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Violette Morin

Beno Sternberg-Sarel

Le 12 avril 1961
In: Communications, 1, 1961. pp. 178-193.

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Morin Violette, Sternberg-Sarel Beno. Le 12 avril 1961. In: Communications, 1, 1961. pp. 178-193.

doi : 10.3406/comm.1961.925

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1961_num_1_1_925
Violette Morin et Beno Sternberg-Sarel

Le 12 avril 1961

Dès sa création le Centre d'études des communications de masse a entrepris des


dépouil ements de presse portant sur de grands faits divers ; il s'agissait en somme
de procéder à des sondages périodiques en saisissant l'actualité pour ainsi dire « à
chaud » : ce pour quoi nous avons appelé ces études des enquêtes « flash » • c'est ainsi
que le Centre a étudié dans la presse française la naissance du troisième enfant de
la reine d' Angleterre, la mort de Fausto Coppi 1, le rapt du petit Eric Peugeot et
le voyage de M. K. en France 2. On reconnaîtra qu'aucun événement ne pouvait
mieux justifier une analyse immédiate et directe que le vol spatial du commandant
Gagarine : non seulement par son caractère extraordinaire, propre à la fois à combler
et à bouleverser les normes de l'information de presse, mais aussi parce que cet
événement pur, cette essence d'événement, s'est tout de suite transformé en événement
mélangé, contingent, engageant des significations différentes selon le journal qui
le rapportait. Comment nos contemporains ont-ils intégré sur l'heure un événement
tr ans-historique, non seulement à leur histoire, mais encore à leur présent quotidien ?
Comment la presse française a-t-elle spontanément réglé les rapports fort complexes
entre le fait et sa signification, en réagissant à une information hors de toute mesure,
dont la nouveauté « anthropologique » distançait de loin les faits divers les plus
spectaculaires ? Sans engager une étude exhaustive du phénomène, et en se bornant
aux 24 heures qui ont suivi l'exploit, c'est à ces questions que Beno Sternberg et
Violette Morin ont tenté d'apporter une première réponse : l'un dans une perspective
sociologique, en passant en revue les réactions des principaux journaux, l'autre
dans une perspective plus structurale, en classant les thèmes investis dans le trait
ement de l'information.

1. « Deux enquêtes flash », publication du CECMAS, 1960.


2. Cf. supra l'article de V. Morin.

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Le 12 avril 1961

La presse parisienne et le premier vol


dans le cosmos

par Beno Sternberg-Sarel

Le 12 avril, le commandant' Y. Gagarine fait le tour du monde à bord du


vaisseau spatial Vostok. Le soir même et le lendemain matin, la presse parisienne
fête cet événement et l'aspect des journaux à grand tirage ne peut que frapper :
les trois-quarts de la première page, voire la page entière, sont pris par des
titres et des photos qui relatent « l'exploit du siècle » (Paris- Jour) et donnent une
image de l'homme qui « revient du ciel » (Paris-Presse).
La première impression, si l'on s'en tient aux gros titres, est celle de l'enthou
siasmeet de l'émerveillement. « L'exploit de Gagarine. ouvre aux hommes l'ère
du cosmos », lit-on dans l'Aurore et France-Soir proclame, comme pour nous
assurer que l'incroyable est vrai : « Officiel : ce Russe a tourné autour de la
terre. » Pourtant à bien détailler les quotidiens de la journée, (12 avril au soir
et 13 avril au matin), on s'aperçoit que l'enthousiasme devant ce « pur assaut
du ciel » se nuance de mille contingences. Pour les uns, le Vostok est une réali
sation du pouvoir socialiste, pour les autres c'est un simple sous-produit de la
recherche militaire soviétique. Gagarine lui-même, Prométhée moderne, est un
homme comme les autres : plutôt petit, il a des cheveux foncés, des yeux écartés,
une épouse du nom de Valentina, une petite fille de deux ans, Elena. Ainsi, dès
le premier jour, la presse parisienne offre du vol de Gagarine l'image ambiguë
— et somme toute attendue — d'un haut fait marqué de quotidien. Mais si tous
les comptes-rendus du jour tendent à confronter le grandiose et l'ordinaire dans
l'homme, ils accentuent différemment les éléments, suivant le journal.

LES JOURNAUX

On peut considérer que la presse parisienne de ce jour s'organise suivant deux


tendances. Un premier groupe de journaux formé du Monde, de Combat, de
L'Humanité, et de Libération répond assez bien au qualificatif de scientiste.
Pour l'autre groupe cependant — Le Figaro, Paris-Presse, France-Soir, L'Aurore,
le Parisien Libéré, Paris- Jour, — ce que l'on retient du vol soviétique, c'est sur
tout son caractère d'utopie réalisée. Nous verrons toutefois que, dans ce groupe,
France-Soir mérite une mention spéciale. Deux journaux demeurent en dehors
de ce classement : l'Information et la Croix qui, chacun pour leur part, repré
sentent une attitude particulière.
Pour Le Monde, qui titre de manière strictement informative : « Le premier
vol d'un homme dans l'espace », il s'agit d'une « conquête de la science et de la
technique ». En première page Combat ne consacre que deux colonnes à l'évén
ementet titre : xc L'U.R.S.S. réaffirme sa nette avance scientifique sur les U.S.A. »
S'adressant à un public intellectuel, Combat et Le Monde semblent renoncer aux
thèmes émotionnels adoptés par d'autres journaux,
Le ton de L'Humanité et de Libération est certes différent. « Ils sont formi-

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Beno Sternberg-Sarel

dables », proclame le premier sur huit colonnes. (On trouve inutile de préciser :
« Ils », ce sont, bien sûr, les Soviétiques). Plus explicite, VHumanité s'exclame :
« Un Soviétique a ouvert pour l'homme l'ère du cosmos. » Pour V Humanité
l'événement est clair : « ... Les moyens considérables mis à la disposition de
l'enseignement, de la culture, de la recherche scientifique... sont à la base des
succès remportés dans la conquête du cosmos. » Jeannette Vermeersch, pour
sa part, déclare au cours d'un meeting dont rend compte VHumanité : « Aujourd
'huic'est la fête de l'Ascension. Ce n'est pas l'ascension d'un être supposé,
inventé, miraculeusement envolé, non, c'est un robuste et beau garçon, un jeune
homme communiste... ». Étrangement, VHumanité et Le Monde, si différents
de ton et de contenu, se rejoignent dans une manière d'attitude positiviste et ce
sont au contraire des journaux comme V Aurore, comme Paris-Presse ouïe Parisien
Libéré qui se rapprochent le plus, ce jour, de l'évocation du mythe de Prométhée
et du vieux rêve fou d'assaut du ciel.
Ce groupe scientiste ne laisse pas toutefois d'être divers et Libération, plus
que les autres, recourt aux thèmes émotionnels. Ainsi, tout en soulignant -'.
« C'est le couronnement d'une politique de recherche scientifique », proclame-t-
il : « L'homme (Gagarine) est entré vivant dans la légende des siècles. »
Pour ce qui est du passage de l'exceptionnel au quotidien, il s'opère suivant
un critère politique et dépend du public auquel s'adresse chaque journal. Combat
et Le Monde insistent sur les incidences politiques de l'événement et les possi
bilités de propagande qu'il offre à l'U.R.S.S. Louis Leprince-Ringuet, dans Le
Monde, suggère que le Vostok n'existerait pas en l'absence d'un arrière-plan
stratégique.
Pour VHumanité, haut fait et quotidienneté soviétique se confondent, le
premier n'étant qu'un symbole élevé de la seconde. Le tout est unifié par le
plan auquel on doit de voir le haut fait se réaliser dans le quotidien.
Ce point de vue, qu'expose VHumanité, est également sensible dans Libération,
mais ce dernier journal, plus libre, publie en première page et sur quatre colonnes
une photo commentée de cette légende : « Simplement un homme... Voici Youri
Gagarine en train de lire paisiblement les journaux en compagnie de sa femme
Valentina et de sa fille Lena. »

Seul du groupe « scientiste », Le Monde donnait du vol dans l'espace, et dès


le premier titre, l'image d'une victoire humaine. C'est de victoire soviétique qu'il
s'agissait dans L'Humanité et Libération (mais pour ces journaux humanisme
et communisme soviétiques se confondent), tandis que Combat titrait d'emblée
sur la rivalité U.R.S.S.-U.S.A.
Dans le second groupe de journaux que, faute de mieux, nous appellerons
Utopistes, on met en valeur l'importance humaine de l'exploit. Une seule except
ion, partielle d'ailleurs : Paris-Jour titre en première page : « L'exploit du
siècle » et publie, en première page également, une photo qui évoque la rivalité
russo-américaine. En seconde page l'article de fond s'intitule : « Victoire de
l'homme ».
A une exception près, tous ces journaux rattachent le vol dans l'espace aux
vieux mythes et aux utopies qui, pour ainsi dire, s'imposent à l'imagination.
Paris-Presse intitule, nous l'avons noté : « II revient du ciel » et son article de fond
commence ainsi : « Y. Gagarine a gagné le pari que l'humanité a fait dès le jour

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La presse parisienne et le premier vol dans le cosmos

lointain où la conscience s'est éveillée au cœur de nos ancêtres. Des centaines


de rêveurs ont tenté l'évasion extra terrestre... ». Pour Serge Groussard dans Le
Figaro, « l'humanité s'est libérée pour la première fois (depuis quel Déluge ?)
de sa vieille prison ». Paris-Jour se perd dans l'exclamation : « Prodigieux,
sensationnel, stupéfiant, extraordinaire, ahurissant, incroyable... » et affirme
peu après : « Depuis hier une ère nouvelle est ouverte. L'ère d'une génération
qui a fait éclater les pauvres frontières d'une terre désormais trop étroite. »
Dans Le Parisien Libéré, on lit ce début d'article : « Ainsi le vieux rêve de l'human
ité,ce vieux rêve audacieux et fou caressé par des êtres d'une exceptionnelle
hardiesse... » Un peu plus confusément, Robert Bony dans V Aurore constate :
«... Tous les choix d'épithètes ont été épuisés à travers le monde », et plus loin :
« Voilà en tout cas le secteur du miracle ». Lui-même à cette occasion n'hésite
pas à se lancer dans la spéculation philosophique : « Et quant à nos philosophies
qui sont manières d'expliquer le fond des choses et des êtres, qui oserait pré
tendre, affirmer aujourd'hui 13 avril 1961 qu'elles ne sont pas quelque peu
« chahutées » et que nos notions de l'espace et du temps, ces notions a priori
de Kant, en sortiront parfaitement intactes ? » L'Aurore encore — dans une
déclaration de l'aviateur Closterman parlant de Gagarine — évoque Christophe
"Colomb et Prométhée.
On ne peut s'empêcher de penser que cette référence à Kant et à Prométhée,
dans L'Aurore, marque un fait véritablement nouveau, une sorte d'éclair dans
la grisaille habituelle d'un journal qui, d'ordinaire, se targue plutôt d'un bon
sens sans grande poésie... Ne marque-t-elle pas également — ceci est d'ailleurs
valable pour les autres quotidiens non communistes — une limite au pouvoir
d'intégration, pourtant considérable, des catégories politiques du journal ?
France-Soir, avons-nous noté,1 mérite une place à part dans cette catégorie
des journaux « utopistes ». Il n'est pas question des vieux mythes dans ce journal
à formule moderne. De tous les quotidiens de ce jour c'est France-Soir qui con
serve le caractère le plus strictement informatif. Pourtant l'agencement même
de l'information vaut d'être étudié. Une photo et des titres sobres occupent
presque toute la première page. Aucun élément romanesque. Pour cette fois le
sensationnel est contenu dans le fait brut : « Ce Russe a tourné autour de la
terre » et tout de suite après « II a atterri ». En pages 6 et 7 consacrées à l'événe
ment,un seul titre qui implique un commentaire : « Ere spatiale, an I » et une
seule exclamation : « Fantastique exploit scientifique. » La plus grande partie
des deux pages intérieures racontent le détail de l'exploit et c'est l'aspect tech
nique qui, de manière très claire, se trouve souligné. France-Soir semblerait
donc se rapprocher du groupe « scientiste ». Mais le détail technique, pour, être
exprimé en phrases sobres, ne manque pas de fantaisie. On l'illustre de dessins
par exemple, tel celui de la récupération de la cabine de Gagarine. D'ailleurs
ce qui est supposé se mêle à ce qui, sans doute, est exact : ainsi la description
de la vision de l'astronaute ou celle de son état physiologique (« Gagarine en
sueur »...).
En réalité, l'information de France-Soir, apparemment dépouillée, est assez
proche d'un genre populaire : la Science fiction. On peut dire d'ailleurs que tous
les journaux du groupe « utopiste » ont cette coloration (exception faite, peut-
être, pour Le Figaro). Mais qu'est donc la science fiction sinon une sorte de
prométhéisme, d'utopie née de la culture de masse et à sa mesure même ?
Tous les journaux ramènent le haut fait soviétique à des dimensions terrestres,

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Bano Sternberg-Sorel

d'une part en le plaçant dans le contexte des rivalités politiques, d'autre part
en parlant de la vie personnelle du héros. A quelques éléments près, les mêmes
thèmes sont présents dans toute la presse du groupe « utopiste ». Mais sous cet
angle, celui de la vulgarisation proprement dite, c'est à Paris-Jour — lequel
consacre dix pages à l'événement — que revient la palme. Tandis qu'en seconde
page on ne trouve pas assez de superlatifs d'admiration, les pages 10 et 11 voient
rassemblés les éléments du contexte politique : argument de propagande, ce vol
a été effectué pour impressionner les peuples africains. Par ailleurs « il y a du
mystère » : le vol date-t-il vraiment de la veille et n'a-t-il pas été précédé d'autres
vols dont les héros ne sont jamais revenus ? Heureusement, ajouté Paris-Jour,
les espaces à conquérir sont vastes et pour longtemps encore la rivalité améri
cano-soviétique restera pacifique.
La dernière page de Paris-Jour est barrée du titre : « Les chansonniers se
sont emparés (déjà) de Gagarine », et nous avons la primeur des sept couplets du
versificateur Jean Marsac de la Lune Rousse. Tout danse autour de Gagarine :
les Américains et les Russes, le directeur de l'Olympia, Marina Vlady et les
Peter Sisters, Adam et Eve.

L'Information et La Croix, avons-nous précisé, prennent une position à part.


Il est frappant que V Information soit le seul journal qui ait qualifié le vol sovié
tique d'affaire de spécialistes — admirable sans doute mais soulevant surtout
l'admiration des hommes de l'art. S'adressant lui-même à un public de spécial
istes, boursiers et hommes d'affaires, V Information se contente d'ailleurs de
mentionner le fait en un tiers de colonne en première page.
La Croix intitule son article de fond : « L'homme maître de l'univers », mais
c'est pour mieux contredire cette proposition dans le corps de l'article. C'est
à la foi, lit-on dans La Croix, que le chrétien demandera la juste mesure de
l'événement. En conquérant l'univers, l'homme ne fait que manifester Dieu,
créateur de l'univers et qui a mis en l'homme une étincelle de son savoir. Ainsi
se fondent — comme pour U Humanité mais de manière différente — l'excep
tionnel et le quotidien dans une seule et même manifestation de Dieu.

VERS L'INTÉGRATION DE L'ÉVÉNEMENT

Nous avons vu, au cours de cette rapide revue de la presse parisienne, comment
les comptes rendus du vol soviétique pouvaient s'organiser suivant deux pôles :
d'une part le pôle noble de l'exceptionnel et du titanesque, d'autre part le pôle
du quotidien. Ces deux extrêmes limitent une série de thèmes intermédiaires
que, dans ce cadre volontairement schématique, nous pouvons seulement citer
et que nous appellerons, d'un terme un peu impropre, thèmes sportifs. Ainsi
l'entraînement, l'endurance, le courage et la souffrance du héros pendant le vol.
Mais aussi, dans l'ordre politique — et se distinguant de la « cuisine politique »
— le thème de la compétition quasi sportive engagée entre l'U.R.S.S. et les
U.S.A. dans le domaine spatial. Ces thèmes, qui assurent un lien entre l'excep
tionnel et le quotidien, sont aussi une transition naturelle pour passer à la
formule habituelle du journal. Dans presque tous les quotidiens — du moins
dans tous les journaux à grand tirage — ces thèmes se trouvent imbriqués dans
ceux que nous avons déjà cités.

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Gagarine sur la rose des vents de la presse parisienne

Seul Libération a le souci d'établir une corrélation entre le vol de Gagarine


et un autre événement du jour : la conférence de presse du général de Gaulle,
le premier ayant nui au prestige du second. Mais, sans que la transition soit
explicite, le lecteur la sous-entend de toute façon pour tous les journaux.
Dans France-Soir, pour ne prendre que cet exemple, l'œil glisse en première
page des grands titres sur le vol autour de la terre, à l'annonce des réactions du
F.L.N. (analysées ailleurs) devant les déclarations du général de Gaulle. En
tournant la page, on tombe sur Tony et Margeret qui chantent des duos ; plus
loin il est question de Eichmann, d'une escroquerie à la Sécurité sociale, de la
comédienne Jeanne Moreau. Puis viennent les deux pages consacrées au vol de
Gagarine, tandis que le général de Gaulle tient la vedette dans les deux pages
suivantes. C'est ensuite la mode, la télévision, des pages de publicité et, enfin
■en dernière page — dans France-Soir, page non moins importante que la pre
mière — on retrouve Chéri Bibi dans le pétrin (un cadavre chaud encore dans sa
cave) ; Gérald Norton, on le sent, va mener à bien une nouvelle mission difficile,
tandis que, dans la série des Amours célèbres, la Malibran va bientôt terminer
sa carrière.

En fait, on peut prévoir dès le premier jour le sort du vol de Gagarine dans la
presse parisienne. Présenté comme une césure dans l'histoire, c'est tout simple
ment l'événement du jour. Sans doute un courant d'émotion est-il passé dans
les rédactions et qui a rejoint l'émotion populaire. Mais il est probable (et pour
quoi pas ?) que Gagarine a surtout fait « vendre du papier ». En deux ou trois
jours, le vol de Gagarine rejoindra ce que le sociologue américain D. Macdonald
appelle le « magma homogénéisé x » de l'information et de la culture de masse
tel qu'il est offert par la grande presse.
Beno Sternberg-Sarel.

Gagarine sur la rose des vents


de la presse parisienne

par Violette Morin

Un événement anthropo-cosmique eut lieu le 12 avril 1961. Un homme


fut satellisé, fit son tour de terre, et fut récupéré. L'ensemble de l'opération
dura 108 minutes.
Ce fut un phénomène bref, que chacun aurait pu envisager, mais que personne
ne pouvait prévoir, qu'on admet maintenant mais qu'on ne peut comprendre,
qui fut colossal dans son déroulement « essentiel », et ténu dans son déroulement
« existentiel » — un décollage et un atterrissage — , enfin qui remplit en substance
et intégralement le contenu même du mot événement, puisqu'il perturba le
couple espace-temps d'une manière spectaculaire.
Il nous a paru intéressant de faire rapidement un bilan de ce que nous avons

1. Dwight Macdonald, « A Theory of mass culture », in Mass Culture, edited by


Bernard Rosenberg and David Manning White, The Free Press, Glencoe, Illinois, 1957.
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Violette Morin

appris dans les 24 heures qui l'ont suivi, à travers la presse parisienne (douze
journaux, cités dans l'article précédent). Nous avons donc pour cela établi l'évent
ail qualitatif des tendances les plus marquées à travers l'information. Ces
tendances sont indiquées par des phrases de journaux, relevées dans les listes
jointes plus loin. Nous n'avons pas cité les journaux, car si toute phrase envoie
à sa manière un message, il reste évident que, isolée de son contexte et de la
diversité d'un journal, elle ne peut engager le journal.
. La lecture de ces journaux et des phrases relevées, en dehors bien entendu
de la stupeur espace-temps signalée par tous, nous a amené à l'élaboration d'un
premier classement de tendances qui s'étale assez bien en forme de rosace. Les
quatre points cardinaux en sont d'une part le rationnel opposé au miraculeux,
d'autre part le politisé opposé au dépolitisé. Ces quatre thèmes cardinaux sous-
tendent l'ensemble de l'information, mais n'y apparaissent presque jamais à
l'état pur. Nous voulons dire que toute assertion à l'intérieur d'un thème trouve
sa contrepartie négative, soit :

DANS LA DIRECTION DU THÈME OPPOSE (SUR LA ROSACE) :


— Triomphe de la science. — Triomphe du communisme.
— Cet homme est immortel. — II est aussi seul que les chiennes qui Vont précédé,
— Le secteur du miracle est entamé. — Ce n'est que du rase-mottes.
— Une nouvelle bouleversante. — On s'y attendait... etc.

DANS LA DIRECTION DE THÈMES ADJACENTS :


— Une prouesse technique extraordinaire. — Les ressources scientifiques sont
encore très primitives.
— Depuis les tsars la Russie s'occupe de V espace. — L'exploit est l'œuvre du pays
où il n'y a plus d'exploités.
— Gloire au peuple soviétique. — Gloire aux Allemands inventeurs du V2.
a l'intérieur d'un même thème : •
— C'est formidable. — C'est un cauchemar.
— C'est un exploit. — C'est du « culot ».
— C'est un progrès. — C'est une menace.
— Un jour de gloire pour l'U.R.S.S. — Un mauvais jour pour les Américains.
Par ailleurs, et le plus souvent, les thèmes cardinaux se dissimulent grammat
icalement à l'intérieur des phrases elles-mêmes. Il y a les phrases ouvertement
ambivalentes :
— C'est un pas vers la conquête de l'espace mais il y a une différence entre conquête
et exploration.
— Ce n'est que du rase-mottes vu à l'échelle de la distance de la lune.
— Oui... Mais il y a du mystère.
— Leurs expériences sont plus spectaculaires que les nôtres, mais les nôtres sont
plus utiles.
— L'homme conquérant de l'espace n'empiète pas sur les droits de Dieu. Il accomplit
au contraire une mission : dominer le monde.
— C'est la preuve de la supériorité absolue du communisme sur le capitalisme.
— L'homme de l'espace aurait pu tout aussi bien être Américain.

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Gagarine sur la rose des vents de la presse parisienne

II y a des phrases, au contraire, où la positivité explicite devient ambiguë par :


LA VALORISATION d'un ASPECT INQUIETANT :
— Une épreuve physiologique et psychologique sans précédent.

DES NÉGATIONS AFFIRMATIVES :


— Une réussite qui n'affaiblit pas le monde libre.
— Nul ne songera à contester ce prodigieux exploit.

DES CONJONCTIONS OU LOCUTIONS CONJONCTIVES :


— C'est une grande victoire de l'homme et du socialisme.
— La nouvelle réussite des savants soviétiques est en même temps une prodigieuse
victoire de l'homme.
DES ADJECTIFS : .
— La tentative réussie de Gaga est la seconde.

DES FORMULES COURAGEUSES :


— Il faut dire que c'est un exploit sportif sans précédent. .
— Il faut reconnaître sportivement la nette avance des Soviétiques.

DES PRÉCISIONS :
— La victoire remportée aujourd'hui par la science soviétique est une victoire de
la classe ouvrière au pouvoir.
— Vostok vaut 38 satellites U.S.

Autrement dit, à la lecture des journaux, peu de phrases se révélèrent cardi-


nalement pures. Il nous a donc fallu étaler approximativement sur la rosace 1
quatre zones où les thèmes fusionnent avec des intonations dominantes.
La zone 1 + 1 bis étale les thèmes qui partent de l'humain ou rationnel (nous
simplifions les désignations) pour s'infléchir vers le politique.
La zone 2 + 2 bis étale des thèmes qui partent du surnaturel ou miraculeux
pour s'infléchir vers le miracle politique.
La zone 3 + 3 bis étale des thèmes qui partent du surnaturel ou miraculeux
pour s'infléchir vers le miracle scientifique.
Enfin la zone 4+4 bis étale des thèmes qui partent de l'humain ou rationnel
pour s'infléchir vers le scientifique pur.
Cette répartition serait naturellement abusive si on la prenait à la lettre.
L'explicite moins encore que l'implicite donne à chaque phrase une signification
proprement incomparable 2. Néanmoins, comme il ne s'agit ici que d'une esquisse
des diverses tendances improvisées par la presse sur cet événement, nous consi
dérerons cet éventail qualitatif comme un instrument commode pour survoler,
« en rase-mottes » nous aussi, l'événement relaté.
Si nous comparons la moitié rationnelle de la rosace — scientifique, humain,
politique — à sa moitié surnaturelle — miracles scientifique, humain et politique

1. Cf. la rosace page suivante.


2. On peut consulter, en fin d'article, les citations correspondant à chaque zone.

185
iRATlONNELl

O
"■*Le satellite humain " N-/g
rMaintenont
rentre-Ç,
\ »z >Homme soviétique
z—"*-
cnez\moi I
T7 I ~~''>

— nous constatons qu'il y a beaucoup moins de contestations dans le miracle


■que dans le rationnel. Cet événement exemplairement scientifique a perturbé
tous les mots raisonnables. Prenons quelques exemples de mots privilégiés par
leur répétition, et pouvant être considérés comme commun dénominateur de
tendances :
Le mot « victoire » (encore que le mot « échec » vienne le fissurer par endroits)
est presque toujours utilisé pour désigner l'événement mais il n'est jamais
utilisé comme un concept autonome : ses prédicats le diversifient au point de
l'amoindrir progressivement :
Victoire fantastique,
» humaine,
» scientifique,
» politique,
» psychologique,
» sportive, etc.
Le mot « conquête » (qui n'est pas encore « exploration ») devient à son tour :
Conquête de V espace (facteur de paix),
» du monde (facteur de guerre), etc.

186
Gagarine sur la rose des vents de la presse parisienne

Le mot « héros » (encore qu'il y ait le « lascar », le culotté et le robot) devient :


Héros sportif,
» soviétique,
» seul comme un dieu,
» seul comme un chien,
» athlétique,
» passif comme un cobaye, etc.

Les mots « progrès scientifique » (encore qu'on en soit toujours à un stade


très « primitif » de la science) deviennent :
Progrès scientifique extraordinaire,
» » en appelle d'autres,
» » ne porte pas sur l'essentiel, le cancer,
» » ne signifie rien (pas de valeur de salut),
» » ■ ne concerne pas l'homme (le problème de l'esprit demeure),
etc.
Cet événement scientifique a été assimilé dans l'équivoque. Le fait qu'un
liomme soit parti de la terre et y revienne, d'une part, et le fait que cette terre
soit russe, d'autre part, a bouleversé si l'on peut dire, l'événement lui-même.
Pour le concrétiser il a été généralisé et dramatisé. Pour le justifier, il a été inten-
tionnalisé et politisé. Sauf dans les descriptions concrètes : Vostok, Gagarine,
les vêtements, etc., l'information, lorsqu'elle est dévenue réflexion, a contourné
l'obstacle et s'est coulée" dans les vieux mélanges pétris de contradictions :
« humanisme, politique, sciences. »
Si l'on envisage maintenant le côté surnaturel de la rosace — miracles scien
tifique, humain et politique — , on voit que du côté politique le miracle est
incontesté : c'est la montée au ciel de l'homme communiste. Personne n'a dit
qu'il n'y était pas monté et personne n'a opéré le chemin inverse. Il n'y a pas eu
4e diable descendant aux enfers. Au contraire, du côté scientifique, on peut
constater deux tendances : le surnaturel de l'événement est dominé curieusement
par la positivité, c'est-à-dire l'absence de tendances contraires, voire même
l'allégresse, lorsqu'on annonce que l'événement n'est rien à côté de ceux qui
suivront. Autrement dit, on se rassure, en énonçant courageusement les prouesses
qu'on fera demain : « L'homme ira chercher les étoiles. » Mais lorsqu'on envisage
l'événement lui-même dans le présent, il ne s'agit plus d'affirmations allègres
mais de questions, voire d'angoisse. C'est le repli stratégique, là aussi sur les
vieux mélanges sans solution. Que va devenir l'homme nouveau ? On lit qu'il
peut devenir « sur », « sous », « in » ou « extra » humain. Que va devenir Dieu ?
L'homme sera-t-il « plus grand que », « égal à », « plus petit » que Dieu ?
Ceci nous amène à déceler approximativement sur la rosace deux zones de
tendances. L'une est d'assimilation dialectique : elle correspondrait aux thèmes
de l'humain scientifique (4 + 4 bis) et du miracle politique (2 + 2 bis) ; l'autre
■est de « panique dialectique » : elle correspondrait à l'humain politique (1+1 bis)
et au miracle scientifique (3 + 3 bis).
Reste à un troisième palier de croisement thématique des tendances qui
combinent deux zones hétérogènes de la rosace. Les zones 1 bis et 4 bis — le
politique et le scientifique —, se sont combinées assez nettement pour que nous
puissions isoler quelques phrases. Elles témoignent d'une perception assez

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Violette Morin

réaliste de l'événement en reconnaissant l'évidence scientifique et l'évidence


politique. La science y calme les passions politiques et la politique y stimule
la recherche scientifique : « Quel est le plan de la conquête du cosmos » — « C'est
avec une admiration sans mélange que les spécialistes du inonde entier saluent
la performance extraordinaire de leurs confrères soviétiques. » D'autre part les
zones 1 et 4 — l'humain éloigné de la politique et de la science — se sont com
binées pour exprimer le plus bas degré des passions : « Pas encore d'opinion »,
« L'aboutissement d'un travail long et difficile ».
Enfin, à un quatrième palier de croisement thématique, nous trouvons le
point de vue circulaire, celui qui souffle avec tous les vents. Il apparaît que sans
compétences physico-mathématiques précises, deux issues étaient possibles
pour faire le tour de l'événement, l'une dans l'ironie, l'autre dans la poésie.
En voici les deux exemples relevés : Pour l'ironie : « On rapporte même ce propos
extraordinaire tenu en pleine course par le- satellite humain : tout est normal.
Voilà de ces choses qu'on peut affirmer les pieds en l'air, à 300 kms d'altitude
et que l'on ne pourrait pas dire sur terre. » ,
Pour la poésie :
Surmontons la mort pour respirer l 'éternité à pleins poumons
Et revenant des étoiles,
Des larmes plein les yeux,
Embrassons notre mère la Terre.
Par quelque biais que nous prenions cette rose des vents, nous voyons bien
finalement que l'enthousiasme l'a cédé à l'étonnement, que les affirmations
se sont réfugiées dans le contestable, que la méfiance a été le lubrifiant de
l'espoir. L'esprit menacé logiquement et politiquement a réagi sur le champ en
élaborant une sorte de système de neutralisation. Et autant en a emporté
le vent. L'habitude de monter au ciel est déjà prise : « II n'y a que le premier
pas qui coûte. » On n'a rien compris à cette fusée, comme on n'a rien compris au
téléphone ou à la radio,' mais on va s'en servir et ne plus y penser.
Quelques phrases auxquelles nous n'avons pas trouvé de répliques négatives,
résument peut-être toutes les autres.
Retenons-en trois pour conclure :
G. est seul comme — avant lui... la chienne Bielka (un journal).
C'est l'aboutissement d'un travail long et difficile (un savant russe).
J'en ai mal au ventre (un futur astronaute).

RELEVÉ DE PHRASES

Rosace, zone 1 :
— Le plus grand exploit de tous les temps.
— L'homme est entré vivant dans la légende des siècles.
— Tourner autour de la terre, dans le fond c'est un peu bête et ça m'intéresse moins
que le voyage dans la lune (un volontaire pour la lune).
— Le monde a engendré trois héros : Prométhée, Christophe Colomb, et Gagarine.
— Un homme comme les autres.
— Pour devenir un héros de l'espace, G. avait suivi les cours du soir.
— C'est fantastique, il faut être gonflé pour monter là-haut.
— Gagarine : en russe « canard sauvage ».

188
Gagarine sur la rose des cents de la presse parisienne

Tout Moscou l'appelle Gaga.


Sa chance a été d'être petit et mince.
C'est un fier gaillard... Bien bâti.
Il est fils d'un menuisier et d'une ménagère. — II est le fils d'un menuisier de cam
pagne — des yeux très clairs, très écartés reflètent une force tranquille, un profond
équilibre.
Pourquoi l'homme et non un robot ?... Parce que surtout le but suprême de toute
la science spatiale est la conquête du cosmos par l'homme et qu'il faut donc que
l'homme y aille.
C'est un pas vers la conquête de l'espace, mais il y a une différence entre conquête
et exploration (un savant français).
Il a pu décrire ce qu'il observait : « Le ciel est très sombre, la terre est bleuâtre,
je me sens très bien. » Ailleurs, il dit : « La visibilité est bonne. »
S'il avait pu voir quelque chose ce serait bien ; mais il n'a rien vu et il ne peut rien
nous raconter. La noirceur du milieu cosmique environnant, parsemé d'étoiles et
ne donnant pas la sensation de la profondeur de l'espace. Le pilote n'avait pas la
possibilité de voir à l'extérieur de la cabine.
Un système électronique permettait au pilote de voir ce qui se passait à l'extérieur.
Mais tout au long de son étonnant voyage, l'homme de l'espace n'a cessé de garder
les pieds sur terre... Il radiotélégraphiait : « Maintenant je vais rentrer chez moi. »
C'est formidable... Mais on s'y attendait. Pour l'instant il faut encore être un athlète
complet pour l'espace, je garde donc mes pieds sur terre.
J'en ai mal au ventre (un futur astronaute).
Ah ! je voudrais habiter Vénus avec mes trois petites filles... Je voudrais changer
de planète... Je suis volontaire (une mère de famille sans appartement).
Le premier homme de l'espace.
La tentative réussie de Gaga est la seconde. La première avait échoué.
Oui, mais il y a du mystère... En d'autres termes des hommes n'ont-ils pas été
lancés avant lui qui ne sont jamais revenus ?
Nul ne songera à contester ce prodigieux exploit.
Leurs expériences sont plus spectaculaires que les nôtres, mais les nôtres sont plus
utiles (un laitier U.S.A.).
Le culot, voilà le secret de la réussite des Russes, il fallait en avoir (un Français).
On a dit « beaucoup moins importante la performance que ne serait un traitement
du cancer ». Qui peut savoir ? Qui peut affirmer... que nos notions de l'espace et du
temps, ces données a priori de Kant, en sortiront parfaitement intactes ?
Convertir cette prouesse en exploit militaire serait un non-sens.
On ne pourra jamais empêcher la formation de deux clans... Exploit militaire et
plan humain.
Nous avons gardé résolument les pieds sur terre (conclusion de M. Terrenoire à
la suite d'un conseil des Ministres qui a eu lieu à la même heure que l'exploit).
A 200 kms au dessous de lui, c'est peut être Cuba, enjeu des rivalités russo-améric
aines... Tout cela semble dérisoire vu d'ici.
C'est à la foi que le chrétien demandera la juste mesure de l'événement... Pas de
valeur de salut.
Nos petits neveux... n'en seront pas moins obligés comme nous de régler les pro
blèmes de l'âme et de l'esprit qui seront l'essentiel de la condition humaine.
Part de notre être l'emporte sur le cosmos, car elle pense le cosmos et le cosmos
ne la pense pas (tiré de F. Mauriac par un journal).
L'homme exerce sa puissance par la machine, mais la machine ne peut en aucun
cas remplacer complètement l'homme, c'est là un des fondements de l'humanisme
socialiste.

189
Violette Morin

Rosace, zone 1 bis :


— Il est Russe.
— L'homme de l'espace aurait pu tout aussi bien être Américain.
— Nul doute que le savoir et le talent et le génie des Français, des Allemands de l'Ouest,,
des Italiens, des Anglais, des Scandinaves et des Américains auraient permis pour
le moins de faire match nul avec les Russes.
— Que les autres pays en fassent autant (Gagarine).
— Il faut reconnaître sportivement la nette avance des Soviétiques.
— Pourquoi l'ère spatiale est-elle ouverte par l'U.R.S.S. ? Avant de l'expliquer d'un
seul mot, saluons l'ancien ennemi, ce petit groupe de Peenemûnde qui, un matin
d'octobre 1942, lança pour la première fois un engin, le V2 ! au delà de l'atmosphère.
Hommage aux Allemands et à l'équipe Von Braun ! X 15 ou spoutnik, discover-
ou titan, tout engin qui a un moteur fusée, dérive de leurs découvertes.
— De l'époque du tsar à nos jours, d'innombrables chercheurs russes ont pensé, ont
cru à l'événement de l'ère astronautique... C'est un fait que cette foi a stimulé une
volonté invincible... Leur science mérite d'être célébrée au même titre que la valeur
sportive du nouveau héros Gagarine.
— Comme toute science, la science de la conquête de l'espace est née de la nécessité
de satisfaire les besoins matériels de la société humaine.
— Mais les Russes, eux, s'attachaient à accroître la puissance de leurs fusées pour-
qu'elles puissent transporter à des distances toujours plus grandes des projectiles
toujours plus terribles et plus volumineux.
— Un Soviétique a ouvert pour l'homme l'ère du cosmos... Du C. C. de l'U.R.S.S. r
« En ce jour solennel nous adressons une fois de plus au peuple et au gouvernement
de tous les pays un appel en faveur de la paix. »
— La victoire préfigure ce que sera dans un avenir proche la société communiste où,
dans la maîtrise des forces de la nature, l'humanité bâtira librement son propre-
bonheur (C.C. du P.C.F.).
— La puissance grandissante des Russes dans le domaine spatial est peut-être la
menace la plus forte de notre histoire (chef d'Etat Major U.S.).
— C'est un succès de propagande.
— La conquête de l'espace leur assure un avantage sur le plan politique.
— Les Russes ont gagné une bataille dans le domaine psychologique.
— Les Russes ont fait ça pour impressionner les peuples africains.
— Exploitation immédiate de ce succès par Moscou sur le plan politique.
— Victoire socialiste... Victoire de la paix.
— C'est la preuve de la supériorité absolue du communisme sur le capitalisme (presse-
d'Allemagne de l'Est).
— II importait davantage de secourir des millions de gens qui meurent de faim.
— C'est une grande victoire de l'homme et du socialisme.
— C'est un sale jour pour les Américains (un homme de la rue à Berlin).
— C'est bien fait pour nous (un homme de la rue U.S.A.).
— Maintenant j'espère que les Russes garderont l'O.N.U. en vie (Adlai Stevenson) ~
— Tous ces Américains scrutent le ciel. Ils auraient bien aimé que le premier homme-
soit l'un des leurs.
— Au nom du cosmos, je suis venu te saluer au nom des espérances de la terre... dira
l'homme soviétique (Nazim Hikmet).
— Les savants soviétiques et ce Gagarine sont de rudes lascars.
Rosace, zone 2 : •
— Je quitte la terre pour le bien de la terre, et mon seul dieu c'est l'homme (poème) ..
— Aujourd'hui c'est la fête de l'Ascension. Ce n'est pas l'Ascension d'un être supposé»,
inventé, miraculeusement envolé. Non, c'est un robuste et beau garçon de 27. ans,,
un jeune homme communiste. Il est monté plus haut que le ciel.

190
Gagarine sur la rose des cents de la presse parisienne-

— Comment ne pas évoquer à l'occasion de cette montée au ciel de l'homme commun


iste,les pionniers du communisme qui ont gravi les chemins escarpés de la route
du ciel.
— Si les communistes vont au ciel maintenant, il n'y a plus qu'à s'inscrire au chômage
(un ecclésiastique).
— De toute conquête scientifique, de tout progrès technique, de tout exploit cos
mique, le chrétien se réjouit, même si ceux qui en sont les auteurs n'en rapportent
la gloire qu'à eux-mêmes, même s'ils en tirent argument contre Dieu.
— L'homme conquérant de l'espace n'empiète pas sur les droits de Dieu. Il accomplit.
au contraire une mission : dominer le monde.
— L'homme maître de l'univers... Grandeur de l'homme... Fierté de l'homme... Orgueil
de l'homme s'il n'attribue qu'à soi-même la gloire de ses exploits.
— L'homme conquérant du cosmos manifeste d'une manière nouvelle et imprévue
qu'il a été façonné à l'image et à la ressemblance de Dieu.
— La preuve de la toute-puissance de l'homme. Les ascensions et les assumptions
ont été décrites comme de véritables déplacements de corps matériels dans l'espace
et comme étant des preuves de la toute-puissance divine. Aujourd'hui c'est l'homme
qui se donne à lui-même cette preuve de toute-puissance.
— Voilà en tout cas, le secteur du miracle une fois de plus entamé.
— Regardez-le bien : il est entré dans l'histoire, il s'agit d'un « homme véritable ».
— Comment les ailes lui ont poussé.
— Il revient du ciel... Regardez-le bien. Cet homme est immortel depuis ce matin-
L'homme « cet ange déchu qui se souvient des cieux » est maintenant capable d'y
retourner.
— Une voix venant de l'espace.
Rosace, zone 2 bis :
— Le pays qui a réalisé cet exploit est le pays où se réalisent dans la vie les espérances
de tous les exploités.
— Gloire au peuple soviétique (Maurice Thorez).
— Je considère l'exploit soviétique comme aussi déterminant pour l'humanité que la
naissance du Christ ou la découverte de l'anesthésie.
— Qu'ils soient (les savants russes) en dehors de toute arrière-pensée politique salués
et surtout que cette victoire fantastique demeure une victoire humaine.
— Le voilà donc, cet impérialisme soviétique... Le voilà, regardez-le bien : il est
monté à l'assaut du ciel. Il est dans les étoiles.
Rosace, zone 3 :
— C'est un cauchemar... Ça dépasse pour moi l'imagination et j'ai peur (une fleuriste)..
— C'est surnaturel et je prie pour que le but reste naturel (un agent S.N.C.F.).
— L'espèce humaine appelée à disparaître... La science créera-t-elle un sur-homme..^
ou risque-t-elle d'enfanter une bête nouvelle ?
— L'homme vient de prouver qu'il peut dominer la matière.
— C'est la preuve de la toute-puissance de l'homme.
— Le grand Aller et Retour.
Rosace, zone 3 bis ;
— La démesure de l'effort demandé au corps humain.
— L'humanité s'est libérée pour la première fois de sa vieille prison... Si nous y retour
nons(à notre « boule », la terre), c'est volontairement comme l'abeille revient au
fruit.
— Une ère nouvelle s'est ouverte comme par magie : l'ère des voyages cosmiques.
— Voici donc atteinte la « première vitesse cosmique ». Où commence l'espace ? A
quand « la grande vitesse cosmique », celle qui... marque l'évasion hors de l'empire-
terrestre ?

191
Violette Morin

— D'autres vols suivront de plus en plus nombreux, de plus en plus spectaculaires,


l'homme ira chercher les étoiles.
— Ainsi le vieux rêve de l'humanité, ce vieux rêve audacieux et fou caressé par des
êtres d'une exceptionnelle hardiesse, Vinci, Jules Vernes, Tsiolkoski, est devenu la
fulgurante réalité.
— L'homme spatial.
— Le satellite humain.
— (Quant au robot lui-même) : Vostok, engin intelligent, a « entendu », « vu et touché »...
la fusée était capable de « voir » et de « sentir » un objectif... « le sens de la vue »
de la fusée... les « yeux » de la fusée... celle-ci devenue « aveugle » se dirige à tâtons...
elle se dirigeait à « l'oreille »... le vaisseau est dote de « doigts » sensibles.
Rosace, zone 4 :
— Une prodigieuse victoire de l'homme.
— Une épreuve physiologique et psychologique sans précédent.
- — Le plus grand exploit de l'histoire des hommes.
— Cet exploit et celui de Christophe Colomb sont les deux grandes œuvres humaines
(Clostermann).
— D'Archimèdes à Sedov... La victoire de Youri Gagarine est aussi une victoire de
l'intelligence humaine dans son ensemble.
— On est si habitué maintenant aux « nouveautés », que je crois que les gens ne se
rendent même pas compte d'une telle réussite.
— Un très grand triomphe (un savant U.S.A.).
Rosace, zone 4 bis :
— Gagarine vaut-il mieux qu'un robot ?
— L'exploit de Gagarine ouvre aux hommes l'ère cosmique.
— Il regrette pourtant au fond de lui-même que son rôle soit si passif... Si G., est là
c'est seulement parce qu'il faut qu'un cobaye humain soit là pour couronner l'entre
prise... G. est seul comme avant lui les chiennes Strelka et Bielka.
— Une prouesse technique extraordinaire.
— Le vol de Vostok est essentiellement une victoire de la science, et c'est à travers la
science qu'il convient de l'apprécier.
— Ce premier pas mènera à d'autres réalisations (un savant U.S.A.).
— Le progrès implique le désir d'aller plus haut... et en même temps l'exploit est
facteur de progrès.
— Tout, malgré les ressources scientifiques inouïes mises à sa disposition, demeure
encore aujourd'hui très primitif. On en est par comparaison avec l'aviation au stade
de Blériot traversant la Manche.
— Ce n'est que du rase-mottes, vu à l'échelle de la distance de la lune... Mais il n'y a
• que le premier pas qui coûte (un savant français).
— Exploit comparable relativement parlant à celui de Lindberg, mais porté à la puis
sance 6 (un savant français).
— Hier on a inventé les avions, aujourd'hui les fusées, bientôt autre chose encore
(un homme de la rue).
— Les résultats scientifiques du vol seront partagés (Dr Sedov).
Rosace, zone 1 bis/4 bis ;
— Quel est le plan de la conquête du cosmos ?
— C'est avec une admiration sans mélange que les spécialistes du monde entier saluent
la performance extraordinaire de leurs confrères soviétiques.
— La nouvelle réussite des savants soviétiques 'est en même temps une prodigieuse
victoire de l'homme.
— C'est le couronnement d'une politique de recherche scientifique (un professeur
français).

192
Gagarine sur la rose des vents de la presse parisienne

— Une réussite qui n'affaiblit pas le monde libre (Kennedy).


— Cela fait vendre des journaux. Je ne fais pas de politique, mais devant des choses
comme celles-là il n'y a qu'à tirer notre chapeau, c'est le progrès (une marchande
de journaux).
— Déjà on parle aux U.S.A. de construire des fusées anti-satellites... C'est seulement
dans la coexistence pacifique que pourront être résolus des problèmes qui, au pre
mier abord, paraissent fantastiques, mais qui vont se poser bientôt : par exemple,
à qui appartiennent les routes du cosmos ? A qui les planètes ? A qui les sources
d'énergie qui seront découvertes dans l'univers ?
— La somme de ce qu'il faut découvrir est telle qu'elle devrait assurer au monde des
> siècles de paix dans l'émulation Est-Ouest.
— Les dimensions des nouveaux territoires à conquérir sont si vastes et les problèmes
techniques et scientifiques à résoudre pour les atteindre si complexes que pour
longtemps encore la rivalité Est-Ouest dans ce domaine sera forcément pacifique.
— Ode dédiée à la science soviétique : Gloire à nos géants de la science, Gloire, gloire,
gloire à nos mains travailleuses... Gloire, gloire, gloire...
— De Washington : un voyageur U.S. de l'espace dans les semaines qui viennent.
Rosace, zone 1/4 :
— L'aboutissement d'un travail long et difficile (un savant soviétique).
— Un tel exploit est facteur de progrès... Pour tout cela l'homme en personne est
indispensable. Ses sens sont imparfaits c'est vrai, mais il possède ce que n'a aucune
machine : la conscience (un savant soviétique).
— L'événement en soi est frappant, plus frappant humainement et psychologiquement
que techniquement (un directeur d'administration).
— On s'y attendait mais cela nous a fait plaisir (une mère de famille).
— Pas encore d'opinion... Je n'ai pas eu le temps de lire la chose (une femme dans la
rue).
— Vous me prenez au dépourvu ; au point de vue scientifique et humain, c'est une
grande aventure de curiosité (un chanoine).
— Le jour où l'on aura trouvé le moyen de lutter contre le cancer, je crierai victoire
(Jean Rostand).
— Je suis Anglais et je pense que l'homme qui a monté dans l'espace a réalisé « a good
thing » pour la science du monde entier.
— Un savant américain réveillé de nuit pour une interview : « Dites que nous dor
mons ».
— La grande réalisation scientifique de l'histoire humaine (un savant anglais).

Violette Morin.

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