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L3 AES

Economie du travail et de la protection sociale


Cours du 10 novembre 2020

Chapitre III : Relations industrielles et segmentation du marché du travail

Le marché du travail est structuré par un ensemble d’institutions et de règles. Les


économistes d’inspiration institutionnaliste ont proposé d’en rendre compte en élargissant le
cadre de l’analyse économique traditionnelle, voire en s’en écartant. Ils sont notamment à
l’origine des travaux portant sur l’évolution des systèmes de relations industrielles et la
segmentation du marché du travail.

I. La théorie des relations industrielles

A. Un cadre d’analyse systémique

La théorie des Relations industrielles a été fondée par des économistes du National
Labor Relation Board (NLRB), agence gouvernementale chargée de superviser le
fonctionnement du système américain de négociation collective, instauré par la loi Wagner
(Wagner act) en 1935 pendant la période du New Deal. Un cadre théorique opérationnel leur
était nécessaire pour représenter les pratiques qu’ils étaient en charge d’encadrer. Ils ont eux-
mêmes qualifié ce cadre de « théorie néo-réaliste » des relations du travail.
L’ouvrage fondateur de John Dunlop 1 inaugure la création du champ interdisciplinaire
des Relations industrielles, dont l’objectif est de rendre plus réaliste l’analyse du marché du
travail. L’outillage théorique proposé s’inspire de la théorie des systèmes de Talcott Parsons.
Dunlop propose de reconsidérer le marché du travail à travers le prisme d’un système de
relations industrielles. Ce dernier désigne « l’ensemble des règles de travail » inhérents à la
société industrielle qui se développe au cours des Trente glorieuses aux Etats-Unis. Importé
en Europe sur le tard, le terme de Relations industrielles y a parfois été remplacé par celui de
Relations professionnelles, à l’heure où la tertiairisation s’est étendue dans les sociétés post-
industrielles.
Dans le cadre théorique de Dunlop, le système de relations industrielles est un sous-
système du système social. Il interagit avec d’autres sous-systèmes, tels que le système
économique, le système technique et le système politique. Le système de relations
industrielles est composé d’acteurs, produisant des règles dans un environnement donné.

Les acteurs sont les travailleurs et leurs organisations syndicales, les employeurs et
leurs organisations patronales, l’État et ses agences gouvernementales. Ils partagent une
idéologie commune, renvoyant à la représentation que chaque acteur se fait de son rôle (et
du rôle des autres) dans le système.

1 J. T. Dunlop, Industrial Relations Systems, Henry Holt and Company 1958.


L’«output » du système de relations industrielles est un ensemble de règles produites
à tous les niveaux : l’atelier, l’entreprise, la branche, la nation. A tous les niveaux, deux types
de règles sont distinguées :

. Les règles substantives (« substantive rules »), renvoyant au contenu des règles de salaire et
d’emploi (mode de rémunération, taux d’augmentation des salaires, durée du travail,
conditions de travail, protection de l’emploi, règles de licenciement, etc.)

. Les règles procédurales (« procedural rules »), renvoyant à la forme prise par la fixation des
règles de contenu, selon que leur détermination transite par la loi, la négociation collective ou
le contrat.

Le contenu des règles fixées est étroitement influencé par l’environnement du système
de relations industrielles. L’environnement est représenté par les systèmes politique,
technique et économique. La thèse défendue par Dunlop est celle d’une convergence des
règles substantives produites dans les systèmes de relations industrielles à environnement
comparable.
Des travaux ultérieurs dans le champ des relations industrielles amenderont ce cadre
d’analyse, jugé excessivement déterministe, pour tenir compte des stratégies d’acteurs 2. De
nombreuses monographies mettent ainsi en évidence que des entreprises, situées dans un
environnement comparable, peuvent adopter des stratégies de gestion des ressources
humaines différentes. Ces stratégies exercent en retour une influence sur l’environnement
lui-même. Des enquêtes de terrain ont également comparé les règles négociées dans les
entreprises où les syndicats sont présents avec les règles produites dans le secteur non
syndicalisé.

B. L’évolution système français de relations professionnelles

1. Les trois piliers du système de l’après-guerre

Le système de relations professionnelles édifié au lendemain de la deuxième


guerre mondiale s’est consolidé autour de trois principes : représentativité, faveur
hiérarchique, extension. Malgré la place importante laissée à la négociation de branche dans
les lois de 1950, ces principes conféraient à la production de normes un caractère relativement
centralisé.

. Le principe de représentativité est celui en vertu duquel l’État désigne les organisations
professionnelles habilitées à négocier les accords collectifs (l’un des critère pris en compte
étant le rôle de ces organisations pendant la Résistance). Contrairement au système anglo-
saxon, les syndicats n’avaient donc pas, à cette époque, à construire de rapport de force sur
le lieu de travail pour établir la preuve de leur représentativité aux yeux de l’employeur. Ceci
explique en partie le faible taux de syndicalisation français, observable dès cette période,

2 T. Kochan, H. Katz, R. McKersie, The Transformation of American Industrial Relations, Basic Books, 1986.
malgré l’influence des syndicats et leur capacité à déclencher fréquemment des grèves, dont
la durée et l’étendue ont toutefois décliné à partir des années 1980.
La conséquence du principe de représentativité est qu’un accord de branche, signé par
l’un des cinq syndicats reconnus représentatifs par l’État, s’applique à toutes les entreprises
de la branche, même lorsqu’aucune section syndicale n’est présente dans les entreprises de
cette branche.

. Le principe d’extension permet à l’État d’étendre un accord à d’autres branches.

. Le principe de faveur définit une hiérarchie des normes en droit du travail : un accord collectif
négocié au niveau de l’entreprise doit toujours s’avérer plus favorable aux salariés qu’un
accord de branche, qui doit lui-même être plus favorable que la loi. Le principe de faveur s’est
imposé à travers diverses dispositions existantes dans le Code du travail, bien qu’il n’y figure
pas explicitement et qu’il repose sur la jurisprudence : en cas de conflit de normes, c’est la
norme la plus favorable aux salariés qui s’applique.
Les lois Auroux de 1982 ont promu la négociation d’entreprise (sur les salaires et le
temps de travail – sans obligation de conclure) dans le respect du principe de faveur, la
conclusion d’accords sur le lieu de travail devant s’avérer plus favorables aux salariés.

2. Les transformations récentes du système français de relations professionnelles

Le système français de relations professionnelle a été profondément transformé au


cours de la période récente. Le principe de représentativité a été reprécisé. Des dérogations
à l’ordre public social, édifié autour du principe de faveur, ont été accordées, avant que ce
principe ne soit substantiellement remis en question dans la période récente. Les moments
importants de cette transformation sont les suivants :
. La loi du 20 août 2008 redéfinit la représentativité à l’aune des critères suivants : adhésion
aux valeurs républicaines, indépendance vis-à-vis de l’employeur, transparence financière,
ancienneté d’au moins deux ans, audience suffisante aux élections, effectif d’adhérents
suffisant. Les syndicats doivent désormais faire preuve de leur audience à travers les résultats
obtenus aux élections professionnelles. Pour être habilités à négocier des accords
d’entreprises ou de groupe, Ils doivent au moins obtenir le score de 10% dans les élections au
comité d’entreprise. Leur score doit être au moins de et 8% pour négocier des accords de
branche (en cumulant les résultats obtenus dans les entreprises de la branche).
. Les ordonnances de janvier 1982 et de septembre 1986 octroient la possibilité de conclure
des accords de branches et d’entreprises dérogeant à la législation en matière
d’aménagement du temps de travail.
. Entre 2004 et 2016, cinq lois permettent aux accords d’entreprises de déroger aux accords
de branche en matière de temps de travail et d’emploi.
. Les ordonnances du 22 septembre 2017 remodèlent profondément le paysage du système
de relations professionnelles. L’ordre public social continue de prévaloir pour la fixation des
bas salaires, un accord de branche ou d’entreprise pouvant toujours fixer un salaire supérieur
au SMIC. Toutefois, le principe de faveur est fortement ébranlé :
- Les ordonnances autorisent explicitement l’accord collectif à prévoir des
dispositions moins avantageuses que la législation. C’est le cas pour les accords de
branche portant sur les contrats à durée déterminée, le travail temporaire et les
contrats à durée indéterminée de chantier. C’est le cas pour les accords
d’entreprises en matière de temps de travail où la loi devient supplétive : elle ne
s’applique qu’en l’absence d’accord collectif.
- Les ordonnances font de l’accord d’entreprise le pivot du système de relations
professionnelles. Il prime désormais sur l’accord de branche, sauf dans certains
domaines où les dispositions de l’accord de branche représentent un plancher
(minima hiérarchiques, grilles de classification, égalité hommes-femmes, garanties
collectives complémentaires). Dans certains cas où il s’avère moins favorable pour
« préserver l’emploi », l’accord d’entreprise prime également sur le contrat de
travail (en matière de d’aménagement des rémunérations et du temps de travail
et en matière de mobilité géographique interne à l’entreprise).

(…) à suivre : II. Les théories institutionnalistes et radicales de la segmentation du marché


du travail

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