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Deslandes Michel. Transmission de l'entreprise familiale. Aspects juridiques et fiscaux.. In: Revue juridique de l'Ouest, N°
Spécial 2009. Entreprises patrimoniales et familiales. pp. 169-195;
doi : https://doi.org/10.3406/juro.2009.4214
https://www.persee.fr/doc/juro_0990-1027_2009_hos_22_1_4214
Michel DESLANDES
Professeur à l 'Université de Rennes 1
1 - «Emile HENRY met les petits plats dans les grands » Les Echos 9 février 2009 ; «Les casseroles
MAUVIELfont le tour du monde » Les Echos 4 février 2009 ; « Les frères ALLOT perpétuent la tradition
des ébénistes français » Les Echos 10 juin 2008.
2 - Nous entendons par entreprise personnelle non l'entreprise individuelle, écartée de nos propos, mais
l'entreprise sociétaire - plus précisément en forme de société par actions - dont la quasi-totalité du capital
social est détenue par son fondateur.
3 - Nous ne traiterons pas par conséquent de la transmission gratuite résultant du décès du fondateur donc
non organisée par lui de son vivant.
4-11 arrive que le fondateur donne une fraction de ses actions à ses enfants et leur vende l'autre fraction.
La transmission est alors mixte : pour partie à titre gratuit pour partie à titre onéreux.
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devoir y faite preuve de son aptitude à la direction générale et, ainsi, acquérir la
légitimité nécessaire à son intronisation comme patron.
6 - Sur les aspects juridiques de l'installation du successeur comme second et de son intronisation comme
patron : M. DESLANDES, H. HOVASSE « La société par actions simplifiée et la transmission gratuite
de l'entreprise » Actes Pratiques et Ingénierie Sociétaire 2008 n° 102.
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7 - On a parfois soutenu, non sans quelque raison, que le successeur prenant le risque de l'entreprise peut
être légitimement avantagé par rapport à ses frères et sœurs. Cette opinion est toutefois très minoritaire
auprès des chefs d'entreprise.
8 - Le contrôle visé ici est le pouvoir d'imposer ses vues dans les assemblées générales d'actionnaires. On
qualifie de contrôle simple le pouvoir d'imposer ses vues dans les assemblées générales ordinaires qui
notamment désignent les administrateurs ou les membres du conseil de surveillance et affectent le résultat
de l'exercice. Ce pouvoir implique la possibilité d'exprimer 50 % + 1 voix dans les assemblées générales
ordinaires. On qualifie de contrôle absolu le pouvoir d'imposer ses vues dans les assemblées générales
extraordinaires qui adoptent les décisions entraînant modification des statuts. Ce pouvoir implique la
possibilité d'exprimer 2/3 des voix dans les assemblées générales extraordinaires.
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suffisant. Il faut éviter qu 'il soit toute sa vie un minoritaire devant arracher
toutes les décisions »... à ses frères et soeurs9. On ne saurait mieux dire.
9-0. GELINIER et A. GAULTIER, L'avenir des entreprises personnelles et familiales, éd. Hommes et
Techniques 1974, p. 73.
10 - Lorsque la donation des actions du fondateur est consentie avec réserve d'usufruit le problème est
sans doute reporté à terme. Il est toutefois recommandable de faire jouer une telle clause dès la donation.
Le fondateur s'y trouvera lui-même soumis montrant ainsi l'exemple à suivre.
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Dans un tel pacte, que le fondateur fera solennellement signer par tous
ses enfants, chacun s'engagera, notamment, à ne pas compromettre
l'autofinancement nécessaire à la pérennité de l'entreprise créée par le fondateur et à
ne jamais exiger du dirigeant qu'il fasse prévaloir des intérêts familiaux au
détriment de l'entreprise.
1 1 - La société par actions simplifiée présente, de ce point de vue, le même avantage que la société en
commandite par actions parfois utilisée naguère. Le successeur désigné gérant commandité ne pouvait, en
effet, être évincé de la direction par le seul vote de l'assemblée générale ordinaire des actionnaires. Mais
la société en commandite par actions est une forme sociétaire autrement plus complexe que la société par
actions simplifiée.
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12 - On a indiqué que le contrôle absolu d'une SA implique la possibilité d'exprimer 2/3 des voix dans les
assemblées générales extraordinaires soit, si l'on considère que tous les actionnaires y sont présents ou
représentés, la possibilité d'exprimer 2/3 des voix attachées aux actions émises par la société.
Dans la SAS en revanche les statuts fixent librement la majorité qualifiée requise pour l'adoption des
décisions collectives extraordinaires. Ainsi peut-on détenir le contrôle absolu d'une SAS en pouvant
exprimer 52 % voire 5 1 % des voix attachées aux actions émises si les statuts le prévoient.
13 - Si confronté à un investissement immobilier pour son entreprise, le fondateur l'a fait réaliser par une
société civile immobilière constituée à cet effet plutôt que par la société commerciale qui sera donc
seulement locataire de l'immeuble, il pourra en revanche donner des parts de la SCI aux frères et sœurs
du successeur. Dans certains cas cela suffira au rétablissement de l'équilibre en valeur de leur lot avec le
lot attribué au successeur et comprenant la majorité des actions de l'entreprise sociétaire. C'est un intérêt
essentiel d'une organisation duale de l'entreprise.
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respectant une stricte égalité dans la valeur des lots attribués à chacun de ses trois
enfants ?
* *
où il viendrait à vendre ses actions, à obtenir de l'acquéreur qu'il rachète, au même prix, les actions de
préférence sans droit de vote - et les actions ordinaires - de ses frères et sœurs. Si l'entreprise est en
forme de SAS, une telle clause peut figurer dans les statuts ce qui accroît son efficacité.
16 - La question de savoir si de telles actions relèvent de la catégorie des actions de préférence est
discutée mais on n'entrera pas ici dans ce débat.
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17 - On se limite ici au rachat d'un nombre d'actions permettant l'acquisition du contrôle simple mais il
peut naturellement porter sur des quantités plus importantes permettant l'acquisition du contrôle absolu.
1 8 - Les dividendes perçus par la société holding sont exonérés d'impôt sur les sociétés pour 95 % de leur
montant au titre du régime fiscal des sociétés mères ce qui permet de les affecter en quasi-totalité à
l'amortissement de l'emprunt contracté en vue du rachat des actions. Pour cette raison le rachat par une
société holding est incontournable.
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19 - Si le fondateur peut donner aux frères et sœurs du successeur des parts de la SCI propriétaire de
l'immeuble de l'entreprise il leur garantit ainsi un revenu.
D'où l'intérêt, sur ce plan encore, d'une organisation duale de l'entreprise.
20 - Si une société holding a été constituée afin de concentration du pouvoir actionnarial avant la donation
partage une telle clause pourra être également introduite dans les statuts de la holding.
21 - Dans la SA cet accord est donné par une assemblée spéciale des actionnaires titulaires des actions de
la catégorie concernée statuant à la majorité des 2/3 des voix dont disposent les actionnaires présents ou
représentés qui doivent détenir 1/3 au moins des actions de la catégorie.
Dans la SAS les statuts doivent prévoir les conditions d'obtention d'un tel accord les dispositions légales
relatives aux assemblées spéciales n'étant pas applicables à la SAS. En l'absence de clauses statutaires
l'unanimité des actionnaires titulaires des actions de la catégorie concernée paraît requise.
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Le fondateur doit prendre des mesures pour ouvrir aux frères et sœurs
du successeur des perspectives de sortie.
22 - Le pacte pourra prévoir la réunion d'un conseil familial où sera évoquée la question du montant du
dividende susceptible d'être distribué au titre de l'exercice.
Bien que le problème soit reporté à terme lorsque les actions ont été données avec réserve d'usufruit, la
création et le fonctionnement d'un tel conseil familial peuvent être utilement envisagés dès la donation
partage afin de conférer aux réunions de ce conseil un caractère quasi institutionnel. Il faut alors bien
entendu que les enfants détiennent quelques actions en pleine propriété pour être intéressés par la réunion.
« Entreprises familiales : un pacte pour éviter les conflits », option Finance, 17 septembre 2007.
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Chaque enfant reçoit donc des actions pour une valeur vénale globale
de 4000 x 260 € = 1 040 000 €. Après l'abattement de 156 359 €, la part taxable
de chacun s'établit à 883 641 €. L'application à cette somme des taux progressifs
par tranches prévus à l'article 777 du Code Général des Impôts pour le calcul des
droits de mutation à titre gratuit entre parents en ligne directe conduit à un
montant de droits de 209 1 16 €24.
23 - Cette loi a prévu l'actualisation annuelle de l'abattement dans la même proportion que la limite
supérieure de la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu.
Dans le cas de donations successives entre mêmes personnes la règle du rappel fiscal des donations
antérieures empêche l'abattement de s'appliquer à chaque donation sauf si un délai de 6 ans s'est écoulé
depuis la donation précédente.
24 - Art. 777 CGI (Extrait).
Barème des droits de donation et succession en ligne directe
TARIF
N'excédant pas 7 922 €
5%
Entre 7 922 € et 1 1 883 €
10%
Entre 11 883 € et 15 636 €
15%
Entre 15 636 € et 542 043 €
20%
Entre 542 043 € et 886 032 €
30%
25 - Le taux de réduction tombe à 30 % si le donateur est âge de 70 ans révolus mais de moins de 80 ans
(au lieu de 75 ans avant la loi de finances pour 2006).
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26 - Une donation partage avec réserve d'usufruit contient très souvent une clause dite de réversion
d'usufruit au profit du conjoint survivant du donateur. Dans ce cas au décès du donateur - premier
usufruitier - son usufruit est remplacé par l'usufruit du bénéficiaire de la clause de réversion. La pleine
propriété ne se reconstituera alors entre les mains du nu propriétaire qu'au décès du second usufruitier.
On notera qu'il n'est pas tenu compte de la clause de réversion pour le calcul des droits de donation
résultant de la donation partage.
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Le coût fiscal d'une donation avec réserve d'usufruit s'en est trouvé
d'autant plus significativement réduit.
Comparés aux 313 674 € rendus exigibles par une donation partage en
pleine propriété l'économie de droits apparaît substantielle. Il est pourtant
possible de faire beaucoup mieux.
27 - Selon l'ancien barème, l'usufruit de Frédéric RATEL eût été évalué à 20 % de la valeur de la
propriété entière.
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Mais elle peut être aussi consentie par Frédéric et Monique intervenant
à la donation partage en tant que codonateurs. Or, une telle donation partage, dite
conjonctive, générerait des droits de donation beaucoup moins élevés28. Il n'y
aurait plus alors, en effet, seulement trois donations de 1 040 000 € chacune
consenties par Frédéric RATEL à Serge, Anne et Bernard mais six donations, de
520 000 € chacune. Frédéric et Monique RATEL donneraient en effet chacun la
moitié de la valeur des 12 000 actions. Or, une liquidation de droits de donations
sur six donations permet, notamment, d'appliquer six fois l'abattement de
156 359 €.
28 - La donation partage conjonctive présente d'autres intérêts que fiscaux notamment celui d'éviter le
problème des récompenses à la communauté de la valeur des biens communs donnés par un seul époux.
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de l'optimisation fiscale s'il est marié sous un régime de communauté et que ses
actions en relèvent.
Il en va autrement si l'on suppose que Frédéric et Monique RATEL
sont mariés sous le régime de la séparation de biens, les 12 001 actions de la SA
CONSERVERIE RATEL inscrites au nom de Frédéric RATEL étant alors des
biens personnels à celui-ci.
Une donation partage conjonctive est, en effet, exclue en l'état.
b) Engagements de conservation
29 - On peut se poser la question de savoir si l'administration fiscale ne pourrait pas refuser de tenir
compte du changement de régime pour le calcul des droits de donation en écartant le nouveau contrat de
mariage sur le terrain de l'abus de droit par fraude à la loi.
Mais la réponse est certainement négative le remplacement d'un régime de séparation de biens par un
régime de communauté développant trop de conséquences autres que fiscales.
30 - Le dispositif ne concernait auparavant que les parts sociales ou actions d'entreprises sociétaires
transmises par succession.
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Il peut être aussi pris par un donataire pour une partie seulement des
titres reçus.
33 - L'engagement de conservation ne peut être réputé acquis que pour des titres ayant vocation à être
placés dans un pacte soit des titres d'une entreprise sociétaire donc d'une société opérationnelle. Si le
fondateur a constitué une holding de contrôle les titres de cette société non opérationnelle ne peuvent
qu'indirectement bénéficier de l'exonération partielle dans la mesure où la holding est signataire du pacte
d'actionnaires et a placé dans ce pacte les actions de la société opérationnelle qu'elle détient... La
signature d'un pacte d'actionnaires est donc incontournable lorsque le fondateur a constitué une holding
de contrôle. Ce peut être un argument en faveur de la création d'actions de préférence sans droit de vote
au niveau de la société opérationnelle.
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34 - M. DESLANDES « Dispositif d'allégement des droits de donation après les réformes de 2005 » JCP
N 2006 Etude 1221.
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I 040 000 €/2 = 520 000 € - 390 000 € (75 % exonération partielle) -
130 000 € ; 130 000 € - 130 000 € (abattement) = 0 €.
II est encore exonéré d'ISF au titre des biens professionnels, par effet
de ricochet en quelque sorte, pour la valeur des titres de la holding de contrôle
qu'il a éventuellement constituée et qui détient la majorité du capital de
l'entreprise sociétaire. Il est enfin, le cas échéant, exonéré d'ISF au titre des biens
35 - On signalera que dans ce cas l'exonération partielle suppose que les statuts de l'entreprise sociétaire
aient limité le droit de vote de l'usufruitier à l'affectation des bénéfices et a pour conséquence d'exclure
la réduction de droits pour âge du donateur.
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professionnels pour la valeur des parts de la SCI qu'il a constituée et qui est
propriétaire de l'immeuble donné à bail à l'entreprise sociétaire36.
36 - L'exonération est totale si le pourcentage de la participation du fondateur dans le capital de SCI est
égal ou inférieur au pourcentage de sa participation dans le capital de la société commerciale. Elle est
partielle si le pourcentage de sa participation dans le capital de la SCI est supérieur au pourcentage de sa
participation dans le capital de la société commerciale qui fixe un plafond au pourcentage de
l'exonération.
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37 - L'exonération de 75 % ne sera pas applicable en revanche aux parts de la SCI dont le fondateur
aurait conservé la pleine propriété ou l'usufruit.
38 - La donation des titres demeure néanmoins possible à la condition que cette donation soit effectuée
avec charge pour le ou les donataires de conserver les titres donnés pendant la durée restant à courir du
délai de six ans.
39 - Pour l'application de ce dispositif, la donation avec réserve d'usufruit doit être effectuée en principe
alors que le fondateur est toujours dirigeant de l'entreprise sociétaire. Exceptionnellement elle peut être
effectuée après sa cessation de fonction si elle intervient avant le 31 décembre de l'année où pour la
dernière fois il est exonéré d'ISF au titre des biens professionnels en tant que dirigeant social en activité.
Rép. à G. GINESTA 4/1 1/2008 JO AN 4 nov. 2008 p. 9564 ; BR FL 57 08 p. 3.
40 - II en irait de même ici, selon nous, pour la nue propriété des parts de la SCI propriétaire de
l'immeuble loué à la société commerciale qui aurait été donnée à un enfant dirigeant. Mais en pratique
cette nue propriété aura été donnée à des enfants non dirigeants de l'entreprise sociétaire.
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L'ISF supporté par les frères et sœurs a longtemps été regardé comme
un mal répandant la terreur dans les entreprises familiales41.
41 - Claude CHAMP AUD «Le syndrome de la tante Adèle» in Transmission et restructuration des
petites et moyennes entreprises, ouvrage collectif du CERGOR, Presses Universitaires de Rennes 2000 et
Mélanges en l'honneur de Elie ALFANDARI, p. 21 Dalloz 2000.
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Même s'il est, pour ses propres actions, exonéré d'ISF au titre des
biens professionnels, le successeur ne va évidemment pas refuser de signer un tel
pacte avec ses frères et sœurs qui seront alors, sur le fondement de l'article 885 I
bis du Code Général des Impôts exonérés d'ISF pour 75 % de la valeur de leurs
actions42. La cohésion familiale en ressortira confortée par la fiscalité43.
42 - Le taux de l'exonération a été porté de 50 % à 75 % par la loi du 2août 2005 en faveur des PME.
43 - Cette exonération est également applicable aux titres d'une holding familiale qui auraient été données
aux frères et sœurs à condition que cette holding soit signataire du pacte. En revanche des parts d'une SCI
ne peuvent bénéficier de l'exonération partielle.
44 - A supposer que les frères et sœurs soient néanmoins redevables de l'ISF, ils pourraient obtenir une
réduction de leur impôt, à hauteur de 75 % des versements effectués pour souscrire à des actions émises
par l'entreprise familiale à l'occasion d'une augmentation de son capital. Et ces actions seraient exonérées
d'ISF !