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Cultures et diversité

en Europe
En quelques mots…
« Comment répondre à la diversité ? Quelle est notre vision de la société de demain ? S’agit-
il d’une société où les individus vivront dans des communautés séparées, caractérisée au mieux
par la coexistence de majorités et de minorités aux droits et responsabilités différenciés,
vaguement reliées entre elles par l’ignorance mutuelle et les stéréotypes ? Ou, au contraire,
nous représentons-nous une société dynamique et ouverte, exempte de toute discrimination et
profitable à tous, qui privilégiera l’intégration de tous les individus dans le plein respect de
leurs droits fondamentaux ? »
(Livre blanc sur le dialogue interculturel, lancé en 2008 par le Conseil de l’Europe)
Ces questions qui ouvrent l’un des textes fondateurs du projet européen sont d’une actualité
saisissante : la société européenne se doit non seulement de comprendre et gérer ses propres
différences (culturelles, confessionnelles, politiques, sociales), mais aussi d’intégrer et de gérer
les défis relevés par les dynamiques sociales, la mondialisation accélérée et les vagues de
migrations.
Cette discussion se propose d’abord d’explorer les principaux éléments des cultures
européennes à travers leur diversité et d’avancer des réponses à deux questions : quelles sont
les sources de la diversité ? Quels sont les défis qu’elle pose ? Comment sont-ils gérés par les
institutions européennes ?

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Faits et chiffres

La diversité des sociétés européennes est le résultat d’un faisceau de facteurs :


■ politiques : à partir de 1991 – 1992, avec l’éclatement du bloc communiste, 16 pays du total
des 47 pays de l’Europe actuelle ont été créés ou reconstitués.
Les déplacements forcés ont doublé depuis 2010, en partie à cause des conflits au Moyen-
Orient. En 2023, presque 5 mil. de réfugiés ukrainiens fuyant la guerre étaient enregistrés en
Europe ;
■ linguistiques : dans l’UE il y a 24 langues officielles et plus de soixante langues minoritaires
et régionales
■ culturels : trois religions monothéistes, le christianisme, le judaïsme et l’islam, porteuses
d’héritages et de visions du monde spécifiques, se croisent en Europe ;
■ sociaux : malgré le progrès économique et l’amélioration des conditions de vie, nos sociétés
continuent de produire des inégalités sociales et des groupes vulnérables ;
■ l’orientation et l’identité sexuelle comme cause de discrimination sont reconnues
tardivement, par étapes, depuis les années 1990. Le développement d’un cadre légal protecteur
a entraîné des évolutions significatives du statut de ces personnes.
Ces différences se manifestent en tant que minorités qui se définissent par rapport à la majorité.
De la rencontre entre ces différences peut naître la tension voire le conflit. L’intervention des

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institutions et l’introduction de réglementations sont donc fondamentales pour gérer le
multiculturalisme sous les principes des droits humains et du bien commun.

Origines et faits marquants

■ La diversité des religions en Europe


Le christianisme, le judaïsme et l’islam sont les trois religions monothéistes qui ont évolué et
se sont croisées et souvent confrontées en Europe : au fil du temps, elles ont eu non seulement
une fonction de guide spirituel, mais ont joué aussi un rôle politique et social. En tant que «
marqueurs communautaires », elles ont contribué d’une part à la cohésion des groupes de
croyants, en facilitant les solidarités sociales ; d’autre part, ces appartenances confessionnelles
ont souvent généré des conflits violents comme les croisades ou les guerres entre les catholiques
et les protestants.
La religion majoritaire en Europe est le christianisme. Comme tout fait culturel – qui n’est pas
produit pas la nature, mais par l’action des hommes et des femmes –, il est le résultat d’un long
et mouvementé processus historique. Trois confessions principales en ont résulté : le
catholicisme, majoritaire dans 15 pays de l’UE, le protestantisme (8 pays), et l’orthodoxie (4).
Bien évidemment, chaque pays connaît sa propre diversité religieuse. Par exemple, en 2022,
entre 5.3 et 5.6 mil. musulmans habitaient en Allemagne (6.4 à 6.7% de la population) et environ
5 mil. en France (8%).

Une étude publiée en 2018 par European Values Study montre qu’environ la moitié des
Européens prient ou font de la méditation une fois par semaine. Trois sur quatre se déclarent
avoir des pratiques religieuses. Le décalage est plus important entre les pays plus sécularisés
du nord de l’Europe et ceux du sud-est de l’Europe, connus comme plus traditionnels. Dans des
pays comme la France, la place de l’athéisme n’est pas négligeable, 15% de ses citoyens se
déclarant comme athées.
Même si la grande majorité des Européens déclarent leur intérêt et leur pratique des religions,
cela ne se traduit pas nécessairement par une fréquentation régulière des institutions religieuses
(églises, mosquées, synagogues). Cet écart semble indiquer une tendance de détérioration des
institutions, en faveur de pratiques de plus en plus individuelles et éclectiques. La religion peut
être non seulement un héritage, mais aussi le résultat d’un choix. Les sociologues parlent
d’ailleurs d’une cafeteria religion, caractérisée par la liberté absolue de choisir et de mélanger
les différentes pratiques religieuses. Cette tendance est d’autant plus intéressante qu’elle permet
d’observer, à l’échelle de l’individu, le rôle des choix spirituels dans la construction de l’identité
personnelle, et, à l’échelle de la société, la contribution des religions au développement d’un
environnement multiculturel.

■ La relation entre les religions et l’État

Face à cette diversité des convictions religieuses et non religieuses, les institutions européennes
proposent des outils pour gérer leur rôle dans l’espace public et éviter les discours de la haine
et toute autre forme de violence. Ainsi, la liberté de pensée, de conscience et de religion est
inscrite dès 1948 dans la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Toute personne a
droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer
de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction […].
»

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Le Traité de Lisbonne reprend ces principes et introduit en 2007 la nécessité d’un dialogue entre
les institutions européennes et les communautés de conviction. À la suite de cet accord, le Livre
blanc sur le dialogue interculturel est lancé en 2008 par le Conseil de l’Europe, avec pour
mission de « prévenir les clivages ethniques, religieux, linguistiques et culturels », ainsi que «
d’avancer ensemble et de reconnaître nos différentes identités de manière constructive et
démocratique, sur la base de valeurs universelles partagées », dans « l’égale dignité ».

■ Les laïcités et la sécularisation

Les rapports entre l’État et l’Église en Europe sont très divers et les formes de gestion des cultes
sont loin d’être uniformes, et seule une analyse individuelle, au cas par cas, rendrait justice à la
diversité des gestions des cultes. En général, on peut distinguer trois types d’approches : des
régimes de religion d’État, des pays qui appliquent la séparation de l’Église et de l’État et des
régimes de concordat.
Le régime de religion d’État est présent au Danemark, en Finlande, en Norvège, en Grèce
(orthodoxie), en Grande-Bretagne (anglicanisme en Angleterre, presbytérianisme en Écosse) et
en Malte (catholicisme). D’autres États, comme la Hongrie, la Lettonie, le Portugal, la
Slovaquie, la Suède et la France, connaissent un principe de séparation des Églises et de l’État.
Sans être un modèle ni un idéal, l’exemple de la laïcité française, inscrite depuis 1905 dans la
Constitution, repose sur trois principes : 1) la liberté de conscience et celle de manifester ses
croyances ou convictions dans les limites du respect de l’ordre public ; 2) l’égalité de tous,
croyants et non-croyants, devant la loi ; 3) la séparation de l’État et des organisations
religieuses. Par l’origine même du mot, du grec laos, peuple, distinct du clerc, la laïcité est
étroitement liée à la démocratie. L’État laïque n’est pas un État athée, mais neutre.
Troisièmement, de nombreux pays connaissent un régime des cultes reconnus, qui ont un statut
privilégié, justifié par la tradition nationale. C’est le cas de l’Allemagne et de l’Autriche (avec
12 religions reconnues, dont l’islam), ainsi que de la Belgique (7 religions reconnues) et du
Luxembourg, mais aussi de l’Espagne (qui reconnaît depuis 1992 le judaïsme, l’islam et le
protestantisme), de l’Italie, de la Roumanie et de la plupart des pays issus du bloc de l’Est.
Commune à la majorité des pays reste la dissociation, plus ou moins importante ou évidente,
entre le politique et le confessionnel. Cette séparation s’est faite à travers deux processus : la
laïcisation, résultat des mesures édictées par l’État souvent de manière conflictuelle avec la
religion dominante. Elle est présente surtout dans les pays du sud catholique, comme la France,
le Portugal et l’Espagne. La sécularisation, caractérisée par « un effacement progressif et
graduel de l’emprise politique de la religion » est spécifique des pays du Nord, majoritairement
protestants ; elle est la conséquence de l’évolution de la société dans l’esprit de libéralisation
e
de mœurs et de l’émancipation de l’individu promue dès le XVIII siècle par les Lumières.
Devant cette diversité des formes que prend la dissociation entre l’État et les Églises, il serait
donc plus approprié de parler de laïcités et d’aller plus loin dans la compréhension des
spécificités de chaque pays.

■ La liberté de pensée, de conscience et de religion en Europe. Limites et enjeux

La liberté de pensée, de conscience et de religion repose sur le principe de la non-discrimination


et de l’égalité des citoyens. Garantie dans les textes fondamentaux de l’UE - la Convention
européenne des droits de l’homme (1950), la Charte de droits fondamentaux de l’Union
européenne (art. 10) annexée au traité de Lisbonne (2007), ainsi que dans le Livre blanc sur le
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dialogue interculturel (2008) -, elle va de pair avec les libertés d’expression, de réunion et
d’association. Néanmoins, l’exercice de ces libertés peut être soumis à « certaines formalités,
conditions, restrictions ou sanctions légales », afin de défendre la sécurité nationale, l’ordre et
la protection de la santé ou de la morale. Les discours de haine et de violence sont interdits en
Europe. Pour reprendre une phrase souvent citée dans l’espace public, « La liberté des uns
s’arrête là où commence celle des autres ».
Concilier la liberté d’expression, de la conscience et de la religion et les droits et autres libertés
de l’homme est un enjeu fondamental des pays démocratiques. Tout en reconnaissant la liberté
d’expression comme la base des sociétés ouvertes et inclusives, les institutions européennes
admettent que « l’abus ou le mauvais usage de la liberté d’expression peuvent constituer une
menace pour la démocratie » (Guide […], 2019). La liberté de religion ne devrait aucunement
être acceptée comme un prétexte à la justification des violations des droits des femmes, de
politiques discriminatoires ou d’actes de violence. Rappelons, par exemple, l’ampleur des
débats suscités par la publication par un journal danois de caricatures de Mahomet en 2005 ou
l’assassinat de journalistes de Charlie Hebdo à Paris en 2015 ; ces débordements ont montré
toute la tension entre la liberté de pensée, exprimée dans la presse, et la liberté de religion.
L’expression des convictions religieuses peut, dans certains cas, être conditionnée, car le
respect des traditions religieuses pose parfois des problèmes à l’organisation sociale. Il en va
ainsi des rites alimentaires (jeûne, interdiction de certains aliments) et de leur respect dans les
cantines, du port des signes ostentatoires d’une appartenance religieuse dans les lieux publics
(écoles et lieux de travail). Entre le droit des employés d’exercer un culte et les missions de
l’entreprise, le monde du travail doit trouver le juste milieu et négocier les intérêts de chacun et
chacune : organiser le temps de travail (différence entre les calendriers des fêtes religieuses et
des jours de prière), mais aussi l’espace (prévoir des salles de prière multiconfessionnelles). Du
côté des employés, la liberté de religion ne doit pas justifier le refus de respecter les règles
d’hygiène ou de sûreté.
Au niveau international, l’organisation Amnesty International mène une lutte sans relâche pour
la défense et le respect des droits de l’homme. La liberté d’expression des idées de toute sorte
« y compris celles qui peuvent être profondément offensantes » est au coeur de la mission de
cette organisation non gouvernementale. Indispensables aux démocraties, lieu par excellence
où s’expriment les idées, les médias sont particulièrement vulnérables. Dans un contexte
mondial où leur indépendance est menacée (ingérence du politique, manipulation de
l’information), le besoin d’introduire ou renforcer des plans d’action pour la protection des
journalistes s’impose.
Dans le même temps, les médias et les réseaux sociaux sont le terrain sur lequel se propagent
facilement des fake news. La crise Covid-19 a mis en exergue la fragilité du discours médical
officiel devant la circulation des opinions sans base scientifique dans l’espace public. D’où la
nécessité pour les États européens et les associations de produire des instruments contre la
propagation de la désinformation.

■ Minorités et lutte contre la discrimination en Europe


Au niveau international, le document de référence garantissant les droits des minorités est la
Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques,
religieuses et linguistiques adoptée en 1992 par l’ONU. Les États signataires s’engagent à
respecter les principes de non-discrimination, de participation effective (droits politiques et
sociaux égaux) et de protection et de promotion de l’identité.

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Dans l’UE, ces principes sont réaffirmés dans la Charte des droits fondamentaux, entrée en
pleine vigueur en 2009. Elle interdit toute forme de discrimination sur critère de « sexe, race,
couleur de la peau, origine ethnique ou sociale, caractéristique génétique, langue, religion ou
croyance, opinion politique ou de toute autre nature, appartenance à une minorité nationale,
propriété, naissance, handicap, âge ou orientation sexuelle ».

Ces critères sont essentiels pour comprendre l’importance de définir une « minorité ». Au fond,
il n’y a pas de minorité que par rapport à une majorité. Deux types de facteurs sont à prendre
en compte pour leur définition : objectifs (le partage de la même ethnie, langue ou religion) et
subjectifs (le fait de se déclarer comme appartenant à une minorité ethnique, nationale,
linguistique ou religieuse). En Europe, les groupes minoritaires ont un statut différent en
fonction des pays, avec des limites spécifiques de la reconnaissance de leurs droits.

■ Les minorités nationales et linguistiques

La nation est une « invention » de date récente. L’éclatement des grands empires cosmopolites
(ottoman, tsariste, britannique) au XIXe siècle a conduit à la création des États modernes. Les
deux guerres mondiales, puis l’effondrement de l’Union soviétique ou encore des contextes
locaux très particuliers ont produit des remaniements territoriaux, avec des conséquences
immédiates sur le statut des populations habitantes. D’autres minorités, comme les Roms,
n’appartiennent à aucun État-nation. Ce qu’on appelle de nos jours minorités nationales est
souvent le résultat d’une histoire conflictuelle et de différents projets de création d’une « nation
» homogène. Une Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et une Charte
pour les langues régionales et minoritaires sont les instruments institutionnels de défense de
leurs droits, au nom de la démocratie et de la diversité culturelle de l’Europe. Les États membres
suivent ces réglementations à travers une législation nationale adaptée et des politiques
publiques dont la mise en place est veillée par un comité d’experts indépendants.
Leur reconnaissance par l’État est vitale pour garantir les droits des minorités ; la non-
reconnaissance d’une communauté qui se définit comme minoritaire peut mener à des
instabilités politiques voire à des conflits. Comme c’est souvent le cas, une minorité nationale
ou ethnique est également une minorité linguistique ou religieuse. Citons quelques exemples
parmi ceux inventoriés par Minority Rights Group : les Basques, les Bretons, les Corses et les
Roms ne sont pas reconnus comme des minorités en France. La Turquie reconnaît les non-
musulmans en tant que minorité religieuse, mais leur refuse le statut de minorité nationale. Les
musulmans kurdes et les Roms ne sont pas, pour cause, reconnus. En Grèce, les orthodoxes sont
reconnus comme ethniques Grecs, alors que les musulmans sont reconnus seulement en tant
que minorité religieuse ; les Macédoniens et les Roms ne sont pas reconnus.
Dans le cas des pays ayant une structure fédérale ou regroupant des régions autonomes,
plusieurs langues officielles coexistent, comme en Espagne (le catalan, langue officielle en
Catalogne), en Grande-Bretagne (le gaélique au Pays de Galles) ou bien en Suisse (français,
allemand et italien). La production et la reproduction des langues minoritaires en Europe fait
l’objet d’une veille constante à travers le programme Euromosaic, dont le rapport le plus récent
date de 2012, actualisé avec les données fournies par la Roumanie et la Bulgarie, entrées en
2007. Euromosaic évoque l’existence d’une soixantaine de langues régionales et minoritaires.
Au-delà des droits politiques, qu’il s’agisse de la reconnaissance en tant que minorité ou d’une
revendication d’autonomie, une question essentielle qui se pose pour les minoritaires est de

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garder leur identité et de cohabiter avec la majorité sans être absorbés et sans que les différences
soient neutralisées.

■ Les minorités sociales : pauvreté, handicap et exclusion sociale


Moins évidentes et parfois moins souvent discutées sont les minorités produites par l’inégalité
sociale. En sociologie, l’inégalité sociale est associée aux « différences entre individus ou
groupes sociaux portant sur des avantages ou des désavantages dans l’accès à des ressources
socialement valorisées », comme l’aisance économique ou la santé. L’inégalité sociale n’est
pas seulement d’ordre économique, mais s’accompagne souvent d’autres formes d’inégalité.
Selon l’OCDE, plusieurs indicateurs sont à prendre en compte pour en dresser un tableau plus
complet, dont l’inégalité de revenu (monétaire), le taux et l’intensité de la pauvreté, les
violences faites aux femmes, la présence des femmes en politique, les institutions sociales et
l’égalité femme-homme et la suroccupation de logements. Dans un cercle vicieux qui
s’autoalimente, les inégalités se reproduisent et condamnent les individus qui en sont concernés
à l’exclusion sociale et à la marginalité.
Conformément aux statistiques publiées par Eurostat en 2021, 21.7 % de la population de l’UE
était au risque de pauvreté ou de l’exclusion sociale. Les plus exposées étaient les femmes, avec
un taux de 22.7 %,
contre 20.7 % pour les hommes. En ce qui concerne la distribution de la richesse, 20 % de la
population avec les revenus les plus élevés recevait 38.2 % du total des revenus en UE ; le
coefficient Gini, qui mesure la distribution des revenus dans chaque pays était de 30.1 % (voir
la situation par pays). Cette valeur prend en compte les « transferts sociaux », à savoir toutes
les mesures à travers lesquelles les États offrent de l’assistance sociale. Sans ces formes
d’intervention, la valeur se situerait autour de 50 %.

Les personnes ayant une forme de handicap subissent ces inégalités de manière encore plus
profonde : 28,4 % d’entre elles sont exposées au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale,
contre 17,8% des personnes sans handicap. Plus de la moitié (52 %) des personnes ayant une
forme de handicap se sentaient discriminées.
La question de l’intervention de l’État pour réduire les inégalités sociales n’est pas simple et
représente un vrai enjeu politique : d’une part, les inégalités peuvent être comprises comme un
résultat des structures de l’État, qui produisent de l’inégalité ; d’autre part, quel sens donner à
la liberté individuelle et à la démocratie, si des catégories spécifiques sont soutenues par l’État
?
La construction d’une économie plus inclusive est au coeur du Plan d’action sur le socle
européen des droits sociaux de l’UE (voir le Rapport de 2021). Ses objectifs concernent
l’employabilité, la formation annuelle des adultes et la réduction du nombre de personnes
menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale. Ce Plan comprend également une stratégie
relative aux droits des personnes handicapées, afin de les protéger de la discrimination et leur
garantir l’égalité d’accès au travail, à la justice, à l’éducation, aux soins de santé, à la libre
circulation, etc.

■ Les minorités liées au sexe et à l’orientation sexuelle

Le principe de l’égalité de salaires entre les hommes et les femmes est établi depuis 1957 par
le Traité de Rome. Cependant, des statistiques publiées en 2020 montrent la sous-représentation

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des femmes dans les postes de direction en politique et dans le monde des affaires. Elles
gagnent, en moyenne dans l’UE, 16% de moins que les hommes. L’inégale distribution des
tâches ménagères, les arrêts de travail dus aux grossesses, une participation plus importante au
soin des enfants ou d’autres personnes vulnérables, font qu’elles ont une ascension
professionnelle moins linéaire et rapide que les hommes. Ces décalages se sont creusés encore
davantage durant la pandémie de Covid-19.
Les institutions européennes s’engagent à combattre cette différence de traitement et à établir
l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle. Depuis 2014, les entreprises ont
l’obligation de publier les informations liées à l’âge, au genre, au parcours professionnel et
éducationnel de leurs employées et employés. Ces critères permettent d’évaluer les politiques
de diversité des entreprises et d’agir en faveur d’un traitement égal. Dans l’UE, le cadre
législatif protecteur s’accompagne de projets de financement des initiatives des femmes et de
campagnes d’information. Tout aussi prioritaire pour l’amélioration du statut des femmes est
l’éradication des violences. Une femme sur trois dit avoir été victime d’une forme de violence
physique ou sexuelle après l’âge de 15 ans. Ces chiffres, tout comme les restrictions du droit à
l’avortement dans des pays comme la Slovaquie, la Pologne ou la Hongrie, montrent que la
lutte pour l’égalité hommes-femmes est extrêmement actuelle.
L’égalité et la non-discrimination sont revendiquées également par les personnes LGBTI, qui
subissent des discriminations en raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. La
revendication des droits des minorités sexuelles est devenue un combat mondial, auquel
l’Europe s’est engagée à participer véritablement assez tardivement : ce n’est qu’à partir de
2015 que l’on peut parler de politiques publiques solides dédiées aux personnes LGBTI. Malgré
l’interdiction de discrimination dans le contexte de l’accès au travail, aux soins médicaux, à la
sécurité sociale et aux services en général, les personnes LGBTI se confrontent toujours à la
discrimination. Un cadre légal protecteur au niveau européen, des campagnes d’information
ayant un impact mondial, ainsi que l’activité des associations sont les instruments principaux
pour défendre les droits de ces communautés.
Le mariage et le partenariat enregistré entre les personnes du même sexe sont permis seulement
dans 14 pays de l’UE et au Royaume-Uni. Dans le contexte de la croissance de la discrimination
- 43% des LGBTI se sentaient discriminés en 2019, contre 37% en 2012 -, une stratégie a été
développée pour faire progresser les droits de cette minorité. Pensé sur 5 ans (2022-2025), elle
suppose une série d’actions, dont l’amélioration du cadre légal sur l’accès au travail, le
financement des initiatives luttant contre les crimes de haine, les discours haineux à l’encontre
des personnes LGBTI et la reconnaissance mutuelle de partenaires de même genre entre les
États membres.

■ Les mouvements de migration récents et les principaux instruments d’accueil des


migrants

Le phénomène migratoire a caractérisé les sociétés humaines depuis des temps immémoriaux.
Il est influencé par un cumul de facteurs économiques, climatiques, politiques et sociaux.
Connaître les grandes tendances des mouvements de migration récents est indispensable pour
comprendre les transformations de nos sociétés, leur diversité et construire notre avenir.

Dans son Rapport de 2022, l’OIM estimait à 281 mil. le nombre de migrants à l’échelle
mondiale en 2020, soit 3,6% de la population de la planète, en croissance dans ces dernières
cinquante années. L’Europe et l’Asie accueillaient en 2020 61% du total de la population

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migratoire. Les couloirs de migration relient en général des pays en développement à de grandes
économies, comme les États-Unis, la France, la Russie, les Émirats arabes unis et l’Arabie
saoudite.
Depuis les années 1950, avec la prospérité économique et la stabilité politique, le continent
européen est devenu la destination de plusieurs vagues migratoires. La plus récente, celle des
années 1990-2010 est caractérisée par des flux de travailleurs d’Europe centrale et orientale
vers l’Europe occidentale et méridionale, ainsi que par des flux d’Afrique du Nord, d’Afrique
centrale, d’Amérique latine et d’Asie vers l’Europe méridionale. Les conflits au Moyen-Orient
et en Afrique du Nord ont entraîné une forte hausse du nombre de réfugiés arrivant en Europe
par la Méditerranée, dans le but de se rendre dans les pays de l’Europe de l’Ouest.
Selon Eurostat, 23.7 mil. (5.3%) du total des 447.2 mil. de personnes habitant dans l’UE en
2021 étaient des citoyens non UE. La pandémie de Covid-19 et les restrictions de mobilités
qu’elle a générées ont diminué les flux de migration en 2020 avec 30 % par rapport à 2019. Le
pays accueillant le plus grand nombre d’immigrants est l’Allemagne, suivie par l’Espagne, la
France et l’Italie. L’Allemagne est aussi le pays avec le plus grand nombre d’émigrants, suivi
par l’Espagne, la Roumanie et la Pologne.
Dans l’UE, le taux d’emploi de la population en âge de travailler était plus élevé pour les
citoyens de l’UE (74 %) que pour les citoyens de pays hors UE (59,1 %) en 2021, sachant que
de nombreux ressortissants de pays non membres de l’UE sont des « travailleurs essentiels ».
Le droit au travail et la réglementation des conditions de travail pour les migrants sont inscrits
dès 1961 dans La Charte sociale européenne. À condition d’être en possession d’une
autorisation de séjour, le migrant est libre d’exercer son droit de travailler, l’État d’accueil étant
obligé de lui garantir le droit à l’assistance, à l’éducation et à la formation professionnelle, au
regroupement familial, ainsi que le respect de la langue du pays d’origine. Le statut juridique
des travailleurs ayant un contrat de longue durée ou de durée indéterminée a été fixé en 1977
par la Convention européenne des travailleurs, les États s’engageant à offrir aux travailleurs
migrants les mêmes droits qu’aux citoyens du pays. Avoir une résidence légale dans l’État où
la personne veut travailler reste une condition essentielle à l’embauche. La création d’un marché
du travail juste et inclusif, offrant des bénéfices économiques et sociétaux, y compris aux
ouvriers marginalisés, reste encore un idéal à atteindre, ainsi que le souligne un Rapport de
Minority Rights Group.
Dans le contexte de la crise des réfugiés de 2015-2016, Le Nouveau pacte sur la migration et
l’asile, élaboré en 2020, se propose d’« apporter sécurité juridique, clarté et des conditions
décentes aux femmes, aux hommes et aux enfants qui arrivent dans l’UE », en partageant la
responsabilité de l’accueil des migrants de manière égale et solidaire entre les pays. Les
politiques migratoires varient en fonction du statut des personnes à leur arrivée, qu’il s’agisse
d’immigrants, de demandeurs d’asile, de réfugiés ou de franchissements irréguliers des
frontières. La gestion des flux migratoires est devenue d’autant plus importante depuis
l’agression de la Russie sur l’Ukraine, en février 2022. 4,8 millions de réfugiés en provenance
d’Ukraine étaient enregistrés en 2023. Via une directive relative à la protection temporaire, les
réfugiés bénéficient dans toute l’UE d’accès au marché du travail et au logement, d’assistance
médicale et sociale, et de l’accès des enfants à l’éducation.
L’un des scénarios élaborés par l’Agence de l’Union européenne pour l’asile pour la prochaine
décennie concerne le phénomène des migrations climatiques, qui pourrait s’ajouter aux flux
existants. Maîtriser et normaliser la migration à long terme est un défi qui se pose à nos sociétés
de plus en plus diversifiées et tournées vers les problématiques de la démographie, du
changement climatique, de la sécurité et des inégalités.

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