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UNITE DE FORMATION ET DE

RECHERCHE DES SCIENCES


Les cahiers de l’économiste
ECONOMIQUES
ET DE GESTION (UFR-SEG)
BP V 43 ABIDJAN

Macroéconomie Approfondie
Master II Economie du Développement
Master II Economie Internationale
UIPA, 2021-2022

Prof. AKA BROU Emmanuel


Maître de Conférences Agrégé,
UFR SEG, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire
Email : e.aka-brou@hotmail.fr; Mobile : +225 47 21 79 41
Analyse Macroéconomique Approfondie
Plan du cours

Chapitre 1. La consommation
I. Le choix intertemporel du consommateur : le model d’Irving Fisher
1.1 La contrainte budgétaire intertemporelle
1.2 L’équilibre
1.3 L’impact des variations du taux d’intérêt sur la consommation
II. Les contributions post-keynésiennes
2.1 L’hypothèse du revenu permanent de Friedman
2.2 L’hypothèse du cycle de vie
2.3 Effet de démonstration et théorie du revenu relatif
2.4 Le poids des habitudes
Chapitre 2. L’investissement
I. Le principe de l’accélérateur
1.1 L’accélérateur simple
1.2 L’accélérateur flexible
II. Investissement et rentabilité
2.1 Le coût d’usage du capital
2.2 Le rôle des modalités de financement
III. Incertitude et irréversibilité
IV. Les autres déterminants de l’investissement
4.1 Rationnement du crédit
4.2 Contrainte de devises extérieures
4.3 Investissement public
4.4 Instabilité macroéconomique
4.5 L’effet de la charge de la dette
Chapitre 4. Le marché du travail
I. Le fonctionnement du marché du travail
1.1 Le modèle traditionnel du marché du travail

1
1.2 La notion de chômage d’équilibre
II. Rigidités et déséquilibre sur le marché du travail
2.1 La réglementation sur le marché du travail
2.2 Le salaire d’efficience
2.3 La théorie des contrats implicites
2.4 Le rôle des syndicats
III. Le modèle WS-PS
Chapitre 5. Anticipation, inflation et chômage
I. La courbe de Phillips : genèse et approche par le marché du travail
1.1 Le constat empirique de Phillips et son interprétation
1.2 La généralisation à une relation inverse entre inflation et chômage
II. La remise en cause de la courbe de Phillips et la prise en compte des anticipations
2.1 La courbe de Phillips augmentée des anticipations
2.2 Anticipations rationnelles et verticalité de la courbe de Phillips à court terme
III. Anticipations rationnelles et inefficacité des politiques économiques
3.1 Anticipations rationnelles et inefficacité de la politique monétaire
3.2 Anticipations rationnelles et inefficacité de la politique budgétaire
Chapitre 6. La politique budgétaire
I. Objectifs de la politique budgétaire
II. L’impact économique du budget
2.1 Les effets directs du budget sur la demande
2.2 Les relances budgétaires sont-elles efficaces ?
III. Les stabilisateurs budgétaires automatiques
3.1 Estimation des stabilisateurs automatiques
3.2 Effets des stabilisateurs automatiques sur le cycle
IV. Le budget à moyen terme
4.1 Contrainte budgétaire de l’Etat et dynamique de la dette publique
4.2 Transferts intergénérationnels et équivalence ricardienne
Chapitre 7. La politique monétaire
I. Objectifs et instruments

2
1.1 Objectifs intermédiaires et opérationnels
1.2 Les politiques de cible d’inflation
II. Les instruments de la politique monétaire
2.1 L’encadrement du crédit
2.2 La politique de réserves obligatoires
2.3 La politique de taux
III. Les canaux de transmission de la politique monétaire
3.1 Le canal du taux d’intérêt
3.2 Le canal du crédit
3.3 Le canal des marchés financiers
3.4 Le canal du taux de change
IV. Quels modes d’intervention des banques centrales ?
5.1 La stratégie monétaire : règle versus discrétion
5.2 La règle de Taylor

BIBLIOGRAPHIE
1/ Macroéconomie approfondie. David Romer
2/ Macroéconomie. Gregory Mankiw
3/ Development macroeconomics. P.R. Agénor et Peter J. Montiel
4/ Macroéconomie monétaire. M. de Mourgues

Biographie
Prof. AKA BROU Emmanuel, Agrégé de Sciences Economiques, est spécialiste en Macroéconomie, Monnaie et
Finance. Il est titulaire d’un Doctorat en sciences économiques -spécialité : macroéconomie et finance
internationale- de l’Université Clermont-Ferrand I (France, 2005), d’un Diplôme d’Etudes Approfondies en
Economie de l’Environnement, des Ressources Naturelles, de l’Energie et de l’Agriculture de l’Université
Toulouse I (2000), d’une Maîtrise et d’une licence en sciences économiques de l’Université de Cocody-Abidjan
(1998 et 1997).

Prof. AKA BROU enseigne à l’Université Félix HOUPHOUET-BOIGNY, Cocody-Abidjan et à l’Ecole Nationale
Supérieure de Statistique et d’Economie Appliquée d’Abidjan (ENSEA) depuis décembre 2007, et à l’Université
Général Lassana Conté de Conakry en Guinée depuis 2016. Il a enseigné l’économie à l’Université Marien
N’Gouabi de Brazzaville au Congo (NPTCI, CCCO sessions 2017), à l’Université d’Abomey-Calavi de Cotonou
au Bénin (NPTCI, CCCO sessions 2016 et 2014), à l’Université Paris 11 (2006-2007) et à l’Université Clermont-
Ferrand I (2004-2006) en France. Il a été Economiste au Fonds Monétaire International (2003), Washington D.C.,
Etats-Unis. Il a également été consultant pour la BCEAO, le PNUD et la CAPEC.

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Chapitre 1. La consommation

Comment les ménages décident-ils d’affecter leur revenu à la consommation


contemporaine et à l’épargne en vue d’une consommation future ? C’est une question d’ordre
microéconomique, car elle concerne le comportement de consommateurs individuels. Pourtant,
la réponse qu’on lui apporte a des implications macroéconomiques : les ménages affectent leurs
revenus à la consommation courante ou à l’épargne en fonction des taux de rendement et de
divers autres facteurs.
La décision de consommation affecte l’évolution de l’activité économique à long terme
(voir le modèle de croissance de Solow : le taux d’épargne est un déterminant du stock de capital
à l’état stationnaire). La décision de consommation affecte également l’activité économique à
court terme en raison de son rôle dans la détermination de la demande globale. Comme la
consommation des ménages représente deux tiers du PIB, ses fluctuations jouent un rôle crucial
dans la succession des phases d’expansion et de récession (voir modèle IS/LM).

1. Le choix intertemporel du consommateur : le modèle d’Irving Fisher


La fonction de consommation proposée par Keynes relie la consommation courante au
revenu disponible :
C  cYd  C0  c(Y  T )  C0 .

Cette fonction ne tient pas compte du fait que les consommateurs fondent leurs décisions
de consommer, non seulement sur le présent, mais aussi sur l’avenir. En effet, plus ils
consomment aujourd’hui, moins ils pourront le faire demain. Pour faire ce choix les
consommateurs doivent donc anticiper leurs revenus et leurs désirs de dépenses futurs. C’est
Irving Fisher en 1930, qui a mis au point le modèle microéconomique intertemporel du
consommateur.
Lorsqu’on limite le calcul à deux périodes (l’adolescence et l’âge adulte), le
consommateur cherche à maximiser son utilité, U (C1 , C2 ) , où C1 est sa consommation présente
et C2 sa consommation future (toutes deux exprimées en valeur). A chaque niveau d’utilité,
correspond une courbe d’indifférence.

1.1 La contrainte budgétaire intertemporelle


Le consommateur va arbitrer entre les deux consommations, présente et future, en
opérant des transferts de ressources, du présent vers l’avenir (épargne qui lui rapportera un
revenu financier, le taux d’intérêt réel r) ou de l’avenir vers le présent (emprunt qu’il devra
alors rembourser à la période 2 au taux r).

S’il dispose d’un revenu Y1 et qu’il souhaite lisser sa consommation entre les deux
périodes de sa vie, il peut épargner dans une caisse de retraite complémentaire pendant la
période 1, durant sa vie active (c’est-à-dire qu’il peut acheter des titres) et accroître son revenu

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en période 2. Il consomme donc moins en période 1 pour consommer plus en période 2. Les
deux contraintes budgétaires périodiques peuvent s’écrire :

Période 1 : C1  S  Y1

Période 2 : C2  Y2  (1  r ) S

Les deux contraintes peuvent être regroupées en une seule, appelée contrainte
budgétaire intertemporelle :
C2 Y
C1   Y1  2  W (Richesse totale actualisée du ménage).
1 r 1 r
Cette équation lie la consommation au cours de deux périodes au revenu correspondant
à chacune d’elle.
Si le taux d’intérêt est nul (r = 0), la consommation totale au cours des deux périodes
est égale au revenu total des deux périodes ( C1  C2  Y1  Y2 ).

Si le taux d’intérêt est positif (r ˃ 0), la consommation et le revenu futurs sont actualisés
à l’aide du facteur (1+ r).
Si le consommateur gagne un intérêt sur la partie de son revenu courant qu’il épargne,
la valeur de son revenu futur est inférieure à celle de son revenu courant. De même ; comme il
finance sa consommation future au moyen d’une épargne rémunérée par un taux d’intérêt, la
consommation future lui coûte moins chère que la consommation courante. En d’autres termes,
le facteur 1/(1 +r) est le prix de la consommation en période 2 en termes de la consommation
en période 1 : il exprime la fraction de la consommation en période 1 à laquelle le
consommateur doit renoncer pour obtenir une unité de consommation en période 2.

C2

B
(1+r)Y1+Y2

Epargne TMS = ‫ ׀‬pente‫= ׀‬1+r

Y2 A

Emprunt

Y1 Y1+Y2/(1+r) C1

Au point A, C1  Y1 et C2  Y2 : il n’y a ni épargne ni emprunt entre les deux périodes.

Au point B, C1  0 (il ne consomme pas ; il épargne la totalité de son revenu), de sorte


que C2  (1  r )Y1  Y2 .

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Au point C, le consommateur ne souhaite rien consommer en période 2, C2  0 : il
emprunte autant qu’il peut en gageant son revenu futur, de sorte que sa consommation en
Y
période 1 est : C1  Y1  2 .
1 r

1.2 L’équilibre
A l’équilibre la pente de la courbe d’indifférence est égale à celle de la droite de budget.

C2 Ue

TMS = 1+r

𝐶2∗ E

𝑌2 𝐴

𝐶1∗ 𝑌1 𝑊 C1

1.3 L’impact des variations du taux d’intérêt réel sur la consommation


La hausse du taux d’intérêt provoque une rotation de la contrainte budgétaire autour du
point de coordonnées ( Y1 ,Y2 ). On distingue deux éléments au sein de l’impact d’une hausse du
taux d’intérêt réel sur la consommation : l’effet de revenu et l’effet de substitution.
L’effet de revenu désigne la variation de la consommation induite par le déplacement
vers une courbe d’indifférence supérieure. Le consommateur tendant à épargner plutôt qu’à
emprunter (en période 1, le revenu excédant la consommation), la hausse du taux d’intérêt
améliore sa position relative (il passe à une courbe d’indifférence plus élevée). S’il consomme
des biens normaux en période 1 aussi bien qu’en période 2, le consommateur souhaite repartir
cette amélioration de son bien-être sur les deux périodes. L’effet de revenu l’incite donc à
consommer davantage au cours des deux périodes.
L’effet de substitution décrit la variation de la consommation induite par la modification
des prix relatifs de la consommation entre les deux périodes. Plus précisément, la hausse du
taux d’intérêt diminue le coût de la consommation en période 2 par rapport au coût de la même
consommation en période 1. La rémunération réelle de l’épargne étant désormais plus
importante, le consommateur doit renoncer à une fraction plus grande de sa consommation pour
obtenir une unité supplémentaire de consommation en période 2. L’effet de substitution incite
le consommateur à consommer davantage en période 2 et moins en période 1.
Le choix du consommateur est conjointement déterminé par l’effet de revenu et l’effet
de substitution. Ces deux effets tendant à accroître la consommation en période 2, nous pouvons
conclure que la hausse du taux d’intérêt réel se traduit par une consommation accrue en période

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2. Par contre, les deux effets ont des impacts en sens contraire sur la consommation en période
1 au cours de laquelle la consommation peut aussi bien augmenter que baisser.

𝐶2
E’

∆𝐶2
E
𝑌2 A

∆𝐶1 𝑌1 𝐶1

A priori, il semble établir une relation négative entre le taux d’intérêt et la


consommation et ceci pour trois raisons qui sont :
1/ Lorsque le taux d’intérêt augmente l’épargne devient plus attractive au détriment de
la consommation.
2/ Lorsque le taux d’intérêt augmente, il coûte plus cher d’emprunter pour consommer
et, d’une façon générale, les besoins de consommation durable achetés à crédit ; il s’ensuit que
la consommation de ces biens diminue ; ce qui fait diminuer la consommation globale.
3/ Lorsque le taux d’intérêt augmente, la valeur des actifs financiers baissent et comme
les titres constituent un élément essentiel du patrimoine, la consommation va aussi baisser.

2. Les contributions post-keynésiennes

2.1 L’hypothèse du revenu permanent de Friedman (1957)


L’hypothèse du revenu permanent (revenu moyen), comme le modèle du cycle de vie,
relie la consommation courante à une mesure du revenu permanent ou revenu disponible au
cours de la vie. Cette hypothèse a été proposée pour la première fois par Friedman en 1957.
Selon Friedman, le consommateur dissocie au sein de son revenu effectif (Y) ce qu’il juge
comme étant de nature durable, dénommé revenu permanent (YP), de ce qu’il considère comme
ayant un caractère temporaire ou accidentel, qualifié de revenu transitoire (YT), comme des
plus-values inattendues, des heures supplémentaires inhabituelles, etc.

Y  Y P YT

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De même, sa consommation globale (C) est composée de deux éléments ; une
composante « pure », permanente (CP), et une composante transitoire (CT).

C  C P  CT

Enfin, Friedman considère que la seule relation stable existante est entre revenu et
consommation permanente, soit :

C P  kY P

Afin de tester son hypothèse, Friedman choisit d’estimer le revenu permanent par une
formule d’anticipations adaptatives. L’agent révise ses calculs de revenu permanent ( Yt P  Yt P1
) en prenant en compte une fraction  de l’écart non prévu entre le revenu actuel constaté Yt
et le revenu permanent anticipé, Yt P1 , en t  1 , soit :

Yt P  Yt P1   (Yt  Yt P1 ) avec 0 ˂ λ ˂ 1.

Implicitement, le consommateur considère, a priori, qu’une proportion λ de l’écart


provient d’une erreur de prévision commise à la période précédente sur son revenu permanent,
et qu’une proportion 1- λ correspond à un revenu transitoire.
L’équation peut encore s’écrire :

Yt P  Yt  (1   )Yt P1

En utilisant cette équation dans la relation entre consommation permanente et revenu


permanente ( C P  kY P ), on a :

CtP  kYt  (1   )kYt P1  kYt  (1   )CtP1

(cette formule est pratiquement équivalente à celle de Brown : Ct  cYt  aCt 1  b ; voir section
2.4/b).
En conclusion, avec la théorie du revenu permanent, une hausse temporaire et inattendue
du revenu ne modifie pas significativement la richesse d’un individu, ni sa consommation. Les
politiques de relance par distribution de revenus sont vaines. Tout se passe comme si ce surcroit
de revenu était étalé dans le temps et consacré à l’épargne. La consommation ne varie pas ou
varie peu : la propension marginale à consommer un revenu temporaire est quasi nulle.

2.2 L’hypothèse du cycle de vie


L’approche en termes de cycle de vie du comportement de la consommation et de
l’épargne, proposée par Modigliani et Brumberg (1954) et Ando et Modigliani (1963), postule
que les individus lissent leur consommation dans le temps en prenant en compte les variations
anticipées de leurs ressources, induites par le niveau d’instruction et l’âge, et les variations des
taux de rendements attendus de leur épargne.

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Revenu,
Consom-
mation et Revenu
Epargne 𝐸𝑝𝑎𝑟𝑔𝑛𝑒 • 𝐵
Consom-
mation •𝐶
𝐶𝑜𝑛𝑠𝑜𝑚𝑚𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛

𝐸𝑚𝑝𝑟𝑢𝑛𝑡 • 𝐶′
𝐷é𝑠é𝑝𝑎𝑟𝑔𝑛𝑒 𝐷é𝑠é𝑝𝑎𝑟𝑔𝑛𝑒

𝐵′ 𝑅𝑒𝑣𝑒𝑛𝑢 à 𝑙𝑎 𝑟𝑒𝑡𝑟𝑎𝑖𝑡𝑒

𝑅𝑒𝑡𝑟𝑎𝑖𝑡𝑒 𝐷é𝑐è𝑠 Age

Au cours de la première partie de sa vie, un individu « type ou représentatif » gagne


relativement peu et consomme une part relativement grande de biens ; en conséquence, sa
consommation est supérieure à ses revenus et donc il emprunte. Comme le revenu augmente
avec le niveau d’instruction et l’âge, l’individu atteint un point où il n’a plus besoin d’emprunter
(point A), au-delà de ce point, l’épargne devient positive. Cependant, au-delà d’un certain âge,
le revenu commence à baisser ; la consommation augmente à un taux plus faible, l’épargne
continue à augmenter pendant un moment mais commence éventuellement aussi à baisser.
Une fois l’âge de la retraite atteint, le revenu baisse (de la distance BB’) à un niveau en
dessous de la consommation. Si la réduction du revenu n’est pas anticipée, la consommation
baisse brutalement au moment de la retraite, de C à C’. Si au contraire, la baisse des ressources
est parfaitement anticipée, la consommation commence à décliner de façon régulière avant que
l’âge de retraite ne soit atteint, sans aucune variation discrète à ce point. Dans tous les cas,
l’individu doit désépargner afin de maintenir sa consommation proche de ses besoins jusqu’à
son décès.

2.3 Effet de démonstration et théorie du revenu relatif


Duesenberry élabore en 1949 une théorie socio-économique de la fonction de
consommation, qui repose sur l’idée que les ménages déterminent leurs choix de consommation
en imitant les modes de vie de la couche sociale immédiatement supérieure. Cet « effet de
démonstration » du voisinage social pousse à consommer proportionnellement plus.

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2.4 Le poids des habitudes

a) Théorie du revenu relatif et l’effet cliquet (Duesenberry, 1949)


pour l’auteur la consommation dépend du revenu courant ( Yt ) et du revenu le plus élevé
obtenu au cours des périodes précédentes (le revenu maximal, Ymax ). C’est pourquoi, en période
de récession la consommation baisse moins que le revenu. Et pour cela, les consommateurs
utilisent leur épargne. A l’inverse, si le revenu repart, la consommation va suivre mais à un
rythme moins important, permettant la reconstitution de l’épargne. Cette analyse porte aussi le
nom d’effet cliquet, qui rend impossible tout retour en arrière du montant de la consommation.
Ct  C (Yt , Ymax ) .

b) Effet cliquet ou effet de mémoire (Thomas Brown, 1952)


Brown en 1952 élabore une version de la fonction de consommation précédente sous la
forme :
Ct  C (Yt , Ct 1 )  cYt  aCt 1  b , avec 0 ˂ a ˂ 1.

La fonction dépend du revenu courant ( Yt ) et de la consommation antérieure ( Ct 1 ). Les


consommateurs ont ici un comportement inertiel : plus a est élevé, plus l’effet de mémoire est
important.

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Chapitre 2. L’investissement

La formation brute de capital fixe, dénomination de l’investissement en comptabilité,


représente une fraction du PIB beaucoup moins importante que la consommation finale des
ménages. Mais comme il détermine le taux auquel le capital physique est accumulé, il joue un
rôle essentiel dans l’expansion de la capacité de production de l’économie. Autant la
consommation est l’élément relativement stable de la demande globale, autant l’investissement
est la composante la plus irrégulière.
Les théories de l’investissement ont toutes pour objectif d’expliquer cette extrême
instabilité des achats de biens de production au regard des variations de l’activité économique
nation ale. A cette fin, trois déterminants de la décision d’investir sont en général mis en valeur :
-L’influence de la demande : pour faire face à une augmentation des commandes de ses
clients, l’entreprise doit accroître ses capacités de production. L’investissement qui en résulte
sera caractérisé par un effet d’accélération.
-La rentabilité relative : l’achat de capital technique est en concurrence avec la
possibilité d’opérer des placements financiers. Le détenteur d’avoirs monétaires évalue toujours
les rendements attendus d’un bien d’équipement (l’efficacité marginale du capital) au regard
du niveau des taux d’intérêt.
-Le rôle des anticipations : l’investissement en tant qu’achat de capital fixe correspond
à une immobilisation de fonds. Dans un monde incertain, l’irréversibilité partielle qui en
découle constitue ainsi un pari sur l’avenir.

1. Le principe de l’accélérateur
L’investissement est un flux d’achats de biens d’équipement qui vient modifier chaque
année le stock de capital productif déjà existant. Le principe de l’accélérateur d’investissement
repose sur les effets cycliques de cette articulation entre flux d’investissement et stock de
capital.

1.1 L’accélérateur simple


Lorsque le coefficient de capital est fixe (   K / Y ), pour fabriquer une unité de plus
de produit, l’entreprise doit disposer de  unités supplémentaires de biens d’équipement.
Autrement dit, le stock de capital nécessaire est proportionnel au volume de production
réalisée :
K  Y

Pour répondre à une augmentation de la demande qui lui est adressée ( D ), et si la


production suit la demande ( Y  D ), l’entreprise doit investir afin d’augmenter son stock
d’équipement de production :
I  K   Y   D

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En tant que source de la variation du stock de capital, l’investissement de la firme
dépend alors non du niveau de la demande mais de la modification de celle-ci ; ce quoi va rendre
les fluctuations particulièrement importantes.

1.2 L’accélérateur flexible


Dans sa forme la plus simple, le modèle d’accélérateur flexible de l’investissement
découle de l’hypothèse que la technologie de production dans une économie est caractérisée
par une relation fixe entre le stock de capital désiré et le niveau de la production. Formellement,
supposons que le stock désiré de capital K * est proportionnel à la production attendue Y .

Kt*  Yt

Etant donné que pour construire, planifier et installer un nouvel équipement il faut un
temps relativement long, supposons que le stock courant de capital s’ajuste à la différence entre
le stock désiré K t* à la période courante et le stock hérité de la période précédente K t 1 :

K t  K t  K t 1   ( K t*  K t 1 ) , 0 ˂ λ ˂ 1.

Par définition, l’investissement privé (brut) est donné par :


I t  K t , avec   0 .

On obtient I t  K t*  K t 1  Yt  K t 1 .

L’investissement dépend positivement du montant absolu de la demande ( Yt ) et non


plus de la variation de celle-ci ( Yt  Yt 1 ), et négativement de l’importance des capacités de
production de la période précédente ( K t 1 ) mais l’effet d’accélérateur demeure. En effet, on
on a :

I t  K t*  K t 1 et I t 1  K t*1  K t  2

donc I t  I t 1   ( K t*  K t*1 )   ( K t 1  K t  2 )   ( K t*  K t*1 )   I t 1

d’où I t   ( K t*  K t*1 )  (1   ) I t 1   (Yt  Yt 1 )  (1   ) I t 1

ou I t   (1  L)Yt  (1   ) I t 1 , avec LYt  Yt 1 .

L’effet d’accélération est atténué car, d’une part le coefficient d’accélération est plus
faible (    , puisque 0    1 ), et d’autre part le retard pris à la période précédente,
(1   ) I t 1 , donne un caractère inertiel au modèle.

Remarque : si   1, alors on retrouve la version de l’accélérateur simple : I t   (Yt  Yt 1 ) .

Au cours de la phase où la demande finale augmente à taux décroissant, dans la version


de l’accélérateur simple, l’investissement diminuait. Dans le cas de l’accélérateur flexible, il va

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par contre dans un premier temps croître jusqu’à ce que l’effet de freinage exercé par le stock
de capital compense l’effet inverse impulsé par la progression de la demande.

I, Y
Demande

Accélérateur simple

Accélérateur flexible

Temps

Graphique : Comparaison des accélérateurs simple et flexible

Remarque : l’équation I t  Yt a une forme particulière. Elle lie l’investissement linéairement
aux variations de la production courante. Les variables telles que la profitabilité, l’incertitude
et le coût du capital ne joue aucun rôle.

2. Investissement et rentabilité
Une approche alternative est de voir l’investissement comme dépendant inversement du
coût d’usage du capital ou de façon équivalente du prix des services de capital, qui consiste en
trois composantes.

2.1 Le coût d’usage du capital


Une entreprise qui possède une unité de capital dont le prix réel sur le marché à un
instant donné est PK , est confrontée aux choix suivant : louer son capital ou continuer à
l’utiliser. Conserver le capital comporte un triple coût pour l’entreprise :
-un coût d’opportunité, qui est l’intérêt que l’entreprise recevrait si elle vendait son
capital et épargnait le produit de la vente. Si r désigne le taux d’intérêt, le coût est égal à rPK ;

-le coût lié à la dépréciation du bien capital ; ce coût est égal à PK , où  est le taux de
dépréciation du capital (coût par unité de temps) ;
-la perte (ou gain) de capital due au fait que le prix du capital peut baisser (ou augmenter)
au moment de la revente. Ce coût est donné par  PK par unité de temps.

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En sommant ces trois éléments, on obtient le coût du capital, comme suit :

 P 
C K   r    K  PK → I  I (r,  , PK )
 PK 

Où le terme r  PK / PK peut être vu comme un taux d’intérêt réel mesuré en termes de prix
des biens de capital.
Dans la pratique, le coût du capital est souvent combiné avec le modèle d’accélérateur
flexible décrit plus haut. Une manière plus simple de le faire est d’écrire le stock de capital
désiré comme une fonction inverse de CK de la forme :

Y Y
K*  
CK  P 
 r    K  PK
 PK 

L’investissement est donc inversement relié au coût des services du capital. Cependant,
ce modèle élargi souffre d’une limite majeure : il ne prend pas en compte l’impact de
l’incertitude sur la décision d’investir.

2.2 Le rôle des modalités de financement


Le coût de financement d’un investissement peut être considérablement différencié
selon les modalités choisies par l’entreprise :

Financement
Autofinancement
interne Financement sur
fonds propres

Emissions
d’actions
Marchés
financiers Emissions
Financement
externe d’obligations

Endettement
Banques

L’existence de ces différentes possibilités de financement va influencer le niveau de


l’investissement à travers l’effet de levier (i.e. la relation entre fonds propres et endettement) et
la théorie de ratio q de Tobin (i.e. relation entre investissement et marché boursier).

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a) L’effet de levier
La théorie économique nous enseigne que tout projet d’investissement I est rentable
lorsque son taux de rentabilité r est supérieur ou égal au taux d’intérêt i . Dans les faits, les
entrepreneurs corrigent ce calcul du risque qu’ils encourent en mettant en œuvre certains
projets. Ce risque noté  augmenterait avec le niveau de l’investissement I et diminuerait avec
l’importance des fonds propres, donc l’autofinancement A ; soit  ( I , A) , avec  I ˃ 0 et  A ˂
0.
Telle est l’hypothèse mise en évidence par Mickaël Kalecki et connue sous le nom de
« principe du risque croissant ». Selon ce dernier, le niveau optimal d’investissement serait tel
que :
r  i   ( I , A)

Le montant de l’autofinancement constituerait donc un des principaux facteurs


déterminant le niveau de l’investissement.
En effet, sachant que l’investissement I est financé sur fonds propres ( A ) et sur
capitaux empruntés ( D ) au taux i , soit I  A  D , et en notant r la rentabilité économique
d’un investissement, le profit  obtenu par ce dernier est donné par :
  rI  iD  r ( A  D)  iD  rA  (r  i ) D


 r  r  i 
D
d’où
A A
La rentabilité des fonds propres ( / A) augmente donc avec le taux d’endettement
( D / A) lorsque le taux de rentabilité économique des projets d’investissement ( r ) est supérieur
au taux d’intérêt ( i ). Cette relation est connue sous le nom « d’effet de levier » de l’endettement
en période de croissance économique.

b) Le modèle q de Tobin (1969)


Le q de Tobin vise à montrer que l’investissement productif (l’achat de capital fixe) est
influencé par la conjoncture boursière. En effet, lorsqu’une entreprise désire élargir ses
capacités de production, elle a deux possibilités :
-soit acheter des biens de production neufs (croissance interne) ;
-soit acquérir une (ou plusieurs) entreprise(s) du même secteur (croissance externe).
Ceci équivaut en fait à acheter des biens de production déjà existants, des biens de « seconde
main ». Cette alternative entre du capital neuf et du capital d’occasion (dont le prix est fixé par
le marché boursier) peut s’exprimer sous la forme d’un ratio (noté q de Tobin).
𝑃𝑟𝑖𝑥 𝑑𝑢 𝑐𝑎𝑝𝑖𝑡𝑎𝑙 𝑒𝑥𝑖𝑠𝑡𝑎𝑛𝑡 (𝑠𝑢𝑟 𝑙𝑒 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎé 𝑏𝑜𝑢𝑟𝑠𝑖𝑒𝑟)
𝑞= 𝑃𝑟𝑖𝑥 𝑑𝑢 𝑐𝑎𝑝𝑖𝑡𝑎𝑙 𝑛𝑒𝑢𝑓 (𝑠𝑢𝑟 𝑙𝑒 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎé 𝑑𝑒𝑠 𝑏𝑖𝑒𝑛𝑠)

Si q ˂ 1, il n’y a aucune raison rationnelle d’investir, puisque l’on peut à un coût moindre
acquérir une entreprise, disposant déjà du capital productif désiré. Par conséquent, le stock de
capital diminue.

15
Si q ˃ 1, l’incitation à investir est forte ; le « neuf » étant alors plus intéressant que
« l’occasion ». Pour Tobin cela signifie que les perspectives de profit sont favorables, car les
cours de bourse sont supposés refléter les anticipations des revenus futurs. De plus, cet
optimisme boursier va faciliter les augmentations de capital éventuellement nécessaires pour
effectuer le nouvel investissement. Par conséquent, le stock de capital augmente.
Si q = 1, la valeur de marché du capital est égal à son coût de remplacement ; les
entreprises ne sont pas inciter à augmenter ou à diminuer les stocks. Autrement dit, le profit
procuré par une unité de capital compense exactement l’investissement perdu : les investisseurs
sont satisfaits à détenir le capital sans perspectives en capital. Le stock de capital reste donc
constant.

16
Chapitre 3. Le marché du travail

La question du chômage reste d’actualité aujourd’hui malgré des évolutions parfois


favorables et des situations contrastées selon les pays. Pourquoi y a-t-il du chômage ? Pourquoi
un pays se prive-t-il du travail d’une partie de ses citoyens ? Répondre à ces questions conduit
à analyser le marché du travail, c’est-à-dire la façon dont se détermine l’emploi et les salaires
et, au-delà, les prix et la production.

1. Le fonctionnement du marché du travail

1.1 Le modèle traditionnel du marché du travail


La base contemporaine de l’analyse du marché du travail est le modèle néoclassique,
qui applique aux problèmes de l’emploi les principes de la loi de l’offre et de la demande. Il
existe un marché du travail exactement comme il existe un marché des biens ou des services.
L’offre de travail (ou la demande d’emploi) est d’autant plus importante que le salaire
réel est élevé. Le salaire réel doit en effet au moins compenser la désutilité marginale du travail.
La demande de travail (ou l’offre d’emploi) est une fonction décroissante du salaire réel.
Elle s’identifie à la productivité marginale du travail qui mesure ce que la dernière personne
embauchée permet de produire. La firme emploie donc du personnel jusqu’à ce que la
productivité marginale rejoigne le salaire. Le niveau d’emploi 𝑁 ∗ est celui qui correspond à un
salaire réel permettant d’égaliser l’offre et la demande de travail. En situation d’équilibre, le
salaire réel payé par les entreprises égal à la désutilité marginale du travail.

1.2 La notion de chômage d’équilibre


Une caractéristique fondamentale du marché du travail est que le chômage n’est jamais
nul. Il y a en effet en permanence une proportion 𝑠 d’emplois qui sont détruits et une proportion
𝑒 de chômeurs qui retrouvent un emploi. Le taux de chômage a tendance à converger vers un
niveau qu’il est facile de calculer si l’on connaît les valeurs de 𝑠 et de 𝑒.
Notons 𝐿 la population active constituée de ceux qui occupe un emploi (𝐸) mais aussi
des chômeurs (𝑈).
Par définition 𝐿 = 𝐸 + 𝑈. Le taux de chômage 𝑢 = 𝑈/𝐿 se stabilise lorsque :
𝑒𝑈 = 𝑠𝐸
L’égalité ci-dessus indique que le flux de ceux qui retrouvent un emploi est compensé par le
flux de ceux qui perdent leur emploi.
En combinant les égalités ci-dessus, on obtient les relations suivantes :
𝑒𝑈 = 𝑠(𝐿 − 𝑈)

17
𝑈 𝐿 𝑈
𝑒. = 𝑠 ( − )
𝐿 𝐿 𝐿
𝑠
𝑢∗ = ≡ 𝑢∗ (𝑠, 𝑒)
𝑠+𝑒

Le taux de chômage converge ainsi une valeur d’équilibre 𝑢∗ . Cette analyse permet de
comprendre que le taux de chômage est d’autant plus faible que le taux de perte d’emplois est
réduit et/ou que le taux de reprise d’emplois est élevé.

2. Rigidités et déséquilibre sur le marché du travail


Il existe des explications du chômage, qui reposent sur l’idée que le salaire et les prix
ne jouent pas leur rôle d’ajustement de l’offre et de la demande de travail ou de biens. Quand
un prix est trop élevé par rapport à ce qu’il faudrait pour équilibrer l’offre et la demande sur un
marché, et que ce prix ne baisse pas, on dit qu’il y a une situation de déséquilibre ; celle-ci
s’exprime par le fait que la demande est inférieure à l’offre souhaitée, et que la production est
de ce fait contrainte par le niveau de la demande. On peut retrouver une telle configuration sur
le marché du travail, ce qui conduit à un rationnement quantitatif des emplois.
On quitte alors la représentation « classique » du marché du travail comme lieu
d’équilibre d’une offre et d’une demande par un prix pour passer à d’autres concepts de
fonctionnement du marché du travail.

2.1 La réglementation sur le marché du travail


La première raison pour laquelle les entreprises ne diminuent pas les salaires est
l’obligation légale de respecter la réglementation sur le salaire minimal. L’existence d’un
salaire minimal relativement élevé se traduit par le fait que les salariés les moins qualifiés sont
payés au-dessus de leur productivité marginale ; les entreprises vont alors donc tenter de limiter
leur embauche. Il en résulte que l’offre de travail est supérieure à la demande pour la partie de
la population faiblement qualifiée ; d’où un chômage important pour cette catégorie, en
particulier pour les jeunes travailleurs non qualifiés ou sans expérience.

2.2 Le salaire d’efficience


Un deuxième motif de déséquilibre offre/demande sur le marché du travail est ce qu’on
appelle le salaire d’efficience. Les entreprises peuvent avoir intérêt à payer leurs salariés « plus
que le marché » de façon à les pousser à l’effort et à réduire les phénomènes de réduction
volontaire de la productivité.
Pour Stiglitz (1974), ce sursalaire incite les salariés à rester dans l’entreprise et réduit
ainsi les coûts liés à la rotation de la main-d’œuvre. Pour Akerlof (1984), il stimule la
motivation des salariés et donc l’intensité et la qualité de leur travail. Pour Laffont (1985), le
sursalaire incite les salariés à révéler l’information cachée qu’ils détiennent sur l’efficacité
réelle de leur travail et sur les moyens de l’améliorer.

18
2.3 La théorie des contrats implicites
Une idée proche du salaire d’efficience est celle des contrats implicites. Les entreprises
peuvent stabiliser le contrat de travail si les salariés, en échange d’une plus grande sécurité, sont
disposés à accepter un salaire moyen inférieur. C’est l’hypothèse de la théorie des contrats
implicites. Les employeurs peuvent offrir un service d’assurance en offrant une rémunération
relativement indépendante de la conjoncture ; en contrepartie, les travailleurs acceptent un
salaire moyen inférieur à celui qu’ils exigeraient d’une entreprise qui ajuste systématiquement
les salaires en fonction de la productivité. En période de forte activité, la productivité marginale
augmente plus vite que les salaires : les travailleurs payant, en quelque sorte, leur prime
d’assurance. En période de faible activité, la productivité marginale diminue et passe en-
dessous du salaire qui n’est pas remis en cause : les salariés touchent leur indemnité
d’assurance. Ce contrat d’assurance est implicite, en ce sens qu’il n’est pas écrit dans les
contrats de travail.

2.4 Le rôle des syndicats


La quatrième source de rigidité est l’existence de négociations collectives entre les
employeurs et les syndicats de travailleurs. Les salaires sont alors fixés non pas en fonction de
la productivité marginale du travail, mais à la suite de négociations qui vont le plus souvent-en
fonction du rapport de force entre les représentants syndicaux et les employeurs-aboutir à un
salaire supérieur à la productivité marginale qui s’établirait sur un marché du travail
concurrentiel. Une fois ce salaire fixé, les entreprises conservent le pourvoir de fixer le volume
de l’emploi : plus le salaire négocié sera élevé, plus faible sera ce volume ; ce qui revient à dire
qu’un des résultats de la négociation sera une augmentation du chômage.
Les syndicats représentent en général les travailleurs insiders-les salariés permanents de
l’entreprise-intéressés par le niveau de leur salaire, alors que les outsiders, les travailleurs
employés par l’entreprise de façon plus précaire et susceptibles d’être licenciés en cas de besoin,
ne sont pas ou sont peu représentés syndicalement ; par ailleurs, les chômeurs, trop dispersés,
ne constituent pas une catégorie revendicative organisée.
En règle générale, les syndicats défendent donc plutôt le salaire des salariés que l’emploi
des chômeurs, ce qui peut avoir tendance à renforcer encore le chômage.

2.5 Le modèle WS-PS (Wage Setting-Price Setting)


Dans les quatre mécanismes précédents, on observe que le salaire (pour un niveau de
prix donné) sera d’autant plus élevé que le volume de l’emploi sera important : des tensions
accrues sur le marché du travail (des difficultés pour les entreprises de trouver la main-d’œuvre
adéquate) vont inévitablement se traduire par des hausses du salaire minimum, par des salaires
d’efficience supérieurs et par un rapport de force favorable aux salariés dans les négociations
salariales.
Il y a donc une relation croissante entre le salaire attendu par les salariés et le niveau de
l’emploi. Cette relation - bien qu’ayant la même forme croissante – est différente de la courbe

19
d’offre de travail (fondée sur les préférences individuelles entre loisirs et consommation)
puisqu’elle décrit un marché du travail conceptuellement différent.
Introduite par Richard Layard et Stephen Nickell au début des années 1990, elle a été
baptisée courbe WS (pour wage setting relation). Elle représente en quelque sorte la « courbe
de revendication salariale », courbe sur laquelle les salariés (ou leurs représentants) vont
revendiquer un certain salaire, permis par un niveau d’emploi.

w L0 w PS L0
WS WS

E w* F
Chômage
Chômage Emploi
Lmax L L* Lmax

L’écart entre la courbe WS et la courbe 𝐿𝑜 représente, pour tout niveau du salaire, le


chômage compatible avec ce niveau de salaire. Il est évident que, plus le chômage est élevé,
plus le rapport de force sera défavorable aux salariés et plus leur niveau de revendication sera
faible. Si l’on se trouvait par contre au point E, l’économie se trouverait au maximum d’emploi
de ses ressources (𝐿𝑚𝑎𝑥 ), où le chômage est nul, le salaire revendiqué serait au plus haut.
Pour un niveau donnée de salaire, les entreprises – qui restent détentrices du pouvoir de
gestion et fixent donc leur production, leur emploi et leur prix – vont chercher à maximiser leur
profit et, pour cela, égaliseront la productivité marginale du travail au salaire. Cela revient à
dire que le comportement des entreprises peut être représenté par une courbe de demande de
travail 𝐿𝑑 . Plus le niveau du salaire est élevé, plus la demande de travail sera faible. Cette courbe
décroissante prend le nom de courbe PS (price setting relation).
Le modèle WS-PS offre donc une conception du marché du travail renouvelée, où sont
déterminés simultanément le salaire, l’emploi et le chômage, ces deux pouvant être conçus
comme des niveaux « naturels » dans un sens évidemment différent de celui qui a été évoqué
précédemment.

20
Chapitre 4. Anticipation, Inflation et chômage

La possibilité d’un arbitrage inflation/chômage constitue l’une des grandes controverses


en sciences économiques depuis la publication en 1958 de l’article de Phillips sur l’existence
d’une relation inverse entre taux de croissance des salaires nominaux et taux de chômage au
Royaume-Uni.
Quelques-uns des plus grands économistes de la seconde moitié du XXe siècle ont
contribué à faire évoluer l’analyse d’une question dont les conséquences normatives
(recommandation, décisions publiques) sont évidemment extrêmement importantes : les
travaux de Samuelson, Friedman, Phelps, Lucas ou plus récemment Akerlof pose des jalons
décisifs sur ce thème.
Y a-t-il un arbitrage possible entre inflation et chômage ? Si oui sur quel horizon ? Sous
quelles hypothèses ? Comment l’analyse de cette question a-t-elle évolué ?

1. La courbe de Phillips : genèse et approche par le marché du travail

1.1 Le constat empirique de Phillips et son interprétation


L’article de Phillips (économiste néozélandais) met simplement en relation sur les
données annuelles le taux de croissance des salaires nominaux et le taux de chômage pour
l’Angleterre entre 1861 et 1957. La relation apparaît stable et non linéaire. Pour l’auteur « le
taux de variation des salaires nominaux peut être expliqué par le niveau de chômage ». Phillips
commente les données et observe que « si –comme cela est parfois recommandé-, la demande
était maintenue à un niveau qui assure la stabilité des salaires, le niveau de chômage
correspondant serait d’environ 5,5% », le concept de NAWRU (Non Accelerating Wage Rate
of Unemployment » est ainsi esquissé.
Lypsey en 1960 propose une interprétation de cette courbe de Phillips en termes de
déséquilibre sur le marché du travail : en période d’expansion, le chômage diminue, le nombre
d’emplois vacants s’accroît et des tensions commencent à apparaître. Il est donc plus facile aux
salariés d’obtenir des augmentations de salaire. Mais si l’activité ralentit, le chômage s’aggrave,
décourageant en partie leurs revendications. La hausse des salaires nominaux (w) sera ainsi
d’autant plus forte que le taux de chômage (u) sera bas et vice versa :
wt  a  but , avec a ˃ 0 et b ˃ 0. (1)

0 u

21
1.2 La généralisation à une relation inverse entre inflation et chômage
Samuelson et Solow en 1960 proposent une généralisation de l’analyse de Phillips à la
relation inflation/chômage. En effet, si l’on soustrait du taux de hausse des salaires le taux
d’augmentation de la productivité, on obtient le taux de variation des prix.
Si les entreprises calculent leur prix en appliquant un taux de marge m à leur coût salarial
unitaire de production et que l’on néglige le coût des produits importés, on peut écrire :
W
P  (1  m) (2)
Y
Avec P le prix, Y la productivité moyenne du travail et W le salaire nominal.
En prenant le logarithme népérien de la relation ci-dessus, puis en la dérivant, on a :
ln P  ln(1  m)  ln W  ln Y (3)

 t  wt  g t (4)

Où π désigne le taux d’inflation ; w le taux de croissance des salaires nominaux et g le taux de


croissance de la productivité du travail.
 t  (a  but )  g t  (a  g t )  but (5)

On obtient une relation inverse entre π et u.

0 u

La nouvelle relation indique le taux d’inflation associé à tout niveau de taux de chômage
et suggère qu’il existerait un choix (trade-off) entre l’inflation et le chômage. Ainsi l’hypothèse
de Phillips débouche sur un dilemme majeur de politique économique : accepter plus d’inflation
pour obtenir davantage d’emplois ou au contraire laisser le chômage atteindre un certain niveau
pour stabiliser le taux d’inflation.

22
2. La remise en cause de la courbe de Phillips et la prise en compte des
anticipations

2.1 La courbe de Phillips augmentée des anticipations : l’analyse de Friedman


Milton Friedman inverse le sens de la causalité pour expliquer la courbe de Phillips. Il
y a d’abord une politique monétaire d’expansion qui a des effets inflationnistes et, partant,
influence l’équilibre sur le marché du travail. Pour le démontrer, Friedman pose l’hypothèse
d’une asymétrie d’information entre offreurs et demandeurs de travail ; les salariés sont
victimes d’illusion monétaire, à court terme, pas les entrepreneurs. A la suite d’une politique
monétaire d’expansion, l’équilibre du marché du travail est modifié par la baisse du salaire réel
(le salaire réel est surestimé par les salariés, les entrepreneurs constatent sa baisse, la quantité
demandée est plus grande, le taux de chômage plus faible).
L’hypothèse des anticipations adaptatives dit que les agents révisent sans cesse leurs
anticipations mais avec retard. Ils sont toujours à la recherche de la bonne prévision. Ainsi,
l’inflation anticipée à la date t pour la date t+1 dépend du taux d’inflation à la date t-1 corrigée
d’une fraction de l’erreur d’anticipation :

 ta   t 1   ( t 1   ta1 ) (6)

Où  ta désigne le taux d’inflation anticipée à la date t ;  t 1 le taux d’inflation à la date t -1 ;


 t 1   ta1 l’erreur d’anticipation.

π Relation de long terme

𝑎
A B 𝜋𝑡+2 = 𝜋2
𝑎
E 𝜋𝑡+1 = 𝜋1

NAIRU 𝜋𝑡𝑎 = 𝜋0 Taux de chômage (u)

A court terme un arbitrage est possible, la hausse de l’inflation est associée à une baisse
du taux de chômage (point A sur le graphique). Ceci correspond à un déplacement le long d’une
courbe de Phillips associée à un niveau d’inflation anticipée (sur la base de l’équation 6). Mais
les anticipations vont s’adapter, le salaire réel va revenir à son équilibre initial et le taux de
chômage vers le NAIRU (Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment) ; cette situation
correspond au point B sur le graphique. Par conséquent, à long terme la courbe de phillips est
verticale et coupe l’axe des abscisses au NAIRU. On en déduit la définition du NAIRU : le taux
de chômage qui existe dans l’économie lorsque le marché du travail est en équilibre et que
l’inflation est correctement anticipée par les salariés. Ce NAIRU résulte de déterminants

23
structurels (la population active et sa mobilité) et des caractéristiques institutionnelles du
marché du travail.

2.2 Anticipations rationnelles et verticalité de la courbe de Phillips à court terme


L’hypothèse d’anticipations rationnelles est postulée par les nouveaux classiques à
partir d’une contribution de Muth (1961) : toute l’information disponible est utilisée ; il n’y a
pas d’erreur systématique d’anticipation.
Pour la Nouvelle Economie Classique (NEC), les agents ont une bonne connaissance du
fonctionnement de l’économie ; leurs prévisions sont en moyenne correctes. En d’autres termes,
ces agents interprètent de manière efficiente toute l’information disponible de telle sorte qu’il
n’existe qu’un écart aléatoire  t entre le taux d’inflation anticipé et le taux réalisé :

 ta   t   t , avec E ( t )  0 . (7)

Sur cette base, dans les années 1970, Lucas et la NEC prolongent le travail de Friedman,
le radicalisent et établissent la verticalité de la courbe de Phillips à court terme et à long terme :
tout arbitrage entre l’inflation et le chômage disparaît. Ce résultat s’explique aisément : lorsque
les anticipations sont rationnelles, les agents ne sous-estiment pas durablement l’inflation en
cas de relance de l’économie. Or, les erreurs d’anticipations étaient la base de l’argumentation
de Friedman. Dans cette dernière, c’est parce que les agents croient pendant quelque temps que
les hausses de salaires nominaux correspondent à des augmentations de salaires réels qu’il y a
une évolution du niveau de l’emploi. Mais des agents rationnels, qui comprennent bien le
fonctionnement de l’économie, ne vont pas confondre durablement grandeurs nominales et
réelles.
Pour Sargent et Wallace (1976), seule une surprise monétaire pourrait réduire le
chômage mais elle se payerait en termes de réduction de la crédibilité et de renforcement des
primes de risque sur les taux d’intérêt (car la surprise correspond à une incertitude).

3. Anticipations rationnelles et inefficacité des politiques économiques

3.1 Anticipations rationnelles et inefficacité de la politique monétaire


Selon la NEC, la politique monétaire est inefficace car toute modification prévisible de
la quantité de monnaie est rationnellement anticipée et n’a donc aucun effet sur l’emploi et la
production qui demeurent à leur niveau naturel. Les seuls effets possibles résultent de l’effet de
surprise, mais celui-ci ne fonctionne que lorsque les individus sont habitués à une certaine
orthodoxie monétaire et de toute façon ses effets sur la production et le chômage ne sont que
très temporaires. Les effets à court terme de la politique monétaire dépendent de la bonne ou
de la mauvaise anticipation des agents économiques. Lorsque les anticipations sont bonnes, une
croissance monétaire forte crée de l’inflation mais n’a aucun effet sur le chômage qui reste à
son niveau naturel et une faible création monétaire crée une inflation faible, mais n’a pas d’effet
sur le chômage qui reste à son niveau naturel.

24
En revanche, une forte croissance monétaire, non anticipée peut temporairement faire
diminuer le chômage en-dessous de son niveau naturel et une faible croissance monétaire non
anticipée peut le faire augmenter temporairement au-dessus de son niveau naturel.

3.2 Anticipations rationnelles et inefficacité de la politique budgétaire


La politique conjoncturelle budgétaire n’est pas non plus efficace. Robert Barro reprend
le principe « d’équivalence ricardienne » selon lequel un déficit budgétaire n’a pas l’effet
attendu sur la demande car les individus anticipent une augmentation future des impôts
nécessaire pour que l’Etat rembourse sa dette. Ils réduisent donc leur consommation et
augmentent leur épargne pour pouvoir payer les impôts futurs. La valeur actualisée des impôts
futurs anticipés sera exactement égale à la baisse des impôts courants. En conséquence, la
richesse des ménages ne change pas et la baisse des impôts n’a pas d’effet sur l’activité.
Les effets de l’augmentation des dépenses publiques sont les mêmes qu’elles soient
financées par l’augmentation des impôts ou par le déficit budgétaire (l’Etat emprunte pour
financer le déficit).

25
Chapitre 5. La politique budgétaire

1. Les objectifs de la politique budgétaire


Le concept de politique budgétaire est très large ; il englobe les dimensions structurelle
et conjoncturelle de l’action budgétaire. Il renvoie aux nombreuses fonctions du budget :
financement des dépenses (liés à l’exercice des fonctions régaliennes de l’Etat, à la mise en
place de biens collectifs), rôle de redistribution des revenus et du patrimoine (à travers la
fiscalité), rôle d’assureur contre certains risques de la vie (dans le cadre de la sécurité sociale),
mise en œuvre de mécanismes d’incitations dans les domaines plus divers (natalité, protection
de l’environnement, …) et enfin bien entendu au niveau conjoncturel un rôle de stabilisation
du rythme de l’activité. Lorsque l’on évoque la politique budgétaire, c’est de ce rôle de lissage
dont il est d’abord implicitement question.
Dans sa dimension conjoncturelle, la politique budgétaire recouvre l’utilisation des
dépenses et des recettes de l’Etat (ou des administrations publiques) pour la régularisation du
rythme de l’activité économique. La politique budgétaire peut avoir deux rôles.
Premièrement, elle permet de lisser l’activité économique en cas de pic d’inflation ou
de déflation. Une politique d’expansion budgétaire peut être employée pour relancer une
économie qui connaît une récession prolongée. Une politique budgétaire déflationniste peut être
employée pour maîtriser et réduire l’inflation. Ainsi, le premier rôle d’une politique budgétaire
est de protéger l’économie des variations extrêmes qui engendrent des profonds et longs
déséquilibres.
Deuxièmement, elle permet de lisser le cycle économique. L’idée ici est d’obtenir une
croissance régulière pour éviter que la balance des paiements devienne déficitaire ou que
l’économie entre en surchauffe. Le gouvernement modifie le niveau d’imposition de façon à
obtenir une demande suffisante pour que l’économie connaissance une croissance constante. Il
fait en sorte que les excès ou les déficits de demande globale ne prennent jamais trop
d’importance.
Le principe d’une action de contrôle de l’activité par les finances publiques émergent
durant l’entre-deux-guerres avec la théorie du budget cyclique mais surtout avec l’analyse
keynésienne. Chez keynes, l’économie de marché étant et devant rester une économie
décentralisée, elle a des difficultés à apporter des réponses à des problèmes qui exigent une
coordination ex ante des agents. Le libre jeu de la concurrence conduit à une situation
d’équilibre de sous-emploi. L’Etat qui est justement un centre de décision collectif ex ante doit
intervenir pour soutenir la demande et combler l’écart déflationniste. Le budget est l’instrument
privilégié de cette action du fait notamment des limites de la politique monétaire qui vient très
vite buter sur la trappe à liquidité.
Le budget peut soutenir l’activité de deux manières, soit par le canal d’une impulsion
budgétaire, soit par le jeu des stabilisateurs automatiques.

26
2. L’impact économique du budget
2.1 Les effets directs du budget sur la demande
Les de politique budgétaire influent sur la demande agrégée par un effet multiplicateur.
Selon cette théorie, un accroissement d’une unité de la dépense publique, non financée par
l’impôt, augment le PIB de plus d’une unité. Si l’on désigne par ΔY la variation du PIB et par
ΔG celle de la dépense publique, on peut écrire :
ΔY = k ΔG, avec k > 1,
Où k = 1/[1 – c(1 – t)] ; c représente la propension marginale à consommer ; t désigne
le taux d’imposition marginale.

En effet, le gonflement de cette dépense est à l’origine d’une production supplémentaire,


donc de nouveaux revenu qui sont eux-mêmes source de dépenses supplémentaires, et par
conséquent de nouvelles production qui engendrent à leur tour de nouveaux revenus et ainsi de
suite.

En d’autres termes, une hausse des dépenses publiques d’un milliard de FCFA augmente
directement le PIB (Y) d’un milliard de FCFA. Comme ce revenu est consommée, la
consommation augmente de c(1 – t)x1 Mds de FCFA [ ΔC = c(1 – t)ΔY ] et le revenu s’accroît
à nouveau ; celui-ci est à son tour consommé, ce qui entraîne une hausse du revenu de c2(1 –
t)2*1 Mds FCFA.

Au total, l’impulsion budgétaire initiale est multipliée par :

1+ c(1 – t) + c2(1 – t)2 +…..+ cn(1 – t)n = 1/[1 – c(1 – t)]

Notons que si la dépense publique supplémentaire était intégralement financée par une
augmentation de la fiscalité, le PIB s’accroîtrait (certes d’un montant moindre que dans le cas
précédent). Un tel résultat peut paraître aller à l’encontre du bon sens qui suggère que si l’Etat
reprend d’une main (par les prélèvements obligatoires) ce qu’il a donné de l’autre (par
augmentation de la dépense publique), le résultat devrait être neutre. Il n’en est rien. Trygue
Haavelmo (1945) a montré que si la dépense publique augmente d’une unité monétaire, la
demande s’accroît du même montant alors qu’un accroissement d’une unité de francs des
impôts ou cotisations impliquant une baisse égale de revenu disponible diminue la demande de
moins d’une unité de franc car les ménages dépensent une fraction seulement de leurs revenus.
L’effet net est donc positif. Même un budget équilibré exerce un effet stimulant sur l’activité
économique.

27
Une augmentation du déficit budgétaire a une influence stimulante sur l’économie, alors
qu’une hausse de l’excédent budgétaire a une influence récessive.

La politique budgétaire peut donc être utilisée à des fins de stabilisation conjoncturelle,
par exemple pour soutenir la demande globale en période de ralentissement de l’activité. On
parle alors de politique budgétaire contracyclique, qui atténue l’amplitude du cycle. Les
politiques procycliques, à l’inverse, augmentent l’amplitude du cycle économique, et sont donc
néfastes en termes d’inflation ou d’emploi.

2.2 Les relances budgétaires sont-elles efficaces ?

Les politiques budgétaires contracycliques sont considérées comme efficaces dans


l’approche keynésienne traditionnelle. Toutefois, cette approche procède à plusieurs hypothèses
simplificatrices et lever ces hypothèses est de nature à réduire l’importance du multiplicateur,
sans toutefois invalider la théorie.

Plusieurs effets peuvent réduire la taille du multiplicateur : les fuites par le commerce
extérieur, la réaction de la politique monétaire et le risque d’effet d’éviction dû à la réaction des
marchés financiers.

2.2.1 Relance budgétaire en économie ouverte

En économie ouverte, le multiplicateur est plus faible, parce qu’une partie des dépenses
supplémentaires « fuient » sous forme d’importations qui ne stimulent pas la production
nationale. Les effets de relance budgétaire bénéficient alors aux producteurs étrangers, dont les
exportations augmentent. Les importations sont reliées au revenu par une relation (M = mY),
où m est la propension marginale à importer.

Le multiplicateur devient :

Y 1

G 1  c(1  t )  m

Le multiplicateur est faible lorsque l’économie est très ouverte et puissant lorsque l’économie
est peu ouverte.

28
2.2.2 Effet d’éviction financière

Le financement du déficit budgétaire par émission de titres publics sur les marchés
financiers peut conduire à une éviction des emprunteurs privés et donc une réduction de
l’investissement.

En effet, les administrations publiques sont en concurrence avec le secteur privé pour
attirer l’épargne des ménages. Comme les titres de la dette publique sont réputés pour être très
sûrs, l’émission de dette publique va détourner une partie de l’épargne à son profit, mais au
détriment de l’investisseur privé. Il y a donc éviction de l’investissement privé en faveur du
financement des dépenses publiques, ce qui réduit l’effet de la politique budgétaire sur la
demande globale. En créant une pénurie d’épargne, l’Etat va contribuer à augmenter les taux
d’intérêt. On assiste donc à une diminution de la formation de capital du secteur non étatique.
C’est ce que l’on appelle « l’effet d’éviction financière ».

Pour illustrer l’effet d’éviction par les taux d’intérêt, on combine les équations
représentant l’équilibre du marché des biens et services et l’équilibre du marché monétaire :

Y  cY  I (r ) G Il y a un coût d’opportunité de détenir des encaisses


 non rémunérées de monnaie lorsque les taux d’intérêt
s’accroissent. Il est préférable de détenir des titres
M o  L(Y )  L(r ) rémunérés, comme les obligations.
 

Si l’offre de monnaie est fixe, une hausse de PIB (suite à une hausse de G) doit s’accompagner
d’une hausse du taux d’intérêt pour que la demande de monnaie reste fixe.

En combinant les deux équations, le multiplicateur keynésien devient :

Y 1

G L' (Y ) / L' (r )
1 c 
I ' (r )

Si on tient compte des impôts, le multiplicateur s’écrit :

Y 1

G L' (Y ) / L' (r )
1  c(1  t ) 
I ' (r )

L’effet d’éviction réduit le multiplicateur keynésien.

29
3. Les stabilisateurs budgétaires automatiques

La section précédente a présenté l’effet des politiques budgétaires sur l’économie. Ces
mesures sont dites « discrétionnaires », car elles sont laissées à la discrétion des pouvoirs
publics. En sens inverse, les fluctuations économiques influent sur le budget ; cette influence
est dite « automatique », car les recettes et les dépenses évoluent en l’absence de décision.

La stabilisation automatique est l’effet exercé sur la demande finale par la réaction
spontanée du budget aux variations de la conjoncture.

Par exemple, la croissance des recettes fiscales diminue mécaniquement en période de


ralentissement conjoncturel parce que les assiettes fiscales croissent plus lentement ou
diminuent. De même, la croissance de certaines dépenses publiques augmente mécaniquement
en période de récession, par exemple lorsque les indemnités d’assurance chômage croissent
sous l’effet d’un gonflement du nombre de personnes sans emploi. En période de ralentissement
conjoncturel, le solde budgétaire se détériore donc automatiquement, et en période de rebond
conjoncturel, il s’améliore automatiquement.

30
4. Le budget à moyen terme

Les gouvernements ne peuvent pas se permettre d’ignorer l’accumulation à long terme


de déficits publics et l’endettement qui en résulte.

4.1 Contrainte budgétaire de l’Etat et dynamique de la dette publique

Les déficits publics sont financés par emprunt, c’est-à-dire par accumulation de dettes.
Est-ce nécessairement un problème ?

Un gouvernement peut-il se permettre d’enregistrer en permanence des déficits


budgétaires ? Cela ne risque-t-il pas de conduire à un gonflement explosif de la dette publique ?
N’y a-t-il pas un risque d’effet « boule de neige », l’Etat s’endettant pour payer les intérêts de
sa dette, conduisant à une dette toujours plus lourde ? La réponse à ces questions dépend de
plusieurs paramètres.

Pour répondre à ces questions, nous devons commencer par définir le déficit budgétaire :

Déficit  rBt 1  Gt  Tt B, dette publique ; rB, la charge de la dette.

La contrainte budgétaire du gouvernement dit simplement que la variation de la dette


publique est égale au déficit de l’année en cours :

Bt  Bt 1  Déficit

Bt  Bt 1  rBt 1  Gt  Tt

1/ AB, variation de la dette ; 2/ rB, paiements d’intérêt ; 3/ G-T, déficit primaire ; 4/ (2)+(3), solde
structurel= déficit. NB : si l’Etat accumule un déficit la dette publique augmente ; s’il y a un surplus primaire, la
dette diminue.

Bt  (1  r ) Bt 1  Gt  Tt

Le ratio de la dette au PIB :

Bt B G  Tt
 (1  r ) t 1  t
Yt Yt Yt

Bt Y  B G  Tt
 (1  r )  t 1  t 1  t
Yt  Yt  Yt 1 Yt

31
Soit g le taux constant de croissance de Y, alors Yt= (1+g)Yt-1  Yt-1/Yt = 1/(1+g)

Par approximation 1+r/1+g = 1+r-g.

On peut donc réécrire le ratio de la dette sous forme de :

Bt B G  Tt
 (1  r  g ) t 1  t
Yt Yt 1 Yt

Soit encore :

Bt Bt 1 B G  Tt
  (r  g ) t 1  t
Yt Yt 1 Yt 1 Yt

bt  bt 1  (r  g )bt 1  dpt

La variation du ratio dette au PIB est la somme de deux termes. Le premier est la différence
entre le taux d’intérêt réel et le taux de croissance multiplié par le montant initial du ratio ; le
deuxième est le ratio du déficit primaire au PIB.

L’équation ci-dessus implique que la hausse du ratio de la dette sera d’autant plus
important que :

-le taux d’intérêt réel sera plus élevé ;

-le taux de croissance de l’économie sera plus faible ;

-le ratio initial de la dette sera plus élevé ;

-le ratio du déficit primaire au PIB sera plus élevé.

Si bt  bt 1  0 , ratio dette/PIB est stable. On voit que cette stabilité peut être obtenue dans les
conditions suivantes :

r  g et g t  tt ,
G

et plus généralement :

(r  g )bt 1   ( gtG  t )

Sur cette base, nous appellerons « solde primaire stabilisant la dette » est le produit (r  g )bt 1 .

La stabilité de la dette dépend donc de trois paramètres : le solde primaire, le taux


d’intérêt réel et le taux de croissance du PIB nominal.

32
4.2 Transferts intergénérationnels et équivalence ricardienne

Les plans de relance budgétaire sont financés par émission de dette publique, qui devra
être remboursée ultérieurement au moyen d’impôts supplémentaires. Ces plans constituent donc
un transfert de consommation du futur vers le présent. Les contribuables ont conscience que
l’Etat fait face à une contrainte de solvabilité à long terme : la somme des déficits passés et
présents (ie la dette) doit être égale à la valeur présente des excédents futurs.

Dans un univers où les agents forment des anticipations rationnelles, suite à l’annonce
d’un plan de relance budgétaire, les ménages saisiront immédiatement que l’Etat devra alourdir
les impôts à l’avenir, et ils s’y prépareront en épargnant le supplément de revenu procuré par la
relance budgétaire. Le déficit n’a donc aucun effet sur la consommation.

La théorie dite de l’équivalence ricardienne encore appelé théorème Ricardo-Barro a


popularisé les mécanismes psychologiques de réactions des ménages face à un déficit financé
par endettement.

L’équivalence ricardienne dit donc que si un gouvernement finance ses dépenses par le
déficit, l’épargne privée va croître du même montant, d’où un niveau d’épargne globale
inchangé. Le montant disponible pour l’investissement est donc invariant.

L’hypothèse d’équivalence ricardienne implique que l’accumulation de déficits et


l’endettement qui en résulte n’ont pas d’effets sur l’économie, ni positifs ni négatifs, car il y a
compensation d’un pour un de la désépargne publique par l’épargne privée.

33
Chapitre 5. La politique monétaire
La politique monétaire peut se définir comme la quantité du bien économique monétaire
mise à la disposition des agents économiques par les autorités monétaires ; plus généralement
elle a trait au choix des conditions monétaires de financement de l’économie.

La politique monétaire est le second levier de la politique économique. Alors que la


politique budgétaire est orientée vers le maintien d’un niveau d’activité convenable, l’objectif
final de la politique monétaire est principalement la lutte contre l’inflation et le maintien de la
stabilité des prix et du taux de change. Pour atteindre cet objectif, les banques centrales se
fixaient traditionnellement des objectifs intermédiaires et opérationnels.

1. Objectifs et instruments

1.1 Objectifs intermédiaires et opérationnels

Les objectifs intermédiaires étaient des variables affectant directement les objectifs
finaux, comme le crédit bancaire ou la masse monétaire. Les objectifs opérationnels
concernaient les variables intermédiaires qui, dans le processus de transmission, sont les plus
proches des instruments de la politique économique : la quantité de monnaie centrale et les taux
d’intérêt à court terme entrent dans cette catégorie. On avait donc une structure du type :

Banque centrale Instruments Objectifs opérationnels Objectifs intermédiaires Objectifs finaux

1.2 Les politiques de cible d’inflation

De nos jours, un nombre croissant de banques centrales adoptent directement un objectif


d’inflation (« inflation targeting ») qui sert d’ancrage nominal aux anticipations des agents
économiques. Un objectif d’inflation est publiquement annoncé et les prévisions d’inflation à
moyen terme sont publiées. En pratique, l’objectif choisi par les autorités peut être soit un taux
d’inflation ponctuel soit une zone de tolérance. La banque centrale agit dès que ses prévisions
ne correspondent pas à l’objectif d’inflation.

Dans ce type de politique, il n’y a pas d’objectifs intermédiaires. Une batterie


d’indicateurs permet aux autorités d’agir directement en fonction de l’objectif final.

34
Ce mode de politique monétaire a deux avantages incontestables. En premier lieu, il
réduit l’incertitude en clarifiant les intentions de l’Institut d’émission. Or l’incertitude est un
facteur de volatilité financière et de freinage de l’investissement (et de l’emploi). En second
lieu, la pratique de l’objectif d’inflation permet à la banque centrale d’adapter sa politique et
ses réglages macroéconomiques aux chocs de court terme (comme les chocs d’offre). On peut
ajouter que les politiques d’Inflation targeting augmentent souvent la crédibilité de la politique
monétaire car elles soulignent la réactivité de la banque centrale aux variations de l’inflation.

2. Les instruments de la politique monétaire

La mise en œuvre de la politique monétaire peut faire appel à trois types d’instruments :
l’encadrement du crédit qui est tombé en désuétude, la politique des réserves obligatoires, qui
est de moins en moins utilisée, et la politique des taux, qui est l’outil privilégié de la régulation
monétaire dans la plupart des pays.

2.1 L’encadrement du crédit

Cette technique limite par voie réglementaire la progression de la source essentielle de


la création monétaire, les crédits à l’économie. L’institut d’émission fixe les normes de
progression dont le non respect par les établissements de crédit se traduit par des pénalités
comme l’obligation de constituer des réserves supplémentaires à des taux dissuasifs qui élèvent
considérablement le coût de la liquidité bancaire. Cette méthode très lourde sur le plan
administratif est tombée en désuétude.

2.2 La politique des réserves obligatoires

Il s’agit d’une réglementation qui impose aux établissements de crédit de maintenir des
avoir à l’institut d’émission sous forme de dépôts non rémunérés proportionnels à la monnaie
scripturale qu’ils gèrent.

Une modification des taux de réserves a pour effet de modifier la liquidité bancaire. Par
exemple, une hausse des taux de réserves renchérit le coût des ressources bancaires puisque ces
réserves ne sont pas rémunérées. Elle accroît également les besoins de monnaie centrale des
banques, ce qui provoque une pression sur les taux d’intérêt. Les banques sont ainsi incitées à

35
infléchir l’évolution des crédits qu’elles distribuent et à accroître leurs taux débiteurs (c’est-à-
dire le prix du crédit). Or la hausse de ces taux réduit la demande de financement des agents
non bancaires. Le crédit étant la source principale de la création monétaire, on voit que
l’augmentation des taux de réserves obligatoires infléchit à la baisse la masse monétaire.
Inversement, une baisse des taux de réserves est censée inciter le système bancaire à créer
davantage de monnaie.

2.3 La politique des taux

Le coût du refinancement (et en particulier le taux au jour le jour) est fixé sur le marché
interbancaire, c’est-à-dire sur le marché de la monnaie centrale dont les banques ont besoin
pour créer leur propre monnaie. Le taux du marché interbancaire découle de la confrontation
de l’offre de monnaie centrale contrôlée par la Banque centrale et la demande de monnaie
centrale exprimée par les établissements de crédits. En réalité l’équilibre du marché
interbancaire est contrôlé par les interventions de la banque centrale, que sont les opérations
d’open market. Si la Banque centrale injecte des liquidités par des opérations d’open-market
(achats de bons du Trésor), elle fait baisser les taux d’intérêt ; à l’inverse, elle les faits remonter
si elle retire des liquidités (ventes de bons du Trésor).

Les procédures opérationnelles pour fixer les taux d’intérêt varient selon les banques
centrales, mais le modèles du « corridor » est largement répandu. Selon ce modèle, la banque
centrale fixe un plancher et un plafond pour les taux d’intérêt auxquels elle est prête à effectuer
des transactions avec les intermédiaires financiers. Le taux supérieur est le taux des prêts
accordés par la banque centrale et le taux inférieur est celui des dépôts réalisés par les
institutions financières auprès de la banque centrale. Ces taux officiels forment donc un
« corridor » ou un « tunnel » pour le taux du marché. A l’intérieur du corridor, le taux du marché
fluctue en fonction des opérations d’open-market effectués par la banque centrale, c’est-à-dire
en fonction de l’apport ou du retrait de liquidités destinées à établir le taux du marché à un
niveau le plus proche possible de celui visé par la banque centrale.

36
Taux d’intérêt
Les avoirs constitués par les banq sec. & les autres
établis. Financiers auprès de la BC (RO et dépôts
librement constitués)

Taux des prêts

Taux visé

Taux des dépôts


Rés. oblig.

li
Op. d’open market Monnaie centrale
Figure : Le corridor des taux fixés par les banques centrales

3. Les canaux de transmission de la politique monétaire

Quels vont être les effets d’une modification des taux d’intérêt à court terme suite à une
action de la Banque centrale ? L’action sur la demande transite par quatre grands canaux.

3.1 Le canal du taux d’intérêt

Par le canal du taux d’intérêt l’action monétaire influence le coût du capital pour les
entreprises. La baisse des taux nominaux, si elle se répercute sur les taux réels à long terme,
doit dynamiser l’investissement quelques mois après la décision des autorités monétaires.

++La banque centrale peut assouplir sa politique monétaire en abaissant son taux
directeur :

Baisse des taux Baisse des taux sur Baisse des taux débiteurs Hausse des crédits et
directeurs le marché monétaire (prix du crédit) de la masse monétaire

++L’augmentation de la liquidité bancaire peut être la conséquence de l’acquisition de


titres par la banque centrale (qui les paie en émettant sa monnaie, la monnaie centrale) :

37
Acquisition de titres Hausse des prix Hausse des liquidités et baisse des
par la Banque centrale des titres taux sur le marché interbancaire

Relance du crédit et de la Baisse des taux débiteurs


monnaie en circulation

3.2 Le canal du crédit

Par le canal du crédit bancaire, une politique monétaire expansionniste accroît au bout
de quelques semaines le volume de financement accordé par exemple aux ménages pour des
crédits à la consommation.

3.3 Le canal des marchés financiers

Par le canal du prix des actifs des effets de richesse se produisent. Ainsi, à la suite d’une
baisse des taux d’intérêt le prix des actifs financiers (obligations et actions) et immobiliers
détenus par les ménagers augmente. Au terme de quelques mois, une partie du supplément de
richesse issu de la variation du patrimoine est consommée. Du côté des entreprises la hausse du
prix des actions augmente la profitabilité de l’investissement mesurée par le Q de Tobin et
soutien l’investissement.

Q = Prix du capital existant (sur le marché boursier)/ Prix du capital neuf (sur le marché
des biens) = coût du capital au coût de marché/coût de remplacement du capital.

Si Q <1, il n’y a aucune raison rationnelle d’investir puisque l’on peut acquérir à moindre coût
du capital productif désiré. Le stock de capital diminue.

Si Q >1, l’incitation à investir est forte, le « neuf étant peu intéressant que l’occasion ». Cela
signifie les perspectives de profit sont favorables, car les cours boursiers sont supposés refléter les
anticipations des revenus futurs. Le stock de capital augmente.

Si Q = 1, il y a indifférence de l’investisseur. Le stock de capital est constant.

38
3.4 Le canal du taux de change

La baisse des taux d’intérêt à court terme agit ensuite par le canal du change. Toutes
choses égales par ailleurs elle entraîne une dépréciation du change en termes réels : les
détenteurs de capitaux réallouent leurs portefeuilles au détriment des actifs exprimés en
monnaie nationales (la baisse des taux rend la monnaie nationale moins attrayante). Cette
dépréciation permet à l’économie nationale d’améliorer sa compétitivité prix : elle dynamise
les exportations et freine les importations sous certaines hypothèses. Il en ressort une
amélioration du solde extérieur, donc une amélioration du moteur « externe » de la croissance.

4. Quels modes d’intervention de la banque centrale ?

La principale question qui se pose est de savoir si l’intervention monétaire doit être
discrétionnaire ou au contraire si elle doit suivre une règle transparente pour les agents
économiques et, dans ce dernier cas, il s’agit de définir le contenu de la règle. Une politique
discrétionnaire permet une réoptimisation à chaque période, alors qu’une règle consiste à
appliquer de façon contingente, c’est-à-dire en fonction des variables économiques du moment,
une « formule » d’application générale à tous les cas futurs.

4.1 La stratégie monétaire : règle versus discrétion

L’inconvénient d’une politique monétaire qui suit une règle fixe est que celle-ci peut
être mauvaise lorsqu’elle ne prévoit pas certains cas de figure. Parmi les écueils à éviter, il y a
le fait de confondre une hausse temporaire des prix avec une inflation persistante, ou encore de
vouloir stabiliser les taux d’intérêt alors que l’équilibre mondial entre épargne et investissement
devrait conduire inéluctablement à un changement de niveau du taux d’intérêt. Parfois des
situations radicalement nouvelles émergent sans que l’on ait pu l’anticiper. On peut proposer
quelques exemples de situations qui peuvent appeler à une intervention ponctuelle ou non
standard de la banque centrale.

La poursuite d’une règle de comportement fixe est annoncée à l’avance est une façon de
contribuer à la crédibilité de la politique monétaire : les agents économiques savent alors à quoi
s’attendre et n’interprètent pas une expansion de la monnaie (justifiée) comme un relâchement
de l’objectif de maîtrise de l’inflation.

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Une règle est une sorte de « pilote automatique » de la politique monétaire qui prend la
forme d’une relation entre un instrument (presque toujours un taux d’intérêt de nos jours, car
les agrégats monétaires sont considérés comme moins pertinents en tant qu’instruments de
transmission de la politique monétaire) et l’écart d’une variable à sa cible ou son objectif. La
définition précise de la règle – et en particulier de la cible – dépend du choix de l’objectif des
autorités monétaires.

4.2 La règle de Taylor

Comment les banques centrales choisissent-elles le niveau de taux d’intérêt approprié


compte tenu de la situation économique ? En réponse à cette question, John Taylor, de
l’Université de Standford, a soutenu que, puisque c’était le taux d’intérêt qui avait des
répercussions directes sur les dépenses, la banque centrale devrait s’intéresser davantage au
choix d’un taux d’intérêt plutôt qu’à celui d’une croissance de la masse monétaire.

Soit  le taux d’inflation et  * la cible d’inflation. Soit i le taux d’intérêt nominal et i *


le taux d’intérêt nominal visé – le taux d’intérêt nominal compatible avec le taux d’inflation  *
à moyen terme. Soit ut le taux de chômage courant de la période et u N le taux de chômage
structurel.

La règle de Taylor montre que la banque centrale devrait suivre la règle suivante :

i  i *  a (   * )  b (u  u N ) avec a  0 , b  0 .

* Si l’inflation courante est égale à la cible d’inflation,    * , et si le taux de chômage


est égal au taux de chômage structurel, u  u N , alors la banque centrale devrait choisir comme
taux d’intérêt nominal à court terme i  i * . De cette façon, l’économie peut rester sur le même
sentier de croissance, avec une inflation égale à la cible d’inflation et un chômage égal au taux
de chômage structurel.

* Si l’inflation est supérieure à la cible d’inflation,    * , alors la banque centrale doit

augmenter le taux d’intérêt au-dessus du taux d’intérêt visé, i  i . Ce taux d’intérêt supérieur
*

va augmenter le taux de chômage, et cette hausse du chômage va réduire l’inflation.

40
* Si le taux de chômage est supérieur au taux de chômage structurel, u  u , la banque centrale
N

doit baisser le taux d’intérêt nominal à court terme. Le taux d’intérêt nominal plus faible va
induire une augmentation de l’activité, d’où une baisse du chômage.

Remarque :

1/ Le coefficient a reflète l’aversion relative de la banque centrale pour l’inflation par


rapport au chômage. Plus a est élevé, plus la banque centrale va augmenter son taux d’intérêt
nominal à court terme afin de réduire l’inflation, plus l’économie va se ralentir, et plus vite
l’inflation redeviendra vers la cible.

2/ De même que le coefficient a , le coefficient b devrait refléter de combien la banque


centrale préfère réduire le chômage par rapport à l’inflation : plus b est élevé, plus la banque
centrale déviera de la cible d’inflation afin de ramener le taux de chômage plus près du taux de
chômage structurel.

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