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La complicité

face au principe de légalité

Jean-Claude BERREVILLE
Maître-Assistant à I'Université d'Amiens

INTRODUCTION
Le problème de la répressionn'est pas simple : entre f innocent et l'auteur
direct, ,, se suflisant lui-mêrne> pourrait-on dire, d'une infraction, existent des
situations intermédiaires,susceptiblesde degrés,et I'ordre public ne peut se
désintéresserde ces hypothèses.Le droit pénal ne saurait se lirniter à atteindre
les auteursindiscutablesde délits, ceux qui assumenteux-mêmesla responsabi-
lité entière d'une infraction (consomméeou seulementtentée),il doit s'étendre
à d'autrescas moins nets, se préoccuperde ceux, qui, sans avoir réaliséintégra-
lement une infraction, y ont, du moins, participé et, qui, selon l'expressionde
M. le doyenLegal I sont,en quelquesorte,responsables du fait d'autrui : la ques-
tion est, alors,-de savoir jusqu'où l'on peut aller dans la recherchedes cou-
pables.
Déjà, lorsqu'un auteur seul est en cause,le principe de la légalité.des délits
entraîné de délicatesdiscussions,de di{Iicilesrecherchesd'interprétation.
On devine dès lors combiense compliquela tâchequand il s'agit de < détec-
ter >>les autres sujets susceptiblesd'être sanctionnéspour avoir été rnêlés à
l'accomplissementdu fait délictueux.Le principe de la lêgalité, dont_la_raison
d'être eôtla nécessitéde garantir le justiciablecontre tout arbiffaire de l'adminis-
tration ou du juge, constitue une iègle essentielleet il est hors de question de
le rejeteren matière de complicité.
Appliquer le principe de la légalité en matière de coqrplicité_revient à dire
que la^ôoniplicité ne peirt se concàvoirque dans les conditions.définiespar la
lài. Les art. 59 et 60 i.P. sont la baseà pàrtir de laquelledoit s'édilierla théorie
de la complicité: la jurisprudence,avecl'aide des auteurs,est parvenueà élabo-
rer un systèmestructuré.
L'acte du complice, subsidiaire,s'appuie par hypothèsesur une infraction
principale2. La complicité fait défaut, cèst le ôas limite, si l'acte principal solli
ôite ef précédépar lés gestesd'un tiers tendant à le faciliter, à le préparer,n'est

L Revue de science criminelle, 1965,p. 869.


2. Cf. par ex., crim., 25 act. 1962,I.C.P., 1963,II, 12.985,note Vouin D., 63.221,.tiote
doven Bouzat. La siiuation est identique, à savoir impunité du complice, aussi -bien
lorique i'auteur principal s'est absteriu de toute actiôn que lorsqu'il a accompli de
simples actes prébaratôires, à I'exclusion de toute tentative.
lub I edn-clqud:e Uerreville

pas matérialisé.Le tiers a tout fait pour que l'acte principal se produise,il a
rassemblétous les moyens,mais c'est en vain qu'il a invité une autre personne
à prendre la responsabilitéde l'opération ultime. La grefïe de l'acte du complice
sur f infraction principale ne peut, pour avoir effet, se limiter à être matérielle:
elle doit être consciente3. Enfin, elle doit se réaliserà l'aide de procédésdéfinis
par la loi, à la fois positifsa et antérieursou concomitantsà l'acte principal,
sauf atténuationsdans le cas où l'inaction, loin d'être neutre, constitue un
encouragement et dans celui où l'aide ou l'assistanceapportéepostérieurementà
l'infraction principale résulte d'un engagementantérieur passé entre l'auteur
principal et le complices 6.
Mais précisément,cette exigencede légalitê ne risque-t-ellepas, tout parti-
culièrementdans le domainede la complicité,de bénéficierà certains individus,
ne risque-t-ellepas de venir au secoursde ceux qui ne remplissentpas exacte-
ment les conditions fixées par la loi ? De ce fait, un conflit est inévitable: il
faut respecterle principe de légalité, mais des pressionsen senscontraire vont
s'exercertendant à élargir le champ de la répression,à l'adapter.
L'examen de certainesdécisionsjurisprudentielles,relatives à la compli
citê, paraît confirmer cesdifïicultés.Certainesaffairessemblentteintéesd'un juri-
disme excessif: f individu très engagésur le chemin de la réalisationd'un crime,
mais dont il réservel'accomplissement matériel à un tiers, bénéficiede l'inaction
de ce tiers et échappeà toute sanction.En revanche,d'autresprocèsne révèlent-
ils pas un manque évident de rigueur juridique : n'est-cepas le cas lorsque,par
exemple, une personne ayant seulementfacilité l'action criminelle d'un autre,
'/
est considéréecomme le coauteur de ce dernier ? N'y a-t-il pas contradiction
On a l'impression que le principe de la légalité strictementrespectédans cer-
tains cas,ne l'est plus dans d'autres.Nous nous proposons,dans ces conditions,
d'entreprendreune étude,sur la basede quelquessolutionsjurisprudentiellespar-
tiôulièrement significativesintervenuesen matière de complicité, dans l'espoir
d'apporter un peu d'ordre, de recherchersi les décisionsdesjuridictions peuvent
s'expliquerd'une manière satisfaisantepour la logique.
Dans une 1"" partie, nous dégageronscertainestendancesjurisprudentielles
révélant une mise à l'écart, ou pour le moins, un assouplissement du principe de
la légalité.
Nous consacreronsalors une deuxièmepartie à une tentative d'explication
susceptiblede donner plus de cohérenceà cette matière.
Ces points vont, dans cet ordre logique,retenir notre attention.

3. Ainsi crim., 13 janvier 1955,D., 1955,291,note Chavanne, ou Bourges, Ch. acc.,28


n o v . 6 2 , J . C . P . , 6 2 . 1 3 . 2 3 4 e t 1 7 m a i 6 3 . J . C . P . 6 3 , 1 3 3 1 0s u r l a n o t i o n d ' é l é m e n t m o r a l
dans la complicité, élément qui doit exister au moment même où I'aide ou l'assis-
tance sont apportées (crim., 5 nov. 1943,D.A., 44, 29).
4. Crim., 15 janv. 48,D.,48.100.
5. Crim., 30 avr. 1963,bull. crim., n' 157.
6. Sur I'ensemble des problèmes de la complicité, voir:
Stéfani et Levasseur. Précis Dalloz, droit pénal général et procédure pénale, p. 208
et s.
- Merle et Vitu. Traité de droit criminel 1967,p. 382 et s.
- Decocq. Droit pénal général - Collection U., p. 234 et s.
- Bouzat-Pinatel. T. I, no 771 et s.
- Gulphe: * La distinction entre coauteurs et complices R.S.C., 48., 665.
".
La Complicité face au Principe de Légalité t07

I. LA DISTINCTION DE LA COACTION ET DE LA COMPLICITE NE


REMET-ELLE PAS EN CAUSE LE REGIME DE LA COMPLICITE ?
Si le principe de la légalités'appliqueeffectivementà la complicité, la qua'
lité de complice doit correspondreà une définition légale. Tandis que l'auteur
est celui qui réalise personnellementles élérnentsde f infraction, en particulier
l'élément matériel,le compliceest celui qui, sans avoir commis cet acte, a per-
mis sa perpétrationpar son aide, son assistance,selon un comportementmaté-
riel et moràl défini par la loi. N'accomplissantpas lui-mêmel'élément matériel
de l'infraction, le complice contribue sciemmentà son exécution de manière
indirecte, par un acte extérieurcomme la provocation,la fourniture de moyens
etc.z.
La lettre et l'esprit des articles relatifs à la complicité,accordantla priorité
à l'élément matériel, dictent, de manière asseznette, cette solution imprégnée
d'objectivisme.C'est la nature de son acte qui permetd'attribuer à telle p_ersonne
la qualité de coauteur ou de complice. Cette analysea le mérite de la logiqge,
elle-évite toute recherchearbitraire, mais ses résultatssont-ilstoujours satisfai-
sants? L'application en est-elleaisée? A quelle conséquences aboutit-elle?
Par ailleurs, la jurisprudences'en tient-elle strictementà ce critère comme
le commandele principe de Lalégalité ?
A) LES DIFFTCULTES D'APPLICATION DU CRITERE OBJECTIF
(INSPIREPAR LE C.P.)
Il est certain que la mise en ceuvredu critère objectif n'offre pas de difÏi-
cultéslorsque les aôtesde participation ont été eflectuésantérieurementà la rêa-
lisation de-f infraction. Par hypothèse,ils sont distincts de la consommationde
l'élément matériel qu'ils précèdent.
Beaucoupplus délicate se révèle la recherchede la qualification des actes
de participation concomitantsà l'action principale. Ires faits _qui peuvent être
sépârésdê cette action, ne se confondant pas avec elle, mais la favorisant seu-
lement, sont bien des actesde complicité. Mais que penser des actesd'aide et
d'assistance accomplisà f instant et à l'endroit de la perpétrationde l'acte princi-
pal ? Comme le fàit remarquer M. le doyen Legals, ces_actesfont corps avec
l'exécution matérielleet il eit difficile de ne pas les considérercomme des actes
de coaoctione. Et l'auteur peut ajouter : <<N'est-onpas réduit, s'il -en est ainsi, à
constaterque les dispositions
-(aide du code, qui visent cependantde façon expresse
ce cas de èomplicité et assistancedans la consommation)sont vouéespra-
tiquement,quelle que soit la nature de l'infraction, à resterlettre morte >>?
La théorie objective n'est donc pas en soi une panaeêe,puisqu'elle porte
sespropreslimites interdisant l'appréciationde la gravitérespectivedes compor-
temèntJde chacun des participanis dans cette hypothèse: c'est pourquoi, dans
de telles situations, il arrive que la jurisprudencerefuse d'entrer dans le sys-
tème objectif. Ainsi, à l'occasiond'une poursuitep-ourhomicide.parimprudence
dirigée ôontre les passagersd'un bobsleigh,une fillette.ayant êté,tuêe sur une
rout-eutilisée comme piste, la cour de Chambéryavait à statuersur le sort des
occupants du véhiculè qui étaient, d'une façon collec_tive,intervenus_dans la
conduite du véhicule. Eiairil possible de déterminer la coexistenced'un acte

7. Tribu. correct. Nancy, 14 mai 1965.J.C.P., 1966,lI, 14, 559 observ., Biswang.
8. Rev. Sc. crim., 1956, 531.
9. Crim.,4 août 1927,S. 1927,1,23, note.Roux.: celui qui assiste I'auteur dans les
faits qui cànÀomt"ént I'infraction,' coopère nécessairement à la perpétration de
celle-ci et s'en rend coauteur.
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matériel principal et d'actes,d'une portée moindre, facilitant l'accomplissement


de cet acie de réalisation? Ou bien, puisqu'ils avaient, tous ensemble,participé
à la perpétration de l'infraction, ne devaient-ilspas être, au même titre, consi-
déréf comme des coauteurspurs et simples? La théorie légaliste,objective,n'est
pas d'un grand secours,elle ne permet pas d'opérer un choix indiscutable,La
èour de Chambéry10a échappéà I'impasseà laquellemenait la théorieobjective.
L'engin, causede l'accident, avait êté dirigé q une vitesse excessive.Seule, la
persônneinstallée au poste de pilotage fut déclaréeauteur principal. Toutes les
âutres, qu'elles aient eu la négligencede ne pas avertir par leur cris, au cours
de la descente,les passantséventuelsou qu'ellesn'aient pas freiné d'une manière
efficaca,ne furent retenuesque comme complices.Quels motifs ont pu dicter
à la juridiction cette inégalerépartition_des responsabilités ? La cour a recher-
ché, larmi les personnes impliqué9s, si les rôles qu'_eiles
avaient assumésétaient
identiques et elle a répondu par la _négative. Le_pilote, Parc€ qu'il remplit une
fonctiôn directrice, est le responsableprincipal. Les autrespassagers,étant gui-
dés dans leurs opérations,par les consignesdu pilote et agissantpar suite comme
des subordonnés,n'ont qu'une responsabilitédérivée,grefféesur celle du pilote ;
leurs actes s'analysentcomme des actes de complicité. Ce qui importe, c'est
l'importance respectiveprise par .chacun dans_l'accomplissementde la tâche
commune, appréciéenon d'un point de vue objectif, mais--dans-gne optique
subjective,d'aprèsle degré d'intensitéde la volonté criminelle de l'agent.
Nous sommesparvenus à une première constatation: des actes, difiicile-
ment classifiablesselon la théorie objective, le sont d'une manière satisfaisante,
à la lumière de la théorie subjectiveappliquéeen I'espècepar la jurisprudence.
ts) LE REJET DU CRITERE OBJECTIF
Il est possible de relever d'autres espècespar lesquelle_s les juges se
montrent enèore plus audacieux. Ils ne se contentent plus, en effet, de recourir
à |a théorie subjeôtiveseulement lorsque la théorie objeltive donne un_e réponse
malaisémentap-plicable,ils l'utilisent parfois dans des situationsoù la théorie
objective fourniiait pourtant des résultatstrès clairs.
Parfois, des actes qui sont de toute évidence des actes de coaction sont
considéréspar les tribunaux comme des actes de complicité. Dans cet ordre
d'idées,la jurisprudencerr a été fort loin. L'un des prévenus avait étê feconnu
coupable d;avoii coniointementavec les deux autres détournéou soustraitfrau-
dulôusementdes deniêrsou effetsmobiliers qui étaiententre les mains de ceux-ci
à raison de leurs fonctions. Les trois individus furent déclaréscoauteursdu
même crime, et le premier, bien que n'étant, contrairementau deux autres,ni
fonctionnaire, ni cornptablepublic, fut frappé des mêmespeines.La juridiction
aflirma : <<le coauteurd'un ôrime aide nécessairement l'autre coupabledans les
faits qui consommentl'action, et devient, par la force des choses,légalementson
complice>.
Plus souvent,des actes,indiscutablementde complicité en vertu de la théo'
rie obiective. sont, en certainesoccasions,définis par la jurisprudencecomme
des acies de-coaction. Le problème
-de concernesurtout les actes de participation
'antérieursà la réalisation l'infraction. Nous avons déjà remarqué que, par
hypothèse,ce sont des actesde complicité. Et pourtant, cette conclusion-nepeut
êirè admiie comme étant automatiquementde bonne politique criminelle. L'au-
teur matériel d'une infraction n'apparaît parfois dans l'activité criminelle que

10. Chambéry, 8 mars 1956,J.C.P., 1956,Il, 9224,observ. Vouin.


11.Crim., 15 juin 1860,S., 1861,398'
La Complicité lace au Principe de Légalrté 109

comme un personnagefalot, son action s'inscrit dans un ensembledont la con-


ceptionne liri appartientpas. L'un.des cas les plus remarquablesd'acte antérieur
est celui de la iliovocatioh : c'est la pressionqui, de nature à influencer.fesprit
de celui auquei elle s'adresse,poussè une persolne à commettreun délit. Le
simple conselilne saurait être aÀalysécomme de la_provocation.Pqnt-.1.^proces'
sus^criminel,le provocateurtient une place considérab_le:sanslui, l'infraction
n'aurait certaineinentpas été commise; l'auteur, sans l'insti-gation,ou bien n'y
aurait pas pensé,ou bien ne se seraitpas décidéà exécuter12.I.'afÏaire évoquée
plus hâut tl donnait une illustration frappante de.cette_ aflirmation.L'homme de
main n'agit que commeI'instrument d'un tiers qui est le cerveaude l'opération,
et cepend'antil est l'auteur alors que ce tiers est simplementcomplice. N'est-il
'que,cbntradictoirede déclarerf instrument, auteur, et le cerveau,complice,alors
pas
put hypothèse,le complice ne joue g!'un rôle secondaitepar rapport à
liauieur ? Ô'est pourquoi en^diverses-occasions,consciente-de ce-paradoxe,la
jurisprudencea ioulu- voir dans le_provocateurun coauteurlui assignant.parce
bto.êde une responsabiliténominaléau moins aussigrande que celle de l'auteur
inatériel. Ainsi i'entrepreneur, ordonnant à ses ouvriers d'agir à l'encontre..de
certainesprescriptions-réglementaires, a étê condamné,non pas commecomplice
commecoauteur de f infraction la.
II. TENTATIVES D'EXPLICATION DE LA JURISPRUDENCE
(ou DE CONCILIÀTION DE SES ASPECTS CONTRADICTOIRES)
De tels exemples, qui ne sont pas rares, conduisent le commentateur à
s'interroger.A qu<ii bon-avoir élaboré avec précision9ne théo_riede l.a-compli
rite ri, d"ansla pratique la jurisprudencese laisse guider par des considérations
en apparen"e p.ttttti.nt erirpiriques, comme nous l'avons vu en 1"! partie ?
nuit.irir la froàtière qui sép-are-lecomplice.du coauteur est moins rigide aux
veux^des iuges que nê le làissait supposerl'analysedes textes,peut-on-encore
âfiirmer qirJta dêterminationde la complicité.estmarquéedu sceau.9e.laléga-
iite i À"ti"ment dit, la théorie de la complicitéa-t-elleèncoreune utilité ? Pout
;égo;ffi ; ftobteÉ", nous allons envisagerles deux situationsprésentéesplus
i;rï i la trarisformationdu complice en éoauteur,et à l'inverse la transforma-
tion du coauteuren comPlice.
A) LE COAUTEUR CONSIDERE COMME COMPLICE
La jurisprudencese reconnaît,avons-nousnoté, 1a possibilité de voir dans
un coauteurun complice.Si l'on pose au départ gle la cbmplicitéest.une parti-
cipation seulementâccessoire,l'aâage < qui-peut le plus péut le,moins > suflit
ti;;iifù. cèttà position,alors même-quedanJ les faits, cettèattitude a.pour e{Ïet
d,àpptquer à cô complice des sanctiônsplus rigoureuses.Cette théorie jurilqru-
à."iï.ttà, àite théori" dr la complicité côrespective,va permettre de considérer
Éo-plice celui qui, techniquement,dst coaute-urd'un parricidels. Coau-
Ëtt;;lï eiàiiiassible d'une peine dé réclusioncriminelle à perpétuité;.désormais,
"à--Ë
;âi qu" ôo-ptice, il la peine de mort applicable ftJ Parlici.{?. 991"-
iiàr p".âà"xale,'maii qui "nôout."
ne nous pàraît pas heurter-de front le.principe de.la
ieg;tiià tîu.iii'a,t *o1'''.nt où l'on^pose eh.prémi:t9 la zubsidiaritéde la notion
àË t" complice empruntant la miminalité du fait, principal. Dès lors,
Éet"-o.f,hàsé en'complice,ne saurait se plaindre du sort plus dif-
"ôÀpiiËiie,
Ë"ouuàr.,
{icile que lui vaut cette transformation.

12.Decocq,op. cit., p. 196,


13.Crim., 25 oct. 1962.
14.Crim., 26 juin 1885,S., 1888,1, 487.
15.Crim., 11 mai 1866,8., n' 135.
110 I ean-ClaudeBerreville

B) LE COMPLICE CONSTDERECOMME COAUTEUR


Une situation plus complexes'offre à nous lorsque la jurisprudence<<trans-
forme > un complice < objectif )> en coauteur.Faisons un sor- particulier à la
situation du < complice> d'une contravention: celui qui coopèreà l'accomplis-
sementmatériel d'une contraventionne saurait être puni du fait de l'inexistence
juridique d'une_complicité de contravention,l'art. 59 du C.P. ne la prévoyan:
pas. Alors, parfois, la jurisprudenceverra dans ce compliceun coauteur afin de
pouvoil le sanctionner,commettantindiscutablementune violation du principe
de la légalité16.
Ce cas particulier mis à part, comment expliquer qu'un complice, qu'un
sujet dont la criminalité accessoiren'existe qu'au travers cie la criminalité d'un
acte principal, puisseêtre regardécomme un responsableà part entière dont la
culpabilité s'apprécieseulementen fonction de luimême ? Poserla questionsous
cette forme ne semble guère laisser planer de doute : la jurisprudènce,guidée
par des considérationspurement pratiques,n'hésitepas à sacrifier le principe de
légalité? Cette réponsene peut pourtant suffire. En effet, dans ces conditions,
comment expliquer que cette même jurisprudencemette tant de soin à relever
les élémentsconstitutifs de la complicité? En admettantque la jurisprudencese
permette audacieusementde prendre des libertés avec le principe de légalité,
elle seraitcontrainte d'utiliser une terminologieincertaine.Or, nous l'avons rap-
pelé dans notre introduction, elle est très ferme dans sesaflirmationsde principe.
La réalité est que, loin de marquer une opposition,les deux façons de voir
de la jurisprudence,stricte dans l'élaborationde la théorie et dans la recherche
des conditions de la complicité, souple dans la transformationde la complicité
en coaction (pour nous en tenir à l'hypothèsela plus fréquente en pratique),
attitudes en apparencecontradictoires,peuventse concilier.
Faut-il dire d'une personnequ'elle est complice? Cette décision est par-
ticulièrementgrave, nous avons eu l'occasionde l'indiquer antérieurement,car
elle aboutit à ce qu'une personne,non délinquanteselon la définition des infrac-
tions que donne la loi, soit cependantsusceptibled'être sanctionnéeet de la
même manière que les auteurs d'infractions. Cette extensiondu champ de la
répressionà d'autresque les auteursà titre principal ne sauraitêtre admisesans
garantiesprécises,au risque de transformeren corrpablestous ceux qui auraient
la malchance,à la suite de coïncidencesmalheureusesou d'attitudes impru-
dentes,de se trouver impliqués, même de façon lointaine, dans des afTairescri-
minelles,ou qui, souhaitantque le résultat recherchépar des criminelsse réalise
l'auraient par trop vigoureusement- et imprudemment- proclamé. En défi-
nitive, c'est à propos de la complicité plus encorequ'à propos de la culpabilité
à titre principal, que le principe de la légalité doit être appliqué avec intransi-
geance,et c'est bien de cette manière que l'entend la jurisprudence.
Alors, mais alors seulement,la jurisprudence,ayant dêclaréqu'un tel est
complice,ou tout au moins étant parvenuementalementà cette conclusion,peut
considérerle complice comme un coauteur.Cette fois, le principe de la légalité
des délits n'est plus respecté,mais cette violation ne se produit que dans la
secondephasedu raisonnement,De ce fait, cette atteinte au principe de légalité
n'est pas aussigrave qu'il pouvait le paraîtreau premier abord. Un sujet ne peut
être condamnési sa situation ne correspondpas à la définition que donnent les
aft. 59 et 60, de la complicité. Le principe de la légalitéresteessentielpour déga-
ger le principe mêmede Ia responsabilitê.Cetteresponsabilitéétant acquisedans
son fondement,la jurisprudencen'hésite pas à composeravec le principe de la

16.Crim., 24 juin 1922,5., 1923,l,41 note Roux.


La Complicité lace au Principe de Lëgalité 111

légalité, mais uniquement dans un but de répartition des responsabilités.Un


individu mérite d'être puni, Ia loi permettant la répression; cette première
déductionopérée,la jurisprudences'aperçoitque cet individu est compliced'un
tiers qui, bien qu'auteur principal, a eu, en définitive, une attitude moins cou-
pable ou pas plus coupablesur le plan social. La jurisprudenceva réparer cette
absencede logique à laquelle conduit une application littérale des textes; en
particulier, s'il s'agit de provocatiorr,le juge voudrq.que lecomplice < objectif >
apparaissecomme autant responsableque l'auteur, il le qualifierade coauteur.
Ou bien encore,le juge considéreraun complice comme coauteur dans le
but de faire application à l'espècede la circonstanceaggravantede réunion,
ainsi en matière de vol.
Cette conclusion à laquelle nous parvenonsne ressortcertespas avec une
telle nettetéà la lecture des décisionsde jurisprudence,nous pensonsnéanmoins
qu'elle y figure en filigrane. La meilleure preuve que nous puissionsen donner
résulte de la confrontàtionde diversesaffairesrelativesà la provocation,abor-
dées séparémentau cours de cette étude. Le provocateur,f instigateurd'un des-
sein criminel, est un individu nettementplus dangereuxpour I'ordre social,ou
pour le moins aussidangereux,que le tiers, le factotum auquel il décide d'avoir
recours pour I'accomplissement matériel de l'ultime phasedu projet. I1 est nor-
mal sur le plan moral, et défendablesur le plan juridique, commenous venons
de l'indiquer, d'en faire un coaut€ur.
Mais, et cette différencede faits est essentielle,si l'homme de main, auquel
le provocateur s'est adressé,reste inerte (quelle qu'en soit d'ailleurs la raison),
le provocateurdemeureraimpuni. Ce n'est donc pas, si l'on peut dire, un coau-
teur <<à part entière>, mais un coauteut par répercussion, qui ne l'est que parce
que et s'il est d'abord complice.
Ces exemples,à la fois procheset opposés,nous montrent de la manière la
plus nette qui-soit que la seule violation-de lalégalitê que l'on puisseéventuel-
lement reprocher à la jurisprudenceest négligeable,elle ne concerne pas le
principe même de la responsabilité; la jurisprudencese montre intraitable sur
ce point, sfen tenant à la stricte lé,galitê.Mais dès que la responsabilitéest
admise, dès que le tiers, pour reprendrece type d'affaires,a agi de la manière
qui lui était commandée,lajurisprudencereprend sa liberté d'action,
ou bien considérantle provocateur comme un simple complice,
ou bien l'élevant au rang de coauteur.
En résumé,l'étude de la jurisprudencesur la complicité n'est pas marquée
par l'incohérence,l'ensembleest fortement structurê. Et, exceptionfaite d'une
violation caractérisée,mais relativement sans grande importance, du principe
de la légalité (la coactionpermettant la sanctionde la complicité de contraven-
tion), on peut dire que ce principe, s'il est atténué,est cependantrespectépour
I'essentiel.

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