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remier vecteur du commerce mondial, le transport maritime
continue de progresser dans des proportions toujours plus
grandes. Si la crise sanitaire de la Covid-19 témoigne d’un
ralentissement logique dans les échanges mondiaux, le tonnage transporté
en 2019 a été de plus de 11 milliards de tonnes. Tandis que les vracs
représentent la plus grande part des volumes expédiés par voie maritime,
le transport conteneurisé poursuit sa conquête hégémonique à travers les
continents grâce aux apports de l’innovation technologique à terre et en
mer. Avec des navires géants, atteignant pour certains les 24 000 EVP, des
terminaux portuaires automatisés comme à Tanger Med II, des systèmes
d’information toujours plus performants offrant des services entièrement
dématérialisés depuis le booking jusqu’à la livraison finale, le transport de
conteneurs par mer navigue au xxie siècle sous les meilleurs auspices.
Bien que propre à toutes les industries globalisées, le secteur de la ligne
maritime régulière, ou des liners du transport conteneurisé, connaît une
forte concentration qui s’est accélérée au cours de la dernière décennie.
Organisée autrefois autour des fameuses conférences (El Khayat,
1992 ; Besancon et Fedi, 2008 ; Fedi, 2013), cette industrie fonctionne
majoritairement aujourd’hui grâce aux alliances stratégiques ou méga-
consortiums. À la différence des ententes sur les taux de fret, les alliances
sont considérées comme des ententes techniques qui « visent à consolider
et à rationaliser l’offre de transport sur le segment maritime et le long de la
chaîne logistique » (Cariou, 2000). Le nombre des alliances s’est réduit au
cours des deux dernières décennies passant de cinq en 1998, avec 53 % de
parts de marché, à trois seulement en 2020 (Ocean Alliance, 2M et THE
Alliance), avec plus de 92 % de parts de marché (Brooks et al., 2019).
1
Règlement (UE) de la Commission du 24 mars 2020 modifiant le règlement (CE)
n° 906/2009 en ce qui concerne sa durée d’application (Journal officiel de l’Union européenne
L. 90 du 25 mars 2020).
Les contrats d’alliances maritimes 163
en outre, avoir un objet très précis, ou à l’inverse très large, qui doit être
avant tout technique avec une forte dimension opérationnelle 2.
–– Deuxièmement, nombre des contrats portent deux titres. Ils font
référence prioritairement à un contrat dont l’objet est spécifique, tel le
space charter agreement par exemple, et ils rappellent qu’ils sont également
un cooperative working agreement. Ce second titre est superflu car tous
ces contrats induisent en général une coopération de leurs membres
(Brooks et al., 2019).
–– Troisièmement, les contrats sont pour le moins standardisés. Quelle
que soit la nature du contrat en cause, leur objet et format – structure –
sont souvent similaires. Il semble que ce soit le même cabinet d’avocat
qui les ai rédigés et on serait tenté de les qualifier de « contrat-type ».
Pourtant, ce n’est tout à fait exact car ils ne sont pas soumis aux mêmes
règles selon leur champ d’application.
–– Quatrièmement, les accords formant les alliances sont, pour la plupart,
obligatoires pour les co-contractants mais, étrangement, d’autres ne
le sont pas forcément. C’est ce que nous avons relevé pour le Digital
container shipping association agreement (DCSAA) 201288 entre Maersk,
la CMA-CGM, Hapag-Lloyd, MSC et Ocean Express qui a pour
objet la mise en commun de systèmes d’information compatibles et
standardisés 3.
2
À titre d’exemple, le contrat d’association de système d’information pour les conteneurs
(DCSAA) concerne la mise en place et l’exploitation de standards communs pour des
outils digitalisés au profit de la chaîne logistique des conteneurs. Le contrat d’échange
d’espaces (SEA) est également relativement simple dans la mesure où les armateurs
partenaires s’accordent pour s’échanger de l’espace à bord de navires positionnés sur des
lignes différentes. Le contrat de services de terminal portuaire (MTSA) vient définir les
tarifs de manutention d’un terminal entre l’autorité portuaire concédante et l’opérateur
de terminal, ainsi que les objectifs de productivité. En revanche, le contrat de partage de
navires (VSA) a un objet plus large que ces derniers dans la mesure où il permet la mise
en commun d’une flotte de navires afin d’opérer un service de lignes. En l’occurrence, en
vertu du VSA comme pour le contrat d’achat d’espaces (SCA), les partenaires se partagent
des slots sur les navires positionnés sur la ligne maritime.
3
Ce contrat singulier sera abordé dans la seconde section du chapitre.
Les contrats d’alliances maritimes 165
services offerts par les transporteurs de ligne dont les activités se sont
extrêmement diversifiées au cours des deux dernières décennies. La
prestation de transport maritime est complétée par toute une palette
de services qui englobent l’ensemble de la chaîne logistique de porte-
à-porte. Transport multimodal, transport exceptionnel (oversize cargo),
entreposage, douanes, stockage, manutention, assurance transport,
commission de transport, tracking, etc., les plus grands armateurs
mondiaux opérant en alliance sont capables désormais de répondre
directement, ou indirectement via leurs partenaires, à tous les besoins
de leurs clients chargeurs dans la mesure où ils sont à la fois intégrés
horizontalement sur le segment maritime, et verticalement sur les
segments complémentaires (dont le pré- ou post-acheminement, le transit
et la manutention portuaire). À cet égard, les opérateurs concernés sont
aujourd’hui plus que jamais des prestataires logistiques end-to-end, et non
plus de simples transporteurs maritimes.
Le rachat de Ceva Logistics par la CMA-CGM en 2019 témoigne
du changement de stratégie tournée vers des services à plus forte
valeur ajoutée, à l’image de Maersk ayant ouvert la voie dix ans plus
tôt avec Damco. L’objectif premier des armateurs globaux n’est plus
simplement d’acheminer les conteneurs de leurs clients, mais désormais,
il est nécessaire de les conseiller et de les accompagner dans leur chaîne
logistique le plus en amont possible afin de les fidéliser dans un secteur
devenu hyperconcurrentiel. C’est l’ère du customer centric, qui n’est pas sans
conséquence pour les organisateurs de transport se voyant directement
concurrencés sur leur métier de base par des entreprises hégémoniques,
aux moyens commerciaux et logistiques très importants. De manière
concomitante, dans la mesure où les prestations de tels opérateurs se sont
diversifiées à une échelle toujours plus globalisée, avec des volumes de
flux en constante augmentation, leurs contrats ont évolué pour refléter
ces changements significatifs. Toutefois, la lecture de ces accords est
devenue moins aisée, et ce n’est certainement pas anodin. La question
est donc de savoir si les contrats de coopération qui forment les alliances
ne sont pas en réalité « l’arbre qui cache la forêt ».
4
Règlement (CE) n° 906/2009 de la Commission du 28 septembre 2009 concernant
l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à certaines catégories d’accords, de
décisions et de pratiques concertées entre compagnies maritimes de ligne (« consortiums »)
(Journal officiel de l’Union européenne L. 256 du 29 septembre 2009).
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5
Règlement (CE) n° 906/2009 de la Commission du 28 septembre 2009 concernant
l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à certaines catégories d’accords, de
décisions et de pratiques concertées entre compagnies maritimes de ligne (« consortiums »)
(Journal officiel de l’Union européenne L. 256 du 29 septembre 2009).
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Conclusion