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Institut Arabe des Chefs d’Entreprises

29ème Session des Journées de l’Entreprise

L’Entreprise et le capital humain : Productivité et partage

(Décembre 2014)

1
Droit du travail et flexibilité de l'emploi dans un contexte
de transition démocratique
Nouri MZID*

La situation de l’emploi en Tunisie révèle, depuis plusieurs années, l’existence d’une


crise profonde se traduisant par un taux de chômage très élevé qui s’est aggravé nettement
après la révolution. Cette crise menace sérieusement le processus de transition démocratique
encore fragile dans notre pays. La lutte contre le chômage et l’insécurité de l’emploi constitue
alors un enjeu crucial et un défi majeur pour cette transition.

Toutefois, le marché du travail est avant tout tributaire de la dynamique économique. Du


reste, la quête de flexibilité dans la gestion de l'emploi est devenue pour l'entreprise un
impératif essentiel de la concurrence et de la compétitivité dans un contexte marqué par la
mondialisation et la libéralisation des échanges. D'où l'exigence d'une flexibilisation du marché
du travail en vue d'adapter l'emploi aux besoins économiques et technologiques dans un
environnement mouvant.

Au nom de cette exigence, le droit du travail a souvent été considéré comme un élément
perturbateur des mécanismes du marché; d'être l'une des causes du ralentissement de l'emploi et
de faire peser sur l'entreprise des contraintes trop lourdes en la plaçant en situation d'infériorité
par rapport aux agents économiques dans les systèmes à large permissivité. Le droit du travail a
été, ainsi, mis en demeure de se corriger, de s'adapter pour être plus flexible et de se débarrasser
de sa "rigidité" liée à sa finalité protectrice en faveur des salariés1.

La notion de flexibilité de l'emploi n'est pas nouvelle. Depuis la récession des années
1980, elle a pu s'imposer comme un concept clé pour rendre compte d'un ensemble disparate de

* Professeur à la Faculté de droit de Sfax.


1
C.f notamment, Flexibilité du droit du travail: objectif on réalité? ouv. collectif, Centre de recherche de droit
social, univ. Lyon III, éd. législatives et administratives, 1986 (en particulier la contribution de A.
JEAMMAUD, "Flexibilité: le procès du droit du travail", p. 23 et s.).

2
formes et de pratiques nouvelles dans la gestion des ressources humaines, en créant l'image
d'une unité et d'une rationalité du mouvement2.

Mais la notion de flexibilité demeure chargée d'une certaine ambiguïté, d'autant plus que
sa signification diffère profondément selon les systèmes des relations professionnelles3. De
manière générale, elle peut se traduire par plusieurs mécanismes, dont notamment:

- l'ajustement des flux de production et des processus organisationnels, impliquant


une plus grande adaptabilité de l'organisation productive ;

- La possibilité de faire varier les effectifs de l'entreprise selon le marché ;

- L'introduction d'une plus grande polyvalence de la main-d'œuvre pour la rendre


plus apte à changer de poste et de lieu de travail selon les besoins de l'entreprise ;

- L'introduction d'une plus grande souplesse sur le régime du temps et de la


rémunération du travail en fonction de la conjoncture locale et globale…

Tout en étant fréquemment utilisé par les spécialistes du droit du travail, le concept de
flexibilité n'est guère juridique4. Pour mesurer la souplesse ou la rigidité d'un système, les
juristes distinguent habituellement entre les normes impératives et les normes supplétives. Dans
le premier cas, la norme ne tolère de la part des particuliers aucune dérogation, alors que dans
le deuxième cas elle n'intervient qu'à défaut d'une solution contraire exprimée par la volonté
des parties. Mais, au fond, une dimension juridique se dégage souvent à travers le discours sur
la flexibilité de l'emploi ; à savoir le degré de permissivité, de dirigeabilité et d'autonomie dont
dispose l'entreprise dans la gestion des ressources humaines. C'est cette dimension qui nous
intéresse le plus en partant de l'interrogation suivante: le droit du travail est-il suffisamment
sensible à l'exigence d'une politique souple et dynamique de l'emploi tenant compte des
contraintes de l'entreprise dans un contexte économique mouvant?

Cette interrogation n'est pas spécifique au droit tunisien. Depuis plusieurs années, elle a
suscité un débat qui reste encore d'actualité dans les pays développés comme dans les pays en

2
V.J. Freyssinet, Le paradigme de la flexibilité et les conditions d'émergence d'un nouveau rapport salarial,
Institut des sc. soc. du travail, Paris 1987.
3
C.f. J.C. JAVILLIER, "Ordre juridique, relations professionnelles et flexibilité. Approches comparatives et
internationales", Dr. soc. 1986, p. 56.
4
V. G. LYON-CAEN, "Quelle flexibilité ? pour quel droit du travail ?", Revue tunisienne de droit social, n°2 et
3, 1987, p. 113.

3
voie de développement. Des réformes ont été aussi réalisées, dans ces différents pays,
exprimant une tendance générale à introduire plus de souplesse dans la législation sociale pour
l'adapter aux exigences liées aux mutations économique et aux contraintes de la concurrence.

Le droit tunisien n'a pas échappé à ce mouvement général, notamment depuis les
réformes du Code du travail introduites par la loi n°94-29 du 21 février 19945 et la loi n°96-62
du 15 juillet 19966. A travers ces réformes, un effort d'adaptation des normes juridiques au
besoin de flexibilité dans la gestion de l'emploi peut être constaté (Partie I). Mais cette
adaptation semble être insuffisante et évoque quelques difficultés qui nous poussent à réfléchir
sur une éventuelle refondation du droit du travail face à l'exigence de flexibilité (Partie II).

I. L'ADAPTATION DU DROIT TRAVAIL AU BESOIN DE FLEXIBILITE

Il s'agit d'apprécier ici le niveau d'adaptation du droit du travail au besoin de flexibilité


souvent revendiquée par l'entreprise. Celle-ci peut recourir soit à la flexibilité externe en vue de
varier ses effectifs en fonction de ses besoins en main-d'œuvre (section A), soit à la flexibilité
interne lorsqu'elle raisonne en effectifs constants tout en cherchant à adapter les ressources
humaines et matérielles disponibles aux activités et aux besoins de production (section B).

A. Droit du travail et flexibilité externe

Pour l'entreprise, le besoin de flexibilité en matière d'emploi se traduit avant tout par la
liberté d'embauchage, c'est-à-dire la liberté laissée à l'employeur d’embaucher ou de ne pas
embaucher ; la liberté de choisir ses futurs salariés, ainsi que la liberté de choisir la forme
d'emploi en fonction du poste de travail à pourvoir. Ces trois composantes de la liberté
d'embauchage sont relativement consacrées par le droit positif.

La liberté d'embaucher ou de ne pas embaucher ne pose aucune difficulté sur le plan


juridique. Tout au plus, une gamme d'incitations financières est prévue par la loi pour
encourager les entreprises à embaucher certaines catégories de personnes défavorisées à
l'emploi7, mais sans mettre en cause le principe de la liberté de recrutement. Ces incitations

5
JORT n°15 du 22 février 1994.
6
JORT n°59 du 23 juillet 1996.
7
Il s'agit de personnes exposées à des difficultés particulières d'insertion ou de réinsertion professionnelle, tels
que les primo-demandeurs d'emploi, les diplômés de l’enseignement supérieur, les personnes handicapées et
les travailleurs ayant fait l'objet de licenciement pour motif économique.

4
s’inscrivent essentiellement dans le cadre des programmes gérés par le fonds national de
l’emploi dont les mécanismes d’intervention ont connu depuis 2000 une accumulation
remarquable ayant donné lieu à un empilement de programmes d’une grande complexité et
d’une pertinence douteuse. C’est ce qui a nécessité leur restructuration par le décret n° 349 du 9
février 2009 dont les dispositions ont été abrogées et remplacées récemment par le décret
n°2369 du 16 novembre 2012, tout en prévoyant une période d’expérimentation durant laquelle
les anciens programmes demeurent en vigueur à titre transitoire. S’intégrant dans le cadre d’une
démarche d’activation du marché du travail, ces programmes s’accompagnent d’une importante
mobilisation des dépenses publiques, mais leur efficacité reste dans l’ensemble limitée.

En dehors de ces programmes, la loi8 a consolidé aussi la liberté de recrutement des


salariés, en modifiant les dispositions du Code du travail relatives à l'embauchage et au
placement de main-d'œuvre dans l'esprit d'une plus grande souplesse par l'allègement de
l'intervention administrative. Ainsi, l'employeur n'est plus tenu de passer par le bureau de
placement pour signaler son offre d'emploi. Il est tenu simplement d'informer le bureau de
placement du recrutement effectué, et ce, dans un délai de 15 jours à partir de la date du
recrutement9. Du reste, il garde toute latitude de recourir à l'embauchage direct ou par
l'intermédiaire du bureau public de placement. Mais l'interdiction des bureaux de placement
privés est maintenue, contrairement à d'autres pays qui ont opté pour un système plus souple en
consacrant la coexistence entre les bureaux publics de placement et les agences d'emplois
privées. C'est la solution adoptée, par exemple, en France10 et au Maroc11. D'ailleurs, les
normes internationales du travail sont marquées aujourd'hui par une grande souplesse en la
matière dans la mesure où elles autorisent une telle coexistence entre les deux systèmes de
placement public et privé12.

La liberté d'embauchage postule ensuite la faculté pour l'employeur de choisir ses futurs
salariés. A ce niveau, le législateur tunisien adopte, aussi, une attitude très souple permettant à
l'entreprise de bénéficier d'une large liberté de sélection des candidats à l'emploi. D'ailleurs, il

8
Loi n°96-62 du 15 juillet 1996, préc.
9
Art. 280 C.T.
10
Art. L 5321-1 et s. du Code du travail français.
11
Art. 475 et s. du Code du travail marocain.
12
V. notamment la convention de l'OIT n°181 sur les agences d'emploi privées (1997), non ratifiée par la
Tunisie.

5
semble ignorer complètement cette question et ne réglemente aucunement les méthodes de
sélection susceptibles d'être utilisées par l'entreprise en matière d'emploi. Sous réserve du
respect du principe de non discrimination13, l'employeur dispose alors d'une grande liberté pour
choisir ses futurs collaborateurs qui sont sélectionnés grâce à des méthodes d'évaluation
variables, librement adoptées par l'entreprise.

Certes, cette liberté demeure aussi limitée par le nécessaire respect des règles de loyale
concurrence. Un employeur ne doit pas, en effet, se faire le complice de l'inexécution fautive
d'un engagement contracté par le salarié auprès d'un autre employeur. Mais cette règle
consacrée par l'article 26 du Code du travail14, ne vise pas à protéger le salarié. Elle est destinée
plutôt à assurer une certaine loyauté dans le fonctionnement du marché du travail et s'inscrit
dans ce que l'on peut appeler l'ordre public libéral15.

La liberté d'embauchage peut se manifester, enfin, au niveau du choix entre les


différentes formes d'emploi. A cet égard, une distinction classique demeure essentielle entre
deux catégories de contrats de travail: les contrats à durée déterminée et les contrats à durée
indéterminée. Aujourd'hui les entreprises préfèrent, le plus souvent, recourir au contrat de
travail à durée déterminée, considéré comme étant la modalité d'emploi qui répond le mieux au
besoin de flexibilité. En effet, le salarié sous contrat à durée déterminée est considéré
juridiquement comme un salarié occasionnel dans la mesure où il est exposé à perdre
facilement son emploi par le simple refus de la part de l'employeur de renouveler le contrat à
l'expiration du terme convenu, sans bénéficier des garanties instituées par le droit du
licenciement en faveur des salariés permanents.

Jusqu'à 1996, le droit tunisien ne réglementait pas, par des dispositions spécifiques, le
recours au contrat de travail à durée déterminée, en se contentant d'annoncer le principe de la
liberté de choix entre cette modalité d'emploi précaire et celle de l'emploi à durée indéterminée.
La réforme du Code de travail, introduite par la loi du 15 juillet 1996, est venue rationaliser le

13
Le Code du travail consacre surtout le principe de non discrimination entre l'homme et la femme (art. 5bis
ajouté par la loi n°97-66 du 5 juillet 1993). La Tunisie a ratifié, par ailleurs, plusieurs conventions de l'OIT
qui consacrent nettement le principe de non discrimination en matière d'emploi. V. notamment la convention
n°111 ratifiée par la loi n°59-94 du 20 août 1959.
14
Les dispositions de cet article ne s'appliquent que dans l'hypothèse d'une démission abusive –en raison de son
caractère brutal par exemple- et non lorsqu'un salarié démissionne régulièrement pour entrer au service d'un
nouvel employeur.
15
C.f. G. LYON-CAEN, "La bataille truquée de la flexibilité ", Dr. soc. 1985, p. 801.

6
recours au contrat de travail à durée déterminée dans un esprit de concilier entre l'exigence de
flexibilité en faveur de l'entreprise et le souci de protéger les salariés contre le recours excessif
à cette modalité d'emploi.

Cette réforme n'a pas mis fin à la liberté de choix entre l'embauchage à durée déterminée
et l'embauchage à durée indéterminée. L'article 6-2 al.1 du Code du travail, ajouté par la loi du
15 juillet 1996, ne fait que consacrer cette liberté de choix en disposant que "le contrat de
travail est conclu pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée". La loi continue,
ainsi, à mettre sur un pied d'égalité ces deux formes d'emploi. Elle ne semble pas privilégier le
contrat à durée indéterminée comme contrat de droit commun et ne fait pas du contrat à durée
déterminée un contrat dérogatoire auquel le recours ne serait autorisé qu'à titre exceptionnel. A
cet égard, l'attitude du législateur tunisien est plus souple que celle adoptée par plusieurs autres
législations étrangères où le contrat à durée indéterminée constitue la règle, ou l'idéal type
d'emploi, par opposition à ce que l'on appelle les contrats de travail atypiques comme le contrat
à durée déterminée16, même si on observe partout une tendance générale, depuis la fin des
années 1980, à introduire plus de souplesse dans le régime applicable à ce contrat17.

Certes, la liberté de choix entre le contrat à durée indéterminée et le contrat à durée


déterminée, consacrée par le législateur tunisien, n'est pas totale. Elle est limitée, depuis la
réforme de 1996, par les dispositions de l'article 6-4 ayant déterminé les hypothèses de recours
au contrat de travail à durée déterminée. Mais, à ce sujet aussi, la loi consacre une grande
souplesse dans la détermination des situations où l'entreprise est autorisée à recourir à cette
modalité d'emploi. En effet, la loi ne se limite pas à autoriser le recours au contrat à durée
déterminée dans les situations objectivement temporaires liées à la nature non durable du
travail à accomplir ou du poste à occuper18, mais également dans d'autres situations où le poste
de travail revêt en réalité un caractère permanent, étant attaché à l'activité durable de

16
C'est le cas dans la plupart des législations européennes. Ainsi, en droit français, par exemple, la loi annonce
comme principe que le contrat de travail est conclu à durée indéterminée (art. L1221-2 C.T.). Corrélativement
à cette règle, elle pose une interdiction de principe selon laquelle le contrat à durée déterminée ne peut avoir ni
pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de
l'entreprise. (art. L 1242-1 C.T.).
17
Voir J. FREYSSINET, "Nouvelles formes d'emplois et précarité: comparaisons internationales", Dr. soc,
1989, p. 293.
18
Art. 6-4 parag. 1er du C.T.

7
l'entreprise. La seule contrainte dans ce cas est de formuler le contrat par écrit et de lui fixer
une durée qui ne doit pas excéder quatre années, y compris les renouvellements19.

La souplesse de la loi va encore plus loin puisque l'employeur peut décider librement de
ne pas maintenir le salarié dans son emploi à l'expiration de la période de quatre ans, sans être
tenu de justifier sa décision par un motif quelconque. Dans ce cas, il pourra même le remplacer
par un autre salarié, recruté aussi par contrat à durée déterminée, dans la limite de la même
période. Il en résulte qu'un poste de travail permanent peut être indéfiniment occupé par
plusieurs travailleurs temporaires engagés de façon successive. C'est ce que révèle, d'ailleurs,
une pratique très répandue profitant de la souplesse de la loi allant dans le sens d'une large
flexibilité dans la gestion de main- d'œuvre.

Toutefois, cette pratique risque de se heurter aujourd'hui aux nouvelles dispositions


introduites par les partenaires sociaux dans les conventions collectives. En effet, ces
dispositions ont consacré, d'une part, une sorte de droit de priorité à l'emploi en faveur des
salariés dont les contrats à durée déterminée ont pris fin par l'expiration du terme. Ce droit
s'exerce durant six mois à partir de la date de la fin du contrat. Les mêmes dispositions ont
prévu, d'autre part, que tout salarié sous contrat à durée déterminée ayant passé une période de
quatre ans au service de l'entreprise, doit être recruté comme salarié permanent au cas où son
poste de travail est maintenu ou en cas de création d'un autre poste dans la même qualification
professionnelle. Sur ce plan, il est paradoxal de constater que les normes négociées, adoptées
en la matière par les partenaires sociaux, sont beaucoup moins souples que celles instituées par
le législateur.

La flexibilité recherchée par l'entreprise se traduit, par ailleurs, par un phénomène de plus
en plus répandu aujourd'hui, à savoir l'externalisation de l'emploi20. Ce concept exprime un
changement profond des modes d'organisation productive et de gestion de l'emploi dans
l'entreprise moderne. Celle-ci "n'est plus un monde clos où s'activent ses seuls salariés"21. Elle

19
Art. 6-4 parga.2ème du C.T.
20
C.f. J. DE MAILLARD, P. MANDROYAN, J.P. PLATTIER et Th. HIESTHLEY, "L'éclatement de la
collectivité de travail: observations sur les phénomènes d'extériorisation de l'emploi", Dr. soc. 1979, p. 323 ; J.
FREYSSINET, "L'extériorisation de l'emploi, la dimension économique du problème", Dr. ouv. 1981, p.11, F.
GAUDU, "Entre concentration économique et externalisation: les nouvelles frontières de l'entreprise", Dr.
soc. 2001, p.971.
21
H. BLAISE, "A la frontière du licite et de l'illicite, la fourniture de main-d'œuvre", Dr. soc. 1990, p. 418.

8
s'entoure souvent de partenaires externes auxquels elle confie certaines opérations afin de
pouvoir concentrer ses efforts sur le développement de ses activités stratégiques, diminuer les
frais de structure et gérer d'une manière plus souple la force de travail.

Pour atteindre ses objectifs, l'entreprise préfère alors extérioriser une partie de ses tâches,
en concluant des contrats de prestation de services, de sous-traitance ou encore de mise à
disposition qui lui assurent le bénéfice d'une main-d'oeuvre extérieure. Elle va pouvoir, ainsi
disposer d'une force de travail sans avoir la qualité d'employeur juridique. Il en découle,
souvent, une sorte de relation de travail "triangulaire" mettant aux prises le fournisseur de
main-d'œuvre, le salarié et l'entreprise utilisatrice de la force de travail.

L'expression "externalisation de l'emploi" englobe en réalité des formes très variées, la


plus ancienne étant la sous-entreprise de main-d'œuvre prévue par la loi dans les articles 28,29
et 30 du Code du travail. Mais ces dispositions n'encadrent que partiellement et de façon
lacunaire le recours à la sous-entreprise de main-d'œuvre. Du reste, la pratique révèle d'autre
formes d'externalisation de l'emploi qui se développent de manière remarquable sans être
soumises à une réglementation spécifique et en l'absence d'un cadre juridique claire fixant les
frontières entre le licite et l'illicite dans ce domaine.

La situation n'évoque pas beaucoup de difficultés lorsque l'opération de fourniture de


main-d'œuvre revêt un caractère désintéressé. C'est le cas par exemple des opérations de
détachement et de transfert de salariés qui sont fréquentes notamment au sein des groupes de
sociétés22, et qui s'effectuent souvent de manière désintéressée. Dans ce cas on peut admettre
facilement le caractère licite de telles opérations23.

En revanche, le problème se pose de manière particulière lorsque l'opération de fourniture


de main-d'œuvre s'effectue à but lucratif. C'est le cas par exemple du recours aux entreprises de
travail temporaire24 qui est autorisé par plusieurs systèmes étrangers tout en l'entourant de

22
Les relations de travail dans les groupes de sociétés sont souvent marquées par une grande mobilité du
personnel. V. à ce sujet, I. VACARIE, "La mobilité du personnel au sein des groupes de sociétés", Dr. soc.
1989, p. 462. Mais il n'existe aucun dispositif juridique spécifique aux rapports de travail dans les groupes de
sociétés en droit tunisien. C.f. N. MZID, "Groupes de sociétés et relations de travail", revue Etudes juridiques
2001, n°8, p. 89.
23
C'est la solution adoptée, par exemple, par le législateur français annonçant clairement que "les opérations de
prêt de main-d'œuvre à but non lucratif sont autorisées" (art. L.8241-2 C.T).
24
C.f. B. SIAU, Le travail temporaire en droit comparé européen et international, LGDJ, 1995.

9
garanties essentielles pour éviter le glissement vers des pratiques de marchandage ou de trafic
de main-d'œuvre.

En Tunisie, l'absence d'un dispositif juridique spécifique aux entreprises de travail


temporaire n'a pas empêché ces entreprises de se multiplier et de développer leur activité qui a
pris, depuis quelques années, une extension qu'elle n'a pas connue jusque-là. Pour cette raison,
une réforme de notre législation dans ce domaine est nécessaire pour adapter ses dispositions
aux réalités et protéger les salariés contre les pratiques illicites de marchandage et de trafic de
main-d'oeuvre.

La flexibilité de l'emploi signifie, aussi, pour l'entreprise la liberté de mettre fin au contrat
de travail unilatéralement par l'exercice du droit au licenciement. Or, le régime du
licenciement est souvent considéré comme l'une des manifestions essentielles de la rigidité du
droit de travail. Il est jugé à la fois d'être nuisible à l'entreprise et de constituer un obstacle à
l'emploi, notamment par la "lourdeur" de ses procédures et son caractère "trop coûteux".

Il est certain que le licenciement est soumis à des règles relativement strictes et
contraignantes pour l'entreprise. Les efforts du législateur et des partenaires sociaux ont
convergé, en effet, vers la dissuasion du licenciement, sauf s'il est motivé par une cause réelle
et sérieuse et à condition de respecter les procédures légales et conventionnelles applicables en
la matière et qui sont variables selon le motif de la rupture.

S'agissant du licenciement pour motif disciplinaire, c'est l'institution du conseil de


discipline qui semble poser le plus de difficulté. Inspirée du droit de la fonction publique et
introduite en droit du travail par les partenaires sociaux depuis 197325, cette institution est
qualifiée d'être inadaptée à l'entreprise privée. Elle y constitue un "corps étranger" et "une
atteinte réelle à l'un des pouvoirs inhérents à la qualité d'employeur et qui en constitue même le
fondement: le pouvoir disciplinaire"26. Du reste, un autre inconvénient est lié à cette institution
dans la mesure où elle finit souvent par devenir l'activité principale de la commission
consultative d'entreprise, "traduisant ainsi une déviation par rapport à la finalité fonctionnelle

25
Art. 37 de la convention collective cadre dont les dispositions sont reprises par l'ensemble des conventions
sectorielles. Depuis la réforme du Code du travail par la loi du 21 février 1994, l'institution du conseil de
discipline a désormais un fondement légal (art. 160 du C.T).
26
H. KOTRANE, Législation du travail et emploi : vers un nouveau droit de la mobilité, IACE, 1996, p. 6.

10
d'une structure voulue comme le cadre d'une collaboration directe et d'une coopération
fructueuse des travailleurs à la vie de l'entreprise"27.

C'est surtout le régime du licenciement pour motif économique qui est souvent jugé trop
contraignant pour l'entreprise. En réalité, l'esprit de la loi est marqué ici par un souci de
conciliation (certes, difficile mais nécessaire) entre des intérêts divergents, à savoir ceux de
l'entreprise, cherchant à assurer l'adaptation de l'emploi aux contraintes économiques et
technologiques, et ceux des salariés attachés à la stabilité de l'emploi. C'est ce qui explique la
soumission du licenciement pour motif économique à un système de contrôle administratif
préalable dont la finalité essentielle et de rechercher la conciliation entre les parties, notamment
à travers des solutions alternatives au licenciement28.

En droit comparé, l'intervention de l'administration en matière de licenciement pour motif


économique est prévue soit sous la forme d'une autorisation qu'elle peut délivrer sur
l'opportunité du licenciement après consultation des représentants du personnel, soit sous la
forme d'une intervention à titre consultatif pour exprimer un avis qui ne lie pas les parties
concernées.

C'est cette deuxième forme, plus souple, qui est consacrée par le droit tunisien dans les
articles 21 et suivants du Code du travail. L'employeur est tenu seulement d'informer
l'inspection du travail de son intention de recourir au licenciement pour motif économique, pour
solliciter son avis à ce sujet et d'attendre la suite des démarches de conciliation effectuée par
l'administration, mais sans être lié ni par l'avis de l'inspection de travail, ni par celui de la
commission de contrôle du licenciement. C'est lui qui décide en définitive de l'opportunité de la
mesure du licenciement, sous le contrôle a postériori du juge en cas d'action intentée
individuellement par tout salarié concerné.

Est-il opportun de supprimer toute intervention de l'administration en la matière? Cette


solution adoptée par certains pays en vue de répondre au besoin de flexibilité dans le régime du
licenciement29, semble difficilement transposable en Tunisie, d'autant plus qu'elle risque
d'entraîner un flux considérable de litiges devant les tribunaux. Par la réforme du Code du

27
Idem.
28
Art. 21 et s. du C.T.
29
C'est le cas par exemple en France depuis 1985.

11
travail, introduite par la loi du 15 juillet 1996, le législateur a choisi d'ailleurs de maintenir
l'intervention de l'administration tout en clarifiant la procédure de licenciement pour motif
économique en vue d'éviter surtout sa lourdeur et de préciser le rôle des structures chargées
d'examiner les dossiers de licenciement. Dans ce cadre s'inscrit, par exemple, la fixation d'un
délai de rigueur imparti à l'administration pour tenter la conciliation entre les parties et donner
son avis sur le projet de licenciement: 15 jours pour une première tentative de conciliation à
l'initiative de l'inspection du travail, ou de la direction générale de l'inspection du travail selon
le cas, et 15 jours supplémentaires pour une autre tentative de conciliation par la commission de
contrôle du licenciement à partir de la date de sa saisine par l'inspection de travail, laquelle doit
intervenir dans les trois jours qui suivent l'accomplissement de la première tentative de
conciliation30.

Par ailleurs, le législateur a introduit une certaine souplesse au niveau de la phase


d'intervention de la commission de contrôle du licenciement en permettant aux parties de
convenir de ne pas passer par cette phase de la procédure légale en concluant des accords de
rupture à l'amiable31. Dans tous les cas, l'avis de l'inspection du travail ou de la commission de
contrôle de licenciement reste purement consultatif dans la mesure où il ne lie pas les parties,
comme il ne lie pas le juge.

Mais, il aurait été judicieux d'aller plus loin et de reconsidérer l'organe administratif
compétent en la matière. Certes, un projet de licenciement pour motif économique peut
annoncer le début d'un conflit collectif de travail. Toutefois, il n'est pas, dans ses fondements
propres, le résultat de tel conflit, même s'il peut parfois y déboucher. N'est-il pas plus judicieux
alors de confier cette tâche non pas à des instances de règlement des conflits collectifs mais
plutôt à des organes compétents spécialisés dans l'analyse du marché de l'emploi?32

La loi ne nous donne aucune précision sur la notion de motif économique ou


technologique, alors que les intérêts attachés à la qualification du licenciement économique
sont multiples. Dans la pratique, on a pu observer souvent une confusion entretenue par
l'attitude des inspecteurs du travail et celle des juges allant dans le sens de réduire la notion de
30
Art. 21-3 du C.T.
31
Cette solution découle de l'article 21-12 du C.T. aux termes duquel: "sont abusifs, le licenciement ou la mise
en chômage intervenus sans l'avis préalable de la commission régionale ou la commission centrale de contrôle
du licenciement, sauf cas de force majeure ou accord entre les deux parties concernées".
32
V. en ce sens. H. KOTRANE, op. cit. p. 10.

12
"motif économique ou technologique" à celle de difficultés économiques33. Pourtant, le régime
du licenciement pour motif économique ou technologique a un domaine plus large qui peut
englober des situations diverses n'impliquant pas nécessairement un état de crise affectant
l'entreprise. Des considérations préventives liées notamment à la mise à niveau de l'entreprise
pour s'adapter aux mutations technologiques pourraient justifier le recours à ce régime.

Enfin, l'exercice du droit au licenciement est souvent jugé trop coûteux pour l'entreprise
au niveau de ces conséquences, c'est-à-dire la réparation de la perte de l'emploi subie par le
salarié. Ce jugement mérite en réalité d'être nuancé. Ainsi, on peut lire dans un rapport sur la
stratégie de l'emploi en Tunisie, élaboré sous l'égide de la Banque mondiale, qu'en comparaison
avec d'autres pays, le niveau des indemnités de licenciement en droit tunisien n'est pas excessif.
Toutefois, ces indemnités "augmentent fortement – et sont alors élevées par rapport aux normes
internationales – en cas de licenciement abusif"34.

Lorsque le licenciement est exercé conformément à la loi, étant à la fois régulier et


justifié par une cause réelle et sérieuse, le salarié ne peut prétendre droit qu'à une gratification
de fin de service d'un montant légal qui n'est pas très élevé et à la double condition qu'il ne soit
pas encore en période d'essai et que la perte de l'emploi ne soit pas causée par sa faute grave.
Conformément aux dispositions de l'article 22 du Code du travail, cette gratification calculée à
raison d'un jour de salaire par mois de service ne peut excéder au total le montant de trois mois
de salaire, sauf dispositions plus favorables prévues par la loi ou par les conventions collectives
ou particulières. S'il existe des indemnités plus élevées que le plafond fixé par la loi, c'est en
réalité le fuit des accords collectifs ou des accords de départ à l'amiable. Le reproche doit
s'adresser alors aux signataires de ces accords et non à une législation qui paralyserait l'exercice
du droit au licenciement.

Quand à la sanction du licenciement abusif, il convient de distinguer entre celui exercé en


l'absence d'une cause réelle et sérieuse le justifiant et celui exercé de façon irrégulière tout en
étant justifié par une telle cause. Normalement, un licenciement injustifié devrait être réparé en
nature par la réintégration. Mais les systèmes qui ont consacré cette solution se heurtent

33
La jurisprudence a même tendance parfois à assimiler purement et simplement le motif économique à la
notion civiliste de force majeure. Sur cette jurisprudence, voir:
.21 .‫ ص‬15 ‫ ﻋﺪد‬،2008 ‫ ﻣﺠﻠّﺔ دراﺳﺎت ﻗﺎﻧﻮﻧﯿﺔ‬،"‫ "دور اﻟﻘﺎﺿﻲ ﻓﻲ ﻣﺠﺎل اﻟﻨﺰاﻋﺎت اﻟﻤﺘﺮﺗّﺒﺔ ﻋﻦ اﻟﻄﺮد ﻷﺳﺒﺎب إﻗﺘﺼﺎدﯾﺔ‬،‫اﻟﻨﻮري ﻣﺰﯾﺪ‬
34
Banque Mondiale, Rapport sur la stratégie d'emploi dans la République tunisienne, Volume 1, 2003, p. 89.

13
souvent à des difficultés pour sa mise en œuvre. Le système tunisien a adopté une solution plus
réaliste en sanctionnant le licenciement injustifié par une indemnité accordée au salarié à titre
de dommages-intérêts et dont le montant varie entre un et deux mois de salaires par année
d'ancienneté, sans dépasser le plafond de trois années de salaires. En revanche, lorsque le
licenciement est irrégulier (pour non respect des procédures), tout en étant justifié par une
cause réelle et sérieuse, le montant des dommages-intérêts varie entre le salaire d'un mois et
celui de quatre mois, quelle que soit l'ancienneté du salarié dans l'entreprise35.

Abstraction faite du montant des indemnités accordées au salarié, la technique adoptée


par le législateur consistant à soumettre le calcul de ces indemnités à un barème légal, avec un
système de forfait-plafond, ne peut que limiter considérablement le pouvoir d'appréciation du
juge et constitue une nette rupture avec le principe civiliste de la réparation intégrale du
préjudice subi. Du reste, en rendant prévisible le coût de la réparation, ce système permet au
chef d'entreprise d'intégrer le risque "responsabilité" dans une logique de coûts et de calculer,
ainsi, d'avance le montant maximum des indemnités qu'il serait tenu de verser au salarié. Un tel
système peut avoir aussi l'avantage d'inciter les parties à chercher des solutions de compromis
en fixant à l'amiable le montant de la réparation, ce qui permet d'alléger le contentieux du
licenciement devant les tribunaux.

Toutefois, la démarche adoptée par le législateur tunisien ne manque pas d'irréalisme en


soumettant toutes les entreprises au même traitement juridique en matière de licenciement,
abstraction faite de leur effectif. Cette démarche apparaît "forcément trop rigide pour une petite
entreprise peu rompue aux contentieux nés des licenciements et pour laquelle l'existence d'une
législation tatillonne en ce domaine est une source d'embarras influant, dans bien des cas, sur sa
stratégie d'embauche"36.

C'est ce qui explique que dans certains systèmes étrangers, la loi adopte un régime moins
contraignant pour les entreprises de petite taille concernant les indemnités prévues en cas de
licenciement abusif. C'est le cas par exemple en France où les indemnités qui sont accordées
aux travailleurs appartenant à des entreprises de 11 salariés au moins, et justifiant de deux
années d'ancienneté, ne s'appliquent pas en principe aux autres travailleurs, notamment ceux

35
Art. 23 bis du C. T.
36
H. KOTRANE, op. cit. p. 5.

14
des petites entreprises (moins de 11 salariés)37. Ces travailleurs qui restent soumis alors au
régime du droit commun de l'abus de droit (ni plancher de six mois de salaire minimum, ni
remboursement des allocations-chômage) ne peuvent prétendre à une réparation qu'à la
condition de prouver l'existence d'un préjudice effectivement subi à cause de leur licenciement.

B. Droit du travail et flexibilité interne

Cette forme de flexibilité évoque surtout la possibilité pour l'entreprise d'ajuster le temps
de travail, la rémunération des salariés ainsi que leur affectation en fonction des besoins de la
production et des résultats de l'activité. La réforme du Code du travail adoptée en 1996 a
permis d'introduire à ce niveau certaines mesures de flexibilité, mais la loi reste toujours
marquée par quelques imperfections qui limitent l'apport de cette réforme.

Concernant la modulation du temps de travail, la loi a maintenu la durée maximum à


48 heures de travail par semaine ou une durée équivalente "établie sur une période de temps
autre que la semaine sans que la durée de cette période ne puisse être supérieure à une année"38.
Le législateur autorise aussi une réduction de cette durée maximum de travail, par des
conventions collectives ou des textes réglementaires, en indiquant que la durée minimum de
travail, dans le cadre du régime normal, ne peut être inférieure à 40 heures pas semaine39.

La loi semble donc autoriser une modulation du temps de travail permettant de faire face
aux fluctuations d'activité. Cette modulation pourrait donner lieu à l'adoption d'un système
d'annualisation du temps de travail, tel qu'il existe aujourd'hui dans certains pays étrangers.
Mais la loi n'organise aucunement la mise en place d'un tel système et ses implications,
notamment au niveau du salaire et du régime des heures supplémentaires dont le calcul et la
rémunération majorée sont toujours déterminés par référence à la notion de "durée
hebdomadaire normale" qui ne peut être inférieure à 40 heures.

A titre de comparaison, il est utile de signaler que la technique des heures annualisées est
de plus en plus adoptée dans les pays européens40. Cette technique repose sur des régimes
souples permettant de planifier et de calculer le temps de travail (et les salaires) sur une période

37
Art. L.1235-5 du C. T. fr. (ancien art. L.122-14-5).
38
Art. 79, al.1 (nouveau) du C.T.
39
Art. 79, al.2 (nouveau) du C.T.
40
C.f. L. MERLIN ", La durée annuelle du travail : une figure en hausse", Dr. soc. 1999, p. 863.

15
supérieure à une semaine et pouvant s'étendre sur une année. Les horaires annualisés sont
d'ailleurs souvent conçus par les entreprises comme une opportunité pour accroître la flexibilité
dans la gestion de main- d'œuvre et l'organisation du travail.

Ainsi dans plusieurs pays européens, des amendements législatifs pertinents ont été
instaurés vers le milieu ou la fin des années 1990, dans le cadre d'une législation générale sur le
temps de travail, comportant des dispositions souples relative à l'aménagement de ce temps.
Ces amendements sont souvent adoptés en réponse à la directive de l'UE sur le temps de travail
de 1993 (directive 93/104CE). Cette directive ne spécifie pas à proprement dire un régime
d'annualisation complet ou bien défini. Mais, elle prévoit que la durée moyenne de travail pour
chaque période de 7 jours ne peut excéder 48 heures, y compris les heures supplémentaires, sur
une période de référence ne dépassant pas 4 mois. Les Etats membres ont la faculté de la
prolonger jusqu'à 6 mois pour des secteurs ou activités déterminés ou pour des raison de santé
et de sécurité et de permettre que, pour des raisons objectives, techniques ou d'organisation du
travail, les conventions collectives fixent des périodes de référence ne dépassant pas douze
mois.

La plupart des pays concernés disposent aujourd'hui d'un cadre législatif souple où les
limites journalières et/ou hebdomadaires imposées sur le temps de travail (fixé par voie légale
ou conventionnelle) peuvent être dépassées dans la mesure où des horaires normaux sont
maintenus en moyenne sur une certaine période de référence. Cette période est dans beaucoup
de pays au maximum d'un an, et dans certains pays plus courte. Mais le principe de base est le
même en ce sens que le temps de travail est établi en fonction d'un nombre d'heures travaillées
au total sur une période de référence (d'un an ou moins), et non en fonction d'un nombre
d'heures donné par semaine, comme dans les systèmes traditionnels. Il en résulte que le salaire
n'est plus calculé en fonction des heures de travail par semaine mais sur la base d'une
rémunération forfaitaire correspondant à une semaine de travail standard ou une quantité
d'heures fixées sur une période de référence. Les régimes d'horaires annualisés sont souvent
associés à diverses autres formes d'aménagement du temps de travail, telles que le modèle "à
fourchette", les comptes de temps de travail ou les banque d'heures.

L'introduction du système des horaires annualisés se fait généralement dans le cadre d'un
consensus entre les partenaires sociaux pour modifier les normes en vigueur en matière de

16
temps de travail. A cet effet, la loi accorde un rôle déterminant à la négociation collective dans
la conception et la mise en œuvre des systèmes d'annualisation. Dans tous les cas, les
aménagements liés à ce système ne peuvent pas être mis en place unilatéralement dans le cadre
du pouvoir de direction au sein de l'entreprise. Ainsi, dans beaucoup de pays, les régimes
d'annualisation convenus collectivement sont mis en place en définissant les paramètres de base
dans des accords sectoriels, alors que leur application concrète fait l'objet d'accords d'entreprise
ou d'établissement, entre la direction et l'organe syndical ou le comité d'entreprise.

La flexibilité du temps de travail peut se traduire aussi par le recours au régime de travail
à temps partiel. A cet égard, le législateur a organisé, de manière relativement détaillée le
recours à cette modalité de travail41 supposée avoir un effet incitatif en matière d'embauche,
notamment pour les secteurs très féminisés comme celui du textile-habillement42.

Deux principes essentiels se dégagent de ce régime de travail à temps partiel. D'une part,
le recours à ce régime est un choix contractuel qui suppose toujours l'accord écrit des deux
parties. L'employeur n'est pas en mesure donc d'imposer unilatéralement à un salarié le passage
du régime de travail à plein temps à celui du travail à temps partiel. D'autre part, la loi consacre
le principe d'égalité de traitement des salariés à temps partiel et des salariés à plein temps, sous
réserve des dispositions particulières relatives au régime du travail à temps partiel, notamment
la règle de proportionnalité en matière de rémunération.

Cependant, le recours au régime du travail à temps partiel est resté dans la pratique très
limité. Cette situation semble s'expliquer, entre autres, par certaines lacunes au niveau de la loi.
En effet, le législateur n'a prévu aucune incitation financière pour les entreprises qui adoptent
cette formule. Or, l'expérience de plusieurs pays européens montre que le régime du travail à
temps partiel a souvent été accompagné de certaines mesures qui visent à le rendre
économiquement et socialement acceptable en exonérant l'entreprise, qui utilise cette formule,
totalement ou partiellement, des charges sociales. De même, le législateur tunisien n'a pas
prévu des garanties ou des mécanismes de compensation en faveur des salariés disposés à
travailler à temps partiel, pour éliminer ou neutraliser les implications négatives au niveau de

41
Art. 94-2 à 94-14 du C.T. Ces dispositions ont été introduites dans le Code du travail par la loi n°96-62 du 15
juillet 1996.
42
C.f. S. BEN SEDRINE, F. ELBEKRI et N. MZID, Promotion de la compétitivité socio-économique dans le
secteur textile-habillement en Tunisie, BIT-INTES, 2005.

17
leurs droits, particulièrement en matière de sécurité sociale43. Toutes ces lacunes, ayant marqué
le régime du travail à temps partiel, expliquent pourquoi le recours à ce régime est toujours
limité dans la pratique et son impact positif sur la politique de l'emploi, comme instrument de
partage du travail, n'est pas très développé.

Du reste, la loi semble ignorer d'autres techniques d'individualisation du temps de travail,


qui se développent aujourd'hui dans plusieurs pays44; comme le "job-sharing" où deux salariés
travaillent sur un même poste en adoptant un horaire flexible45; le travail sur appel (" labour on
call ") qui est une forme de travail permanent discontinu46; ainsi que le travail à temps choisi
intermittent qui consiste à conclure des contrats à durée indéterminée avec une clause
d'intermittence47. Le législateur tunisien semble, au contraire, privilégier encore le système de
l'horaire fixe et collectif. Or, dans plusieurs cas, l'individualisation du temps de travail peut
répondre à des besoins spécifiques de l'entreprise ou du salarié, tout en maintenant un équilibre
entre les intérêts en présence.

La flexibilité interne évoque, ensuite, l'idée de mobilité du personnel en fonction des


nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise, de la conjoncture économique et sociale et
des aptitudes professionnelles des salariés. Cette mobilité peut revêtir, surtout, la forme d'une
mutation professionnelle ou celle d'une mutation géographique.

Le Code du travail, avant sa réforme en 1996, gardait totalement le silence à ce sujet.


Mais la loi du 15 juillet 1996 a atténué ce silence en ajoutant au Code du travail l'article 76-2
aux termes duquel: "Pour nécessité de service, le travailleur peut être chargé d'effectuer des
travaux d'une catégorie inférieure ou supérieure à sa catégorie". Le législateur n'a pas organisé
les modalités d'application de cette disposition. Il a simplement précisé que ces modalités "sont
fixées par les conventions collectives, les contrats individuels ou par arrêté du Ministre chargé

43
C.f. BENSALEM Leila, "Le travail à temps partiel: instrument de promotion ou de précarisation de l'emploi"?
Revue Travail et développement, n°18-19, 2000, p. 159.
44
C.f. J.E. RAY, "La flexibilité du temps de travail", in Le droit du travail : hier et demain, ouv. collectif,
Société internationale de droit du travail et de sécurité sociale, 1990, p. 183; X. BLANC-JOUVAN, "La
flexibilité du temps du travail", Revue int. de droit comparé, 2-1990, p. 693.
45
La loi allemande du 26 avril 1985 a été l'une des premières à légaliser cette pratique. Celle-ci est connue aussi
dans d'autres pays comme l'Angleterre et les Etats-Unis.
46
Cette modalité a été consacrée par exemple par le droit italien (loi du 19 décembre 1984) et le droit espagnol
(loi du 2 août 1984).
47
Cette modalité a été adoptée, par exemple, en France (ordonnance du 11 août 1986) et en Allemagne (loi du
26 avril 1985).

18
des affaires sociales pris après consultation des organisations professionnelles d'employeurs et
de travailleurs concernées"48.

En réalité, cette forme de mobilité du salarié, impliquant une modification de son contrat
de travail, n'est pas nouvelle en droit tunisien. Par exception au principe de la force obligatoire
du contrat, la jurisprudence a déjà affirmé, dans certaines hypothèses, que l'employeur est en
mesure, dans le cadre de son pouvoir de direction, d'imposer au salarié une modification de son
contrat, affectant son poste ou sa catégorie professionnelle, lorsque l'intérêt de l'entreprise le
justifie49.

Cette attitude jurisprudentielle trouve son fondement, le plus souvent, dans les
dispositions de la convention collective-cadre50 reproduites par l'ensemble des conventions
sectorielles, qui ont autorisé, moyennant certaines conditions, l'utilisation des travailleurs dans
des fonctions autres que celles de leur grade, lorsque les "nécessités de services "l'exigent.

Les conventions collectives ont prévu aussi la possibilité d'une mutation géographique du
salarié, qui peut être appelé ainsi à changer de lieu de travail, si cette mutation est justifiée
également par une "nécessité de service"51. Il convient d'observer, à cet égard, que les
dispositions conventionnelles sont marquées en général par un souci de concilier les exigences
de l'entreprise et les impératifs liés à la stabilité professionnelle et sociale des salariés. Mais les
critères retenus par les conventions collectives en matière de mutation géographique font
largement prévaloir les considérations sociales sur les besoins économiques et techniques de
l'entreprise52.

En outre, ni la loi, ni les conventions collectives n'ont précisé ce qu'il faut entendre par
"nécessité de service" qui demeure une notion très malléable. La jurisprudence utilise diverses
expressions pour traduire cette notion, telles "le bon fonctionnement de l'entreprise", ou "les
besoins du fonctionnement de service", ou encore "le fonctionnement normal de l'entreprise".

48
Art. 76-2, al.2 du C.T.
49
Sur la modification du contrat de travail en droit tunisien, v. N. MZID et M. TARCHOUNA, Revue de Droit
du travail, n°4, 2009, p. 268.
50
Art. 15 de la CCC.
51
Art. 22 de la CCC.
52
Ainsi l'article 22 de la CCC précise que la mutation géographique du salarié ne peut être décidée
unilatéralement par l'employeur que dans la mesure où il n'existe pas de volontaires parmi les travailleurs
remplissant les conditions requises, tout en tenant compte de l'ancienneté du salarié, de sa condition familiale
et d'habitation, ainsi que de sa responsabilité syndicale.

19
Elle a précisé aussi qu'il revient à l'employeur de prouver l'existence d'une nécessité de service
pour justifier la mutation professionnelle ou géographique du salarié. Lorsque cette preuve est
établie, le refus injustifié par le salarié de la mesure patronale est constitutif d'une faute
susceptible d’être sanctionnée par son licenciement. Mais, en l'absence d'une telle preuve, la
modification du contrat, non justifiée par l'intérêt de l'entreprise et refusée par le salarié, sera
qualifiée de licenciement déguisé appréhendé comme un licenciement abusif.

La flexibilité interne évoque aussi l'idée d'un ajustement du système de rémunération


des salariés en fonction du rendement et des résultats de l'activité de l'entreprise.

En Tunisie, les salaires dans le secteur privé sont déterminés principalement par voie de
négociation collective, les autorités publiques se contentant de fixer par décrets les salaires
minimums. Les négociations salariales, qui se déroulent en pratique tous les trois ans, sont
devenues d'ailleurs un élément constant dans le système des relations professionnelles, même
s'il n'existe pas encore un cadre juridique réglementant la procédure de déroulement de ces
négociations et leur périodicité.

Mais, le système de rémunération régi par les conventions collectives présente plusieurs
lacunes susceptibles d'avoir un impact négatif sur la motivation des travailleurs et la
compétitivité de l'entreprise. Ces lacunes découlent, d'abord, de la centralisation excessive des
négociations collectives, se traduisant par des augmentations généralisées et uniformisées des
salaires, avec un esprit "égalitariste" peu motivant. L'uniformité des augmentations salariales a
constitué, en effet, un facteur de découragement de l'effort et de la mobilité externe de la force
de travail. En plus, ce système a abouti à un fort tassement des rémunérations, voire un
écrasement excessif de la pyramide des salaires, rendant parfois caduques les classifications
professionnelles du personnel, et ce, au détriment des salariés qualifiés et des cadres. Les
lacunes du système se manifestent, ensuite, au niveau de la structure même des salaires qui se
caractérise par la place extrêmement réduite accordée aux primes incitatrices à la production et
à l'amélioration du rendement. Même les primes supposées récompenser le rendement sont
devenues, dans la pratique, des éléments accessoires du salaire accordés presque
systématiquement.

Enfin, depuis la réforme du Code du travail en 1996, la loi a voulu introduire une certaine
mobilité salariale en fonction de l'effort et du rendement de chaque travailleur. Ainsi, elle n’a

20
autorisé qu'une partie du salaire soit fixée sur la base de la productivité, en vertu d'accords
conclus au niveau de l'entreprise entre l'employeur et les représentants des travailleurs. Ces
accords doivent comprendre notamment "les normes adoptées pour l'amélioration du rendement
et les mesures susceptibles d'accroître la production et d'améliorer sa qualité"53. Or, jusqu'à nos
jours, le problème lié à l'absence de normes de production reste entièrement posé dans la
grande majorité des entreprises et secteurs d'activité où les négociations collectives menées au
niveau de la branche n'ont pas pu apporter une solution efficace à ce sujet. D'ailleurs, n'est-il
pas paradoxal de vouloir établir des normes de production uniformes pour toute une branche
d'activité, alors que celle-ci est composées d'entreprises hétérogènes quand à leur capacité de
production, leur niveau technologique, leurs taux d'encadrement, leur organisation, etc.?

Ce paradoxe explique en grande partie la difficulté pour les partenaires sociaux d'établir
au niveau sectoriel des normes de production. Ils ont été amenés ainsi à modifier à deux
reprises, en 1990 et 1996, les dispositions conventionnelles relatives à ce sujet. Actuellement,
ces dispositions prévoient que les normes de production doivent être normalement déterminées
au niveau de l'entreprise par une commission technique paritaire, et qu'en cas de désaccord le
litige doit être porté devant une autre commission technique composée de trois experts
représentant le Ministère chargé des affaires sociales, l'UTICA et l'UGTT. Mais, à notre
connaissance, la mise en œuvre de cette procédure de fixation des normes de production fait
encore défaut dans la grande majorité des entreprises, ce qui traduit aussi les difficultés du
système de dialogue entre les employeurs et les représentants des salariés. Or, la promotion du
dialogue social, particulièrement au sein de l'entreprise, est aujourd'hui indispensable pour
assurer une meilleure adaptation du système des relations professionnelles aux mutations
économiques et sociales, tenant compte des différents intérêts en présence.

53
Art. 134-3 du C.T.

21
II. QUELLE REFONDATION DU DROIT DU TRAVAIL FACE A
L'EXIGENCE DE FLEXIBILITE?

L'adaptation limitée du droit du travail au besoin de flexibilité a suscité partout des


réactions dans lesquelles il est tentant de rechercher les germes d'une éventuelle refondation.
Mais celle-ci exige au préalable de clarifier certains repères essentiels pour dissiper quelques
illusions ou confusions et amorcer une réflexion en profondeur à la fois sur les fondements et
les finalités du droit du travail (Section A). A la lumière de ces repères, il y a lieu de formuler
quelques recommandations qui pourraient être utiles dans la perspective d'une réforme allant
dans le sens d'une meilleure adaptation du droit du travail aux mutations économiques et
sociales (Section B).

A. Des repères à clarifier

L'exigence de flexibilité pour l'adaptation de la législation sociale aux besoins de


l'entreprise a souvent été liée à l'idée d'un allègement du droit du travail pour éviter la
prolifération des normes considérée comme source d'inflation juridique. Certes, il n'est pas
difficile de trouver des exemples qui illustrent, dans ce domaine, comme ailleurs, cette
prolifération des normes étatiques ou conventionnelles54. Mais la flexibilité d'adaptation ne doit
pas aboutir à une sorte de délégalisation ou de déréglementation se traduisant par un
effacement total de la fonction régulatrice de l'Etat.

Les termes de déréglementation, de délégalisation ou encore de dérégulation55 ne


constituent pas en réalité des concepts juridiques, mais sont issus du vocabulaire économique et
politique néo-libéral. Ils traduisent l'idée d'une rupture radicale avec l'interventionnisme
étatique, visant à donner à l'ensemble de la législation sociale un caractère supplétif. Certains
ont même évoqué la question: ne faut-il pas "brûler le Code du travail"?56. Même reçue comme
une provocation, cette question n'est que l'écho d'un discours qui conçoit le droit du travail,

54
Est-il aujourd'hui nécessaire, par exemple, de consacrer dans le Code du travail un chapitre aux "vêtements de
travail", imposant aux employeurs de "fournir à chaque membre de leur personnel permanent, le 1er mai de
chaque année, deux complets de travail, deux chemises, une paire de chaussures et un couvre-chef du modèle
couramment admis dans la profession" (art.333)?
55
C. f. notamment, A. SUPIOT, "Délégalisation, normalisation et droit du travail,", Dr. soc. 1984, p. 296; du
même auteur: "Déréglementation des relations de travail et autoréglementation de l'entreprise", Dr. soc. 1989,
p. 195.
56
V. le numéro spécial de la revue Droit social, consacré à ce sujet (Juillet-août 1986).

22
dans son ensemble, comme un corps étranger dans les mécanismes juridiques qui assurent le
fonctionnement du système économique. Il est apprécié alors comme un facteur qui empêche la
régulation de fonctionner ; un élément perturbateur des mécanismes du marché.

Dans ce discours, dénoncer la "réglementation" ou réclamer la "dérégulation" implique


une limitation de l'intervention de la loi à celle de l'"Etat minimal", en réduisant l'ensemble de
la législation du travail à un dispositif non contraignant, ouvrant la voie la plus large à la
volonté des parties pour aménager leurs rapports en fonction de leurs intérêts. Cette logique
conduit à contester le droit du travail en bloc, étant accusé pêle-mêle de faire peser sur
l'entreprise des contraintes trop lourdes, faisant obstacle à la liberté de gestion et constituant
ainsi la principale cause du ralentissement de l'emploi. L'intérêt de tous serait alors de s'en
débarrasser et de faire de l'accord consenti de l'employeur avec chacun de ses salariés pris
individuellement, ou peut-être avec le collectif du personnel de l'entreprise, la source unique en
la matière.

Cette thèse "déréglementariste" qui procède d'une négation totale du social, mettant en
cause la fonction régulatrice de l'Etat dans les rapports de travail, nous semble en rupture
radicale avec la tradition de notre système juridique fondé sur la recherche d'un équilibre
nécessaire entre l'économique et le social, la liberté et la sécurité, l'efficacité et l'équité.

Cette thèse véhicule, par ailleurs, une fausse conception du droit du travail présenté
comme ayant une finalité exclusivement protectrice des salariés face à leur employeur. C'est
oublier l'ambivalence qui a toujours marqué cette discipline juridique constituée à la fois pour
répondre en partie aux intérêts des salariés, tout en prenant en compte les besoins de l'entreprise
et l'impératif d'assurer son fonctionnement normal. Le droit du travail a toujours été, en effet,
marqué par un souci d'équilibre entre exigences de justice et de cohésion sociale, d'une part, et
impératif d'efficacité économique, d'autre part. Il reste, ostensiblement, un droit de compromis
aux fins de pacification des relations professionnelles.

Il ne faut pas oublier, aussi, que l'une des fonctions essentielles du droit du travail est de
placer les entreprises sur un pied d'égalité face aux charges inhérentes à la force de travail. Il
s'agit de fixer les conditions d'une concurrence loyale entre les acteurs économiques. En
réalisant une certaine égalité entre concurrents, le droit du travail participe, ainsi, à assurer la

23
loyauté dans le fonctionnement du marché. Or, tout marché, loin d'être d'ordre naturel, repose
sur des règles et des principes fondateurs des échanges qui s'y déroulent.

Le marché du travail n'échappe pas à cette exigence. Il ne peut exister en dehors du droit
qui l'institue et qui organise un ajustement nécessaire entre les intérêts économiques des
employeurs et les aspirations sociales des salariés; entre la liberté de gestion de l'entreprise et la
sécurité de la force de travail.

A cet égard, on assiste depuis quelques années à l'émergence de la notion de


"flexicurité"57, traduisant un changement profond dans l'approche intellectuelle et politique du
marché du travail et des relations professionnelles. Cette notion à dimensions multiples repose
essentiellement sur l'idée de conciliation entre l'exigence de flexibilité recherchée par
l'entreprise et l'impératif de sécurité attendue par les salariés.

La notion de flexicurité a vu le jour aux Pays-Bas, à la fin des années quatre-vingt dix,
lors de la préparation d'une loi intitulée "flexibilité et sécurité". Reprenant le contenu d'un
accord entre les partenaires sociaux, cette loi à introduit une libéralisation du recours aux
formes d'emploi flexibles, tout en offrant en contrepartie des garanties sociales nouvelles aux
travailleurs précaires, notamment dans le domaine du travail intérimaire58. Ainsi, le concept
hybride de "flexicurité" est né pour traduire en quelque sorte un compromis permettant
d'accroître à la fois la flexibilité dans la gestion de l'entreprise et la sécurité des travailleurs.

C'est surtout l'expérience danoise qui a permis de mettre en valeur cette idée et d'associer
la notion de flexicurité à un système cohérent reposant sur ce que certains auteurs ont dénommé
le "triangle d'or danois": une grande flexibilité du marché du travail, une protection sociale
généreuse et des politiques très actives de l'emploi et de la formation professionnelle59.

57
C.f. D. GABRIELLE TREMBLAY, Flexibilité, sécurité d'emploi et flexicurité, P.U. du Quebec, 2008. A.
LEFEBVRE et D. MEDA, "Performances nordiques et flexicurité : quelles relations?", revue Travail et
emploi n°113, 2008; J.L. DAYAN "Flexicurité: vers un nouveau compromis social?", La note de veille,
Centre d'analyse Stratégique n°82, novembre 2007; E. BRESSON, Flexicurité en europe. Eléments d'analyse,
Rapport au 1er ministre, République française, fév. 2008. D. MEDA, "Flexicurité: quel équilibre entre
flexibilité et sécurité?", Dr. soc. 2009, p.763.
58
C.f. Susanne BURRI, "Evolution des relations entre emploi et protection sociale aux Pays-Bas", in Emploi et
protection sociale: de nouvelle relations?, ouv. coll. sous la direct. de Ph. AUVERGNON, P.U de Bordeaux,
2009, p. 169.
59
C.f. J.C. BARBIER, "Apprendre vraiment du Danemark: réflexion sur le "miracle danois", Documents du
Centre d'étude de l'emploi, février, 2005; R. Boyer, La flexibilité danoise. Quels enseignements pour la

24
Ce système qui a pu se développer grâce notamment à une grande tradition de dialogue
social entre les employeurs et les structures syndicales fortement impliquées dans la vie de
l'entreprise, est devenu aujourd'hui une source d'inspiration majeure pour les analystes du
marché du travail.

La notoriété de la notion de flexicurité s'est consolidée davantage par son usage croissant
dans les instances de discussion de la Commission européenne60. Elle est devenue, ainsi, le
levier majeur de la stratégie adoptée par les pays de la Communauté européenne lors du
sommet de Lisbonne en 2000, puis révisée en 2005.

Dans cette stratégie, la flexicurité, loin de constituer un programme achevé de réforme ou


un modèle unique à généraliser, apparaît plutôt comme un cadre de référence permettant à
chaque Etat membre d'entreprendre les changements adaptés aux spécificités de sa situation et
de son système de relations professionnelles.

Dans le même esprit s'inscrit l'approche adoptée par le BIT qui continue depuis quelques
années à mener une réflexion sur ce sujet et à étudier la portée du concept de flexicurité dans
les pays en voie de développement, tout en mettant l'accent sur la nécessité d'adapter les
programmes de flexicurité avec l'agenda de l'OIT pour le travail décent. Ce concept, comme
celui de flexicurité, ne constitue pas en réalité une catégorie juridique opératoire, mais traduit
plutôt une aspiration ou un objectif que l'OIT s'est donné depuis 1999 en vue d'actualiser
l'esprit de Philadelphie qui implique d'assurer la possibilité pour tous d'une participation
équitable aux fruits du progrès, et de reconnaître le droit de chacun de se développer "dans la
liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales"61.

L'approche de l'OIT, comme celle adoptée par la Communauté européenne, permet aussi
de constater que la recherche d'un juste équilibre entre fléxibilité et sécurité passe
nécessairement par la promotion du dialogue social et de la négociation collective pour
associer tous les partenaires sociaux à cette démarche et créer entre eux et les pouvoirs publics

France? éd. Rue d'Ulm, 2007, P. ABRAHAMSON, "L'orientation active de la politique sociale danoise", in
Emploi et protection sociale : de nouvelles relations? op. cit., p. 133.
60
C.f. Commission des Communautés européennes, Vers des principes communs de flexicurité: des emplois
plus nombreux et de meilleure qualité en combinant flexibilité et sécurité, Bruxelles, 2007. Voir aussi la
résolution du Parlement européen du 29 novembre 2007 sur des principes communs de flexicurité, J.O de
l'Union européenne du 20 nov. 2008.
61
BIT, Un travail décent. Rapport du directeur général à la 87ème session de la Conférence internationale du
travail, Genève 1999, p. 3.

25
un climat de confiance dans lequel tous sont prêts à assumer la responsabilité du changement et
à définir ensemble des mesures équilibrées et adaptées à leur contexte national spécifique. D'où
la nécessité d'une redéfinition des rôles des différents acteurs (Etat, organisations
professionnelles, entreprise) en vue de développer un système de régulation concertée où le
dialogue social joue pleinement et efficacement sa fonction comme moteur de transformation et
d'adaptation des relations professionnelles aux mutations économiques et sociales.

Certes, l'intervention de l'Etat pour l'institution des normes fondamentales protectrices


des salariés demeure indispensable. Elle a pour finalité, surtout, d'instaurer un ordre public
permettant d'éviter que la concurrence économique ne se fonde sur le déséquilibre social. Mais,
s'il appartient au législateur de fixer les normes-cadres exprimant les principes et droits
fondamentaux consacrés universellement, la traduction technique de ces normes et leur
adaptation aux besoins spécifiques des différents secteurs d'activité et aux réalités mouvantes
des entreprises devraient être réalisées essentiellement par voie de dialogue et de négociation
collective.

La promotion du dialogue social exige, avant tout, l'existence de structures de


représentation authentiques et un esprit de collaboration fondé sur le principe de loyauté et de
concertation. La réforme du système de représentation du personnel dans l'entreprise par la loi
du 21 février 1994, consolidée par celle du 2 avril 2007, s'inscrit dans cette voie visant à donner
à ce système plus de vitalité. Mais, en dépit des efforts des pouvoirs publics pour stimuler le
développement d'une politique sociale de l'entreprise, le système de dialogue et de concertation
entre le personnel et la direction de l'entreprise ne semble pas fonctionner de manière efficace
et satisfaisante. Ce constat est lié à plusieurs facteurs, à la lois d'ordre juridique et non
juridique: imprécision des prérogatives attribuées aux structures de représentation des
travailleurs et des obligations qui en découlent à la charge de l'entreprise, absence d'un statut
légal fixant clairement la place et le rôle de l'organe syndical dans l'entreprise, manque
d'enthousiasme des chefs d'entreprise et des salariés à l'idée de dialogue et de concertation,
etc.…62.

62
Ainsi, le même constat fait à ce sujet, avant la réforme du Code du travail en 1994, semble encore valable
dans une large mesure: "Les relations de travail se limitent au sein de l'entreprise à ce face à face d'un pouvoir
patronal et d'un contre-pouvoir syndical, jaloux de leurs prérogatives et par la seule défense de leurs intérêts

26
La négociation de branche demeure en réalité la principale voie de dialogue social en
Tunisie. Instrument d'auto-régulation et de pacification des relations professionnelles, la
négociation collective traduit la reconnaissance des organisations syndicales et patronales
comme les représentants des intérêts collectifs de la profession et collaborateurs de l'Etat à la
réglementation des conditions de travail. Du reste, la négociation collective permet une
meilleure adaptation du droit du travail aux mutations du marché et aux réalités économiques et
sociales en perpétuel changement.

Dans l'ensemble, l'expérience tunisienne dans ce domaine se révèle très riche63.


Toutefois, le système tunisien de négociation collective souffre encore de certaines faiblesses,
dont notamment:

- L'absence d'un cadre juridique définissant le processus de la négociation, c'est-à-


dire sa périodicité, ses modalités, la représentativité des parties habilitées à négocier
et leurs obligations réciproques. Tous ces éléments sont indispensables pour
instituer un véritable droit de la négociation collective qui se présente
essentiellement comme un droit procédural permettant d'éviter que les négociations
soient soumises exclusivement à l'affrontement des forces collectives et à la loi du
plus fort.

- La prééminence du rôle de l'Etat intervenant dans tout le processus de la


négociation, à la fois comme l'organisateur et l'animateur, exerçant ainsi un rôle
déterminant dans le déclenchement et le déroulement des négociations.

- La centralisation excessive des négociations qui se déroulent presque


exclusivement au niveau de la branche, alors que la négociation d'entreprise reste
cantonnée dans un rôle mineur.

- Le caractère immuable et uniforme de la structure des négociation, avec une forte


prédominance des négociations salariales au détriment des autres thèmes qui ne

corporatistes". (M. ENNACEUR, "L'entreprise et l'environnement social", Journées de l'entreprise organisées


par l'IACE, novembre 1990).
63
C.f. notamment, M. TARCHOUNA, La négociation collective en droit tunisien, th. Paris 1986. Du même
auteur, "Négociation collective et système de relations professionnelles : quel consensus? "In Consensus
social : discours et pratiques, ouv. collectif, Association ARFORGHE et Fondation Konard-Adenauer
Stiftung, Tunis 2006, p. 149.

27
sont pas moins importants, comme la politique de l'emploi, la formation
professionnelle et l'amélioration de la performance des salariés pour le
renforcement de la compétitivité de l'entreprise.

L'expérience dans la plupart des pays développés atteste, pourtant, la nécessité de


diversifier les niveaux auxquels se déroulent les négociations collectives à mesure que ces
négociations se diversifient dans leur fonction et leur contenu. Ainsi, par exemple, les
négociations sur la productivité ou sur l'intéressement des salariés ne peuvent être efficaces que
si elles se situent principalement au niveau de l'entreprise. En revanche, les négociations sur la
politique de l'emploi ne peuvent aboutir à des résultats satisfaisants que si elles sont encadrées
par des accords interprofessionnels dans lesquels l'Etat et les centrales syndicales et patronales
sont appelés à jouer un rôle important. Mais, même pour ce type de négociation, l'entreprise est
appelée à être directement impliquée, car une politique active de l'emploi ne peut être efficace
que si elle est assise sur une participation dynamique des entreprises, en synergie avec le rôle
des partenaires sociaux au niveau interprofessionnel. En effet, une gestion prévisionnelle de
l'emploi exige une capacité pour l'entreprise d'anticiper les mutations économiques et
technologiques pour mieux gérer leur impact sur l'évolution des compétences64.

A la lumière de ce qui précède, quelques recommandations peuvent être formulées en vue


d'une meilleure adaptation du droit travail tunisien aux exigences d'une politique dynamique de
l'emploi.

B. Quelques recommandations en vue d'une réforme

La flexibilité de l'emploi n'est pas totalement étrangère au droit du travail tunisien. Elle
est déjà consacrée relativement par un ensemble de normes traduisant le choix des pouvoirs
publics ayant opté pour la corrélation entre les dimensions économiques et sociales comme
constante de la politique de développement. Ce choix a impliqué une recherche de conciliation
entre l'impératif d'adaptation des normes aux besoins de l'entreprise et celui de la protection des
salariés contre la précarisation de l'emploi et l'usage excessif de la liberté de gestion du
personnel.

64
M. TARCHOUNA, art. précité, p. 159.

28
Mais ce constat ne doit pas conduire à nier la nécessité d'introduire quelques corrections
visant à améliorer notre système juridique et lui donner plus d'efficacité dans un contexte
mouvant.

Dans ce cadre, il est d'abord souhaitable de mettre fin à la dispersion actuelle des
multiples textes régissant la question de l'emploi. Une codification du droit de l'emploi peut
être envisagée, soit par l'élaboration d'un Code de l'emploi indépendant du Code du travail, tout
en assurant l'harmonie nécessaire entre les deux, soit par l'intégration des textes régissant la
matière dans le Code du travail qui deviendrait un Code du travail et de l'emploi. Cette
deuxième solution a l'avantage de mettre l'accent sur l'unité et la synergie entre le droit du
travail et le droit de l'emploi65.

Quelque soit le choix adoptée, une modernisation du Code du travail nous semble,
ensuite, nécessaire. Composé de dispositions disparates, sans rigueur méthodologique, avec des
différences de terminologie injustifiées, et susceptibles parfois d'interprétations contradictoires,
notre Code du travail, actuellement en vigueur, manque en effet beaucoup de cohérence. Une
refonte constructive de ce Code est alors souhaitable pour le rendre plus attractif, mieux adapté
à l'évolution du contexte économique et social, ce qui nécessite d'introduire plus de rigueur, de
cohérence et d'efficacité sur ces dispositions. Il ne s'agit pas d'introduire simplement des
corrections de pure forme, touchant par exemple la formulation des textes et l'ordre des
dispositions et des divisions, mais aussi une refonte du contenu des articles en supprimant les
dispositions désuètes et en modifiant celles dont le caractère inadéquat ou lacunaire est révélé
par la pratique.

Dans le cadre de cette refonte, il est souhaitable d'introduire plus de transparence dans
le fonctionnement du marché du travail. Ainsi, par exemple, il est judicieux de consolider le
principe de non-discrimination en matière d'emploi, en l'entourant par des règles concrètes et
des sanctions adéquates, sans mettre en cause la liberté dont dispose l'employeur dans le choix
de ses futures salariés qui peuvent être sélectionnés selon des méthodes objectives assurant la
pertinence nécessaire dans les opérations de recrutement.

65
V. en ce sens, M. TARCHOUNA, L'emploi et le cadre législatif des relations de travail et de la protection
sociale. Rapport inédit, présenté dans le cadre de la Conférence nationale sur l'emploi, Mai 1998, p. 110-111.

29
De même, il est nécessaire de renforcer l’efficacité du système d’intermédiation sur le
marché du travail, ce qui exige d’introduire une meilleure gouvernance de la politique active de
l’emploi en vue d’une optimisation de son rendement, en adoptant une logique de diagnostic,
gestion, contrôle et évaluation, tout en impliquant l’ensemble des acteurs économiques et
sociaux concernés par cette politique. En même temps, une refonte totale de l’ensemble de
notre système de formation, avec toutes ses composantes, y compris celle de la formation
professionnelle, est devenue urgente, l’objectif étant d’élever le niveau de qualification de
main-d’œuvre et de créer une réelle synergie entre le système de formation, de recherche et de
production.

La transparence du marché du travail exige aussi de moderniser le dispositif juridique


actuel en matière de fourniture de main-d’œuvre en fonction de l'évolution remarquable des
formes d’externalisation de l’emploi. A ce sujet il est souhaitable, d'abord, de combler les
lacunes qui marquent le régime de la sous-entreprise de main-d'œuvre66, en assortissant le
contrat entre le prestataire de service ou le sous-traitant et l'entreprise bénéficiaire d'une
garantie financière, comme c'est le cas dans plusieurs systèmes étrangers. Ce mécanisme est de
nature à encourager les entreprises à recourir à cette forme d'externalisation de l'emploi, tout en
protégeant plus efficacement les salariés et la caisse de sécurité sociale face au risque
d'insolvabilité du sous-entrepreneur.

Cette modernisation du dispositif juridique en matière de fourniture de main-d'œuvre doit


être complétée, ensuite, par l'institution d'un statut claire des entreprises de travail temporaire
permettant de concilier l'utilité économique et sociale de cette forme d'emploi avec l'impératif
d'une protection minimale des salariés concernés, en incriminant notamment le marchandage et
le prêt illicite de main-d'œuvre.

Par ailleurs, il serait souhaitable aussi de moderniser le régime du temps de travail, ce


qui nécessite d'assouplir le dispositif légal en la matière, pour permettre à l'outil conventionnel
de mieux répondre à la diversité des situations dans les différents secteurs et entreprises et en
introduisant, notamment, des dispositions permettant d'adopter des systèmes d'annualisation et
d'individualisation de l'horaire du travail à travers des mécanismes adaptés à la réalité
économique et sociale. Cette modulation du temps du travail peut présenter, en effet, des

66
Institué par les articles 28, 29 et 30 du C.T.

30
avantages tant pour les entreprises que pour les salariés. Mais elle ne peut se concevoir qu'en
termes de compromis entre leurs intérêts respectifs. Sa mise en place doit s'accompagner alors
de certains ajouts comme l'amélioration du salaire de base pour compenser la perte du paiement
des heures supplémentaires.

De même, il serait nécessaire d'introduire de nouvelles dispositions pour promouvoir le


recours au travail à temps partiel en le rendant économiquement et socialement plus attractif, et
ce par des incitations financières pour les entreprises concernées, notamment sous forme
d'allègement des charges sociales, et des garanties pour les salariés en vue de neutraliser
l'impact négatif de cette forme d'emploi sur leurs droits en matière de prestations sociales.

Une réforme du système de rémunération, qui est en rapport direct avec la politique de
l'emploi, pourrait être aussi envisagée dans le sens d'une plus grande souplesse pour assurer son
adaptation aux contraintes économiques, aux exigences de la compétitivité des entreprises et de
performance des salariés.

Il y a lieu, surtout, d'inciter les partenaires sociaux à repenser l'outil conventionnel


régissant le système des primes et indemnités en vue d'activer sa fonction incitatrice à la
production et au développement des performances des salariés. En réalité, l'amélioration de la
productivité constitue une exigence majeure pour renforcer la compétitivité de nos entreprises
et permettre à notre économie d'atteindre un niveau plus élevé de croissance67. Les pouvoirs
publics sont d'ailleurs conscients de cette exigence et de la nécessité de renforcer le rôle de tous
les partenaires sociaux, et notamment celui de l'entreprise, dans l'amélioration de la
productivité, dans un esprit de dialogue, de confiance réciproque et de transparence68.

A cet effet, la mise en place d'un système de fixation des normes de production, basé sur
des critères clairs et objectifs, est devenue une exigence incontournable. Du reste, les
négociations salariales gagneraient à être progressivement décentralisées de façon à réhabiliter
le rôle de l'entreprise dans ce domaine.

67
Le taux de croissance du PIB en Tunisie enregistre aujourd’hui une régression remarquable (2,1% au cours du
1er semestre 2014). Or, notre pays a besoin de réaliser une moyenne de croissance dépassant les 6% par an
pour relever le défi de l'emploi.
68
C'est dans ce cadre que s'inscrit le contrat social signé en date du 14 janvier 2013 entre le gouvernement,
l’UGTT et l’UTICA. Mais la mise en œuvre des réformes annoncées dans ce contrat n’est pas encore
réellement engagée.

31
Une amélioration du droit du licenciement nécessite aussi d'introduire quelques
corrections touchant, notamment, le régime du licenciement pour motif économique. Il y a lieu,
ainsi, de préciser la notion de licenciement pour motif économique ou technologique et de
définir les situations susceptibles de justifier le recours à cette forme de licenciement.

De même, il serait envisageable de réviser la procédure de contrôle administratif


applicable en la matière en faisant intervenir des instances spécialisées dans l'analyse du
marché de l'emploi qui donneraient leur avis sur le projet de licenciement et les mesures
d'accompagnement adaptées à la situation de l'entreprise, tout en associant les représentants des
travailleurs, dans le cadre de la commission consultative d'entreprise, dans la détermination et
la mise en œuvre de ces mesures69. A cet égard, il serait judicieux, d'ailleurs, de spécifier les
attributions de la commission consultative d'entreprise en matière de gestion prévisionnelle de
l'emploi et de l'impliquer activement dans les programmes de formation visant à faciliter la
reconversion et le reclassement des salariés exposés au licenciement pour motif économique ou
technologique.

En revanche, il serait souhaitable de reconsidérer le rôle attribué à la Commission


consultative d'entreprise en matière disciplinaire en vue de permettre à cette structure de jouer
pleinement et efficacement sa fonction essentielle comme structure de dialogue et de
coopération fructueuse entre la direction de l'entreprise et son personnel.

Le régime d'indemnisation du licenciement abusif gagnerait aussi à être révisé en


introduisant des dispositions moins contraignantes, tenant compte notamment de la situation
spécifique des petites entreprises qui sont souvent plus vulnérables face aux contraintes
économiques et aux aléas du marché. Elles ne devraient par alors être soumises au même
traitement juridique, en matière d'indemnisation du licenciement, que celui des entreprises de
grande taille. Cette démarche réaliste est de nature à favoriser le développement des petites
entreprises appelées à jouer un rôle plus dynamique en matière d'emploi70.

69
A titre de comparaison, les législations européennes font de la consultation des représentants du personnel une
pièce maîtresse de la procédure de licenciement économique.
70
V. Le rapport de la Banque mondiale sur la stratégie d'emploi dans la république tunisienne qui a révélé que,
par comparaison à d'autres pays, le rôle des petites entreprises dans la création d'emploi est resté, en Tunisie,
relativement faible. (op. cit., p. 71 et s.).

32
Mais au-delà de toute réforme souhaitée du dispositif juridique, il y a lieu d’insister sur la
nécessité d’adopter un nouveau modèle de croissance fondé sur une stratégie de développement
équitable et favorisant la création d’emplois qualifiés. A cet effet, il est nécessaire d’assainir le
climat des affaires et de garantir dans la durée un environnement social sain, favorable à la
compétitivité des entreprises, tout en faisant du dialogue social un outil essentiel pour la
promotion de l’emploi. Cela exige surtout une prise de conscience collective de la part des
acteurs sociaux des défis auxquels s'affronte aujourd'hui l'entreprise dans un contexte mouvant
où elle est appelée à s'adapter de manière constante aux changements liés aux aléas du marché.
Cette adaptation n'est pas seulement technique ou financière, mais aussi, et surtout, une
adaptation des hommes impliquant une responsabilité partagée qui doit être assumée dans un
esprit de concertation et de compromis, en vue de réaliser l'équilibre nécessaire entre les
différents intérêts en présence et de réhabiliter l'entreprise comme cellule principale de
production, de création des richesses et d'emploi. L'entreprise est une ressource pour les
hommes, mais les hommes doivent aussi être une ressource pour l'entreprise.

33

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