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Rubrique coordonnée par T. Thomas, Saint-Étienne

Les fractures pathologiques


C.B.N. Confavreux (1, 2), T. Thomas (3), J.-P. Guastalla (2), I. Ray-Coquard (2), P.D. Delmas (1)

matoire biologique
L a fracture désigne la rupture d’un os et résulte de
l’application d’une contrainte trop importante
pour la résistance de cette pièce osseuse. Sur un tissu
est fréquent.
La radiographie simple
Fracture Os sain et trauma-
tisme violent

osseux normal, elle survient à l’occasion d’un trau- du site fracturaire et des Os altéré

matisme violent lors d’un accident de la voie sites douloureux


publique ou de sport. Parfois, elle apparaît pour des montre des zones Fractures par fragilité
contraintes faibles lorsque la résistance osseuse est d’ostéolyse à type de Altération localisée Altération diffuse (ostéoporoses primitives
et secondaires)
altérée soit par fragilité osseuse, c’est le cadre des géodes sans liseré ou de
Os tumoral Os non tumoral
ostéoporoses, soit lorsque l’os est anormal locale- zones mal limitées, - Myélome - Paget Os tumoral Os non tumoral
ment ou de façon diffuse : ce sont les fractures patho- sans réaction de - Métastases osseuses - Infections
- Myélome - Ostéomalacie
logiques (figure 1). condensation périphé- (bénignes et malignes) - Induite par les traitements
anti-cancéreux : diffus - Induite par les traitements

Devant toute fracture, la première règle est de se rique mais avec sou- - > post-radiothérapique anti-cancéreux
- > antiaromatases,
- "Mécanique"
poser la question de l’éventuelle discordance entre vent une lyse de la cor- - prothèse descellée castration

la survenue de la fracture et l’intensité du trauma- ticale. Des zones - cals, trou de vis
- matériels d'ostéosynthèse
tisme et de rechercher sur les radiographies l’exis- mixtes lytiques/conden-
tence d’une altération de la structure osseuse au santes sont possibles.
niveau du foyer de fracture (1). En revanche, les méta- Figure 1. Conduite étiologique à tenir devant une fracture.
stases ostéoconden-
DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE santes sont rarement l’objet de fracture.
DES FRACTURES PATHOLOGIQUES Les localisations métastatiques ou myélo-
mateuses les plus fréquentes sont le bas-
sin, les os longs, les côtes, le sternum et le
C’est la seconde étape : elle repose sur le contexte,
crâne. Rarement, le myélome peut être
l’interrogatoire et un examen clinique soigneux
responsable d’une déminéralisation dif-
afin de ne réaliser que les examens complémen-
fuse du squelette. Les métastases distales
taires pertinents (2).
sont exceptionnelles. Les plus exposés à
une fracture pathologique sont les os longs
Métastases osseuses et myélome multiple (3-5)
porteurs (fémur proximal) et les vertèbres
Ce sont les principales étiologies des fractures
dont le risque est le recul du mur posté-
pathologiques (figure 2). Elles touchent l’adulte
rieur comprimant la moelle épinière ou la
des deux sexes et sont souvent un mode d’entrée queue de cheval. À ce stade, le scanner en
dans la maladie. Outre le surcroît de douleur et fenêtres osseuses ou surtout l’IRM rachi- Figure 2. Fracture sur métastase ostéolytique de
l’impotence fonctionnelle, les problèmes suscités dienne fournit une analyse locale détaillée l’extrémité inférieure de l’humérus.
sont la consolidation et la chirurgie du foyer de nécessaire à la décision thérapeutique
fracture tumoral. C’est tout l’intérêt de l’évalua- (enclouage centro-médullaire, décompression…). de risque principaux (tabac, exposition à
tion fracturaire et des ostéosynthèses préventives. Un diagnostic histologique exact est nécessaire. Si l’amiante…) et les signes fonctionnels (dysurie,
L’os est le troisième site métastatique après le pou- le cancer primitif est connu et métastatique, on toux, fièvre, nodule thyroïdien, hématurie, hémo-
mon et le foie. Tous les cancers sont potentielle-
peut se passer d’histologie. En revanche, s’il était ptysie, troubles du transit…). L’examen clinique,
ment responsables mais les plus ostéophiles sont :
considéré jusque-là comme localisé, il est impéra- appareil par appareil, n’oubliera pas la palpation
– le sein, la prostate, le poumon (80 % des cas) ;
tif d’affirmer l’extension par la biopsie percutanée des seins (même chez l’homme), le toucher rectal,
– le rein, la thyroïde, la vessie ;
de la métastase. Si le cancer n’est pas connu, il est les aires ganglionnaires, le foie, la rate ou la
– les lymphomes et sarcomes.
nécessaire de rechercher le primitif. palpation thyroïdienne. Les examens biolo-
Les patients présentent le plus souvent des dou-
Deux approches sont possibles et souvent complé- giques comprennent initialement NFP, VS,
leurs osseuses d’installation insidieuse, persis-
mentaires. CRP, LDH, bandelette urinaire, hormones thy-
tantes et progressivement croissantes avec une
– La biopsie osseuse percutanée sous contrôle roïdiennes et thyroglobuline. Seul le PSA chez
recrudescence nocturne et une altération de l’état
radioguidée est un geste simple de bon rendement l’homme a un intérêt diagnostique. Les autres
général. L’examen recherche tuméfaction, défor-
mation et douleur à la palpation, par exemple à la diagnostique. Si plusieurs cibles existent, on choi- marqueurs tumoraux ne sont pas faits pour le
percussion des épineuses. Un syndrome inflam- sira de préférence les plus accessibles en tissu dépistage. Enfin, l’ordre des examens d’image-
mou, plus facile à traiter ensuite en anatomopatho- rie est guidé par la clinique : radiographie tho-
1. INSERM U403, hôpital Édouard-Herriot, Pavillon logie. racique, échographie abdominale pour recher-
F, 5, place d’Arsonval, 69437 Lyon Cedex 03.
2. Centre régional de lutte contre le cancer Léon- – Le bilan de primitif est l’autre versant. L’interro- cher des adénopathies profondes, visualiser les
Bérard, 28, rue Laennec, 69008 Lyon. gatoire recueille les antécédents familiaux, médi- reins, la tête du pancréas, le parenchyme hépa-
3. INSERM E0366, service de rhumatologie, CHU de
Saint-Etienne, 42055 Saint-Etienne Cedex 2. caux, chirurgicaux, gynécologiques, les facteurs tique, échographie prostatique transrectale ±

La Lettre du Gynécologue - n° 313 - juin 2006 53


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LES FRACTURES PATHOLOGIQUES DE L’ENFANT
• Le kyste osseux essentiel (KOE) est une dystrophie de croissance bénigne située à proximité d’un car-
tilage de croissance sur son versant métaphysaire. Il contient un liquide citrin. Sa découverte est typique de l’os. La trame osseuse est souvent mal visible,
entre 5 et 15 ans. Elle est plus fréquente chez les garçons. Asymptomatique, il se présente radiologique-
d’aspect décrit comme “cotonneux” ou “sale”,
ment comme une lacune métaphysaire centrale, à paroi fine calcifiée, sans envahissement périosté ni
parfois inquiétant. À la scintigraphie osseuse chez
envahissement des parties molles. 90% siègent sur l’humérus (métaphyse supérieure de l’humérus :
le patient cancéreux douloureux, c’est un diagnos-
50%) et le fémur (extrémité supérieure : 28%). Les fractures avec faible contrainte sont souvent révéla-
tic différentiel, d’une ostéose métastatique diffuse,
trices et représentent le principal problème du KOE surtout lorsqu’il s’agit d’os portants et de localisation
car elle montre de multiples hyperfixations du
à risque (col fémoral, petit trochanter). La consolidation est normale. Le risque fracturaire guide la prise
squelette plutôt symétriques. Ostéodensitométrie,
en charge vers une simple surveillance ou des injections de cortisone intrakystiques. Seuls les kystes des
calciurie et dosage de la vitamine D corrigent
os portants à haut risque méritent une ostéosynthèse.
habituellement le diagnostic.
• Les affections congénitales fragilisants l’os : ostéogenèse imparfaite, maladie de Lobstein,
ostéopétrose, pycnodysostose, ostéoporose juvénile idiopathique, dysplasie fibreuse.
Les infections osseuses
Les infections (ostéomyélite, ostéite) peuvent éga-
biopsies, mammographies bilatérales, TDM contexte qui va conduire à une grande prudence lement se compliquer de fracture pathologique,
thoraco-abdomino-pelvien avec injection (pri- diagnostique et souvent une grande inquiétude du surtout lorsqu’elles sont chroniques. Elles se déve-
mitif + bilan d’extension), échographie thyroï- patient. Ainsi, les fractures survenant 2-3 ans après loppent de façon torpide sur une infection négligée
dienne, voire coloscopie. Un certain nombre la radiothérapie sont classiques (1). Le mécanisme ou décapitée et le diagnostic en est difficile. Le
de métastases demeurent sans primitif connu suspecté est la perte d’élasticité de l’os secondaire scanner osseux permet de bien visualiser le trait de
(10 à 30 % selon les séries). à la mort de cellules osseuses et au manque de fracture et de rechercher un séquestre osseux ou
La même démarche s’applique au myélome mais remodelage dans le champ d’irradiation. La castra- un abcès qu’il conviendrait de réséquer. L’IRM est
en pratique, l’existence de multiples géodes à tion et l’hormonothérapie (anti-aromatase) utili- cependant l’examen de référence actuel. La scinti-
l’emporte-pièce sur les radiographies, sées pour le traitement des cancers hormonodé- graphie osseuse peut visualiser des foyers mul-
l’envahissement plasmocytaire au myélo- pendants sont responsables d’une perte osseuse tiples alors que l’intérêt de la scintigraphie aux
gramme, le dosage pondéral des immunoglobu- accélérée de même que les corticoïdes utilisés polynucléaires marqués est surtout reconnue pour
lines, l’électrophorèse et l’immuno-électropho- comme antitumoral, antiallergique ou antiémé- les infections sur matériel. Il faut tout faire pour
rèse des protéines plasmatiques et urinaires tique dans les chimiothérapies. obtenir le germe car le traitement repose sur
permettent son diagnostic.
l’immobilisation, l’antalgie, une antibiothérapie
La maladie de Paget (8) adaptée, longue et à bonne pénétrance osseuse et
Les tumeurs primitives osseuses Elle constitue la seconde cause de fracture patho-
éventuellement une chirurgie (2).
bénignes et malignes (3-5) logique de l’adulte. L’os pagétique est caractérisé
Elles peuvent fragiliser localement l’os et favoriser par un dérèglement focal du remodelage osseux R ÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

la survenue d’une fracture. Dans tous les cas, conduisant à une hypertrophie osseuse et à une
1. Romain F, Olivier H. Fractures pathologiques.
l’enjeu est le même : obtenir une forte certitude structure osseuse anormale (os tissé ou woven Encycl Med Chir appareil locomoteur 1990;14031
diagnostique avant tout acte invasif pour ne pas bone) de moindre résistance mécanique. Les frac- C10,5. Paris: Éditions scientifiques et médicales,
faire perdre de chance (pronostic vital et traitement tures ont typiquement un trait transversal net “en Elsevier.
conservateur) au patient. En effet, en cas de sar- bâton de craie”, avec un grand déplacement. L’os 2. Confavreux CBN. “Rhumatologie”. Examen national
come, tout tissu touché lors d’un geste (cicatrice classant – 2e cycle des études médicales. Institut La
fracturé est souvent déformé et incurvé, imposant Conférence Hippocrate, laboratoires Servier, 2005.
de biopsie) devra être réséqué lors du traitement. aussi, lors de la chirurgie, le traitement de la défor- Accès libre sur http://www.laconferencehippocrate.
La démarche diagnostique recommandée est la mation qui peut se révéler complexe. La consoli- com/.
suivante : suspicion clinique et radiologique, ima- dation est normale. 3. Whyte MP. Skeletal neoplasms. Primer on the meta-
gerie complémentaire (IRM de la pièce osseuse au bolic bone diseases and disorders of mineral metabo-
minimum), envoi en centre de référence pour lism. 4th edition 1999. Lippincott Williams et Wilkins.
Les fractures pathologiques “mécaniques” Philadelphia, PA-USA.
micro-biopsie puis bilan d’extension en cas de sar- Elles surviennent dans un contexte particulier, soit 4. Dubousset J, Forest M, Tomeno B. Tumeurs des os.
come et traitement (6, 7). Les signes d’alarme sont sur cal après immobilisation trop courte, soit sur un Généralités diagnostiques (biopsie et anatomopatholo-
les suivants : os fragilisé après retrait de vis d’ostéosynthèse, ou gique). Encycl Med Chir appareil locomoteur
– tuméfaction et douleur permanente au site tumo- encore en présence de matériel (plaque) lors d’un 2001;14700,5. Paris: Éditions scientifiques et médicales,
Elsevier.
ral avant la fracture ; appui trop précoce (plaque), de contraintes mal 5. De Vita VT Jr, Hellman S, Rosenberg SA. Cancer:
– rupture de corticale, aspect en feu d’herbe, réparties (prothèse), ou sur prothèse descellée (1). principles and practices of oncology. 7th edition 2005.
ostéolyse floue ou corticales soufflées à la radio- Lippincott Williams et Wilkins. Philadelphia, PA-USA.
graphie standard. L’ostéomalacie 6. Philip T. et al. Standards, options and recommenda-
Le kyste osseux essentiel reste cependant la pre- Elle est caractérisée par un défaut de minéralisa- tions (SOR) for diagnosis, treatment and follow-up of
osteosarcoma. Groupe de travail SOR. Bull Cancer
mière cause de fracture pathologique chez l’enfant tion, le plus souvent consécutif à une carence en 1999;86.2:159-76.
; il ne se rencontre que rarement chez l’adulte sous vitamine D. Les fractures surviennent dans les 7. Ray-Coquard I, Philip T, Thiesse P, Ranchère-Vince
forme séquellaire (encadré). ostéomalacies profondes et siègent principalement D, Meeus P, Bobin JY et al. Soft tissue sarcoma (STS)
au niveau des vertèbres, du bassin, des côtes et des management. Regional audit with implication of regio-
Les étiologies non tumorales os longs. Elles peuvent être précédées de l’appari- nal cancer network organisation. Eur J Cancer 2002.
8. Siris ES. Paget’s disease. Primer on the metabolic
Les traitements anticancéreux tion de fissures de Looser-Milkman qui sont à bone diseases and disorders of mineral metabolism. 4th
Ils peuvent également induire une fragilisation rechercher sur les radiographies sous forme de edition 1999. Lippincott Williams et Wilkins.
osseuse et conduire à des fractures dans un traits perpendiculaires à la corticale, à la concavité Philadelphia, PA-USA.

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