation expresse insérée dans le contrat, se réserver
pendant un certain délai le droit de reprendre la chose vendue sous les conditions définies ci après ».
296
V. articles L113 et suivants du Code de construction du Sénégal. Dans un bail à construction, le preneur
s’engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état
d’entretien pendant une certaine durée. A la fin du bail, le bailleur devient en principe propriétaire des
améliorations si les parties n’ont pas stipulé autrement. Pendant la durée du bail, le preneur est considéré comme
un propriétaire temporaire au regard des prérogatives qui lui sont reconnues.
297
Il est consenti entre une durée comprise entre 18 et 50 ans (article 39 de la loi 76-66 du 2 juillet 1976 portant
Code du domaine de l’Etat). Seul le droit de jouissance est transmis au preneur mais la loi lui reconnait des
prérogatives qui lui confèrent la qualité de propriétaire temporaire.
298
Article 2011 du Code civil : « La fiducie est l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent
des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou
plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit
d'un ou plusieurs bénéficiaires ». À défaut de terme conventionnel plus court, la durée légale de la propriété est
fixée à 33 ans (Article 2029 al. 1 du Code civil). Lorsque le terme est échu, la propriété fiduciaire prend fin au
profit d’une propriété ordinaire retournant au constituant en cas d’absence de bénéficiaire ou transmise au
bénéficiaire de la fiducie. V. développements du cours en rapport avec le patrimoine d’affectation.
peut également arpenter une structure qui défie les lois de la nature car sa surface peut être
susceptible d’une extension en hauteur. Les développements ci-après n’épouseront pas
toutefois une telle approche dans la mesure où là où il convient de s’attarder sur l’étendue de
la propriété d’un immeuble, la propriété mobilière peut soulever des préoccupations non
moins intéressantes qui justifieront d’en cerner les limites. Pour qu’elles soient illustratives, il
convient néanmoins d’étudier l’étendue de la propriété en tenant compte en arrière-plan les
phénomènes d’acquisition par accession qui permettent en pratique à un propriétaire
d’étendre son droit à d’autres choses qui n’en relèvent pas en théorie 299. Pourtant, les analyses
en droit des biens distinguent souvent l’étendue de la propriété aux mécanismes d’acquisition
de la propriété par accession. Il n’empêche, lorsque de telles circonstances sont appelées à
jouer, c’est l’étendue de la propriété qui reste à être fixée. Pour toutes ces raisons, les
développements ci-après alterneront l’étude de l’étendue des propriétés immobilière et
mobilière. Pour disséquer pleinement leur particularité respective, ces deux mouvements
seront étudiés en contemplation des phénomènes d’acquisition de la propriété par accession.
Ainsi, l’étude de l’étendue de la propriété mobilière (A) précédera celle de la propriété
immobilière (B).

A – L’étendue de la propriété mobilière

L’identification en principe aisée de l’étendue de la propriété d’un meuble pris


ut singuli. L’identification de l’objet du droit de propriété sur un meuble est en principe
chose aisée. Les meubles sont en général individualisés et donc facilement identifiables.
Ainsi, l’étendue de la propriété sur un téléphone portable, un téléviseur, un matelas…ne pose
aucun problème. Elle est délimitée par la matière de l’objet ou de la chose en tant que tel…
Difficultés pour fixer l’étendue de la propriété en cas d’incorporation de
meubles. Il en autrement lorsque les meubles sont mélangés, incorporés l’un à l’autre alors
qu’ils appartiennent à deux propriétaires différents. Dans de telles circonstances, l’évidence
qui entoure la détermination de l’étendue de la propriété sur un meuble pris ut singuli se perd
dans la mesure où la recomposition en un seul bien d’une pluralité de meubles impose de
déterminer lequel des deux propriétaires initiaux se l’appropriera in fine. On cherchera
vainement en droit sénégalais des solutions qui pourraient dénouer de telles situations

299
Article 546 du Code civil : « La propriété d'une chose soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout
ce qu'elle produit, et sur ce qui s'y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement.
Ce droit s'appelle "droit d'accession" ».
litigieuses on ne les trouvera pas. En revanche, le droit français a trouvé une solution de
compromis à ces épineuses questions dont pourraient s’inspirer les juridictions sénégalaises.
Principes généraux. La séparation, l’indemnisation d’un des propriétaires après
attribution du produit de l’union à l’autre, la restitution puis l’indivision demeurent les
solutions principielles. Ces possibilités s’offrent au propriétaire dont la matière a été utilisée à
son insu.
La séparation des meubles unis. La première solution à laquelle il paraît logique de
songer reste la séparation des meubles. Elle peut ainsi être prononcée. Dans l’hypothèse où
elle se réalisera avec dégradation d’un bien, la victime de l’union peut raisonnablement agir
en responsabilité contre l’auteur de l’union. Cette orientation peut toutefois être exclue pour
donner sens à la règle de l’accessoire.
L’attribution du produit de l’union à l’un des propriétaires. Le produit de l’union
pourra bénéficier en principe au propriétaire du bien principal. Cette solution n’est pas
toutefois sans nuire les intérêts en présence : ceux du nouveau propriétaire du tout qui sera
obligé de verser une indemnité à l’autre ; ceux de ce dernier qui sera privé de sa chose
quoiqu’ayant obtenu une indemnité compensatrice. Ces solutions ne sont pas exclusives de la
mise en jeu par l’un des propriétaires de la responsabilité civile de l’auteur de l’union s’étant
faite à son insu.
La restitution ou le paiement de la chose. Plutôt que de demander le bénéfice de
l’accession, le propriétaire dont la matière a été utilisée à son insu peut exiger la restitution
d’une chose de même espèce ou le remboursement de sa valeur.
La copropriété. Le produit de l’union devient dans ce cas un bien indivis. Il peut y
mettre fin à tout moment. Le cas échéant, c’est la séparation des meubles unis qui est
envisagée. Le partage pourra se faire en nature ou en valeur.
Solutions spéciales préconisées par l’équité naturelle. L’article 565 alinéa 1er du
Code civil français dispose : « Le droit d'accession, quand il a pour objet deux choses
mobilières appartenant à deux maîtres différents, est entièrement subordonné aux principes
de l'équité naturelle ». Consacrant de façon inédite l’équité comme source du droit, cette
disposition est néanmoins précisée par d’autres articles qui lui font écho. Ceux-ci permettent
de distinguer trois modes d’accession en matière mobilière qui n’ont vocation à s’appliquer
que lorsqu’une trilogie de conditions se réalise : l’incorporation de biens mobiliers ; une
incorporation ne résultant pas d’une convention ; l’inapplication de l’article 2276 du Code
civil300. Lorsque ces conditions sont réunies, le Code civil permet de distinguer trois modes
300
Article 2276 : « En fait de meubles, la possession vaut titre.
d’accession en matière mobilière : l’accession par adjonction, l’accession par spécification et
l’accession par mélange.
L’accession par adjonction. Elle vise l’hypothèse dans laquelle deux choses
appartenant à deux personnes ont été unies pour former un tout qui reste néanmoins
séparable. Exemple : un bracelet appartenant à X serti de pierres précieuses appartenant à Y.
Le cas échéant, le tout reviendrait au propriétaire du bien principal. Il devra néanmoins payer
à l’autre la valeur de la chose adjointe (appréciée au jour du paiement) au bien considéré
301
comme principal selon les critères d’utilité, de valeur ou de quantité . Le bien considéré
comme accessoire est en principe celui utilisé pour l’usage, l’ornement ou le complément du
bien principal302. Dans l’hypothèse où c’est le bien accessoire par application desdits critères
qui serait considéré comme plus précieux, l’article 568 du Code civil dispose : « Néanmoins,
quand la chose unie est beaucoup plus précieuse que la chose principale, et quand elle a été
employée à l'insu du propriétaire, celui-ci peut demander que la chose unie soit séparée pour
lui être rendue, même quand il pourrait en résulter quelque dégradation de la chose à
laquelle elle a été jointe ». Enfin, lorsqu’il est impossible d’établir la relation accessoire-
principal entre les biens incorporés, il convient de s’attacher le contenu de l’article 569 du
Code civil. Ainsi, c’est le critère de la valeur qui prévaudra. En cas de valeur égale, ce sera
alors celui du volume qu’il faudra privilégier303.
L’accession par spécification. Cette hypothèse vise contrairement à la première, la
création par une personne d’une chose mobilière nouvelle avec un matériau appartenant à
autrui. Il n’y a pas dès lors un conflit entre des propriétaires de deux matières différentes mais
plutôt entre celui de la matière et celui qui a apporté sa force de travail. Exemple : un
fromager transforme du lait de vache appartenant à autrui en beurre. Au regard du droit
positif français, la propriété du beurre devrait revenir en principe au propriétaire du lait de
vache304 sauf si le travail du fromager a été plus important en valeur à la matière qu’il a

Néanmoins, celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans à compter
du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours contre
celui duquel il la tient ».
301
Article 566 du Code civil : « Lorsque deux choses appartenant à différents maîtres, qui ont été unies de
manière à former un tout, sont néanmoins séparables, en sorte que l'une puisse subsister sans l'autre, le tout
appartient au maître de la chose qui forme la partie principale, à la charge de payer à l'autre la valeur, estimée
à la date du paiement, de la chose qui a été unie ».
302
Article 567 du Code civil : « Est réputée partie principale celle à laquelle l'autre n'a été unie que pour
l'usage, l'ornement ou le complément de la première ».
303
Article 569 du Code civil.
304
Article 570 du Code civil : « Si un artisan ou une personne quelconque a employé une matière qui ne lui
appartenait pas à former une chose d'une nouvelle espèce, soit que la matière puisse ou non reprendre sa
première forme, celui qui en était le propriétaire a le droit de réclamer la chose qui en a été formée en
remboursant le prix de la main-d'œuvre estimée à la date du remboursement ».
transformée305, à charge alors pour ce dernier de dédommager l’autre. Une hypothèse
particulière peut relativiser toutes les solutions ci-dessus présentées. Imaginons que le
fromager, en sus du lait de vache ait ajouté pour la préparation du fromage, des substances
qui lui appartenaient. Il faut envisager trois situations. Lorsque que la force de travail est plus
importante que la valeur de la chose fournie par le fromager, l’article 571 du Code civil est
applicable. Au cas contraire, lorsque la force de travail et la matière fournie par l’artisan ont
une valeur marchande inférieure à la chose d’autrui, le propriétaire de celle-ci acquerra la
propriété du tout. Dans ces deux hypothèses, le propriétaire désigné remettra la valeur de la
chose d’autrui acquise par le procédé de l’accession. Reste une ultime situation où le rapport
supérieur-inférieur n’est pas dissécable et où la chose d’autrui est a priori égale en valeur à la
substance et la force de travail de l’artisan. Si les matières ne sont pas séparables sans
dommage de sorte à remettre à chacun la sienne, le produit est considéré comme indivis.
Chacun sera dès lors propriétaire en considération de la valeur de sa chose et du prix de la
force de travail306.
L’accession par mélange. Elle scelle la dissolution de plusieurs choses appartenant à
des propriétaires différents dans un tout. L’article 573 du Code civil instaure alors une
propriété collective dans la mesure où il admet que chaque maître de la matière à l’origine du
bien créé en est propriétaire en proportion de la quantité, de la qualité ou de la valeur de
celle-ci. Exemple : du lait, de la purée de pomme et du sucre appartenant à des personnes
distinctes sont utilisés pour constituer un jus de fruit. Les propriétaires respectifs des matières
utilisées sont considérés aussi comme propriétaire du jus de fruit au prorata de la valeur, de la
quantité ou de la qualité des choses qui l’ont généré307. Le propriétaire dont la chose a été
utilisée à son insu peut demander la séparation si cela est matériellement possible 308.
Conclusion sur les modes d’accession en matière mobilière. Même si ceux-ci
peuvent être appréhendés comme un mode d’acquisition de la propriété, ils concrétisent de
façon générale la mesure de l’étendue de la propriété mobilière dans l’hypothèse de meubles
incorporés les uns aux autres appartenant à plusieurs propriétaires. Il n’en demeure pas moins
cependant qu’en pratique ces modes d’accession qui s’imprègnent de l’équité ne sont pas
souvent opératoires pour deux raisons. En premier lieu, les différents propriétaires recourent

305
Article 571 du Code civil : « Si, cependant, la main-d’œuvre était tellement importante qu'elle surpassât de
beaucoup la valeur de la matière employée, l'industrie serait alors réputée la partie principale, et l'ouvrier
aurait le droit de retenir la chose travaillée, en remboursant au propriétaire le prix de la matière, estimée à la
date du remboursement ».
306
Article 572 du Code civil.
307
Article 573 alinéa 1er du Code civil.
308
Article 573 alinéa 2 du Code civil.
souvent à des contrats pour préciser le sort de leurs différentes propriétés. Des clauses de
réserve de propriété sont prévues à cet effet. En second lieu, l’acquisition de la propriété par
possession permet souvent de se passer des modes d’accession.
La mesure de l’étendue de la propriété immobilière se présente sous une autre couture
qu’il s’agit à présent d’étudier.

B – L’étendue de la propriété immobilière

Les limites matérielles de l’immeuble. Si la mesure de l’étendue du droit de


propriété ne pose pas de difficulté quand la chose objet du droit de propriété est un meuble,
en revanche, les limites matérielles de l'immeuble sont plus pénibles à établir quand c'est un
fonds de terre. La détermination des limites matérielles de la propriété immobilière permet de
distinguer son périmètre (1) de ses hauteur et profondeur (2).

1 – Le périmètre de la propriété immobilière

Périmètre rime avec bornage, clôture et parfois représentation cadastrale.


Définir le périmètre de la propriété immobilière est possible lorsque le propriétaire du fonds
recourt au bornage et à la clôture. Dans certaines circonstances, il est nécessaire de recourir
au service du cadastre pour être fixé sur l’étendue de la parcelle qui fait l’objet d’un droit de
propriété.

a – Le bornage
L’encadrement lacunaire du bornage en droit sénégalais. Le droit positif
sénégalais ne consent pas de réglementation détaillée au bornage. Il n’empêche deux
règlementations y renvoient de façon explicite. La loi foncière de 2011 s’y réfère lorsqu’un
immeuble fait l’objet d’une aliénation partielle ou d’un partage. Les surfaces contiguës
qu’une telle division implique requièrent un bornage pour fixer les limites de chaque parcelle.
A défaut de quoi, le conservateur chargé d’établir des titres fonciers ne pourrait y faire
droit309. Le Code de l’urbanisme contraint également les personnes ayant obtenu de

309
Article 75 de la loi de 2011 préc. : « Dès que le bornage est achevé, le conservateur annexe le procès-
verbal aux pièces déposées et procède à l’inscription de l’acte. Il établit en conséquence, au nom de chacun
des propriétaires des lots distincts, un nouveau titre foncier sur lequel sont reportées toutes les inscriptions
non radiées du titre ancien ; ce dernier, après inscription des mentions relatives à la diminution des
superficie, consistance et valeur de l’immeuble, reste aux mains du propriétaire pour la part non aliénée, ou,
en cas de partage ou de vente par lots, est remis à l’attributaire ou à l’acquéreur du dernier lot attribué ou
vendu ».
l’administration l’autorisation de lotir des fonds à procéder à leur bornage pour assurer leur
viabilité310.
Conditions de réalisation de bornage. Le bornage permet donc de définir la limite
territoriale de deux fonds contigus (1ère condition), propriétés de deux personnes distinctes
(2ème condition), par des signes apparents connus sous le nom de «bornes». Cela suppose donc
qu’ils ne soient pas séparer par une limite naturelle : cours d’eau, bâtiment, voie publique ou
privée…
Caractère du bornage. Le droit au bornage reste en principe facultatif, le propriétaire
d’un fonds n’y recourant que s’il ignore ses limites ou lorsqu’un empiétement est
menaçant311. Il est à ce titre imprescriptible312. Le titulaire du droit au bornage bénéficie aussi
à toute personne bénéficiant sur le fonds un droit réel autre la propriété. Dans la pratique, il
s’impose lorsque le propriétaire d’un fonds envisage de le céder en tout ou en partie en
recourant à des promesses de vente ou baux à construction. En général amiable 313, il peut être
toutefois judiciaire lorsque le voisin conteste les limites de son fonds. C’est le tribunal de
grande instance du lieu de situation de l’immeuble qui sera compétent dans ce cas 314.
Effets du bornage. La délimitation matérielle des fonds que fixe le plan de bornage
reste inattaquable. De là à l’assimiler à un acte translatif de propriété, il n’y a qu’un pas. Le
bornage se refuse néanmoins à une telle qualification. L’opération de bornage n’engendre pas
un acte translatif de propriété. Il n’est pas dès lors susceptible de publicité foncière.

b – La clôture
Encadrement non exhaustif de la clôture en droit sénégalais. La clôture établit
également les limites de la propriété immobilière. Elle protège le propriétaire d’un fonds
contre les intrusions. Contrairement au bornage, le droit positif sénégalais réserve un
ensemble normatif plus fourni à la clôture. On trouvera ainsi de nombreuses dispositions
consacrées à la clôture à différents titres dans la partie réglementaire du Code de
l’urbanisme : l’exemption de demande d’autorisation à construire pour les clôtures d’une
310
Article R 167 du décret n° 2009-1450 du 30 décembre 2009 portant partie règlementaire du Code de
l’Urbanisme : « L’autorisation impose au lotisseur l’exécution complète des travaux de viabilité en ce qui
concerne notamment : les travaux de terrassement et de nivellement du terrain ; l’implantation des repères
fixes ou bornes de délimitation des lots ; la voirie ; la distribution d’eau ; l’évacuation et le traitement d’eaux
usées, le raccordement aux réseaux locaux s’ils existent ; à défaut le système d’assainissement retenu ; la
réalisation d’aires de stationnement et d’espaces verts ». C’est nous qui soulignons.
311
Article 646 du Code civil.
312
Article 2262 du Code civil : « Les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni
possession ni prescription ».
313
Le cas échéant, les parties recourent à un géomètre qui dresse un plan signé par elles. Les frais sont supportés
par les deux.
314
Article 34 CPC alinéa 5.
hauteur inférieure à deux mètres315, l’exigence d’une clôture à alignement pour les immeubles
bordant les voies publiques316, la forme des clôtures des immeubles situés à l’angle des voies
publiques317, les matériaux impropres à constituer des clôtures dans les zones soumises à
l’autorisation de construire318, la règlementation de la pose de publicité ou pré-enseigne sur
les clôtures319 etc. Le législateur sénégalais s’est gardé néanmoins d’encadrer de façon
exhaustive la question. Ces incursions du Code de l’urbanisme pallient mal l’incomplétude
du socle législatif. Le droit français, une fois de plus, peut offrir son office en vue de
déterminer les prescriptions générales applicables à la clôture.
L’encadrement de la clôture dans le Code civil. Au regard du Code civil, la clôture
présente une nature ambivalente. Elle s’apparente à un droit et en même temps une
obligation.
La clôture envisagée comme un droit. En effet, le propriétaire a la prérogative de
clore son fonds en vertu de l’article 647 du Code civil 320. Dans les campagnes, ce droit
s’exerce en principe de la façon la plus absolue. A ce titre, le propriétaire peut clore son fonds
ou se passer de le faire321. Il en est autrement dans les villes comme on le verra 322. Comme
tout droit, celui de clore son fonds peut souffrir de limites légales et jurisprudentielles. Il en
est ainsi lorsque le propriétaire doit supporter sur son fonds des servitudes de passage 323. La
nature et les modalités d’exécution des clôtures peuvent être aussi imposées par la
municipalité324. La mise en œuvre d’une telle prérogative doit également obéir à une finalité
adéquate et ne doit pas être initiée dans le but exclusif de nuire à autrui, le voisin par exemple
du propriétaire du fonds.
La clôture envisagée comme une obligation. Le Code civil impose dans les villes et
faubourgs l’obligation de clore les fonds contigus à usage d’habitation ou dépendant d’une
habitation. Dans ces lieux, la législation prévoit même des dimensions précises pour la

315
Article R-215 de la réglementation précitée.
316
Article R-230.
317
Article R-231.
318
Article R-240.
319
Articles R-250 et R-251.
320
« Tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l'exception portée en l'article 682 ».
321
L’autorité municipale peut toutefois imposer une clôture. L’article 122 du Code général de la décentralisation
le laisse supposer plus ou moins : « Le maire peut prescrire aux propriétaires usufruitiers, fermiers ou à tous
les autres possesseurs ou exploitants d'entourer d'une clôture suffisante les puits et les excavations présentant
un danger pour la sécurité publique, ainsi que les terrains insalubres présentant un danger pour la santé
publique ».
322
V. infra.
323
Article 682 du Code civil.
324
Cf. l’article 81 du Code général de la décentralisation du Sénégal.
hauteur des clôtures325. Le voisin peut être mis en contribution pour les frais de construction.
Faute d’obtempérer, il pourrait perdre la propriété du dessus de la superficie censée accueillir
la clôture au bénéfice de l’autre qui envisage de l’édifier.

c – Le cadastre

Aspects généraux sur le cadastre. Le service cadastral permet de s’informer de la


situation foncière et domaniale du fonds dans la mesure où il reconfigure l'ensemble des
parcelles sur un document administratif (plan cadastral). En outre, il permet de connaitre
l’exactitude de la forme et de la superficie de la parcelle afin de rendre possible les opérations
de bornage qui fixent le périmètre de la propriété de façon contradictoire entre les parties. Au
Sénégal, les services cadastraux existent en principe dans chaque région avec un maillage
plus dense dans les régions à forte implantation démographique (Dakar, Thiès notamment).

2 – La hauteur et la profondeur de la propriété immobilière

L’immeuble et ses dimensions dans l’espace. Contrairement à la propriété


mobilière, il est possible de déterminer la hauteur et la profondeur de la propriété immobilière
à partir de son étendue dans l’espace. L’immobilisation par incorporation expliquée dans les
développements précédents donne corps à une telle projection 326. Les immeubles par nature
que l’on explique par le phénomène d’incorporation ne laissent pas indifférentes la hauteur et
la profondeur du fonds. Le cas échéant, le droit de propriété sur le sol de l’immeuble inclut en
principe le dessus et le dessous comme en dispose du reste l’article 552 du Code civil327.
La substance de la propriété du dessus ou de la superficie : prérogatives et
limites. L’extension de la propriété immobilière au-dessus du fonds oblige à cerner l’étendue
des prérogatives reconnues au titulaire du droit de propriété. A l’heure actuelle, ses
prérogatives s’exposent pourtant à des limitations plurielles.

325
Article 663 du Code civil : « Chacun peut contraindre son voisin, dans les villes et faubourgs, à contribuer
aux constructions et réparations de la clôture faisant séparation de leurs maisons, cours et jardins assis ès dites
villes et faubourgs : la hauteur de la clôture sera fixée suivant les règlements particuliers ou les usages
constants et reconnus et, à défaut d'usages et de règlements, tout mur de séparation entre voisins, qui sera
construit ou rétabli à l'avenir, doit avoir au moins trente-deux décimètres de hauteur, compris le chaperon,
dans les villes de cinquante mille âmes et au-dessus, et vingt-six décimètres dans les autres ».
326
V. supra.
327
« La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.
Le propriétaire peut faire au-dessus toutes les plantations et constructions qu'il juge à propos, sauf les
exceptions établies au titre " Des servitudes ou services fonciers ".
Il peut faire au-dessous toutes les constructions et fouilles qu'il jugera à propos, et tirer de ces fouilles tous les
produits qu'elles peuvent fournir, sauf les modifications résultant des lois et règlements relatifs aux mines, et
des lois et règlements de police ».
Les prérogatives conférées par la propriété de la superficie. La propriété du dessus
permet au propriétaire d’ériger des constructions et de faire des plantations sur le sol. Si des
ouvrages ou arbres venaient à y être implantés, il en acquerrait de jure la propriété sauf
conventions particulières328. Elle confère corrélativement à ce dernier la prérogative
d’interdire à toute personne, aux voisins notamment, que l’espace au-dessus du sol fasse
l’objet d’atteintes de toute sorte indifféremment de toute prise en considération d’un
dommage qui en résulterait329.
Les limitations des prérogatives du propriétaire : concurrence entre les intérêts du
propriétaire et des tiers et de l’Etat. Ces limitations tiennent à deux facteurs. Les
prérogatives du propriétaire sur le dessus entrent d’abord en concurrence avec l’air considéré
comme une chose sans maître. En outre, l’Etat a souvent une vue sur l’administration, le
contrôle et l’accès à son espace géographique céleste330.
Restrictions légales. On comprend alors que les prérogatives du propriétaire du sol ne
soient pas absolues et indéfinies sur le dessus en raison de nombreuses restrictions souvent

328
V. infra.
329
Les arbres, arbustes et arbrisseaux débordant au-dessus du sol (art. 673 al. 1 er du Code civil) ; les câbles
d’abonnement à des chaînes satellitaires comme c’est de plus en plus fréquent dans certains quartiers dakarois…
330
Règlement Aéronautique du Sénégal (RAS) n° 2-ANACIM article 3.1.2 Hauteurs minimales : « Sauf
pour les besoins du décollage et de l’atterrissage, ou sauf autorisation des autorités compétentes, les aéronefs
ne doivent pas voler au-dessus des zones à forte densité des villes et autres agglomérations, ou de
rassemblements de personnes en plein air, à moins qu’ils ne restent à une hauteur suffisante pour leur
permettre, en cas d’urgence, d’atterrir sans mettre indûment en danger les personnes ou les biens à la
surface ».
d’ordre légal qu’elles ressortissent du Code de l’environnement 331, du Code de construction332
ou du Code de l’urbanisme333…
Restrictions conventionnelles. Il existe par ailleurs des restrictions d’ordre conventionnel.
Elles procèdent souvent de la volonté du propriétaire de concéder certaines prérogatives sur
son fonds. Ce dernier peut par exemple concéder un bail à construction sur sa propriété
foncière. Ce faisant, il accepte une division entre la propriété du sol et la superficie. Le bail à
construction confère au preneur un véritable droit réel immobilier sur la superficie qui est
cessible en plus de pouvoir faire l’objet d’une hypothèque, le tout dans les conditions prévues

331
Article L 77 du Code de l’environnement : « Des décrets pris en application de la présente loi
déterminent:
- les conditions dans lesquelles les immeubles, les établissements commerciaux industriels, artisanaux ou
agricoles, les véhicules ou autres objets mobiliers possédés, exploités ou détenus par toute personne physique
ou morale, sont construits, exploités ou utilisés de manière à satisfaire aux dispositions de la présente loi ;
- les cas et conditions dans lesquels doit être interdite ou réglementée l’émission dans l’atmosphère de fumées,
poussières ou gaz toxiques, corrosifs, radioactifs ;
- les conditions dans lesquelles sont réglementés et contrôlés la construction des immeubles, l’ouverture des
établissements ne figurant pas dans la nomenclature des installations classées, l’équipement des véhicules, la
fabrication des objets mobiliers, l’utilisation des combustibles et carburants et au besoin, la nature des
combustibles utilisés ;
- les cas et conditions dans lesquels toutes mesures exécutoires doivent être prises par l’administration
destinées d’office à faire cesser le trouble, avant l’exécution de condamnation pénale ;
- les délais dans lesquels il doit être satisfait à ces dispositions à la date de publication de chaque règlement.
Des zones de protection spéciale faisant l’objet de mesures particulières doivent, en cas de nécessité, être
instituées par arrêté du Ministre chargé de l’environnement en fonction des niveaux de pollution observée et
compte tenu de certaines circonstances propres à en aggraver les inconvénients ».
Article L 78 du Code de l’environnement : « Afin d’éviter la pollution atmosphérique, les immeubles,
établissements agricoles, industriels, commerciaux ou artisanaux, véhicules ou autres objets mobiliers
possédés, exploités ou détenus par toute personne physique ou morale, sont construits, exploités ou utilisés de
manière à satisfaire aux normes techniques en vigueur ou prises en application de la présente loi ».
Ils sont tous soumis à une obligation générale de prévention et de réduction des impacts nocifs sur
l’atmosphère ».
332
Article L 50 du Code de construction : « Lorsque la présence d'une construction, qu'elle soit ou non à
usage d'habitation, apporte une gêne à la réception de la radiodiffusion ou de la télévision pour les occupants
des bâtiments voisins, son propriétaire ou les locataires, preneurs ou occupants de bonne foi ne peuvent
s'opposer, sous le contrôle de l’Autorité administrative dont relève la Communication, à l'installation de
dispositifs de réception ou de réémission propres à établir des conditions de réception satisfaisantes ».
Article L 54 du Code de construction : « Le permis de construire ne peut être délivré pour les immeubles de
grande hauteur que si les constructions ou les travaux projetés sont conformes aux règles de sécurité propres à
ce type d'immeubles, que les locaux concernés soient ou non à usage d'habitation ».
333
Article R 258 du Code de l’urbanisme (Partie règlementaire) : « Dans les secteurs déjà partiellement
bâtis présentant une unité d’aspect, l’autorisation de construire, à une hauteur supérieure à la hauteur
moyenne des constructions avoisinantes, peut être refusée ou assujettie aux conditions particulières du
règlement d’urbanisme.
L’autorisation de construire ou d’extension à une hauteur supérieure à un seuil fixe, est refusée en cas
d’incidence sur la sécurité aérienne ».
par le Code de construction du Sénégal 334. Les droits du preneur sont assimilables par ailleurs
à ceux dont un superficiaire dispose lorsqu’il est titulaire d’un droit de superficie 335.
Outre la propriété du dessus, les droits du propriétaire s’étendent en principe au tréfonds
ou plus communément appelé sous-sol.
Extension de la propriété immobilière au tréfonds. La propriété du sous-sol est
également appelée tréfonds. L’extension des prérogatives du propriétaire du sol au tréfonds
s’admet logiquement dans la mesure où, le sol, son dessus et son dessous rendent son droit
plus complet et absolu. L’inclusion de la propriété du tréfonds permet de mettre en lumière
les nombreuses prérogatives du propriétaire. Il faut toutefois tenir en considération les
nombreuses atteintes dont elles font l’objet de nos jours.
Disparité relative de l’encadrement du régime juridique du tréfonds et du dessus. Il y a
une certaine disparité de traitement juridique du tréfonds et du dessus. La raison procède de la
portée résiduelle de l’extension de la propriété immobilière au tréfonds en considération
notamment des obstacles physiques qui se dressent à l’exercice concret des prérogatives
conférées au propriétaire du fonds : difficultés à fouiller, creuser ou explorer le sous-sol ; à
cela s’ajoute l’impossible soumission de tout le sous-sol à la puissance du propriétaire.
Manifestations positives de la propriété du tréfonds. Le propriétaire du fonds peut tirer
profit de toutes les commodités que lui procure la propriété du tréfonds pour agrémenter
l’occupation de l’immeuble. Même si c’est réglementé dans certaines hypothèses 336, il peut
ainsi solliciter le tréfonds lorsqu’il construit sur son fonds une piscine, une cave à vins, une
grotte ou un puits, un sous-sol. Il peut par ailleurs tirer profit sous certaines modalités de tout
ce qui s’y trouve qu’il s’agisse des sources ou eaux souterraines 337. Ainsi, l’étendue de son

334
Article L 115 : « Le bail à construction confère au preneur un droit réel immobilier. Ce droit peut être
hypothéqué, de même que les constructions édifiées sur le terrain loué, il peut être saisi dans les formes
prescrites pour la saisie immobilière.
Le preneur peut céder tout ou partie de ses droits ou les apporter en société. Les cessionnaires ou la société
sont tenus des mêmes obligations que le cédant qui en reste garant jusqu'à l'achèvement de l'ensemble des
constructions que le preneur s'est engagé à édifier en application de l'article L 113.
Le preneur peut consentir les servitudes passives indispensables à la réalisation des constructions prévues au
bail ».
335
En ce sens, F. TERRE & Ph. SIMLER, ouvr. préc.
336
Article L 43 du Code de construction (Partie législative) : « Le sondage, l’ouvrage souterrain et le travail
de fouille dont la profondeur dépasse dix mètres en dessous de la surface du sol sont assimilés à des opérations
de construction et d’exécution d’un ouvrage. Leur exécution est soumise à une déclaration préalable auprès de
la collectivité locale concernée et de l’Administration ».
337
L’appropriation absolue des eaux souterraines est néanmoins subordonnée à une autorisation administrative
en application de la Loi n° 81-13 du 4 mars 1981 portant Code de l’Eau du Sénégal. En pratique, les
dispositions énoncées par cette règlementation ne sont pas souvent respectées toutefois.
Article 9. « – A la date d’entrée en vigueur du présent Code, toute personne désirant :
- exécuter un ouvrage de captage des eaux souterraines par puits, forages, galeries drainantes devant débiter
plus de 5 mètres cubes par heure ou équiper un ouvrage de captage existant ou puiser dans une nappe classées
en Zone I ; ».
droit intègre en principe la propriété des objets qui s’y trouvent sous réserve des limites
prévues par les lois et les règlements338.
Manifestations négatives de la propriété du tréfonds. La propriété du tréfonds confère la
prérogative réciproque au titulaire du droit de refuser et d’interdire toute atteinte du fait de
circonstances favorisées par le voisinage. Il peut arriver par exemple que les racines d’arbres
incorporés dans des fonds voisins s’incrustent dans le tréfonds et remettent ainsi en cause ses
prérogatives. Le cas échéant, il peut les couper ou les faire couper en l’absence même de
préjudice. Il en sera de même des constructions non autorisées par le propriétaire du fonds qui
solliciterait le tréfonds. On peut songer notamment à certaines fondations de bâtiments qui
empièteraient sur la propriété d’autrui ou alors certains raccordements électriques souterrains
et autres. L’empiétement du sol suffira néanmoins souvent à justifier la destruction de tels
ouvrages ou le retirement des matériaux suvisés.
Prérogatives concurrentielles de l’Etat et du tréfoncier. Les limitations
contemporaines dont fait l’objet la propriété du sol (hypothèse où il est également
propriétaire du tréfonds) s’apprécient à l’aune de l’importance économique des objets que
regorge le sous-sol. Source principale de devises dans des Etats pour l’essentiel
structurellement sous-développés, l’appropriation des objets situés dans le tréfonds ne saurait
être laissée à la simple discrétion du propriétaire du sol. Le droit sénégalais n’y fait pas
exception. Le contrôle stratégique des ressources minières et naturelles justifie ainsi une
certaine entorse à la présomption qui voudrait qu’on fonde les objets diffus dans le tréfonds
dans l’étendue du droit de propriété. De la sorte, il y a un démembrement du droit de
propriété au bénéfice de l’Etat sur certaines substances. Une telle déstructuration du droit de
propriété amène à dissocier la propriété du sol qui continuera à appartenir à une personne
physique ou à une personne morale de droit privé ou de droit public tandis que les ressources
minières et naturelles, souvent situées dans le tréfonds, restent la propriété exclusive de
l’Etat. Pour l’illustrer, l’analyse peut être menée à partir du Code minier du Sénégal 339.
Droit minier et propriété des substances minérales par l’Etat. Le Code minier
arbitre les différentes prétentions portant sur certaines substances que contient le tréfonds.
Cet arbitrage profite substantiellement à l’Etat dans la mesure où les considérations initiales
de l’article 3 du Code minier disposent avec un brin de solennité : « Les substances
minérales contenues dans le sol et le sous-sol du territoire, ses eaux territoriales et son
plateau continental sont la propriété de l’Etat ». Sur la base de cette proclamation, on n’est
338
V. infra.
339
Loi n°2016-32 du 8 novembre 2016 portant Code minier ; v. aussi le Décret n° 2017-459 fixant les modalités
d’application de la loi n° 2016-32 du 8 novembre 2016 portant Code minier.
donc fondé à estimer que tombent sous le coup de l’article 3 du Code minier les substances
minérales se trouvant dans le tréfonds des immeubles immatriculés alors même que des
particuliers détiendraient sur ceux-ci des titres de propriété ; ce qui pourrait sembler
paradoxalement dérogatoire au postulat selon lequel la propriété du sol implique celle du
dessus et du dessous en ce compris les objets se trouvant dans celui-là 340. Il paraît pourtant en
aller ainsi.
Dissociation entre la propriété du sol et la propriété des substances minérales se
trouvant dans le sous-sol. Cette impression est sous-tendue par le fait que certains titres
miniers, à l’instar du permis d’exploitation minière, confèrent « un droit d’occupation des
terrains nécessaires à la réalisation des opérations minières » ainsi qu’« un droit réel
immobilier distinct de la propriété du sol »341. En outre, certaines dispositions du Code
minier et de son décret d’application semblent organiser le contentieux de l’indemnisation
des dommages que subiraient les propriétaires des fonds exploités par autrui au bénéfice d’un
titre minier délivré par l’Etat342. Néanmoins au Sénégal, le faible pourcentage de titres privés
sur les immeubles immatriculés incite à croire que les chevauchements hypothétiques de
prétentions entre le propriétaire du sol et l’exploitant des mines existeront rarement. Les
terres du domaine national ou les eaux territoriales sont en général davantage sollicitées par
les projets d’exploration ou d’exploitation des ressources minières ou naturelles projetées par
les grandes firmes343.
Délivrance par l’Etat des titres miniers à des personnes privées. Il est rare
cependant que l’Etat exploite lui-même les substances minérales. En tant que propriétaire de
celles-ci, il délivre souvent des titres miniers à des personnes privées 344. Ceux-ci peuvent
conférer à leur titulaire des autorisations de prospection, des permis de recherche ou
d’exploration exclusive, des permis d’exploitation, des autorisations d’ouverture et
d’exploitation de carrière.
Nature juridique des titres miniers d’exploitation. Ces titres sont considérés
comme de véritables droits réels. En fonction de leur typologie, ils seront déterminés comme
immeubles et feront le cas échéant l’objet d’une publicité foncière 345 ou alors comme
340
V. W. DROSS, Droit des biens, LGDJ, 3ème éd., 2014, n° 365.
341
Article 27 du Code minier. Pour le droit d’occupation, v. aussi l’article 90 dudit Code.
342
Article 93 du Code minier ; article 89 Décret d’application.
343
V. récemment les accords signés entre l’Etat du Sénégal et Total, BP etc. pour l’exploration ou l’exploitation
du gaz et du pétrole offshore.
344
Article 7 alinéa 1er du Code minier : « Sur toute ou partie de l’étendue du territoire et dans les conditions
prévues par le présent Code, l’Etat peut octroyer à une ou plusieurs personnes physiques ou morales le droit
d’entreprendre ou de conduire une ou plusieurs opérations minières sur les substances minérales contenues
dans le sol et le sous-sol ».
345
Concernant le permis d’exploitation minière, cf. l’article 27 du Code minier.
meubles. Constitue notamment un droit réel immobilier le permis d’exploitation minière 346. A
ce titre, il peut faire l’objet d’une hypothèque 347. Est considéré en revanche comme un bien
mobilier l’autorisation d’exploitation de petite mine 348. Elle est incessible et intransmissible et
ne peut faire l’objet de garantie349.
Appropriation des substances minérales par les personnes privées. Le permis
d’exploitation minière confère à son titulaire 350 la propriété des substances extraites comme
en disposent les considérations finales de l’article 3 du Code minier : « Toutefois, les
titulaires des titres miniers d’exploitation acquièrent la propriété des substances minérales
qu’ils extraient ». L’article 27 du Code minier351 pour le permis d’exploitation minière,
l’article 41 alinéa 1er du même texte352 pour l’autorisation d’exploitation mine sont dans une
logique similaire. Lorsque les immeubles dont les tréfonds sont ainsi exploités appartiennent
à des particuliers, la division de la propriété immobilière susvisée dans les développements
qui précèdent a tout son sens.
Développement et prise en compte des intérêts des communautés locales. Ces
préoccupations sont portées nouvellement par le droit positif sénégalais afin de permettre que
les substances minérales extraites du tréfonds ne bénéficient pas exclusivement à
l’affectataire des titres miniers. Elles ménagent ainsi certaines tensions et frustrations qui
peuvent émaner des communautés locales du lieu d’implantation des industries extractives
par rapport à l’exploitation confiscatoire qu’elles peuvent faire des ressources minérales. Elle
est portée notamment par la Loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 portant
révision de la Constitution353 et l’article 113 du Code minier qui crée un fonds d’appui et de
péréquation destiné aux collectivités locales.
346
Ensemble articles 23 et 27 du Code minier.
347
Cf. article 27 préc. du Code minier.
348
En vertu de l’article 36 du Code minier, « La petite mine s’applique aux substances de mines provenant de
gîtes primaires ou secondaires affleurants ou sub-affleurants ». L’exploitation de petite mine s’applique aux
substances concessibles en l’occurrence l’or, le diamant et les autres gemmes provenant de gîtes primaires ou
secondaires affleurants ou sub-affleurants et aux substances de carrière, notamment les matériaux de
construction et les pierres ornementales (source : www.
http://www.servicepublic.gouv.sn/index.php/demarche_administrative/demarche/1/688. Dernière consultation,
le 22-03-2018 à 18h).
349
Article 41 alinéa 2 du Code minier.
350
Le Code minier exige le cas échéant qu’il soit une société commerciale de droit sénégalais (article 23 préc.).
351
« La délivrance d’un permis d’exploitation minière confère au titulaire ayant satisfait à ses obligations les
droits suivants :
- le droit exclusif d’exploitation et de libre disposition des substances pour lesquelles ledit permis
d’exploitation minière a été octroyé, dans les limites du périmètre attribué et indéfiniment en
profondeur (…) ».
352
« L’autorisation d’exploitation de petite mine confère au bénéficiaire, dans les limites du périmètre octroyé,
et indéfiniment en profondeur, le droit exclusif de prospecter et d’exploiter, selon des procédés semi-industriels
ou industriels, les substances minérales pour lesquelles elle est délivrée ».
353
Article 25-1. – : « Les ressources naturelles appartiennent au peuple. Elles sont utilisées pour l’amélioration
de ses conditions de vie.
Les nombreuses restrictions de la propriété immobilières qui apparaissent tout au
long des développements qui précèdent sont pour l’essentiel légales et conventionnelles. Elles
ont cependant un rapport direct avec la détermination de l’étendue de la propriété
immobilière. Une autre logique consiste à présenter la propriété en s’attachant à ses modes
d’acquisition.

Section II : Les modes d’acquisition de la propriété


Pluralités de modes d’acquisition. Il y a divers modes d’acquisition de la propriété.
Parmi les plus importants, on compte la possession (A). L’acquisition par titre et l’occupation
complètent les modes connus (B).

§ I : La possession

Considérations générales. La possession est une relation de fait entre une personne
et une chose corporelle. La personne se comporte comme si elle était propriétaire alors
qu’elle ne l’est pas en fait. Pour préciser davantage la notion (1), des précisions sont requises
sur les qualités d’une possession utile (2) et ses effets (3). Cette trajectoire suppose de se
référer en substance au droit français qui a influencé les rares expressions de la possession
dans le système juridique sénégalais. Il importe également de préciser que l’étude de la
possession en tant que mode d’acquisition de la propriété présente davantage d’intérêts en
droit français et en matière immobilière. Les raisons en seront mentionnées au moment de
s’épancher sur les effets de la possession utile.

A – La notion de possession

Présentation des éléments constitutifs et distinctifs. La définition de la possession


avancée ci-dessus requiert d’être affinée par une présentation de ses éléments constitutifs (a)
puis par une comparaison avec les notions voisines (b).

1 – Les éléments constitutifs de la possession

La possession = Corpus + Animus. Si la propriété peut être présentée en équation


mathématique (addition de l’usus, du fructus et de l’abusus), la possession peut l’incarner

L’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence et de façon à générer
une croissance économique, à promouvoir le bien-être de la population en général et à être écologiquement
durables.
L’Etat et les collectivités territoriales ont l’obligation de veiller à la préservation du patrimoine foncier ».
aussi. En effet, pour qu’une possession puisse être constatée, il faut la réunion d’un corpus et
d’un animus.
Le corpus. Etant par définition une relation de fait, on comprend pourquoi une
certaine prééminence est reconnue au corpus pour l’établissement de la possession. Le
corpus est le constat d’actes matériels réalisés sur la chose. A ce propos, l’on se ne contentera
pas seulement d’actes de détention pour considérer l’existence d’actes matériels. Des actes de
jouissance peuvent également corroborer l’existence de tels actes matériels. Dès lors, ceux-ci
peuvent s’illustrer par toutes les prérogatives que n’importe quel propriétaire exercerait sur la
chose : utilisation, perception des fruits de la chose par le biais d’une location par exemple,
entretien de la chose…Tout en étant un élément nécessaire, le corpus requiert d’être complété
par l’animus. Il ne produit pas de conséquences juridiques indépendamment de l’animus.
L’animus. Il représente l’élément psychologique de la possession véhiculant l’attitude
du possesseur de se comporter comme le maître, le propriétaire de la chose. Dès lors, il n’est
pas à confondre avec la mauvaise foi parce que celle-ci est appréciée de façon distincte au
moment de s’intéresser à l’effet acquisitif de la possession. Le voleur d’un objet a l’animus
car il assume et se comporte devant autrui comme le maître de la chose. En revanche, il n’en
sera pas ainsi d’une personne qui convoie une chose ou de l’emprunteur d’un objet qui dans
les hypothèses les plus fréquentes n’entend pas opposer à autrui l’attitude d’un propriétaire
dès l’instant qu’il intériorise l’expectative de rendre ou de remettre le bien à autrui.
Régime probatoire des éléments constitutifs de la possession. Somme d’actes
matériels et d’un élément psychologique, la possession peut livrer certaines difficultés au
stade de la preuve. Il est établi que la preuve de la possession porte en principe et
essentiellement sur le corpus354. Pour ce qui est de l’animus, le droit positif français a posé
des présomptions face aux difficultés d’établir l’élément psychologique. Tel demeure le bien-
fondé des articles 2255355 et 2256356 du Code civil. L’économie de ces deux dispositions tient
à peu de sens : le législateur français érige ainsi deux présomptions simples qui dispensent de
prouver l’animus. Dans les faits, soit on possède pour soi (exemple 1 : celui qui utilise une
montre ramassée), soit pour autrui (exemple 2 : le locataire qui possède un appartement pour
le compte du propriétaire). La première présomption établie par l’article 2256 qui reprend
l’esprit d’une partie de l’article 2255 du Code civil postule que l’on est toujours présumé
354
V. Civ. 3ème 30 juin 1999, Bull. civ. III n°159 ; Civ.3ème, 4 mai 2011, n°09-10831, JCP éd. G. 2011, 1298, n°5,
obs. H.PERINET-MARQUET.
355
« La possession est la détention ou la jouissance d'une chose ou d'un droit que nous tenons ou que nous
exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l'exerce en notre nom ».
356
« On est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s'il n'est prouvé qu'on a commencé à
posséder pour un autre ».
posséder animo domini (pour soi). La seconde présomption appuie davantage la première en
considérant que l’on possède en tant que propriétaire sauf preuve contraire357.

2 – La distinction de la possession avec des notions voisines

Propriété et détention précaire ne riment pas avec possession. La possession doit


formellement être distinguée de la propriété et de la détention précaire, notions auxquelles
elle pourrait être rapprochée.
Possession et propriété. Pour rappel, la possession est une relation de fait entre une
personne et un bien, tandis que la propriété est une véritable relation de droit entre une
personne et un bien. La personne se comporte comme si elle était propriétaire du bien alors
que, en réalité, juridiquement, elle ne l’est pas.
1ère difficulté. La confusion est exacerbée par le fait que la possession comme la
propriété s’exerce sur une chose ou tout autre droit réel. En effet, l’objet corporel ou
incorporel demeure en principe indifférent à la possession. Celui-ci ne saurait être considéré
comme un facteur distinctif entre propriété et possession en dépit du fait que celle-ci ait été
originellement été conçue en contemplation des choses et non des droits. La possession
exercée sur tout droit réel autre que la propriété (oui pour l’usufruit et certaines servitudes par
exemple ; non pour l’hypothèque dont l’exercice de fait n’est pas protégé en raison de la
prévalence des règles de publicité) serait appelée quasi-possession pour tenir compte de
l’adaptabilité du corpus lorsque de telles circonstances surviennent.
Seconde difficulté. La confusion procède aussi potentiellement du fait que la
possession peut être acquisitive de propriété. L’intensité de l’effet varie selon qu’il s’agisse
d’une chose mobilière ou immobilière. Dans de telles circonstances, le possesseur acquerra la
qualité de propriétaire et cela vient davantage confirmer l’impression que le possesseur
demeure à de nombreuses occasions également le véritable propriétaire de la chose.
Néanmoins, la preuve de la possession se distingue quelques fois de celle de la propriété.
Possession et propriété apparente. Contrairement à la possession, la propriété
apparente caractérise la situation par laquelle une personne tiendrait la chose d’une autre qui
n’en serait pas le véritable propriétaire. Cette hypothèse contrevient à la maxime Nemo dat
quod non habet qui exige qu’on ne puisse transmettre à autrui plus de droits qu’on en a soi-
même358. En réalité, l’effet de la propriété apparente se mesure ailleurs puisque dans ses
357
Dans l’exemple 2, le locataire sera considéré comme possédant pour autrui, pas donc à titre de propriétaire
s’il est établi qu’au commencement de la jouissance il possédait pour le propriétaire.
358
Article 261 alinéa 2 du COCC : « L'acquéreur devient propriétaire lorsque son auteur avait le droit de
propriété ».
rapports avec le propriétaire véritable, ce dernier peut revendiquer sa chose. Le propriétaire
apparent est certes protégé dans certaines circonstances par sa bonne ou mauvaise foi. En cas
de bonne foi, il peut garder les fruits de la chose et ne répond pas de la détérioration de la
chose même par son fait. Si la chose a été vendue, il devra la restitution du prix. En cas de
mauvaise foi, les effets seront inverses sans exclure le paiement de dommages et intérêts. En
revanche, le propriétaire véritable ne peut rien contre le tiers-acquéreur de bonne foi qui
justifie son droit de propriété de la loi ou d’un principe général du droit procédant de la
théorie de l’apparence. Ce régime se distingue donc de celui présenté dans les hypothèses de
vente de choses volées ou perdues359. De cet effet découlent d’ailleurs les éléments distinctifs
avec la possession. La situation du tiers-acquéreur doit être distinguée des effets attachés à la
possession. Il ne tient pas son titre de la possession mais tout simplement de l’erreur
commune et invincible dont il a été victime. A la différence de la possession, la propriété
apparente en rapport avec le tiers-acquéreur engendre un effet acquisitif instantané sans prise
en compte d’aucun vice. Tel n’est pas le cas de l’effet acquisitif instantané produit par la
possession mobilière de bonne foi360.
Possession et détention précaire. La chose dont le détenteur précaire a la maîtrise
procède d’un titre qui lui interdit tout animus possidendi (intention d’être possesseur). Il en
sera ainsi de l’emprunteur, de l’usufruitier, du mandataire 361. Ceux-là ne peuvent prétendre
posséder un droit sur la chose qu’ils détiendraient corpore alieno (pour autrui). S’ils
détiennent le corpus, il en est autrement de l’animus. Il n’en sera plus ainsi en cas
d’interversion de titre. Le cas échéant, la détention se transforme en possession. Plus souvent,
elle est le fait du détenteur qui décide de se comporter comme un possesseur de la chose
lorsqu’il conteste par exemple les droits de celui dont il la tenait. Pour qu’une telle
interversion de titre puisse jouer, il faut donc qu’elle s’apprécie de la part de ce dernier
comme un abandon, une interruption de la possession dès lors qu’il ne conteste pas l’attitude
du détenteur se concevant dorénavant comme un possesseur. L’interversion du titre peut
également procéder d’un tiers. Il en sera ainsi lorsque le détenteur précaire acquiert la chose
d’un tiers se prétendant propriétaire à tort. Par exemple, un locataire ayant acheté un
appartement à un tiers qui n’est pas le véritable propriétaire arrête en toute bonne foi de payer

359
V. supra.
360
V. infra.
361
Article 2266 du Code civil : « « Ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de
temps que ce soit.
Ainsi, le locataire, le dépositaire, l’usufruitier, et tous autres qui détiennent précairement le bien ou le droit du
propriétaire, ne peuvent le prescrire »
les loyers au prétexte de l’avoir acquis alors que le titre n’est pas valable. Si la qualité de
propriétaire lui fait défaut, il devient néanmoins possesseur.

B – Les qualités d’une possession utile

Quintuple caractères. Il ne suffit pas que les conditions d’une possession se réalisent
pour qu’elle soit utile c'est-à-dire qu’elle soit acquisitive de propriété ou porteuse d’effets
juridiques autres que la propriété (le bénéfice des actions possessoires par exemple).
Faudrait-il également qu’elle présente certaines qualités : la possession doit être continue,
paisible, publique et non équivoque. Celles-ci sont cumulatives et sont laissées à
l’appréciation des juges du fond. Lorsqu’une qualité fait défaut, la possession est considérée
comme viciée. En droit français, ces qualités sont énoncées par l’article 2261 du Code civil
qui dispose : « Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue,
paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ». Deux des six qualités
auxquelles ledit article se réfère constituent en réalité des éléments d’existence de la
possession séparables des vraies qualités requises pour qu’elle prescrive. Il s’agit de
l’exigence d’une possession non interrompue dès lors qu’une possession interrompue n’existe
plus (disparition du corpus) et celle d’une possession à titre de propriétaire (à défaut de
laquelle il n’y a pas d’animus)362. Par ailleurs, les qualités requises ne sont pas énumérées de
manière exhaustive par l’article 2261 du Code civil. Il faut assurément y ajouter la bonne foi.
Possession continue. Les éléments d’appréciation de cette caractéristique ont été
livrés par une décision de justice qui a eu à énoncer que « La possession est continue
lorsqu’elle a été exercée dans toutes les occasions et à tous les moments où elle devait l’être,
d’après la nature de la chose possédée, sans intervalles anormaux assez prolongés pour
constituer des lacunes et rendre la possession discontinue »363. La discontinuité entendue
comme telle se distingue donc de la condition de non interruption considérée comme une
condition autonome d’existence. La nature des biens sur lesquels s’exerce la possession peut
justifier l’absence d’actes matériels pendant certaines périodes sans pour autant dégénérer en
vice de discontinuité : « il n’est pas besoin d’un usage de tous les instants avec la chose »364.
Ainsi le vice de discontinuité n’est pas établi lorsqu’un champ a été laissé en jachère pendant
un été.

362
V. supra pour cette condition.
363
Civ., 11 janvier 1950, D.1950, p.125, note R. LENOAN.
364
CARBONNIER, Droit civil, Tome 2, Les biens. Les obligations, puf, Quadrige Manuels, 2017, p. 1717.
Possession paisible. La possession est également viciée lorsque la personne qui a été
dépossédée l’a été par quelqu’un qui a exercé à son encontre une violence ou une voie de fait.
Celui-ci perd alors le bénéfice d’une possession à cause du vice de violence 365. Tel est le cas
du squatter même s’il est maintenu dans les lieux par une décision de justice. Seule la
violence concomitante à l’occupation des lieux est illégitime. Il ne saurait en être de même de
la violence exercée postérieurement pour défendre une possession initialement paisible.
Possession publique. Cette qualité enjoint le possesseur de faire connaître sa
possession à tous ceux qui auraient intérêt à la connaître. Elle interdit la dissimulation de la
chose lequel acte révèlerait une attitude suspecte et ferait douter de l’existence d’un animus.
Tel est le cas par exemple d’une montre possédée mais cachée. Le cas échéant, il existerait un
vice de clandestinité qui cesse quand la possession redevient publique. En ce sens, et à
l’instar du vice de violence, le vice de clandestinité est temporaire car pouvant cesser à tout
moment.
Possession non équivoque. Cette qualité requiert du possesseur la révélation d’une
intention indubitable de se conduire comme le véritable propriétaire de la chose. Au cas
contraire, un réel doute pèserait sur l’existence de l’animus. C’est à ce titre que la possession
d’un copropriétaire, d’un indivisaire, d’un époux commun en biens est toujours considérée
comme équivoque tant que le partage n’est pas réalisé. Le vice d’équivoque n’existe plus
lorsque la personne qui détient la chose réalise sur celle-ci des actes pouvant seulement
corroborer l’existence d’un droit réel exclusif.
Possession exercée de bonne foi. Le possesseur sera toujours présumé de bonne foi
lorsqu’il croit être devenu propriétaire à tort en ignorance totale du vice qui corrompt le titre
qui aurait dû lui transférer la propriété du bien. Si cette croyance fait défaut, la possession est
considérée comme viciée par la mauvaise foi. Les effets de ce vice sont cependant
modulables selon que la possession vise un meuble ou un immeuble.

C – Les effets de la possession

Effets de la possession en matière mobilière et immobilière en droit sénégalais et


en droit français. La possession utile engendre des effets en matière mobilière et
immobilière dans la mesure où elle permet d’acquérir la propriété. Un tel effet acquisitif de
propriété peut requérir des conditions particulières suivant la nature du bien objet de la

365
Article 2265 du Code civil : « Les actes de violence ne peuvent fonder non plus une possession capable
d'opérer la prescription.
La possession utile ne commence que lorsque la violence a cessé ».
possession. Pour autant, cet effet singulier est topique du droit français. Eu égard à la
spécificité de la matière foncière au Sénégal, la possession, remplirait-elle les qualités pour
rendre celle-ci utile, a des conséquences limitées. Elle joue en revanche pleinement en
matière mobilière.

1 – L’acquisition de la propriété en droit français

Prescriptions acquisitives duales, mêmes effets. Le droit français prévoit deux


formes de prescription acquisitive. L’une est trentenaire alors que l’autre est décennale.
Quelle se soit leur forme, elles doivent être demandées au juge et leurs effets acquisitifs
respectifs ne s’admettent pas sans cette formalité. Elles permettent d’acquérir la propriété de
façon rétroactive au jour de la possession ce qui permet d’élargir la propriété aux fruits.
Prescription trentenaire ou de droit commun. L’article 2272 alinéa 1 du Code civil
dispose : « Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente
ans ». La prescription de droit commun bénéficie à tout possesseur même de mauvaise foi
(voleur). Elle dépend uniquement du délai de 30 ans et joue en matière mobilière et
immobilière dès l’instant que la possession est utile et en l’absence de toute appréciation de la
bonne ou mauvaise foi du possesseur.
Prescription décennale ou prescription abrégée. Cette prescription est énoncée par
l’article 2272 alinéa 2 du Code civil qui dispose : « Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi
et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans ». La prescription est
abrégée à 10 ans lorsque certaines circonstances surviennent en sus d’une possession utile. Il
en sera ainsi lorsque le possesseur est a non domino, c'est-à-dire qu’il croit à tort avoir acquis
la chose du véritable propriétaire sur la base d’un juste titre (hypothèse du propriétaire
apparent366). Le juste titre fondant cette prescription abrégée en sus d’une possession utile et
de la bonne foi du possesseur doit cependant se conformer à certaines exigences. Il doit être
réel (il doit avoir comme fondement un acte juridique), valable (il ne doit pas être annulable
sur le fondement des causes de nullité absolue ou pour défaut de forme du moins) et être
translatif de propriété à titre particulier (les conventions non translatives de propriété telles
que le bail, le prêt…sont exclues). Elle ne joue qu’en matière immobilière.
Spécificité de la propriété acquisitive en matière mobilière. Outre sa fonction
probatoire, la possession vaut titre en matière mobilière. Le jeu de la possession requiert
cependant des précisions supplémentaires. En considération du fait qu’elle vaille titre de

366
V. supra.
façon instantanée, la possession mobilière requiert une appréciation différenciée. La qualité
continue requise pour l’appréciation d’une possession utile ne comptera pas à condition que
l’on soit en présence d’un meuble corporel et d’une chose non immatriculée et appropriable.
Cela est toutefois compensé par l’exigence de la bonne foi du possesseur au moins à l’entrée
de la possession. Lorsque toutes ces conditions sont remplies, le possesseur devient
propriétaire de façon instantanée. Dès lors, le propriétaire initial ne peut plus exercer contre
lui d’action en revendication de son meuble. En revanche, lorsque le possesseur est de
mauvaise foi, il devient propriétaire au bout de la prescription acquisitive trentenaire à
condition que la possession soit utile.

2 – L’acquisition de la propriété en droit sénégalais

Effets distincts en matière mobilière et immobilière. La possession engendre des


effets différents en matière mobilière et immobilière en droit positif sénégalais.
En matière mobilière. Les effets sont sensibles à ceux du droit français. La possession
permet de prouver la propriété. Elle permet en outre d’acquérir la propriété suivant les mêmes
schémas et aux mêmes conditions en l’absence même de textes exhaustifs367.
En matière immobilière. En droit sénégalais, la possession ne fait jamais acquérir la
propriété aux particuliers. En effet, l’article 33 de la loi sur la propriété foncière dispose :
« La prescription ne peut, en aucun cas, constituer un mode d’acquisition de droits
réels sur des immeubles immatriculés ou de libération des charges grevant les mêmes
immeubles.
Toutefois, un immeuble immatriculé abandonné pendant trente années consécutives par ses
propriétaires ou occupants légitimes est considéré comme vacant et incorporé au domaine de
l’Etat dans les formes et conditions fixées par décret ».
Cette disposition est d’une compréhension aisée. N’est pas visée uniquement la
propriété. L’article 33 de la loi précitée vise tout droit réel à l’instar des servitudes, l’usufruit,
de l’emphytéose…Envisagée du point du propriétaire véritable, cet article institue une
prescription extinctrice non concomitante à une prescription acquisitive dans la mesure où
l’Etat, propriétaire nouveau, n’est pas assujetti aux rigueurs d’une possession utile.

367
V. toutefois les articles 262 et 263 du COCC visant l’acquisition de la chose d’autrui.

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