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Beno Sternberg-Sarel
Le 12 avril 1961
In: Communications, 1, 1961. pp. 178-193.
Morin Violette, Sternberg-Sarel Beno. Le 12 avril 1961. In: Communications, 1, 1961. pp. 178-193.
doi : 10.3406/comm.1961.925
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1961_num_1_1_925
Violette Morin et Beno Sternberg-Sarel
Le 12 avril 1961
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Le 12 avril 1961
LES JOURNAUX
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Beno Sternberg-Sarel
dables », proclame le premier sur huit colonnes. (On trouve inutile de préciser :
« Ils », ce sont, bien sûr, les Soviétiques). Plus explicite, VHumanité s'exclame :
« Un Soviétique a ouvert pour l'homme l'ère du cosmos. » Pour V Humanité
l'événement est clair : « ... Les moyens considérables mis à la disposition de
l'enseignement, de la culture, de la recherche scientifique... sont à la base des
succès remportés dans la conquête du cosmos. » Jeannette Vermeersch, pour
sa part, déclare au cours d'un meeting dont rend compte VHumanité : « Aujourd
'huic'est la fête de l'Ascension. Ce n'est pas l'ascension d'un être supposé,
inventé, miraculeusement envolé, non, c'est un robuste et beau garçon, un jeune
homme communiste... ». Étrangement, VHumanité et Le Monde, si différents
de ton et de contenu, se rejoignent dans une manière d'attitude positiviste et ce
sont au contraire des journaux comme V Aurore, comme Paris-Presse ouïe Parisien
Libéré qui se rapprochent le plus, ce jour, de l'évocation du mythe de Prométhée
et du vieux rêve fou d'assaut du ciel.
Ce groupe scientiste ne laisse pas toutefois d'être divers et Libération, plus
que les autres, recourt aux thèmes émotionnels. Ainsi, tout en soulignant -'.
« C'est le couronnement d'une politique de recherche scientifique », proclame-t-
il : « L'homme (Gagarine) est entré vivant dans la légende des siècles. »
Pour ce qui est du passage de l'exceptionnel au quotidien, il s'opère suivant
un critère politique et dépend du public auquel s'adresse chaque journal. Combat
et Le Monde insistent sur les incidences politiques de l'événement et les possi
bilités de propagande qu'il offre à l'U.R.S.S. Louis Leprince-Ringuet, dans Le
Monde, suggère que le Vostok n'existerait pas en l'absence d'un arrière-plan
stratégique.
Pour VHumanité, haut fait et quotidienneté soviétique se confondent, le
premier n'étant qu'un symbole élevé de la seconde. Le tout est unifié par le
plan auquel on doit de voir le haut fait se réaliser dans le quotidien.
Ce point de vue, qu'expose VHumanité, est également sensible dans Libération,
mais ce dernier journal, plus libre, publie en première page et sur quatre colonnes
une photo commentée de cette légende : « Simplement un homme... Voici Youri
Gagarine en train de lire paisiblement les journaux en compagnie de sa femme
Valentina et de sa fille Lena. »
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La presse parisienne et le premier vol dans le cosmos
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Bano Sternberg-Sorel
d'une part en le plaçant dans le contexte des rivalités politiques, d'autre part
en parlant de la vie personnelle du héros. A quelques éléments près, les mêmes
thèmes sont présents dans toute la presse du groupe « utopiste ». Mais sous cet
angle, celui de la vulgarisation proprement dite, c'est à Paris-Jour — lequel
consacre dix pages à l'événement — que revient la palme. Tandis qu'en seconde
page on ne trouve pas assez de superlatifs d'admiration, les pages 10 et 11 voient
rassemblés les éléments du contexte politique : argument de propagande, ce vol
a été effectué pour impressionner les peuples africains. Par ailleurs « il y a du
mystère » : le vol date-t-il vraiment de la veille et n'a-t-il pas été précédé d'autres
vols dont les héros ne sont jamais revenus ? Heureusement, ajouté Paris-Jour,
les espaces à conquérir sont vastes et pour longtemps encore la rivalité améri
cano-soviétique restera pacifique.
La dernière page de Paris-Jour est barrée du titre : « Les chansonniers se
sont emparés (déjà) de Gagarine », et nous avons la primeur des sept couplets du
versificateur Jean Marsac de la Lune Rousse. Tout danse autour de Gagarine :
les Américains et les Russes, le directeur de l'Olympia, Marina Vlady et les
Peter Sisters, Adam et Eve.
Nous avons vu, au cours de cette rapide revue de la presse parisienne, comment
les comptes rendus du vol soviétique pouvaient s'organiser suivant deux pôles :
d'une part le pôle noble de l'exceptionnel et du titanesque, d'autre part le pôle
du quotidien. Ces deux extrêmes limitent une série de thèmes intermédiaires
que, dans ce cadre volontairement schématique, nous pouvons seulement citer
et que nous appellerons, d'un terme un peu impropre, thèmes sportifs. Ainsi
l'entraînement, l'endurance, le courage et la souffrance du héros pendant le vol.
Mais aussi, dans l'ordre politique — et se distinguant de la « cuisine politique »
— le thème de la compétition quasi sportive engagée entre l'U.R.S.S. et les
U.S.A. dans le domaine spatial. Ces thèmes, qui assurent un lien entre l'excep
tionnel et le quotidien, sont aussi une transition naturelle pour passer à la
formule habituelle du journal. Dans presque tous les quotidiens — du moins
dans tous les journaux à grand tirage — ces thèmes se trouvent imbriqués dans
ceux que nous avons déjà cités.
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Gagarine sur la rose des vents de la presse parisienne
En fait, on peut prévoir dès le premier jour le sort du vol de Gagarine dans la
presse parisienne. Présenté comme une césure dans l'histoire, c'est tout simple
ment l'événement du jour. Sans doute un courant d'émotion est-il passé dans
les rédactions et qui a rejoint l'émotion populaire. Mais il est probable (et pour
quoi pas ?) que Gagarine a surtout fait « vendre du papier ». En deux ou trois
jours, le vol de Gagarine rejoindra ce que le sociologue américain D. Macdonald
appelle le « magma homogénéisé x » de l'information et de la culture de masse
tel qu'il est offert par la grande presse.
Beno Sternberg-Sarel.
appris dans les 24 heures qui l'ont suivi, à travers la presse parisienne (douze
journaux, cités dans l'article précédent). Nous avons donc pour cela établi l'évent
ail qualitatif des tendances les plus marquées à travers l'information. Ces
tendances sont indiquées par des phrases de journaux, relevées dans les listes
jointes plus loin. Nous n'avons pas cité les journaux, car si toute phrase envoie
à sa manière un message, il reste évident que, isolée de son contexte et de la
diversité d'un journal, elle ne peut engager le journal.
. La lecture de ces journaux et des phrases relevées, en dehors bien entendu
de la stupeur espace-temps signalée par tous, nous a amené à l'élaboration d'un
premier classement de tendances qui s'étale assez bien en forme de rosace. Les
quatre points cardinaux en sont d'une part le rationnel opposé au miraculeux,
d'autre part le politisé opposé au dépolitisé. Ces quatre thèmes cardinaux sous-
tendent l'ensemble de l'information, mais n'y apparaissent presque jamais à
l'état pur. Nous voulons dire que toute assertion à l'intérieur d'un thème trouve
sa contrepartie négative, soit :
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Gagarine sur la rose des vents de la presse parisienne
DES PRÉCISIONS :
— La victoire remportée aujourd'hui par la science soviétique est une victoire de
la classe ouvrière au pouvoir.
— Vostok vaut 38 satellites U.S.
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Gagarine sur la rose des vents de la presse parisienne
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Violette Morin
RELEVÉ DE PHRASES
Rosace, zone 1 :
— Le plus grand exploit de tous les temps.
— L'homme est entré vivant dans la légende des siècles.
— Tourner autour de la terre, dans le fond c'est un peu bête et ça m'intéresse moins
que le voyage dans la lune (un volontaire pour la lune).
— Le monde a engendré trois héros : Prométhée, Christophe Colomb, et Gagarine.
— Un homme comme les autres.
— Pour devenir un héros de l'espace, G. avait suivi les cours du soir.
— C'est fantastique, il faut être gonflé pour monter là-haut.
— Gagarine : en russe « canard sauvage ».
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Gagarine sur la rose des vents de la presse parisienne
Violette Morin.