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Ne dit-il pas dans cette préface : « Admettre l’âme, c’est admettre le lien de

l’homme avec l’inconnu » ? De là son jugement sur la peine de mort, qui était « une
violence à cet inconnu-là ».

Or sa préface est tout entière inspirée par la passion ardente de pouvoir soulever
un coin du voile qui cache le mystère, et c’est vers les phénomènes de la nature
qu’il dirigera ses études. « Âme enfouie dans la contemplation des choses célestes
», comme il le dit lui-même, il s’attache à considérer le mouvement des astres, les
regards fixés sur le monde ténébreux dont il cherche à découvrir les lois. Les
ignorants n’hésiteront pas à contester la science de Victor Hugo, les sages
s’informeront, les savants considéreront sans doute que c’est de la science écrite
par un poète ; mais Victor Hugo lui donne la couleur, l’éclat pittoresque de son
style, il envisage les phénomènes avec sa vision spéciale, qui, sans déformer la
vérité, leur donne une originalité plus saisissante, et, dans le champ que la
science ouvre aux hypothèses, il lui est loisible, sans commettre d’hérésies,
d’apporter à son tour les réflexions que lui suggère le spectacle de ces
phénomènes. De là des observations ingénieuses que la science ne peut ni confirmer,
ni contredire, mais qu’un esprit avisé peut offrir aux méditations des philosophes
et des savants.

L’étude de la nature le conduit à l’affirmation de l’existence de Dieu et de


l’immortalité de l’âme ; abordant alors sa profession de foi philosophique, il est
amené à envisager les diverses religions.

Il les combat avec vivacité, ainsi que les cultes, les théogonies, les fétichismes,
les superstitions ; mais il les étudie aussi avec soin. Il consulte les ouvrages,
il analyse les textes. Les règles monastiques éveillent sa curiosité. Il fouille
les livres de l’hagiographe italien. Jonas, l’historien de saint Colomban, de
l’hagiographe allemand Héribert Rosweyde, qui écrivit les vies des Pères (Vitæ
Patrum), il compulse les travaux du bénédictin Walafride Strabon et les volumes du
prêtre de l’oratoire André Galland : Bibliotheca greco-latina vitarum patrum.

Si on se reporte aux textes de Jonas et de Walafride Strabon que Victor Hugo a


cités, on découvrira qu’il a modifié quelques temps de verbe sans d’ailleurs
altérer le sens. Nous prendrons un exemple : dans le récit fait par Jonas de
certaines austérités Victor Hugo traduit : « Debout tous ! qu’on vienne casser la
glèbe… », et comme texte il donne : « Omnes surgant, glebas scindant… » au lieu
de : « Imperat ut omnes surgant… cum vidisset eos magno labore glebas scindere ».
En réalité la traduction est fidèle, et voulant invoquer à l’appui le texte latin
il ne le modifie que pour le résumer, sans en changer le sens et les mots
principaux.

Nous n’avons mentionné ces différences que pour simplifier la tâche des curieux, et
Victor Hugo, en indiquant lui-même la source où il avait puisé ses renseignements,
en rapportant exactement ces légendes, prouvait ainsi qu’il n’avait pas hésité à
mettre consciencieusement à contribution les textes les plus anciens.

Mais, engagé dans cette voie, il se laisse entraîner très loin, et, quand il arrive
à la seconde partie de sa préface, il doit se borner tout d’abord à une
documentation rapide coupée de considérations personnelles. Car le champ qu’il
devrait parcourir est trop vaste. Ce n’est plus désormais un « quasi-ouvrage »,
comme il l’annonce modestement, mais une œuvre considérable qui, poussée jusqu’au
bout, imposerait de nombreuses recherches ; cause probable de cet ajournement.

Devant formuler, comme il le dit, « sa philosophie religieuse personnelle », il


voulait avoir le temps et toute la liberté d’esprit pour la présenter avec quelque
ampleur et quelque solennité, et, l’œuvre étant restée inachevée, ce ne seront plus
dès lors que des pages de « mémoires » sur sa vie intellectuelle qui auraient
probablement été introduites dans ce volume : Pages de ma vie, annoncé plus tard
sur la couverture des Quatre Vents de l’esprit et qu’il n’a pas donné.

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