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Que faut-il réformer dans notre droit du travail ?

En matière de relations de travail, les pouvoirs publics aussi bien que les partenaires sociaux
s’interrogent de façon récurrente sur la nécessité d’un cadre législatif et réglementaire appropriée à
une économie de marché davantage fondée sur l’initiative privée et les lois du marché. Ils ont
d’ailleurs inscrit à l’ordre du jour de leurs travaux de concertation, dans le cadre de la « tripartite »,
l’élaboration d’un Code du Travail.
Il s’agit d’une œuvre d’envergure qui requiert un travail d’évaluation et une réflexion d’ensemble
pour mener à bien ce dossier. Une tâche à inscrire à l’évidence dans le vaste chantier de la mise en
place d’une politique du travail et de l’emploi rénovée, et davantage articulée à une stratégie de
développement dont elle constituerait une des pièces maîtresses.

Il est vrai qu’une législation du travail ne peut en aucun cas être le moteur de la création d’emplois et
de la croissance économique. Le développement économique ne peut être que le résultat d’une
politique et de mesures de nature économique. S’agissant plus spécialement de notre pays, aussi
bien les autorités publiques que les partenaires sociaux, ont d’ailleurs parfaitement conscience que
les données économiques, fiscales et politiques sont les conditions sine qua non d’une ouverture en
direction des investisseurs nationaux et étrangers.

Il est tout aussi vrai, en revanche, qu’une législation du travail peut plus ou moins bien accompagner
une politique de développement. En particulier, le choix d’une économie dominée par un secteur
public fort ou, au contraire, reposant essentiellement sur l’initiative et des capitaux privés, peut
induire des besoins en partie différents en ce qui concerne les règles juridiques régissant l’utilisation
de la force de travail. D’une façon générale, le passage à une économie privatisée nécessite une
souplesse plus grande, notamment pour permettre une meilleure adéquation entre l’utilisation de la
main-d’œuvre et les contraintes inhérentes à un marché plus diversifié et plus immédiatement
sensible aux fluctuations économiques. Cette souplesse ne peut cependant pas être construite sur la
remise en cause des garanties essentielles dues aux travailleurs. Dès lors que le choix est fait d’une
société démocratique, aucun développement ne peut être durable et réel s’il méconnaît ces
garanties. Un équilibre doit être trouvé qui assure la synthèse de ces objectifs.

De ce point de vue, notre droit positif n’est globalement pas inadapté au projet de privatisation et de
libéralisation de l’économie non plus qu’à l’impératif d’équilibre entre les données sociales et
économiques. Depuis une vingtaine d’années, diverses réformes du droit du travail ont préparé et

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entamé la transformation économique. Des processus ont été mis en œuvre tendant à assurer une
certaine flexibilité des relations de travail et ont su agir sur les trois registres possibles.
On peut en effet distinguer trois modèles de flexibilité :
• Le néolibéralisme qui se traduit par une déréglementation aussi bien au plan législatif et
réglementaire qu’au plan des conventions collectives. C’est alors l’autonomie contractuelle
individuelle qui se trouve promue comme source majeure de détermination des règles
gouvernant les relations de travail.
• Le laisser-faire collectif dans lequel l’Etat transfert son rôle de pourvoyeur de garanties et
d’organisateur des relations professionnelles aux acteurs sociaux. La flexibilité est alors
collectivement négociée.
• La flexibilité adaptative dans laquelle il ne s’agit ni d’éliminer les règles, ni pour l’Etat de
transférer son rôle traditionnel aux acteurs sociaux, mais, pour ce dernier, d’aménager les
règles existantes afin de les rendre plus flexibles.

En réalité, ces trois modèles de flexibilité sont aujourd’hui présents dans la plupart des pays à
économie libérale, de manière plus ou moins accentuée. Notre pays, quant à lui, a su emprunter ces
trois voies depuis vingt ans et en assurer globalement l’équilibre.

Les propositions de réformes nouvelles qui peuvent être faites s’inscrivent dès lors dans une
perspective déjà tracée et n’impliquent aucun changement de cap par rapport à la ligne actuellement
suivie. Elles auront pour seule ambition de suggérer des améliorations et des compléments
susceptibles d’être apportées au dispositif actuel en profitant du processus ouvert vers une
codification qui, à certains égards, s’avère nécessaire.

En effet, l’existence d’un corps de règles bien identifié, stable et effectivement appliqué est un
élément essentiel de confiance et d’engagement dans le temps pour tout opérateur économique.
S’agissant de la législation du travail, cette condition est mal remplie chez nous. Il existe actuellement
une série de textes législatifs fondamentaux, mais plusieurs fois remaniés, ainsi que des dizaines de
décrets exécutifs et arrêtés, le tout figurant dans différents journaux officiels. La dispersion juridique
de l’ensemble de ces textes affecte leur lisibilité et leur cohérence. Certains d’entre eux devraient en
outre être remaniés, d’autres complétés, d’autres enfin, totalement nouveaux, créés. Il y a là
certainement une occasion unique de procéder à une codification d’ensemble du dispositif. Des
lignes fortes pourraient être mieux dégagées et la cohérence du dispositif mieux assurée ; après
adoption, ses conditions d’application effective par tous les acteurs concernés, y compris
l’administration et le juge, seraient également mieux assurées.

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Elhachemi Ouzzir Mars 2013
Un préalable : l’exigence d’une évaluation rigoureuse

Depuis 1990, l’Algérie s’est dotée d’une nouvelle législation du travail conçue comme un élément
intégré à un vaste processus de réformes devant assurer le passage à une économie de marché.
Après plus de deux décennies d’application de ces dispositifs et alors que le processus de
libéralisation de l’économie s’accélère, il parait apparu utile de s’interroger sur la compatibilité des
normes et des mécanismes mis en place pour réguler les relations de travail dans le nouveau
contexte crée par les nouvelles tendances observées dans l’économie, particulièrement sa
mondialisation ou son internationalisation. En particulier, sont-ils toujours adaptés, à la nouvelle
conjoncture économique, caractérisée notamment par une mobilité internationale accrue du capital
et gardent-ils une faculté d’adaptation aux nouvelles contraintes générées par le nouveau contexte
économique et social ?
La question se pose, en effet, de savoir si la législation du travail mise en place depuis 1990 offre
encore un cadre adapté aux relations professionnelles pour la nouvelle étape, si on tient compte de
paramètres aussi significatifs que ceux qu’expriment le recul du salariat, l’ampleur du chômage des
jeunes, la tendance sensible à la précarisation des conditions d’emploi, l’expansion du secteur
informel et une structuration encore inachevée et /ou contrariée des partenaires sociaux.

La tâche à mener ne consiste pas, dans un premier temps, à prétendre apporter d’emblée des
réponses à toutes ces questions. Il s’agira surtout, à partir d’une observation des pratiques sociales,
de dégager les tendances d’évolution et de tenter un délicat exercice d’évaluation sur la capacité de
la législation du travail et des acteurs sociaux à intégrer, à l’intérieur des institutions mises en place,
les transformations induites par le passage à l’économie de marché et la mondialisation de
l’économie.

La législation du travail étant envisagée ici comme l’ensemble des règles étatiques s’appliquant à la
prestation de travail salariée et qui a comme fonction première la protection du salarié, subordonné
juridiquement et, souvent, économiquement à son employeur, contre les iniquités et les abus que
peut engendrer le libre marché dans la détermination des conditions de travail.
La législation du travail mise en place en 1990 a-t-elle organisé de manière appropriée cette
protection dès lors qu’elle a entériné la flexibilité ? Cette flexibilité est-elle suffisante ? Jusqu’où la
législation peut-elle aller dans la recherche de la flexibilité tout en maintenant des garanties
suffisantes ?

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Tenter des réponses à de pareilles questions amène à interroger le droit du travail qui met en place
des dispositifs en ce sens, même si par ailleurs, certains aspects se trouvent souvent réglés et pris en
charge en dehors du droit du travail.
Dans cette optique, il faut avoir à l’esprit, bien sûr, ce qui doit revenir au « Droit Public Economique
et Social » qui, pour sa part, transcende les intérêts des employeurs et des salariés. Au-delà, le débat
sur la flexibilité portera sur la question des protections minimales à assurer au salarié. Où situer ces
minima tout en permettant à chaque investisseur de fructifier légitimement son capital ?

A l’évidence la recherche de cet équilibre ne peut être appréciée de façon satisfaisante qu’en
s’appuyant sur un référentiel consensuel. A cet égard, l’expérience et la qualité de l’activité
normative de l’OIT peuvent constituer des références et des sources riches en enseignements, en ce
qu’elles constituent des repères largement partagés.

Par ailleurs, le choix porté sur la flexibilité et donc sur un droit négocié pose le problème des contre-
pouvoirs, notamment la problématique de l’autonomie normative des partenaires sociaux et partant
du droit syndical, ce qui renvoie à la question des impacts de l’action de l’Etat pour promouvoir le
syndicalisme. Il s’agira dès lors d’examiner également de façon attentive les résultats de la
négociation collective en corrélation avec le développement du syndicalisme.

Enfin, il semble de la plus haute importance d’étudier, pour en tirer les enseignements nécessaires,
les principaux effets que la mondialisation de l’économie a pu produire déjà dans certaines régions
du monde. En particulier, l’intérêt qui doit être accordé aux questions qu’elle a posé à l’endroit des
mécanismes juridiques dont l’effectivité est conditionnée par les limites territoriales nationales et à
l’égard de l’équilibre des pouvoirs qui est recherché entre les acteurs sociaux dans l’élaboration des
règles juridiques.

A cet égard les études menées sur le sujet1montrent que la référence à un système national de
relations professionnelles a commencé à être mise en cause dans sa signification traditionnelle par le
processus d’internationalisation de l’économie :

• L’importance croissante des marchés internationaux de produits et de capitaux et leurs


effets sur les rapports de travail érode le bien-fondé des politiques du travail, si bien que

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Voir notamment « la mondialisation, le travail et les relations industrielles » in Relations Industrielles, 1998, vol.53, n°1.

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l’idée d’un système national de relations professionnelles est de plus en plus supplantée par
celle de systèmes régionaux définis plus étroitement.

• La détermination des normes au niveau des branches et secteurs est contrariée par la
tendance des négociations à être associées aux conditions propres à l’entreprise ou à
l’établissement.
• Le déclin de la syndicalisation relativise du même coup le rôle de la négociation collective
dans le système de relations professionnelles et l’apparition de la nature non syndiquée de la
relation de travail.

• La transformation dans la nature des marchés du travail où les contrats de travail


déterminent des conditions de travail moins stables et souvent sans sécurité.

• La transformation dans les systèmes et l’organisation du travail induisent un relâchement des


liens spatiaux des travailleurs par rapport à leur lieu de travail impliquant ainsi un défi de
taille pour les syndicats afin qu’ils puissent jouer de façon adéquate leur rôle de
représentation mais aussi pour recruter de nouveaux membres

• Les nouvelles technologies de production, associées à de nouveaux modèles organisationnels


et à de nouvelles stratégies de gestion, posent quelques uns des défis les plus sérieux pour
les syndicats. Les systèmes de production de masse qui prévalaient étaient caractérisés par
une production à grande échelle, une haute intensité du travail, des méthodes de production
standardisées, des tâches parcellisées et des structures organisationnelles de travail rigides.
Ces systèmes ont été transformés pour rendre la production à plus petite échelle, avec une
organisation du travail plus flexible, moins d’employés, mais avec plus d’emphase sur
l’importance de leur qualification et moins de niveaux hiérarchiques

• La mondialisation et les changements technologiques sont associés avec le déplacement


dans l’espace de la production et du travail. Comme résultat, il n’est pas rare de remarquer
que les lieux de production soient maintenant situés partout sur la planète et qu’ils se
déplacent facilement. Les entreprises peuvent chercher des avantages compétitifs en
sélectionnant des lieux physiques régis par des politiques de travail avantageuses, des coûts
de main-d’œuvre compétitifs menaçant d’entraîner dans une sorte de « spirale vers le bas »

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des conditions de vie des travailleurs en ouvrant une porte plus grande pour l’adoption de
stratégies compétitives sur la base des coûts de main-d’œuvre.

Au terme de ce travail préalable d’évaluation, des propositions d’actions pourront alors valablement
être formulées, en direction de réaménagements jugés possibles et souhaitables du cadre juridique
actuel, pour mieux accompagner le processus de libéralisation de l’économie.

L’énumération de quelques-uns des éléments saillants des effets de la mondialisation sur les
systèmes de relations du travail, associé aux facteurs qui caractérisent les réalités de notre marché
du travail national montrent bien que les principales questions qui se posent en matière de politique
du travail portent sur la possibilité d’offrir une sécurité de l’emploi et des normes minimales aux
travailleurs ainsi que sur le degré d’appui de l’Etat consent vis à vis du développement de la
concertation sociale et l’association des partenaires sociaux.

Dans une certaine mesure notre droit du travail recèle, nous semble t-il, des moyens pour faire face
au nouvel environnement économique et peut contribuer à apporter des réponses aux principales
questions posées, moyennant adaptation et réforme de certains de ses dispositifs.
Les propositions de lignes d’action qui suivent s’inscrivent dans cette perspective. Elles
n’ambitionnent pas de revêtir un caractère d’exhaustivité sur un sujet aussi complexe, mais aspirent
à restituer une somme de réflexions partagées2 à diverses occasions avec l’expertise nationale et
internationale sur une série de thèmes structurant du droit du travail.

Effectivité du droit et champ d’application de la législation du travail

La législation du travail en vigueur a, dans une grande mesure, était conçue et élaborée dans un
contexte différent, à bien des égards, de celui d’aujourd’hui qui semble caractérisé par l’éclatement
de la condition salariale: le phénomène du chômage s’est rétracté mais demeure prégnant
notamment parmi les populations juvéniles, le travail précaire s’est plus largement répandu et
l’emploi informel semble s’amplifier davantage, au moment où l’on assiste à une inversion
progressive mais significative de la structure de l’emploi selon le secteur juridique. Les statistiques
indiquent un fléchissement de la courbe de l’emploi dans le secteur public au profit d’un

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Voir travaux réalisés en 2000 dans le cadre du projet PNUD ALG 97/004 « La législation du travail et le système de
relations professionnelles en Algérie : essai d’évaluation » et J.M.BERAUD in « Analyse et propositions de réforme du droit
algérien du travail ».

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élargissement de la part du secteur privé constitué, dans sa grande majorité, d’une multitude de
PME-PMI, et d’une nette progression du travail indépendant et des activités pour propre compte.
Les problèmes d’effectivité des normes et des dispositifs mis en place par les lois depuis 1990
amènent à s’interroger sur le champ d’application de la législation et de la réglementation du travail.
Face à de telles situations, deux conceptions différentes peuvent être envisagées. Celle, d’abord, de
l’exclusion de tout ou partie de la législation à certaines entreprises. C’est une voie possible mais
difficile car elle présuppose l’identification précise et exhaustive des dispositions concernées et des
entreprises à soustraire à leur application. En outre, la méthode présente l’inconvénient de figer les
situations par un effet de cloisonnement.
Aussi, peut-on préférer la seconde solution qui s’appuie sur les phénomènes d’effectivité du droit. De
ce point de vue on sait que toute règle juridique n’est pas appliquée du seul fait qu’elle existe. Même
dans les pays industrialisés, une part, parfois non négligeable des entreprises n’applique pas, ou
applique mal, tel ou tel type de dispositions légales. Les raisons peuvent être variées, mais, parmi
elle, figure incontestablement, l’inadaptation en quelque sorte naturelle de la norme au regard de la
situation économique et sociale de l’entreprise considérée. S’appuyer sur l’ineffectivité relative du
droit, et donc ne pas la combattre de façon systématique et indifférenciée, constitue une méthode
beaucoup plus souple et évolutive aussi bien dans la détermination des normes que celles des
entreprises concernées. Certes, le rôle des autorités de contrôle est alors renforcé, mais l’expérience
montre qu’un tel système fonctionne de manière globalement satisfaisante. D’ailleurs, la méthode
de l’exclusion expresse n’exclut nullement les phénomènes d’ineffectivité « naturelle », et présente
l’inconvénient de diminuer, face à ces phénomènes, le pouvoir d’opportunité des autorités de
contrôle. La seconde méthode paraît donc devoir être privilégiée. D’autant que ce choix n’interdit
pas de limiter ou de moduler, le cas échéant, l’application de certaines normes (la représentation du
personnel, par exemple) à certaines entreprises (celles d’une certaine dimension, par exemple) ou à
certains contrats (pour exclure certains contrats spéciaux).

Les formes d’emploi et les conditions d’utilisation de la main-d’œuvre

La diversification des formes d’emploi est l’une des caractéristiques des relations professionnelles en
économie de type libérale. Plus que d’un marché du travail, il faudrait d’ailleurs parler de marchés du
travail au pluriel. Aussi, les législations actuelles ne peuvent faire l’économie d’une interrogation sur
les diverses formes d’emploi et leurs conditions de mise en œuvre.

Il convient, en particulier, d’attirer l’attention sur le caractère concurrentiel des diverses formes
d’emplois, et sur la propension qu’ont les moins bonnes au plan social à se substituer aux meilleures.

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Dans ces conditions, les flexibilités offertes par la législation doivent toujours être cantonnées
lorsqu’elles se trouvent en concurrence avec des formes d’emploi socialement plus contraignantes
pour les entreprises. Ainsi, par exemple, l’absence de limitation en matière de contrats à durée
déterminée a conduit inévitablement à des contournements qui font perdre toute réalité à la
législation du travail. Il en est de même pour le travail temporaire. La simple nécessité d’une
cohérence et d’une effectivité des choix législatifs impose donc que des règles particulières
encadrent ce type d’emploi.

a. Les contrats à durée déterminée

L’objectif d’une législation sur les contrats à durée déterminée doit être d’assurer l’adéquation entre
les besoins des entreprises en matière d’emploi et les formes juridiques qui sont mises à leur
disposition pour pourvoir ces emplois. De ce point de vue, les entreprises ont deux types de besoin
de main-d’œuvre : des besoins permanents qu’elles doivent satisfaire par des contrats à durée
indéterminée, et des besoins précaires qu’elles doivent satisfaire de façon assez libre par des
contrats à durée déterminée. Compte tenu des incertitudes qui pèsent sur la prévision économique
ainsi que celles qui affectent les techniques de gestion prévisionnelles de l’emploi, il est raisonnable
d’admettre qu’un emploi ne peut être qualifié de précaire que si, au moment où il est pourvu, sa
durée prévisible ne dépasse pas une certaine période (deux à trois ans au plus peuvent paraître en
l’occurrence une période raisonnable). Ces besoins précaires se subdivisent eux-mêmes en deux :
dans certains cas, la durée du besoin est connue avec précision, le contrat à terme précis s’impose
alors ; dans d’autres cas, la durée du besoin, quoique temporaire, ne peut pas être fixée de manière
suffisamment précise pour déterminer le jour exact où le contrat prendra fin, dans ce cas, le contrat
à terme imprécis doit être autorisé.

En tout état de cause et regard des problèmes posés par le dispositif en vigueur il est souhaitable de
s’orienter vers une construction juridique moins complexe et une simplification : on pourrait, compte
tenu des éléments signalés plus haut, se contenter d’indiquer les paramètres et critères génériques
relatifs aux motifs à la durée, à la prorogation et au renouvellement, par exemple, et confier les
arbitrages, en cas de litiges, aux juridictions compétentes.

b. Le travail temporaire

Le travail temporaire met en présence trois personnes : l’entreprise de travail temporaire,


l’entreprise utilisatrice et le travailleur temporaire. L’entreprise de travail temporaire est sollicitée

Les entreprises de travail temporaire peuvent être un facteur non négligeable de souplesse. Elles
peuvent apporter dans des délais relativement courts des réponses aux besoins des entreprises
utilisatrices ; le personnel mis à disposition sera généralement rompu à des opérations de

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remplacement inopinées et s’adapte rapidement. Il paraît donc souhaitable d’autoriser la
constitution des entreprises de travail temporaire tout en fixant les règles régissant leur
fonctionnement et leur contrôle, les droits des travailleurs qu’elles emploient ainsi que les conditions
dans lesquelles les entreprises utilisatrices peuvent avoir recours à leurs services.

Par ailleurs, l’autorisation et l’encadrement du travail temporaire rendraient plus facile la


condamnation effective des pratiques de marchandage qui existent aujourd’hui, puisque aussi bien
les marchandeurs que les entreprises qui recourent à leurs services se verraient offrir un cadre légal
de substitution. En outre, la volonté des entreprises de travail temporaires de préserver leur activité
pourrait en faire de précieux collaborateurs dans la lutte contre cette forme d’exploitation de la
main-d’œuvre.

c. La sous-traitance
Les impératifs techniques et commerciaux aussi bien que les objectifs de rationalisation de la gestion
expliquent le recours à la sous-traitance. Celle-ci constitue une question délicate car le phénomène
revêt de multiples aspects et répond à de multiples préoccupations qui n’intéressent pas tous le droit
du travail. Lorsqu’un industriel confie la fabrication de certains éléments de sa production à une
entreprise travaillant sur un site qui lui est propre avec du personnel propre travaillant sous ses
ordres, l’opération relève normalement du seul domaine du droit commercial et ne concerne pas le
droit du travail. Des hésitations et des difficultés peuvent en revanche apparaître lorsque l’activité
sous-traitée s’exerce sur le site même de l’entreprise qui a confié le marché. Les occasions sont alors
multiples pour les entreprises d’extérioriser une part significative de la main-d’œuvre dont elles ont
besoin pour fonctionner (gardiennage, nettoyage, restauration rapide, maintenance diverses).
Quoique travaillant, en fait, pour le compte d’une grande entreprise, les salariés n’en ont pas les
garanties. Ce développement de la sous-traitance ne peut toutefois pas être condamné en soi. Il
répond aux nouvelles formes d’organisation et de gestion des entreprises et favorise l’émergence de
petites et moyennes entreprises dans le secteur des services. Il y a là un élément important du
développement économique. Dans notre pays la sous-traitance constitue la charnière où peuvent
s’articulent le secteur formel et le secteur informel. Elle peut donc être un instrument permettant
l’émergence vers le secteur formel de petites entreprises porteuses d’emplois.

Il convient en revanche de veiller à ce que la sous-traitance ne puisse pas constituer un moyen pour
les entreprises donneuses d’ordre d’extérioriser de façon purement fictive leur main-d’œuvre à
travers des montages juridiques qui réaliseraient en fait des prêts de main-d’œuvre à but lucratif.

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La législation du travail doit donc s’attacher à verrouiller les risques d’extériorisation abusive ou
frauduleuse de main-d’œuvre sans pour autant entraver un procédé économiquement
incontournable et porteur de développement.

d. Le travail à temps partiel

Le travail à temps partiel présente de multiples avantages dès lors qu’il est librement accepté par le
salarié. Il permet une meilleure conciliation de la vie personnelle et des contraintes professionnelles.
Pour l’employeur, il peut être un instrument de gestion adapté è des besoins particuliers. Au plan
macro-économique, il est un instrument de partage du travail. Il devrait avoir sa place dans une
législation moderne. La législation en vigueur ne l’ignore pas, mais la définition qu’elle en donne
n’est pas satisfaisante et son encadrement mal assuré. C’est pourquoi des corrections doivent être
envisagées.

3- Le droit du licenciement

Parmi les préoccupations récurrentes qui apparaissent tant au niveau des conflits et donc des
revendications exprimées par les syndicats qu’au niveau des avis recueillis aussi bien auprès des
responsables d’administration, qu’auprès des partenaires sociaux et des praticiens, celles relatives au
régime du licenciement semble revêtir la plus haute acuité.

Le droit du licenciement est d’une part traversé par certaines ambiguïtés, d'autre part, marqué dans
le licenciement économique par une préoccupation fortement conjoncturelle qui oblige à rechercher
des règles plus pérennes. Il doit en outre être articulé avec un effort de promotion des alternatives à
la rupture du contrat de travail.

a. La suppression des ambiguïtés


Deux ambiguïtés importantes sont relevées dans le droit du licenciement.

La première concerne les causes du licenciement. Aux termes des dispositions actuelles de la loi il
n’existe que deux motifs de licenciement : la compression d’effectifs et la faute grave. Cette dualité
réductrice qui laisse de côté les motifs non économiques et non disciplinaires tels, par exemple, que
l’insuffisance professionnelle ou l’inaptitude physique à l’emploi. Par ailleurs la loi suggère qu’il
pourrait y avoir aussi des licenciement, autre qu’économiques, fondés sur des motifs autres que des
fautes graves. Sur un sujet aussi important pour les employeurs et pour les salariés, de telles
ambiguïtés doivent être levées ; c’est ainsi donc l’ensemble du dispositif qui est à réécrire.

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La seconde ambiguïté importante est relative aux sanctions des licenciements irréguliers. La loi
distingue les irrégularités de procédure qui sont sanctionnées par la nullité et les irrégularités de
fond, mais uniquement d’ailleurs celles qui concernent les licenciements disciplinaires et non pas les
licenciements économiques, et qui sont sanctionnées par des indemnités. Le dispositif est peu clair à
tel point que les juges ordonnent souvent la réintégration des salariés licenciés. Là encore une
réécriture et une réforme s’imposent.

La question des sanctions des licenciements injustifiés est importante. Malgré ses maladresses, le
législateur a fondamentalement fait le choix de la réparation indemnitaire au détriment de la
réintégration qui caractérisait l’ancien système

Ce choix devrait être affirmé plus clairement. Ceci ne signifie pas que la nullité ne puisse pas être
encourue pour les licenciements opérés en violation d’un droit fondamental, la liberté syndicale par
exemple. Ces droits n’étant pas en effet dans le commerce juridique, la sanction des dommages et
intérêts n’est pas appropriée car elle permet à l’employeur «d’acheter » la violation d’un droit
fondamental ou d’une liberté, pourtant hors du commerce juridique. Dans ces cas, l’élément atteint
est tel que la sanction appropriée est la restauration de la licéité, donc l’annulation de la mesure
prise. C’est pourquoi le salarié, s’il le souhaite, devrait pouvoir, dans ces hypothèses mais dans ces
hypothèses seulement, agir en nullité du licenciement.

b. La pérennisation du dispositif
L’observation concerne les licenciements économiques qui ont été uniquement envisagés sous
l’angle de la réduction des effectifs excédentaires dans le cadre des réorganisations et des
dissolutions d’entreprises. Or, le licenciement économique ne remplit pas uniquement cette
fonction. Dans nombre de cas, les licenciements économiques sont la conséquence de
transformations d’emplois, de réorganisation d’entreprise ou de choix de gestion susceptibles
d’affecter l’emploi occupé par certains salariés. Les dispositions relatives aux licenciements
économiques doivent donc s’intégrer dans une problématique plus large. Ainsi, par exemple,
l’introduction de nouvelles technologies n’a pas nécessairement de conséquence sur le volume de
l’emploi dans une entreprise donnée, ou du moins pas nécessairement sur le seul volume d’emploi.
Elle peut aussi affecter les qualifications dont l’entreprise a besoin. Le dispositif actuel trop axé sur la
question des sureffectifs ne répond pas ou répond mal à ces autres données.

c. La promotion des solutions alternatives


L’ensemble des fluctuations qualitatives et quantitatives du marché incitent ou contraignent les
employeurs à procéder à de fréquentes modifications dans l’exécution du travail ou le contenu des
tâches.

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L’équilibre doit être trouvé entre, d’une part, les principes du droit contractuel et l’intérêt du salarié
qui s’opposent à tout changement décidé unilatéralement par l’employeur, et, d’autre part, les
intérêts d’une entreprise organisée et placée sous l’autorité d’un chef qui peut imposer tout
changement nécessaire au bon fonctionnement de l’institution.

La législation du travail doit permettre à l’employeur d’imposer unilatéralement au salarié des


modifications mineures de son contrat de travail. Il n’est pas en effet souhaitable de rigidifier les
relations de travail dans un monde en perpétuel changement et de donner au salarié le droit de
s’opposer à toute modification de son travail quelle qu’elle soit. En revanche le salarié ne saurait se
voir imposer un changement qui altère substantiellement son contrat.

Sur ce point, notamment, le dispositif relatif à la modification du contrat de travail qui n’envisage
que le cas du changement d’employeur devrait être complété.

d- Conditions de validité et de contrôle des volets sociaux


Toujours dans ce même cadre il faudrait examiner l’opportunité d’un réexamen des conditions
d’adoption des volets sociaux soumise, il faut le préciser, à un accord collectif. Cette situation est
assimilée à une restriction des pouvoirs de l’employeur.
Par ailleurs des situations difficiles naissent de ce que les dispositions légales en vigueur renvoient
aux procédures de médiation et d’arbitrage des conflits collectifs du régime commun, totalement
inadaptées dans le cas d’espèce.

5 - La garantie des créances salariales

La fréquence du nombre des conflits collectifs pour cause de retard dans le paiement des salaires
depuis voilà maintenant de nombreuses années doit amener à un traitement définitif de cette
question qui n’est autre que celle de la protection des créances des travailleurs dans les cas
d’insolvabilité de leurs entreprises.

Cette situation est vécue actuellement particulièrement au sein des entreprises publiques en
difficulté, certes. Il faut avoir pourtant à l’esprit qu’elles ne sauraient avoir le monopole de telles
situations fâcheuses. Dans un contexte d'économie ouverte et concurrentielle cela peut être le lot de
toute entreprise.

C'est pourquoi un traitement d’ensemble doit être apporté à cette préoccupation en relation avec les
dispositions du droit commun des sociétés et ce à partir des enseignements à tirer de la riche

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expérience internationale en la matière et notamment en s’imprégnant des normes internationales
de l’OIT ; sachant qu’en ce domaine la convention internationale y afférente a fait l’objet d’une
actualisation ces toutes dernières années pour tenir compte précisément des nouvelles réalités.

Il s’agit plus concrètement d’envisager de créer un système d’assurance des créances salariales.
Cette assurance pourrait être gérée par un fonds de garantie alimenté par des cotisations patronales
modiques. En cas de procédure de redressement ou de liquidation, le syndic produirait les créances
salariales auprès de ce fonds qui, après indemnisation des salariés serait, de ce fait, subrogé dans
leurs droits et prendrait leur place dans la procédure. Ceci permettrait au fonds d’assurance, à l’issue
de la procédure, de récupérer tout ou partie des sommes payées par lui aux salariés. Il ne serait donc
véritablement assureur que pour la partie des créances non récupérées.

L’institution de ce fonds de garantie pourrait prendre la forme d’une association regroupant les
institutions intervenant dans le domaine du chômage et de la protection sociale.

6. Le droit des conventions collectives

a. L’extension du domaine de la négociation


Une des préoccupations de la nouvelle législation devrait être de favoriser, chaque fois que possible,
la négociation collective. Un des moyens privilégiés pourrait être d’offrir aux entreprises des
souplesses de gestion dont la mise en œuvre serait subordonnée à la conclusion d’un accord collectif.
Les questions de la durée et de l’aménagement du temps de travail ainsi que celles du chômage
technique semblent se prêter particulièrement bien à ce transfert de compétences du droit légiféré
au droit négocié.

La législation actuelle est encore axée sur la référence hebdomadaire dont on reconnaît de plus en
plus aujourd’hui le caractère en partie obsolète. Des formules autorisant les acteurs sociaux à
négocier des systèmes d’aménagement du temps de travail sur des périodes de référence plus larges
pourraient être introduites dans certaines limites et moyennant certaines garanties pour les salariés.

b. L’introduction de l’extension des conventions collectives

Les difficultés que rencontre la négociation collective dans les petites et moyennes entreprises du
secteur privé et la perspective de restructuration et de privatisation du tissu industriel public n’a pas
manqué d’alimenter la discussion sur l’utilité qu’il y a à envisager de codifier la possibilité, en certains

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cas et sous certaines conditions, d’étendre les conventions collectives conclues aux petites
entreprises qui en sont dépourvues.

Force est de reconnaître cependant que cette éventualité demeure fortement controversée. Les
partisans de la formule mettent en avant les exigences de protection des travailleurs concernés qui
vivent pour l’heure dans une totale précarité et les impératifs d’égalité de tous devant la loi, ainsi
que la nécessité de renforcer la lutte contre la concurrence déloyale. Ceux qui y sont opposés
soulignent les nécessités de la mobilisation de tous les moyens susceptibles de contribuer à atténuer
la pression du chômage et mettent en garde contre les effets négatifs des décisions prises en dehors
de l’entreprise, particulièrement en cette période de fortes contraintes que vit l’appareil productif
national.

Une politique attentive de l’extension ou des mesures législatives semblent pourtant possibles pour
prendre en charge les risques évoquées. Il suffit par exemple de prévoir que l’extension n’est
possible que si la situation économique et sociale des entreprises susceptibles d’être concernées
permet l’application de la convention étendue dans des conditions analogues à celles qui existent
dans les entreprises qui sont d’ores et déjà liées par la convention. Il peut être également envisagé
de prévoir que si, compte tenu notamment de leur chiffre d’affaires ou de leurs effectifs, cette
condition n’est remplie que par une partie des entreprises, l’extension doit être limitée à cette seule
catégorie. Une telle précaution serait d’autant plus nécessaire que, comme dans de nombreux pays y
compris les pays développés, le dynamisme de l’économie nationale pourrait reposer grandement
sur le secteur des petites entreprises.

Moyennant ces précautions il peut être envisagé la mise en place d’un mécanisme permettant
l’extension de conventions collectives.

7 – La clarification des pouvoirs dévolus aux agents de contrôle

La prolifération du phénomène du travail au noir et la fréquence des situations où l’utilisation du


travail salarié dans des conditions qui ne tiennent pas compte des prescriptions légales impératives,
malgré les mises en demeures des agents de contrôle, met à jour la nécessité d’un renforcement des
moyens d’intervention de l’inspection du travail et d’un effort accru à consentir pour moderniser ses
méthodes de travail, ses systèmes d’information et son organisation au niveau déconcentré ainsi
qu’au niveau central où une plus grande synergie doit être recherchée avec la structure chargée de la
fonction normative.

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Dans cet esprit une attention particulière doit être accordée aux pouvoirs de l’inspecteur du travail
face aux cas de violations de dispositions impératives des lois et règlements, ainsi qu’au régime des
pénalités qui mérite d’être actualisé, les montants en vigueur ayant perdu tout caractère dissuasif.

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