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L'Hériteau Marie-France. Endettement et ajustement structurel : la nouvelle canonnière. In: Tiers-Monde, tome 23, n°91,
1982. pp. 517-548;
doi : https://doi.org/10.3406/tiers.1982.4141
https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1982_num_23_91_4141
Caractéristique de la dette
change si l'on prend pour référence non plus le pnb mais le volume des
exportations de pays considérés3. Le rapport de la dette au volume des
exportations était passé de 48 % à 122 % entre i960 et 1970, conséquence
à la fois d'une forte croissance de la dette et d'une détérioration des
termes de l'échange des pays en voie de développement dans la décennie.
Il connaît au contraire une tendance à la baisse dans les années 1970 :
après une forte chute, à 68 %, en 1974, provenant essentiellement d'une
revalorisation du prix des matières premières en 1972 et 1973, il se situe
à 97 % en 1979. C'est donc plutôt un allégement du poids de la dette
par rapport au volume des exportations que l'on observe dans la dernière
décennie : les exportations des pvd ont augmenté plus vite que
l'endettement et cette relation, qui est d'ailleurs, on le verra, une conséquence
obligée de l'endettement4 donne un éclairage plus optimiste au problème
de la dette dans la mesure où s'améliore le rapport entre les recettes de
devises nécessaires au remboursement (volume des exportations) et la
somme de capital due par les pvd (encours de la dette). Mais attention :
l'éclairage va encore changer si on passe du montant de capital emprunté
(encours de la dette) au montant des remboursements et intérêts dus
annuellement par les pvd (service de la dette), car il s'agit là très
clairement d'une aggravation dans la période 1970-1980, aussi bien en termes
réels qu'en termes nominaux : tandis que le volume de la dette était
multiplié par 5, celui du service de la dette était multiplié par 8 (de
9,6 milliards de dollars en 1971 à 78,6 milliards en 19805), connaissant
un taux de croissance de 28 % par an en moyenne. Dès lors, si les
exportations croissaient plus vite que le capital emprunté, elles étaient
néanmoins prises de vitesse par les charges de remboursement et d'intérêt
qui en absorbaient 7 % en i960, 15 % en 1970, 17 % en 19796 (en
moyenne pour l'ensemble des pvd).
L'origine de cet alourdissement du service de la dette est maintenant
bien connu : il réside dans la privatisation croissante des sources de
financement extérieur, avec en particulier le rôle dominant des grandes
banques privées internationales et des marchés financiers internationaux
(dont la part dans l'encours de la dette est passé de 46 % en 1971 à 63 %
en 1980)6 avec une aggravation des conditions d'emprunts : taux d'intérêts
plus élevés et délais de remboursement plus courts que ceux des prêts
de source officielle.
7. Gabon, Libéria, Sierra Leone, Soudan, Togo, Zaïre. Les cinq autres pays étant : Chili,
Inde, Pakistan, Pérou, Turquie.
8. Jamaïque, Nicaragua, Pérou, Soudan, Turquie, Zaïre; les quatre derniers menaient
parallèlement des discussions pour le réaménagement de leur dette envers des créditeurs
officiels.
LA NOUVELLE CANONNIERE 5 21
trouvés dans ce cas au cours des années 1975-1980 ont conclu de tels accords
globaux avec leurs banques créditrices.
Le propos n'est pas ici de dégager les caractéristiques des procédures
ni des arrangements financiers obtenus par les pvd dans ces
renégociations9. Il est de souligner un trait commun aux deux types de
réaménagement de l'endettement : Le rôle crucial du FMI dans le dénouement des
discussions et dans la mise en œuvre des arrangements.
9. Signalons simplement que la politique suivie par les créditeurs est celle dite « de la
courte laisse » qui consiste en principe à ne rééchelonner que le principal dû pour la seule
année (ou année et demie) à venir avec quelquefois un rééchelonnement conditionnel pour
une durée supplémentaire.
TM — 18
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10. fmi : Occasional paper n° 3, External Indebtedness of Developing countries, mai 1981.
524 MARIE-FRANCE l'hÉRITEAU
Tableau I
Nouveaux engagements de prêts
Autres utilisations des ressources du Fonds
(milliards de dts)
Nouveaux engagements de
prêts au titre d'accords de
confirmation ou de facilités
élargies (y compris
éventuel financement
supplémentaire et accès Illustration non autorisée à la diffusion
élargi) 0,4 i,4 1,2 o,9 5,2 1,9 2,2 7,o 15,2
dont :
— Pays industrialisés 1,0 0,8 3,8 °,i
— Pays en développement 0,4 o,4 0,4 o,9 i,4 1,8 2,2 7,o 15,2
Autres achats 0,2 i,9 3,6 4,6 o,3 o,7 o,7 !,O o,9
Versements au titre de prêts
du Fonds fiduciaire 0,2 o,7 o,5 i,3 0,4
Total 0,6 3,3 4,8 5,5 5,7 3,3 3,4 9,5 17,1
Source : bulletin du FMI, Ier février 1982.
16 Discours à Salzbourg (Autriche), Bulletin du FMI, 24 août 1981 (souligné par nous).
17. Discours à Palm Beach (Etats-Unis), Bulletin du FMI, 13 avril 1981 (souligné par
nous).
18. Discours à Salzbourg (Autriche), Bulletin du FMI, 24 août 1981.
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22. Traduction lourde du terme de subsidiaridad del Estado cher aux orthodoxies argentines
et chiliennes.
LA NOUVELLE CANONNIERE 53 I
23. Cf. M.-F. L'Hériteau, Dette extérieure et modèle de développement, Revue Tiers
Monde, n° 80, octobre-décembre 1979.
24. Finances et Développement, mars 1977, décembre 1978.
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Cette inflexion des programmes d'ajustement n'a pas été sans poser
problème à de nombreux pays. On a pu y voir aussi, parallèlement au
rôle joué par l'érosion du niveau réel des ressources du fmi, une raison
expliquant le faible recours des pays du Tiers Monde à l'aide
conditionnelle du Fonds dans la fin des années 1970 : les pays étaient loin d'utiliser
toutes les aides potentielles du Fonds, et certaines années (1978, 1979,
1980) les rachats effectués par le pays (c'est-à-dire les remboursements)
ont largement dépassé les achats (c'est-à-dire les tirages sur le fmi)25.
Car le type de conditionnante prévalant dans les années 1970 a fait
l'objet de nombreuses critiques et d'un mécontentement latent de la
part des pays en développement, qui s'est exprimé de façon réitérée
dans la deuxième moitié des années 1970, à travers notamment les
déclarations du Groupe des Vingt-Quatre26. Celui-ci, en janvier 1976 à
Kingstown, notait déjà que « les conditions qui régissent l'utilisation
des ressources du Fonds dans les tranches de crédits supérieures sont
excessives à l'heure actuelle et devraient être assouplies » et revenait
30. Discours à Davos le 3 février 1 98 1 . Cf. Bulletin du FMI, supplément consacré au Fonds,
mai 1981 (souligné par nous).
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31. Cf. Aldo Ferrer, El monétarisme en Argentinay Chile'e. Commercio Exterior (Mexique),
janvier 1981.
32. Ce caractère « exogène » du modèle n'exclut pas qu'il serve les intérêts de certains
groupes de l'intérieur et que les coups d'Etat aient été largement de source « endogène ».
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33. Bulletin du FMI, supplément consacré au Fonds, mai 1981 (souligné pat nous).
34. Rapport FMI 1981, p. 43 (souligné par nous).
35. Rapport FMI 1981, p. 5.
LA NOUVELLE CANONNIÈRE 537
(création d'un marché intérieur, rôle d'un secteur public dynamique, etc.).
C'est pourquoi, loin de calmer les inquiétudes sur l'ampleur et la nature
de la normalisation que le fmi imprime aux pays en développement,
l'évolution récente rend encore plus urgente l'élaboration d'une analyse
systématique et approfondie des ajustements imposés par le Fonds, dans
une perspective critique susceptible de dégager des alternatives à ce
modèle.
du1
crédk 4 ^ Endettement
budgétaire"
тл'с •
Deficit X-Creation
, . ^ Hausse
TT ^e gajance
Déficit et/ou
_,
"monétaire des prix des Paiements
, "' -— *^ Dévaluation
Hausse - de la monnaie
de salaires nationale
5 38 MARIE-FRANCE l'hÉRITEAU
38. Banque mondiale, 1981 : « En effet, pour tenir compte des différences de pouvoir
d'achat il faudrait doubler au moins (les chiffres des pnb) des pays en développement. »
39. fmi, Rapport annuel ip8i, p. 58.
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44. Rapport FMI 19 Si. (On a là aussi une explication de la misère croissante des cultures
vivrières...)
LA NOUVELLE CANONNIERE 543
Et on a déjà signalé que cet effacement de l'Etat n'a pas cours lorsqu'H
s'agit pour celui-ci de procéder à un contrôle voire à une diminution
des taux de salaires réels. La contradiction logique est plus large : l'Etat
est aussi appelé par la doctrine néo-classique à contrôler très étroitement
la progression de la masse monétaire, sans que jamais on ne sache au nom
de quoi il est admis que Y activité privée peut tout... sauf réguler la quantité
de monnaie qui est pourtant considérée comme un bien analogue aux
autres, objet de « préférences » plus ou moins fortes de la part des agents.
La philosophie individualiste et la théorie économique laissent ici la
place à des justifications « pratiques », le noble jeu des lois naturelles
cède le pas aux considérations institutionnelles. La même observation
peut être faite au sujet des autres interventions de l'Etat autorisées ou
favorisées par les programmes du fmi : politiques de promotion des
exportations, d'incitation fiscale à l'investissement et à l'épargne par
exemple. Et cette contradiction entre présupposés théoriques et
applications pratiques atteint un niveau qui donne le vertige si l'on considère
que la mise en œuvre de cette conception soi-disant « subsidiaire » de l'Etat passe
par le rôle du FMI qui, sans être à l'évidence un Etat, s'apparente encore
moins à une organisation privée, et dont l'objectif actuellement n'est
manifestement pas de s'effacer de la scène internationale pour laisser
jouer les tendances « naturelles » : on a vu comment le Fonds met tout
en œuvre actuellement pour se faire l'intermédiaire obligé entre les
emprunteurs et les sources de fonds prêtables, et se donner un rôle que
lui avaient enlevé les marchés financiers privés dans les années 70. C'est
alors à un autre niveau le même hiatus entre théorie justificative et
pratique réelle : entre l'affirmation de l'excellence des mécanismes de
décision privés et le manque de confiance effective dans les marchés
financiers (« théoriquement » efficaces mais « pratiquement » inefficaces
pour l'allocation des ressources...); entre l'affirmation (« théorique »)
du caractère subsidiaire de l'Etat et la nécessité de l'intervention d'une
entité au-dessus des Etats mais émanation des Etats pour faire respecter
(« pratiquement »)... la maxime de non-intervention.
Cette contradiction ne peut être levée en pure logique mais nécessite
de faire appel à d'autres modes d'analyse que celles de l'approche
orthodoxe : elle implique en particulier de distinguer dans la mission du
superorganisme public qu'est le fmi un objectif explicite qui est d'endiguer une
intervention étatique excessive et un objectif réel qui est d'abord et surtout
de définir le type d'intervention étatique. C'est-à-dire poser le problème
non plus en termes quantitatifs {plus ou moins d'intervention étatique dans
l'économie ?) mais en termes qualitatifs {quel sens doit avoir l'intervention
étatique ?).
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Ouverture et redistribution