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De la raison des Lumières à la raison illusionniste : considérations


anthropologiques sur la « schismocratie bolsonariste »

Article in Brésil(s) · June 2023

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2 authors, including:

Gabriel Bayarri
University of London
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Instruments for Interference in the Performance of the Brazilian Judiciary View project

Entendiendo a la extrema derecha global /Understanding global far-right View project

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Brésil(s)
Sciences humaines et sociales
23 | 2023
Un siècle de recensements au Brésil (1920-2020)

De la raison des Lumières à la raison illusionniste :


considérations anthropologiques sur la
« schismocratie bolsonariste »
Da razão iluminista à razão ilusionista: considerações antropológicas sobre a
« cismocracia » bolsonarista
From Enlightenment Reason to Illusionary Reason: Anthropological
Considerations on the « Bolsonarist Schismocracy »

Fabio Reis Mota et Gabriel Bayarri Toscano


Traducteur : Marion Aubrée

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/bresils/14929
ISSN : 2425-231X

Éditeur
​Editions de la maison des sciences de l'homme

Édition imprimée
ISBN : 978-2-7351-2065-9
ISSN : 2257-0543

Référence électronique
Fabio Reis Mota et Gabriel Bayarri Toscano, « De la raison des Lumières à la raison illusionniste :
considérations anthropologiques sur la « schismocratie bolsonariste » », Brésil(s) [En ligne], 23 | 2023,
mis en ligne le 31 mai 2023, consulté le 15 juin 2023. URL : http://journals.openedition.org/bresils/
14929

Ce document a été généré automatiquement le 15 juin 2023.

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- CC BY-NC-ND 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/
De la raison des Lumières à la raison illusionniste : considération... 1

De la raison des Lumières à la raison


illusionniste : considérations
anthropologiques sur la
« schismocratie bolsonariste »1
Da razão iluminista à razão ilusionista: considerações antropológicas sobre a
« cismocracia » bolsonarista
From Enlightenment Reason to Illusionary Reason: Anthropological
Considerations on the « Bolsonarist Schismocracy »

Fabio Reis Mota et Gabriel Bayarri Toscano


Traduction : Marion Aubrée

Nous aimerions remercier ici l’appui accordé à Gabriel Bayarri Toscano par l’International
Macquarie University Research Excellence Scholarship (iMQRES) et la British Academy/Royal
Society pour le financement de la bourse Newton International Fellowship qui lui a été attribuée.
Nous remercions également le projet Capes-PRINT intitulé « International Research Network on
Conflict Management in Plural Public Spaces: Inequalities, Justice and Citizenship in a
Comparative Perspective » [Réseau International de recherche sur la gestion des conflits dans les
espaces publics pluralistes], le programme « Directeurs d’études associés » de la Fondation
Maison des sciences de l’homme, Paris, France, 2021, le Programme de soutien à la recherche de
base (APQ1) de la Fondation de soutien à la recherche de l’État de Rio de Janeiro (Faperj) et la
Bourse de Productivité du CNPq, coordonnés par Fabio Reis Mota.
1 Cet article est le résultat d’un travail construit en réseau, à partir d’un ensemble de
recherches que nous avons élaborées au cours de nos carrières académiques au Brésil et
à l’étranger. L'un d’entre nous, Gabriel Bayarri Toscano2, a fait une immersion
ethnographique durant les mois de juillet à novembre 2018 parmi les sympathisants du
candidat à l’élection présidentielle Jair Messias Bolsonaro. Ce travail de terrain, conduit
dans l’État de Rio de Janeiro, a débuté avant le début de la campagne électorale et s’est
terminé après la fin de celle-ci. L’utilisation de la caméra ainsi que du cahier de terrain

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ont été des outils fondamentaux de documentation au jour le jour. Au cours de ces
mêmes mois j’ai accompagné divers sympathisants bolsonaristes, dont le seul lien était
l’approbation de cette idéologie. J’ai également côtoyé Jair Bolsonaro, Wilson Witzel et
Flavio Bolsonaro. J’ai, par ailleurs, échangé avec plusieurs candidats au Sénat, à la
Chambre des députés fédéraux et à l’ALERJ (Assemblée législative de l’État de Rio de
Janeiero), tous liés au candidat à la présidence de la République. Parallèlement, diverses
histoires de vie de personnes, aux profils différents, qui pensaient voter pour
Bolsonaro, ont été recueillies, révélant leurs motivations profondes. Cela s’est fait en
accompagnant leur vie quotidienne (repas, conversations en famille, promenades,
participations aux manifestations).
2 Le matériau recueilli par le second d’entre nous, Fabio Reis Mota, est issu de la
compilation d’informations ethnographiques à partir de conversations, d’informations
sur WhatsApp des groupes bolsonaristes, d’interactions et de conversations menées
dans leurs milieux de proximité fournis par leur réseau familial. Cette étude est venue
en complément du travail de terrain original et immersif produit par Gabriel Bayarri
Toscano.
3 La préparation et le processus de travail de terrain ont été discutés entre nous. Notre
intention principale, dans ce texte, consiste à développer à partir de la substance
ethnographique du travail de terrain, différentes dimensions de ce que l’un d’entre
nous avait construit par ailleurs, à partir d’autres univers empiriques, et désigné
comme « régime de schisme » ou « raison schismatique » (Mota 2018 et 2021 ; Mota &
Velásquez Peláez 2021 ; Mota & Kant de Lima 2022). À ce propos, il est important de
souligner que notre intention n’est pas de formater et d’encadrer l’instrument
analytique dans une sorte de « manuel du schisme ». Tout au contraire, nous pensons
que le travail anthropologique de modelage de l’outil analytique peut aussi se
constituer à partir d’autres références interprétatives permettant d’orienter notre
vision vers d’autres phénomènes sociaux3. Notre exégèse anthropologique est, en ce
sens, « composite ». Autrement dit, elle s’articule avec d’autres éléments qui nous
aident à percevoir les évidences symboliques qui se présentent aux yeux de
l’ethnographe (Cardoso de Oliveira 2002), de façon parfois harmonieuse ou pas du tout.
Il s’agit d’un autre angle possible pour scruter le monde social et mettre en évidence le
phénomène « Bolsonaro » et le « bolsonarisme » à partir des outils analytiques
développés autour de la notion de « régime de schisme » ou « raison schismatique ».
4 Il est très important que le lecteur comprenne que, de notre point de vue, les êtres
humains sont constitués d’une multiplicité de formes, de façons d’agir et de penser qui
nous empêchent de transformer les explications sociologiques et anthropologiques en
capsules fermées sur ce qui se passe dans l’esprit humain et dans le monde social. La
« raison » telle que nous la connaissons – au moins depuis que, en 1619, René Descartes
a posé quelques pierres fondamentales d’une raison éclairée dans son Discours de la
méthode – se serait convertie au cours des deux derniers siècles en un terrain solide et
fertile pour la vie humaine des Occidentaux. Pourtant, en cette ère cybernétique et
technologique du XXIe siècle, la dimension « sablonneuse » de l’esprit humain et ses
fractures internes sera toujours présente. C’est pourquoi nous nous référons à la
« raison schismatique » ou « régime de schisme » comme une propriété de l’agir et du
discours humain qui se pare d’éléments cognitifs et symboliques différents de ceux qui
appartiennent à la « raison des Lumières ». Depuis un point de vue individuel, le
« schisme » peut être interprété comme le produit d’une rupture entre le plan du

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raisonnement et celui des folies ou des rêves se transformant en certitudes qui


viennent contredire les faits réels. Néanmoins, élaboré depuis un point de vue
anthropologique, le « schisme » est un bon chemin pour pénétrer l’architecture de la
pensée des acteurs dont les bases sont consolidées par des logiques produites dans un
monde où préexistent des certitudes et des convictions sur les choses et les personnes.
Ceci se construit grâce à la formulation de jugements qui ne sont pas soumis à une
critique substantive susceptible, éventuellement, de diluer le corpus du « schisme ».
C’est dire qu’il existe un décalage entre « l’action de communication » propre au monde
libéral, où opère la méfiance envers l’ambiance démocratique, et l’action construite par
le régime schismatique qui pétrifie et congèle les certitudes absolues en forgeant,
comme nous le discuterons plus avant, les bases d’une schismocratie.
5 Dans ce but, nous avons choisi, sur le plan méthodologique, de commencer ce texte par
une description ethnographique afin de renforcer l’importance et la potentialité réelle
de la méthode ethnographique telle qu’elle s’est constituée au cours de l’histoire de
l’anthropologie. Il faut mettre en évidence que notre texte s’inspire d’une large
tradition sociologique et anthropologique qui anthropologique qui utilise les catégories
sociales comme porte d’entrée pour comprendre les schémas explicatifs des acteurs et
des mondes dans lesquels ils s’inscrivent (Desrosières & Thévenot 1988 ; Boltanski &
Thévenot 1991 ; Thévenot 2006 et 2007 ; Kant de Lima 2008 ; Cardoso de Oliveira 2002 ;
Peirano 1995 ; Mota &Vélasquez Pelaez 2021 ; Pires 2011). Pour des raisons académiques
et de coopération scientifique internationale4 nous avons opté pour dialoguer dans un
style sociologique communément qualifié de « pragmatique » pour faire avancer un
dialogue international qui a donné de bons résultats pour les Brésiliens et pour les
étrangers5.

Rites schismatiques
6 Le matin du 28 octobre 2018, nous sommes allés dans une école primaire, l’un des
bureaux de vote du quartier Barra da Tijuca, zone de hauts revenus de Rio de Janeiro.
Les personnes qui portaient des autocollants du PT [Parti des travailleurs] ou de « Ele
Não » [Pas lui]6 se souriaient, se saluaient et échangeaient un « Ça va tourner » qui se
référait à l’espoir que Fernando Haddad puisse gagner les élections générales. Malgré
les sondages, les secteurs progressistes continuaient d’espérer. Au cours des dernières
semaines l’idée que Jair Messias Bolsonaro était dangereux et agressif s’était renforcée
et il fallait ne pas oublier d’emporter un livre au moment de voter. L’idée à transmettre,
face aux vidéos enregistrées au premier tour de personnes qui votaient en portant une
arme, était qu’il fallait « plus de livres et moins d’armes ». Ainsi, on créait une
ambiance qui soutenait une raison schismatique face à la forte polarisation présentée
dans ce rituel électoral : livres vs armes, « Pas lui » vs « Lui, oui » ou peace and love vs
violence contre les autres.
7 Une file énorme tenait tout le trottoir jusqu’au bureau de vote, chacun attendant
tranquillement son tour. Plusieurs personnes avaient revêtu un tee-shirt jaune de
l’équipe nationale de football ou des chemisettes jaunes et vertes ou, encore, des tee-
shirts avec les mots « Mon parti c’est le Brésil », claire référence à la composante
patriotique et antipartis du « discours bolsonariste7 ». Nous avons commencé à parler
avec les personnes qui portaient ces couleurs liées à celles du drapeau brésilien. Dans la

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file un homme disait « Au Brésil on aime venir voter avec le tee-shirt de la "sélection"
ou "Mon parti c’est le Brésil", ou "Mon candidat c’est Bolsonaro" 8 ».
8 Nous avons continué à marcher le long de la file et, parmi les nombreux visages et
corps qui s’alignaient dans cet espace de rituel politique et électoral, diverses rumeurs
se propageaient. « Ils disent qu’il y a déjà eu des fraudes pour faire perdre Bolsonaro »
s’exclamait une femme9. « On dit que Bolsonaro a déjà gagné » disait un homme 10. Un
groupe de jeunes nous a expliqué : le Brésil est un pays riche où il y a du désordre, de la
violence, un manque de services de base comme l’éducation et la santé, et de la
corruption. Ils en rendaient responsables le PT de Lula et assuraient que « le peuple
était lassé de l’élite et de la grande presse » et que Bolsonaro, bien qu’il ne soit pas
parfait et qu’il ait une pensée arriérée, pourrait changer la situation. Tout au long de la
file, des personnes semaient l’idée qu’une fraude électorale était en cours et que celle-ci
pourrait avoir été déjà commise, faisant preuve de beaucoup de méfiance. « L’esprit du
soupçon » a continué de rôder sous le ciel de la journée électorale avec des airs de
schismes qui enveloppaient les mots et les gestes des partisans de Bolsonaro.
9 Après plusieurs heures d’attente, nous sommes entrés dans le bureau de vote où les
personnes devaient montrer leur carte d’électeur au préposé à la table électorale. Sur
les murs des dessins d’enfants arboraient les mots « Démocratie et paix ». Une
professeure du quartier nous a dit « Vous voyez ces images ? Démocratie et paix, c’est
ce que nous voulons pour nos enfants. En même temps, la jeune femme faisait un geste
énergique, tout en reconnaissant que son père voterait lui aussi pour Bolsonaro 11.
10 La campagne électorale était arrivée à son climax et se présentait comme un récit
construit en des termes belliqueux et fortement émotionnels, en une victoire du
« bien » contre le « mal ». Dans cette situation exceptionnelle, pour faire que le « bien »
gagne, et sans se préoccuper des sondages, les personnes recourraient à des prières, à
des objets totémiques ou à des pratiques ésotériques qui pourraient aider leur candidat
dans les derniers moments du rituel de ce temps électoral (Palmeira & Heredia 1995).
C’était une démonstration de l’intensité du « régime de schisme » (Mota 2018, 2020a,
2021).

La victoire de Bolsonaro vue depuis le trottoir devant


sa maison : rituel de passage vers la schismocratie
11 Et l’apogée fut atteinte durant la soirée. Vers 18 heures un homme s’écria « Seize ans à
attendre ! Brésil au-dessus de tous ! Dieu au-dessus de tout ! Le Brésil est à nous ! » et il
inonda de champagne la porte de la résidence de Bolsonaro, au 3 300 de l'avenue Lucio
Costa, dans le quartier chic de Barra da Tijuca. Des milliers de personnes s’étaient
rassemblés là pour célébrer la victoire du nouveau président du Brésil, Jair Messias
Bolsonaro, avec 55,13 % des votes validés (57 796 986). En ce jour de second tour des
élections, plus de 147 millions de Brésiliens avaient été appelés à voter pour élire leur
futur président de la République et Bolsonaro avait gagné face à Fernando Haddad,
substitut de l’ex-président Lula en raison de l’inéligibilité de ce dernier 12.
12 Les résultats furent projetés sur un immense écran et cela devint officiel. Une personne
noire vêtu de la tenue militaire des parachutistes nous dit « 100 % décidé, Bolsonaro
président13 ! ». Tout le monde commença à agiter des drapeaux. Puis ce fut le moment
crucial : la foule habillée de vert et jaune commença à entonner l’hymne brésilien,

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euphorique et, pour la première fois au cours de la campagne, sans musique


d’accompagnement. Maintenant, c’étaient eux les protagonistes et ils se rappelaient
avec orgueil les paroles et la mélodie de l’hymne national, et ils chantaient à pleins
poumons tout en faisant un salut du genre romain. Pour ceux qui étaient là, il s’agissait
du passage vers une nouvelle époque. Interpréter Ó Pátria amada a capella en était le
signal. Bolsonaro avait gagné dans tous les profils sociaux : populaires, moyens et
supérieurs (Nicolau 2020). Pour nous, il s’agissait d’une manifestation de la manière
dont la schismocratie se donnait un corps et une forme. Les feux d’artifice zébrèrent le
ciel, les palmiers et l’océan de la plage de la Barra. La foule emplissait l’immense avenue
de ses cris, de ses coups de klaxon et de ses sifflets. Il y avait des enfants, des vieillards,
des personnes noires, des familles entières qui pleuraient en s’embrassant. Les
sympathisants portaient des tee-shirts, des chapeaux et divers objets marqués au nom
du mito [le mythe]14 qui étaient proposés sur les trottoirs sous les parasols des vendeurs
ambulants de bière et de popcorn. L’un d’entre eux nous dit, tout joyeux, « de toute ma
vie je n’ai jamais vendu autant de drapeaux du Brésil15 ».
13 Durant la campagne électorale on avait constamment eu recours à une délégitimation
des faits, comme dans le cas du « Kit Gay » ou du « biberon à bite », diluant ainsi un
monde supposément régi par le principe de confiance. Les sympathisants
développaient un tout autre principe, celui d’un schisme profond, sans arguments
factuels et, la plupart du temps, fondé sur la croyance dans des symboles tels que le
drapeau ou l’hymne national, sans que soient mises en question les bases empiriques et
comparatives de leurs sources, ce qui les empêchait de négocier un quelconque
principe de méfiance avant d’atteindre un accord.
14 Tout le monde attendait le discours du président. Pour des raisons de sécurité 16,
Bolsonaro allait parler en direct sur Facebook Live, comme il l’avait fait durant les
dernières semaines. Lorsqu’il commença, il y avait sur l’écran une femme qui traduisait
en langage des signes et, à son côté, son épouse à qui il donna un baiser sur la joue. Les
personnes criaient à tue-tête tous les mots d’ordre qui avaient été popularisés durant la
campagne électorale : « Oooh le capitaine est arrivé ! », « Dehors le PT ! », « Lui, oui »,
« Notre drapeau ne sera jamais rouge » ou « Un, deux, trois, quatre, cinq, mille, nous
avons Bolsonaro pour président du Brésil » et « Je suis venu gratis 17 ! ». Un père
saisissait le bras de son fils tout jeune et l’enfant répétait avec la foule « Mythe, mythe,
mythe ». Le discours de Bolsonaro consista en un appel à l’unité à la suite d’une
campagne caractérisée par la construction de l’ennemi à partir d’un schisme, c’est-à-
dire d’une rupture entre deux pôles opposés. Les arguments et les représentations qui
le caractérisaient étaient les objets d’une conviction rigide et consolidée par l’anti-
pétisme (Bayarri Toscano 2022a) qui conduisait les bolsonaristes vers une
compréhension stable des faits. Le président montra devant lui trois livres : celui de
l’auteur Olavo de Carvalho18, intitulé O mínimo que você precisa saber para não ser um idiota
[Le minimum que vous devez savoir pour ne pas être un imbécile] (Carvalho 2013), livre
culte pour les sympathisants du bolsonarisme ; la Bible, en hommage aux croyants,
chrétiens et évangéliques, qui ont joué un grand rôle dans le résultat des élections ; la
constitution, une référence à la « poigne de fer », respectueuse de la loi et à la promesse
de « mettre de l’ordre dans la maison ». L’emploi de ces trois livres montrait le rôle des
objets schismatiques, capables d’articuler la rhétorique et la croyance entre les « types
schismatiques19 ». En outre, le président cherchait aussi à renforcer l’idée que son
gouvernement serait démocratique, qu’il respecterait la constitution, s’opposant ainsi
aux fréquentes attaques dont il avait fait l’objet de la part de ses adversaires qui le

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considérait comme un sympathisant de la dictature militaire. Nous avons interrogé un


homme de 80 ans sur la signification de ces trois livres et il nous a répondu, plein
d’illusion : « Ces trois livres sont ceux qui construisent le projet Bolsonaro, ce jour est
historique pour le Brésil, je n’avais jamais pensé que je pourrais voir une telle chose, on
va boire pour célébrer ça20 ! »
15 Le bruit de la foule permettait à peine d’entendre le discours du président mais son
image, projetée, paraissait être plus importante que ses mots, car les « schismatiques »
n’avaient pas besoin d’écouter des paroles qui ne faisait que répéter une croyance déjà
cristallisée. Sous son image totémique (Durkheim 2011 [1912]) les sympathisants
s’étaient organisés, s’étaient émus, avaient réuni plusieurs courants idéologiques. En
définitive, cette représentation avait rendu leur illusion à des « électeurs
schismatiques ». Bolsonaro conclut : « Ce que je veux le plus c’est suivre les chemins de
Dieu... Et une mission ne se choisit ni ne se discute, elle s’accomplit. Nous, tous
ensemble, assumerons la mission de sauver notre Brésil. » Il revendiquait ainsi la
fonction héroïque, militaire et divine qui incombait à son mandat.
16 Après son discours nous avons échangé avec plusieurs sympathisants. Ils faisaient des
blagues en comparant les résultats avec ceux de la ligue de football nationale et ils
répétaient : « Nous sommes heureux, heureux, heureux !!! » ; « Le Brésil avait besoin
d’un changement ! » ; « Nous ne voulons pas le mal, nous voulons le bien. Bolsonaro
représente une nouvelle façon de vivre, il faut transformer nos cœurs ! ». Un homme a
cheveux longs et portant une casquette verte s’exclama en pleine euphorie : « Nous
sommes soulagés, nous avons récupéré le Brésil, s’en est fini du communisme ; le PT
plus jamais, ce parti de bandits, d’assassins, de vagabonds, associé aux dictatures du
Venezuela, du Nicaragua, de Cuba ; déchets, déchets humains ; l’humanité veut la
démocratie, le Brésil est démocratique, nous l’avons récupéré, Amen !!! Nous sommes
Jesus-Christ ressuscité !!! » Un autre homme, à la moustache fine et portant un tee-shirt
de l’équipe nationale brésilienne, expliquait : « Lui [Bolsonaro] sauve notre espoir de
liberté ; avec lui nous sommes libérés du socialisme, du communisme que la gauche
voulait implanter dans notre pays. Grâce à Bolsonaro nous allons nous libérer de cela et
de la corruption. Il va lessiver le Congrès avec de l’acide ». « Il est notre héros » ont
conclu deux adolescents. Un jeune, noir, qui marchait sans chemise et avec des adhésifs
de Bolsonaro sur le corps s’est exclamé : « Mythe, légende, Bolsonaro est le meilleur
président du Brésil !!! » Puis, en même temps qu’il simulait un tir de mitraillette avec
ses bras : « Pampampampam21 !!! » Les diverses scènes montraient comment, depuis
l’année 2013, s’était configurée dans l’espace public une « guerre culturelle » dans
laquelle l’anti-pétisme était devenu le trait principal de l’extrême-droite bolsonariste
tout en assimilant le modèle politique d’un traditionalisme conservateur (Solano,
Ortellado & Moretto 2017 ; Pinheiro-Machado & Scalco 2020). Elles montraient aussi la
capacité d’absorption de diverses interprétations que les acteurs donnaient à la
signification même du bolsonarisme (Rocha, Solano & Medeiros 2021).

Comment une élection se transforme en un


événement
17 Marshall Sahlins dans Islands of History (1987) souligne que les événements
(phénomènes, actions, situations, catastrophes) peuvent souffrir d’innombrables
altérations du fait des interprétations et significations que les différents acteurs leur

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prêtent. L’élection présidentielle, grâce au travail symbolique dont elle a été l’objet, est
devenue un événement, acquérant ainsi une multiplicité d’acceptions dans les diverses
pensées et pratiques. Le jour des élections a été forgé par certaines exigences morales,
politiques et symboliques qui ont acquis tout un réseau de sens nouveaux à travers
l’exercice explicatif et interprétatif déployé par les personnes inscrites dans cette
« épreuve ». En définitive, des situations comme cette violente campagne électorale
étaient porteuses d’incertitudes et d’inquiétudes qui, jusqu’alors, avaient été assumées
comme principes constitutionnels et qui, là, sont entrées dans un univers complexe de
justifications. Ceci a autorisé les acteurs et les sympathisants bolsonaristes à recourir à
une série de composants discursifs, normalisateurs de la violence et de la « croyance
schismatique », mais aptes à attribuer un sens plus ou moins généralisable parmi ceux
qui étaient rattachés au phénomène bolsonariste (Boltanski & Thévenot 1991).
18 Depuis la perspective qui est la nôtre ici, nous avons cherché à faire un examen
systématique d’un pluralisme qui divise la vie en société, sans que cette division ne soit
réduite à des problèmes de classes ou de groupes d’intérêts. Elle ne peut pas être
référée à des collectifs non plus qu’aux seuls individus, parce qu’elle trouble les
personnes elles-mêmes. De fait, cela correspond aux régimes variés des engagements
dans le monde de chacun. Notre approche est politique et morale dans le sens où la
délimitation de chaque régime tient compte du type de valorisation et de dévaluation
qui le guide. Elle est aussi réaliste car chaque régime se distingue par une manière
spécifique de percevoir la réalité en jeu (Thévenot 2006).
19 À partir de ces orientations analytiques et en scrutant les événements mis en valeur
dans le Brésil de Bolsonaro et aux États-Unis de Donald Trump (entre autres cas
internationaux), nous entendons considérer la pluralité des formes qui configurent les
démocraties sans oublier de considérer d’autres variables et facteurs qui ont contribué
à la compréhension du bolsonarisme et d’autres mouvements d’extrême-droite dans le
monde. En ce sens, nous pouvons, avec Thévenot, considérer plusieurs types de
grandeurs :
Dans la grandeur civique, le bien commun est celui d’une solidarité collective qui
contribue à l’égalité. Au représentant élu, au porte-parole, est reconnue cette
grandeur, de même qu’au collectif constitué. Dans la grandeur industrielle, le bien
commun est celui de l’efficacité technique dont peut se prévaloir le professionnel
qui « assure » pour les autres. (Thévenot 2006, 217)
20 Ici, c’est la « grandeur schismatique » qui nous intéresse, celle qui voit le bien commun
comme l’agrégation de valeurs partagées entre des semblables qui sont homogènement
égaux. On reconnait à celui qui a été élu une capacité suprême à faire de la politique.
Dans le « régime de schisme », la confiance/méfiance, cet appareil cognitif qui provient
de l’héritage du libéralisme politique, est diluée. En tant que dispositif cognitif et
moral, la méfiance, comme nous la connaissons, a occupé une place dans le monde
libéral ordonné à partir de la primauté de la raison, de la centralité des droits
individuels et de la possibilité de forger des arguments consensuels.
21 Dans une période antérieure à celle des Lumières européennes, caractérisée par une
compréhension et une logique holistique du monde (Dumont 1983), où la confiance
était externe à l’individu, les réponses se trouvaient hors des personnes. Toute la vérité
sur les représentations du monde venait d’un Être omniprésent. Dans ces conditions, la
légitimité et la compétence pour construire leurs propres vérités n’étaient pas
garanties aux « personnes » (Eco 1980).

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22 Dans le libéralisme, la confiance en soi-même – avec l’apparition de la notion de self –


permet la création d’un espace public, dans lequel le binôme confiance/méfiance joue
un rôle central pour le développement du capitalisme et des systèmes démocratiques
dans les pays occidentaux. Le libéral Adam Smith dans La Richesses des nations (1776),
attire l’attention sur la centralité de la confiance (trust) dans le marché pour une
économie libérale. Le philosophe J.-J. Rousseau développe une conception de la
politique à travers la représentation de la voix des citoyens, qui octroie à quelqu’un la
légitimité pour parler au nom de la volonté générale et du bien commun. Nous confions
à l’autre la légitimité pour parler au nom d’un collectif. Néanmoins, ces fondements de
la politique, basés sur la confiance semblent s’être érodés avant même la victoire du
capitaine Bolsonaro.
23 Malgré ses 27 ans à la Chambre comme député fédéral, Bolsonaro s’est présenté avec
succès comme un outsider du système politique, comme un « homme du peuple ». Pour
la première fois, dans la jeune démocratie brésilienne, un militaire allait être le
président du pays, un militaire qui avait créé la polémique en s’attaquant aux afro-
descendants, aux immigrants, aux femmes et à la communauté LGBTI 22. Bolsonaro
s’était aussi déclaré en faveur de la torture et n’avait pas hésité à affirmer que « l’erreur
de la dictature ne fut pas de torturer mais de ne pas tuer » (phrase répétée dans des
entretiens en 2008 et 2016).
24 Au cours de sa carrière politique, le nouveau président du Brésil avait aussi proposé en
diverses occasions de fermer le Congrès et de confier le contrôle politique de la nation
aux militaires. En 1999, le député d’alors s’était exclamé dans le programme télévisé
Câmara Aberta [Caméra ouverte] que, pour changer le Brésil, il fallait s’engager dans
une guerre civile, car le vote importait peu. Et il avait ajouté qu’il fallait « tuer au moins
30 000 personnes, en commençant par l’ex-président brésilien Fernando Henrique
Cardoso [1995-2003] ». Cette même année 1999 on lui avait demandé, au cas où il soit
élu président, s’il fermerait le Congrès. Il avait répondu qu’il demanderait
l’intervention des forces armées : « N’ayez pas le moindre doute, je suis en faveur d’une
dictature, d’un régime d'exception. » Bolsonaro défendait de façon agressive le travail
de la Police militaire, notamment après le massacre de la prison de Carandiru (São
Paulo) en 1992 durant lequel la Police militaire avait tué 111 détenus qui s’étaient
rebellés. À cette occasion, il avait affirmé : « Il y a eu peu de morts, la police aurait dû
en tuer mille. » L'année même de l’élection il avait repris l’antienne selon laquelle la
violence se combat par plus de violence : « Le policier entre, résout le problème et, s’il
tue 10, 15 ou 20, avec 10 ou 30 tirs sur chacun, il doit être décoré et non pas dénoncé. »
Bolsonaro avait été jusqu’alors un député fédéral du « bas clergé », autrement dit
faisant partie de ceux qui sont considérés comme ayant peu d’influence et qui
défendent une rhétorique et une politique agressive et minoritaire. Pourtant,
maintenant c’était son projet qui avait vaincu dans les urnes, un projet pour un pays
militarisé qui défendait et reconnaissait l’emploi et l’organisation de la violence de la
part de l’État, fondé principalement sur la production d’un schisme sur un schisme.
Après la victoire de l’extrême-droite surgissait tout naturellement la question :
Sommes-nous donc en route pour une schismocratie ?

Brésil(s), 23 | 2023
De la raison des Lumières à la raison illusionniste : considération... 9

Le « régime de schisme »
25 La catégorie « schisme » a différentes acceptions sémantiques en portugais, espagnol,
anglais ou français. Dans ces trois dernières langues, son emploi en tant que substantif
masculin se réfère à la séparation des adeptes d’une religion (le schisme d’Orient), la
division ou la rupture dans un groupe. Dans l’usage ordinaire du Brésil – ainsi que dans
les dictionnaires de langue portugaise – cette catégorie peut aussi être utilisée comme
substantif féminin (cisma) pour désigner, selon le dictionnaire Michaelis (Weiszflog
1999) :
26 1) une pensée fixe sur quelque thème ou idée, fixation, manie, obsession ;
27 2) une opinion erronée, sans fondement, une intuition, un pressentiment ou un
sentiment ;
28 3) une idée vague ou chimérique : rêverie, divagation, délire ;
29 4) manque de confiance, peur d’être trompé, crainte, soupçon, incrédulité ;
30 5) opinion erronée : idée ou conviction qui manque de fondement ;
31 6) sentiment défavorable qui n’a pas de base ni de raison d’être, embarras,
prévarication ;
32 7) impulsion soudaine qui surgit sans motif apparent, colère, caprice, entre autres
significations qui se réfèrent à la construction d’une explication fortement formulée
comme certitude absolue sur une chose, sur un phénomène, sur une représentation ou
une idée du monde ou sur une définition unilatérale et non dialogique de l’identité ou
du rôle social d’une personne qui est l’objet d’une cisma.
33 Dans le monde des algorithmes d’Internet que nous confinent dans nos bulles
informatives, dans celui de la diffusion et de la consolidation des fake news, des formes
modernes de communication comme WhatsApp, dans celui de la claustration issue des
effets sociaux de la pandémie du virus Sars-Cov-2, dans la dynamique interactive, avec
l’apparition de mouvements d’extrême-droite, le « régime de schisme » au sens où la
langue portugaise l’entend (Mota 2018 et 2021) a été l’un des supports centraux des
actions humaines au Brésil et dans d’autres pays. Les arguments d’autorité sont passés
aux mains des influenceurs, individus qui, en raison de l’énorme volume d’information
disponible sur les réseaux et de l'évidente difficulté à vérifier leurs sources, se sont
convertis en « hérauts de la vérité », d’une vérité ramenée à leurs propres opinions et à
leurs témoignages, les seuls qui fondent et valident la connaissance qu’ils transmettent.
Nous assistons au surgissement de « gourous », personnes influentes dont l’autorité est
auto-proclamée puisqu’ils rejettent la validation de leurs connaissances par les
institutions de savoir ou par la science établie. Cela peut donner lieu à des mouvements
en faveur de la Terre plate (et non ronde), aux anti-vaccins et aux théories
conspiratrices qui dominent l’esprit de tant de gens autour de la planète. La pandémie
du virus Sars-Cov-2 a fait fleurir ces formes de fonctionnement par le schisme au
détriment de l’appareil cognitif de la méfiance, secouant certains fondements centraux
des systèmes démocratiques comme l’argumentation consensuelle, la confiance et
l’emploi des attributs rationnel-logico-cartésiens. Cette relation des réseaux sociaux
avec les nouvelles formes autoritaires de l’extrême-droite a fait l’objet de diverses
conceptualisations qui aident à synthétiser ce type d’articulation, comme « extrême-
droite pop » (Goldstein 2019) ou « populisme digital » (Cesarino 2020). Parmi les
instruments cognitifs et moraux les plus importants pour l’existence collective du

Brésil(s), 23 | 2023
De la raison des Lumières à la raison illusionniste : considération... 10

monde des révolutions post-bourgeoises, il faut donner toute sa place à l’altérité ainsi
qu’à la différence et à l’étrangeté de l’autre. C’est là que se réalise notre condition de
sujet dans la société et que se fonde notre travail de singularisation et de
différenciation du « moi » dans le monde du self (Lévi-Strauss & Pouillon 1970 ; Mead
1934 ; Ricoeur 2004).
34 Comme nous l’avons dit auparavant, la méfiance est un héritage du libéralisme
politique. Dans ce contexte, la reconnaissance de l’autre est impérative pour la
formation de l’auto-connaissance, comme les écrits philosophiques de Hegel le
postulent. Dans la méfiance, le soupçon est éphémère et peut être négocié entre les
parties impliquées dans l’interaction, tandis que dans le schisme, au contraire, la
négociation est suspendue et on voit s’imposer, unilatéralement, une vision rigide des
choses et des personnes. C’est ce qui permet à ce régime de s’alimenter d’éléments anti-
factuels, pérennes et immuables aux yeux du schismatique, comme dans le cas du
prétendu « Kit Gay » et de quelques autres recours construits par les bolsonaristes pour
réaffirmer des certitudes et des convictions bien consolidées.

Une mobilisation schismatique


35 La différence entre le schisme et la méfiance a de fortes répercussions sur la façon de
faire démocratie (d’engendrer cet espace d’individus libéraux qui participent d’un
monde d’argumentation consensuelle et justifiable) ou, au contraire, si l’on nous
permet de risquer un néologisme, une schismocratie23 (un univers dans lequel les
individus construisent leurs opinions sur une chose, un phénomène ou sur l’identité
d’une personne à partir d’une base très rigide et hermétique). Dans cette seconde
perspective, on abandonne le projet d’élaborer un espace interactif, dans lequel les
personnes s’engagent dans le processus de construction consensuelle des faits et des
choses où l’autorité de l’argument rationnel, logique et cartésien a sa place. Prévaut
alors l’élaboration de la « vérité » sur les faits et les choses à partir d’un désaccord sans
fin, où règne l’argument de l’autorité de la personne qui définit les « faits », les
« choses » ou les « personnes », y compris au détriment de la dimension empirique. Si la
démocratie tend à rendre légitime l’accord et les arguments factuels et consensuels, la
schismocratie, en revanche, vise à conformer des espaces où existe une forte rupture de
la communication entre les parties impliquées dans les relations sociales.
36 Le travail ethnographique a permis de percevoir la façon dont s’est imposé le
raisonnement schismatique et la polarisation des opinions et discours, ainsi que la
diffusion de conceptions fortement schismatiques sur de nombreux thèmes. Sur le
terrain, il était également possible de se rendre compte que les performances et les
danses étaient des ressources importantes pour la construction de lieux communs
(Thévenot 1997) : plusieurs personnes dansaient sur des musiques qui alternaient des
versions de « Let it be » des Beatles avec la musique du film « Tropa de Elite », sur
laquelle les participants tenaient leurs bras comme s’ils portaient un fusil 24.
37 « Tu es pour Bolsonaro ou pour le PT ? » demandait en souriant à chaque voiture un
homme qui visait les occupants avec un gourdin de bois. Une femme donna un baiser à
une batte de baseball gonflable qui portait un portrait dessiné de Bolsonaro et qu’elle
utilisait pour taper sur les véhicules tandis que son amie formait avec ses mains un
cœur. Dans une mise en scène de l’héroïsme, un homme déguisé en Iron Man se plaça
au milieu de la chaussée, arrêtant les voitures et criant « Brésil au-dessus de tous, Dieu

Brésil(s), 23 | 2023
De la raison des Lumières à la raison illusionniste : considération... 11

au-dessus de tout, je suis venu gratis !!! » Des sympathisants avaient représenté une
voiture pour l’offrir à Bolsonaro : c’était une décapotable (comme la voiture utilisée le
jour de l’inauguration de la nouvelle présidence à Brasília) ; elle était accompagnée du
visage du « mythe » (Bolsonaro), de son numéro de candidat aux élections (0017) et
d’un pistolet. Autant de représentations de la « messianisation » à laquelle était soumis
Bolsonaro.
38 Des jeunes filles portaient un gâteau blanc avec plusieurs photos de Bolsonaro, tandis
qu’elles criaient « Je suis femme et j’ai voté pour Bolsonaro ! » et, sautant avec la
pâtisserie, elles ajoutaient : « Que sautent ceux qui ont voté pour le capitaine !!! » De
jeunes garçons et filles chantaient en cœur leur appui à Bolsonaro au milieu de leurs
familles. Parmi des affiches proposant « Adhésifs du "mythe" à un real » une fillette à
lunettes criait : « Lula, voleur, ta place est en prison ! » Les rengaines de la campagne,
que tout le monde connaissait, formaient un fond musical qui, maintenant, devenait la
reconnaissance d’un succès que l’on qualifiait d’historique.
39 Parmi ces airs plébiscités on entendait le proibidão Bolsonaro 25. Les paroles disaient « Je
donne à la CUT [Centrale unique des travailleurs] du pain avec de la mortadelle et pour
les féministes, du picotin dans une terrine. Les filles de droite sont les mannequins les
plus belles tandis que celles de gauche ont plus de poils que les chiennes... ». La
musique faisait référence à la stigmatisation du mouvement féministe dont la violence
se normalisait dans l’espace festif électoral. Les sympathisants ont continué à danser
tout en enregistrant des vidéos sur leurs portables jusqu’à la nuit et, au milieu d’eux,
s’élevait un énorme pitxuleco26, une poupée gonflable d’environ cinq mètres de haut
représentant Lula vêtu en prisonnier avec le numéro de plaque 13-171 27. Elle était
utilisée comme un punching ball. Une femme donna un coup à la poupée en criant,
rageuse : « Lula, voleur, ta place est en prison !!! » L’ennemi « pétiste » avait été
déterminant pour l’identification politique de camps opposés au cours de la campagne
de Bolsonaro et les vendeurs ambulants offraient avec succès de petits pitxulecos de Lula
et de l'ex-présidente du PT, Dilma Rousseff. Un marchand ambulant nous a dit : « La
poupée représente Pitxuleco, qui est tout l’argent qui a disparu dans le petrolão [scandale
Petrobras]. » Il poursuit : « Ils ne l’appelaient pas argent, ils l’appelaient Pitxuleco. » Un
homme qui travaillait dans l’organisation volontaire creva un pitxuleco de Dilma et nous
dit : « Aujourd’hui Bolsonaro a gagné à cause du PT, on ne supportait plus. Le parti du
travailleur n’a fait que voler le travailleur. » Tandis qu’il nous disait cela son fils
d’environ dix ans chantait en tenant un autre pitxuleco de Lula : « Un, deux, trois,
quatre, cinq, mille, nous avons Bolsonaro pour président du Brésil. »
40 Quand la fête a été terminée, un groupe de personnes a sorti divers instruments de
musique (trompette, tambourins, etc.) et a continué à chanter en chœur les airs de la
campagne. Ces symboles, construits dans un langage violent et anti-pétiste mais aussi
festif et carnavalesque, étaient constitutifs d’un rite de transition. On passait d’une vie
à l’autre, on accédait à un nouvel état dans lequel ceux qui avaient voté pour Bolsonaro
sentaient « qu’ils avaient récupéré le Brésil », cristallisant ainsi la nouvelle
schismocratie.
41 Tout ce rituel effusif et festif a montré que la démocratie et la schismocratie se sont
rencontrées dans les voix et les corps. Cette tension entre principes et valeurs a mis en
évidence l’effondrement de la démocratie et l’avènement d’une schismocratie. La
démocratie tend à rendre légitimes les arguments sur lesquels un accord s’est constitué
ainsi que le consensus (c’est le mode de la production du dissensus dans le consensus,

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De la raison des Lumières à la raison illusionniste : considération... 12

comme dirait Bourdieu), tandis que la schismocratie tend à construire des espaces dans
lesquels il existe une forte rupture de la communication et une production d’arguments
polarisés qui se fondent sur des convictions absolutistes et pratiquement immuables,
comme nous l’avons vu dans les divers témoignages. C’est le lieu d’exercice d’une sorte
de contradiction (Kant de Lima 2008 et 2009 ; Ioiro & Duarte 2015) où la « vérité » et les
« faits » ne peuvent être révélés que par la présence d’une autorité interprétative qui
définit le « réel ». Ce jour-là, la présence de Bolsonaro et les trois livres mentionnés
représentaient l’autorité interprétative des schismatiques.
42 Il est important de souligner la différence entre la « logique du contradictoire » et le
principe du contradictoire qui est présent dans pratiquement toutes les constitutions
des pays démocratiques. La constitution brésilienne de 1988 « assure aux parties, dans
les procès judiciaires ou administratifs, le contradictoire et une large défense, avec les
moyens et les recours qui y sont inclus ». Dans la « logique du contradictoire » la
possibilité que les participants – qu’ils soient parties au conflit, opérateurs juridiques
ou doctrinaires – arrivent à un accord est déniée. Cela signifie qu’au lieu de privilégier
un consensus provisoire entre des parties divergentes, on tend à produire un dissensus
indéfini dans lequel prévaut la vérité de celui qui a les plus grands attributs et la plus
grande légitimité pour l’affirmer (Iorio & Duarte 2015). Ainsi, voit-on se produire des
« bulles de vérité » qui, fermées sur elles-mêmes, se combattent et se contredisent, sans
permettre le pont fourni par le dialogue, ni même un minimum de consensus sur les
faits. Si quelqu’un élabore une critique de Bolsonaro, par exemple, ses partisans ne
tardent pas à répliquer durement « Et Lula ..., et le PT ... », produisant un monde dans
lequel les arguments ne font sens que dans un travail d’argumentation polarisé et clos.
Le jour des élections, une schismocratie à la brésilienne s’est institutionnalisée.

Les réseaux sociaux et le schisme


43 Le phénomène du bolsonarisme a révélé une facette importante de la raison
schismatique : l’opinion sur les agissements du président Bolsonaro paraît immuable
pour une grande partie de ses électeurs, y compris lorsqu’ils portent atteinte aux faits
et à la dimension empirique. Aujourd’hui, avec plus de 20 millions de chômeurs, avec
un PIB insignifiant, avec près d’un demi-million de morts dues à la pandémie du Sars-
cov2, malgré le manque total de projet politique pour affronter les problèmes du Brésil,
30 % des bolsonaristes continuent d’être convaincus par leur schisme. Bien qu’il n’ait eu
qu’un temps réduit dans les moyens de communication publics (8 secondes, deux fois
par jour28) Bolsonaro a pu compter sur un puissant réseau de distribution d’images et
d’informations. Selon les données de l’IBGE, en 2019, 71 % de la population brésilienne
avait déjà accès à Internet. Sur ce pourcentage, 64 % utilisaient les réseaux sociaux.
44 Il est possible d’analyser rapidement, à partir de l’étude réalisée par l’entreprise Digital
(en 2019) et enrichie par Semiocast (en 2020), la manière dont, au Brésil, chacun des
principaux réseaux sociaux est utilisé. YouTube arrive en tête avec 54,9 millions
d’abonnés. Facebook serait en deuxième position avec 130 millions d’utilisateurs (juste
après l’Inde et les États-Unis). WhatsApp, enfin, est la messagerie la plus utilisée. Pour
89 % des enquêtés, WhatsApp se confond avec Internet. Le quatrième réseau que nous
avons analysé est Instagram, avec 69 millions d’utilisateurs, soit le double de ce qu’il
avait en 2017. Ces divers médias incitent à ce que les nouvelles ne soient pas
contradictoires mais qu’elles soient directement assimilées par les schismatiques qui

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De la raison des Lumières à la raison illusionniste : considération... 13

font des politiciens et des influenceurs l’autorité interprétative de leur système de


justification des vérités.
45 Ces porteurs de l’autorité dans les espaces digitaux, sont des individus qui, face à
l’énorme volume d’informations disponibles et l’évidente difficulté à vérifier les
sources, se sont transformé en hérauts de la vérité, une vérité condensée par leurs
opinions et leurs témoignages. Ils sont les seuls qui soient légitimes pour valider la
connaissance qui est transmise par WhatsApp, Instagram ou Twitter. Si l’on revient
spécifiquement sur la période électorale, la technique la plus utilisée par les
influenceurs d’extrême-droite fut la décontextualisation, la construction de nouvelles
significations à travers des objets concrets (par exemple des livres supposés dire des
choses qu’ils ne disent pas, des films, du matériel didactique, etc.). Ils propagent des
messages construits comme des vérités, absolues et indiscutables. Ce fut le cas de « Au
Brésil il n’y a jamais eu de racisme » ou « L’holocauste n’a jamais existé », qui
corroborent la production et reproduction du « régime de schisme » pour justifier
l’adaptabilité de ces mécanismes au phénomène bolsonariste.
46 Les études de Datafolha affirment que 81 % des électeurs de Bolsonaro communiquaient
sur les réseaux sociaux, principalement WhatsApp29. Dans un pays qui compte plus de
téléphones que d’habitants et où 60 % de la population dispose de l’accès au réseau,
WhatsApp s’est converti en l’une des principales sources d’information durant la
campagne électorale brésilienne de 2018. En outre, 97 % des Smartphones incluaient
cette année-là l’application à un « tarif zéro », c’est-à-dire avec utilisation illimitée bien
que n’ayant pas accès à d’autres données de manière illimitée. Sans connexion à
Internet et avec leurs contrats déjà signés, beaucoup de personnes n’avaient accès qu’à
l’information directement partagée par WhatsApp, sans pouvoir ouvrir sur Internet les
liens qui auraient permis de nuancer les données ou de les comparer à d’autres
nouvelles. Elles devenaient ainsi victimes de la schismatisation du modèle économico-
digital lui-même.
47 Il est important de signaler aussi que l’intelligence artificielle repose sur des
algorithmes qui cherchent à sélectionner les informations en rapport avec les
prédilections de l’usager. Autrement dit, plus nous faisons de « clics » sur un ensemble
limité de bases d’informations – par exemple, celles qui sont liées à Bolsonaro – et plus
ces données sont canalisées et filtrées vers l’usager. C’est donc un système qui calibre
les nouvelles et qui enferme la compréhension du monde dans des « bulles » mettant à
notre disposition des vérités étroites, en particulier lorsque les moyens de vérifier la
véracité des informations ne sont pas disponibles.
48 Ce dispositif contemporain renforce ce que Kant de Lima (2008) a appelé la « logique du
contradictoire », qui s’applique à un système de débat où l’on ne cherche pas le
consensus mais qui est bâti sur l’intention de disqualifier systématiquement le discours
de l’autre, comme pourraient être des opposants politiques, en utilisant tous les
moyens disponibles pour le faire. Cette stratégie dilue la signification de catégories
telles que le « fait » ou la « preuve » car, sans consensus, les deux parties qui s’opposent
affirment que leur « thèse » possède une plus grande crédibilité, tant au niveau factuel
que probatoire. Il s’agit donc d’un système de dissensus sans fin. Il ne peut être
interrompu que par une troisième personne qui va décider lequel des deux opposants a
raison et qui, ensuite, définit, de façon externe et monologique ce qu’est un fait ou une
preuve. En conséquence, c’est un système dans lequel quelqu’un a nécessairement le
pouvoir monocratique de décider qui gagne et qui perd. Il associe fortement la

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De la raison des Lumières à la raison illusionniste : considération... 14

connaissance avec le pouvoir, soustrayant aux parties les mécanismes de consensus qui
ont pour fonction de légitimer le résultat du processus de construction de la vérité.
Cette logique s’oppose fondamentalement à la logique contemporaine de construction
de la connaissance scientifique, qui se fonde sur une argumentation engendrant une
conviction des parties impliquées et un consensus, toujours provisoire, sur les faits et
les expériences empiriques appuyés sur le processus argumentatif. La connaissance
produite par la rationalité schismatique ne peut donc trouver sa légitimité que dans
l’autorité qui choisit et consacre le gagnant. Dans ce sens, les recours médiatiques
fournis par les dispositifs d’Internet ont renforcé les pratiques discursives de cet espace
public de contradiction, donnant une énorme projection à ce que nous avons ici défini
comme une schismocratie.

Conclusion ou comment un cliché se transforme en un


lieu commun
49 Bolsonaro fut un député qui a soutenu son capital politique durant des décennies par le
cliché « Un bon bandit est un bandit mort ». Ce fut sa porte d’entrée dans l’univers
législatif brésilien. Ainsi, avec une action personnelle quasi nulle, sans chef de parti et
avec presque aucun projet de loi approuvé, il s’est contenté de produire des lieux
communs sur la base de ce cliché. Comme le signale Laurent Thévenot :
Ces lieux dotés d’une assise matérielle concrète qui fait l’objet d’une fréquentation
ordinaire – assise éventuellement spatiale pour des lieux au sens propre – sont
souvent issus ou magnifiés par des références poétiques et littéraires, des chansons
ou des films dits « cultes ». Pour servir de truchement à cette communication, leur
convocation doit être ajustée à la situation et faire naître une résonnance entre des
personnes en présence qui y investissent de concert leurs attachements personnels
profonds. Le raccourci extrême entre l’intime personnel de l’attachement
personnel et le commun du lieu produit une décharge émotionnelle intense, encore
amplifiée par la résonnance avec les affinités d’autres personnes investissant le
même lieu-commun. (2017, 10)
50 Pourtant, il n’est pas garanti que tous investissent de la même manière, ni que le lieu
commun soit le même pour tous. C’est la source des différences manifestées par les très
diverses associations entre ces lieux qui, justement, exprime les différends. Le
« même » de l’identique n’est garanti que dans le cas où la communication échoue,
quand le lieu commun se réduit à la superficialité d’un cliché. Dans le cas de Bolsonaro,
ce qui était superficiel, c’est-à-dire le cliché, s’est inversé dans le creuset de la pensée et
de la raison schismatique, donnant à son utilisateur la légitimité pour s’élever comme
leader national et atteindre la présidence de son pays. Comme Thévenot l’exprime :
Cette grammaire est très importante pour étudier la construction du commun dans
des cultures diverses sans pâtir des biais provenant des cadres d’analyses de
sciences politiques et sociales trop marqués par leur ancrage originel dans des pays
de l’Ouest et du Nord. Non que cette grammaire y soit absente, loin s’en faut, mais
la modernité occidentale – avec la compréhension limitée des exigences des
Lumières qu’elle a souvent impliquée – ainsi que les sciences sociales et politiques
nées de son mouvement ont gêné sa prise en considération. (2017, 11)
51 Thévenot articule cette idée de la façon suivante : on peut écouter une expression
intimement personnelle à travers la communication au moyen de lieux communs. Dans
cette grammaire d’affinités personnelles à des lieux communs, l’autorité d’une forme
commune est conférée à la personne à travers l’inversion dans ces lieux. Elle donne une

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De la raison des Lumières à la raison illusionniste : considération... 15

reconnaissance légitime aux émotions exprimées par cette inversion qui établit un
court-circuit entre le privé et le commun. En raison de leurs formes variables, ces lieux
qui s’entremêlent, renforcent un commun de tailles très différentes. En outre, la
possibilité de plusieurs liens entre ces lieux fournit des différences et des différends,
sans faire de place à un espace d’argumentation. Donc, si l’on suit le raisonnement de
l’auteur, « on peut approfondir l’analyse des formes d’autoritarisme qui émergent à
nouveau y compris dans les pays de tradition démocratique. Certains cas extrêmes
rappellent la principale figure de l’autorité incarnée par des hommes forts, dont la
forme inversée peut être facilement confondue avec le corps animé par une énergie
vitale et sexuelle exposée physiquement » (Oleynik 2010 Apud Thévenot 2007,13). Le
culte de la personnalité efface la tension produite par une telle configuration, au prix
du renoncement à la commune humanité : la distinction du surhomme est portée par
l’existence de sous-hommes. Dans ses formes contemporaines l’autoritarisme n’est pas
un simple retour à l’absolutisme. Il inclut l’appel au peuple, ce qui le range du côté du
populisme. C’est là que la troisième grammaire (celle du lieu commun, en sus de celle
du bien commun pluriel et celle libérale des intérêts) apporte une contribution
importante. Elle aide à comprendre l’appui populaire du leader qui se fonde sur les
inversions personnelles des lieux communs que le leader convoque. Elle montre
également les manières dont se réduisent ces divers lieux communs que le leader met
en œuvre pour affirmer une autorité unique et indivise contre tout pluralisme, qu’il
désigne en tant qu’ennemi. Donc, le mécanisme de construction et de maintien de cet
autoritarisme ne dépend plus seulement d’un ascendant charismatique. Ces autorités
utilisent les lieux communs pour combiner la puissante masse d’une foule qui invertit
un lieu en l’occupant, avec des réseaux de personnes engagées à distance dans un
milieu d’affinités en rapide expansion qui donne au pouvoir, de façon unique, des outils
de communication. Ces autoritarismes réunissent en un seul tous les lieux communs
qu’ils ont convoqués (Thévenot 2017, 15).
52 Dans cet article nous avons tenté de réfléchir sur la manière dont les relations
schismatiques du phénomène bolsonariste sont marquées par une rationalité qui met
en suspens les critères logiques, rationnels et cartésiens en faveur d’une raison
schismatique qui secoue les ciments de la confiance, de la reconnaissance et de la
dignité, donnant de nouvelles formes à la dynamique interactive dans le monde
moderne. En dehors du bolsonarisme et de quelques autres extrêmes-droites
internationales, nous avons récemment rencontré ces relations schismatiques dans le
surgissement des mouvements anti-vaccins, dans les débats sur l’efficacité de certains
médicaments (comme la chloroquine) pour traiter l’infection par le virus Sars-Cov-2.
Ces lieux communs auxquels se réfère Thévenot, associés au surgissement de la
rationalité schismatique que nous avons problématisée, sont des chemins alternatifs
qui nous permettent d’éclairer le phénomène de la schismocratie contemporaine. C’est
une voie entre d’autres pour traiter des questions qui, aujourd’hui, affectent toutes les
personnes de la planète.
53 Les phénomènes qui ont surgi dans les dernières années au Brésil et dans le monde
mettent en évidence les grandes mutations symboliques, morales et politiques qui
produisent des tensions sévères entre les valeurs et pratiques provenant de la raison
des Lumières et celles qui se répandent à la vitesse fournie par les réseaux sociaux
donnant naissance à une raison « illusioniste ». Cette dernière se nourrit des marges
déformées de la réalité comme le « biberon à bite » ou le « Kit Gay » ainsi que d’autres

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De la raison des Lumières à la raison illusionniste : considération... 16

images, discours et données qui font de la réalité égocentrique un espace de


communication singulier et rendent caduques les exercices centraux des sociétés
contemporaines que sont le dialogue, le débat et l’exercice même d’une réflexion
critique.

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NOTES
1. Article reçu pour publication en juin 2021 ; approuvé en mai 2022.
2. J’ai réalisé ce travail ethnographique dans le cadre de ma thèse de doctorat dont la
soutenance a eu lieu en mai 2022. Elle est intitulée « Brésil au-dessus de tout. Dieu au-
dessus de tous : une ethnographie du sens colonial métaphorique de Bolsonaro lors des
élections brésiliennes de 2018 » (Bayarri Toscano, 2022b).
3. Voir, par exemple, sur le thème du présent article, les publications de Pinheiro-
Machado & Scalco (2020).
4. Cette coopération internationale est passée initialement (1998) par un accord Capes/
COFECUB, coordonné du côté brésilien par l’anthropologue de l’UFF, Roberto Kant de
Lima, et, du côté français, par les sociologues Isaac Joseph et Daniel Cefai. Un autre
projet Capes/COFECUB a suivi en 2010, coordonné du côté brésilien par l’anthropologue
de l’UFF, Marco Antonio da Silva Mello, et par le sociologue Laurent Thévenot du côté
français. Cette coopération avec des sociologues pragmatistes est devenue en 2017 un
projet CAPES-Print coordonné par Fabio Reis Mota. Pour plus de détails, voir
Breviglieri, Diaz & Nardacchione (2017) et Mota (2020b).

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De la raison des Lumières à la raison illusionniste : considération... 19

5. Malheureusement, en raison de l’espace restreint, nous discuterons dans un autre


article les travaux importants et originaux que nous incorporons partiellement dans ce
texte. Quand nous observons le cas du Sud global et, particulièrement, le cas brésilien
dans le cadre latino-américain, la victoire de Bolsonaro a été suivie d’un « boom »
d'études développées par une série d’auteurs : Rocha, Solano & Medeiros (2021), Kalil
(2018), Cesarino (2020), Pinheiro-Machado & Scalco (2020), Goldstein (2019) et Caldeira
Neto (2021) par exemple. Leurs recherches ont permis de comprendre les motivations
de divers segments de la population. Il en est de même avec Nicolau (2020) à propos des
profils de ceux qui ont voté pour Bolsonaro.
6. Le hashtag #EleNão a été créé au Brésil le 12 septembre 2018 par le groupe Facebook
Femmes unies contre Bolsonaro. Il a été largement utilisé sur les réseaux sociaux, y
compris par des célébrités nationales et internationales.
7. Tout au long de ce texte nous utiliserons le concept de « bolsonarisme » pour nous
référer au projet politico-idéologique partagé par plusieurs secteurs de la population
qui s’agglutinent autour de la figure de Bolsonaro.
8. Premier entretien, 28.10.2018, Barra da Tijuca, Rio de Janeiro.
9. Deuxième entretien, 28.10.2018, Barra da Tijuca, Rio de Janeiro.
10. Troisième entretien, 28.10.2018, Barra da Tijuca, Rio de Janeiro.
11. En 2011, durant le gouvernement du PT mené par Dilma Rousseff, fut lancé le projet
« École sans homophobie ». Il avait été organisé par le ministère de l’Éducation, celui
des Droits humains, les Nations Unies et diverses ONG qui combattaient l’homophobie
et stimulaient l’intégration des collectifs LGBTI dans les écoles. Dans ce but, un matériel
didactique avait été conçu, qui fut durement attaqué par le député Jair Bolsonaro qui y
voyait un projet d’endoctrinement sexuel et idéologique et qui l’appela « Kit Gay ». Un
autre recours symbolique fut mis en œuvre durant la campagne, appelé le « biberon à
bite », en raison d’une prétendue tétine en forme de pénis qui aurait été distribuée par
les militants du PT pour coiffer les biberons des bébés. Ces objets font partie d’un
ensemble d’éléments participant à une construction schismatique contre le PT en tant
que mécanismes symboliques et discursifs de très grande importance pour la campagne
de Bolsonaro.
12. Le 4 mars 2018, l’ex-président du Brésil, Lula, fondateur du Parti des travailleurs
(PT), s’était présenté devant la police fédérale de São Paulo pour être arrêté. Le juge
Sergio Moro, nommé par la suite ministre de la Justice du gouvernement de Bolsonaro,
lui signifia son mandat d’arrêt à la suite de sa condamnation en deuxième instance à
douze ans et un mois de prison pour corruption passive et blanchiment d’argent, dans
le cadre de l’opération connue comme Lava Jato [lavage automatique de voiture].
13. Cinquième entretien, 28.10.2018, 3 300 Avenue Lucio Costa, Barra da Tijuca, Rio de
Janeiro.
14. O mito est l’un des termes utilisés par nos interlocuteurs pour désigner Jair
Bolsonaro.
15. Sixième entretien, 28.10.2018, 3 300 Avenue Lucio Costa, Barra da Tijuca, Rio de
Janeiro.
16. Le 6 septembre 2018, Bolsonaro avait été la cible d’un attentat qui modifia la façon
dont le candidat communiquait avec ses potentiels électeurs. Il ne participa plus à
aucun débat ni réunions électorales, interagissant exclusivement à travers Internet
pour gagner l’appui chaque fois plus grand d’une masse de Brésiliens.

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De la raison des Lumières à la raison illusionniste : considération... 20

17. Sur ce « Je suis venu gratis », nos interlocuteurs nous ont dit à plusieurs reprises
que « la gauche » payait les participants pour venir à ses manifestations, concrètement
avec « un peu d’argent et un sandwich de mortadelle ». Le mot d’ordre « Lui oui » a été
créé en opposition à celui qui avait été impulsé par les mouvements féministes et
accepté par les progressistes, « Pas lui ».
18. Olavo de Carvalho est mort en janvier 2022, mais sa figure est vénérée comme l’un
des « pères » du bolsonarisme, son gourou.
19. En référence à l’adjectif portugais « cismado », qui désigne quelqu’un qui, dans ses
jugements sur les choses ou les personnes manifeste une inébranlable conviction.
20. Entretien n° 7, 28.10.2018, 3 300 Avenue Lucio Costa, Barra da Tijuca, Rio de Janeiro.
21. Témoignages d’interlocuteurs le 28 octobre 2018, sur l’Avenue Lucio Costa, Barra da
Tijuca, Rio de Janeiro.
22. « Bolsonaro em 25 frases polémicas » [Bolsonaro en 25 phrases polémiques], Carta
Capital, 29 octobre 2018. Disponible sur : https://www.cartacapital.com.br/politica/
bolsonaro-em-25-frases-polemicas (consulté le 6 juillet 2022).
23. Nous remercions ici notre collègue Felipe Berocan Veiga pour avoir suggéré
l'utilisation de ce néologisme pour penser le « régime de schisme ».
24. Basée sur le livre Elite da tropa (2006), le film « Tropa de Elite » (2007), dirigé par José
Padilha, raconte l’histoire du BOPE (Bataillon d’opérations spéciales de la Police
militaire) et ses actions violentes dans les favelas de Rio de Janeiro. En écoutant sa
bande sonore, les sympathisants de Bolsonaro utilisaient le symbole du port du fusil, en
l’associant au protagoniste du film, le capitaine Nascimento, un policier violent.
25. Les proibidões sont un sous-genre de la musique funk carioca qui évoque l’univers du
crime.
26. Le pitxuleco est une poupée à l’image de Lula fabriquée par les partisans de
Bolsonaro ; le terme fait référence au mot « propina » [pot-de-vin], pour rappeler le
scandale de corruption qui a déclenché l’opération « Lava Jato ».
27. Le numéro 13 était celui du candidat du PT. Le 171 se référait à l’article du code
pénal brésilien qui porte sur l’escroquerie, c’est-à-dire la tromperie envers des
personnes pour obtenir un bénéfice pour soi-même.
28. Le temps de chaque candidat a été établi par le Tribunal supérieur électoral (TSE).
Pour comparer, le candidat Geraldo Alckmin (PSDB) a eu droit à deux blocs de 5
minutes et 32 secondes, par rapport aux 9 secondes de Bolsonaro.
29. « Datafolha: quantos eleitores de cada candidato usam redes sociais, leem e
compartilham notícias sobre política [Datafolha : combien d'électeurs de chaque
candidat utilisent les réseaux sociaux, lisent et partagent les nouvelles sur la
politique] », G1-globo.com, le 3 octobre 2018 [en ligne]. Disponible sur : https://
g1.globo.com/politica/eleicoes/2018/eleicao-em-numeros/noticia/2018/10/03/
datafolha-quantos-eleitores-de-cada-candidato-usam-redes-sociais-leem-e-
compartilham-noticias-sobre-politica.ghtml (consulté le 6 juillet 2022).

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De la raison des Lumières à la raison illusionniste : considération... 21

RÉSUMÉS
Cet article montre le caractère fondamental du cadre théorique du « régime des schismes » dans
l’étude du phénomène de la soi-disant « extrême-droite ». Il repose sur une enquête
ethnographique effectuée à l’occasion de la victoire électorale de Jair Bolsonaro, notamment
menée devant sa maison, à Rio de Janeiro, au soir du second tour. Ce que nous avons appelé le
« régime de schisme », et que nous considérons comme fondateur du « bolsonarisme », y apparaît
marqué par l’auto-absorption dans des mondes particuliers, formant une raison illusionniste qui
contraste avec la raison des Lumières.

O artigo mostra o caráter fundamental da estrutura teórica do « regime da cisma » no estudo do


fenômeno da chamada « extrema direita ». O trabalho apoia-se numa etnografia realizada quando
da vitória eleitoral de Bolsonaro, notadamente em frente à sua casa no Rio de Janeiro, no dia do
segundo turno. Mostramos como o « regime fundacional da cisma » do bolsonarismo é marcado
pelo ensismamento em mundos particulares, conformando uma razão ilusionista que contrasta
com a razão iluminista.

This article shows the fundamental character of the theoretical framework of the « regime of
schisms » in the study of the phenomenon of the so-called « extreme right ». It is based on an
ethnographic investigation carried out on the occasion of Jair Bolsonaro’s electoral victory,
namely in front of his house in Rio de Janeiro on the evening of the second round. What we have
called the « regime of schism », and which we consider as the founder of « Bolsonarism »,
appears marked by the self-absorption in particular worlds, forming an illusionist reason that
contrasts with the reason of the Enlightenment.

INDEX
Keywords : schism regime, far right, Bolsonaro, elections, political anthropology, Brazil, 21st
century
Palavras-chave : regime da cisma, extrema direita, Bolsonaro, eleições, antropologia política,
Brasil, século XXI
Mots-clés : régime du schisme, extrême-droite, Bolsonaro, élections, anthropologie politique,
Brésil, XXIe siècle

AUTEURS
FABIO REIS MOTA
Fabio Reis Mota est professeur au département et au programme de post-graduation
d’anthropologie de l’Université fédérale Fluminense (UFF). Il est chercheur à l’Institut d’études
comparées sur l’administration institutionnelle des conflits de l’UFF (InEAC-UFF) et coordinateur
du Centre Fluminense d’études et recherche (NUFEP/UFF).
ORCID : https://orcid.org/0000-0001-7883-8258.

GABRIEL BAYARRI TOSCANO


Gabriel Bayarri Toscano, docteur en anthropologie et sociologie (Macquarie University, Sydney,
Australie, et Universidad Complutense, Madrid, Espagne), est Newton International Fellow au

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De la raison des Lumières à la raison illusionniste : considération... 22

Centre d’études latino-américaines et caribéennes (Institut des langues, cultures et sociétés,


École d’études avancées) de l’Université de Londres.
ORCID : https://orcid.org/0000-0002-3540-9696.

TRADUCTEUR_DESCRIPTION

MARION AUBRÉE (TRADUCTION)


Mondes américains/CRBC, EHESS

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